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CHAPITRE II
suite
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37. Les douze apôtres.
Parmi les disciples qui s'étaient successivement réunis autour de lui,
Jésus-Christ choisit les douze apôtres. Les premiers furent les deux
couples de frères Pierre et André, Jean et Jacques (Luc
VI, 4 -11). Comme
Jésus
était sur le bord du lac de Génézareth, il était pressé par la foule
qui se jetait sur lui pour entendre la parole de Dieu. Et ayant vu
deux barques au bord du lac, dont les pêcheurs étaient descendus et
lavaient leurs filets, il monta dans l'une de ces barques qui était à
Simon, et il le pria de s'éloigner un peu du rivage ; et s'étant
assis, il enseignait le peuple de dessus la barque. Et quand il eut
cessé de parler, il dit à Simon ; Avance en pleine eau et jetez
vos filets pour pêcher.Ce
commandement
de Jésus était contraire à toutes les règles de la pèche. Aussi Simon
exprime-t-il ses doutes : Maître,
nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. Toutefois, sur
ta parole, je jetterai le filet. Simon connaît Jésus ; il
a été témoin de ses miracles et a recueilli de sa bouche maintes paroles
de vie. C'est pourquoi la parole du Seigneur est d'un si grand poids
pour lui. Il a plus de confiance en cette parole qu'en son expérience de
pêcheur.
Ce qu'ayant
fait, ils prirent une si grande quantité de poissons que le filet se
rompait, de sorte qu'ils firent signe à leurs compagnons, qui étaient
dans l'autre barque, de venir leur aider ; et ils y vinrent et
ils remplirent les deux barques tellement qu'elles s'enfonçaient.
Simon fait avec David l'expérience que le Seigneur remplit sa
coupe (Ps.
XXIII, 5), que la bénédiction de l'Éternel enrichit (Prov.
X, 22), et qu'on ne perd rien quand on se confie en sa parole. Si
Pierre avait fait une bonne pèche pendant la nuit, il s'en serait
attribué le mérite ; maintenant il est obligé de reconnaître que
c'est la parole et la bénédiction du Seigneur qui lui ont valu ce
succès. Aussi est-ce cette bénédiction qui le touche et non le profit de
la pêche. Simon
Pierre
ayant vu cela, se jetta aux pieds de Jésus et lui dit :
Seigneur retire-toi de moi, car je suis un homme pêcheur. Car la
frayeur l'avait saisi et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de
la pêche des poissons qu'ils avaient fuite, de même que Jacques et
Jean, fils de Zébédée, qui étaient compagnons de Pierre.
C'était en réalité une parole insensée que celle de Simon. Il aurait dû
dire : Seigneur, demeure avec moi, car je suis un homme pécheur.
Car Jésus demeure volontiers auprès de ceux qui reconnaissent et sentent
leurs péchés. Simon est effrayé car il s'était certainement demandé
souvent si en suivant le Seigneur d'une manière permanente, il aurait
toujours son pain quotidien. Le Seigneur avait reconnu cette pensée, et
par une riche bénédiction il l'avait vaincue.
Elles sont rares, les âmes que les bénédictions de Dieu effrayent, qui
les sentent comme des charbons ardents amassés sur leur tête, et qui
sont amenées par l'expérience de la bonté divine à la connaissance de
leurs péchés et de la grâce de Dieu. C'est ce qui arriva à un
cultivateur qui méprisait la Parole de Dieu, s'en moquait et se faisait
une gloire de n'avoir plus mis les pieds à l'église depuis de longues
années. Il se rendit un dimanche après-midi dans ses champs. On se
plaignait généralement de ce que la moisson serait bien maigre. C'est ce
qu'il reconnut lui-même dans tous les champs qu'il traversa. Lorsqu'il
arriva au sien, il vit avec étonnement qu'il avait été richement béni
d'en haut. À cet aspect il s'arrête un instant, n'osant pas en croire
ses yeux. Tout à coup il se frappa le front et dit à haute voix :
Comment se fait-il que Dieu m'ait accordé la plus belle moisson, à moi
qui suis le plus grand incrédule du village ? Il n'eut pas lieu de
se faire longtemps cette question, car la bonté de Dieu le conduisit à
la repentance (Rom.
II, 4.)
Alors Jésus dit
à Simon : N'aie point de peur ; désormais tu seras pêcheur
d'hommes vivants. Et ayant ramené leur barque au bord, ils
abandonnèrent tout et le suivirent. À partir de ce moment, ces quatre
disciples ne se séparent plus du Seigneur. Pierre fit sa première pèche
d'hommes le jour de la Pentecôte, alors que, sur le témoignage qu'il
rendit de Christ, trois mille drues embrassèrent la foi. Bientôt après,
eut lieu une seconde pèche plus abondante encore que la première. Cinq
mille personnes se convertirent à sa prédication.
Pierre, Jean et Jacques composent le cercle intime du Sauveur. Dans
différentes occasions, Jésus les honore de sa confiance particulière et
les admet dans sa société, alors que les autres sont tenus éloignés.
C'est ainsi qu'ils l'accompagnèrent chez Jaïrus, sur la montagne de la
transfiguration et se tinrent près de lui en Gethsémané.
1. Simon Pierre
est une nature énergique, ardente, promptement excitée. Son cœur brûle
d'amour pour son maître, et il est toujours prêt à montrer cet amour
d'une manière frappante. Plusieurs fois, nous le voyons exprimer les
pensées du coeur de tous ses condisciples. Sa confession : Nous
avons
cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant,
est non seulement la confession de tous les disciples, mais encore celle
des chrétiens de tous les temps et de tous les lieux. Plein de courage
dans son zèle charnel, Pierre frappe du glaive, et la même nuit il renie
son Maître. Jésus, considérant ses dispositions naturelles, le nomme le
rocher. Mais les forces naturelles sont comme la glace, quelque solide
qu'elle soit, Elle ne résiste pas au feu de l'affliction, mais elle fond
et s'écoule. Jésus le prend à son école, afin de faire de ce cœur de
pierre, un cœur rendu solide par la grâce de Dieu. Le chemin pour
atteindre ce but conduit à travers maintes chutes et maints reniements.
Satan aurait voulu séparer Pierre de son Sauveur et le priver de cet
instrument d'élite capable de propager le règne de Dieu, mais la prière
sacerdotale de Jésus pour ses disciples empêcha la foi de Pierre de
défaillir. Après une activité richement bénie parmi les Juifs et les
païens, il fut probablement crucifié à Rome vers l'an 64 de notre ère.
On raconte qu'il fut cloué sur la croix, la tête en bas.
2. Nous ne savons rien de particulier sur son frère André.
3. Jean,
qui aime à se désigner lui-même comme « le disciple que Jésus
aimait », ou comme « celui qui était couché vers le sein de
Jésus », est une âme tendre et profonde, un vase rempli de l'amour
de Jésus, un cœur qui cherche Dieu et qui se repose en Lui. Dès le
commencement, il s'était donné tout entier au Sauveur, c'est pourquoi
aucun n'a pénétré comme lui dans les profondeurs de l'essence divine. Il
ne possède pas la prompte décision pratique de Pierre. C'est pourquoi le
Seigneur ne le met pas à la tète de ses apôtres. Il réserve cette place
à Pierre. Le matin du jour de Pâques, son ardent amour lui donne des
ailes, de sorte qu'il arrive le premier au tombeau, dans le jardin de
Joseph d'Arimathée, il voit le sépulcre ouvert, mais il n'y entre pas.
C'est seulement lorsque l'énergique Pierre a pénétré, qu'il le suit. Et
lorsque le Ressuscité bénit pour la seconde fois richement la pèche de
ses disciples, c'est l'œil de Jean qui distingue le premier la gloire du
Fils unique, et s'écrie : C'est
le Seigneur ! Pierre le surpasse par l'énergie de son
zèle ; il se jette dans la mer et tombe le premier dans les bras du
Sauveur. Nous les voyons souvent ensemble ; mais toujours c'est
Pierre qui est en avant et qui porte la parole.
Cependant on se ferait une idée complètement fausse de Jean si on se le
figurait, d'après les représentations qu'on a faites de ce disciple,
doux jusqu'à la mollesse, sentimental, presque comme une jeune fille,
tendre jusqu'à la faiblesse, cédant aux contradicteurs jusqu'à
méconnaître la différence entre la foi et l'incrédulité. Cette
indifférence en vertu de laquelle foi et incrédulité, disciples et
persécuteurs de Jésus font une même impression sur le cœur, on l'a
appelée de la charité. Cette légèreté avec laquelle on juge les choses
de la foi, cette tiédeur vis-à-vis de la personne de Christ, on les a
décorées du titre pompeux de tolérance, et l'on a fait de Jean le héros
de cette tolérance et de cette charité. Vraiment, on a peine à concevoir
une telle hardiesse à dénaturer et à fausser le caractère des hommes et
la signification des choses.
Cette idée qu'on se fait de Jean, ne concorde en aucun cas avec les
données de l'Écriture sainte. Elle nous autorise certainement à le
nommer le disciple de l'amour. Mais ce n'était pas un amour sentimental
et vaporeux. C'était une étincelle, issue de la flamme de l'amour de
Dieu, qui hait le péché autant qu'il aime le pécheur. L'amour de Jean
pour le Seigneur et pour les siens était intime, profond, ardent. Mais
cet amour s'alliait avec l'énergique résolution de repousser tout ce qui
ne portait pas l'empreinte de Christ, et surtout de tout ce qui lui
était opposé. Lorsqu'un jour les Samaritains refusèrent l'hospitalité à
Jésus, la colère de Jean et de son frère Jacques s'enflamma tellement,
qu'ils voulaient faire descendre le feu du ciel sur ces habitants
inhospitaliers. Jésus fut obligé de les reprendre par ces paroles
sévères : Vous
ne
savez pas de quel esprit vous êtes animés. Car le Fils de l'homme
n'est pas venu pour faire périr les hommes, mais pour les sauver
(Luc IX,
55. 56). De là vint aux deux frères le surnom de « fils du
tonnerre ». C'est sous l'empire de ce même zèle brûlant, que Jean
défend à un homme de chasser les démons au nom de Jésus, parce qu'il ne
les suit pas. Dans ce cas aussi, le Seigneur le désapprouve (Marc
IX, 38).
Nous voyons le même zèle, mais sanctifié, dans son évangile, où il met
en relief les contrastes les plus extrêmes et les plus profonds de la
vie de l'homme : foi et incrédulité, Dieu et le diable, lumière et
ténèbres, vérité et mensonge, vie et mort. Et entre ces extrêmes, il
n'admet, à l'exemple de son Maître, aucun moyen terme. Dans sa deuxième
épître, il défend même de saluer et de recevoir chez soi quiconque ne
confesse pas Jésus-Christ venu en chair (2 Jean, 10). Précisément parce
qu'il aime son Maître avec une telle ardeur, il se sépare de la manière
la plus tranchée de tous les ennemis de la croix de Christ. C'est donc
une entreprise absolument vaine que de vouloir faire de Jean un homme
religieusement indifférent, de changer ce caractère mâle en une
faiblesse féminine et de chercher une cire molle là où il n'y a que du
fer et de l'acier.
4. Jacques le
majeur est le plus souvent mentionné avec son frère et était
aussi du nombre des amis intimes de Jésus. Il est mort par le glaive,
l'an 44 de notre ère, sur l'ordre d'Hérode. On raconte que l'accusateur
de Jacques, gagné à la foi par la courageuse confession de ce disciple,
se serait déclaré chrétien. Tous deux furent condamnés à mort. Comme ils
se rendaient au lieu du supplice, le nouveau disciple pria Jacques de
lui pardonner ses péchés. L'apôtre lui répondit : La paix soit avec
toi, et il lui donna le baiser fraternel. Puis tous deux furent
décapités.
5. Philippe
est un de ceux que Jésus avait déjà appelés à le suivre des bords du
Jourdain (Jean
I, 43). Il semble avoir été bon calculateur (Jean VI, 5). C'est
lui qui conduisit à Jésus les Grecs qui désiraient le voir (Jean
XII, 22). Il demande à voir le Père et reçoit cette réponse :
Philippe, celui qui m'a vu, a vu mon Père (Jean
XIV, 11).
6. Barthélemy
(fils de Tholmaï), est mentionné avec son ami Philippe. Son vrai nom
était Nathanaël, dont nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier la
droiture et la sincérité.
7. Thomas,
surnommé Didyme, est aussi souvent nommé l'incrédule, à cause de son
refus de croire à la résurrection du Seigneur. Lorsque le Sauveur se
préparait à faire son dernier voyage à Jérusalem, et que tous les autres
disciples l'en dissuadaient à cause des dangers qui le menaçaient,
Thomas leur dit courageusement : Allons-y
aussi,
afin de mourir avec lui (Jean
XI, 16). Lorsque Jésus parle de son retour auprès du Père, Thomas
avoue franchement qu'il ne le comprend pas. Lorsqu'il refuse de croire à
la résurrection de Jésus et demande à le voir, ce n'est pas chez lui
incrédulité du cœur ou mauvaise volonté : il veut se prémunir
contre les amères douleurs de la désillusion à laquelle une confiance
trop prompte expose si souvent. Dès que le Seigneur se présente à lui,
il est heureux de tomber à ses pieds, en s'écriant : mon
Seigneur
et mon Dieu (Jean
XX, 24-28) !
8. Matthieu, dont le nom de péager était Lévi, fut aussi appelé peu de
temps après que Jésus eut commencé son activité publique en Galilée. Les
péagers étaient des Juifs employés au recouvrement des impôts pour le
compte des Romains : ils se trouvaient ainsi souvent en rapport
avec eux. De là le mépris avec lequel le peuple les traitait. Au reste,
la plupart d'entre eux n'étaient ni fort honnêtes ni bien scrupuleux
dans la perception des contributions qu'ils recueillaient au nom de
l'empereur. C'est ainsi qu'ils s'étaient attiré la haine de leurs
compatriotes. Malgré cela, ils jouissaient d'une grande influence, grâce
à leurs richesses. Lorsque Jésus vit Lévi assis au bureau des impôts, (Matthieu
IX, 9 ; Luc
V, 27) il reconnut en lui un cœur las d'amasser de l'argent et
dans lequel se livrait un combat entre le désir de le suivre et le soin
de ses affaires. Comme il aurait aimé se joindre au Sauveur s'il avait
pu le faire sans quitter son bureau !
De lui-même, il ne se serait jamais décidé. Mais le Seigneur lui adresse
un appel bref et précis : Suis-moi.
Lévi ne l'avait probablement pas attendu, mais il en fut bien réjoui,
puisque cela mettait fin à ses hésitations. Et
lui, quittant tout, se leva et le suivit. Lévi était préparé
intérieurement, en sorte qu'il n'avait pas besoin de réfléchir
longtemps. Il en devrait être de même de nous, soit que le Seigneur nous
assigne une certaine oeuvre, soit qu'il nous appelle dans l'éternité.
Mais Matthieu ne veut pas se joindre à Jésus en cachette. Il veut
prendre publiquement congé de ses anciens amis et collègues, auxquels il
désire aussi fournir l'occasion de connaître Jésus et ses nouveaux amis.
Le Seigneur ne lui défend pas une pareille démarche, parce que celui qui
sonde les cœurs sait qu'elle n'expose Lévi à aucun danger. Il veut
confesser sa foi en présence de ses anciens compagnons, qui étaient
encore engagés dans la même voie où il avait marché lui-même. Cela n'est
pas toujours facile.
Alors il prépara un grand repas, et Jésus et ses disciples d'une part,
et les anciens amis de Lévi, des péagers et des docteurs de la loi,
d'autre part, étaient ensemble à table. Peut-être Lévi, en prenant
solennellement congé de son ancienne vocation, espérait-il amener l'un
ou l'autre de ses convives à Jésus. Ceci était parfaitement conforme à
la pensée du Seigneur, qui est venu chercher et sauver ce qui était
perdu. Mais les scribes et les pharisiens ne l'entendaient pas ainsi.
lis n'osaient pas encore s'opposer publiquement au Sauveur ; mais
les reproches qu'ils adressèrent à ses disciples visaient évidemment le
Maître. Pourquoi
mangez-vous
et buvez-vous avec des péagers et des gens de mauvaise vie ?
Ils auraient compris que Jésus adressât à une telle assemblée quelques
paroles sévères ; mais manger et boire familièrement avec eux, cela
les scandalisait. Ce n'est pas la complaisance pour les péchés des
péagers qui l'attire vers eux, c'est un ardent désir de les aider à
revêtir d'autres sentiments. C'est pourquoi il leur répond : Ce
ne sont pas ceux qui sont en santé qui ont besoin de médecin ;
mais cesont
ceux
qui se portent mal. Je suis venu pour appeler à la repentance, non les
justes, mais les pêcheurs. Cette parole a certainement été une
consolation pour Matthieu, qui était lui-même un vivant exemple de cette
grâce du Sauveur.
Ce fut aussi à cette occasion que les disciples de Jean-Baptiste
reprochèrent à Jésus que ses disciples mangeaient et buvaient, tandis
qu'eux-mêmes et les disciples des pharisiens jeûnaient souvent. Il leur
répondit, comme il l'avait déjà fait dans le sermon de la montagne, que
les amis de l'Époux ne peuvent pas jeûner pendant que l'Époux est avec
eux ; mais il pénètre plus avant dans la pensée des disciples de
Jean-Baptiste, qui font, dans cette occasion, cause commune avec les
pharisiens. Personne,
leur dit-il, ne
met une pièce d'un habit neuf à un vieil habit, car elle emporterait
une partie de l'habit et la déchirure serait pire. On ne peut
pas réformer la nature de l'homme en procédant de l'extérieur, comme si
l'on voulait parer l'ancienne vie, aux yeux des hommes, au moyen de
quelques bonnes oeuvres Par cette action extérieure, on ne parviendra
jamais à donner au vieil homme un esprit nouveau. C'est ce que le monde
essaye de faire lorsqu'il voit dans la vie des enfants de Dieu certaines
choses qui lui plaisent. Il cherche à les imiter, afin d'avoir les
apparences d'une foi vivante. Mais c'est en vain : quiconque ne
peut pas se décider à abandonner son ancienne conduite et à revêtir de
jour en jour le nouvel homme, ne parviendra jamais à l'unité de la vie
intérieure, ni à la paix avec Dieu.
Les deux partis : les disciples de Jean-Baptiste et les pharisiens
pouvaient répondre que cette nouvelle manière de Jésus était à la vérité
plus agréable, et que s'ils ne l'adoptaient pas c'était uniquement parce
que cette piété leur paraissait trop facile. Ils étaient eux, des héros
de vertu, capables de se livrer à des pratiques beaucoup plus
difficiles. Qui ne reconnaît pas là, la manière de voir des enfants du
monde, lorsqu'ils raillent la facilité avec laquelle les croyants
prétendent aller au ciel, puisque d'après leur doctrine la foi seule est
nécessaire ? Mais le Seigneur ne les laisse pas dans leurs
illusions. Le vin nouveau de l'Évangile est assurément plus doux et plus
fortifiant que le travail accompli en vue du salut par les œuvres. Mais
la douceur et la consolation de l'Évangile, celui-là seul les goûte
véritablement, qui a fait l'expérience intérieure de la colère du Dieu
juste et saint. C'est pourquoi tous ceux qui veulent être justes devant
Dieu par leurs oeuvres et ne peuvent se décider à accepter le salut par
pure grâce, craignent de descendre au fond de leur coeur. Ils sentent
qu'ils ne pourraient le faire sans de douloureux combats.
Personne ne met
le vin nouveau dans de vieux vaisseaux ; autrement le vin nouveau
romprait les vaisseaux et se répandrait, et les vaisseaux seraient
perdus. Mais le vin nouveau doit être mis dans des vaisseaux neufs, et
ainsi tous les deux se conservent. Et il n'y a, personne qui, buvant
du vin vieux, veuille aussitôt du nouveau, car, dit-il, le vieux est
meilleur. Vivre, d'après les principes qu'on s'est posés
soi-même, garantit le contentement personnel et la satisfaction que
donne la vertu propre, et l'on pense : le vieux est meilleur. De
bouche, on plaisante sur la piété facile des amis de Jésus. Mais en
réalité, la raison pour laquelle on aime mieux persister dans l'ancienne
vie, c'est qu'on fuit la foi, parce qu'elle naît des douleurs de la
repentance.
9. Jacques le
mineur était fils de Cléopas et de Marie, soeur de la mère de
Jésus (Jean
XIX, 25). Et à cause de cette parenté, on le nommait, d'après les
habitudes de cette époque, le frère (cousin) de Jésus. Il fut plus tard
le chef de la communauté chrétienne de Jérusalem, et désigné par Paul
comme une des colonnes de l'Église avec Pierre et Jean (Gal.
II, 9).
10. Simon le
zélote, c'est-à-dire le zélé, dont nous ne connaissons que le
nom. Jésus lui donne ce surnom pour caractériser ses dispositions
naturelles et en même temps pour lui montrer le but auquel il devait
tendre.
11. Nous pouvons dire la même chose de Jude,
frère de Jacques, surnommé Lebbée ou Thaddée, c'est-à-dire l'enfant du
cœur, le bien-aimé. Il n'est mentionné qu'une seule fois, c'est
lorsqu'il fait cette question à son Maître : Seigneur, d'où viens
que tu te feras connaître à nous et non pas au monde (Jean
XIV, 22) ?
12. Judas Iscariot
est constamment nommé le dernier parmi les apôtres. On a souvent demandé
comment le Sauveur avait pu admettre ce traître dans le cercle intime de
ses disciples. S'il le connaissait dès le commencement, comment a-t-il
pu nourrir ce serpent dans son sein ? Et il n'était pas possible
que Celui qui sait ce qui est dans l'homme ne connût pas celui-là. On
peut répondre que, Jésus voyait dans Judas, à côté de maints dons qui le
rendaient apte à devenir un ouvrier distingué dans sa vigne, de mauvais
germes qui, s'ils n'étaient combattus, pouvaient finalement le conduire
à trahir son Maître. Mais ceci n'était pas particulier à Judas. Le
Seigneur connaissait aussi dans les autres apôtres de mauvaises
dispositions naturelles. Par exemple, il voyait dans Pierre sa confiance
en sa propre force, son inconstance et son horreur de la souffrance,
dans Jacques et Jean, la violence et l'ambition. Tous ces mauvais
penchants devaient être combattus et pouvaient être vaincus dans la
société de Jésus. La Parole est un parfum de vie pour ceux qui se
laissent châtier ; pour les autres elle est une odeur de mort.
Cette résistance continuelle de Judas au généreux amour de son Maître
n'était pas inconnue de Jésus. Mais il persévéra dans l'œuvre de la
délivrance de son malheureux disciple, aussi longtemps qu'il y eut
quelque espoir de le sauver, jusqu'à la douloureuse plainte de
Gethsémané :
Judas, trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un baiser ?
L'amour de l'argent et des espérances messianiques terrestres,
conservèrent la prépondérance dans son cœur, tellement qu'il ne prêta
aucune attention aux avertissements publics et pressants du Sauveur. Il
ne saurait donc être question d'un décret divin en vertu duquel Judas
devait nécessairement être un traître, parce que sa trahison était
l'accomplissement de cette parole de l'Écriture : Celui qui
mangeait mon pain a levé le talon contre moi (PS.
XLI, 10). L'accomplissement d'une prophétie n'a pas lieu parce
qu'elle a été écrite d'avance, et parce que Dieu serait ainsi mis en
demeure de diriger les coeurs des hommes, de manière à leur faire tenir
une conduite conforme à la Parole écrite. C'est le contraire qui est
vrai. C'est parce que Dieu a prévu ce qui devait arriver plus tard, en
vertu de la libre décision et de la pleine liberté des hommes, qu'il l'a
fait connaître à ses prophètes, qui à leur tour l'ont écrit.
Quant à Judas, il a épuisé tout l'abîme du généreux amour de
Jésus ; il n'a pas voulu
s'amender. Lorsqu'il vit son Maître condamné à mort, il se
repentit ; le souvenir de son amour lui amassait des charbons
ardents sur la tète, et le salaire de sa trahison, comme des charbons
ardents, lui brûlait les mains, au point qu'il le jeta loin de lui. Que
ne se décida-t-il à aller à Jésus, au lieu de s'adresser au souverain
sacrificateur ! Il n'aurait pas reçu la réponse : « Que
nous importe ! tu y pourvoiras » ; mais le même regard,
qui avait ramené Pierre dans la bonne voie après son reniement, aurait
aussi rencontré les yeux de Judas, qui seraient alors devenus
d'abondantes sources de larmes. Il aurait été préservé de la tristesse
du monde, qui produit la mort. Mais on demande : Dans ce cas, que
serait devenue la prédiction ? - Elle aurait été accomplie en
quelque autre qui aurait endurci son cœur à l'amour de Jésus. Que celui
qui croit être debout prenne garde qu'il ne tombe!