Il leur dit une autre similitude : Le
royaume des cieux est semblable à du levain qu'une femme met parmi
trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte soit toute levée.
Tandis que la parabole du grain de moutarde nous montre le royaume des
cieux se répandant par toute la terre, celle du levain nous représente
la vertu de ce royaume pénétrant l'ordre de choses actuel tout entier,
toutes les relations de la vie humaine, et les sanctifiant. L'une
indique à l'Église chrétienne la marche de la mission extérieure,
l'autre lui décrit le travail intime, régénérateur, de la mission
intérieure.
Là où l'Esprit de Christ et l'Évangile de la croix
pénètrent dans un coeur, toute la vie intérieure de l'homme, ses
pensées, ses sentiments, sa volonté, est soumise à un travail de
fermentation spirituelle, et peu à peu saisie et renouvelée par cet
Esprit et cet Évangile. Et lorsque ces deux
puissances se sont emparées de la vie de la famille ou de la
communauté, elles la sanctifient. Alors on ne regarde pas chacun à son
intérêt particulier, mais on a aussi égard à celui des autres (Philip.
II, 4). Et lorsque la vie des peuples sera pénétrée de la vertu
divine de la Parole de Dieu, elle se montrera aussi dans cette sphère
comme un levain, par lequel toute la vie publique sera transfigurée,
et la religion, la politique, les arts, les sciences seront régénérés.
Elle détachera de la terre les coeurs, les intentions, les affections,
et les élèvera vers le ciel. Là où cette vertu du levain de l'Évangile
fait défaut, les hommes se corrompent de plus en plus, les uns les
autres. En revanche, chaque chrétien, à la condition d'être fermement
attaché à son Sauveur par la foi, est un levain qui, par une piété
intime, attire les coeurs à la croix de Christ.
Le royaume des cieux est encore semblable à
un trésor caché dans un champ, qu'un homme a trouvé et qu'il
cache, et de la joie qu'il en a, il s'en va et vend tout ce qu'il
a et achète ce champ-là. Le royaume des cieux est encore semblable
à un marchand qui cherchait de belles perles. Et qui, ayant trouvé
une perle de grand prix, s'en va et vend tout ce qu'il a et
l'achète. Ces deux paraboles font ressortir la valeur
et la gloire du royaume des cieux. Elles diffèrent entre elles en
ceci : que la première montre comment on trouve ce royaume sans
le chercher, et la seconde, comment ceux qui le cherchent
avec zèle ne manqueront pas de le trouver. Dans la première, le
royaume des cieux s'approche de l'homme, qui le saisit et s'en empare
au moyen de la faculté de réceptivité dont il est doué ;
dans la seconde il cherche, il déploie sa force d'activité.
Mais dans les deux cas il ne peut posséder le trésor caché et la perle
de grand prix, qu'en se dépouillant de tout ce qu'il a, c'est-à-dire
en renonçant à lui-même.
Le trésor est caché dans un champ. Sans doute,
une ville située sur une montagne ne peut être
cachée, et les précieux biens du royaume des cieux : la justice,
la paix, la joie du Saint-Esprit, le pardon des péchés, la vie et le
salut sont de nature à être hautement reconnus et estimés de chacun.
Mais comme notre sens moral et notre intelligence sont obscurcis de
ténèbres ; comme le prince de ce monde a aveuglé le coeur des
incrédules, ils ne distinguent pas ce que voient clairement les yeux
illuminés par ]'Esprit de Dieu. L'homme
animal ne comprend point les choses qui sont de l'Esprit de Dieu
(1
Cor. II, 14). Le champ, c'est l'Église visible, avec ses moyens
de grâce : la Parole et les sacrements. Mais la Bible, l'Église,
avec toute son organisation extérieure, sont pour le monde quelque
chose de suranné, de traditionnel, d'usé. Il n'a pas l'idée qu'il
puisse y avoir là un trésor. L'enfant est resté caché dans ses langes.
Or, cet enfant n'est autre que Jésus lui-même, le trésor des trésors.
En apparence, l'homme trouve le trésor par hasard. Mais
le hasard n'existe pas dans le règne de Dieu, qui a compté les cheveux
de notre tête, et sans la volonté duquel pas un passereau ne tombe à
terre. La circonstance la plus insignifiante : un mot d'un ami
prononcé au cours d'une conversation, un livre qui nous est tombé dans
les mains, une maxime qu'on a entendue, un certain événement survenu
dans la vie, peuvent être, pour le Père céleste, des moyens d'attirer
une âme à Jésus. Que l'homme ait seulement un oeil bien ouvert, un
regard sûr, pour reconnaître dans ces circonstances le coeur et la
main de Dieu, et il parviendra à la possession du trésor. Après
l'avoir trouvé, il le cache dans le champ même où il l'a
découvert, afin de pouvoir toujours l'y retrouver. Celui qui voudrait
trop montrer le trésor de son coeur, ne tarderait pas à le perdre.
« Les croyants trouvent ce qui est caché et cachent ce qu'ils ont
trouvé » (Bengel). Quiconque a rencontré Christ dans le champ de
l'Église, dans la Parole et les sacrements, ne s'éloigne pas de ce
champ, comme s'il voulait se réjouir dans le Seigneur, loin de son
Église et de sa Parole ; il le laisse là où il est ; mais il
achète ce champ afin de pouvoir en tout temps et librement s'approcher
de son trésor. On apprécie l'Église, la Parole, les sacrements, à
cause du trésor qu'ils renferment. Pour le posséder, on donne volontiers
et avec plaisir tout ce qui est terrestre, vain, passager. On regarde
toutes choses comme une perte, pourvu qu'on gagne Christ (Philip.
III, 8).
À la joie de celui qui a trouvé, se joint, dans la
parabole de la perle de grand prix, la satisfaction du chercheur
ingénieux et circonspect. Un marchand met son honneur à fonder une
maison solide. Celui de notre parabole avait évidemment cette
ambition, puisqu'il ne cherchait que de belles perles. Il avait aussi
un oeil de connaisseur, de manière à distinguer une vraie perle d'une
fausse. Il profite également de l'occasion qui s'offre à lui de faire
une bonne affaire, en vendant tout ce qu'il a pour se procurer la
perle de grand prix. Ce marchand représente les âmes qui aspirent à
tout ce qui est bon et noble, qui cherchent ce qui peut les satisfaire
parfaitement, les rendre vraiment heureuses. La vie humaine offre
beaucoup de choses bonnes et précieuses : la vie de famille, les
joies de l'amitié, les beautés de la nature, les oeuvres de l'art et
de la science. Les hommes se procurent ces biens et s'en
réjouissent ; mais ils n'y trouvent cependant pas ce qu'ils
cherchaient. Le vide de leur pauvre coeur n'en est pas comblé ;
la faim et la soif de leur âme faite pour Dieu n'en sont point
apaisées.
Mais lorsqu'ils trouvent la perle de grand prix, ils
sentent immédiatement un feu divin brûler dans leur âme, comme les
disciples d'Emmaüs. L'âme dévorée d'une soif ardente, sait
parfaitement ce qui peut la désaltérer et procurer à sa vie une
parfaite satisfaction. Christ en nous, voilà la perle de grand prix,
avec laquelle nous pouvons jouir de tous les plaisirs célestes. Du
moment que le bienfaiteur nous appartient, tous ses bienfaits sont à
nous. Cette précieuse perle ne peut ni s'acheter, ni se payer, ni se
gagner. Dans le royaume des cieux, la devise est : « Venez,
achetez sans argent et sans aucun prix » (Ésaïe
LV, 1). Le salut est un libre et gracieux présent de notre Dieu.
Seulement, il faut que le coeur qui veut s'enrichir de ce trésor et se
parer de cette perle, la seule vraiment précieuse, se dépouille
d'abord de tout autre trésor et de toute autre parure. Le trésor et la
perle ne peuvent devenir le partage que du coeur qui renonce à
lui-même.
Le royaume des cieux est encore semblable à
un filet, qui, étant jeté dans la mer, ramasse toutes sortes de
choses. Quand il est rempli, les pécheurs le tirent sur le rivage,
et, s'étant assis, ils mettent ce qu'il y a de bon à part dans
leurs vaisseaux, et ils jettent ce qui ne vaut rien. Il en sera de
même à la fin du monde ; les anges viendront et sépareront
les méchants du milieu des justes. Et ils jetteront les méchants
dans la fournaise ardente. C'est là qu'il y aura des pleurs et des
grincements de dents. Cette parabole exprime à peu près
la même pensée que celle du bon grain et de l'ivraie. Le temps de la
grâce est le temps où tout est confondu. C'est seulement le jugement
qui opérera la séparation. Jusque-là les enfants de Dieu et les
enfants du monde seront mêlés dans le royaume de Dieu. Dans la
parabole du bon grain et de l'ivraie, on distingue dès l'abord le bon
grain de l'ivraie. Dans celle-ci, on ne peut faire la différence entre
les bons et les mauvais poissons, aussi longtemps que le filet est
dans la mer. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. C'est
pourquoi tous sont invités. Tous ceux qui sont pris, sont attirés par
le filet, quoi qu'il y ait dans le nombre beaucoup. de mauvais
poissons.
Dans chaque communauté particulière de l'Église
chrétienne, le filet est jeté. Mais tous ces petits filets se
réunissent et forment un seul grand filet, qui est promené dans la mer
du monde, pour prendre les âmes et en faire la propriété du Seigneur
Jésus. Il faut permettre aux mauvais de rester avec les bons, jusqu'à
ce que le filet soit tiré sur l'autre rivage, afin que par l'usage des
moyens de grâce et par l'influence qu'exercent les croyants, ils
soient guéris de leur incrédulité. Lorsque le filet sera plein, il
sera procédé au choix des bons poissons et à la réjection des mauvais.
Dans cette parabole, nous voyons que le Seigneur confie de nouveau aux
anges l'oeuvre de la sélection et de la séparation, tandis que les
serviteurs de Jésus sont chargés pendant le temps de la grâce,
d'appeler et de rassembler. Cette parabole indique le travail plutôt.
d'une manière générale, tandis que celles de la
brebis égarée et de la drachme perdue, nous font penser au soin à
donner à chaque âme en particulier, à la charge spéciale du pasteur.
Et Jésus dit à ses
disciples : Avez-vous compris toutes ces choses ? Ils
répondirent : Oui, Seigneur. Comme cela arriva
plus tard, les disciples avaient sans doute à peine compris les
paroles de leur Maître. Jésus parlait clairement pour quiconque
désirait sincèrement s'approprier sa parole ; mais pour les
incrédules, la Parole de Dieu était un livre scellé de sept sceaux. On
conseille souvent la lecture suivie de la Bible. Cependant, il faut
que le lecteur fasse bien attention à cette question de Jésus : Avez-vous
compris toutes ces choses ? En tout cas, il. est
plus utile au commencement de lire un seul vers et de bien l'examiner
sous toutes ses faces avec l'intelligence du coeur, afin d'en saisir
le contenu, que de lire à la file plusieurs chapitres sans les
comprendre. - Et il leur dit : C'est
pourquoi tout docteur, qui est bien instruit dans les choses qui
regardent le royaume des cieux, est semblable à un père de famille
qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses vieilles.
Un docteur instruit dans les choses qui regardent le royaume des
cieux !
C'est ce que doit être tout théologien, aussi bien ceux
qui enseignent dans les Facultés que ceux qui montent dans la chaire
chrétienne. C'est ce que doivent également être tous les instituteurs,
les pères de famille, en un mot tous ceux qui ont des âmes à conduire
dans les voies du salut. Il faut qu'à l'exemple de Jésus, ils
distribuent et communiquent le trésor qu'ils ont recueilli dans la
Parole de Dieu. Ils ne doivent pas seulement répéter de mémoire ce que
Jésus et ses apôtres ont dit, mais chacun fait part de son trésor. Et
ce trésor se compose de tout ce que nous avons acquis par la prière,
par l'étude et la méditation et par notre expérience.
Des choses nouvelles et des
choses vieilles ! Si nous nous sommes approprié
les choses nouvelles, c'est-à-dire l'Évangile, les choses anciennes,
c'est-à-dire la loi, nous seront aussi en bénédiction. Dans la
prédication comme dans l'exhortation individuelle, il faut que la
lettre de la loi qui commande et qui tue, soit mise en lumière, pour
faire mieux ressortir la puissance de grâce contenue dans l'Évangile.
Nous pouvons parler le vieux langage de la création,
mais il faut qu'il soit rendit intelligible par la langue nouvelle de
la Rédemption. Nous ne devons jamais nous lasser d'annoncer
l'Évangile, seul capable de rendre heureux, et ceux qui l'écoutent ne
doivent pas s'impatienter d'entendre toujours de nouveau ce qui a une
fois restauré leur coeur. Ce qui est vieux ne doit pas vieillir.
L'Évangile est toujours une eau limpide et fraîche ; il n'est
jamais une eau stagnante. Quiconque saisit chaque jour, par la foi, la
puissance de grâce qu'il renferme, en reconnaissant chaque jour et en
sentant douloureusement ses péchés, chantera aussi chaque jour au
Seigneur un nouveau cantique et se trouvera de nouveau restauré et
consolé par son amour. Des choses nouvelles ! Mais non
comme les Athéniens, qui n'étaient occupés qu'à écouter et à dire
quelque nouvelle (Act.
XVII, 21) ; mais la vieille et cependant toujours nouvelle
Parole de Dieu, qui était au commencement, qui est apparue, que nous
avons vue, et dont nous rendons témoignage, parce que chaque jour nous
faisons de son efficacité une bienheureuse expérience.
Il arriva que quand Jésus eut achevé toutes ces similitudes, il se retira de ce lieu-là. Jésus était généralement appelé le fils du charpentier, mais à Nazareth, où il avait passé sa jeunesse, on disait de lui : N'est-ce pas là le charpentier ? (Marc VI, 3) ce qui prouve qu'il avait travaillé avec Joseph. Les habitants reconnaissaient sa sagesse ; mais ils savaient qu'il n'avait fréquenté aucune des nombreuses écoles rabbiniques. C'est pourquoi ils demandaient avec étonnement : D'où vient à cet homme celle sagesse ? Ils admiraient aussi ses miracles, mais ils en restaient là. Ils ne croyaient pas en lui, et se scandalisaient de la bassesse de son origine. Ils auraient accepté la parole d'un sage de ce monde qui aurait beaucoup voyagé. Quant à Jésus, ils le regardaient comme leur égal, et ne voulaient se laisser ni éclairer ni reprendre par lui. Un prophète n'est méprisé que dans son pays et dans sa maison. La supériorité morale est toujours pénible et difficile à supporter pour l'orgueil mesquin. Ils se scandalisaient de lui. Ceci est un avertissement pour les chrétiens de tous les temps. Le disciple n'est pas plus que son Maître. Il faut par conséquent qu'il soit préparé au mépris et à l'opprobre. - Ce n'est pas à Jésus que nuit ce traitement ignominieux, mais aux Nazaréens eux-mêmes. Car il ne fit là que peu de miracles à cause de leur incrédulité. Là où la main de la foi n'est pas ouverte, le Seigneur ne peut distribuer ni les dons de sa grâce, ni ses faits miraculeux. Il ne faut donc pas s'étonner si aujourd'hui il s'accomplit si peu de signes et de miracles, puisqu'ils ne sont promis qu'à la foi. Seigneur, nous croyons ; aide-nous dans notre incrédulité !
Jean-Baptiste avait courageusement repris Hérode au sujet d'Hérodias,
femme de son frère Philippe, qu'il avait épousée. Il. lui avait
dit : Il ne t'est pas permis de l'avoir
pour femme. Ses paroles n'étaient pas plus douces que
son vêtement.
Et il aurait voulu le faire
mourir, mais il craignait le peuple, parce qu'on regardait Jean
comme un prophète. Hérode était un caractère
extrêmement vacillant. Il veillait sur Jean-Baptiste afin de le
soustraire aux persécutions d'Hérodias (Marc
VI, 20), et d'un autre côté, il l'aurait volontiers fait mourir
pour ne plus entendre les paroles piquantes de cette femme. Il fit
jeter Jean-Baptiste en prison, et cependant il aimait à l'écouter,
sachant que c'était un homme juste et saint, et faisait même beaucoup
de choses d'après ses conseils (Marc VI, 20). Malgré cela, il refusait
de se laisser reprendre par lui dès qu'il s'agissait de la chose
principale. Mais un jour vint à propos,
auquel Hérode faisait le festin du jour de sa naissance aux grands
de sa cour, aux officiers de son armée et aux principaux de la
Galilée. La fille d'Hérodias dansa au milieu de l'assemblée et
plut à Hérode. Que les chrétiens apprennent ici à ne
pas célébrer le jour anniversaire de leur naissance par des plaisirs
coupables. Il est permis, ce jour-là, d'inviter les amis et de leur
dire : Réjouissez-vous avec moi ; mais il n'est pas permis
de perdre de vue l'instruction que ce jour
renferme. Il nous rappelle chaque année la fuite de la vie, le sérieux
de la mort, la proximité de l'éternité. Il doit remplir nos coeurs
d'une humble reconnaissance et d'une ferme confiance, et nous porter à
réfléchir sur l'emploi du temps de grâce qui nous est accordé.
Dans ces conditions, on peut se réjouir d'une joie qui
est sanctifiée par les pensées de l'éternité. La danse voluptueuse de
la jeune fille avait charmé Hérode. Aussi
lui promit-il avec serment de lui donner tout ce qu'elle lui
demanderait, jusqu'à la moitié de son royaume. Promesse
irréfléchie et insensée, corroborée par un serment impie. Elle
donc, étant poussée par sa mère, lui dit : Donne-moi, ici,
dans un plat, la tête de Jean-Baptiste.
L'histoire du règne de Dieu nous offre beaucoup
d'exemples de l'influence bénie que de pieuses mères ont exercée sur
leurs filles. Mais cette bénédiction se change en malédiction lorsque
le coeur de la mère, au lieu d'être rempli de piété et de crainte de
Dieu, est dominé par l'amour du péché. Mère, qui lis ces lignes,
demande-toi si tu es pour les tiens une malédiction ou une
bénédiction. Et le roi fut fâché ; mais
à cause du serment qu'il avait fait et de ceux qui étaient à table
avec lui, il commanda qu'on la lui donnât. Et il envoya couper la
tête à Jean dans la prison. Et on apporta la tête dans un plat, et
on la donna à la fille, et elle la présenta à sa mère.
La conscience du roi se soulève encore une fois ;
mais chaque péché que l'on n'a pas confessé et dont on n'a pas obtenu
le pardon, pousse toujours à de nouveaux péchés. Un serment impie ne
lie point. Aussi le serment seul n'aurait-il pas lié Hérode, mais il
avait honte devant ses convives de violer la promesse qu'il avait
faite. - On s'est souvent, scandalisé de ce que Jean-Baptiste, un
serviteur de Dieu si éminent, soit mort d'une manière si ignominieuse.
Cependant cette mort est en parfait accord avec sa vocation de
précurseur de Jésus. L'Époux devant subir la mort la plus
ignominieuse, il ne doit point paraître étrange que l'ami de l'Époux
eût eu le même sort. Au surplus, le funeste anniversaire de la
naissance d'Hérode devait procurer à Jean-Baptiste le glorieux jour de
naissance à la vie éternelle. Les disciples de Jean-Baptiste vinrent
inhumer son corps et annoncèrent cet événement au Seigneur.
Jésus avait depuis longtemps attiré sur lui l'attention
publique par ses miracles, lorsque le bruit en vint à la cour du roi
Hérode. Là on s'était occupé avant tout des affaires de ce monde,
d'expéditions guerrières, de la politique de l'empereur romain. Les
questions religieuses qui préoccupaient le peuple n'y avaient pénétré
que plus tard. Toutefois, le fait seul que ce prince, qui vivait au
milieu des voluptés mondaines et dans une incrédulité railleuse, soit
parvenu à la connaissance des oeuvres du Seigneur, prouve que le
peuple les suivait avec attention, et que Jésus était devenu l'objet
de tous les entretiens. Alors le roi Hérode
dit à ses serviteurs : C'est Jean-Baptiste ! Il est
ressuscité des morts ; c'est pour cela qu'il se fait des
miracles par lui. Hérode avait fait mourir Jean ;
mais il n'avait pu tuer la voix du prophète, qui résonnait encore dans
son coeur. Sa mauvaise conscience lui avait causé plus d'une nuit
d'insomnie. Dès qu'il entend parler de Jésus, il croit que
Jean-Baptiste est ressuscité. Dans son incrédulité, il est tourmenté
par une frayeur superstitieuse.
Ce phénomène s'est produit à toutes les époques, et on le
retrouve encore aujourd'hui. La superstition confine à l'incrédulité.
Lorsque le monde, enflé de ses propres lumières, ne croit plus en
Dieu, il croit d'autant plus facilement aux fantômes. Dès que le coeur
n'est plus appuyé sur le Dieu vivant et sur sa Parole, il est
accessible aux superstitions les plus absurdes. Les meurtriers croient
voir partout les esprits de leurs victimes. Plus la voix de la
conscience a été longtemps étouffée et réduite au silence, plus ses
accusations sont cruelles, lorsqu'elle parvient à se faire entendre.
Un cultivateur avait vécu sciemment dans le péché depuis
l'âge de 15 ans. Pendant longtemps sa conscience ne lui laissa aucun
repos. Parfois l'angoisse de son âme l'empêchait de travailler. De
guerre lasse, il abandonna sa charrue et chercha, par de nombreux
verres d'eau-de-vie, à imposer silence à sa conscience. Ce fut
seulement à l'âge de 65 ans, que la voix de la grâce put se faire
entendre dans son âme. Mais le malheureux avait été obligé de
l'implorer pendant six ans, au milieu de mortelles angoisses. Et ce
fut seulement après ce laps de temps qu'il put enfin croire que Dieu
lui pardonnait ses péchés.
Les apôtres étaient de retour de la tournée d'évangélisation que
Jésus leur avait assignée pour les préparer à leur vocation future.
Ils lui racontèrent tout ce qu'ils avaient fait et enseigné (Marc
VI, 30). Et il leur dit : Venez
vous-en à l'écart, dans un lieu désert, et prenez un peu de repos.
Et il se dirigea avec eux vers le désert de Bethsaïda, sur le bord
oriental de la mer de Galilée. Mais ce repos ne devait pas être de
longue durée, ni pour lui ni pour ses disciples. En effet, aussitôt
qu'ils eurent débarqué, le peuple qui les avait précédés à pied
attendait déjà le Seigneur. Et Jésus, étant
sorti de la barque, vit une grande multitude, et fut ému de
compassion envers eux et guérit leurs malades. Il eût
bien voulu prendre quelque repos, mais la pitié que cette foule lui
inspirait ne le lui permit pas. Ces âmes, semblables à des brebis
abandonnées, périssaient sans pasteurs, et sans direction spirituelle.
Un désir secret, peut-être inconscient d'une pareille direction,
sommeillait sans doute en elles ; comment Jésus eût-il pu ne pas
y répondre ? Il se mit à leur enseigner
plusieurs choses (Marc
VI, 34). Il leur annonça que la porte des cieux leur était
largement ouverte, et les invita à y entrer. Le
soir, ses disciples vinrent à lui et lui dirent : Ce lieu est
désert et l'heure est déjà avancée ; renvoie ce peuple, afin
qu'ils aillent dans les bourgades et qu'ils y achètent des vivres.
Les disciples trouvaient la prédication du Sauveur trop longue. Ils
étaient inquiets en voyant Jésus s'enfoncer dans les intérêts du ciel
au point d'oublier les choses de la terre, et ils croient de leur
devoir de le lui rappeler. Ils sont d'ailleurs poussés à le faire par
la nuit qui tombe.
Mais Jésus leur dit : Il
n'est pas nécessaire qu'ils y aillent : donnez-leur
vous-mêmes à manger. Il s'adressa particulièrement à
Philippe et lui dit pour l'éprouver : D'où achèterons-nous du
pain afin que ces gens-là aient à manger ? Celui-ci
répondit : Pour deux cents deniers de
pain ne suffirait pas pour en donner un peu à chacun. Un autre de
ses disciples, savoir André, frère de Simon Pierre, lui dit :
Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux
poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de gens ?
(Jean VI,
5-9). Les disciples ne soutiennent pas l'épreuve ; ils
calculent à la manière des hommes, et ils ne peuvent comprendre que le
Seigneur puisse rassasier ces milliers avec si peu de nourriture.
Jésus se montre ici, à ces multitudes affamées, comme celui qui leur
donne aussi le pain terrestre, afin qu'elles sachent que la piété est
utile à toutes choses, ayant les promesses de la vie présente et de
celle qui est à venir (I
Tim. IV, 8). Il leur dit :
Apportez-les moi ici. Et après avoir commandé que le peuple
s'assît sur l'herbe, par rangées de centaines et de cinquantaines
(Marc), il prît les cinq pains et les deux
poissons, et ayant levé les yeux au ciel, il rendit grâces ;
et ayant rompu les pains, il les donna aux disciples, et les
disciples les donnèrent au peuple.
Jésus nous montre, par son exemple, que la prière que
nous faisons avant le repas sera exaucée, et il nous invite à rendre
grâces pour notre pain quotidien. Lorsqu'au désert Satan engage Jésus
à changer des pierres en pains, il refusa de faire usage de sa
puissance divine pour apaiser sa faim ; ici, au contraire, il la
met au service de son miséricordieux amour. Comme les yeux de tous
devaient attendre qu'il leur donnât à manger, lorsqu'il ouvrit cette
main qui avait rompu les pains, et rassasia ces milliers de
l'abondance de sa puissance divine ! Ce pain, arrosé de sa
bénédiction, se multiplie dans ses mains, en sorte que plus il
donnait, plus il pouvait donner.
Les disciples eurent sans doute un moment d'inquiétude en
voyant cette foule et l'exiguïté de ses provisions. Mais le Seigneur
veut nous montrer qu'en tout temps il peut restaurer ceux qui
viendront à lui, quel que soit leur nombre. Il ne méprise pas ce peu
de pain ; il le prend dans ses mains, le donne aux disciples, et
ceux-ci le présentent au peuple, morceaux par morceaux, au fur et à
mesure que le Seigneur le leur distribue. Et, à la fin, il arrive que
cette faible provision non seulement a suffi, de manière que tous
furent rassasiés, mais qu'il y eut encore
douze corbeilles remplies des morceaux qui restèrent, et cependant
ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes sans
compter les femmes et des enfants.
Jésus recommanda de recueillir les morceaux, afin que rien ne se
perdit. Ainsi il y avait plus après le repas qu'auparavant. Les
disciples purent apprendre à cette occasion qu'on ne s'appauvrit pas
en donnant ce qu'on a reçu des mains de Jésus.
Ce qui arriva alors au désert, arrive encore aujourd'hui
spirituellement dans tous les lieux de la chrétienté. Le Seigneur a
commandé à ses serviteurs de distribuer à ces milliers qui viennent à
lui le pain vivant de la Parole, dans laquelle il se trouve lui-même.
Lorsque ces serviteurs regardent leurs provisions, ils ne peuvent que
s'écrier avec André : Qu'est-ce que cela pour tant de
gens ? Mais ils les déposent entre les mains de Jésus et
les reçoivent de nouveau avec sa bénédiction, et alors ils s'étonnent
de voir que le peu qu'ils avaient est devenu, par la puissance de
cette bénédiction, suffisant pour rassasier la foule, et qu'il leur en
reste encore assez pour nourrir leur propre âme. Ce ne sont pas les
serviteurs qui nourrissent les âmes ; ils leur distribuent le
pain que Jésus leur donne. Il est en même temps le pourvoyeur et le
pain de vie. L'aliment qu'il donne, c'est lui-même. Il est venu pour
que nous ayons la vie et que nous l'ayons même avec abondance.
Lorsque le pain de vie est distribué parmi nous, dans nos
services religieux, personne ne devrait en sortir à vide. Tous doivent
quitter la maison de Dieu, restaurés et fortifiés dans l'homme
intérieur. Lorsque les fidèles rentrent dans leurs demeures, aussi
vides qu'ils en sont sortis ; lorsqu'aucune faim n'a été apaisée,
aucune plaie n'a été bandée, aucun genou chancelant n'a été raffermi,
aucune main affaiblie n'a été fortifiée, c'est qu'alors, ou bien le
serviteur de Dieu a négligé de déposer sa provision entre les mains de
Jésus, ou bien les coeurs étaient déjà rassasiés et n'éprouvaient nul
besoin de nourriture. Ils ont méprisé le repas que le Seigneur leur
avait préparé, et disent en eux-mêmes : « Nous sommes
dégoûtés de cet insipide aliment ! » - Quelle n'est pas la
richesse de Jésus ! Sa seule pauvreté consiste en ce que si peu
viennent se rassasier de sa plénitude. Il a rempli de biens ceux qui
souffraient la faim, et il a renvoyé les riches à vide (Luc
I, 53).
Cette multiplication miraculeuse des pains avait
profondément impressionné le peuple. Et ces
gens, ayant vu le miracle que Jésus avait
fait, disaient : Celui-ci est véritablement le prophète qui
devait venir au monde. Jésus est le Messie promis,
telle fut la pensée qui saisit la foule avec la rapidité de l'éclair.
Un roi qui pourvoit ses sujets d'une nourriture miraculeuse, était
tout à fait conforme aux espérances d'un peuple dominé par des vues
terrestres. C'est pourquoi ils voulaient élever Jésus à la dignité
royale. Mais telle n'était point la voie que le Sauveur voulait
suivre. Ces appétits populaires lui rappelèrent sans doute les paroles
du tentateur au désert : « Je te donnerai toutes ces choses,
si en le prosternant devant moi, tu m'adores. » Le tentateur
avait alors été repoussé pour toujours.
Aussitôt après, il obligea ses
disciples d'entrer dans une barque, et de partir avant lui de
l'autre côté pendant qu'il congédierait le peuple. Il
fut obligé de les forcer, car ils ne se séparaient certainement pas
volontiers de leur Maître bien-aimé. Mais Jésus hâta leur départ, car,
en présence des dispositions du peuple, il n'était pas bon pour eux de
demeurer plus longtemps sur le théâtre du miracle. Leurs coeurs ne
pouvaient pas se familiariser avec la pensée que Jésus allait entrer
très prochainement dans la voie douloureuse, comme l'Agneau de Dieu
qui ôte le péché du monde, et qu'il ne prendrait possession de la
gloire céleste qu'après avoir consommé son sacrifice.
Après qu'il eut renvoyé le
peuple, il se retira sur une montagne à part pour prier.
Et la nuit étant venue, il était là seul. Là, il s'entretint avec son
Père céleste par la prière. Quel fut le sujet de cet entretien ?
Nous pouvons en avoir une idée par le long discours sur le pain de vie
que le Seigneur prononça le lendemain dans la synagogue de Capernaüm.
Mais certainement, à cette occasion, il répandit son coeur dans le
sein de son Père céleste. Les disciples venaient de terminer leur
tournée d'évangélisation, et ils lui avaient fait leur rapport. Il
venait d'apprendre la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste. Il avait
prêché devant le peuple assemblé ; il avait rassasié ceux qui
avaient faim, et il avait dû faire l'expérience que son amour de
Sauveur n'éveillait que des désirs charnels. Autant d'objets à porter
devant Dieu. Aussi la prière de notre souverain Sacrificateur fut-elle
sûrement trempée de larmes. Elle avait, à la vérité, pour objet
l'avancement du règne de Dieu en général ;
mais plus spécialement, sans doute, ceux qui avaient été
miraculeusement rassasiés, et certainement aussi ses bien-aimés
disciples ne furent pas oubliés.
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