Jean, ayant ouï parler dans sa prison de ce
que Jésus-Christ faisait, il envoya deux de ses disciples pour lui
dire : Es-tu celui qui devait venir ou devons-nous en
attendre un autre ? L'homme de Dieu, enfermé dans
la forteresse de Machaerus, est assailli par le doute. De là sa
question. Des chrétiens profondément sérieux et croyants ont regardé
comme impossible que Jean-Baptiste ait fait cette question pour
lui-même. Ne lui avait-il pas été donné de jeter un regard profond
dans les mystères de Dieu et dans ses admirables voies pour le salut
des pécheurs, et de reconnaître Jésus comme l'Agneau de Dieu qui ôte
le péché du monde ? N'avait-il pas eu l'insigne honneur, sur les
bords du Jourdain, d'entendre la voix du ciel qui disait : C'est
ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection ?
N'avait-il pas vu le Saint-Esprit descendre sur ce Fils sous la forme
d'une colombe ? On a conclu de là que Jean n'avait pas été envoyé
vers Jésus pour lui-même, mais à cause de ses disciples, qui ne
croyaient pas encore en Jésus, afin de leur fournir l'occasion
d'entendre de la bouche même du Sauveur, le témoignage qu'il se
rendait de lui-même.
Mais il n'y a pas dans ce récit le moindre indice que la
demande doive être ainsi comprise. D'ailleurs, une pareille conduite
de la part du Baptiste ne répondrait pas à l'idée que nous nous
faisons de sa sincérité. Et si même telle avait été réellement son
intention, Jésus n'aurait pas pu entrer dans ce pieux mensonge. Au
surplus, les doutes ne sont pas dans le coeur de
Jean-Baptiste, mais seulement dans son esprit, dans ses pensées. Il
n'est pas devenu ce qu'on pourrait appeler incrédule ; sa foi
était seulement voilée. Ceci peut arriver aux enfants de Dieu. Moïse,
Ésaïe, Jérémie ont aussi traversé de sombres heures, et en ont été
vainqueurs par la foi. Il ne faut pas estimer heureux l'homme qui n'a
pas eu ces tentations ; mais ceux qui les ont surmontées. La foi
n'est pas un bien dans la possession duquel nous puissions nous
reposer paresseusement. Elle n'est pas quelque chose de parfait et de
clos une fois pour toutes, mais elle doit constamment croître et se
développer. Elle ne marche pas toujours sur des hauteurs
lumineuses ; les sentiers ténébreux de la sombre vallée ne lui
sont pas épargnés.
Et combien facilement les tentations et les doutes ne
devaient-ils pas assaillir l'esprit de Jean ! Il était angoissé
par les énigmes de la Parole de Dieu, dont il ne pouvait trouver le
mot. Ce qui lui rongeait le coeur, c'était la faiblesse de sa foi et
non l'incrédulité. L'incrédulité ne demande rien ; elle n'a aucun
doute sur le point de savoir si Jésus est celui qui devait venir. Elle
prétend fermement qu'il n'est pas celui-là, ou plutôt elle nie qu'un
Messie ou un Sauveur doive venir. L'incrédulité n'aurait en aucun cas
adressé une question au Seigneur Jésus. Le fait que Jean la lui fait,
prouve clairement que son coeur n'est pas dans l'erreur à son
sujet ; au contraire, il attend de Lui du secours contre les
tentations.
Jean avait évidemment reçu dans son cachot de fréquentes
visites de ses disciples, et ils lui avaient raconté les progrès de ce
royaume des cieux, qu'il avait lui-même annoncé. Il ne se nourrissait
pas d'espérances messianiques mondaines, au sujet d'un règne
terrestre, qui aurait commencé par l'expulsion des Romains, et aurait
été couronné par l'établissement d'un puissant royaume de ce monde.
Ces espérances étaient celles des pharisiens et des masses populaires.
Jean n'a pas annoncé d'autre royaume des cieux que celui qui commence
par la repentance et s'établit par le pardon des péchés. Mais il
espérait que Jésus se ferait franchement connaître, comme le Messie,
qu'il rassemblerait les croyants autour de lui, exclurait les
incrédules et les moqueurs, et exercerait le jugement contre eux.
Or, il n'entendait rien dire de pareil. Jésus va, vient,
prêche, guérit les malades, console les affligés,
restaure les coeurs brisés. Jean attend vainement une déclaration
publique en présence du peuple, une réunion de tous les croyants, une
manifestation de Jésus comme Roi et comme juge, tellement que tous
soient mis en demeure de se prononcer pour on contre lui. Cette
manière de Jésus, d'exercer sa puissance en secret, confondait toutes
les idées du Baptiste. Il ne pouvait comprendre que le royaume des
cieux dût commencer comme le grain de moutarde et se développer, peu à
peu, en procédant de l'intérieur à l'extérieur, ou comme le levain,
pour pénétrer graduellement et sanctifier tous les détails de la vie
humaine. De là sa question. Elle signifie en réalité : Je crois
Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité.
Jésus répondant leur dit :
Allez et rapportez à Jean ce que vous entendez et ce que vous
voyez : les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent,
les lépreux sont nettoyés, les sourds entendent, les morts
ressuscitent et l'Évangile est annoncé aux pauvres. Le
royaume des cieux ne se fonde pas par une nouvelle doctrine, mais par
des actes divins que la doctrine doit expliquer. Voilà pourquoi Jésus
renvoie les disciples de Jean à ce qu'ils ont entendu et vu. Jean, qui
avait sondé les Écritures, connaissait certainement la description que
fait le prophète Ésaïe de celui qui devait venir (Ésaïe
XXXV, 5-6 ). Les disciples de Jean peuvent voir de leurs
yeux et entendre de leurs oreilles l'accomplissement littéral de
toutes ces prophéties. Cela doit fortifier leur maître. Le Sauveur ne
veut pas forcer la foi du martyr assailli de tentations. C'est
pourquoi il ne répond pas : Oui, certainement, je suis le
Messie ; mais ses actes doivent parler pour lui. Ils sont de
nature à soutenir la foi de Jean-Baptiste, et à rassurer complètement
son coeur découragé. Et le Seigneur ne parle pas de ses actes comme de
simples prodiges ou comme des miracles dépourvus de toute vertu
consolante ; il les représente comme de véritables oeuvres
messianiques lorsqu'il ajoute : Et
l'Évangile est annoncé aux pauvres. L'heureux temps de
la grâce est arrivé, où le joyeux message du pardon des péchés est
proclamé, où les coeurs brisés seront guéris, les humbles
encouragés ; ceux qui sont fatigués et chargés seront restaurés
et trouveront le repos de leurs âmes. Il ne fallait donc pas laisser
les guérisons de malades inaperçues, mais les
regarder comme des sujets de consolations, puisqu'elles montraient que
l'amour secourable de Jésus avait avant tout pour but le salut des
âmes, et qu'ainsi il était bien le Messie promis, qui devait délivrer
son peuple de tous leurs péchés.
Jean ne s'était pas trompé, mais il était assailli de
tentations. C'est pourquoi il avait besoin de cette parole : Heureux
celui qui ne se scandalisera pas de moi ! Cette
parole était de nature à avertir Jean et à l'encourager. Quel besoin
n'avons-nous pas aussi nous-mêmes de cet avertissement ! Plus
nous apprécions la personne et le règne de Jésus, plus nous sommes
tentés de nous scandaliser quand nous voyons combien cette personne et
ce règne sont méprisés, même par la plupart de ceux qui sont baptisés
dans sa mort et appelés de son nom. Sa parole est annoncée et nous
reconnaissons avec actions de grâces que, pour beaucoup d'âmes, elle
ne demeure pas sans effet. Mais cela ne nous suffit pas ; nous
voudrions, comme Jean, voir et entendre de plus grandes choses.
L'Église de Christ avance dans l'humilité ; nous aimerions tant
voir les croyants réunis, une oeuvre opérée en grand, la conversion du
peuple en masse ! Nous nous plaignons que le Seigneur a détourné
sa face de son peuple. Et sous l'empire de ces préoccupations, nous ne
voyons pas comment il établit cependant son règne, comment il peuple
son ciel. Inclinons-nous donc devant cette douce parole : Heureux
celui qui ne se scandalisera pas de moi !
Comme ils s'en allaient, Jésus
se mit à parler de Jean au peuple. Ce peuple inconstant
avait entendu le message du Baptiste. Et afin qu'on ne le méprisât pas
à cause de ses afflictions, le Seigneur le prend sous sa protection.
Il leur dit : Qui êtes-vous allés voir
au désert ? était-ce un roseau agité du vent ?
Jean n'était pas une âme vacillante, ni un homme capricieux, semblable
à une girouette. Mais encore qu'êtes-vous
allés voir ? était-ce un homme vêtu d'habits précieux ?
Voilà, ceux qui portent des habits précieux sont dans les maisons
des rois. Jean n'était pas un courtisan efféminé. S'il
avait voulu vivre dans le plaisir et jouir de la vie, il ne languirait
pas entre les murs d'un cachot. Il aurait fait l'hypocrite ; il
aurait été flatté par Hérode, mais il n'aurait pas été le sérieux
prédicateur de la repentance. - Êtes-vous allés
voir un prophète ? Oui, vous dis-je, un
prophète. Car c'est de lui qu'il est dit : Voici, j'envoie
mon ange devant ta face, qui préparera ton chemin devant toi.
Non un prophète qui prédit les choses à venir, mais un ange qui
prépare le chemin, un messager, un témoin des événements actuels. Je
vous dis en vérité que parmi ceux qui sont nés de femme, il n'en a
été suscité aucun plus grand que Jean-Baptiste. Malgré
la tentation à laquelle Jean était en proie, Jésus le confirme dans
toute sa dignité et sa gloire. Aucun homme n'a jamais eu une vocation
aussi élevée et aussi honorable que Jean, puisque cette vocation
consistait à montrer du doigt Jésus comme l'Agneau de Dieu qui ôte le
péché du monde. Mais cette grandeur de Jean réside seulement dans la
charge qui lui était confiée d'être le serviteur du Sauveur et
d'annoncer son règne. C'est pourquoi celui
qui est le plus petit dans le royaume des cieux, est plus grand
que lui. Quiconque a reçu Jésus par la foi, est membre
de ce royaume. Tous ceux qui l'ont reçu, il
leur a été donné le droit d'être faits enfants de Dieu, savoir à
ceux qui croient en son nom (Jean
I, 12). Ce n'est pas à cause de quelque mérite personnel, mais
parce qu'ils croient et sont unis au Fils de Dieu, que les moindres
membres de la Nouvelle Alliance sont au-dessus du plus glorieux témoin
de l'Ancienne Alliance.
Mais depuis le temps de Jean, le
royaume des cieux est forcé et les violents le ravissent.
Le temps où l'appel à la repentance a été adressé au peuple par Jean,
porte cette empreinte : Le royaume des cieux est forcé. Comme cet
homme qui lutta jusqu'à l'aurore avec Jacob au gué de Jabok, fut
vaincu par ses prières et par ses larmes (Osée
XII, 5), et lui confessa que, lui Jacob, avait été le plus fort
en luttant avec Dieu et avec les hommes (Gen.
XXXII, 28), et comme le Sauveur se laissa vaincre si volontiers
par la femme cananéenne, de même le royaume des cieux, dans la
personne de son Roi, s'est de tout temps laissé vaincre avec une
sainte joie par les âmes humbles, mais sérieusement attachées au
Sauveur par la foi. Cette violence consiste à s'emparer de ce royaume.
Lorsque des consciences endormies s'éveillent, alors les coeurs
altérés, pressés par le sentiment de leurs péchés, s'avancent
violemment, comme le cerf, vers les eaux courantes, et étanchent leur
soif. Il ne nous sera pas fait de violence pour
nous forcer à pénétrer dans le royaume des cieux contre le désir de
nos coeurs ; mais, d'un autre côté, le salut ne nous sera pas
donné sans que nos coeurs soupirent ardemment après lui. Le royaume
des cieux n'est pas accordé aux coeurs tièdes, endormis, paresseux,
mais à ceux qui suivent ces exhortations : Tendez à la perfection
(Héb.
XI, 40) ; efforcez-vous d'entrer (Luc
XIII, 24) ; travaillez à votre salut avec crainte et
tremblement (Philip.
II, 12).
Si Jésus n'avait regardé qu'à ce qui frappe les yeux, son coeur eût
été rempli de joie et d'espérance. Car le peuple venait à lui et le
suivait en foule pour entendre la Parole de Dieu, et proclamait avec
enthousiasme les miracles opérés par son miséricordieux amour,
miracles dans lesquels il reconnaissait une gracieuse intervention du
Dieu vivant. Son activité produisait un immense et puissant mouvement.
En effet, ce n'était pas seulement de la Galilée qu'on se pressait
autour de lui, mais aussi de la Décapole, des contrées au delà du
Jourdain, de la Judée et de Jérusalem. Même au delà des frontières de
son pays, son nom était connu et ses actions admirées. Mais le
Sauveur, qui savait ce qui est dans l'homme, et qui les connaissait
tous, ne se laissait pas éblouir par cet empressement et ces louanges.
Il savait que le coeur du peuple était rempli d'espérances
messianiques terrestres, et attendait la restauration du royaume de
David. Plus Jésus déployait sa puissance divine, plus le peuple se
réjouissait, car il espérait que chaque nouvelle manifestation de la
gloire du Seigneur était un nouveau pas en avant vers la réalisation
de ses espérances grossières.
Les Juifs croyaient être en possession de la faveur de
Dieu sans le secours de Jésus. Ainsi ils se réjouissaient des
guérisons, des résurrections, des expulsions des mauvais esprits. accomplies
par le miséricordieux amour de Jésus, et ils louaient tous ses
bienfaits avec enthousiasme ; mais ils ne reconnaissaient pas
dans ces signes l'apparition de l'année de la bienveillance de
l'Éternel. Ils voulaient se laisser guérir par le merveilleux
médecin ; mais le Sauveur, le libérateur des âmes, ils
l'évitaient avec soin. Plus Jésus se révélait clairement lui-même, en
montrant toujours plus distinctement que le salut de l'âme, la vie et
la félicité dépendaient du rapport dans lequel on se trouvait avec sa
personne, plus ils se sentaient trompés dans leurs espérances, et plus
ils ouvraient leurs coeurs aux instigations et aux accusations des
pharisiens.
Il faut que nous nous représentions bien cette situation
si nous voulons comprendre les douloureuses plaintes du Sauveur sur
l'incrédulité du peuple. Mais à qui
comparerai-je celle génération ? Elle ressemble à ces petits
enfants qui sont dans les places publiques, et qui crient à leurs
compagnons et leur disent : Nous avons joué de la flûte et
vous n'avez point dansé ; nous avons chanté des plaintes
devant vous et vous n'avez point pleuré. Car Jean est venu, ne
mangent ni ne buvant, et ils disent : Il a un démon. Le Fils
de l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà
un mangeur et un buveur, un ami des péagers et des gens de
mauvaise vie. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants.
Dieu a essayé de tous les moyens pour toucher le coeur de ce peuple
tant favorisé ; mais ils sont comme ces enfants entêtés et
maussades, qui ne sont jamais contents du jeu qu'on leur propose,
qu'il soit gai ou sérieux, et qui ne prennent pas plus de plaisir en
représentant une noce qu'un enterrement.
Jean demeure isolé dans le désert ; il mène une vie
de privations, et ils lui reprochent d'être un obscurantin, un bigot,
et finalement ils le traitent de possédé. Jésus vient ; il se
montre affable, bienveillant ; il mange, boit, se réjouit avec
ceux qui se réjouissent, et ils le blâment également parce qu'à leurs
yeux il s'avilit en recevant les péagers et les gens de mauvaise vie.
Jean leur paraissait trop sérieux, et Jésus l'était trop
peu. Selon eux, Jean se séparait trop complètement du monde ;
s'il s'était mêlé davantage au peuple, il aurait pu gagner les coeurs.
Jésus fréquentait le peuple ; il partageait ses joies et ses
peines ; et l'on disait qu'il manquait de
dignité. Absolument comme aujourd'hui où les chrétiens commodes
trouvent qu'en été il fait trop chaud et en hiver trop froid pour se
rendre à l'église, et qui ont toujours un motif pour excuser leur
indifférence. Mais ces âmes paresseuses seront jugées comme ayant
émoussé la pointe de la Parole de Dieu.
On donne à entendre que si Jésus avait su trouver la note
juste, sa Parole aurait été acceptée. S'il avait su entrer dans les
voeux et les espérances du peuple, les choses auraient pris une tout
autre tournure. - Ce qui arriva alors au Seigneur, arrive aujourd'hui
à ses serviteurs. Mais lui, juge autrement. Il donne une autre raison
de son insuccès : Celui qui est de Dieu écoute les paroles de
Dieu. C'est pourquoi vous ne les écoutez pas, parce que vous n'êtes
pas de Dieu (Jean
VIII, 47). Mais la sagesse divine, incarnée en Christ, n'a pas
seulement des juges et des censeurs, qui veulent la dominer ;
elle a aussi des enfants qui sont nés d'elle et qui écoutent
attentivement sa Parole, et suivent docilement ses directions. Mais
la sagesse a été justifiée par ses enfants. Du moment
que la sagesse divine est arrivée à ses fins dans ses enfants humbles
et croyants, et les a conduits au but désiré, elle est justifiée dans
son action.
Alors il se mit à faire des
reproches aux villes où il avait fait plusieurs miracles, de ce
qu'elles ne s'étaient point amendées. Malheur à loi Corazim !
Malheur à toi Bethsaïda ! car si les miracles qui ont été
faits au milieu de vous avaient été faits à Tyr et à Sidon, il y a
longtemps qu'elles se seraient repenties en prenant le sac et la
cendre. C'est pourquoi je vous dis que Tyr et Sidon seront
traitées moins rigoureusement au jour du jugement que vous. Et toi
Capernaüm, tu as été élevée jusqu'au ciel ; tu seras abaissée
jusqu'en enfer ; car si les miracles qui ont été faits au
milieu de toi avaient été faits à Sodome, elle subsisterait encore
aujourd'hui. C'est pourquoi je te dis que ceux de Sodome seront
traités moins rigoureusement au jour du jugement que toi.
La repentance, l'amendement, tel était le but de tous les miracles de
Jésus. Les villes païennes de Tyr, de Sidon, de Sodome se seraient
amendées, si elles avaient été témoins des actes accomplis par lui,
tandis que les villes de la Galilée, où il avait déployé tant d'amour
pour sauver les âmes, étaient restées insensibles.
Leur incrédulité était pour lui le sujet d'une poignante douleur.
C'est ce même amour, qui pleurait plus tard sur Jérusalem, laquelle
n'avait pas connu les choses qui appartenaient à sa paix. Les coeurs
semblent avoir été endurcis par l'habitude d'entendre la vérité divine
que leurs pères leur avaient transmise. Ces miracles de l'amour de
Dieu, qui étonnaient les païens, les Juifs les regardaient comme des
faveurs toutes naturelles, et qui leur étaient dues. Quant à être
conviés à la repentance par la bonté de Dieu, cette pensée leur était
parfaitement étrangère. Ils étaient convaincus - non seulement qu'ils
vivaient honnêtement devant les hommes, - mais encore qu'ils
observaient toutes les prescriptions de la loi de Dieu. Mais il sera
beaucoup redemandé à qui il aura été beaucoup donné. Plus la grâce est
grande, plus sera sévère la punition de l'ingratitude.
En ce temps-là, Jésus prenant la
parole, dit : Je le loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la
terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux
intelligents et de ce que tu les as révélées aux enfants.
Dans cette prière, Jésus répand joyeusement son coeur devant son Père,
ce qu'il dit de nouveau plus tard, lors du retour des septante
disciples. Au sein de l'amère douleur que lui cause l'endurcissement
des villes de la Galilée, il cherche et trouve une consolation et une
joie pleine de louanges dans la sainte volonté du Père, qui a caché
aux uns la grâce et la vérité du royaume des cieux, le salut et celui
qui l'apporte, tandis qu'il a révélé toutes ces choses aux autres.
Jésus loue le Père, pour l'un et pour l'autre : pour
avoir caché aussi bien que pour avoir révélé. Dieu cache le salut aux
sages, non arbitrairement, mais en vertu d'un juste jugement. Ils
refusent de suivre la voie de la félicité qu'il leur indique ;
ils prétendent en connaître une meilleure. Du moment qu'ils se
retirent eux-mêmes du salut, il est juste que ce salut leur soit
retiré. Ils ne veulent pas exposer devant Dieu le fond de leur
coeur ; ils haïssent la lumière et ne viennent point à la
lumière, de peur que leurs oeuvres ne soient reprises (Jean
III, 20). Ils se cachent devant Dieu, il est juste que Dieu leur
cache aussi sa sainteté, sa vérité, son salut. Ce qu'ils ont voulu
dans leur incrédulité, c'est ce qu'ils obtiendront en vertu du
jugement de Dieu. Dieu ne peut se révéler à nous
que dans la mesure où nous nous révélons à lui et venons à sa lumière.
L'orgueilleux sentiment de dignité, qui fait dire à l'homme :
« Je dois savoir moi-même ce qui est bien et ce qui est
mal », voilà la science et la sagesse auxquelles le mystère de
piété est caché, en vertu de la juste volonté de Dieu.
Jean nous dit aussi que le Sauveur appelait cette sagesse
« amour des ténèbres, haine de la lumière » (Jean
III, 19-20). C'est aux petits enfants, aux pauvres en esprit que
Dieu se révèle. Ce sont les humbles, les âmes altérées de salut,
simples et naïves, dépouillées de toute prétention à une fausse
indépendance, et de toute orgueilleuse confiance dans leur force, et
leur dignités, pressées de se réfugier vers le Sauveur comme les
poussins sous les ailes de leur mère, ce sont ceux-là seulement qui se
trouvent heureux sous la tutelle divine. Oui, mon Père, cela, est
ainsi parce que tu l'as trouvé bon. Cette sainte volonté du bon,
plaisir divin, à laquelle Jésus dit : « Oui, et amen »,
le console de toutes les douleurs que lui causent l'endurcissement et
l'incrédulité du peuple.
Toutes choses m'ont été données
par mon Père, et nul ne connaît le Fils que le Père, et nul ne
connaît le Père que le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le
faire connaître. Le Père se révèle à ses petits enfants par le
Fils, auquel il a donné toutes choses. Toutes
choses : la terre, le ciel, l'enfer, les hommes, les anges, les
démons, le temps et l'éternité, la puissance de ressusciter les morts
et le jugement, l'honneur et la gloire célestes, la félicité et la
condamnation, la vie et la mort, la grâce et la vérité, la paix et la
joie, le triomphe sur le monde et la victoire sur la tentation,
l'amour de Dieu et la vie éternelle. Le Père a tout donné au Fils, qui
a paru sur la terre sous la forme de serviteur. On dit, et avec
raison, que Jean, le disciple que Jésus aimait, a vu d'une manière
particulièrement claire sa gloire divine cachée sous son humilité
humaine, et l'a mise en relief dans son Évangile et dans ses Épîtres.
Toutefois, il ne faut pas méconnaître que dans notre passage, Matthieu
et Luc ont vu Jésus avec les yeux de Jean, et nous permettent de jeter
un regard dans sa gloire divine.
Mais que personne ne connaisse le Fils que le Père et
celui auquel le Père aura voulu le faire connaître, c'est ce qui se
voit aujourd'hui comme alors. Les sages de ce
monde ne savent ce qu'ils doivent faire de Jésus. Le Père le leur a
caché. C'est que cette connaissance n'est autre chose qu'une profonde
expérience intime. On ne connaît un fruit que lorsqu'on l'a
goûté ; on ne connaît la flamme que lorsqu'on en a été brûlé.
Toute vraie connaissance provient de l'union dans l'amour, lorsque les
âmes et les esprits se sont rencontrés et pénétrés. On peut connaître
la puissance de Dieu dans ses oeuvres, et sa providence dans le
gouvernement du monde ; mais le connaître lui-même, avec son
coeur paternel, c'est à quoi l'on ne parvient que par Jésus-Christ son
Fils. Quiconque n'a pas jeté un regard dans le coeur de Dieu, en se
plaçant sous la croix de Golgotha, ne le connaît pas encore et vit
sans Dieu dans le monde. De cette communion intime avec Dieu, découle
l'amour pour cette pauvre humanité que le Père a donnée au Fils.
Venez à moi vous tous qui êtes
travaillés et chargés et je vous soulagerai. Venez à
moi, vous tous qui désirez être sauvés et parvenir à la vie éternelle.
Venez à Jésus, vous âmes altérées, qui avez fait l'expérience que le
monde n'offre que des citernes crevassées qui ne contiennent point
l'eau nécessaire pour étancher votre soif. Les sages et les
intelligents, auxquels le Père a caché ces choses, ne viendront pas à
Jésus, parce qu'ils ne désirent nullement être soulagés par lui. Et si
quelqu'un d'entre eux se mettait à le chercher, c'est qu'il aurait
déjà oublié sa sagesse et serait devenu comme un petit enfant. Par ces
douces paroles, Jésus nous annonce le même amour qui disait un jour,
par la bouche du prophète Ésaïe (XL) :
Consolez, consolez mon peuple, dira votre
Dieu, parlez à Jérusalem selon son coeur ; et dites-lui que
son temps marqué est accompli, que son iniquité est acquittée.
Oui, le pardon des péchés, la vie et le salut, voilà le soulagement
que Jésus procure à ceux qui sont travaillés et chargés, qui se sont
fatigués dans la multitude de leurs voies, et qui maintenant soupirent
après la paix de Dieu.
Chargez-vous de mon joug et
apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous
trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est aisé et mon
fardeau léger. Le joug de Christ se concilie très bien
avec le soulagement qu'il procure au coeur. Prendre son joug
sur soi, n'est autre chose que se donner à lui dans l'obéissance de la
foi. Apprenez de moi ! Comme
Christ soumettait sa volonté à celle de son Père, au point de n'en
avoir pas d'autre, de même il faut que nous apprenions de lui à
soumettre absolument notre volonté à la sienne. Et si cela nous
effraye, si nous sommes indociles, il use de patience envers nous. Je
suis doux. Il bande nos plaies douloureuses avec le
tendre amour d'une mère pour son enfant. Il prend sur ses épaules les
âmes fatiguées et les porte avec la douceur pleine d'amour du Bon
Berger. Il repousse la dureté orgueilleuse ; il attire la douce
humilité. Il est humble de coeur.
il n'a pas regardé comme une usurpation d'être égal à Dieu, mais s'est
abaissé jusqu'à prendre la forme de serviteur. Il s'abaisse Jusqu'aux
plus petits et aux plus chétifs, pour les prendre sur son coeur de
Sauveur, plein de sympathie et de tendresse fraternelle.
Et vous trouverez le repos de
vos âmes. Depuis que le patriarche Lémec, lors de la
naissance de Noé (Gen.
V, 29), exprimait l'espoir que cet enfant leur procurerait du
repos et disait : « Celui-ci nous soulagera de notre oeuvre,
et du travail de nos mains sur la terre que l'Éternel a
maudite », l'ardente espérance des âmes travaillées et chargées
est dirigée vers Celui qui devait être la consolation d'Israël. Il n'y
a point de paix pour les méchants. Ils sont comme la mer agitée qui ne
peut être apaisée. Mais Christ est le vrai, l'unique repos de l'âme.
Dès que quelqu'un a pris son joug sur lui, son coeur est en paix.
C'est pourquoi nous répétons avec saint Augustin : « 0 Dieu,
c'est toi qui nous as créés. C'est pourquoi notre coeur est
constamment agité, jusqu'à ce qu'il se repose en toi. » Car
mon joug est aisé et mon fardeau léger. Le fardeau de
Christ porte celui qui s'en charge, plutôt qu'il n'est porté par lui.
Il est vrai que ce joug semble insupportable au monde et
à la chair. Et c'est en effet le cas lorsqu'on l'a pris à contre coeur
ou avec un coeur partagé. Mais il est doux et léger dès qu'on le porte
avec droiture, même il nous rend légers et faciles tous les autres
fardeaux.
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