Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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46. Jésus parle en paraboles.

(Matth. XIII ; Marc IV ; Luc VIII.)

 

Le coeur de Jésus est rempli d'une profonde douleur, en voyant le peuple accourir à lui en foule, sans avoir connaissance de ses péchés, sans éprouver aucun besoin de salut. Ils ne veulent pas comprendre les choses qui appartiennent à leur paix; ils ne demandent que des miracles. Ils écoutent volontiers la parole du Seigneur, mais non comme un appel adressé aux consciences endormies. Elle n'est pour eux qu'une matière d'agréables entretiens. Il en est de même aujourd'hui : le monde, en s'occupant des choses religieuses, n'entend nullement se convertir à Jésus, ni croître dans la foi en lui, mais seulement y trouver un intéressant et spirituel passe-temps.

Il fallait que le Seigneur travaillât contre de pareilles dispositions. Il ne pouvait pas garder un silence absolu, à cause de ceux qui avaient réellement faim et soif de justice, et qu'il ne voulait pas priver de toute nourriture spirituelle. Voilà pourquoi il adopte un mode d'enseignement dont le contenu divin était communiqué aux âmes altérées de salut, tandis qu'il était caché aux coeurs rassasiés et satisfaits de leur propre justice : il ne parlait plus devant le peuple qu'en paraboles. Elles avaient un double but ; elles devaient voiler la vérité divine aux incrédules et la dévoiler aux croyants. Les mystères de Dieu y sont exposés sous des images tirées tantôt de la nature, tantôt de la vie ordinaire. Ces comparaisons des vérités célestes avec leurs occupations de tous les jours, en facilitaient l'intelligence aux disciples. Elles avaient aussi pour effet de provoquer leurs réflexions, de leur rendre l'enseignement plus clair, et de le graver plus profondément dans leur mémoire. Quant à ceux qui n'avaient aucun goût pour la vérité, les paraboles devaient la leur dérober complètement.

Les disciples remarquèrent immédiatement que le Sauveur avait adopté un nouveau mode d'enseignement, et ils lui demandèrent pourquoi il s'exprimait en paraboles. Il vous est donné, leur dit-il, de connaître le mystère du royaume des cieux ; mais cela ne leur est point donné. Car on donnera à celui qui a déjà, et il aura, encore davantage ; mais pour celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a. L'Écriture appelle mystère, tout ce que l'homme ne peut pas connaître au moyen de son intelligence, mais seulement par révélation.

Jusqu'alors les discours de Jésus avaient opéré, une scission parmi ses auditeurs. Les uns, comme les disciples, allaient à lui dans le sentiment de leur indignité et en éprouvant le besoin du salut. À ceux-là, en vertu de la bienveillance paternelle de Dieu, il était donné de pénétrer plus profondément dans la connaissance de la vérité divine. Les autres méprisaient les conseils de Dieu, et refusaient d'aller à Jésus, malgré ses invitations réitérées. C'est pourquoi il leur cachait le mystère du royaume des cieux sous le voile de la parabole. Jésus ne voulait pas donner les choses saintes aux chiens, ni jeter ses perles devant les pourceaux. Mais il ne voulait pas permettre non plus que l'habitude d'entendre la Parole de Dieu les rendit insensibles intérieurement à la sévérité et à la bonté de Dieu dont cette Parole rend témoignage.

C'est par une sorte de jugement, que Jésus cache sa personne et son règne aux incrédules sous le voile de la parabole. Cependant, même dans ce jugement, il y avait encore un reste de grâce pour eux. Car jusqu'à sa mort sur la croix, le Seigneur ne s'était pas entièrement dérobé à la vue du peuple. Il ne lui avait pas complètement retiré sa personne et sa parole, comme il le fit après sa résurrection. Et si un pécheur non repentant eût été excité par la forme parabolique de l'enseignement de Jésus, à venir à lui et à lui dire : « Seigneur, je ne comprends pas ton discours et je voudrais bien le comprendre » il eût certainement été donné à cet homme de connaître le mystère du royaume des cieux. On donnera à celui dont le coeur est avide de Dieu et disposé à l'obéissance de la foi, afin qu'il ait encore davantage. Le serviteur impitoyable, dont parle l'Évangile (Matth. XVIII, 23-35), avait obtenu du roi l'acquittement de toute sa dette ; mais il ne s'était pas véritablement approprié intérieurement cette grâce ; elle resta pour lui quelque chose d'extérieur, qui n'eut aucune action sur son sentiment ni sur sa conduite envers son prochain. C'est pourquoi, ce qu'il avait lui fut ôté. Pareillement, quiconque garde la parole de Dieu dans sa mémoire, mais ne lui permet pas de diriger toute sa vie intérieure et extérieure, ce qu'il ne possède qu'extérieurement lui sera ôté. En revanche, le moindre don de la grâce, s'il est bien employé, sera augmenté et multiplié. Dieu donne abondamment sans rien reprocher ; il donne richement à celui qui désire ardemment posséder.

C'est à cause de cela que je leur parle en similitudes ; pour qu'en voyant ils ne voient point et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point. Ainsi s'accomplit en eux la prophétie d'Ésaïe, qui dit : Vous entendrez de vos oreilles et vous ne comprendrez point ; vous verrez de vos yeux et vous n'apercevrez point. Car le coeur de ce peuple est appesanti ; ils ont ouï dur de leurs oreilles ; ils ont fermé leurs yeux, afin qu'ils n'aperçoivent point de leurs yeux, qu'ils n'entendent pas de leurs oreilles, qu'ils ne comprennent pas du coeur. qu'ils ne se convertissent pas et que je ne les guérisse pas. Ce peuple avide de miracles, voyait le Seigneur de très près. Ils le voyaient, mais son aspect ne leur plaisait pas. Ils n'avaient pas les yeux de St-Jean. Jésus leur révélait son autorité divine, mais leurs yeux ne la distinguaient pas. Il prononçait à leurs oreilles les paroles de la vie éternelle, mais ils ne percevaient que le son de ces paroles, et le Sauveur en était réduit à proférer cette plainte : « Pourquoi ne comprenez-vous point mon langage ? C'est que vous ne pouvez écouter ma parole. » L'obstacle se trouvait dans leurs coeurs endurcis. Cet endurcissement était un juste jugement de Dieu sur ces hommes, qui avaient à leur disposition les paroles de la grâce, mais qui n'en faisaient pas l'usage en vue duquel elles leur avaient été données.
D'abord l'homme s'endurcit lui-même, par un mépris criminel de la grâce, puis Dieu, pour lui infliger la juste punition de ce mépris, l'endurcit à son tour. C'est un dangereux état d'âme que celui d'un homme qui s'occupe beaucoup de la Parole de Dieu, sans lui obéir. Car, par ce commerce purement extérieur avec cette Parole, le coeur s'émousse et devient insensible à ses traits. Tel n'était pas le cas des disciples, car le Seigneur leur dit : Mais pour vous, vous êtes heureux d'avoir des yeux qui voient et des oreilles qui entendent. Car je vous dis que plusieurs prophètes et plusieurs justes ont désiré de voir les choses que vous voyez et ne les ont point vues, et d'entendre les choses que vous entendez et ne les ont point entendues. Les yeux des disciples sont heureux, car ils voient combien le Seigneur est bon ; leurs oreilles sont heureuses, car en entendant l'Évangile de Christ, leur coeur peut dire avec une sainte joie : « Cette bonne nouvelle est aussi pour moi »


a) La parabole du Semeur.

Par cette parabole, le Seigneur veut indiquer les causes des différences dans l'action que la Parole divine exerce sur les coeurs. Cette parole, parfaitement une et toujours identique à elle-même, est annoncée à tous. Tous l'entendent également, et cependant elle est aux uns une odeur de vie et aux autres une odeur de mort. Les uns sont éclairés et consolés par elle, tandis que les autres sont repoussés et endurcis. La raison de cette différence provient des différentes dispositions des coeurs. Lorsque le soleil, de ses rayons brûlants, amollit la cire et durcit l'argile, la différence entre ces deux actions ne provient pas du soleil, qui est toujours le même, mais de la différence entre la nature de la cire et celle de l'argile.

Un semeur sortit pour semer. La semence, c'est l'Évangile de Christ. Cette divine Parole, pleine de force et de vie, diffère de la parole de l'homme comme la semence qui renferme un germe vivant, propre à croître et à se développer, diffère du grain de semence artificiellement formé d'un morceau de pâte cuite. Celui-ci ressemble parfaitement au bon grain, mais il ne renferme aucun germe de vie. La semence répandue par le semeur est pleine de la vertu vivifiante du Saint-Esprit, et se nomme pour cette raison la semence régénératrice, selon cette parole de saint Pierre (1 Pierre I, 23) : Étant régénérés non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la Parole de Dieu, qui vit et demeure éternellement. Le Saint-Esprit agit par la Parole de Dieu, mais non d'une manière irrésistible. Il est humiliant pour nous de voir, par notre parabole, que la Parole de Dieu ne trouve un sol favorable que chez un si petit nombre de personnes. Sur l'ordre du divin semeur, les pasteurs, les instituteurs, les missionnaires. s'en vont et sèment la Parole dans les coeurs. De même, lorsque les pères et mères de famille élèvent leurs enfants en les exhortant selon le Seigneur ; ils sont aussi les semeurs du Seigneur Jésus.

Et comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin, et les oiseaux des cieux vinrent et la mangèrent toute. - Ceux qui reçoivent la Parole le long du chemin, ce sont ceux qui l'écoutent ; mais le diable vient, qui ôte la Parole de leur coeur, de peur qu'en croyant ils ne soient sauvés. En parlant du chemin, le Seigneur ne pouvait guère avoir en vue une grande route, car on n'y répand jamais de semence. Il est probablement question d'un de ces sentiers qui traversent les champs cultivés et qu'on prend pour abréger sa route. Naturellement il tombe aussi, pendant les semailles, beaucoup de graine dans ces endroits foulés par les passants. Elle ne peut pas y croître parce qu'elle ne peut pas pénétrer dans ce sol durci. L'attachement aux choses de la terre, l'indifférence, la propre justice endurcissent le coeur, et la Parole de Dieu ne saurait y prendre racine ni s'y développer. Les oiseaux du ciel, c'est-à-dire le diable vient et enlève la Parole, afin que les hommes. ne puissent pas croire pour être sauvés.

Ce ne sont pas seulement des oiseaux de proie qui mangent cette semence, ce sont aussi d'aimables oiseaux chanteurs, au ramage harmonieux, au plumage éclatant. Divertissements mondains, fréquentations de sociétés incrédules, lectures de livres ou de journaux mis au service des adversaires de la foi, autant de moyens dont le diable se sert pour ravir au coeur la Parole qu'il avait entendue. Il faut donc éprouver avec une grande attention les gens que nous fréquentons. S'ils veulent nous inspirer des doutes sur notre foi, s'ils nous parlent des commandements de Dieu comme le serpent en parla à Eve : « Quoi ! Dieu aurait-il dit ? » (Genèse III, 1) sachons que Satan veut nous tromper et nous empêcher de croire pour être sauvés.

Et l'autre partie tomba dans des endroits pierreux, où elle n'avait que peu de terre, et elle leva aussitôt, parce qu'elle n'entrait pas profondément dans la terre ; mais le soleil, étant levé, parce qu'elle n'avait point de racines, elle sécha. - Ceux qui la reçoivent dans des lieux pierreux, ce sont ceux qui, ayant ouï la Parole, la reçoivent avec joie, mais ils n'ont point de racines en eux-mêmes et ne croient que pour un temps, et quand la tentation survient, ils se retirent. Ce sont les coeurs facilement impressionnables qui sont saisis par la puissance bienfaisante de la Parole de Dieu, qui sont touchés jusqu'aux larmes par l'amour de Jésus, qui prennent de bonnes résolutions ; mais l'exaltation du sentiment religieux passe vite. La semence n'avait pas pénétré profondément ; elle n'avait pas atteint la volonté. On croyait que la foi apporterait une paix inaltérable, une joie constante et un bonheur sans mélange. Et l'on est surpris de trouver aussi des souffrances dans la société de Jésus, de ne pouvoir le suivre qu'en portant sa croix. On avait espéré des jouissances, et l'on n'est pas préparé aux afflictions et à l'opprobre de Christ. Ainsi l'on est déçu et l'on se retire.

L'autre partie tomba parmi les épines, et les épines crurent et l'étouffèrent. - Ce qui est tombé parmi les épines, ce sont ceux qui ont entendu la Parole ; mais qui, s'en allant. la laissent étouffer par les inquiétudes, par les richesses et par les voluptés de cette vie, de sorte qu'ils ne portent point de fruit qui vienne à maturité. Cette partie de la semence tombe dans une bonne terre, mais cette terre n'est pas préparée. La Parole de Dieu vivifie le coeur et lui donne la force de renoncer à tout ; car elle lui montre sa corruption et le convainc que Christ seul peut le sauver. Mais, comme dans la conquête du pays de Canaan, il restait toujours quelques Cananéens qui n'étaient pas exterminés, de même il reste dans le nouveau croyant beaucoup d'éléments du vieil homme, des passions, de mauvaises convoitises, qui n'ont pas été noyées dans le sang de Christ. Ce sont les péchés favoris qui n'ont pas été combattus, qui croissent avec la bonne semence et finissent par étouffer complètement le germe de la nouvelle créature. Ce qui manque, c'est une vigilance continuelle, un combat ; c'est un oeil invariablement fixé sur Jésus, et que rien d'autre ne peut captiver. C'est la sanctification, qui doit nécessairement suivre la vraie conversion. On ne demande pas mieux que de posséder et de conserver Christ, mais on ne veut pas renoncer au monde. Pour ces âmes, les larmes de la dévotion et les jouissances sensuelles sont proches parentes. Mais quiconque ne veut servir Jésus que d'un coeur partagé, devient infailliblement la proie du monde.

Si le chemin battu représente ceux qui se tiennent loin du Seigneur, si les lieux pierreux figurent les nouveaux convertis, les épines sont l'image de ces chrétiens qui ont maintes fois expérimenté la puissance de la grâce, mais qui ensuite ont refusé d'obéir aux impulsions de l'Esprit. Si nous considérons que Démas, qui a abandonné Paul par amour pour ce présent siècle (2 Tim. IV, 16), que Judas qui trahit le Sauveur, sont du nombre de ceux chez qui les épines des richesses et des voluptés étouffèrent la bonne semence, nous nous sentirons pressés de nous écrier : Père céleste, garde-nous d'un tel malheur !

Et l'autre partie tomba dans une bonne terre ; et étant levée, elle produisit du fruit : un grain en rapporta cent, un autre soixante et un autre trente. Celui qui a reçu la semence dans une bonne terre, c'est celui qui entend la Parole, qui la comprend, et qui porte du fruit, de sorte qu'un grain en produit cent, un autre soixante et un autre trente. Qui donc a un coeur semblable à un bon terroir ? Personne par nature. Mais tous ceux dont le coeur ressemble à un chemin battu, à un endroit pierreux, à un terrain couvert d'épines, doivent et peuvent, par le travail de la grâce et du Saint-Esprit, devenir une bonne terre. Ceux-là sont un sol favorable qui se laissent réveiller, briser, purifier par la Parole de Dieu, qui l'acceptent, la conservent et mènent désormais une vie conforme à ses prescriptions. Cette Parole, lorsqu'elle est reçue, rend elle-même le coeur, profond, tendre et pur.

Mais la disposition essentielle pour porter des fruits, c'est la patience. Cependant il ne faut pas que les paresseux se couvrent de cette vertu comme de feuilles de figuier, lorsqu'ils passent deux, cinq, dix ans, sans qu'il s'opère aucun changement en eux, et que leur coeur et leur vie demeurent exactement tels qu'ils étaient auparavant. D'un autre côté, le fruit ne mûrit pas en une nuit. Il mûrit lentement. On ne remarque pas sa croissance d'un jour à l'autre.

Toutefois, après des mois, des années, on doit pouvoir constater des progrès dans la sanctification. Il faut que la puissance du péché soit brisée, que la joie de la prière et l'amour pour la Parole de Dieu augmentent, que la communion avec Jésus devienne plus profonde, plus chaude, plus fidèle. Porter des fruits, c'est croître dans l'homme intérieur au moyen de la Parole. Mais la chose essentielle, c'est la communion avec Jésus, la croissance du nouvel homme jusqu'à la stature parfaite de Christ ! (Ephés. IV, 13). Qui est suffisant pour ces choses ? Personne par ses propres forces. La Parole seule peut nous rendre capables de les faire, car c'est la Parole de Celui qui nous a fait la promesse d'ôter de notre chair notre coeur de pierre et de nous donner un coeur de chair (Ezéch. XI, 19).

Si, à la lumière de notre parabole, nous jetons encore un coup d'oeil sur les fruits qu'a portés jusqu'ici l'activité de Jésus, nous pouvons avoir une idée de la douleur qui remplissait son âme en trouvant tant de chemins battus, tant de sols pierreux, tant de terrains couverts d'épines parmi le peuple, et si peu de coeurs, brisés et disposés à recevoir la Parole avec une véritable soif de salut. Mais aussi nous adorons l'infatigable amour, l'inaltérable patience, l'insondable grâce avec lesquels, malgré tant de pénibles expériences, il semait toujours de nouveau. Il ne désespère jamais. Cette patience du Seigneur est aussi une consolation pour nous : c'est notre salut.


b) La parabole de l'ivraie du champ.

Matth. XIII, 24-30 ; 36-47.)

Jésus leur proposa une autre similitude en disant : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé une bonne semence dans son champ. Mais pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint, qui sema de l'ivraie parmi le blé et s'en alla. Et après que la semence eut poussé et qu'elle eut produit du fruit, l'ivraie parut aussi. Alors les serviteurs du père de famille lui vinrent dire : Seigneur, n'as-tu pas semé de bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc, qu'il y a de l'ivraie ? Et il leur dit : C'est' l'ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui répondirent : Veux-tu, que nous allions l'arracher ? Et il leur dit : Non, de peur qu'il n'arrive qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez le bon grain en même temps. Laissez-les croître les deux ensemble, jusqu'à la moisson, et je dirai aux moissonneurs - Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la en faisceaux pour la brûler, mais rassemblez le froment dam mon grenier. La parabole du semeur nous montre le royaume des cieux s'établissant et se développant dans les individus. Celle de l'ivraie semée parmi le blé, met sous nos yeux la fondation et l'épanouissement de ce royaume au milieu des peuples. La première est la parabole des âmes isolées, et fait connaître l'attitude que chacune d'elles prend vis-à-vis du règne de Dieu. La seconde est la parabole de l'Église et nous montre comment cette institution existe dans le monde. Si par la première, nous voyons quelle quantité de bon grain se perd dans les mauvais terrains, nous découvrons dans la seconde un autre obstacle au développement de la bonne semence, c'est-à-dire le mauvais semeur.

C'est le Fils de l'homme qui répand la bonne semence. Le champ c'est le monde. Dans le Paradis, la terre et le coeur de l'homme étaient le champ de Dieu. Car la jalousie de Satan, le péché et la mort entrèrent dans le monde et dévastèrent ce champ. Le coeur de l'homme, lui aussi, produisit des ronces et des épines, qui réjouirent le méchant ennemi. Vint alors le Fils de l'homme qui reprit possession du monde comme étant son champ, et y répandit la bonne semence. Cette bonne semence sont les enfants du royaume, les enfants de la lumière, que Dieu a renouvelés à son image, par la puissance du sang rédempteur. L'ivraie sont les enfants du malin. L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable. Dans tous les temps, les hommes ont fait des recherches sur l'origine du mal. Il ne saurait venir de Dieu, autrement Dieu serait méchant et ne pourrait pas être Dieu. Le mal ne peut pas non plus venir de l'homme, car l'homme était bon, ayant été créé à l'image de Dieu. Il ne peut pas s'être produit lui-même, car rien ne naît de soi-même. Ainsi les hommes se trouvaient en face d'un problème dont la solution leur échappait complètement. Le mal est là, les querelles, le mensonge, le vol, le meurtre, l'adultère et toutes sortes de perversités et d'infamies remplissent la terre. Mais d'où tout cela est-il venu ? Le Fils de l'homme nous l'a révélé : C'est l'ennemi qui a fait cela, c'est-à-dire le diable qui, au moyen du poison de sa méchanceté, rend les hommes ennemis de Dieu.

Mais les disciples se trouvaient encore en face d'un autre problème. Ils avaient espéré que le royaume des cieux serait un champ où il ne croîtrait que du bon grain, qu'il se composerait d'une société formée uniquement de croyants, et qu'ainsi. avec l'apparition de ce règne, les méchants seraient jugés et anéantis. Et maintenant ils apprennent que dans ce royaume il se trouvera toujours de l'ivraie parmi le bon grain. Comment cela est-il possible, puisque ce champ n'a été ensemencé que de bonne semence, et si abondamment qu'il en a été complètement couvert ? D'où vient l'ivraie ? C'est l'ennemi qui a fait cela.

Les serviteurs voudraient bien nettoyer le champ. Ils disent au maître . Veux-tu que nous allions arracher l'ivraie ? Ils pensent que si c'est la semence du diable, il n'y a rien autre à faire qu'à l'extirper. Le voeu, que les méchants, qui retardent l'avènement du règne de Dieu, soient supprimés, nous paraît provenir d'un saint zèle. Mais le maître du champ dit : Non, de peur qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez le froment en même temps. Laissez-les tous deux croître jusqu'à la moisson. Il faut que l'ivraie croisse aussi. L'incrédulité ne doit pas être arrêtée à moitié chemin par le jugement. Il faut qu'elle se développe complètement, qu'elle mûrisse ; et alors seulement elle sera jugée. De même la croissance du bon grain ne doit pas être retardée par l'extirpation de l'ivraie. Les enfants de Dieu, par leur contact avec leurs adversaires, sont exercés à confesser leur foi, à supporter les incrédules, à prier continuellement pour eux, et dans les temps de persécution, leur fermeté est mise à une salutaire épreuve. Maint incrédule a déjà été amené à la foi par les prières et le patient amour des croyants.

Mais les enfants du royaume ne subiraient pas seulement du dommage par l'extirpation des ennemis. Le maître du champ parle ici de l'ivraie, c'est-à-dire d'une plante qui, pendant sa croissance, offre une grande ressemblance avec le froment. Là où Dieu construit une église, le diable bâtit immédiatement une chapelle à côté. Ainsi il serait impossible de ne pas arracher le froment en arrachant l'ivraie. La mauvaise semence du péché se trouve dans tout coeur d'homme, par conséquent aussi dans celui des croyants. Le péché reste toujours attaché à nos âmes et nous rend tous plus ou moins paresseux pour le bien. Ainsi, en ne regardant qu'au péché, il nous serait difficile, impossible même, de tracer une ligne de démarcation entre le croyant et le non croyant. Mais dans le royaume de Dieu, où le sceptre appartient à la grâce, la gravité du péché n'est pas la mesure du jugement.
« Quand vos péchés seraient rouges comme le vermillon, ils seront blanchis comme la neige (Ésaïe I, 18). » Ce n'est pas seulement à cause du péché que nous sommes enfants de colère ; mais à cause de l'amour du péché ; c'est parce que nous aimons mieux les ténèbres que la lumière, et que nous méprisons les appels de la grâce. Mais ces dispositions échappent à l'oeil oblitéré de l'homme, et ne sont visibles que pour celui qui sonde les coeurs.

Du reste, le mélange des enfants de Dieu et des enfants de colère, supporté par Dieu, ne durera pas éternellement. Le terme, c'est-à-dire la fin de l'ordre de choses actuel viendra. Le Fils de l'homme enverra ses anges qui ôteront de son royaume tous les scandales et ceux qui font l'iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente. C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes luiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende ! La séparation est opérée par les anges, au commandement de Christ, le Seigneur de la moisson. Ils rassembleront l'ivraie et la lieront en faisceaux. Ceux qui, pendant le temps de grâce n'ont pas voulu se laisser éclairer et réchauffer par le feu de l'amour divin, seront consumés éternellement par le feu de la colère divine. Ils seront obligés de convenir dans l'éternité, les uns en pleurant, les autres en grinçant des dents, que Jésus les avait bien jugés lorsqu'il avait dit : Vous n'avez pas voulu ! Ceux qui sur la terre étaient si satisfaits de marcher continuellement avec la majorité, subiront par une juste punition, le tourment de la société des méchants, car ils seront réunis et liés ensemble, de manière à accroître mutuellement leurs souffrances. En revanche les croyants, qui ont été lavés dans le sang de Christ, et revêtus de sa justice, seront aussi rassemblés dans les greniers célestes, et ils luiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Il n'y aura parmi eux ni souffrances ni cris, Une sainte joie et un chant d'allégresse et de louanges remplira leur coeur et retentira dans les tabernacles éternels.


c) Parabole de la semence qui se développe spontanément.

(Marc IV, 26-29.)

En parlant de l'homme qui répand la semence dans le champ, ce n'est pas lui-même que le Sauveur avait en vue. C'étaient ses serviteurs qu'il avait chargés de prêcher sa Parole. Car lui qui sonde les coeurs, il n'aurait pas pu dire qu'il ne sait pas comment la semence croit (v. 27). Cette parabole nous montre le développement silencieux, caché, progressif du royaume des cieux au moyen de la Parole.

Il y a dans cette semence une force propre, énergique et indépendante, qui produit la croissance sans le secours de l'homme. Les serviteurs peuvent semer, planter, arroser ; mais c'est Dieu qui a déposé dans la semence la vie en vertu de laquelle elle croit et porte du fruit. La croissance mystérieuse de la semence dans le sein de la terre échappe à l'oeil de l'homme. Des enfants peuvent bien fouiller avec impatience les grains répandus, pour voir les progrès qu'ils ont faits et s'ils ont jeté des racines ; mais cette opération ne fait qu'en retarder le développement. Toute semaille, aussi bien celle de la Parole de Dieu que les autres, se fait dans, l'espérance. C'est un excellent exercice de patience et de foi, puisque dans ces conditions, il est impossible de voir.
Combien d'années les missionnaires moraves, Christian David et le frère Stach, n'ont-ils pas semé au Groënland, sans voir aucune trace de croissance de la semence qu'ils répandaient, jusqu'à ce qu'enfin, en 1738, Kajarnack fut réveillé ! Lorsque les serviteurs du Père céleste jettent leur semence en priant avec foi, ils peuvent compter sur la force divine du Père, qui agira dans les coeurs, même s'ils n'en aperçoivent rien sur la terre. Souvent la Parole de Dieu semée dans la chambre d'enfants, à l'école, à l'instruction religieuse, du haut de la chaire, opère dix, vingt ans plus tard, sous le poids de la tentation. Souvent la semence qu'un serviteur a répandue, germe seulement lorsqu'il est depuis longtemps dans un autre champ de travail, peut-être même lorsqu'il est déjà entré dans le repos réservé au peuple de Dieu.

Un pasteur raconte le trait suivant : Un danseur de corde vint le trouver, fatigué et misérable. Il avait passé de longues années dans la voiture organisée pour sa profession et avait mené la vie d'un impie. Il tomba malade, saisit le salut qui est en Jésus-Christ, et mourut dans son chariot, croyant et heureux. Le pasteur avait souvent visité cet homme et s'était étonné de l'entendre raconter comment, dans sa vie déréglée, il s'était souvenu des paroles bibliques qu'il avait entendues à l'école et à son instruction religieuse. Elles ne lui avaient laissé aucun repos, et avaient préparé le grand changement qui s'était opéré en lui à la fin de sa vie. Ainsi la semence avait crû à l'insu de celui qui l'avait répandue.

L'auteur de ces pages peut citer un fait analogue tiré de sa propre expérience. J'étais âgé de douze ans, lorsqu'un grain de la divine semence tomba dans mon coeur. Il y fut déposé par le pieux Boettcher, instituteur à P., qui consolait mon père devenu aveugle. C'était ce verset du Psaume XXIlle : « Même quand je marcherais par la vallée de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi, c'est ton bâton et ta houlette qui me consolent. » J'entendis cette parole, sans avoir la pensée que c'était un grain de la semence divine. Bien souvent depuis, j'eus l'occasion de la répéter à mon bien-aimé père, profondément courbé sous le poids de la croix, et chaque fois j'étais étonné de la puissance de consolation que ces mots exerçaient sur son coeur accablé de soucis.

Plus tard, dans les années de ma jeunesse, ce verset devint de plus en plus vivant dans mon propre coeur, et semblable à un ange de Dieu, me préserva de dangereux égarements. Lorsque, dans la suite, je fis sur moi-même l'expérience de son efficacité, je compris de quel secours cette merveilleuse parole avait été pour moi. Ce fut seulement dix ans plus tard, lorsque le Sauveur crucifié étendit vers moi sa main percée et m'attira à lui, que, lisant diligemment les Écritures, je retrouvai cette parole dans le Psaume XXIIIe. Sans que le cher B. s'en doutât, son grain de semence avait germé dans mon coeur. Et je me réjouis de le revoir devant le trône de la grâce, afin de le remercier pour son travail de semeur.

La semence se développe progressivement, lentement. Car la terre produit d'elle-même premièrement l'herbe, ensuite l'épi et puis le grain tout formé dans l'épi. D'abord la semence de la nouvelle naissance produit les enfants de Dieu. Ces enfants se fortifient de plus en plus et deviennent des jeunes gens, dans lesquels la Parole de Dieu demeure et qui vainquent le malin. Ces jeunes gens mûrissent et parviennent à l'état d'hommes faits, de pères en Christ, qui ont connu Celui qui est dès le commencement (1 Jean II, 12-14). Seulement maint brin d'herbe croit tout au plus jusqu'à ce que l'épi commence à se former, et alors vient la rouille qui le détruit. Puis vient la grande faucheuse, la mort, qui emporte croyants et incrédules, ceux qui ont porté des fruits mûrs et ceux qui n'ont produit que de l'herbe.


d) La parabole du grain de moutarde.

(Matth. XIII, 31. 32.)

Cette parabole s'applique seulement à la semence de moutarde telle qu'elle croit en Orient, où elle atteint une hauteur de plus de trois mètres, et non à celle de nos climats. Le Seigneur enseigne que le royaume des cieux, dont les commencements sont très humbles, est destiné à devenir une puissance qui embrasse le monde entier. Lorsque Dieu se fit homme et reposa dans une crèche, c'était le grain de moutarde déposé dans la terre. Toutefois, alors déjà, la joie destinée à tout le peuple, la paix promise à la terre, faisaient pressentir l'arbre qui devait sortir de ce grain de moutarde. Le fait que Jésus a toujours borné son activité aux limites de sa patrie terrestre, était sans doute un scandale pour ce peuple qui rêvait la domination universelle. Mais il savait, lui, que le Père lui avait donné pour héritage les nations, et pour sa possession les bouts de la terre (Ps. II, 8). Le règne de Dieu est destiné à embrasser tous les peuples du monde. L'arbre porte des feuilles et des fleurs qui lui appartiennent en propre. Mais les oiseaux des cieux y viennent et font leur nid dans ses branches. Ces oiseaux n'appartiennent pas à l'arbre. Ils viennent, en qualité d'hôtes, se réjouir de cette verte demeure aérienne, puis s'envolent.

La bénédiction du royaume des cieux n'est pas seulement le partage des enfants de Dieu ; ceux qui lui sont intérieurement étrangers, et qui n'ont pas son esprit, jouissent néanmoins de la culture et de la douceur des moeurs qui croissent sur son sol.

Il y a cette différence entre notre parabole et celle du levain, que dans celle-ci le levain, en pénétrant la pâte, perd sa forme pour en revêtir une nouvelle, qu'il prend dans le moule où il a été introduit ; tandis que la parabole du grain de moutarde nous montre que le royaume des cieux, en se répandant parmi les peuples de la terre, conserve sa physionomie particulière. C'est une indication que ce royaume, en remplissant sa mission de faire l'éducation des hommes, revêt la forme d'un organisme spécial, qui n'est autre que l'Église. Tout ce qu'il y a de grand dans la sphère du divin, a eu de tout temps un commencement semblable au grain de moutarde. C'est ce qui fait éclater la gloire de Dieu : faire quelque chose de rien, élever ce qui est abaissé et abaisser ce qui est élevé. Nous avons donc les meilleures raisons de nous défier de ce qui est grand dès le commencement, car cette grandeur porte l'empreinte des hommes et non celle de Dieu.

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