Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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46. Jésus parle en paraboles.


e) La parabole du levain.
(Matth. XIII, 33 ; Luc XIII, 21.)

Il leur dit une autre similitude : Le royaume des cieux est semblable à du levain qu'une femme met parmi trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte soit toute levée. Tandis que la parabole du grain de moutarde nous montre le royaume des cieux se répandant par toute la terre, celle du levain nous représente la vertu de ce royaume pénétrant l'ordre de choses actuel tout entier, toutes les relations de la vie humaine, et les sanctifiant. L'une indique à l'Église chrétienne la marche de la mission extérieure, l'autre lui décrit le travail intime, régénérateur, de la mission intérieure.

Là où l'Esprit de Christ et l'Évangile de la croix pénètrent dans un coeur, toute la vie intérieure de l'homme, ses pensées, ses sentiments, sa volonté, est soumise à un travail de fermentation spirituelle, et peu à peu saisie et renouvelée par cet Esprit et cet Évangile. Et lorsque ces deux puissances se sont emparées de la vie de la famille ou de la communauté, elles la sanctifient. Alors on ne regarde pas chacun à son intérêt particulier, mais on a aussi égard à celui des autres (Philip. II, 4). Et lorsque la vie des peuples sera pénétrée de la vertu divine de la Parole de Dieu, elle se montrera aussi dans cette sphère comme un levain, par lequel toute la vie publique sera transfigurée, et la religion, la politique, les arts, les sciences seront régénérés. Elle détachera de la terre les coeurs, les intentions, les affections, et les élèvera vers le ciel. Là où cette vertu du levain de l'Évangile fait défaut, les hommes se corrompent de plus en plus, les uns les autres. En revanche, chaque chrétien, à la condition d'être fermement attaché à son Sauveur par la foi, est un levain qui, par une piété intime, attire les coeurs à la croix de Christ.


f et g) Les paraboles du trésor caché et de la perle de grand prix.

(Matth. XIII, 44-46.)

Le royaume des cieux est encore semblable à un trésor caché dans un champ, qu'un homme a trouvé et qu'il cache, et de la joie qu'il en a, il s'en va et vend tout ce qu'il a et achète ce champ-là. Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherchait de belles perles. Et qui, ayant trouvé une perle de grand prix, s'en va et vend tout ce qu'il a et l'achète. Ces deux paraboles font ressortir la valeur et la gloire du royaume des cieux. Elles diffèrent entre elles en ceci : que la première montre comment on trouve ce royaume sans le chercher, et la seconde, comment ceux qui le cherchent avec zèle ne manqueront pas de le trouver. Dans la première, le royaume des cieux s'approche de l'homme, qui le saisit et s'en empare au moyen de la faculté de réceptivité dont il est doué ; dans la seconde il cherche, il déploie sa force d'activité. Mais dans les deux cas il ne peut posséder le trésor caché et la perle de grand prix, qu'en se dépouillant de tout ce qu'il a, c'est-à-dire en renonçant à lui-même.

Le trésor est caché dans un champ. Sans doute, une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et les précieux biens du royaume des cieux : la justice, la paix, la joie du Saint-Esprit, le pardon des péchés, la vie et le salut sont de nature à être hautement reconnus et estimés de chacun. Mais comme notre sens moral et notre intelligence sont obscurcis de ténèbres ; comme le prince de ce monde a aveuglé le coeur des incrédules, ils ne distinguent pas ce que voient clairement les yeux illuminés par ]'Esprit de Dieu. L'homme animal ne comprend point les choses qui sont de l'Esprit de Dieu (1 Cor. II, 14). Le champ, c'est l'Église visible, avec ses moyens de grâce : la Parole et les sacrements. Mais la Bible, l'Église, avec toute son organisation extérieure, sont pour le monde quelque chose de suranné, de traditionnel, d'usé. Il n'a pas l'idée qu'il puisse y avoir là un trésor. L'enfant est resté caché dans ses langes. Or, cet enfant n'est autre que Jésus lui-même, le trésor des trésors.

En apparence, l'homme trouve le trésor par hasard. Mais le hasard n'existe pas dans le règne de Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête, et sans la volonté duquel pas un passereau ne tombe à terre. La circonstance la plus insignifiante : un mot d'un ami prononcé au cours d'une conversation, un livre qui nous est tombé dans les mains, une maxime qu'on a entendue, un certain événement survenu dans la vie, peuvent être, pour le Père céleste, des moyens d'attirer une âme à Jésus. Que l'homme ait seulement un oeil bien ouvert, un regard sûr, pour reconnaître dans ces circonstances le coeur et la main de Dieu, et il parviendra à la possession du trésor. Après l'avoir trouvé, il le cache dans le champ même où il l'a découvert, afin de pouvoir toujours l'y retrouver. Celui qui voudrait trop montrer le trésor de son coeur, ne tarderait pas à le perdre. « Les croyants trouvent ce qui est caché et cachent ce qu'ils ont trouvé » (Bengel). Quiconque a rencontré Christ dans le champ de l'Église, dans la Parole et les sacrements, ne s'éloigne pas de ce champ, comme s'il voulait se réjouir dans le Seigneur, loin de son Église et de sa Parole ; il le laisse là où il est ; mais il achète ce champ afin de pouvoir en tout temps et librement s'approcher de son trésor. On apprécie l'Église, la Parole, les sacrements, à cause du trésor qu'ils renferment. Pour le posséder, on donne volontiers et avec plaisir tout ce qui est terrestre, vain, passager. On regarde toutes choses comme une perte, pourvu qu'on gagne Christ (Philip. III, 8).

À la joie de celui qui a trouvé, se joint, dans la parabole de la perle de grand prix, la satisfaction du chercheur ingénieux et circonspect. Un marchand met son honneur à fonder une maison solide. Celui de notre parabole avait évidemment cette ambition, puisqu'il ne cherchait que de belles perles. Il avait aussi un oeil de connaisseur, de manière à distinguer une vraie perle d'une fausse. Il profite également de l'occasion qui s'offre à lui de faire une bonne affaire, en vendant tout ce qu'il a pour se procurer la perle de grand prix. Ce marchand représente les âmes qui aspirent à tout ce qui est bon et noble, qui cherchent ce qui peut les satisfaire parfaitement, les rendre vraiment heureuses. La vie humaine offre beaucoup de choses bonnes et précieuses : la vie de famille, les joies de l'amitié, les beautés de la nature, les oeuvres de l'art et de la science. Les hommes se procurent ces biens et s'en réjouissent ; mais ils n'y trouvent cependant pas ce qu'ils cherchaient. Le vide de leur pauvre coeur n'en est pas comblé ; la faim et la soif de leur âme faite pour Dieu n'en sont point apaisées.
Mais lorsqu'ils trouvent la perle de grand prix, ils sentent immédiatement un feu divin brûler dans leur âme, comme les disciples d'Emmaüs. L'âme dévorée d'une soif ardente, sait parfaitement ce qui peut la désaltérer et procurer à sa vie une parfaite satisfaction. Christ en nous, voilà la perle de grand prix, avec laquelle nous pouvons jouir de tous les plaisirs célestes. Du moment que le bienfaiteur nous appartient, tous ses bienfaits sont à nous. Cette précieuse perle ne peut ni s'acheter, ni se payer, ni se gagner. Dans le royaume des cieux, la devise est : « Venez, achetez sans argent et sans aucun prix » (Ésaïe LV, 1). Le salut est un libre et gracieux présent de notre Dieu. Seulement, il faut que le coeur qui veut s'enrichir de ce trésor et se parer de cette perle, la seule vraiment précieuse, se dépouille d'abord de tout autre trésor et de toute autre parure. Le trésor et la perle ne peuvent devenir le partage que du coeur qui renonce à lui-même.


h) La parabole du filet.

(Matth. XIII, 43-50.)

Le royaume des cieux est encore semblable à un filet, qui, étant jeté dans la mer, ramasse toutes sortes de choses. Quand il est rempli, les pécheurs le tirent sur le rivage, et, s'étant assis, ils mettent ce qu'il y a de bon à part dans leurs vaisseaux, et ils jettent ce qui ne vaut rien. Il en sera de même à la fin du monde ; les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes. Et ils jetteront les méchants dans la fournaise ardente. C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Cette parabole exprime à peu près la même pensée que celle du bon grain et de l'ivraie. Le temps de la grâce est le temps où tout est confondu. C'est seulement le jugement qui opérera la séparation. Jusque-là les enfants de Dieu et les enfants du monde seront mêlés dans le royaume de Dieu. Dans la parabole du bon grain et de l'ivraie, on distingue dès l'abord le bon grain de l'ivraie. Dans celle-ci, on ne peut faire la différence entre les bons et les mauvais poissons, aussi longtemps que le filet est dans la mer. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. C'est pourquoi tous sont invités. Tous ceux qui sont pris, sont attirés par le filet, quoi qu'il y ait dans le nombre beaucoup. de mauvais poissons.

Dans chaque communauté particulière de l'Église chrétienne, le filet est jeté. Mais tous ces petits filets se réunissent et forment un seul grand filet, qui est promené dans la mer du monde, pour prendre les âmes et en faire la propriété du Seigneur Jésus. Il faut permettre aux mauvais de rester avec les bons, jusqu'à ce que le filet soit tiré sur l'autre rivage, afin que par l'usage des moyens de grâce et par l'influence qu'exercent les croyants, ils soient guéris de leur incrédulité. Lorsque le filet sera plein, il sera procédé au choix des bons poissons et à la réjection des mauvais. Dans cette parabole, nous voyons que le Seigneur confie de nouveau aux anges l'oeuvre de la sélection et de la séparation, tandis que les serviteurs de Jésus sont chargés pendant le temps de la grâce, d'appeler et de rassembler. Cette parabole indique le travail plutôt. d'une manière générale, tandis que celles de la brebis égarée et de la drachme perdue, nous font penser au soin à donner à chaque âme en particulier, à la charge spéciale du pasteur.

Et Jésus dit à ses disciples : Avez-vous compris toutes ces choses ? Ils répondirent : Oui, Seigneur. Comme cela arriva plus tard, les disciples avaient sans doute à peine compris les paroles de leur Maître. Jésus parlait clairement pour quiconque désirait sincèrement s'approprier sa parole ; mais pour les incrédules, la Parole de Dieu était un livre scellé de sept sceaux. On conseille souvent la lecture suivie de la Bible. Cependant, il faut que le lecteur fasse bien attention à cette question de Jésus : Avez-vous compris toutes ces choses ? En tout cas, il. est plus utile au commencement de lire un seul vers et de bien l'examiner sous toutes ses faces avec l'intelligence du coeur, afin d'en saisir le contenu, que de lire à la file plusieurs chapitres sans les comprendre. - Et il leur dit : C'est pourquoi tout docteur, qui est bien instruit dans les choses qui regardent le royaume des cieux, est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses vieilles. Un docteur instruit dans les choses qui regardent le royaume des cieux !

C'est ce que doit être tout théologien, aussi bien ceux qui enseignent dans les Facultés que ceux qui montent dans la chaire chrétienne. C'est ce que doivent également être tous les instituteurs, les pères de famille, en un mot tous ceux qui ont des âmes à conduire dans les voies du salut. Il faut qu'à l'exemple de Jésus, ils distribuent et communiquent le trésor qu'ils ont recueilli dans la Parole de Dieu. Ils ne doivent pas seulement répéter de mémoire ce que Jésus et ses apôtres ont dit, mais chacun fait part de son trésor. Et ce trésor se compose de tout ce que nous avons acquis par la prière, par l'étude et la méditation et par notre expérience.

Des choses nouvelles et des choses vieilles ! Si nous nous sommes approprié les choses nouvelles, c'est-à-dire l'Évangile, les choses anciennes, c'est-à-dire la loi, nous seront aussi en bénédiction. Dans la prédication comme dans l'exhortation individuelle, il faut que la lettre de la loi qui commande et qui tue, soit mise en lumière, pour faire mieux ressortir la puissance de grâce contenue dans l'Évangile. Nous pouvons parler le vieux langage de la création, mais il faut qu'il soit rendit intelligible par la langue nouvelle de la Rédemption. Nous ne devons jamais nous lasser d'annoncer l'Évangile, seul capable de rendre heureux, et ceux qui l'écoutent ne doivent pas s'impatienter d'entendre toujours de nouveau ce qui a une fois restauré leur coeur. Ce qui est vieux ne doit pas vieillir. L'Évangile est toujours une eau limpide et fraîche ; il n'est jamais une eau stagnante. Quiconque saisit chaque jour, par la foi, la puissance de grâce qu'il renferme, en reconnaissant chaque jour et en sentant douloureusement ses péchés, chantera aussi chaque jour au Seigneur un nouveau cantique et se trouvera de nouveau restauré et consolé par son amour. Des choses nouvelles ! Mais non comme les Athéniens, qui n'étaient occupés qu'à écouter et à dire quelque nouvelle (Act. XVII, 21) ; mais la vieille et cependant toujours nouvelle Parole de Dieu, qui était au commencement, qui est apparue, que nous avons vue, et dont nous rendons témoignage, parce que chaque jour nous faisons de son efficacité une bienheureuse expérience.



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47. Jésus revient à Nazareth.

(Matth. XIII, 53-58.)


 Il arriva que quand Jésus eut achevé toutes ces similitudes, il se retira de ce lieu-là. Jésus était généralement appelé le fils du charpentier, mais à Nazareth, où il avait passé sa jeunesse, on disait de lui : N'est-ce pas là le charpentier ? (Marc VI, 3) ce qui prouve qu'il avait travaillé avec Joseph. Les habitants reconnaissaient sa sagesse ; mais ils savaient qu'il n'avait fréquenté aucune des nombreuses écoles rabbiniques. C'est pourquoi ils demandaient avec étonnement : D'où vient à cet homme celle sagesse ? Ils admiraient aussi ses miracles, mais ils en restaient là. Ils ne croyaient pas en lui, et se scandalisaient de la bassesse de son origine. Ils auraient accepté la parole d'un sage de ce monde qui aurait beaucoup voyagé. Quant à Jésus, ils le regardaient comme leur égal, et ne voulaient se laisser ni éclairer ni reprendre par lui. Un prophète n'est méprisé que dans son pays et dans sa maison. La supériorité morale est toujours pénible et difficile à supporter pour l'orgueil mesquin. Ils se scandalisaient de lui. Ceci est un avertissement pour les chrétiens de tous les temps. Le disciple n'est pas plus que son Maître. Il faut par conséquent qu'il soit préparé au mépris et à l'opprobre. - Ce n'est pas à Jésus que nuit ce traitement ignominieux, mais aux Nazaréens eux-mêmes. Car il ne fit là que peu de miracles à cause de leur incrédulité. Là où la main de la foi n'est pas ouverte, le Seigneur ne peut distribuer ni les dons de sa grâce, ni ses faits miraculeux. Il ne faut donc pas s'étonner si aujourd'hui il s'accomplit si peu de signes et de miracles, puisqu'ils ne sont promis qu'à la foi. Seigneur, nous croyons ; aide-nous dans notre incrédulité !



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48. Décapitation de Jean-Baptiste.

(Matth. XIV, 1-12 ; Marc VI, 14-29 ; Luc IX, 7-9.)


Jean-Baptiste avait courageusement repris Hérode au sujet d'Hérodias, femme de son frère Philippe, qu'il avait épousée. Il. lui avait dit : Il ne t'est pas permis de l'avoir pour femme. Ses paroles n'étaient pas plus douces que son vêtement.

Et il aurait voulu le faire mourir, mais il craignait le peuple, parce qu'on regardait Jean comme un prophète. Hérode était un caractère extrêmement vacillant. Il veillait sur Jean-Baptiste afin de le soustraire aux persécutions d'Hérodias (Marc VI, 20), et d'un autre côté, il l'aurait volontiers fait mourir pour ne plus entendre les paroles piquantes de cette femme. Il fit jeter Jean-Baptiste en prison, et cependant il aimait à l'écouter, sachant que c'était un homme juste et saint, et faisait même beaucoup de choses d'après ses conseils (Marc VI, 20). Malgré cela, il refusait de se laisser reprendre par lui dès qu'il s'agissait de la chose principale. Mais un jour vint à propos, auquel Hérode faisait le festin du jour de sa naissance aux grands de sa cour, aux officiers de son armée et aux principaux de la Galilée. La fille d'Hérodias dansa au milieu de l'assemblée et plut à Hérode. Que les chrétiens apprennent ici à ne pas célébrer le jour anniversaire de leur naissance par des plaisirs coupables. Il est permis, ce jour-là, d'inviter les amis et de leur dire : Réjouissez-vous avec moi ; mais il n'est pas permis de perdre de vue l'instruction que ce jour renferme. Il nous rappelle chaque année la fuite de la vie, le sérieux de la mort, la proximité de l'éternité. Il doit remplir nos coeurs d'une humble reconnaissance et d'une ferme confiance, et nous porter à réfléchir sur l'emploi du temps de grâce qui nous est accordé.
Dans ces conditions, on peut se réjouir d'une joie qui est sanctifiée par les pensées de l'éternité. La danse voluptueuse de la jeune fille avait charmé Hérode. Aussi lui promit-il avec serment de lui donner tout ce qu'elle lui demanderait, jusqu'à la moitié de son royaume. Promesse irréfléchie et insensée, corroborée par un serment impie. Elle donc, étant poussée par sa mère, lui dit : Donne-moi, ici, dans un plat, la tête de Jean-Baptiste.

L'histoire du règne de Dieu nous offre beaucoup d'exemples de l'influence bénie que de pieuses mères ont exercée sur leurs filles. Mais cette bénédiction se change en malédiction lorsque le coeur de la mère, au lieu d'être rempli de piété et de crainte de Dieu, est dominé par l'amour du péché. Mère, qui lis ces lignes, demande-toi si tu es pour les tiens une malédiction ou une bénédiction. Et le roi fut fâché ; mais à cause du serment qu'il avait fait et de ceux qui étaient à table avec lui, il commanda qu'on la lui donnât. Et il envoya couper la tête à Jean dans la prison. Et on apporta la tête dans un plat, et on la donna à la fille, et elle la présenta à sa mère.

La conscience du roi se soulève encore une fois ; mais chaque péché que l'on n'a pas confessé et dont on n'a pas obtenu le pardon, pousse toujours à de nouveaux péchés. Un serment impie ne lie point. Aussi le serment seul n'aurait-il pas lié Hérode, mais il avait honte devant ses convives de violer la promesse qu'il avait faite. - On s'est souvent, scandalisé de ce que Jean-Baptiste, un serviteur de Dieu si éminent, soit mort d'une manière si ignominieuse. Cependant cette mort est en parfait accord avec sa vocation de précurseur de Jésus. L'Époux devant subir la mort la plus ignominieuse, il ne doit point paraître étrange que l'ami de l'Époux eût eu le même sort. Au surplus, le funeste anniversaire de la naissance d'Hérode devait procurer à Jean-Baptiste le glorieux jour de naissance à la vie éternelle. Les disciples de Jean-Baptiste vinrent inhumer son corps et annoncèrent cet événement au Seigneur.

Jésus avait depuis longtemps attiré sur lui l'attention publique par ses miracles, lorsque le bruit en vint à la cour du roi Hérode. Là on s'était occupé avant tout des affaires de ce monde, d'expéditions guerrières, de la politique de l'empereur romain. Les questions religieuses qui préoccupaient le peuple n'y avaient pénétré que plus tard. Toutefois, le fait seul que ce prince, qui vivait au milieu des voluptés mondaines et dans une incrédulité railleuse, soit parvenu à la connaissance des oeuvres du Seigneur, prouve que le peuple les suivait avec attention, et que Jésus était devenu l'objet de tous les entretiens. Alors le roi Hérode dit à ses serviteurs : C'est Jean-Baptiste ! Il est ressuscité des morts ; c'est pour cela qu'il se fait des miracles par lui. Hérode avait fait mourir Jean ; mais il n'avait pu tuer la voix du prophète, qui résonnait encore dans son coeur. Sa mauvaise conscience lui avait causé plus d'une nuit d'insomnie. Dès qu'il entend parler de Jésus, il croit que Jean-Baptiste est ressuscité. Dans son incrédulité, il est tourmenté par une frayeur superstitieuse.

Ce phénomène s'est produit à toutes les époques, et on le retrouve encore aujourd'hui. La superstition confine à l'incrédulité. Lorsque le monde, enflé de ses propres lumières, ne croit plus en Dieu, il croit d'autant plus facilement aux fantômes. Dès que le coeur n'est plus appuyé sur le Dieu vivant et sur sa Parole, il est accessible aux superstitions les plus absurdes. Les meurtriers croient voir partout les esprits de leurs victimes. Plus la voix de la conscience a été longtemps étouffée et réduite au silence, plus ses accusations sont cruelles, lorsqu'elle parvient à se faire entendre.
Un cultivateur avait vécu sciemment dans le péché depuis l'âge de 15 ans. Pendant longtemps sa conscience ne lui laissa aucun repos. Parfois l'angoisse de son âme l'empêchait de travailler. De guerre lasse, il abandonna sa charrue et chercha, par de nombreux verres d'eau-de-vie, à imposer silence à sa conscience. Ce fut seulement à l'âge de 65 ans, que la voix de la grâce put se faire entendre dans son âme. Mais le malheureux avait été obligé de l'implorer pendant six ans, au milieu de mortelles angoisses. Et ce fut seulement après ce laps de temps qu'il put enfin croire que Dieu lui pardonnait ses péchés.



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49. Le miracle des cinq pains et des deux poissons.

(Matth. XIV, 13-21 ; Marc VI, 30-43 ; Jean VI, 4-13.


Les apôtres étaient de retour de la tournée d'évangélisation que Jésus leur avait assignée pour les préparer à leur vocation future. Ils lui racontèrent tout ce qu'ils avaient fait et enseigné (Marc VI, 30). Et il leur dit : Venez vous-en à l'écart, dans un lieu désert, et prenez un peu de repos. Et il se dirigea avec eux vers le désert de Bethsaïda, sur le bord oriental de la mer de Galilée. Mais ce repos ne devait pas être de longue durée, ni pour lui ni pour ses disciples. En effet, aussitôt qu'ils eurent débarqué, le peuple qui les avait précédés à pied attendait déjà le Seigneur. Et Jésus, étant sorti de la barque, vit une grande multitude, et fut ému de compassion envers eux et guérit leurs malades. Il eût bien voulu prendre quelque repos, mais la pitié que cette foule lui inspirait ne le lui permit pas. Ces âmes, semblables à des brebis abandonnées, périssaient sans pasteurs, et sans direction spirituelle. Un désir secret, peut-être inconscient d'une pareille direction, sommeillait sans doute en elles ; comment Jésus eût-il pu ne pas y répondre ? Il se mit à leur enseigner plusieurs choses (Marc VI, 34). Il leur annonça que la porte des cieux leur était largement ouverte, et les invita à y entrer. Le soir, ses disciples vinrent à lui et lui dirent : Ce lieu est désert et l'heure est déjà avancée ; renvoie ce peuple, afin qu'ils aillent dans les bourgades et qu'ils y achètent des vivres. Les disciples trouvaient la prédication du Sauveur trop longue. Ils étaient inquiets en voyant Jésus s'enfoncer dans les intérêts du ciel au point d'oublier les choses de la terre, et ils croient de leur devoir de le lui rappeler. Ils sont d'ailleurs poussés à le faire par la nuit qui tombe.

Mais Jésus leur dit : Il n'est pas nécessaire qu'ils y aillent : donnez-leur vous-mêmes à manger. Il s'adressa particulièrement à Philippe et lui dit pour l'éprouver : D'où achèterons-nous du pain afin que ces gens-là aient à manger ? Celui-ci répondit : Pour deux cents deniers de pain ne suffirait pas pour en donner un peu à chacun. Un autre de ses disciples, savoir André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de gens ? (Jean VI, 5-9). Les disciples ne soutiennent pas l'épreuve ; ils calculent à la manière des hommes, et ils ne peuvent comprendre que le Seigneur puisse rassasier ces milliers avec si peu de nourriture. Jésus se montre ici, à ces multitudes affamées, comme celui qui leur donne aussi le pain terrestre, afin qu'elles sachent que la piété est utile à toutes choses, ayant les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir (I Tim. IV, 8). Il leur dit : Apportez-les moi ici. Et après avoir commandé que le peuple s'assît sur l'herbe, par rangées de centaines et de cinquantaines (Marc), il prît les cinq pains et les deux poissons, et ayant levé les yeux au ciel, il rendit grâces ; et ayant rompu les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent au peuple.

Jésus nous montre, par son exemple, que la prière que nous faisons avant le repas sera exaucée, et il nous invite à rendre grâces pour notre pain quotidien. Lorsqu'au désert Satan engage Jésus à changer des pierres en pains, il refusa de faire usage de sa puissance divine pour apaiser sa faim ; ici, au contraire, il la met au service de son miséricordieux amour. Comme les yeux de tous devaient attendre qu'il leur donnât à manger, lorsqu'il ouvrit cette main qui avait rompu les pains, et rassasia ces milliers de l'abondance de sa puissance divine ! Ce pain, arrosé de sa bénédiction, se multiplie dans ses mains, en sorte que plus il donnait, plus il pouvait donner.

Les disciples eurent sans doute un moment d'inquiétude en voyant cette foule et l'exiguïté de ses provisions. Mais le Seigneur veut nous montrer qu'en tout temps il peut restaurer ceux qui viendront à lui, quel que soit leur nombre. Il ne méprise pas ce peu de pain ; il le prend dans ses mains, le donne aux disciples, et ceux-ci le présentent au peuple, morceaux par morceaux, au fur et à mesure que le Seigneur le leur distribue. Et, à la fin, il arrive que cette faible provision non seulement a suffi, de manière que tous furent rassasiés, mais qu'il y eut encore douze corbeilles remplies des morceaux qui restèrent, et cependant ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes sans compter les femmes et des enfants. Jésus recommanda de recueillir les morceaux, afin que rien ne se perdit. Ainsi il y avait plus après le repas qu'auparavant. Les disciples purent apprendre à cette occasion qu'on ne s'appauvrit pas en donnant ce qu'on a reçu des mains de Jésus.

Ce qui arriva alors au désert, arrive encore aujourd'hui spirituellement dans tous les lieux de la chrétienté. Le Seigneur a commandé à ses serviteurs de distribuer à ces milliers qui viennent à lui le pain vivant de la Parole, dans laquelle il se trouve lui-même. Lorsque ces serviteurs regardent leurs provisions, ils ne peuvent que s'écrier avec André : Qu'est-ce que cela pour tant de gens ? Mais ils les déposent entre les mains de Jésus et les reçoivent de nouveau avec sa bénédiction, et alors ils s'étonnent de voir que le peu qu'ils avaient est devenu, par la puissance de cette bénédiction, suffisant pour rassasier la foule, et qu'il leur en reste encore assez pour nourrir leur propre âme. Ce ne sont pas les serviteurs qui nourrissent les âmes ; ils leur distribuent le pain que Jésus leur donne. Il est en même temps le pourvoyeur et le pain de vie. L'aliment qu'il donne, c'est lui-même. Il est venu pour que nous ayons la vie et que nous l'ayons même avec abondance.

Lorsque le pain de vie est distribué parmi nous, dans nos services religieux, personne ne devrait en sortir à vide. Tous doivent quitter la maison de Dieu, restaurés et fortifiés dans l'homme intérieur. Lorsque les fidèles rentrent dans leurs demeures, aussi vides qu'ils en sont sortis ; lorsqu'aucune faim n'a été apaisée, aucune plaie n'a été bandée, aucun genou chancelant n'a été raffermi, aucune main affaiblie n'a été fortifiée, c'est qu'alors, ou bien le serviteur de Dieu a négligé de déposer sa provision entre les mains de Jésus, ou bien les coeurs étaient déjà rassasiés et n'éprouvaient nul besoin de nourriture. Ils ont méprisé le repas que le Seigneur leur avait préparé, et disent en eux-mêmes : « Nous sommes dégoûtés de cet insipide aliment ! » - Quelle n'est pas la richesse de Jésus ! Sa seule pauvreté consiste en ce que si peu viennent se rassasier de sa plénitude. Il a rempli de biens ceux qui souffraient la faim, et il a renvoyé les riches à vide (Luc I, 53).

Cette multiplication miraculeuse des pains avait profondément impressionné le peuple. Et ces gens, ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est véritablement le prophète qui devait venir au monde. Jésus est le Messie promis, telle fut la pensée qui saisit la foule avec la rapidité de l'éclair. Un roi qui pourvoit ses sujets d'une nourriture miraculeuse, était tout à fait conforme aux espérances d'un peuple dominé par des vues terrestres. C'est pourquoi ils voulaient élever Jésus à la dignité royale. Mais telle n'était point la voie que le Sauveur voulait suivre. Ces appétits populaires lui rappelèrent sans doute les paroles du tentateur au désert : « Je te donnerai toutes ces choses, si en le prosternant devant moi, tu m'adores. » Le tentateur avait alors été repoussé pour toujours.

Aussitôt après, il obligea ses disciples d'entrer dans une barque, et de partir avant lui de l'autre côté pendant qu'il congédierait le peuple. Il fut obligé de les forcer, car ils ne se séparaient certainement pas volontiers de leur Maître bien-aimé. Mais Jésus hâta leur départ, car, en présence des dispositions du peuple, il n'était pas bon pour eux de demeurer plus longtemps sur le théâtre du miracle. Leurs coeurs ne pouvaient pas se familiariser avec la pensée que Jésus allait entrer très prochainement dans la voie douloureuse, comme l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, et qu'il ne prendrait possession de la gloire céleste qu'après avoir consommé son sacrifice.

Après qu'il eut renvoyé le peuple, il se retira sur une montagne à part pour prier. Et la nuit étant venue, il était là seul. Là, il s'entretint avec son Père céleste par la prière. Quel fut le sujet de cet entretien ? Nous pouvons en avoir une idée par le long discours sur le pain de vie que le Seigneur prononça le lendemain dans la synagogue de Capernaüm. Mais certainement, à cette occasion, il répandit son coeur dans le sein de son Père céleste. Les disciples venaient de terminer leur tournée d'évangélisation, et ils lui avaient fait leur rapport. Il venait d'apprendre la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste. Il avait prêché devant le peuple assemblé ; il avait rassasié ceux qui avaient faim, et il avait dû faire l'expérience que son amour de Sauveur n'éveillait que des désirs charnels. Autant d'objets à porter devant Dieu. Aussi la prière de notre souverain Sacrificateur fut-elle sûrement trempée de larmes. Elle avait, à la vérité, pour objet l'avancement du règne de Dieu en général ; mais plus spécialement, sans doute, ceux qui avaient été miraculeusement rassasiés, et certainement aussi ses bien-aimés disciples ne furent pas oubliés.

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