Le coeur de Jésus est rempli d'une profonde douleur, en voyant le
peuple accourir à lui en foule, sans avoir connaissance de ses péchés,
sans éprouver aucun besoin de salut. Ils ne veulent pas comprendre les
choses qui appartiennent à leur paix; ils ne demandent que des
miracles. Ils écoutent volontiers la parole du Seigneur, mais non
comme un appel adressé aux consciences endormies. Elle n'est pour eux
qu'une matière d'agréables entretiens. Il en est de même
aujourd'hui : le monde, en s'occupant des choses religieuses,
n'entend nullement se convertir à Jésus, ni croître dans la foi en
lui, mais seulement y trouver un intéressant et spirituel passe-temps.
Il fallait que le Seigneur travaillât contre de pareilles
dispositions. Il ne pouvait pas garder un silence absolu, à cause de
ceux qui avaient réellement faim et soif de justice, et qu'il ne
voulait pas priver de toute nourriture spirituelle. Voilà pourquoi il
adopte un mode d'enseignement dont le contenu divin était communiqué
aux âmes altérées de salut, tandis qu'il était caché aux coeurs
rassasiés et satisfaits de leur propre justice : il ne parlait
plus devant le peuple qu'en paraboles. Elles avaient un double
but ; elles devaient voiler la vérité divine aux incrédules et la
dévoiler aux croyants. Les mystères de Dieu y sont exposés sous
des images tirées tantôt de la nature, tantôt de la vie ordinaire. Ces
comparaisons des vérités célestes avec leurs occupations de tous les
jours, en facilitaient l'intelligence aux disciples. Elles avaient
aussi pour effet de provoquer leurs réflexions, de leur rendre
l'enseignement plus clair, et de le graver plus profondément dans leur
mémoire. Quant à ceux qui n'avaient aucun goût
pour la vérité, les paraboles devaient la leur dérober complètement.
Les disciples remarquèrent immédiatement que le Sauveur
avait adopté un nouveau mode d'enseignement, et ils lui demandèrent
pourquoi il s'exprimait en paraboles. Il
vous est donné, leur dit-il, de connaître le mystère du royaume
des cieux ; mais cela ne leur est point donné. Car on donnera
à celui qui a déjà, et il aura, encore davantage ; mais pour
celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a.
L'Écriture appelle mystère, tout ce que l'homme ne peut pas connaître
au moyen de son intelligence, mais seulement par révélation.
Jusqu'alors les discours de Jésus avaient opéré, une
scission parmi ses auditeurs. Les uns, comme les disciples, allaient à
lui dans le sentiment de leur indignité et en éprouvant le besoin du
salut. À ceux-là, en vertu de la bienveillance paternelle de Dieu, il
était donné de pénétrer plus profondément dans la connaissance de la
vérité divine. Les autres méprisaient les conseils de Dieu, et
refusaient d'aller à Jésus, malgré ses invitations réitérées. C'est
pourquoi il leur cachait le mystère du royaume des cieux sous le voile
de la parabole. Jésus ne voulait pas donner les choses saintes aux
chiens, ni jeter ses perles devant les pourceaux. Mais il ne voulait
pas permettre non plus que l'habitude d'entendre la Parole de Dieu les
rendit insensibles intérieurement à la sévérité et à la bonté de Dieu
dont cette Parole rend témoignage.
C'est par une sorte de jugement, que Jésus cache sa
personne et son règne aux incrédules sous le voile de la parabole.
Cependant, même dans ce jugement, il y avait encore un reste de grâce
pour eux. Car jusqu'à sa mort sur la croix, le Seigneur ne s'était pas
entièrement dérobé à la vue du peuple. Il ne lui avait pas
complètement retiré sa personne et sa parole, comme il le fit après sa
résurrection. Et si un pécheur non repentant eût été excité par la
forme parabolique de l'enseignement de Jésus, à venir à lui et à lui
dire : « Seigneur, je ne comprends pas ton discours et je
voudrais bien le comprendre » il eût certainement été donné à cet
homme de connaître le mystère du royaume des cieux. On donnera à celui
dont le coeur est avide de Dieu et disposé à l'obéissance de la foi,
afin qu'il ait encore davantage. Le serviteur impitoyable, dont
parle l'Évangile (Matth.
XVIII, 23-35), avait obtenu du roi l'acquittement de toute sa
dette ; mais il ne s'était pas véritablement approprié
intérieurement cette grâce ; elle resta pour lui quelque chose
d'extérieur, qui n'eut aucune action sur son sentiment ni sur sa
conduite envers son prochain. C'est pourquoi, ce qu'il avait lui fut
ôté. Pareillement, quiconque garde la parole de Dieu dans sa mémoire,
mais ne lui permet pas de diriger toute sa vie intérieure et
extérieure, ce qu'il ne possède qu'extérieurement lui sera ôté. En
revanche, le moindre don de la grâce, s'il est bien employé, sera
augmenté et multiplié. Dieu donne abondamment sans rien
reprocher ; il donne richement à celui qui désire ardemment
posséder.
C'est à cause de cela que je
leur parle en similitudes ; pour qu'en voyant ils ne voient
point et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point.
Ainsi s'accomplit en eux la prophétie d'Ésaïe, qui dit : Vous
entendrez de vos oreilles et vous ne comprendrez point ; vous
verrez de vos yeux et vous n'apercevrez point. Car le coeur de ce
peuple est appesanti ; ils ont ouï dur de leurs
oreilles ; ils ont fermé leurs yeux, afin qu'ils
n'aperçoivent point de leurs yeux, qu'ils n'entendent pas de leurs
oreilles, qu'ils ne comprennent pas du coeur. qu'ils ne se
convertissent pas et que je ne les guérisse pas. Ce
peuple avide de miracles, voyait le Seigneur de très près. Ils le
voyaient, mais son aspect ne leur plaisait pas. Ils n'avaient pas les
yeux de St-Jean. Jésus leur révélait son autorité divine, mais leurs
yeux ne la distinguaient pas. Il prononçait à leurs oreilles les
paroles de la vie éternelle, mais ils ne percevaient que le son de ces
paroles, et le Sauveur en était réduit à proférer cette plainte :
« Pourquoi ne comprenez-vous point mon langage ? C'est que
vous ne pouvez écouter ma parole. » L'obstacle se trouvait dans
leurs coeurs endurcis. Cet endurcissement était un juste jugement de
Dieu sur ces hommes, qui avaient à leur disposition les paroles de la
grâce, mais qui n'en faisaient pas l'usage en vue duquel elles leur
avaient été données.
D'abord l'homme s'endurcit lui-même, par un mépris
criminel de la grâce, puis Dieu, pour lui infliger la juste punition
de ce mépris, l'endurcit à son tour. C'est un dangereux état d'âme que
celui d'un homme qui s'occupe beaucoup de la Parole de Dieu, sans lui
obéir. Car, par ce commerce purement extérieur
avec cette Parole, le coeur s'émousse et devient insensible à ses
traits. Tel n'était pas le cas des disciples, car le Seigneur leur
dit : Mais pour vous, vous êtes heureux
d'avoir des yeux qui voient et des oreilles qui entendent. Car je
vous dis que plusieurs prophètes et plusieurs justes ont désiré de
voir les choses que vous voyez et ne les ont point vues, et
d'entendre les choses que vous entendez et ne les ont point
entendues. Les yeux des disciples sont heureux, car ils
voient combien le Seigneur est bon ; leurs oreilles sont
heureuses, car en entendant l'Évangile de Christ, leur coeur peut dire
avec une sainte joie : « Cette bonne nouvelle est aussi pour
moi »
Par cette parabole, le Seigneur veut indiquer les causes des
différences dans l'action que la Parole divine exerce sur les coeurs.
Cette parole, parfaitement une et toujours identique à elle-même, est
annoncée à tous. Tous l'entendent également, et cependant elle est aux
uns une odeur de vie et aux autres une odeur de mort. Les uns sont
éclairés et consolés par elle, tandis que les autres sont repoussés et
endurcis. La raison de cette différence provient des différentes
dispositions des coeurs. Lorsque le soleil, de ses rayons brûlants,
amollit la cire et durcit l'argile, la différence entre ces deux
actions ne provient pas du soleil, qui est toujours le même, mais de
la différence entre la nature de la cire et celle de l'argile.
Un semeur sortit pour semer.
La semence, c'est l'Évangile de Christ. Cette divine Parole, pleine de
force et de vie, diffère de la parole de l'homme comme la semence qui
renferme un germe vivant, propre à croître et à se développer, diffère
du grain de semence artificiellement formé d'un morceau de pâte cuite.
Celui-ci ressemble parfaitement au bon grain, mais il ne renferme
aucun germe de vie. La semence répandue par le semeur est pleine de la
vertu vivifiante du Saint-Esprit, et se nomme pour cette raison la
semence régénératrice, selon cette parole de saint Pierre (1
Pierre I, 23) : Étant régénérés
non par une semence corruptible, mais par une semence
incorruptible, par la Parole de Dieu, qui vit et demeure
éternellement. Le Saint-Esprit agit par la Parole de
Dieu, mais non d'une manière irrésistible. Il est
humiliant pour nous de voir, par notre parabole, que la Parole de Dieu
ne trouve un sol favorable que chez un si petit nombre de personnes.
Sur l'ordre du divin semeur, les pasteurs, les instituteurs, les
missionnaires. s'en vont et sèment la Parole dans les coeurs. De même,
lorsque les pères et mères de famille élèvent leurs enfants en les
exhortant selon le Seigneur ; ils sont aussi les semeurs du
Seigneur Jésus.
Et comme il semait, une partie
de la semence tomba le long du chemin, et les oiseaux des cieux
vinrent et la mangèrent toute. - Ceux qui reçoivent la Parole le
long du chemin, ce sont ceux qui l'écoutent ; mais le diable
vient, qui ôte la Parole de leur coeur, de peur qu'en croyant ils
ne soient sauvés. En parlant du chemin, le Seigneur ne
pouvait guère avoir en vue une grande route, car on n'y répand jamais
de semence. Il est probablement question d'un de ces sentiers qui
traversent les champs cultivés et qu'on prend pour abréger sa route.
Naturellement il tombe aussi, pendant les semailles, beaucoup de
graine dans ces endroits foulés par les passants. Elle ne peut pas y
croître parce qu'elle ne peut pas pénétrer dans ce sol durci.
L'attachement aux choses de la terre, l'indifférence, la propre
justice endurcissent le coeur, et la Parole de Dieu ne saurait y
prendre racine ni s'y développer. Les oiseaux du ciel, c'est-à-dire le
diable vient et enlève la Parole, afin que les hommes. ne puissent pas
croire pour être sauvés.
Ce ne sont pas seulement des oiseaux de proie qui mangent
cette semence, ce sont aussi d'aimables oiseaux chanteurs, au ramage
harmonieux, au plumage éclatant. Divertissements mondains,
fréquentations de sociétés incrédules, lectures de livres ou de
journaux mis au service des adversaires de la foi, autant de moyens
dont le diable se sert pour ravir au coeur la Parole qu'il avait
entendue. Il faut donc éprouver avec une grande attention les gens que
nous fréquentons. S'ils veulent nous inspirer des doutes sur notre
foi, s'ils nous parlent des commandements de Dieu comme le serpent en
parla à Eve : « Quoi ! Dieu aurait-il dit ? »
(Genèse
III, 1) sachons que Satan veut nous tromper et nous empêcher de
croire pour être sauvés.
Et l'autre partie tomba dans des
endroits pierreux, où elle n'avait que peu de
terre, et elle leva aussitôt, parce qu'elle n'entrait pas
profondément dans la terre ; mais le soleil, étant levé,
parce qu'elle n'avait point de racines, elle sécha. - Ceux qui la
reçoivent dans des lieux pierreux, ce sont ceux qui, ayant ouï la
Parole, la reçoivent avec joie, mais ils n'ont point de racines en
eux-mêmes et ne croient que pour un temps, et quand la tentation
survient, ils se retirent. Ce sont les coeurs
facilement impressionnables qui sont saisis par la puissance
bienfaisante de la Parole de Dieu, qui sont touchés jusqu'aux larmes
par l'amour de Jésus, qui prennent de bonnes résolutions ; mais
l'exaltation du sentiment religieux passe vite. La semence n'avait pas
pénétré profondément ; elle n'avait pas atteint la volonté. On
croyait que la foi apporterait une paix inaltérable, une joie
constante et un bonheur sans mélange. Et l'on est surpris de trouver
aussi des souffrances dans la société de Jésus, de ne pouvoir le
suivre qu'en portant sa croix. On avait espéré des jouissances, et
l'on n'est pas préparé aux afflictions et à l'opprobre de Christ.
Ainsi l'on est déçu et l'on se retire.
L'autre partie tomba parmi les
épines, et les épines crurent et l'étouffèrent. - Ce qui est tombé
parmi les épines, ce sont ceux qui ont entendu la Parole ;
mais qui, s'en allant. la laissent étouffer par les inquiétudes,
par les richesses et par les voluptés de cette vie, de sorte
qu'ils ne portent point de fruit qui vienne à maturité.
Cette partie de la semence tombe dans une bonne terre, mais cette
terre n'est pas préparée. La Parole de Dieu vivifie le coeur et lui
donne la force de renoncer à tout ; car elle lui montre sa
corruption et le convainc que Christ seul peut le sauver. Mais, comme
dans la conquête du pays de Canaan, il restait toujours quelques
Cananéens qui n'étaient pas exterminés, de même il reste dans le
nouveau croyant beaucoup d'éléments du vieil homme, des passions, de
mauvaises convoitises, qui n'ont pas été noyées dans le sang de
Christ. Ce sont les péchés favoris qui n'ont pas été combattus, qui
croissent avec la bonne semence et finissent par étouffer complètement
le germe de la nouvelle créature. Ce qui manque, c'est une vigilance
continuelle, un combat ; c'est un oeil invariablement fixé sur
Jésus, et que rien d'autre ne peut captiver. C'est la sanctification,
qui doit nécessairement suivre la vraie conversion. On ne demande
pas mieux que de posséder et de conserver Christ, mais on ne veut pas
renoncer au monde. Pour ces âmes, les larmes de la dévotion et les
jouissances sensuelles sont proches parentes. Mais quiconque ne veut
servir Jésus que d'un coeur partagé, devient infailliblement la proie
du monde.
Si le chemin battu représente ceux qui se tiennent loin
du Seigneur, si les lieux pierreux figurent les nouveaux convertis,
les épines sont l'image de ces chrétiens qui ont maintes fois
expérimenté la puissance de la grâce, mais qui ensuite ont refusé
d'obéir aux impulsions de l'Esprit. Si nous considérons que Démas, qui
a abandonné Paul par amour pour ce présent siècle (2
Tim. IV, 16), que Judas qui trahit le Sauveur, sont du nombre de
ceux chez qui les épines des richesses et des voluptés étouffèrent la
bonne semence, nous nous sentirons pressés de nous écrier : Père
céleste, garde-nous d'un tel malheur !
Et l'autre partie tomba dans une
bonne terre ; et étant levée, elle produisit du fruit :
un grain en rapporta cent, un autre soixante et un autre trente.
Celui qui a reçu la semence dans une bonne terre, c'est celui qui
entend la Parole, qui la comprend, et qui porte du fruit, de sorte
qu'un grain en produit cent, un autre soixante et un autre trente.
Qui donc a un coeur semblable à un bon terroir ? Personne par
nature. Mais tous ceux dont le coeur ressemble à un chemin battu, à un
endroit pierreux, à un terrain couvert d'épines, doivent et peuvent,
par le travail de la grâce et du Saint-Esprit, devenir une bonne
terre. Ceux-là sont un sol favorable qui se laissent réveiller,
briser, purifier par la Parole de Dieu, qui l'acceptent, la conservent
et mènent désormais une vie conforme à ses prescriptions. Cette
Parole, lorsqu'elle est reçue, rend elle-même le coeur, profond,
tendre et pur.
Mais la disposition essentielle pour porter des fruits,
c'est la patience. Cependant il ne faut pas que les paresseux se
couvrent de cette vertu comme de feuilles de figuier, lorsqu'ils
passent deux, cinq, dix ans, sans qu'il s'opère aucun changement en
eux, et que leur coeur et leur vie demeurent exactement tels qu'ils
étaient auparavant. D'un autre côté, le fruit ne mûrit pas en une
nuit. Il mûrit lentement. On ne remarque pas sa croissance d'un jour à
l'autre.
Toutefois, après des mois, des années, on doit pouvoir
constater des progrès dans la sanctification. Il faut que la puissance
du péché soit brisée, que la joie de la prière et l'amour pour la
Parole de Dieu augmentent, que la communion avec Jésus devienne plus
profonde, plus chaude, plus fidèle. Porter des fruits, c'est croître
dans l'homme intérieur au moyen de la Parole. Mais la chose
essentielle, c'est la communion avec Jésus, la croissance du nouvel
homme jusqu'à la stature parfaite de Christ ! (Ephés.
IV, 13). Qui est suffisant pour ces choses ? Personne par
ses propres forces. La Parole seule peut nous rendre capables de les
faire, car c'est la Parole de Celui qui nous a fait la promesse d'ôter
de notre chair notre coeur de pierre et de nous donner un coeur de
chair (Ezéch.
XI, 19).
Si, à la lumière de notre parabole, nous jetons encore un
coup d'oeil sur les fruits qu'a portés jusqu'ici l'activité de Jésus,
nous pouvons avoir une idée de la douleur qui remplissait son âme en
trouvant tant de chemins battus, tant de sols pierreux, tant de
terrains couverts d'épines parmi le peuple, et si peu de coeurs,
brisés et disposés à recevoir la Parole avec une véritable soif de
salut. Mais aussi nous adorons l'infatigable amour, l'inaltérable
patience, l'insondable grâce avec lesquels, malgré tant de pénibles
expériences, il semait toujours de nouveau. Il ne désespère jamais.
Cette patience du Seigneur est aussi une consolation pour nous :
c'est notre salut.
Jésus leur proposa une autre similitude en
disant : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui
avait semé une bonne semence dans son champ. Mais pendant que les
hommes dormaient, son ennemi vint, qui sema de l'ivraie parmi le
blé et s'en alla. Et après que la semence eut poussé et qu'elle
eut produit du fruit, l'ivraie parut aussi. Alors les serviteurs
du père de famille lui vinrent dire : Seigneur, n'as-tu pas
semé de bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc, qu'il
y a de l'ivraie ? Et il leur dit : C'est' l'ennemi qui a
fait cela. Les serviteurs lui répondirent : Veux-tu, que nous
allions l'arracher ? Et il leur dit : Non, de peur qu'il
n'arrive qu'en arrachant l'ivraie, vous ne
déraciniez le bon grain en même temps. Laissez-les croître les
deux ensemble, jusqu'à la moisson, et je dirai aux moissonneurs -
Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la en faisceaux pour la brûler,
mais rassemblez le froment dam mon grenier. La parabole
du semeur nous montre le royaume des cieux s'établissant et se
développant dans les individus. Celle de l'ivraie semée parmi le blé,
met sous nos yeux la fondation et l'épanouissement de ce royaume au
milieu des peuples. La première est la parabole des âmes isolées, et
fait connaître l'attitude que chacune d'elles prend vis-à-vis du règne
de Dieu. La seconde est la parabole de l'Église et nous montre comment
cette institution existe dans le monde. Si par la première, nous
voyons quelle quantité de bon grain se perd dans les mauvais terrains,
nous découvrons dans la seconde un autre obstacle au développement de
la bonne semence, c'est-à-dire le mauvais semeur.
C'est le Fils de l'homme qui
répand la bonne semence. Le champ c'est le monde. Dans
le Paradis, la terre et le coeur de l'homme étaient le champ de Dieu.
Car la jalousie de Satan, le péché et la mort entrèrent dans le monde
et dévastèrent ce champ. Le coeur de l'homme, lui aussi, produisit des
ronces et des épines, qui réjouirent le méchant ennemi. Vint alors le
Fils de l'homme qui reprit possession du monde comme étant son champ,
et y répandit la bonne semence. Cette bonne
semence sont les enfants du royaume, les enfants de la
lumière, que Dieu a renouvelés à son image, par la puissance du sang
rédempteur. L'ivraie sont les enfants du
malin. L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable. Dans
tous les temps, les hommes ont fait des recherches sur l'origine du
mal. Il ne saurait venir de Dieu, autrement Dieu serait méchant et ne
pourrait pas être Dieu. Le mal ne peut pas non plus venir de l'homme,
car l'homme était bon, ayant été créé à l'image de Dieu. Il ne peut
pas s'être produit lui-même, car rien ne naît de soi-même. Ainsi les
hommes se trouvaient en face d'un problème dont la solution leur
échappait complètement. Le mal est là, les querelles, le mensonge, le
vol, le meurtre, l'adultère et toutes sortes de perversités et
d'infamies remplissent la terre. Mais d'où tout cela est-il
venu ? Le Fils de l'homme nous l'a révélé : C'est
l'ennemi qui a fait cela, c'est-à-dire
le diable qui, au moyen du poison de sa méchanceté, rend les hommes
ennemis de Dieu.
Mais les disciples se trouvaient encore en face d'un
autre problème. Ils avaient espéré que le royaume des cieux serait un
champ où il ne croîtrait que du bon grain, qu'il se composerait d'une
société formée uniquement de croyants, et qu'ainsi. avec l'apparition
de ce règne, les méchants seraient jugés et anéantis. Et maintenant
ils apprennent que dans ce royaume il se trouvera toujours de l'ivraie
parmi le bon grain. Comment cela est-il possible, puisque ce champ n'a
été ensemencé que de bonne semence, et si abondamment qu'il en a été
complètement couvert ? D'où vient l'ivraie ? C'est
l'ennemi qui a fait cela.
Les serviteurs voudraient bien nettoyer le champ. Ils
disent au maître . Veux-tu que nous allions
arracher l'ivraie ? Ils pensent que si c'est la
semence du diable, il n'y a rien autre à faire qu'à l'extirper. Le
voeu, que les méchants, qui retardent l'avènement du règne de Dieu,
soient supprimés, nous paraît provenir d'un saint zèle. Mais le maître
du champ dit : Non, de peur qu'en
arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez le froment en même temps.
Laissez-les tous deux croître jusqu'à la moisson. Il
faut que l'ivraie croisse aussi. L'incrédulité ne doit pas être
arrêtée à moitié chemin par le jugement. Il faut qu'elle se développe
complètement, qu'elle mûrisse ; et alors seulement elle sera
jugée. De même la croissance du bon grain ne doit pas être retardée
par l'extirpation de l'ivraie. Les enfants de Dieu, par leur contact
avec leurs adversaires, sont exercés à confesser leur foi, à supporter
les incrédules, à prier continuellement pour eux, et dans les temps de
persécution, leur fermeté est mise à une salutaire épreuve. Maint
incrédule a déjà été amené à la foi par les prières et le patient
amour des croyants.
Mais les enfants du royaume ne subiraient pas seulement
du dommage par l'extirpation des ennemis. Le maître du champ parle ici
de l'ivraie, c'est-à-dire d'une plante qui, pendant sa croissance,
offre une grande ressemblance avec le froment. Là où Dieu construit
une église, le diable bâtit immédiatement une chapelle à côté. Ainsi
il serait impossible de ne pas arracher le froment en arrachant
l'ivraie. La mauvaise semence du péché se trouve
dans tout coeur d'homme, par conséquent aussi dans celui des croyants.
Le péché reste toujours attaché à nos âmes et nous rend tous plus ou
moins paresseux pour le bien. Ainsi, en ne regardant qu'au péché, il
nous serait difficile, impossible même, de tracer une ligne de
démarcation entre le croyant et le non croyant. Mais dans le royaume
de Dieu, où le sceptre appartient à la grâce, la gravité du péché
n'est pas la mesure du jugement.
« Quand vos péchés seraient rouges comme le
vermillon, ils seront blanchis comme la neige (Ésaïe
I, 18). » Ce n'est pas seulement à cause du péché que nous
sommes enfants de colère ; mais à cause de l'amour du péché ;
c'est parce que nous aimons mieux les ténèbres que la lumière, et que
nous méprisons les appels de la grâce. Mais ces dispositions échappent
à l'oeil oblitéré de l'homme, et ne sont visibles que pour celui qui
sonde les coeurs.
Du reste, le mélange des enfants de Dieu et des enfants
de colère, supporté par Dieu, ne durera pas éternellement. Le terme,
c'est-à-dire la fin de l'ordre de choses actuel viendra. Le
Fils de l'homme enverra ses anges qui ôteront de son royaume tous
les scandales et ceux qui font l'iniquité, et ils les jetteront
dans la fournaise ardente. C'est là qu'il y aura des pleurs et des
grincements de dents. Alors les justes luiront comme le soleil
dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour
ouïr, entende ! La séparation est opérée par les
anges, au commandement de Christ, le Seigneur de la moisson. Ils
rassembleront l'ivraie et la lieront en faisceaux. Ceux qui, pendant
le temps de grâce n'ont pas voulu se laisser éclairer et réchauffer
par le feu de l'amour divin, seront consumés éternellement par le feu
de la colère divine. Ils seront obligés de convenir dans l'éternité,
les uns en pleurant, les autres en grinçant des dents, que Jésus les
avait bien jugés lorsqu'il avait dit : Vous n'avez pas
voulu ! Ceux qui sur la terre étaient si satisfaits de
marcher continuellement avec la majorité, subiront par une juste
punition, le tourment de la société des méchants, car ils seront
réunis et liés ensemble, de manière à accroître mutuellement
leurs souffrances. En revanche les croyants, qui ont été lavés dans le
sang de Christ, et revêtus de sa justice, seront aussi rassemblés dans
les greniers célestes, et ils luiront comme le soleil dans le royaume
de leur Père. Il n'y aura parmi eux ni souffrances ni cris, Une sainte
joie et un chant d'allégresse et de louanges remplira leur coeur et
retentira dans les tabernacles éternels.
En parlant de l'homme qui répand la semence dans le champ, ce n'est
pas lui-même que le Sauveur avait en vue. C'étaient ses serviteurs
qu'il avait chargés de prêcher sa Parole. Car lui qui sonde les
coeurs, il n'aurait pas pu dire qu'il ne sait pas comment la semence
croit (v.
27). Cette parabole nous montre le développement silencieux,
caché, progressif du royaume des cieux au moyen de la Parole.
Il y a dans cette semence une force propre, énergique et
indépendante, qui produit la croissance sans le secours de l'homme.
Les serviteurs peuvent semer, planter, arroser ; mais c'est Dieu
qui a déposé dans la semence la vie en vertu de laquelle elle croit et
porte du fruit. La croissance mystérieuse de la semence dans le sein
de la terre échappe à l'oeil de l'homme. Des enfants peuvent bien
fouiller avec impatience les grains répandus, pour voir les progrès
qu'ils ont faits et s'ils ont jeté des racines ; mais cette
opération ne fait qu'en retarder le développement. Toute semaille,
aussi bien celle de la Parole de Dieu que les autres, se fait dans,
l'espérance. C'est un excellent exercice de patience et de foi,
puisque dans ces conditions, il est impossible de voir.
Combien d'années les missionnaires moraves, Christian
David et le frère Stach, n'ont-ils pas semé au Groënland, sans voir
aucune trace de croissance de la semence qu'ils répandaient, jusqu'à
ce qu'enfin, en 1738, Kajarnack fut réveillé ! Lorsque les
serviteurs du Père céleste jettent leur semence en priant avec foi,
ils peuvent compter sur la force divine du Père, qui agira dans les
coeurs, même s'ils n'en aperçoivent rien sur la terre. Souvent la
Parole de Dieu semée dans la chambre d'enfants, à l'école, à
l'instruction religieuse, du haut de la chaire, opère dix, vingt ans
plus tard, sous le poids de la tentation. Souvent la semence qu'un
serviteur a répandue, germe seulement lorsqu'il est depuis longtemps
dans un autre champ de travail, peut-être même
lorsqu'il est déjà entré dans le repos réservé au peuple de Dieu.
Un pasteur raconte le trait suivant : Un danseur de
corde vint le trouver, fatigué et misérable. Il avait passé de longues
années dans la voiture organisée pour sa profession et avait mené la
vie d'un impie. Il tomba malade, saisit le salut qui est en
Jésus-Christ, et mourut dans son chariot, croyant et heureux. Le
pasteur avait souvent visité cet homme et s'était étonné de l'entendre
raconter comment, dans sa vie déréglée, il s'était souvenu des paroles
bibliques qu'il avait entendues à l'école et à son instruction
religieuse. Elles ne lui avaient laissé aucun repos, et avaient
préparé le grand changement qui s'était opéré en lui à la fin de sa
vie. Ainsi la semence avait crû à l'insu de celui qui l'avait
répandue.
L'auteur de ces pages peut citer un fait analogue tiré de
sa propre expérience. J'étais âgé de douze ans, lorsqu'un grain de la
divine semence tomba dans mon coeur. Il y fut déposé par le pieux
Boettcher, instituteur à P., qui consolait mon père devenu aveugle.
C'était ce verset du Psaume
XXIlle : « Même quand je marcherais par la vallée de
l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi,
c'est ton bâton et ta houlette qui me consolent. » J'entendis
cette parole, sans avoir la pensée que c'était un grain de la semence
divine. Bien souvent depuis, j'eus l'occasion de la répéter à mon
bien-aimé père, profondément courbé sous le poids de la croix, et
chaque fois j'étais étonné de la puissance de consolation que ces mots
exerçaient sur son coeur accablé de soucis.
Plus tard, dans les années de ma jeunesse, ce verset
devint de plus en plus vivant dans mon propre coeur, et semblable à un
ange de Dieu, me préserva de dangereux égarements. Lorsque, dans la
suite, je fis sur moi-même l'expérience de son efficacité, je compris
de quel secours cette merveilleuse parole avait été pour moi. Ce fut
seulement dix ans plus tard, lorsque le Sauveur crucifié étendit vers
moi sa main percée et m'attira à lui, que, lisant diligemment les
Écritures, je retrouvai cette parole dans le Psaume
XXIIIe. Sans que le cher B. s'en doutât, son grain de semence
avait germé dans mon coeur. Et je me réjouis de le revoir devant le
trône de la grâce, afin de le remercier pour son travail de semeur.
La semence se développe progressivement, lentement. Car
la terre produit d'elle-même premièrement l'herbe, ensuite l'épi
et puis le grain tout formé dans l'épi. D'abord la
semence de la nouvelle naissance produit les enfants de Dieu.
Ces enfants se fortifient de plus en plus et deviennent des jeunes
gens, dans lesquels la Parole de Dieu demeure et qui vainquent
le malin. Ces jeunes gens mûrissent et parviennent à l'état d'hommes
faits, de pères en Christ, qui ont connu Celui qui est dès le
commencement (1
Jean II, 12-14). Seulement maint brin d'herbe croit tout au plus
jusqu'à ce que l'épi commence à se former, et alors vient la rouille
qui le détruit. Puis vient la grande faucheuse, la mort, qui emporte
croyants et incrédules, ceux qui ont porté des fruits mûrs et ceux qui
n'ont produit que de l'herbe.
Cette parabole s'applique seulement à la semence de moutarde telle
qu'elle croit en Orient, où elle atteint une hauteur de plus de trois
mètres, et non à celle de nos climats. Le Seigneur enseigne que le
royaume des cieux, dont les commencements sont très humbles, est
destiné à devenir une puissance qui embrasse le monde entier. Lorsque
Dieu se fit homme et reposa dans une crèche, c'était le grain de
moutarde déposé dans la terre. Toutefois, alors déjà, la
joie destinée à tout le peuple, la paix promise à la terre,
faisaient pressentir l'arbre qui devait sortir de ce grain de
moutarde. Le fait que Jésus a toujours borné son activité aux limites
de sa patrie terrestre, était sans doute un scandale pour ce peuple
qui rêvait la domination universelle. Mais il savait, lui, que le Père
lui avait donné pour héritage les nations, et pour sa possession les
bouts de la terre (Ps.
II, 8). Le règne de Dieu est destiné à embrasser tous les
peuples du monde. L'arbre porte des feuilles et des fleurs qui lui
appartiennent en propre. Mais les oiseaux des cieux y viennent et
font leur nid dans ses branches. Ces oiseaux n'appartiennent pas
à l'arbre. Ils viennent, en qualité d'hôtes, se réjouir de cette verte
demeure aérienne, puis s'envolent.
La bénédiction du royaume des cieux n'est pas seulement
le partage des enfants de Dieu ; ceux qui lui sont intérieurement
étrangers, et qui n'ont pas son esprit, jouissent néanmoins de la
culture et de la douceur des moeurs qui croissent sur son sol.
Il y a cette différence entre notre parabole et celle du
levain, que dans celle-ci le levain, en pénétrant la pâte, perd sa
forme pour en revêtir une nouvelle, qu'il prend dans le moule où il a
été introduit ; tandis que la parabole du grain de moutarde nous
montre que le royaume des cieux, en se répandant parmi les peuples de
la terre, conserve sa physionomie particulière. C'est une indication
que ce royaume, en remplissant sa mission de faire l'éducation des
hommes, revêt la forme d'un organisme spécial, qui n'est autre que l'Église.
Tout ce qu'il y a de grand dans la sphère du divin, a eu de tout temps
un commencement semblable au grain de moutarde. C'est ce qui fait
éclater la gloire de Dieu : faire quelque chose de rien,
élever ce qui est abaissé et abaisser ce qui est élevé. Nous avons
donc les meilleures raisons de nous défier de ce qui est grand dès le
commencement, car cette grandeur porte l'empreinte des hommes et non
celle de Dieu.
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