Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

-------


42. Le message de Jean-Baptiste dans sa prison.

(Matth. XI, 2-15.)


Jean, ayant ouï parler dans sa prison de ce que Jésus-Christ faisait, il envoya deux de ses disciples pour lui dire : Es-tu celui qui devait venir ou devons-nous en attendre un autre ? L'homme de Dieu, enfermé dans la forteresse de Machaerus, est assailli par le doute. De là sa question. Des chrétiens profondément sérieux et croyants ont regardé comme impossible que Jean-Baptiste ait fait cette question pour lui-même. Ne lui avait-il pas été donné de jeter un regard profond dans les mystères de Dieu et dans ses admirables voies pour le salut des pécheurs, et de reconnaître Jésus comme l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ? N'avait-il pas eu l'insigne honneur, sur les bords du Jourdain, d'entendre la voix du ciel qui disait : C'est ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection ? N'avait-il pas vu le Saint-Esprit descendre sur ce Fils sous la forme d'une colombe ? On a conclu de là que Jean n'avait pas été envoyé vers Jésus pour lui-même, mais à cause de ses disciples, qui ne croyaient pas encore en Jésus, afin de leur fournir l'occasion d'entendre de la bouche même du Sauveur, le témoignage qu'il se rendait de lui-même.

Mais il n'y a pas dans ce récit le moindre indice que la demande doive être ainsi comprise. D'ailleurs, une pareille conduite de la part du Baptiste ne répondrait pas à l'idée que nous nous faisons de sa sincérité. Et si même telle avait été réellement son intention, Jésus n'aurait pas pu entrer dans ce pieux mensonge. Au surplus, les doutes ne sont pas dans le coeur de Jean-Baptiste, mais seulement dans son esprit, dans ses pensées. Il n'est pas devenu ce qu'on pourrait appeler incrédule ; sa foi était seulement voilée. Ceci peut arriver aux enfants de Dieu. Moïse, Ésaïe, Jérémie ont aussi traversé de sombres heures, et en ont été vainqueurs par la foi. Il ne faut pas estimer heureux l'homme qui n'a pas eu ces tentations ; mais ceux qui les ont surmontées. La foi n'est pas un bien dans la possession duquel nous puissions nous reposer paresseusement. Elle n'est pas quelque chose de parfait et de clos une fois pour toutes, mais elle doit constamment croître et se développer. Elle ne marche pas toujours sur des hauteurs lumineuses ; les sentiers ténébreux de la sombre vallée ne lui sont pas épargnés.

Et combien facilement les tentations et les doutes ne devaient-ils pas assaillir l'esprit de Jean ! Il était angoissé par les énigmes de la Parole de Dieu, dont il ne pouvait trouver le mot. Ce qui lui rongeait le coeur, c'était la faiblesse de sa foi et non l'incrédulité. L'incrédulité ne demande rien ; elle n'a aucun doute sur le point de savoir si Jésus est celui qui devait venir. Elle prétend fermement qu'il n'est pas celui-là, ou plutôt elle nie qu'un Messie ou un Sauveur doive venir. L'incrédulité n'aurait en aucun cas adressé une question au Seigneur Jésus. Le fait que Jean la lui fait, prouve clairement que son coeur n'est pas dans l'erreur à son sujet ; au contraire, il attend de Lui du secours contre les tentations.
Jean avait évidemment reçu dans son cachot de fréquentes visites de ses disciples, et ils lui avaient raconté les progrès de ce royaume des cieux, qu'il avait lui-même annoncé. Il ne se nourrissait pas d'espérances messianiques mondaines, au sujet d'un règne terrestre, qui aurait commencé par l'expulsion des Romains, et aurait été couronné par l'établissement d'un puissant royaume de ce monde. Ces espérances étaient celles des pharisiens et des masses populaires. Jean n'a pas annoncé d'autre royaume des cieux que celui qui commence par la repentance et s'établit par le pardon des péchés. Mais il espérait que Jésus se ferait franchement connaître, comme le Messie, qu'il rassemblerait les croyants autour de lui, exclurait les incrédules et les moqueurs, et exercerait le jugement contre eux.
Or, il n'entendait rien dire de pareil. Jésus va, vient, prêche, guérit les malades, console les affligés, restaure les coeurs brisés. Jean attend vainement une déclaration publique en présence du peuple, une réunion de tous les croyants, une manifestation de Jésus comme Roi et comme juge, tellement que tous soient mis en demeure de se prononcer pour on contre lui. Cette manière de Jésus, d'exercer sa puissance en secret, confondait toutes les idées du Baptiste. Il ne pouvait comprendre que le royaume des cieux dût commencer comme le grain de moutarde et se développer, peu à peu, en procédant de l'intérieur à l'extérieur, ou comme le levain, pour pénétrer graduellement et sanctifier tous les détails de la vie humaine. De là sa question. Elle signifie en réalité : Je crois Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité.

Jésus répondant leur dit : Allez et rapportez à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez : les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont nettoyés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et l'Évangile est annoncé aux pauvres. Le royaume des cieux ne se fonde pas par une nouvelle doctrine, mais par des actes divins que la doctrine doit expliquer. Voilà pourquoi Jésus renvoie les disciples de Jean à ce qu'ils ont entendu et vu. Jean, qui avait sondé les Écritures, connaissait certainement la description que fait le prophète Ésaïe de celui qui devait venir (Ésaïe XXXV, 5-6 ). Les disciples de Jean peuvent voir de leurs yeux et entendre de leurs oreilles l'accomplissement littéral de toutes ces prophéties. Cela doit fortifier leur maître. Le Sauveur ne veut pas forcer la foi du martyr assailli de tentations. C'est pourquoi il ne répond pas : Oui, certainement, je suis le Messie ; mais ses actes doivent parler pour lui. Ils sont de nature à soutenir la foi de Jean-Baptiste, et à rassurer complètement son coeur découragé. Et le Seigneur ne parle pas de ses actes comme de simples prodiges ou comme des miracles dépourvus de toute vertu consolante ; il les représente comme de véritables oeuvres messianiques lorsqu'il ajoute : Et l'Évangile est annoncé aux pauvres. L'heureux temps de la grâce est arrivé, où le joyeux message du pardon des péchés est proclamé, où les coeurs brisés seront guéris, les humbles encouragés ; ceux qui sont fatigués et chargés seront restaurés et trouveront le repos de leurs âmes. Il ne fallait donc pas laisser les guérisons de malades inaperçues, mais les regarder comme des sujets de consolations, puisqu'elles montraient que l'amour secourable de Jésus avait avant tout pour but le salut des âmes, et qu'ainsi il était bien le Messie promis, qui devait délivrer son peuple de tous leurs péchés.

Jean ne s'était pas trompé, mais il était assailli de tentations. C'est pourquoi il avait besoin de cette parole : Heureux celui qui ne se scandalisera pas de moi ! Cette parole était de nature à avertir Jean et à l'encourager. Quel besoin n'avons-nous pas aussi nous-mêmes de cet avertissement ! Plus nous apprécions la personne et le règne de Jésus, plus nous sommes tentés de nous scandaliser quand nous voyons combien cette personne et ce règne sont méprisés, même par la plupart de ceux qui sont baptisés dans sa mort et appelés de son nom. Sa parole est annoncée et nous reconnaissons avec actions de grâces que, pour beaucoup d'âmes, elle ne demeure pas sans effet. Mais cela ne nous suffit pas ; nous voudrions, comme Jean, voir et entendre de plus grandes choses. L'Église de Christ avance dans l'humilité ; nous aimerions tant voir les croyants réunis, une oeuvre opérée en grand, la conversion du peuple en masse ! Nous nous plaignons que le Seigneur a détourné sa face de son peuple. Et sous l'empire de ces préoccupations, nous ne voyons pas comment il établit cependant son règne, comment il peuple son ciel. Inclinons-nous donc devant cette douce parole : Heureux celui qui ne se scandalisera pas de moi !

Comme ils s'en allaient, Jésus se mit à parler de Jean au peuple. Ce peuple inconstant avait entendu le message du Baptiste. Et afin qu'on ne le méprisât pas à cause de ses afflictions, le Seigneur le prend sous sa protection. Il leur dit : Qui êtes-vous allés voir au désert ? était-ce un roseau agité du vent ? Jean n'était pas une âme vacillante, ni un homme capricieux, semblable à une girouette. Mais encore qu'êtes-vous allés voir ? était-ce un homme vêtu d'habits précieux ? Voilà, ceux qui portent des habits précieux sont dans les maisons des rois. Jean n'était pas un courtisan efféminé. S'il avait voulu vivre dans le plaisir et jouir de la vie, il ne languirait pas entre les murs d'un cachot. Il aurait fait l'hypocrite ; il aurait été flatté par Hérode, mais il n'aurait pas été le sérieux prédicateur de la repentance. - Êtes-vous allés voir un prophète ? Oui, vous dis-je, un prophète. Car c'est de lui qu'il est dit : Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui préparera ton chemin devant toi. Non un prophète qui prédit les choses à venir, mais un ange qui prépare le chemin, un messager, un témoin des événements actuels. Je vous dis en vérité que parmi ceux qui sont nés de femme, il n'en a été suscité aucun plus grand que Jean-Baptiste. Malgré la tentation à laquelle Jean était en proie, Jésus le confirme dans toute sa dignité et sa gloire. Aucun homme n'a jamais eu une vocation aussi élevée et aussi honorable que Jean, puisque cette vocation consistait à montrer du doigt Jésus comme l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Mais cette grandeur de Jean réside seulement dans la charge qui lui était confiée d'être le serviteur du Sauveur et d'annoncer son règne. C'est pourquoi celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux, est plus grand que lui. Quiconque a reçu Jésus par la foi, est membre de ce royaume. Tous ceux qui l'ont reçu, il leur a été donné le droit d'être faits enfants de Dieu, savoir à ceux qui croient en son nom (Jean I, 12). Ce n'est pas à cause de quelque mérite personnel, mais parce qu'ils croient et sont unis au Fils de Dieu, que les moindres membres de la Nouvelle Alliance sont au-dessus du plus glorieux témoin de l'Ancienne Alliance.

Mais depuis le temps de Jean, le royaume des cieux est forcé et les violents le ravissent. Le temps où l'appel à la repentance a été adressé au peuple par Jean, porte cette empreinte : Le royaume des cieux est forcé. Comme cet homme qui lutta jusqu'à l'aurore avec Jacob au gué de Jabok, fut vaincu par ses prières et par ses larmes (Osée XII, 5), et lui confessa que, lui Jacob, avait été le plus fort en luttant avec Dieu et avec les hommes (Gen. XXXII, 28), et comme le Sauveur se laissa vaincre si volontiers par la femme cananéenne, de même le royaume des cieux, dans la personne de son Roi, s'est de tout temps laissé vaincre avec une sainte joie par les âmes humbles, mais sérieusement attachées au Sauveur par la foi. Cette violence consiste à s'emparer de ce royaume. Lorsque des consciences endormies s'éveillent, alors les coeurs altérés, pressés par le sentiment de leurs péchés, s'avancent violemment, comme le cerf, vers les eaux courantes, et étanchent leur soif. Il ne nous sera pas fait de violence pour nous forcer à pénétrer dans le royaume des cieux contre le désir de nos coeurs ; mais, d'un autre côté, le salut ne nous sera pas donné sans que nos coeurs soupirent ardemment après lui. Le royaume des cieux n'est pas accordé aux coeurs tièdes, endormis, paresseux, mais à ceux qui suivent ces exhortations : Tendez à la perfection (Héb. XI, 40) ; efforcez-vous d'entrer (Luc XIII, 24) ; travaillez à votre salut avec crainte et tremblement (Philip. II, 12).



.

43. Plaintes de Jésus provoquées par l'incrédulité des villes, et la joie que Lui cause la foi de ses disciples.

(Matth. XI, 16-30.)


Si Jésus n'avait regardé qu'à ce qui frappe les yeux, son coeur eût été rempli de joie et d'espérance. Car le peuple venait à lui et le suivait en foule pour entendre la Parole de Dieu, et proclamait avec enthousiasme les miracles opérés par son miséricordieux amour, miracles dans lesquels il reconnaissait une gracieuse intervention du Dieu vivant. Son activité produisait un immense et puissant mouvement. En effet, ce n'était pas seulement de la Galilée qu'on se pressait autour de lui, mais aussi de la Décapole, des contrées au delà du Jourdain, de la Judée et de Jérusalem. Même au delà des frontières de son pays, son nom était connu et ses actions admirées. Mais le Sauveur, qui savait ce qui est dans l'homme, et qui les connaissait tous, ne se laissait pas éblouir par cet empressement et ces louanges. Il savait que le coeur du peuple était rempli d'espérances messianiques terrestres, et attendait la restauration du royaume de David. Plus Jésus déployait sa puissance divine, plus le peuple se réjouissait, car il espérait que chaque nouvelle manifestation de la gloire du Seigneur était un nouveau pas en avant vers la réalisation de ses espérances grossières.

Les Juifs croyaient être en possession de la faveur de Dieu sans le secours de Jésus. Ainsi ils se réjouissaient des guérisons, des résurrections, des expulsions des mauvais esprits. accomplies par le miséricordieux amour de Jésus, et ils louaient tous ses bienfaits avec enthousiasme ; mais ils ne reconnaissaient pas dans ces signes l'apparition de l'année de la bienveillance de l'Éternel. Ils voulaient se laisser guérir par le merveilleux médecin ; mais le Sauveur, le libérateur des âmes, ils l'évitaient avec soin. Plus Jésus se révélait clairement lui-même, en montrant toujours plus distinctement que le salut de l'âme, la vie et la félicité dépendaient du rapport dans lequel on se trouvait avec sa personne, plus ils se sentaient trompés dans leurs espérances, et plus ils ouvraient leurs coeurs aux instigations et aux accusations des pharisiens.

Il faut que nous nous représentions bien cette situation si nous voulons comprendre les douloureuses plaintes du Sauveur sur l'incrédulité du peuple. Mais à qui comparerai-je celle génération ? Elle ressemble à ces petits enfants qui sont dans les places publiques, et qui crient à leurs compagnons et leur disent : Nous avons joué de la flûte et vous n'avez point dansé ; nous avons chanté des plaintes devant vous et vous n'avez point pleuré. Car Jean est venu, ne mangent ni ne buvant, et ils disent : Il a un démon. Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà un mangeur et un buveur, un ami des péagers et des gens de mauvaise vie. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants. Dieu a essayé de tous les moyens pour toucher le coeur de ce peuple tant favorisé ; mais ils sont comme ces enfants entêtés et maussades, qui ne sont jamais contents du jeu qu'on leur propose, qu'il soit gai ou sérieux, et qui ne prennent pas plus de plaisir en représentant une noce qu'un enterrement.
Jean demeure isolé dans le désert ; il mène une vie de privations, et ils lui reprochent d'être un obscurantin, un bigot, et finalement ils le traitent de possédé. Jésus vient ; il se montre affable, bienveillant ; il mange, boit, se réjouit avec ceux qui se réjouissent, et ils le blâment également parce qu'à leurs yeux il s'avilit en recevant les péagers et les gens de mauvaise vie.
Jean leur paraissait trop sérieux, et Jésus l'était trop peu. Selon eux, Jean se séparait trop complètement du monde ; s'il s'était mêlé davantage au peuple, il aurait pu gagner les coeurs. Jésus fréquentait le peuple ; il partageait ses joies et ses peines ; et l'on disait qu'il manquait de dignité. Absolument comme aujourd'hui où les chrétiens commodes trouvent qu'en été il fait trop chaud et en hiver trop froid pour se rendre à l'église, et qui ont toujours un motif pour excuser leur indifférence. Mais ces âmes paresseuses seront jugées comme ayant émoussé la pointe de la Parole de Dieu.

On donne à entendre que si Jésus avait su trouver la note juste, sa Parole aurait été acceptée. S'il avait su entrer dans les voeux et les espérances du peuple, les choses auraient pris une tout autre tournure. - Ce qui arriva alors au Seigneur, arrive aujourd'hui à ses serviteurs. Mais lui, juge autrement. Il donne une autre raison de son insuccès : Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu. C'est pourquoi vous ne les écoutez pas, parce que vous n'êtes pas de Dieu (Jean VIII, 47). Mais la sagesse divine, incarnée en Christ, n'a pas seulement des juges et des censeurs, qui veulent la dominer ; elle a aussi des enfants qui sont nés d'elle et qui écoutent attentivement sa Parole, et suivent docilement ses directions. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants. Du moment que la sagesse divine est arrivée à ses fins dans ses enfants humbles et croyants, et les a conduits au but désiré, elle est justifiée dans son action.

Alors il se mit à faire des reproches aux villes où il avait fait plusieurs miracles, de ce qu'elles ne s'étaient point amendées. Malheur à loi Corazim ! Malheur à toi Bethsaïda ! car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu'elles se seraient repenties en prenant le sac et la cendre. C'est pourquoi je vous dis que Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement au jour du jugement que vous. Et toi Capernaüm, tu as été élevée jusqu'au ciel ; tu seras abaissée jusqu'en enfer ; car si les miracles qui ont été faits au milieu de toi avaient été faits à Sodome, elle subsisterait encore aujourd'hui. C'est pourquoi je te dis que ceux de Sodome seront traités moins rigoureusement au jour du jugement que toi. La repentance, l'amendement, tel était le but de tous les miracles de Jésus. Les villes païennes de Tyr, de Sidon, de Sodome se seraient amendées, si elles avaient été témoins des actes accomplis par lui, tandis que les villes de la Galilée, où il avait déployé tant d'amour pour sauver les âmes, étaient restées insensibles. Leur incrédulité était pour lui le sujet d'une poignante douleur. C'est ce même amour, qui pleurait plus tard sur Jérusalem, laquelle n'avait pas connu les choses qui appartenaient à sa paix. Les coeurs semblent avoir été endurcis par l'habitude d'entendre la vérité divine que leurs pères leur avaient transmise. Ces miracles de l'amour de Dieu, qui étonnaient les païens, les Juifs les regardaient comme des faveurs toutes naturelles, et qui leur étaient dues. Quant à être conviés à la repentance par la bonté de Dieu, cette pensée leur était parfaitement étrangère. Ils étaient convaincus - non seulement qu'ils vivaient honnêtement devant les hommes, - mais encore qu'ils observaient toutes les prescriptions de la loi de Dieu. Mais il sera beaucoup redemandé à qui il aura été beaucoup donné. Plus la grâce est grande, plus sera sévère la punition de l'ingratitude.

En ce temps-là, Jésus prenant la parole, dit : Je le loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées aux enfants. Dans cette prière, Jésus répand joyeusement son coeur devant son Père, ce qu'il dit de nouveau plus tard, lors du retour des septante disciples. Au sein de l'amère douleur que lui cause l'endurcissement des villes de la Galilée, il cherche et trouve une consolation et une joie pleine de louanges dans la sainte volonté du Père, qui a caché aux uns la grâce et la vérité du royaume des cieux, le salut et celui qui l'apporte, tandis qu'il a révélé toutes ces choses aux autres.
Jésus loue le Père, pour l'un et pour l'autre : pour avoir caché aussi bien que pour avoir révélé. Dieu cache le salut aux sages, non arbitrairement, mais en vertu d'un juste jugement. Ils refusent de suivre la voie de la félicité qu'il leur indique ; ils prétendent en connaître une meilleure. Du moment qu'ils se retirent eux-mêmes du salut, il est juste que ce salut leur soit retiré. Ils ne veulent pas exposer devant Dieu le fond de leur coeur ; ils haïssent la lumière et ne viennent point à la lumière, de peur que leurs oeuvres ne soient reprises (Jean III, 20). Ils se cachent devant Dieu, il est juste que Dieu leur cache aussi sa sainteté, sa vérité, son salut. Ce qu'ils ont voulu dans leur incrédulité, c'est ce qu'ils obtiendront en vertu du jugement de Dieu. Dieu ne peut se révéler à nous que dans la mesure où nous nous révélons à lui et venons à sa lumière. L'orgueilleux sentiment de dignité, qui fait dire à l'homme : « Je dois savoir moi-même ce qui est bien et ce qui est mal », voilà la science et la sagesse auxquelles le mystère de piété est caché, en vertu de la juste volonté de Dieu.

Jean nous dit aussi que le Sauveur appelait cette sagesse « amour des ténèbres, haine de la lumière » (Jean III, 19-20). C'est aux petits enfants, aux pauvres en esprit que Dieu se révèle. Ce sont les humbles, les âmes altérées de salut, simples et naïves, dépouillées de toute prétention à une fausse indépendance, et de toute orgueilleuse confiance dans leur force, et leur dignités, pressées de se réfugier vers le Sauveur comme les poussins sous les ailes de leur mère, ce sont ceux-là seulement qui se trouvent heureux sous la tutelle divine. Oui, mon Père, cela, est ainsi parce que tu l'as trouvé bon. Cette sainte volonté du bon, plaisir divin, à laquelle Jésus dit : « Oui, et amen », le console de toutes les douleurs que lui causent l'endurcissement et l'incrédulité du peuple.

Toutes choses m'ont été données par mon Père, et nul ne connaît le Fils que le Père, et nul ne connaît le Père que le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le faire connaître. Le Père se révèle à ses petits enfants par le Fils, auquel il a donné toutes choses. Toutes choses : la terre, le ciel, l'enfer, les hommes, les anges, les démons, le temps et l'éternité, la puissance de ressusciter les morts et le jugement, l'honneur et la gloire célestes, la félicité et la condamnation, la vie et la mort, la grâce et la vérité, la paix et la joie, le triomphe sur le monde et la victoire sur la tentation, l'amour de Dieu et la vie éternelle. Le Père a tout donné au Fils, qui a paru sur la terre sous la forme de serviteur. On dit, et avec raison, que Jean, le disciple que Jésus aimait, a vu d'une manière particulièrement claire sa gloire divine cachée sous son humilité humaine, et l'a mise en relief dans son Évangile et dans ses Épîtres. Toutefois, il ne faut pas méconnaître que dans notre passage, Matthieu et Luc ont vu Jésus avec les yeux de Jean, et nous permettent de jeter un regard dans sa gloire divine.

Mais que personne ne connaisse le Fils que le Père et celui auquel le Père aura voulu le faire connaître, c'est ce qui se voit aujourd'hui comme alors. Les sages de ce monde ne savent ce qu'ils doivent faire de Jésus. Le Père le leur a caché. C'est que cette connaissance n'est autre chose qu'une profonde expérience intime. On ne connaît un fruit que lorsqu'on l'a goûté ; on ne connaît la flamme que lorsqu'on en a été brûlé. Toute vraie connaissance provient de l'union dans l'amour, lorsque les âmes et les esprits se sont rencontrés et pénétrés. On peut connaître la puissance de Dieu dans ses oeuvres, et sa providence dans le gouvernement du monde ; mais le connaître lui-même, avec son coeur paternel, c'est à quoi l'on ne parvient que par Jésus-Christ son Fils. Quiconque n'a pas jeté un regard dans le coeur de Dieu, en se plaçant sous la croix de Golgotha, ne le connaît pas encore et vit sans Dieu dans le monde. De cette communion intime avec Dieu, découle l'amour pour cette pauvre humanité que le Père a donnée au Fils.

Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai. Venez à moi, vous tous qui désirez être sauvés et parvenir à la vie éternelle. Venez à Jésus, vous âmes altérées, qui avez fait l'expérience que le monde n'offre que des citernes crevassées qui ne contiennent point l'eau nécessaire pour étancher votre soif. Les sages et les intelligents, auxquels le Père a caché ces choses, ne viendront pas à Jésus, parce qu'ils ne désirent nullement être soulagés par lui. Et si quelqu'un d'entre eux se mettait à le chercher, c'est qu'il aurait déjà oublié sa sagesse et serait devenu comme un petit enfant. Par ces douces paroles, Jésus nous annonce le même amour qui disait un jour, par la bouche du prophète Ésaïe (XL) : Consolez, consolez mon peuple, dira votre Dieu, parlez à Jérusalem selon son coeur ; et dites-lui que son temps marqué est accompli, que son iniquité est acquittée. Oui, le pardon des péchés, la vie et le salut, voilà le soulagement que Jésus procure à ceux qui sont travaillés et chargés, qui se sont fatigués dans la multitude de leurs voies, et qui maintenant soupirent après la paix de Dieu.

Chargez-vous de mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est aisé et mon fardeau léger. Le joug de Christ se concilie très bien avec le soulagement qu'il procure au coeur. Prendre son joug sur soi, n'est autre chose que se donner à lui dans l'obéissance de la foi. Apprenez de moi ! Comme Christ soumettait sa volonté à celle de son Père, au point de n'en avoir pas d'autre, de même il faut que nous apprenions de lui à soumettre absolument notre volonté à la sienne. Et si cela nous effraye, si nous sommes indociles, il use de patience envers nous. Je suis doux. Il bande nos plaies douloureuses avec le tendre amour d'une mère pour son enfant. Il prend sur ses épaules les âmes fatiguées et les porte avec la douceur pleine d'amour du Bon Berger. Il repousse la dureté orgueilleuse ; il attire la douce humilité. Il est humble de coeur. il n'a pas regardé comme une usurpation d'être égal à Dieu, mais s'est abaissé jusqu'à prendre la forme de serviteur. Il s'abaisse Jusqu'aux plus petits et aux plus chétifs, pour les prendre sur son coeur de Sauveur, plein de sympathie et de tendresse fraternelle.

Et vous trouverez le repos de vos âmes. Depuis que le patriarche Lémec, lors de la naissance de Noé (Gen. V, 29), exprimait l'espoir que cet enfant leur procurerait du repos et disait : « Celui-ci nous soulagera de notre oeuvre, et du travail de nos mains sur la terre que l'Éternel a maudite », l'ardente espérance des âmes travaillées et chargées est dirigée vers Celui qui devait être la consolation d'Israël. Il n'y a point de paix pour les méchants. Ils sont comme la mer agitée qui ne peut être apaisée. Mais Christ est le vrai, l'unique repos de l'âme. Dès que quelqu'un a pris son joug sur lui, son coeur est en paix. C'est pourquoi nous répétons avec saint Augustin : « 0 Dieu, c'est toi qui nous as créés. C'est pourquoi notre coeur est constamment agité, jusqu'à ce qu'il se repose en toi. » Car mon joug est aisé et mon fardeau léger. Le fardeau de Christ porte celui qui s'en charge, plutôt qu'il n'est porté par lui.

Il est vrai que ce joug semble insupportable au monde et à la chair. Et c'est en effet le cas lorsqu'on l'a pris à contre coeur ou avec un coeur partagé. Mais il est doux et léger dès qu'on le porte avec droiture, même il nous rend légers et faciles tous les autres fardeaux.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant