Déjà avant son incarnation, le Fils de Dieu s'est révélé comme
médecin. Bientôt après la sortie d'Égypte, où il s'était montré le Roi
et le conducteur de son peuple, Il lui fait cette promesse : Si
tu écoutes attentivement la voix de l'Éternel ton Dieu, et si tu fais
ce qui est droit devant lui ; si tu prêtes l'oreille à ses
commandements et si tu gardes toutes ses ordonnances, je ne ferai
venir sur toi aucune des langueurs que j'ai fait venir sur
l'Égypte ; car je suis l'Éternel qui te
guérit (Exode
XV,
23-26).
Et bientôt après il fait la même promesse : Vous
servirez l'Éternel, et il bénira votre pain et votre eau, et j'ôterai
les maladies du milieu de toi (Exode
XXIII, 25). Quant à ceux qui ne voudront pas obéir à sa voix,
l'Éternel les menace de diverses maladies (Deutér.
XXVIII, 27). Ce qui était promis pour l'année des restitutions,
l'année favorable du Seigneur, le Fils de Dieu fait homme veut
l'accomplir. Il veut délivrer de tout péché et de toutes ses
conséquences. Or, ces conséquences ne se montrent pas seulement dans
le manque de paix, dans les déchirements de l'âme, mais aussi dans le
corps, par toutes sortes de souffrances et de maladies.
Si l'on est tenté de trouver étrange que le Sauveur, dans
son activité rédemptrice, consacre tellement de temps et de forces aux
guérisons des malades, et si l'on incline à croire que ces guérisons
n'ont rien de commun avec son oeuvre de Sauveur, c'est qu'on méconnaît
l'étroite relation qui existe entre la maladie et le péché. C'est
seulement par le péché que la maladie et la mort sont entrées dans le
monde, mais elles seront un jour définitivement vaincues et
supprimées. Le Sauveur, qui délivre nos âmes du
péché, de la mort et de la puissance de Satan, veut et peut aussi
prendre soin de nos corps. Il nous a déjà promis par les prophètes
qu'il le fera : Dites à ceux qui ont le
coeur troublé : Voici votre Dieu ; il viendra lui-même
et vous délivrera. Alors les yeux des aveugles seront ouverts, les
oreilles des sourds seront débouchées. Alors les boiteux sauteront
comme un cerf, la langue des muets chantera avec triomphe
(Esaïe
XXXV, 4-16).
Avec quel dévouement le Sauveur consacrait son temps et
ses forces à la guérison des malades, c'est ce qu'il fait savoir aux
messagers de Jean-Baptiste prisonnier, afin que celui-ci reconnût à ce
signe que Jésus remplit pleinement sa mission messianique. Sans doute,
son principal but était toujours le salut des âmes par le pardon des
péchés ; mais pour que ce but fût atteint, il fallait qu'on crût
et qu'on eût confiance en sa personne, et les guérisons des malades
aidaient puissamment à faire naître ces dispositions.
Le coeur humain est surtout sensible à l'amour qui se
traduit par la sympathie pour les souffrances corporelles. Le Sauveur
a montré sa véritable gloire divine dans les guérisons qu'il a
opérées, en ce qu'il n'a pas usé des moyens dont se servent les
médecins de la terre, vu qu'il était en même temps le remède, et qu'il
a porté lui-même nos maladies et s'est chargé de nos douleurs, afin
que nous ayons la guérison par ses meurtrissures (Esaïe
LIII). Aussi les enfants de Dieu le louent et l'exaltent, parce
que non seulement il. leur pardonne toutes leurs iniquités, mais
encore parce qu'il les délivre de leurs infirmités (Ps.
CIII, 3. 4).
D'un autre côté, le Sauveur ne veut pas user de sa
toute-puissance pour faire disparaître tout d'un coup les maladies.
Une vie sans douleur sur la terre, mais en même temps mondaine et
souillée, comblerait sans doute les voeux des enfants du monde, mais
ne cadrerait en aucune façon avec les conditions posées par le
Seigneur à l'entrée dans le royaume des cieux. Là où il n'y a pas de
pardon des péchés, l'exemption des maladies ne pourrait avoir d'autre
signification que celle-ci : c'est que la punition serait
différée jusqu'après la mort. De même que la maladie et les
souffrances ne sont venues dans le monde que comme une conséquence
nécessaire du péché, de même la délivrance de la maladie et de la mort
ne peut avoir lieu qu'à la suite de la victoire
complète sur le péché, C'est alors seulement que
Dieu essuiera toutes larmes de leurs yeux, que la mort ne sera
plus, qu'il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni travail ; car
ce qui était auparavant sera passé (Apoc.
XXI, 4). C'est le Seigneur lui-même qui dit : Voici,
je vais faire toutes choses nouvelles (XXI,
5). C'est par son activité et ses souffrances qu'il amènera ce
glorieux résultat : de nouveaux cieux et une nouvelle terre.
Chaque guérison de malade, chaque fait miraculeux opéré par son
tout-puissant amour, devait être une prophétie de cet heureux temps.
Le Sauveur n'a jamais renvoyé un malade qui s'était
adressé à lui, sans le guérir complètement. Par ce moyen, il engageait
les autres malades à venir à lui. Et les miracles qu'il a faits hier
sont une garantie de ceux qu'il peut et veut faire encore aujourd'hui.
Ils étaient destinés, à nous montrer ce que nous pouvons attendre de
lui. Ils nous prouvent que nous n'avons aucun besoin qu'il ne puisse
satisfaire.
Lorsque Jésus descendit de la montagne, une grande foule de
peuple le suivit. Et voici un lépreux vint,
se prosterna devant lui et lui dit : Seigneur, si tu le veux,
tu peux me guérir. Les lépreux étaient les êtres les
plus malheureux. Dès qu'un homme était atteint de cette maladie, il
était arraché à sa famille et complètement exclu de la société de ses
semblables. Les maisons qui leur étaient réservées, se trouvaient en
dehors des villes. C'est dans un de ces établissements que devait
vivre celui dont il est question dans ce passage. C'est là qu'on leur
portait leur nourriture ; car non seulement l'attouchement, mais
même l'haleine d'un lépreux communiquait la maladie. La lèpre
s'héritait comme le péché et conduisait lentement mais sûrement à la
mort.
Comme le péché, la lèpre était inguérissable par les
moyens humains. Le Dieu vivant pouvait seul en délivrer. Lorsque
Naaman, le chef de l'armée du roi de Syrie, qui était lépreux, vint
auprès du roi de Juda pour chercher la guérison,
celui-ci effrayé répondit : Suis-je Dieu pour pouvoir guérir de
la lèpre ? (2
Rois V, 6.) La surveillance de cette maladie était confiée aux
sacrificateurs. Dès qu'ils remarquaient la présence de la lèpre dans
un homme, ils l'excluaient de la société, quelqu'un était-il guéri, il
fallait qu'il se montrât aux sacrificateurs et se soumit à leur
jugement. C'était seulement lorsque ceux-ci l'avaient déclaré net,
qu'il pouvait rentrer dans sa famille.
Le lépreux qui s'adressait à Jésus descendant de la
montagne, avait probablement entendu de loin ses enseignements. Et
comme le Seigneur prêchait par sa personne aussi bien que par ses
paroles, le lépreux mit sa confiance en lui. Il crut que le
prédicateur du royaume des cieux était aussi le roi de ce royaume et
avait les puissances célestes à sa disposition. Il était parfaitement
convaincu que Jésus pouvait le guérir, mais il n'était pas
certain qu'il le voulût. Il avait l'impression très juste que
les puissances du royaume des cieux ne peuvent être mises au service
que de ceux qui veulent y entrer, et que des sentiments conformes à la
nature de ce royaume étaient nécessaires pour que les énergies de la
grâce exerçassent leur action salutaire. Il jette sur lui-même un
regard scrutateur, et son humilité le conduit jusqu'aux limites du
découragement ; mais il reprend courage en regardant à ce
Sauveur. Pauvre en esprit, il expose simplement au Seigneur l'état de
son âme sans revêtir de belles paroles. Sa prière muette sera
immédiatement exaucée.
Cette parole : Seigneur,
si tu veux, tu peux me guérir, apprenons à la prononcer
avec ce pauvre lépreux. Maint chrétien croit qu'il va de soi que le
Seigneur le secoure, et il reste fixé opiniâtrement sur son besoin et
sur l'idée de la puissance de Dieu, pour lui arracher en quelque sorte
l'exaucement de la prière. Si une de ces coupables supplications est
exaucée, c'est plutôt un châtiment qu'une grâce.
Le pieux prédicateur U. avait un enfant mortellement
malade. Dans sa douleur il se cramponnait avec violence à cet enfant,
et s'écriait : Seigneur, tu ne peux pas me prendre mon enfant, je
ne te le donnerai pas ! L'enfant guérit ; mais, comme
témoignage que son père avait mal prié, il était idiot. Il est plus
agréable à Dieu et plus bienfaisant pour nous de prier comme le
lépreux : Seigneur, si tu le
« veux, tu peux. Et Jésus, étendant la main, le toucha et lui
dit : Je le veux, sois nettoyé ; et
incontinent il fut nettoyé de sa lèpre. Le Seigneur
fait encore continuellement la même chose. Dans les sacrements, il
étend sa main de Sauveur vers la lèpre de nos péchés, nous touche et
nous dit : Je le veux, sois nettoyé ! Ne l'avez-vous jamais
senti ?
La défense faite à celui qui avait été guéri de n'en
parler à personne, avait probablement pour but de le laisser vivre
encore pour quelque temps dans le silence avec la bénédiction qu'il
avait obtenue, afin que sa reconnaissance devint d'autant plus grande
et sa foi plus profonde. On perd facilement une bénédiction lorsqu'on
se hâte trop d'en parler aux autres. Mais il faut qu'il se montre au
sacrificateur et offre le sacrifice prescrit par la loi. Plusieurs ont
trouvé étrange que le Seigneur défende à l'un de parler de ce qu'il
lui a fait, tandis qu'il recommande à un autre de le publier. C'est
que le Seigneur traite chacun selon son caractère. Les natures
promptes à parler sont condamnées au silence, tandis que les paresseux
et les timides sont poussés à s'avancer et à confesser leur Sauveur,
qui leur dit : Va et publie les grandes choses que le Seigneur
t'a faites (Marc
V, 19 ; Luc
VIII, 39).
Dans le récit relatif au centenier de Capernaüm, nous suivrons le
récit de St-Luc. Il ne diffère de celui de St-Matthieu qu'en ce qu'il
entre dans plus de détails. Le fait que, d'après St-Luc, le centenier
envoya les anciens d'Israël à Jésus, tandis que d'après St-Matthieu il
vint lui-même et présenta personnellement sa prière au Seigneur, ne
constitue nullement une contradiction. En tout cas, ce furent les
anciens d'Israël qui vinrent à Jésus, comme étant les envoyés du
centenier. D'un autre côté, St-Matthieu pouvait être fondé à dire que
le centenier était venu lui-même à Jésus, puisque les anciens ne
firent que s'acquitter du message dont le centenier les avait chargés.
Il y avait là un centenier dont
le serviteur, qui lui était fort cher, était malade et s'en allait
mourir. Et le centenier, ayant entendu parler
de Jésus, envoya vers lui des anciens des Juifs pour le prier de
venir guérir son serviteur. L'affection du centenier
pour son esclave est liée avec sa foi, que Jésus loue si fort dans la
suite. Du moment que la foi est de bon aloi, elle ne peut pas être
séparée de la charité. - Quiconque ne peut pas traiter ses serviteurs
avec amour, n'est pas digne d'avoir des serviteurs fidèles. - La foi
du centenier est humble aussi, puisqu'il se juge indigne de paraître
devant Jésus et que pour cette raison, il envoie des anciens des Juifs
pour lui présenter sa prière.
Étant donc venus vers Jésus, ils
le prièrent instamment, disant qu'il était indigne qu'on lui
accordât cela. Car, disaient-ils, il aime notre nation, et c'est
lui qui nous a fait bâtir la synagogue. Lorsqu'un homme
dit ou pense de lui-même qu'il est indigne, et qu'au contraire ceux
qui le connaissent lui rendent le témoignage qu'il est digne, cet
homme est dans la bonne voie. Un grand honneur fut accordé à la
synagogue que le centenier avait fait construire, car chaque fois que
Jésus revenait dans sa ville, il enseignait dans cette synagogue.
Jésus donc s'en alla avec eux.
Et comme il n'était plus guère loin de la maison, le centenier
envoya vers lui de ses amis pour lui dire : Seigneur, ne
l'incommode point, car je ne suis pas digne que tu entres dans ma
maison ; c'est pourquoi aussi je ne me suis pas jugé digne
d'aller vers toi : mais dis seulement une parole, et mon
serviteur sera guéri. Car, quoique je ne sois qu'un homme soumis à
la puissance d'autrui, j'ai sous moi des soldats et je dis à
l'un : Va, et il va, et à l'autre : Viens, et il vient,
et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait. On
a voulu trouver une contradiction entre la prière que le centenier
fait adresser au Seigneur de venir guérir son serviteur et celle de ne
pas venir. Nous pouvons facilement comprendre ces sentiments opposés.
D'abord le centenier, dans l'humble sentiment de son indignité, ne
s'adresse pas personnellement à Jésus, mais lui envoie des anciens
d'Israël. Puis, lorsqu'il apprend que Jésus s'est mis en chemin pour
se rendre chez lui, cette pensée lui vient à l'esprit : Qu'ai-je
fait ? Qu'est-ce que le Seigneur pensera de moi, que j'aie osé le
prier de venir dans ma maison ? Il voit le Sauveur dans sa
gloire, et alors toutes les maladies lui apparaissent comme autant
de serviteurs du Seigneur qui vont et viennent à son commandement. Il
fait dire à Jésus : Mes serviteurs exécutent docilement mes
ordres, et je ne suis cependant qu'un homme, tandis que tu es le Fils
de Dieu. Dis seulement une parole et mon
serviteur, sera guéri. Il a cette confiance dans le
Sauveur, qu'il peut guérir sans se mettre personnellement en contact
avec le malade, et même malgré la distance qui le sépare de lui.
Jésus admire une pareille foi, et se tournant vers la
troupe qui le suivait : « Je vous dis en vérité que je n'ai
pas trouvé une si grande foi en Israël. » La foi de la Cananéenne
lui causa la même joie. Il ne faut pas trouver étrange que le Sauveur
se laisse réellement arracher le secours qu'elle lui demande, tandis
qu'il l'accorde si volontiers au centenier. Quel instituteur traite
tous ses élèves de la même manière ? Quel père use des mêmes
procédés d'éducation envers tous ses enfants ? Dans ses
guérisons, Jésus n'est pas seulement médecin, il est aussi pasteur.
Lui qui n'a pas besoin que personne lui rende témoignage de ce qui est
dans l'homme, usait précisément, à l'égard de chaque âme, des moyens
qui pouvaient le plus sûrement la conduire au but désiré :
éveiller et fortifier la foi en elle. Israël était orgueilleux, le
centenier païen était humble ; c'est pourquoi on ne pouvait pas
trouver en Israël la foi héroïque du centenier, foi qui ne naît que
dans les coeurs brisés.
Saint Matthieu ajoute ici une parole relative à
l'accession des païens au royaume de Dieu et à l'exclusion des Juifs (Matth.
VIII, 11-13). Dès le commencement, le Seigneur voyait clairement
que son peuple ne le recevrait pas, qu'il était lui-même la pierre que
les architectes rejetteraient (Ps.
CXVIII, 22), et que son règne pousserait de plus fortes racines
parmi les païens qu'au sein de son peuple d'Israël.
Du fait que dans les premiers temps de son activité, le
Seigneur parle du royaume des cieux et du règne de Dieu, et seulement
plus tard de l'Église qu'il voulait fonder, on a conclu qu'il espérait
alors qu'Israël accepterait volontiers le message du salut, et
qu'ainsi la théocratie de l'Ancien Testament se transformerait et
deviendrait le règne de Dieu sous l'économie du Nouveau Testament. On
a dit que c'est seulement en voyant ses espérances déçues, qu'il avait
changé son plan et avait dirigé ses pensées sur la
fondation de l'Église. Cependant si, en nous basant sur Actes
1, 7, nous sommes pleinement autorisés à admettre que le
Sauveur, sous sa forme de serviteur, ignorait les détails des
événements qui devaient surgir dans le développement de son règne
pendant les siècles futurs, nous porterions certainement atteinte à sa
dignité de Fils de Dieu, si nous pensions que dès le commencement il a
poursuivi un faux but, et que les contours les plus généraux du
royaume qu'il venait fonder lui étaient inconnus. C'est ainsi qu'en
voyant la foi du centenier païen - et il était encore au début de son
ministère - il annonçait que les païens auraient part au règne de
Dieu, tandis que les enfants du royaume, les Juifs, seraient jetés
dans les ténèbres du dehors.
Malgré cela, il ne cesse de chercher et de travailler à
sauver ce qui était perdu. Même plus tard, lorsqu'il voit les
jugements de Dieu prêts à éclater sur Jérusalem, il prie encore pour
elle avec larmes. Il ne saurait donc être question d'erreur ou
d'illusion de la part du Seigneur. D'un autre côté, lorsque plus tard
il parlait de la fondation future de l'Église, et même pendant les
quarante jours qui suivirent sa résurrection, alors que l'Église était
sur le point d'être fondée par le miracle de la Pentecôte, Jésus parle
encore à ses disciples du royaume de Dieu. C'est que l'Église et le
royaume de Dieu ne diffèrent pas l'un de l'autre, au point que l'un
exclue l'autre. Le royaume de Dieu, qui jusqu'ici se résume dans la
personne de Jésus, comme étant lui-même le salut, pénètre dans la vie
de l'humanité par l'activité de l'Église, et y prend la forme qui lui
est propre. L'Église est d'une part l'instrument ordonné de Dieu pour
établir son royaume, et d'autre part, elle est elle-même la
réalisation provisoire de ce royaume.
Et Jésus dit au centenier :
Va, et qu'il te soit fait selon que tu as cru ; et à l'heure
même son serviteur fut guéri.
On ne peut pas établir d'une manière rigoureuse la succession des
miracles de Jésus, quoique dans les faits, les évangélistes soient
d'accord entre eux. Il est vrai que tel évangéliste raconte
quelquefois des faits que tel autre omet. Il est vrai aussi que le
même événement est rapporté assez souvent par plusieurs narrateurs,
seulement il peut être raconté par l'un avec des détails qu'un autre
passe sous silence. Mais, en tout cela, ils ne se contredisent pas les
uns les autres ; ils se complètent plutôt, l'un rapportant ce que
l'autre a omis.
La guérison opérée dans la maison de Pierre ne fut
certainement pas le premier miracle que Jésus fit à Capernaüm. Car Luc
IV, 38 dit expressément qu'ils le prièrent de guérir la
belle-mère de ce disciple, ce qui prouve qu'on connaissait le pouvoir
miraculeux qu'il exerçait en faveur de ceux qui imploraient son
secours. S'étant donc approché d'elle, il
commanda à la fièvre, et la fièvre la quitta, et incontinent elle
se leva, et les servit. Pierre et son frère André
étaient disciples de Jésus ; et bien qu'ils ne le suivissent pas
encore d'une manière permanente, ils avaient certainement plus d'une
fois interrompu leurs occupations de pécheurs, pour écouter la parole
de vie qu'ils recueillaient de sa bouche. Peut-être ces interruptions
avaient-elles occasionné plus d'un embarras dans la famille de Pierre.
Maintenant la maladie de sa belle-mère vient encore les augmenter. Ils
devaient faire l'expérience que les familles pieuses ne sont pas
exemptées de la croix ni des maladies. Le coeur de cette femme était
peut-être déjà assailli par plus d'un chagrin. Le Sauveur lui donne
dans sa propre personne un signe, auquel elle pourra reconnaître que
sa maison ne sera pas dans le besoin, par le fait que Pierre abandonne
tout pour le suivre. Aussi profite-t-elle immédiatement de la santé
qui lui est rendue, pour témoigner son amour au Sauveur en le servant.
Voilà ce que nous devrions toujours faire nous-mêmes. Dans nos
maladies, nous promettons souvent au Seigneur de
le servir toute notre vie s'il nous rend la santé. Avons-nous tenu
parole ?
Sur le soir, on lui présenta
plusieurs démoniaques dont il chassa les mauvais esprits par sa
parole. Il guérit aussi tous ceux qui étaient malades, afin que
s'accomplît ce qui avait été dit par Esaïe le prophète : Il a
pris nos langueurs et s'est chargé de nos maladies. Le
repos que le Seigneur avait goûté dans le cercle de la famille de
Pierre, lui avait fait du bien. Mais le bruit de sa présence se
répandit rapidement et de tous côtés on lui apporta des malades. Il
leur vint en aide à tous avec un infatigable amour. La nuit même
n'interrompt point les soins qu'il leur prodigue. Il est jaloux de
racheter chaque moment du temps qui lui est assigné. Oh !
puissions-nous prendre à coeur de suivre son exemple ! Le temps
passe, la mort approche, et nous rachetons si peu le temps ! Nous
sommes si peu zélés à servir nos semblables avec un amour
désintéressé ! Nous croyons toujours avoir assez de temps !
- Le Seigneur, qui s'est chargé de nos péchés, a aussi pris sur lui
les conséquences du péché, les douleurs du corps et la mort qui est le
fruit mûr de toutes les maladies de l'humanité. Ceux-là portaient
leurs malades à Jésus. Avons-nous déjà fait la même chose ?
Le Sauveur est à l'apogée de son activité rédemptrice, et il imprime
à son action un puissant mouvement qui saisit le peuple tout entier.
Des foules viennent à lui de toutes les contrées environnantes, pour
entendre sa parole et voir ses oeuvres. Mais tous n'étaient pas
travaillés et chargés ; tous n'étaient pas pauvres en esprit et
altérés de justice. Beaucoup n'étaient mus que par une oisive
curiosité ; d'autres étaient poussés vers lui par de fausses
espérances messianiques. Peu désiraient ardemment la consolation
d'Israël. Mais tous étaient puissamment attirés par la majesté et la
bonté de la personne de Jésus, par les actes divins que ses mains
accomplissaient et par les paroles de vie qui découlaient abondamment
de ses lèvres sacrées. Les âmes abandonnées, languissantes,
dispersées, étaient le champ où la moisson mûrissait ; mais il
n'y avait pas d'ouvriers. Le Seigneur en avait déjà réuni quelques-uns
autour de lui ; mais il cherchait encore des yeux, parmi les
foules qui se pressaient sur ses pas, s'il n'en trouverait pas de bien
disposés à entreprendre cette moisson ; car le travail devait
s'étendre et se diversifier à l'infini. Mais il ne pouvait employer à
cette oeuvre. des coeurs remplis d'espérances mondaines, comme ceux
qui voulurent plus tard le faire Roi, après qu'il les eut rassasiés.
Fatigué par cette féconde activité, Jésus désire se
retirer dans le silence avec ses disciples, et leur commande de se
préparer à passer de l'autre côté de la mer. Pendant qu'il se
dirigeait vers le rivage, un scribe, dont le coeur avait été
profondément remué par ses paroles, s'offrit de le suivre. Il avait
été convaincu par les miracles du Seigneur que c'était bien lui qui
devait venir et qu'il ne fallait pas en attendre un autre. Subitement
décidé, il s'approche du Sauveur et lui dit : Maître,
je te suivrai partout où tu iras. Un autre se serait
peut-être laissé éblouir par ce joyeux enthousiasme, et aurait pu
croire cet homme parfaitement préparé à recevoir les choses divines,
et disposé à travailler avec joie dans le champ du Seigneur. Nais
Jésus sait que ces enthousiasmes, si promptement allumés, ne sont
souvent que des feux de paille. Il ne repousse pas le scribe, mais il
l'exhorte à réfléchir avec calme, et l'engage à calculer la dépense
avant de commencer à bâtir. Les renards ont
des tanières, les oiseaux de l'air ont des nids ; mais le
Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. Voilà
l'existence qu'il faut accepter pour suivre Christ. Il n'y a là ni
logement commode, ni aise, ni honneurs, ni bien-être à espérer :
c'est une vie pleine de renoncement et d'abnégation. Nous ignorons si
après cela, le scribe eut encore le courage de suivre Jésus ; ce
qui est certain, c'est qu'il avait grand besoin de s'éprouver
lui-même.
Bientôt après, et encore avant d'entrer dans la barque,
le Seigneur rencontre un autre homme qui ne se hâte pas, comme le
premier, de lui offrir de le suivre. Il faisait déjà partie des
disciples de Jésus, mais ne s'était pas encore décidé à le suivre
d'une manière permanente. Il est dans une disposition semblable à
celle de Philippe, auquel le Seigneur fut obligé
de dire : « Suis-moi ». Ce sont des natures difficiles
à émouvoir, indécises, lentes, disposées à la réflexion, qui n'ont pas
à souffrir de passions violentes, mais qui, en revanche, tombent
facilement dans la paresse, et aiment par-dessus tout leur commodité.
C'est un homme ainsi disposé que nous avons devant nous. À l'appel du
Seigneur, il fait une réponse évasive. Seigneur,
permets que j'aille auparavant ensevelir mon père. Le
Seigneur presse ce disciple de se décider, afin de faire naître dans
cette âme engourdie une prompte et ferme résolution. Laisse les morts
ensevelir leurs morts, et toi, va annoncer le règne de Dieu. Jésus ne
lui permet pas de s'éloigner, car il sent que l'enterrement du père,
avec ses cérémonies compliquées, pourrait bien entraîner l'enterrement
de la décision du disciple. Jésus a tenu en honneur, pour lui-même, le
cinquième commandement (Luc
II, 51), et l'a aussi enseigné (Matth.
XV, 4). Mais lorsque, comme c'est ici évidemment le cas,
l'enterrement du père dispute au Sauveur le premier rang, alors il
faut appliquer cette parole : « Celui qui aime son père ou
sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi (Matth.
X, 37).
Un troisième se présenta encore et dit : Je
te suivrai, Seigneur, mais permets-moi auparavant de prendre congé
de ceux qui sont dans ma maison. Cet homme se sent
attiré vers Jésus, mais son coeur est encore attaché aux membres de sa
famille. L'amour de la famille est certainement agréable à Dieu, mais
lorsque les membres d'une famille ne l'aiment pas, lorsqu'ils se
placent comme un mur de séparation entre un coeur et le Sauveur, alors
les adieux, pleins d'amère douceur, peuvent bien facilement devenir
des adieux faits au Sauveur lui-même. C'est ce danger que le Seigneur
veut prévenir : Celui qui met la main à la charrue, et qui
regarde derrière lui, n'est pas propre pour le royaume de Dieu. Celui
qui veut cultiver l'amour naturel, même l'amour de la famille, au
détriment de l'abandon complet de soi-même au Seigneur, celui-là n'est
pas propre pour le royaume de Dieu. Le désir de prendre congé des
siens était un regard jeté en arrière, tandis qu'on avait déjà mis la
main à la charrue. La femme de Loth regarda aussi en arrière et fut
changée en une statue de sel (Gen.
XIX, 26). Déjà hors des murs de Sodome, qui
allait être détruite, elle périt pour avoir regardé derrière
elle ; car dans ce regard, se trahit le regret que l'éloignement
de cette ville laissait dans son coeur. Que le Seigneur préserve cet
homme d'un sort pareil !
La merveilleuse sagesse du Seigneur, qui sonde les
coeurs, et qui traite chacun selon ses dispositions particulières et
ses dons naturels, nous apparaît ici exceptionnellement claire et
glorieuse. Trois hommes se présentent à lui ; tous les trois
demandent la même chose : être admis au nombre de ses disciples.
Le premier est sévèrement tenu éloigné, le deuxième est amicalement
encouragé ; le troisième est sérieusement poussé en avant. Quelle
consolation pour nous ! Comme cette conduite du Sauveur nous
encourage à nous abandonner à Lui avec la plus entière confiance et à
nous dire : Le Seigneur découvre de loin ma pensée. Il connaît ma
nature et tous mes péchés. Il sait ce qui m'est nécessaire et par
quelles voies il doit me conduire, pour me faire atteindre le but.
Heureux sommes-nous d'avoir un pareil Maître !
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |