Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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38. La fille de Jaïrus et la femme malade d'une perte de sang.

(Matth. IX, 18-26 ; Marc V, 22-43 ; Luc VIII, 41-58.)

 

À l'occasion de la guérison du paralytique de Béthesda, Jésus avait dit aux Juifs, que le Père lui montrerait des oeuvres plus grandes que celles-ci, en sorte qu'ils en seront remplis d'admiration (Jean V, 20). En parlant ainsi, le Sauveur avait en vue les résurrections qu'il devait opérer. En sa qualité de Prince de la vie, il veut pénétrer, de sa main puissante, dans le sombre règne de la mort, afin d'arracher ses compatriotes au sommeil de la vie ordinaire, et de les faire sortir de leurs vagues rêveries, qui leur faisaient considérer la mort comme une loi de la nature. Il veut les rendre attentifs à l'action du Dieu vivant et à ses intentions bienveillantes envers son peuple.

Jaïrus était le chef de la synagogue de Capernaüm, dans laquelle Jésus annonçait depuis une année les paroles de la vie éternelle. Il était depuis longtemps personnellement connu de Jésus. Car c'était sans doute à sa complaisance, que le Seigneur devait de pouvoir enseigner dans cette synagogue, sans appartenir au corps chargé de l'enseignement officiel. Cependant, cette politesse de Jaïrus envers Jésus était loin d'être de la foi. Au contraire, il semble qu'il eût le sentiment d'avoir des droits à la reconnaissance du Seigneur. C'est pourquoi il regarde en quelque sorte comme étant au-dessous de sa dignité de s'adresser à Lui pour la maladie de sa fille. C'est seulement lorsque le besoin devient extrêmement pressant, lorsque tous les autres moyens sont reconnus inutiles, qu'il fait appel à la puissance du Sauveur. D'après saint Matthieu, Jaïrus aurait dit : Ma fille vient de mourir, mais viens lui imposer les mains, et elle vivra. Marc et Luc, au contraire, racontent que le père, au paroxysme de l'angoisse, aurait seulement dit que sa fille était à toute extrémité.

Cette contradiction n'est qu'apparente. Le père avait quitté son enfant au moment où elle était mourante, et était convaincu qu'elle était morte dans l'intervalle. Il apprit en effet sa mort pendant qu'il rentrait chez lui avec Jésus. Et Jésus, s'étant levé, le suivit avec ses disciples. Matthieu, qui venait d'être appelé, devait aussi être avec eux. Cependant, le Seigneur ne tarda pas à être arrêté, ce qui dut causer une vive peine à Jaïrus. Mais Jésus a envers lui des pensées de paix. Il veut préparer son coeur à recevoir la grâce qu'il lui réserve. L'âme de Jaïrus était sans doute toute pleine de cette question : Le Seigneur pourrait-il me secourir ? Pour que ces pensées inquiètes devinssent en lui la certitude de la foi, il fallait qu'il vit le secours puissant que le Sauveur allait accorder à une femme malade. Il en est donc ici comme partout : l'attente à laquelle Jésus nous soumet, hâte l'acceptation de la vérité.

Et une femme qui avait une perte de sang depuis douze ans, qui avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins, et qui avait dépensé tout son bien, sans en recevoir aucun soulagement, ayant ou ! i parler de Jésus, vint dans la foule, par derrière, et toucha son habit. Car elle disait : Si je touche seulement ses habits, je serai guérie. Et au même instant la perte de sang s'arrêta, et elle sentit dans son corps qu'elle était guérie de son mal. C'est seulement lorsqu'elle eut épuisé tous les autres moyens, qu'elle vint à Jésus. C'est là notre manière d'agir habituelle. Nous cherchons la vérité, la paix, et le plein contentement d'esprit. Et c'est après avoir été déçus partout, que nous nous tournons vers Jésus. Cependant nous pouvions savoir dès le commencement de nos recherches, qu'il n'y a de salut en aucun autre, et qu'aucun autre nom n'a été donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés, que le nom de Jésus (Act. IV, 12). C'est insensé ! Cependant, il faut encore être heureux, lorsqu'une âme se décide, même tardivement, à aller à Celui qui ne met point dehors celui qui vient à Lui.

On a reproché à cette femme d'avoir été poussée à toucher le vêtement de Jésus, par une pensée superstitieuse, comme si la vertu salutaire eût résidé dans ce vêtement. Mais Jésus lui dit : Rassure-toi, ma fille, ta foi t'a guérie. Qui donc oserait trouver de la superstition, là où Jésus ne voit que de la foi ? Ses mains, il est vrai, touchèrent le vêtement du Sauveur, mais son ardent désir atteignait sa personne, et se mettait en contact avec lui. Et aussitôt il sortit de lui une vertu par laquelle cette femme fut guérie. Alors Jésus dit : Qui est-ce qui m'a touché ? Et comme tous le niaient, Pierre, et ceux qui étaient avec lui, lui dirent : Maître, tu vois que la foule t'environne et te presse, et tu dis : Qui est-ce qui m'a touché ? Mais Jésus dit : Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti une vertu qui sortait de moi. Des centaines de personnes l'avaient touché et pressé, mais sans avoir la foi ; aussi n'avaient-elles rien reçu. L'attouchement de la femme avait été seul efficace, parce qu'il était une manifestation de sa foi. Une vertu était sortie de lui, non comme lorsqu'on touche une batterie électrique, ni comme une étincelle qui affecte une main mise en contact avec la machine ; mais par la volonté expresse du Seigneur. Aussi sa question ne lui est-elle pas suggérée par l'ignorance de ce qui est arrivé ; mais il veut amener cette femme tremblante et timorée, à confesser publiquement le bienfait qu'elle a reçu. Lorsqu'elle eut avoué devant tout le peuple le motif qui l'avait portée à toucher le vêtement de Jésus, et proclamé la guérison qui s'en était suivie, le Seigneur la laissa aller en paix.

Comme il parlait encore, quelqu'un vint de chez le chef de la synagogue, qui lui dit : Ta fille est morte ; ne fatigue pas davantage le Maître. Le perfide ennemi avait probablement ajouté tout bas : Tu le vois, tout est fini, il est trop tard, laisse aller Jésus. Cependant le Seigneur le soutient et l'encourage par cette parole : Ne crains rien, crois seulement. Jésus venait d'attribuer la guérison de la femme à sa foi, en présence de Jaïrus, afin de lui faire sentir la puissance de cette exhortation : crois seulement ! Par cette parole, Jésus a réveillé la foi dans le coeur de ce père découragé. Dès lors, l'oeil de Jaïrus ne regarde plus en arrière pour se fixer sur son enfant morte, mais en avant pour s'arrêter sur le Prince de la vie : il croit. Lorsqu'il fut arrivé à la maison, Jésus ne laissa entrer personne que Pierre, Jacques et Jean et le père et mère de la fille. Pourquoi ces trois seulement ? - Ceux qui devaient être plus tard témoins de ses souffrances en Gethsémané, devaient d'abord être témoins de sa puissance divine. Il sera beaucoup redemandé à qui il a été beaucoup donné. Les heures de Gethsémané ne seront pas épargnées à ceux qui auront été témoins des miracles du Sauveur. Et tous pleuraient et se lamentaient à cause d'elle. Mais il leur dit : Ne pleurez pas, elle n'est pas morte, mais elle dort et ils se moquaient de lui, sachant bien qu'elle était morte.

La vie humaine serait vraiment sans consolation, si nous n'avions un Sauveur qui entre avec nous dans la maison de deuil. Nous devrions envier le sort du plus stupide animal, qui vit dans une ignorance pleine de sécurité, jusqu'à ce que la mort l'atteigne inopinément. Le Seigneur impose silence aux larmes, parce qu'il est la résurrection et la vie, et qu'il tient dans ses mains toutes-puissantes les clefs de la mort et de l'enfer. C'est pourquoi, il a aussi la puissance, de changer la mort en un sommeil doux et réparateur. Ceci excite le rire de plusieurs. Riront-ils aussi, lorsqu'un jour tous sortiront de leur tombeau et se réveilleront en s'écriant : Montagnes, tombez sur nous ! Ils verront alors ce que leur rire leur aura coûté. Mais, les ayant tous fait sortir, il prit la jeune fille par la main, et lui dit : Talitha kumi ! c'est-à-dire : Petite fille, lève-toi ; je te le dis. Ne croirait-on pas entendre la mère qui réveille ses enfants le matin ! La mort trouve son Maître. Alléluia ! Pour qui croit en Jésus, la mort n'est plus qu'un paisible sommeil.

Quelle immense joie entre maintenant dans cette maison de deuil ! Ce sont des larmes de joie que versent ce père et cette mère lorsqu'ils peuvent de nouveau presser leur chère enfant dans leurs bras ! Et son âme revint ; elle se leva à l'instant, et il commanda qu'on lui donnât à manger. Ce puissant Seigneur, qui vient d'arracher à la mort sa proie, a aussi à coeur la satisfaction des moindres besoins du corps. Comme il est précieux pour nous, de pouvoir exposer nos petites détresses à notre bien-aimé Sauveur, avec la certitude qu'il a compté même les cheveux de notre tête ! Combien de pères et de mères auraient voulu avoir le Sauveur au lit de mort de leur enfant, ou auprès du cercueil où reposait son corps inanimé ! Combien ont envié le privilège de Jaïrus, d'avoir pu appeler le médecin qui peut aider, même dans cette extrémité ! Et cependant l'heure de la séparation n'était que retardée. La mort devait briser encore une fois les liens de cette douce et précieuse vie de famille. C'est pourquoi, félicitons plutôt nos chers enfants, lorsque le bon Berger vient de bonne heure les recueillir dans ses bras.

En attendant, faisons en sorte que Jésus puisse réunir de nouveau ceux qui restent et ceux qui s'en vont. Et ses parents furent dans un grand étonnement. Ils étaient en même temps pleins de joie et de crainte. Nous pouvons à peine nous faite une idée de la puissante émotion qui devait agiter leur coeur lorsque, par la résurrection de leur enfant, ils eurent devant les yeux une manifestation de la présence immédiate du Dieu vivant.



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39. Jésus et le Sabbat.

(Marc II, 27, 28 ; Luc XIV, 1-6 ; Matth. XII, 8-14.)


 Pendant l'activité publique de Jésus, nous remarquons que les pharisiens étaient choqués de la manière dont il considérait le sabbat. Ils croyaient le sanctifier, par la seule abstention de toute espèce de travail, et voyaient dans les guérisons que Jésus opérait ce jour-là, une violation de la loi. Il est très important, pour apprécier cette institution de l'Éternel, de remarquer qu'elle a été établie non au Sinaï, mais déjà dans le Paradis. Le sabbat était alors le couronnement solennel de l'oeuvre de la création, qui n'était pas encore complètement terminée par la création de l'homme, mais qui cependant était parfaite, en ce sens que, d'une part, Dieu pouvait se reposer et se récréer avec amour et bienveillance dans l'homme, comme image personnelle et consciente du Fils de Dieu, et que, d'autre part, l'homme, créé pour Dieu, pouvait s'abandonner en paix à cet amour de son Père céleste. Ce repos mutuel de Dieu en l'homme et de l'homme en Dieu, est le caractère universellement humain du sabbat que le Sauveur avait en vue, lorsqu'il disait : Le sabbat est fait pour l'homme (Marc II, 27).

Le repos en Dieu, tel est le commencement et la fin. L'humanité a commencé par le repos en Dieu, et son travail se terminera dans l'éternité par le repos en Dieu. C'est pourquoi le repos sabbatique doit être essentiellement religieux. Dieu a créé le sabbat pour l'homme et il l'a béni pour lui, afin que l'homme y trouvât la paix et le repos de son coeur. Il l'a séparé de tout usage profane, de l'occupation de tous les jours, afin que l'homme, fatigué du travail terrestre, pût aller toujours de nouveau se reposer en Dieu, afin qu'il sortit des préoccupations occasionnées par les affaires de cette vie passagère, et se retrempât toujours de nouveau dans le monde de l'éternité ; afin qu'il échappât aux distractions inséparables des soins à donner aux arbres du jardin, pour se recueillir et s'édifier par le sentiment immédiat et la claire conscience de l'amour de son Dieu.

Bien que, dans le Paradis, l'homme jouit, dans un certain sens, d'un sabbat permanent, puisque sa communion d'amour avec Dieu n'avait pas encore été rompue par le péché, cependant, cette communion en était encore aux premiers débuts de son développement. Cette vie naturelle du corps et de l'âme devait être progressivement élevée, même en l'absence du péché, par l'Esprit de Dieu dont elle devait être pénétrée (1 Cor. XV, 45-47), comme s'est accompli le développement de l'enfant Jésus, qui bien qu'exempt de péché, croissait non seulement en stature, mais aussi en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. Ce développement nécessitait pour l'homme un sabbat qui revint périodiquement. Sans doute le travail terrestre imposé à l'homme n'était pas celui d'un esclave écrasé sous le poids de sa chaîne.

C'était plutôt le travail d'un roi, puisque, accompli conformément à la volonté de Dieu, il devenait le moyen par lequel l'homme s'assujettissait la terre, et il se transformait en un culte rendu à Dieu. Cependant, l'âme créée à l'image de Dieu avait soif d'une union plus personnelle avec le Dieu vivant. Or, c'est à entretenir cette union et à la rendre plus profonde, que devait servir le sabbat béni et sanctifié par Dieu. Dans le Paradis, la volonté de Dieu ne se manifestait pas encore par une loi, mais par l'inspiration. Toutefois, cette bénédiction et cette sanctification avaient le même but que la parole gravée plus tard sur la pierre : « Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier. » Mais ce qui était impossible à la loi parce qu'elle était faible dans la chair (Rom. VIII, 3), Dieu le faisait dans le Paradis, sans ordre extérieur, par le don vivant de lui-même, en entretenant continuellement dans l'âme de l'homme un impérieux besoin de le louer pour cette bienheureuse alliance qu'il avait traitée avec lui.

La bénédiction et là sanctification du sabbat conservèrent leur vertu, aux yeux de Dieu, même après la chute, car Dieu est fidèle et éternel. Mais l'homme oublia le bien que Dieu lui avait fait dans le Paradis, et le sentiment de sa faute le retint loin de la face de son Père céleste. C'est alors qu'intervint avec force le commandement : « Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier. » C'était toujours, dans l'intention de Dieu, une bienheureuse alliance, et une source de grâces, car Dieu n'a rien changé au but du sabbat, même après la chute. Mais comme la réciprocité de vie qui avait eu lieu dans le Paradis n'existait plus entre Dieu et l'homme, l'observation du sabbat fut rappelée au coeur de l'homme par un commandement. Mais le but que Dieu se propose par le commandement est le même que celui qu'il avait en vue dans le Paradis, savoir : la réciprocité de vie et d'amour entre Dieu et l'homme, l'assurance de la bienveillance divine accordée à l'homme repentant et croyant, et la paix de son coeur qui se repose en Dieu.

Déjà ce rapprochement entre le commandement relatif au sabbat et l'institution fondée dans le Paradis, aurait dû suffire pour préserver le commandement de la fausse interprétation que lui donnèrent le peuple et ses chefs. En effet, en l'expliquant comme si Dieu avait déclaré que la seule abstention du travail ordinaire constituait la vraie sanctification du sabbat, ils le traduisaient ainsi : « Tu t'abstiendras de tout travail ce jour-là, et c'est ainsi que tu le sanctifieras. » On pourrait presque croire que les pharisiens avaient du sabbat la même idée que, d'après Élie, les prêtres de Baal avaient de leurs dieux. En effet, le prophète leur disait en se moquant : « Criez à haute voix, car il est dieu, mais il pense à quelque chose, ou il est après quelque affaire, ou il est en voyage, ou il dort et il s'éveillera (1 Rois XVIII, 27). » On aurait pu croire, d'après les pharisiens, que Dieu avait institué le sabbat uniquement pour qu'il ne fût pas dérangé dans son sommeil ce jour-là. Comme par l'institution sabbatique, de même par le commandement, la communion d'amour entre Dieu et l'homme devait recevoir sa formule, avec cette seule différence que, à cause du péché, la réciprocité d'amour qui existait dans le Paradis est remplacée par le désir d'y revenir, excité dans l'homme par le commandement. Tout le culte prescrit par la loi avait pour but de manifester l'amour avec lequel Dieu voulait faire grâce à son peuple, et en même temps d'éveiller dans le peuple la faim et la soif de cette grâce. C'est ce qui apparaît surtout dans les sacrifices sanglants. Comme les pharisiens et la grande masse du peuple ne pouvaient comprendre cette signification du 4me commandement, ils s'imaginaient accomplir la volonté de Dieu par une complète oisiveté et par des sacrifices vides de sens. Le repos sabbatique n'était pas pour eux la condition de la célébration spirituelle de ce jour : le repos en Dieu ; mais il constituait l'essence même du sabbat.

Lorsque le Seigneur dit qu'il est venu, non pour abolir la loi, mais pour l'accomplir, il a aussi en vue le sabbat comme institution inviolable. Il n'a jamais dit, il n'a même jamais insinué qu'il voulût faire du sabbat un jour ouvrable. Mais il était tout aussi loin d'en vouloir faire consister la sanctification, telle que Dieu la demande, dans une stricte abstention de toute espèce de travail. Ce qui importait avant tout au Sauveur, c'était d'engager les coeurs à entrer dans une communion intime avec Dieu. Lorsque les pharisiens voient le Sauveur faire des oeuvres de miséricorde le jour du sabbat, ils lui reprochent de le profaner, et ils fondent, sans hésiter sur cette prétendue violation de la loi, l'accusation qu'ils lancent contre lui : « Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il n'observe pas le sabbat. »

Un jour, le Sauveur était invité à la table d'un des principaux pharisiens, et un homme hydropique se présenta devant lui. Les convives épiaient Jésus pour voir s'il oserait le guérir en leur présence le jour du sabbat. À sa question : Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? ils ne donnaient pas de réponse. Alors, prenant le malade, il le guérit et le renvoya. Puis il leur dit : Qui est celui d'entre vous qui, voyant son boeuf ou son âne tomber dons un puits. ne l'en retire aussitôt le jour du sabbat ? Et ils ne purent rien répondre à cela. Chacun d'eux accomplissait de pareils actes le jour du sabbat, et le Seigneur ne les en blâme point. Mais il pense que s'il est permis de retirer, le jour du sabbat, un boeuf ou un âne de l'eau où ils sont en danger de périr, il ne devait pas être défendu à la charité de sauver un homme en danger de mort. Dans le fond de leur coeur, les pharisiens estimaient certainement leur boeuf on leur âne plus que ce pauvre homme, mais ils n'osent cependant pas exprimer une aussi ignoble pensée.

Bien que Jésus se fût toujours opposé directement à la manière de voir des pharisiens relativement au sabbat, et les eût confondus en leur prouvant que ce jour n'est point profané par l'accomplissement d'un acte nécessaire, ou d'une bonne oeuvre, il n'a cependant jamais contredit ni même mis en doute la valeur permanente du sabbat. Au contraire, il la suppose, et c'est en l'admettant qu'il pénètre cette institution du souffle de la Nouvelle Alliance. Si, au contraire, on comprend le sabbat à la manière des pharisiens, si l'on admet qu'on l'observe en le passant dans une complète oisiveté, on est porté à croire que Jésus s'oppose, par son action et par sa parole, à la durée perpétuelle de cette institution. D'après la pensée et la volonté de Jésus, la cessation extérieure de tout travail le jour du sabbat, n'est pas le but que Dieu s'est proposé en l'établissant. Elle est une condition nécessaire de la sanctification de ce jour.

Au surplus, l'activité de la charité à laquelle l'Église de Dieu se livre le jour du Seigneur, ne doit pas être regardée comme une exception à la règle ; elle doit être la règle même. Mais l'action de Dieu en nous, ne s'accomplit pas seulement dans son temple, lorsqu'il nourrit nos âmes par la Parole et les sacrements. Elle s'accomplit aussi, lorsqu'il combat notre égoïsme par son Esprit et fait fructifier en nous les oeuvres de la charité. Sous ce rapport, nous sommes pleinement d'accord avec Besser lorsqu'il dit : « L'homme qui fut lapidé pour avoir recueilli du bois le jour du sabbat (Nomb. XV, 32), aurait-il été condamné à ce supplice s'il eût recueilli ce bois pour faire du feu à un malade ? Non, assurément. » Si ce côté de la sanctification du jour du Seigneur n'est pas assez pris en considération, cela tient à ce que ce jour est pour les uns un jour d'ennui, et pour les autres un jour de récréation mondaine. Si les enfants de Dieu, après avoir été fortifiés intérieurement par la Parole de vie, dans le temple, montraient la vertu de cette manne céleste par les oeuvres d'une charité pleine de dévouement et d'abnégation, ce serait, pour un grand nombre de ceux qui sont encore étrangers à l'alliance de la promesse, une prédication vivante de l'amour de Dieu. Alors, malgré ces oeuvres de charité, le jour du Seigneur serait encore le jour du repos et jetterait une lumière éclatante pour la gloire de Dieu.

On a voulu conclure des paroles Marc II, 27, que le sabbat avait été institué seulement en vue du repos corporel, et de ce qu'on appelle la « dignité humaine ». Il n'y a absolument rien de pareil dans cette déclaration. Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. Le sabbat est bien fait pour l'homme si nous y voyons avant tout l'intention de Dieu de favoriser, par cette institution, la communion d'amour de l'homme avec Lui. Si le jour du Seigneur, tel qu'il est célébré dans le Nouveau Testament, place l'âme dans cette douce communion, au moyen des bénédictions et des grâces qu'il lui confère, tout cela est fait pour l'homme.

Ainsi le Fils de l'homme est maître même du sabbat (v. 28). Ceux qui nient que la loi de l'Ancien Testament est obligatoire pour les enfants de la Nouvelle Alliance, comprennent cette parole comme si Christ avait dit qu'en sa qualité de maître du sabbat, il avait le droit de le supprimer. Mais lorsque les pharisiens lui reprochent de violer le sabbat, il leur répond que, comme maître du sabbat, il doit en comprendre la signification et en connaître le but. Le Fils de l'homme est maître du sabbat parce que, comme Fils éternel de Dieu, c'est lui qui a promulgué la loi du Sinaï, et que quiconque se donne à lui, observe par cela même le commandement relatif au sabbat. Il est notre paix et notre vrai repos sabbatique. Si Jésus, en fondant son règne de paix sous l'économie du Nouveau Testament avait supprimé le jour de fête qui revient chaque semaine, il aurait lui-même détruit sa domination sur le sabbat.

Au surplus, la parole : « Ainsi le Fils de l'homme est maître même du sabbat », ne doit pas s'entendre exclusivement du sabbat, comme le mot même le donne à comprendre. Il a l'autorité légale et légitime sur le domaine de la loi tout entière. Il faut que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur à la gloire de Dieu le Père (Philip. II, 11). Mais si, par l'incarnation de Dieu et par la mort et la résurrection de l'Homme-Dieu, tout l'ordre moral du monde lui a été soumis comme à son monarque légitime, cette dignité ne saurait porter atteinte à son autorité divine, ni annuler les obligations des hommes envers lui. La délivrance du péché, de la mort et du diable, s'accorde parfaitement avec son éternelle et divine autorité. Cette oeuvre a été accomplie, afin que nous lui appartenions en propre, que nous vivions sous son empire, que nous le servions dans son règne, dans une justice, une sainteté et une félicité éternelles.

On a pensé que la volonté de Dieu, exprimée dans le 4me commandement, n'était pas seulement la sanctification d'un jour par semaine, mais la sanctification de toute la vie. Cela n'est pas exact. Dieu veut en tout cas que tous les jours de notre vie soient sanctifiés, seulement cet ordre est exprimé non dans le 4me commandement, mais dans le premier. En fait, la sanctification de la vie est commandée par la loi tout entière, mais le premier commandement embrasse toute la vie intérieure et extérieure de l'homme. Tous les autres ne sont qu'une explication ou une application du premier aux différents rapports de l'homme avec Dieu et le prochain. Lorsque la perfection sera venue, la séparation d'un jour par semaine, comme tout ce qui est imparfait, cessera. Mais aussi longtemps que nous marchons vers l'éternité, nous nous trouvons dans le devenir. Nous ne sommes un peuple d'enfants de Dieu et de saints qu'autant que nous le devenons. Dieu laisse subsister le 4me commandement dans toute sa force, parce que le dimanche, avec ses attributs sanctifiants, doit être comme un levain qui pénètre toute la semaine.

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