Le nom de la pécheresse mentionnée dans ce récit, ne nous est pas
connu d'une manière certaine. On croit que c'était Marie de Magdala.
Dans cette période de la vie de Jésus, nous voyons les pharisiens
chercher plus fréquemment qu'auparavant à se mettre en rapport avec
lui. Ils avaient probablement un sentiment plus clair de l'antagonisme
qui les séparait de lui, et l'opposition hostile qu'ils lui faisaient
s'accentuait de plus en plus. Toutefois le pharisien Simon, qui a
invité le Seigneur à sa table, ne semble pas partager ces mauvais
sentiments à son égard. Il l'a souvent entendu et a vu ses miracles,
et il ne sait pas encore quelle position il doit prendre vis-à-vis de
lui. Une telle personnalité lui parait trop puissante et trop grande
pour ne devoir pas être prise en sérieuse considération. D'un autre
côté, il y a dans la conduite de Jésus beaucoup de choses que Simon ne
peut faire accorder avec les idées qu'il s'est faites du Messie. C'est
pourquoi il désire s'entretenir tranquillement avec lui, dans sa
propre maison. De là l'invitation qu'il lui adresse, et que Jésus
accepte. Il reconnaît en lui le pharisien. Il ne voit dans le coeur de
Simon aucun besoin du salut ; mais il n'y remarque non plus aucun
sentiment hostile. Il espère donc pouvoir placer quelques paroles
salutaires dans le coeur de son hôte et des autres convives.
Simon reçoit le Sauveur d'une manière qui répond
parfaitement ses sentiments. Cette réception n'est ni grossière ni
impolie ; mais elle n'est pas cordiale. L'usage exigeait que
Simon saluât Jésus par un baiser, qu'il lui offrit de l'eau pour se
laver les pieds, de l'huile pour s'oindre la tète ; mais
évidemment il ne veut pas faire à Jésus un accueil trop empressé. Il
le traite avec une politesse de grand seigneur, qui est de nature à le
tenir à distance plutôt qu'à l'attirer.
Et une femme de la ville, qui
avait été de mauvaise vie, ayant su qu'il était à table dans la
maison du pharisien, elle y apporta un vase d'albâtre, plein d'une
huile odoriférante. Et se tenant derrière, aux
pieds de Jésus, elle se mit à pleurer ; elle lui couvrait les
pieds de ses larmes et les essayait avec ses cheveux, et elle lui
baisait les pieds et les oignait de cette huile. Cette
femme était désignée dans toute la ville par l'épithète de pécheresse,
parce que ses péchés étaient généralement connus. Peut-être
s'était-elle attiré cette honte par une vie de débauches. Mais ses
péchés pèsent sur sa conscience comme un lourd fardeau. Elle est
confuse et éprouve le besoin de la grâce de Dieu. Elle avait ouï
parler de Jésus ; elle savait comment il consolait les coeurs
angoissés. Elle croit fermement qu'il peut lui enlever le fardeau qui
pèse sur sa conscience. Elle l'a peut-être entendu lui-même, et elle
veut qu'il lui dise, à elle en particulier, ce qu'il a si souvent
proclamé devant les multitudes. Elle s'approche de lui et se tient à
ses pieds. Elle le voit et reconnaît en lui la bonté et l'amour de
Dieu. Ce regard, joint à celui qu'elle jette dans son propre coeur
souillé, fait couler ses larmes, qui tombent sur les pieds de Jésus.
Comme elle doit être intimidée ! Que doit-elle faire ? Quel
service peut-elle lui rendre ? Promptement décidée, et n'avant
rien d'autre sous la main, elle dénoue ses cheveux et en essuie les
pieds du Seigneur. Et comme elle remarque qu'il ne s'irrite point,
qu'il ne se montre nullement choqué, mais qu'au contraire il lui
laisse entendre qu'il a compris le désir de son coeur, elle lui baise
les pieds et les oint avec l'huile qu'elle a apportée.
À la vérité, cette conduite est déplacée dans cette
société aristocratique. Aussi Simon la prend-il en mauvaise part. N'y
aurait-il pas dans notre coeur des sentiments semblables à ceux de
Simon ? N'aurions-nous pas adressé à cette pauvre pécheresse
quelques paroles sévères ? Ne lui aurions-nous peut-être pas
montré la porte en lui disant : « Nous ne voulons avoir
aucune communication avec des gens comme toi » ? Mais Jésus,
plein de cet amour qui cherche les pécheurs, reconnaît le coeur brisé
qui cherche le pardon en toute sincérité. Le
pharisien qui l'avait convié, voyant cela, se dit en
lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait sans doute
qui est celle femme qui le touche et qu'elle est de mauvaise vie.
Ici, c'est le pharisien qui a la haute main dans le coeur de Simon.
Jusqu'à présent il était encore dans le doute si Jésus était un
prophète ; mais maintenant il est parfaitement au clair. Si Jésus
était prophète, pense-t-il, il saurait quelle
espèce de femme le touche, et il ne souffrirait par ce contact impur.
Il est tiré de ces réflexions par cette question de
Jésus : Simon, j'ai quelque chose à te
dire : Et il dit : Maître, dis-le. - Un créancier avait
deux débiteurs, dont l'un lui devait cinq cents deniers, l'autre
cinquante. Et comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur
quitta à tous deux leur dette. Dis-moi donc lequel des deux
l'aimera le plus. - Simon lui répondit : J'estime que c'est
celui auquel il a le plus quitté. Jésus lui dit : Tu as bien
jugé. Alors, se tournant vers la femme, il dit à Simon :
Vois-tu celle femme ? Je suis entré dans la maison, et tu ne
m'as point donné d'eau pour me laver les pieds ; mais elle a
arrosé mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses
cheveux ; tu ne m'as pas donné de baiser, mais elle, depuis
qu'elle est entrée, n'a cessé de me baiser les pieds ; tu
n'as pas oint ma tête d'huile, mais elle a oint mes pieds d'une
huile odoriférante. En parlant ainsi, Jésus prouve à
Simon qu'il connaît sa pensée, et que par conséquent il est prophète.
Mais il ne l'est pas seulement pour Simon, il l'est aussi pour toi et
pour moi, cher lecteur. Puissions-nous donc, en tout temps, faire
sérieusement attention à ce qu'il a à nous dire !
Cette parabole est parfaitement claire et transparente.
Simon a bien jugé, absolument comme David devant le prophète Nathan,
sans le moindre pressentiment qu'en parlant ainsi, il se jugeait
lui-même. Car le créancier, c'est le Seigneur, et les deux débiteurs,
c'est lui-même et la femme. Cette femme a ardemment témoigné son amour
au Seigneur. Chez Simon, au contraire, bien qu'il eût invité Jésus à
sa table, ce sentiment fait complètement défaut : il n'a pas même
été poli envers lui. D'où vient à cette femme cet ardent amour ?
D'où vient qu'il est totalement absent du coeur de Simon ? Le
pardon des péchés est la source de l'amour. C'est
pourquoi je te dis que ses péchés, qui sont en grand nombre, lui
sont pardonnés ; et c'est à cause de cela qu'elle a beaucoup
aimé ; mais celui à qui on pardonne moins, aime moins.
L'amour de cette femme est le fruit, c'est-à-dire le signe, et non la
cause, du pardon qu'elle a obtenu..
Comme Jésus invite amicalement Simon, et par lui, nous
tous, à chercher auprès de lui le pardon de nos péchés, afin que nous
apprenions à beaucoup aimer ! Lors donc que
nous nous surprenons le coeur froid et vide d'amour, ce récit doit
être pour nous une preuve que nous n'avons pas éprouvé la joie du
pardon, que quelque péché non pardonné pèse encore sur notre
conscience.
Ce que cette femme avait espéré dans la foi, Jésus le lui
déclare clairement : Tes péchés te sont
pardonnés, ta foi t'a sauvée ; va-t'en en paix. Le
Seigneur a rendu Simon attentif à l'amour de la femme et à la source
de cet amour. Mais il ne faut pas qu'elle s'imagine avoir mérité le
pardon de ses péchés par son amour. Voilà pourquoi le Seigneur lui
déclare qu'elle l'a obtenu seulement par la foi. Et ainsi son âme est
délivrée et son coeur est en paix. Cependant, examinons plus en détail
la situation de cette femme. Lorsque la douleur causée par ses péchés
l'amène baignée de pleurs aux pieds de Jésus, ses larmes parlent assez
haut, mais elle n'articule pas une parole, pas une plainte.
Lorsqu'elle se voit traitée avec mépris par le pharisien, elle ne dit
pas un mot pour se justifier. Même lorsque le Seigneur la regarde avec
tendresse et lui parle de consolation et de paix, aucune expression de
joie ou de reconnaissance ne sort de sa bouche, mais son coeur est en
repos dans l'amour de Jésus. Puissions-nous, nous aussi, être en
état de dire en tout temps Quoi qu'il en soit, mon âme se repose en
Dieu qui est ma délivrance (Ps.
LXII, 2).
Jésus continue à déployer une infatigable activité à guérir les
malades, tandis que les pharisiens tiennent conseil pour le faire
mourir. Mais il leur échappe toujours, parce que son heure n'est pas
encore venue. Au surplus, il ne se laisse pas intimider. Il défend
à ceux qu'il a guéris de le faire connaître ; car il ne
recherche pas la popularité. Ésaïe
a très bien décrit son caractère lorsqu'il a dit de lui : Il
ne contestera point, il ne criera point, et on n'entendra point sa
voix dans les rues. Il ne rompra pas tout à fait le roseau
froissé, et n'éteindra pas le lumignon qui
fume encore. Ce qui importe à Jésus, ce n'est pas
d'être loué et glorifié, mais de soulager ceux qui sont travaillés et
chargés, de guérir les consciences troublées, et de consoler les
coeurs brisés. Ne dit-il pas qu'il est venu non pour juger, mais pour
sauver ? Le marteau de la loi a-t-il frappé et blessé un
coeur ? Aussitôt le Sauveur vient avec une sainte joie guérir et
consoler. Une conscience est-elle alarmée ? Lui semble-t-il en se
jugeant elle-même douloureusement, que tout est perdu, qu'elle est
sous le coup d'une condamnation sans miséricorde ? Voici le
Seigneur qui vient, se fait connaître comme le Sauveur qui délivre son
peuple de ses péchés. La source de la vie intérieure nous paraît-elle
tarie, la lumière de la foi éteinte, ou couve-t-elle tout au plus
comme une faible étincelle sous la cendre ? Ne nous décourageons
pas, regardons à Jésus ; il sait qu'une goutte d'eau est encore
de l'eau, qu'une faible étincelle est encore du feu et qu'une foi
tremblante et courbée dans la poussière est encore de la foi. Le
souffle de ses lèvres divines rallume le lumignon qui fume encore, et
lui fait jeter une joyeuse flamme.
Jésus chassa aussi un démon qui
était muet. Matthieu ajoute un détail à la parole de
Luc, en nous apprenant que ce malheureux était non seulement muet,
mais encore aveugle. Jésus le guérit, en
sorte que celui qui avait été aveugle et muet, parlait et voyait.
Le démon n'use pas de sa puissance envers tous les hommes de la même
manière. Il rend les uns muets, afin qu'ils ne puissent pas reprendre
le pécheur, ni confesser le nom de Jésus, ni faire entendre ses
louanges dans la famille, ni faire monter des prières communes au
trône de la grâce. Il rend les autres verbeux et loquaces, tellement
que leur langue est comme enflammée du feu de la géhenne (Jacq.
III, 6). Lorsque le Seigneur guérit ces malades, on peut dire
que Satan sort, et alors le muet parle, et le babillard devient
silencieux.
Ce pouvoir de Jésus sur les malins esprits, les
pharisiens ne pouvaient le nier. D'innombrables faits parlaient trop
haut. Alors, pour ne pas être obligés de reconnaître le Sauveur comme
le dépositaire de la puissance du Dieu vivant, et pouvoir cependant
expliquer les expulsions de démons qu'il opérait, ils disaient :
Cet homme ne chasse les démons que par
Béelzébul le prince des démons, comme s'il était lui-même en
relation avec ces anges de ténèbres. C'est ainsi que la haine
furieuse, que les pharisiens avaient contenue jusqu'ici, éclate
publiquement. À partir de ce moment, ils se déclarent devant tout le
peuple comme les ennemis de Jésus. Et Jésus profite de cette occasion
pour s'expliquer plus clairement sur le règne de Satan. Le diable a
sous sa domination un royaume organisé, qu'il gouverne comme prince
des ténèbres. Depuis qu'il s'est écarté de la vérité, il est, lui et
ses sujets, en lutte incessante avec Dieu et son royaume. Cette lutte
se continue à travers les siècles, et constitue la véritable trame de
l'histoire de l'humanité. Elle prendra fin avec la défaite définitive
de Satan, lorsqu'il sera plongé avec la mort et le sépulcre, dans
l'étang ardent de feu et de soufre (Apoc.
XX, 14). C'est pour cela que le Fils de Dieu est apparu. Il est
venu pour détruire les oeuvres du diable. Dès lors, quelle chose
insensée de dire que le Fils de Dieu peut aider à l'accomplissement
des oeuvres de Satan ! Le Fils de Dieu au service du
diable ! Il faudrait d'abord admettre que le diable a vaincu le
Fils de Dieu, l'a soumis à son autorité et qu'il veut détruire son
propre règne pour mieux le faire fleurir.
Le Sauveur fait justice de cette absurde calomnie
lorsqu'il dit : Tout royaume divisé
contre lui-même sera réduit en désert, et toute maison divisée
contre elle-même tombera en ruine. Si donc Satan est divisé contre
lui-même, comment son royaume subsistera-t-il ? puisque vous
dites que c'est par Béelzébul que je chasse les démons ?
Les disciples vinrent un jour à Jésus et lui dirent :
« Maître, nous avons vu un homme chasser les démons en ton nom et
nous nous y sommes opposés, parce qu'il ne nous suit pas. » Et
Jésus leur dit : « Ne vous y opposez pas, car il n'y a
personne qui fasse des miracles en mon nom, et qui puisse en même
temps parler mal de moi. Celui qui n'est pas contre nous est pour
nous. » Ceci semble être arrivé plus d'une fois. Et les
pharisiens étaient heureux de pouvoir dire que leurs disciples avaient
la même puissance que ceux de Jésus sur le royaume des ténèbres. C'est
à ces faits que le Sauveur en appelle lorsqu'il dit : Si
je chasse les démons par Béelzébul, vos fils, par qui les
chassent-ils ? C'est pourquoi ils seront vos juges.
Mais si je chasse les démons par le doigt de Dieu, il est dont,
vrai que le règne de Dieu est venu à vous. Les
pharisiens tenaient pour des oeuvres de Dieu les expulsions de démons
opérées par leurs disciples, tandis qu'ils attribuaient à Béelzébul
les mêmes actions lorsqu'elles étaient accomplies par Jésus. C'est ce
qu'on appelle résister volontairement à la vérité.
Alors le Seigneur, qui cherche aussi avec une infinie
compassion les âmes des pharisiens, se voit forcé de les avertir
sérieusement du danger auquel ils sont exposés. C'était le but de ces
paroles : Quand un homme fort et bien
armé garde l'entrée de sa maison, tout ce qu'il a est en sûreté.
La maison, la résidence du diable, c'est le monde d'après cette parole
de St-Jean : Nous savons que tout le monde est plongé dans le mal
(I Jean V, 19).
Cependant, celte résidence est plus particulièrement le coeur du
pécheur, aussi longtemps qu'il ne s'est pas donné au Seigneur Jésus
par la foi et par un amour plein de reconnaissance. L'homme fort et
bien armé a un grand intérêt à ce que sa maison soit en repos. Car
alors, sa domination n'est pas menacée. C'est pourquoi le diable
veille avec le plus grand soin à ce que le coeur du pécheur ne fasse
aucune réflexion sérieuse sur la sainte loi de Dieu, et repousse
continuellement la pensée de l'éternité. Il maintient cet état de
sécurité des coeurs, afin qu'ils soient toujours satisfaits
d'eux-mêmes, et ne reconnaissent que quelques fautes ou quelques
faiblesses, mais jamais des péchés qui puissent attirer la colère de
Dieu. Dès lors, il n'y a ni inquiétudes ni soucis relativement au
salut, ni recherches , ni méditation de la Parole de Dieu, ni
aspiration à la grâce et au pardon des péchés.
Une telle paix est la paix du cimetière, la mort dans le
péché, qui ne peut être détruite que par Celui qui est plus fort que
l'homme fort. Cela arrive lorsque l'amour de Jésus passe de la croix
dans un coeur, l'arrache à son sommeil et lui fait connaître son état.
L'homme de douleur exerce sa puissance par le bras de son amour, qui
est plus fort que le pouvoir de celui qui est à la fois le tentateur
et l'accusateur. Mais s'il en vient un plus
fort que lui, qui vainque, il lui ôte toutes les armes auxquelles
il se confiait, et partage ses dépouilles. Ces armes
sont les péchés non confessés et non pardonnés. Le
Sauveur ôte à Satan ses armes, en pardonnant les péchés. Il affranchit
ainsi l'âme asservie et la place dans la lumière du royaume de Dieu.
Telle est l'oeuvre du Sauveur dans les possédés et les autres
pécheurs.
Hors de Jésus, il ne peut pas plus être question de
fonder le royaume de Dieu ou de recueillir les âmes pour lui, que de
détruire le royaume de Satan. « Celui qui n'est pas avec moi est
contre moi ; celui qui n'assemble pas avec moi dissipe. »
Vis-à-vis de Jésus, on ne peut rester neutre. Il est mis, pour être
aux uns une occasion de chute et aux autres une occasion de
relèvement. Dans son royaume, il n'y a de place ni pour l'indifférence
ni pour l'indécision. Quiconque ne se donne pas à lui, montre par cela
même son inimitié. Les pharisiens croyaient, à la vérité, servir Dieu
et fonder son royaume sans Jésus ; mais le Sauveur leur déclare
de la manière la plus sérieuse que leur prétendue piété n'apporte
aucune bénédiction, mais ne fait au contraire que les séparer et les
éloigner de Dieu pour l'éternité. La maxime qui reconnaît le juste
milieu, peut avoir sa valeur dans les choses de la terre ; mais
dans celles de la foi, elle est désastreuse. En présence du règne de
Dieu, il faut se décider : Christ ou Satan, l'amour ou
l'inimitié, le ciel ou l'enfer, la vie ou la mort, la lumière ou les
ténèbres, le salut ou la condamnation !
En rapportant le même discours, saint Matthieu reproduit
cette parole de Jésus touchant le péché contre le Saint-Esprit, dont
il exhorte les pharisiens à se garder : C'est
pourquoi je vous dis que tout péché et tout blasphème sera
pardonné aux hommes; mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne
leur sera point pardonné. Et si quelqu'un a parlé contre le Fils
de l'homme, il pourra lui être pardonné ; mais celui qui aura
parlé contre le Saint-Esprit, n'en obtiendra le pardon ni dans ce
siècle ni dans celui qui est à venir. Le péché contre
le Saint-Esprit ne consiste pas dans un certain acte ou dans une
certaine parole, mais dans la résistance intérieure à l'action qu'il
doit exercer. C'est le péché des incrédules, qui, comme Caïphe,
ferment leur coeur à la foi en Jésus, et qui résistent obstinément à
l'impulsion du Saint-Esprit. Mais c'est aussi le péché de ceux qui ont
goûté et connu combien le Seigneur est bon, qui
ont été remplis des puissances du siècle à venir, mais qui ont cessé
de veiller et de prier, et dans lesquels le péché a ressaisi son
pouvoir comme dans Judas ; de ceux qui, au mépris de leur
expérience intime, repoussent le Seigneur Jésus volontairement et en
pleine connaissance de cause, et refoulent les gracieux attraits de
l'Esprit de Dieu.
D'après cette explication, on peut comprendre que tout
péché, même le blasphème contre Dieu puisse être pardonné, mais que le
péché contre le Saint-Esprit soit irrémissible. On a voulu voir dans
cette déclaration de Jésus, contrairement aux données de l'Écriture,
une suprématie du Saint-Esprit sur le Père et sur le Fils. Elle ne
renferme absolument rien de pareil. Si quelqu'un prononçait une parole
blasphématoire contre la personne du Saint-Esprit, elle pourrait lui
être, pardonnée tout aussi bien qu'un blasphème contre la personne du
Père ou contre celle du Fils, si le blasphémateur se convertissait à
Jésus. Si donc le blasphème contre le Saint-Esprit ne peut être
pardonné, ce n'est pas que cet Agent divin soit plus excellent que le
Père et le Fils, mais parce que l'oeuvre du Saint-Esprit est d'une
telle nature, qu'elle met nécessairement l'âme en demeure de se
décider définitivement, soit pour la vie, soit pour la mort.
La révélation du Père et du Fils témoigne sans doute de
l'insondable amour de Dieu pour les pécheurs ; mais, sans le
Saint-Esprit, elle demeure hors de nous, tandis que le
Saint-Esprit glorifie Jésus en nous, en ce que d'un côté, il
nous montre nos péchés dans toute leur effrayante gravité, et de
l'autre, nous donne l'assurance qu'ils sont pardonnés par la mort
sanglante et la résurrection de Christ. Ce n'est pas là une
connaissance qui nous vienne du dehors ; c'est une expérience que
nous faisons nous-mêmes dans les plus intimes profondeurs de notre
être moral. Sans la repentance et sans la foi au Sauveur, il n'y a
point de rémission de péché : c'est ce que proclame toute
l'Écriture. Mais lorsqu'un coeur s'attache à Jésus, c'est là l'oeuvre
du Saint-Esprit. Si donc quelqu'un résiste à son action, il s'exclut
lui-même du bénéfice du pardon, pour cette vie, et pour l'éternité.
Cependant, chaque résistance à l'action de l'Esprit ne constitue pas
le péché dont Jésus parle ici. Si le coeur est
attiré et alléché par la convoitise et succombe à la tentation, cela
ne peut sans doute avoir lieu sans une résistance aux sollicitations
de l'Esprit. Cependant, ce coeur n'a fait encore que contrister
l'Esprit. Ce n'est pas encore le péché contre le Saint-Esprit. Ceci
est une consolation pour ceux qui croient avoir commis ce péché.
Là où il y a encore une trace de tristesse selon Dieu, et
un sincère désir d'aller au Sauveur, la porte du coeur n'est pas
encore fermée au Saint-Esprit. Toutefois que chacun se garde de
l'attrister à la légère ! Car chaque désobéissance, chaque acte
de résistance à ses impulsions, éloigne du Sauveur et est un pas de
plus dans la voie qui, par l'endurcissement et l'incrédulité, sépare
l'âme de Dieu pour l'éternité.
La sévère parole de Jésus avait pénétré comme une épée à
deux tranchants dans le coeur des pharisiens. Ils étaient là confus
devant celui qui sonde les coeurs, d'autant plus que le peuple avait
tout entendu. Afin d'affaiblir les paroles du Seigneur et d'inspirer
des doutes sur le droit qu'il s'arrogeait de prononcer contre eux une
pareille sentence de condamnation, ils lui demandent de justifier ce
droit par quelque prodige. Alors
quelques-uns des scribes et des pharisiens lui dirent :
Maître, nous voudrions te voir faire quelque miracle,
comme s'ils ne venaient pas d'être témoins du miracle accompli sur le
possédé ! ou comme si ce miracle était le premier que Jésus eût
fait ! Que ne demandaient-ils un miracle pour fortifier leur
foi ! Alors Jésus n'eût certainement pas manqué de le faire. Mais
le désir qu'ils manifestent, n'est que l'expression de leur
incrédulité. Aussi le Seigneur les appelle-t-il une race méchante
et adultère parce que, par leur incrédulité, ils ont rompu le
lien qui les rattachait au Dieu vivant, et il les renvoie au miracle
du prophète Jonas. Car comme Jonas fut dans
le ventre d'un grand poisson trois jours et trois nuits, de même
le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et
trois nuits. Les trois jours sont mentionnés pour
désigner l'événement qui s'accomplit dans trois jours, savoir le
séjour de Jésus dans le tombeau. Sa résurrection est le plus éclatant
de tous les miracles, une confirmation de tous les autres, et le sceau
de la mission qu'il a remplie de la part de Dieu. Sans doute,
les miracles ne produisent pas toujours la foi ; mais ils
montrent à ceux qui ont déjà cru oui qui sont disposés à croire, que
leur foi repose sur un bon fondement. Quant aux incrédules, lorsqu'ils
verront ce à quoi ils ont refusé de croire, le signe du Fils de
l'homme sera pour eux le signe de la condamnation. En attendant, le
Ressuscité n'apparaîtra pas à tout le peuple, mais la résurrection
sera annoncée à tous les hommes, afin que tous puissent parvenir à la
foi.
Les Ninivites s'élèveront au
jour du jugement contre cette nation et la condamneront, parce
qu'ils s'amendèrent à la prédication de Jonas, et il y a ici plus
que Jonas. La reine du Midi s'élèvera au jour du jugement contre
celle nation et la condamnera, parce qu'elle vint d'un pays
éloigné pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus
que Salomon. Chaque âme convertie est pour l'âme
inconvertie un exemple qui la juge et la condamne. Beaucoup de
chrétiens seront un jour confondus et condamnés par des païens
convertis. Lorsqu'un esprit impur est sorti
d'un homme, il va par des lieux déserts, cherchant du repos et il
n'en trouve point. Alors il dit : Je retournerai dans ma
maison d'où je suis sorti, et étant revenu, il la trouve vide et
ornée. Alors il s'en va et prend avec lui sept autres esprits plus
méchants que lui, lesquels y étant entrés, habitent là, et la
dernière condition de cet homme est pire que la première : il
en arrivera ainsi à cette méchante race. Une rechute
est tout ce qu'il y a de plus funeste. Les pires ennemis de la croix
de Christ et du règne de Dieu, sont toujours ceux qui ont été une fois
arrachés à la puissance des ténèbres, qui s'étaient donnés au Seigneur
Jésus dans la foi, et qui sont retombés. Alors on ne retourne pas
seulement à l'indifférence où l'on était précédemment, mais on tombe
dans un état beaucoup pire. On est rempli d'une haine mortelle et
d'une fureur persécutrice contre le Sauveur et contre tous ceux qui
croient en son nom. Seigneur, ne nous induis pas en tentation !
Et comme Jésus parlait encore au
peuple, sa mère et ses frères qui étaient dehors, demandèrent à
lui parler. Et quelqu'un lui dit : Voilà, ta mère et tes
frères sont là dehors et demandent à te parler. Les
frères de Jésus ne croyaient pas en lui. Ils ne reconnaissaient pas en
lui le Fils unique de Dieu. Toutefois, l'amour pour lui, comme
membre de la même famille, leur inspirait des inquiétudes à son sujet.
Ils craignaient qu'il ne se fatiguât trop. C'est pourquoi ils
viennent, accompagnés de Marie, l'engager à se ménager.
Nous trouvons ici pour la première fois les frères de
Jésus. L'Église romaine n'admet pas que le Seigneur ait eu des frères
consanguins. Elle enseigne que ceux qui sont mentionnés dans
l'Écriture comme frères de Jésus, n'étaient que ses cousins. Cette
doctrine a pour but d'exalter la gloire de Marie et d'établir sa
virginité. Cette Église croit qu'il ne convenait pas à la mère du
Sauveur de s'être mariée après la naissance de Jésus et d'avoir vécu
avec un homme. D'après elle, Marie est réellement restée vierge. Mais
ceci ne s'accorde pas avec la Sainte-Écriture. Les évangélistes
nomment l'enfant Jésus nouvellement né le premier-né de Marie
(Luc II, 7).
Il résulte de cette expression que les évangélistes ont connu d'autres
enfants de Marie. Autrement ils l'auraient appelé son fils unique
ou tout simplement son fils. L'expression son premier-né
indique évidemment qu'elle eut d'autres enfants. De plus, saint
Matthieu dit que Joseph ne connut point sa femme jusqu'à ce qu'elle
eut enfanté son fils premier-né (Matth.
I, 25). Cette expression : jusqu'à ce que n'aurait
pas de sens, si Joseph n'eût pas connu sa femme, après la naissance de
ce fils. Au surplus, soutenir que le célibat est un état plus
excellent devant Dieu que la vie conjugale, c'est se mettre en
contradiction avec l'Écriture sainte. Saint Paul appelle la doctrine
de ceux qui défendent de se marier, une doctrine des démons (1
Tim. IV, 1. 2).
Mais Jésus répondit à celui qui
lui avait dit cela : Qui est ma mère et qui sont mes
frères ? Et étendant sa main vers ses disciples, il
dit : Voici ma mère et mes frères. Car quiconque fait la
volonté de mon Père qui est aux cieux, c'est celui-là qui est mon
frère, ma soeur et ma mère. Le Sauveur avait un ardent
amour et un profond respect pour sa mère. Il l'a maintes fois prouvé,
et encore en dernier lieu, lorsque, sur la croix, il lui donne un
soutien dans la personne de son disciple bien-aimé. Mais, dans les
travaux de sa vocation, il ne se laisse déranger ni par sa mère ni par
ses frères. Car il faut qu'il soit occupé aux affaires de son Père. Ce
ne sont pas ses parents terrestres qui sont le plus près de son coeur
de Sauveur. Ce sont ceux qui font la volonté de
son Père céleste en se donnant à lui dans la foi (Jean
VI, 40). Ainsi Jésus veut se tenir près de nous comme un enfant
près de sa mère, comme un frère près de son frère ! Oh !
quelle précieuse consolation ! Mon ami est à moi !
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