Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

-------


28. Le Sermon sur la montagne.

(Matthieu V -VI-VII.)


e) De l'attitude dit chrétien vis-à-vis des biens de ce monde.

(Matth. VI, 19-34.)

Là où est votre trésor, là sera aussi votre coeur. Notre coeur s'attache à ce qui lui parait le plus précieux et qui a le plus de valeur à ses yeux. Mais dans son appréciation, il est le plus souvent dominé par un penchant aveugle. Le Seigneur nous engage à prendre une décision claire et consciente, en vertu de laquelle nous le reconnaissions, comme le vrai trésor de nos âmes, et que nous donnions nos coeurs, à Lui, et non aux biens périssables de la terre.
Cependant lorsque le Seigneur dit : Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où les vers et la rouille gâtent tout, où les larrons percent et dérobent, il n'entend pas défendre de posséder et d'acquérir des richesses; mais il faut que le coeur, avec ses aspirations, soit dirigé vers Dieu seul. C'est en regardant à lui que nous accomplirons consciencieusement les travaux de notre vocation. S'il les bénit en nous accordant des biens de la terre, nous les acceptons de sa main, mais nous n'y attachons pas notre coeur.

L'oeil est la lumière du corps ; si ton oeil est sain, tout ton corps sera éclairé, mais si ton oeil est mauvais, tout ton corps sera ténébreux.
Si notre âme a trouvé son repos en Dieu, si l'oeil de notre coeur est invariablement fixé sur lui, nous sommes déjà ici-bas remplis de la vie et de la lumière divines. La simplicité de l'oeil du coeur, voilà ce que le regard de Jésus découvrit avec satisfaction dans Nathanaël. De même, aussi longtemps que l'oeil de Pierre resta fixé simplement sur Jésus, ce disciple se maintint sur la surface des flots ; mais dès que son oeil se détourna et regarda à la violence du vent, Pierre commença à enfoncer.

Nul ne peut servir deux maîtres ; ou bien il aimera l'un et haïra l'autre ; ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. L'esprit de frivolité mondaine nous dit qu'on peut bien aspirer en même temps aux jouissances terrestres et à la possession des biens célestes. On ne veut pas se mettre mal avec Dieu, mais on ne veut pas non plus s'aliéner le monde. En ceci, notre oeil oblitéré nous trompe. Le Sauveur ne nous défend pas seulement un tel partage du coeur ; mais il le tient pour une chose impossible. La véritable piété et l'amour du monde sont incompatibles (Jacq. IV, 4). L'homme ne peut tenir qu'un seul objet pour son souverain bien et son trésor. C'est pourquoi il faut se décider. Cela revient à la sérieuse exhortation d'Élie : Jusqu'à quand boiterez-vous des deux côtés ? Si l'Éternel est Dieu, suivez-le ; si Baal est Dieu, suivez-le (1 Rois XVIII, 21). Du moment que Dieu n'est pas tout pour toi, il n'est rien. Dieu veut le coeur tout entier.

C'est pourquoi ne soyez point en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus ..... Regardez les oiseaux de l'air ..... Regardez les lis des champs... 0 gens de petite foi ! .... Ne soyez donc point en souci, disant : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? Ce sont les païens qui recherchent toutes ces choses, et votre Père céleste sait que vous avez besoin de toutes ces choses-là. Recherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus.

Les soucis au sujet des choses terrestres montrent qu'on ne se sent pas enfant de Dieu. Celui qui donne les plus grandes choses, se montrera-t-il avare lorsqu'il s'agit des petites ? D'ailleurs les soucis au sujet des choses terrestres sont parfaitement inutiles et sans résultat. De plus, ils abaissent le noble enfant de Dieu et trahissent un coeur païen. D'un autre côté la vigilante sollicitude d'un père de famille pour les siens, est un sérieux devoir pour le chrétien. Que si quelqu'un n'a pas soin des siens et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi et est pire qu'un infidèle (1 Tim. V, 8). Une telle sollicitude pousse à la prière et au travail, et est fort éloignée des soucis des païens.

Le suprême souci, auquel il faut que tous les autres soient subordonnés, doit être celui qui a pour objet le royaume de Dieu, la bourgeoisie céleste. Être membre de la famille de Dieu, et, en cette qualité, obtenir la félicité éternelle, tel est le but auquel nous conduit la justice agréable à Dieu.


f) L'attitude du chrétien vis-à-vis des péchés du prochain.

(Matth. VI, v. 1-6 ; Luc VI, 36-42.)

C'est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres, dit le Sauveur (Jean XIII, 35). Le véritable amour ne cesse jamais ; il se fortifie au contraire par l'exercice. Il ne se décourage point devant la grandeur de la tâche, mais il supporte et espère lorsque le monde a perdu tout espoir. Le soleil luit chaud et brillant, parce qu'il ne peut pas faire autrement. La source donne ses eaux parce qu'il faut qu'elle les donne. De même l'amour aime, non par suite de la réflexion, non parce que cela lui est commandé, mais parce qu'il ne peut pas ne pas aimer. Il faut qu'il aime parce qu'il est l'amour. Mais là où le véritable amour existe, il est né de l'amour du Père qui l'a engendré. C'est pourquoi le Sauveur réunit tous les préceptes d'amour donnés à ses disciples, relativement à la conduite qu'ils doivent tenir vis-à-vis des péchés du prochain : Ne jugez point, ne condamnez point, donnez, pardonnez, en une seule exhortation : Soyez donc miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.

Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Celui qui a obtenu miséricorde, sait de quel abîme de péché la grâce l'a retiré, et son coeur filial trouve tout naturel l'exercice de la miséricorde. Malgré son horreur pour le péché, il apprend à regarder le pécheur comme un malade qui gémit, sans peut-être s'en rendre compte, sous l'oppression du péché. L'esprit du Sauveur, qui est venu non pour juger, mais pour sauver, rend le coeur miséricordieux, le préserve de l'aigreur, de la susceptibilité provenant de l'orgueil ; il lui fait désapprendre l'art trop naturel de tout interpréter dans un mauvais sens, et de donner à toutes choses la plus mauvaise signification ; il lui apprend à espérer, lorsqu'à vues humaines il n'y a plus d'espoir.

Le pieux Newton disait un jour : Il y a surtout trois choses qui nous rempliront d'étonnement dans le ciel. C'est d'abord de voir parmi les bienheureux beaucoup de ceux que nous n'y cherchions pas ; ensuite de n'y pas trouver plusieurs de ceux que nous croyions devoir y être ; enfin et surtout de nous y trouver nous-mêmes. Sans doute il est du devoir du pasteur d'éprouver les esprits pour savoir s'ils viennent de Dieu (1 Jean IV, 1), de convaincre ceux qui s'opposent à la doctrine salutaire (Tite I, 9) sans doute, un père doit châtier son enfant indocile et ne pas dire « Je ne le châtierai pas parce que je n'étais pas meilleur dans ma jeunesse ». Car le devoir de châtier nous est imposé par Dieu. Mais remplissons-nous ce devoir au nom du Dieu de miséricorde ? C'est ce que nous pouvons savoir si nous l'accompagnons des larmes, miséricordieuses de l'apôtre Paul (Philipp. III, 18).

Car on vous jugera du même jugement que vous aurez jugé et on vous mesurera de la même mesure que vous aurez mesuré les autres. Le jugement dont nous jugeons les autres et la mesure que nous leur appliquons, montrent de quel esprit nous sommes animés. Chacun mesure les autres d'après ce qu'il est lui-même, et se mesure ainsi lui-même pour l'éternité. S'il y a en nous un miséricordieux amour, nous avons le témoignage d'être passés de la mort à la vie (1 Jean III, 14), de n'avoir plus dès lors à craindre le jugement et d'être en possession de la vie éternelle.

Et pourquoi regardes-tu une paille qui est dans l'oeil de ton frère, tandis que tu ne vois pas une poutre qui est dans ton oeil ? L'homme, naturel connaît mieux et plus clairement les péchés des autres que les siens propres. Mais c'est se tromper soi-même que de dire : Nous voulons, en haine du péché et par amour pour notre frère, l'aider à s'affranchir du mal et à sauver son âme - tandis qu'on est soi-même esclave du péché.
Mais cette aveugle illusion est surtout évidente, lorsqu'on veut corriger, non les péchés grossiers d'un frère, mais une paille, c'est-à-dire une simple faiblesse. Dans cette disposition, on ne trouve pas un coeur assez croyant ni assez pieux, et la paille est vite découverte. Dans un moment d'oubli, un frère aura dit un mot de trop, aussitôt il est accusé d'être violent et despote, ou bien trop exact et trop économe, ou encore d'accorder trop de liberté à ses enfants, tandis qu'il est trop sévère et même bourru avec ses subordonnés. Tout est passé en revue. On ne veut pas précisément condamner ; mais on veut cependant morigéner.

On donne à comprendre à ce frère que sa piété laisse réellement à désirer, mais on s'offre volontiers à l'aider, afin qu'il puisse avancer d'une manière plus satisfaisante. Mais ce qui nous rend si perspicaces, c'est notre présomption et notre orgueil. Cette poutre qui est dans notre oeil, nous la verrons aussitôt que nous aurons été reçus en grâce, comme de pauvres pécheurs. Quiconque a été pardonné, efface continuellement sa propre personne vis-à-vis des autres, même lorsqu'il enseigne et exhorte. Il adresse les âmes au médecin qui l'a guéri lui-même. Quiconque a joui, dans une maladie, des soins de la charité, s'entend à soigner les malades avec de tendres précautions.
D'un autre côté, il est absolument contraire à la volonté du Sauveur que nous regardions, sans examen et sans distinction, chaque homme comme un frère. Car il est dit : Ne donnez point les choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent à leurs pieds et que, se tournant, ils ne vous dévorent. Lorsque le Seigneur désigne les incrédules comme des chiens, à cause de leur inimitié contre Dieu et les choses divines, et comme des pourceaux à cause de leur répugnance impure pour la sainteté, ces expressions ne sont pas aussi grossières dans sa bouche que dans la nôtre, parce qu'il a plus d'égards que nous pour les animaux.

En reniant l'image de Dieu, qui (Gen. I, 26. 27) distinguait l'homme de tous les autres êtres vivants, et faisait de lui une créature à part, en cédant à ses appétits sensuels et charnels (Jude 19), il s'est laissé dominer sans résistance par ses passions et ses convoitises, et il s'est abaissé jusqu'à se laisser guider par ses instincts animaux ; car le sens charnel et l'instinct animal sont très proches parents.

Sans doute, le sang du Sauveur a aussi une vertu purificatrice pour les hommes impurs et charnels, et il veut aussi attirer ses plus obstinés contradicteurs et ses plus mortels ennemis ; mais pour ceux qui préfèrent l'impureté à la pureté, et qui veulent rester chiens et pourceaux, il faut éloigner d'eux les choses saintes, de peur qu'ils ne les souillent et ne les profanent. C'est pourquoi les serviteurs de Dieu doivent refuser les choses saintes, c'est-à-dire les sacrements, aux ennemis de la croix de Christ, et à ceux qui scandalisent l'Église en vivant dans des vices grossiers, et cela afin de ne pas participer au péché d'autrui (1 Tim. V, 22). De même que tous les croyants sont en possession du précieux trésor du royaume des cieux (le Seigneur dit : vos perles) de même ils doivent prendre à coeur ce sérieux avertissement du Seigneur. C'est ainsi que maint chrétien, ayant pris cet avertissement à la légère, et s'étant laissé aller à fréquenter trop familièrement les enfants du monde, même dans l'intention de gagner leurs âmes, a dû faire l'expérience qu'une telle société a été nuisible à sa propre âme.


g) Les promesses faites à la prière.

(Matth. VII, 7-11.)

Celui qui désire sérieusement venir en aide aux mondains et les rendre accessibles à la grâce de Dieu, renonce d'abord à toute intervention personnelle, prédication, exhortation, qu'il commence d'abord par la prière. Demandez et on vous donnera, cherchez et vous trouverez ; heurtez et on vous ouvrira. C'est déjà un bonheur de pouvoir parler à Dieu ! mais un plus grand d'éprouver l'exaucement de la prière. Pourtant si nos prières n'étaient jamais exaucées, qui donc aurait encore le courage de prier ?

Le coeur du Père, qui s'incline vers son enfant en Christ, nous donne l'assurance que nos prières seront exaucées ; car son enfant ne demande que des choses conformes à sa volonté. Une pareille prière sera en tout cas exaucée. Seulement elle ne le sera pas toujours immédiatement, et elle sera peut-être tout autrement que nous l'avions espéré et attendu. Les pères humains, bien que mauvais, savent bien donner de bonnes choses à leurs enfants, et ne leur offrent pas une pierre pour du pain, ni un serpent pour un poisson, combien plus votre Père, qui est dans les cieux, donnera-t-il ses biens à ceux qui les lui demandent !


h) Résumé des exhortations à marcher dans les voies du salut qui ont été indiquées.

(Matth. VII, 12-19.)

Toutes les choses que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les leur aussi de même, car c'est là la loi et les prophètes. Remarquez que le Seigneur ne dit pas : Toutes les choses que les hommes vous font, faites-leur aussi de même, car cela signifierait : Si les hommes vous font du bien, faites-leur aussi du bien : mais s'il vous font du mal, rendez-leur la pareille. Mais il dit : Faites aux autres ce que vous souhaitez qu'ils vous fassent. Luther dit, à propos de ce passage : « Le Seigneur termine par ces paroles la doctrine enseignée dans ces trois chapitres, et la lie en un petit faisceau, dans lequel on peut trouver beaucoup de choses que chacun peut facilement conserver dans son coeur. C'est comme s'il disait à ses auditeurs : Voulez-vous savoir ce que je vous ai prêché et ce que Moïse et les prophètes vous ont enseigné ? Je vais vous le résumer de manière que vous ne puissiez pas vous plaindre que ce soit trop long et trop difficile à garder. » Pour l'homme naturel, cette parole n'a pas plus d'importance que tout le sermon sur la montagne ; mais elle en a infiniment pour l'enfant de Dieu. L'homme naturel s'aime lui-même, et cet amour le rend aveugle à l'égard du prochain. L'enfant de Dieu s'aime aussi lui-même, mais cet amour l'éclaire sur ce qu'il doit aux autres.

Pour les brebis qui connaissent la voix du bon Berger, cette parole : Entrez par la porte étroite, a la même signification que cette miséricordieuse invitation : Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai. Ceux qui, dans le sentiment de leurs péchés, se décourageraient en présence des conditions à remplir pour entrer dans le royaume des cieux, respireront à l'ouïe de ce joyeux message : Malgré vos péchés qui vous en excluent, il y a une porte ouverte, un infaillible chemin, qui donnent accès à ce royaume ; c'est pourquoi, entrez ! Et celui qui adresse cette invitation est lui-même la porte (Jean X, 9), et le chemin (Jean XIV, 6). Le Seigneur indiquait cette porte à Nicodème dans la nouvelle naissance d'eau et d'Esprit. Oui, notre baptême est la porte qui conduit au ciel. De même que cette parole du patriarche Jacob : Certainement l'Éternel est en ce lieu (Gen. XXVIII, 16), peut être appliquée au baptême, de même cette autre parole : C'est ici la porte des cieux (Gen. XXVIII, 17) peut avoir la même signification. La porte et le chemin, le Seigneur les a montrés dans les Béatitudes. Mais il y a un autre chemin sur lequel beaucoup préfèrent marcher. C'est celui qui consiste à écouter la Parole, mais à ne pas la mettre en pratique.
Ce chemin large et commode est fréquenté par la foule.
Laisser libre cours aux inspirations du coeur naturel, se livrer à la colère, à l'impureté, à la haine, aux querelles, à l'avarice, rechercher la piété comme un moyen d'être honoré des hommes, critiquer avec malveillance, travailler d'une manière importune à la conversion des autres, - tout cela se trouve parmi ceux qui se réclament du nom de Christ. Et ils sont si nombreux, qu'on serait tenté de croire que le chemin qu'ils suivent est la véritable voie chrétienne.

En revanche, la voie du Sauveur, d'après le sermon sur la montagne, est si étroite, qu'il faut, pour la trouver, des yeux éclairés de la lumière d'en haut, et le nombre de ceux qui le suivent est si restreint qu'on se demande si l'on ne se trompe pas en s'y engageant, et si les autres ne pourraient pas aussi à la fin être sauvés. Mais rappelons-nous cette parole du Sauveur : Il y aura beaucoup d'appelés, mais peu d'élus (Matth. XXII, 14).

Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous en habits de brebis, mais qui, au dedans sont loups ravissants. Voyez comme le Sauveur tient à la vraie doctrine ! Les prophètes sont envoyés de Dieu pour enseigner aux hommes la vie du salut. Quiconque rend témoignage du haut de la chaire ou de toute autre manière, que Jésus est le seul chemin qui conduit à la vie, qu'il n'y a de salut en aucun autre, et qu'ainsi le salut nous est accordé par pure grâce sans aucun mérite de notre part, mais uniquement par la foi en Jésus-Christ, celui-là est un vrai prophète. Les faux prophètes sont ceux qui, sous les apparences de la piété (en habits de brebis) font sortir les hommes de cette voie et les engagent dans une autre. Ce ne sont ni des blasphémateurs, ni des athées. Les enfants de Dieu n'auraient pas besoin de prendre de grandes précautions contre de tels hommes. Ils seraient immédiatement reconnus comme des méchants. Mais les habits de brebis, les paroles pieuses, trompent beaucoup d'âmes. On parle sans doute de Dieu, du ciel, du salut, mais la porte étroite est élargie, le chemin étroit est rendu spacieux, les faux prophètes assurent qu'il est tout à fait superflu de travailler à son salut avec crainte et tremblement, puisque après la mort tous seront cependant finalement sauvés.

Un homme sent-il les accusations de sa conscience ? Aussitôt ils lui présentent cette fatale consolation : « D'autres ont fait pire que toi. » Singulière consolation ! C'est comme si un homme qui m'a volé dix écus prétendait me consoler en me disant qu'un autre m'en a volé cent. Dès lors il n'est plus question de se repentir, de crucifier la chair, ni de faire mourir le vieil Adam. Dieu n'est plus représenté comme celui qui menace et punit les transgresseurs de ses commandements. Il n'est plus question ni de jugement ni de condamnation. Ces hommes suivent l'exemple du grand prêtre Héli, qui connaissait fort bien les méfaits de ses fils, mais qui n'osait pas les reprendre même par un regard sévère. Ils laissent dans l'ombre la sévérité et la justice du Père céleste. On ne sait plus rien de l'épée à deux tranchants, qui atteint jusqu'au fond de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles (Héb. IV, 12), ni du marteau qui brise la pierre (Jérém. XXIII, 29). Tout se fait doucement et avec ménagements ! Ce sont encore les habits de brebis. Le monde est plein de ces faux prophètes. Il y en a peut-être sous votre toit ou dans la maison voisine. Ils s'asseyent dans les hôtels ; ils vous parlent dans les livres, dans les journaux, organes de l'incrédulité. Votre salut vous tient-il à coeur ? En ce cas soyez prudent !

Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines et des figues sur des chardons ? Tout arbre qui est bon, porte de bons fruits ; mais un mauvais arbre porte de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre, de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruit ; sera coupé et jeté au feu ; vous les connaîtrez donc à leurs fruits. D'abord le bon arbre, ensuite les bons fruits. Car au fruit on reconnaît la semence et aussi celui qui l'a répandue : Dieu ou le destructeur. Le bon arbre, c'est le coeur uni à Christ par la foi. On reconnaît un coeur croyant à ceci, c'est qu'il prouve sa foi par sa vie. Mais pour juger la foi par son fruit, il faut connaître ce fruit. Et on le connaît non pas en le regardant, mais en le goûtant. Il ne faut donc pas non plus se laisser tromper par l'apparence des soi-disant bonnes oeuvres, afin de ne pas prendre les feuilles pour les fruits, ni les fruits artificiels pour des naturels. Les ronces et les chardons portent des épines, et non des figues ni des raisins.

Les faux prophètes, qui ne sont pas fondés sur Christ, mais sur la sagesse humaine, ne peuvent pas porter des fruits mûrs pour le ciel, tels que la douceur, la pureté du coeur, l'amour de la paix, la patience dans les afflictions. De tels raisins croissent seulement sur le sarment vivant, lequel puise sa sève dans le cep qui est Christ.

Les enfants du monde sont d'accord, en apparence, avec cette parole du Sauveur : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Ils disent bien haut : Oui, certainement, les fruits sont la chose principale ; l'essentiel, c'est de faire le bien. La foi est accessoire. Seulement, en parlant ainsi, ils n'ont pas en vue les fruits qui mûrissent pour le ciel, mais seulement une honnêteté bourgeoise, une apparence extérieure, qui frappe les yeux. Le monde n'aime pas les bons fruits ; il ne plante pas volontiers de bons arbres.

Tous les parents ne demanderaient pas mieux que d'avoir des enfants bien élevés, qui leur obéissent, les aiment et les respectent. Mais ils ne se donnent aucune peine pour les rendre tels, en leur inspirant la crainte et l'amour de Dieu. Singulière doctrine ! On demande des fruits ; la foi est accessoire. Que penseraient les cultivateurs si on leur disait : l'essentiel, c'est la moisson. Les semailles sont chose accessoire. Les poires et les pommes sont l'essentiel, les arbres sont accessoires. - Pour moissonner, il faut ensemencer, et pour recueillir des fruits, il faut planter des arbres et les cultiver. Pour recueillir les fruits du royaume des cieux, il faut que le coeur soit planté en Christ qui est l'arbre de vie. Celui qui ne porte pas de bons fruits est mûr pour le feu !

Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas tous dans le royaume des cieux ; mais celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux. Non pas tous ! C'est-à-dire ceux-là n'y entreront pas, qui adorent de bouche le Sauveur, sans lui donner leur coeur, comme le veut le Père céleste (Jean VI, 40). Le monde tourne volontiers cette parole du Sauveur, comme s'il disait : Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront point dans le royaume des cieux. Ainsi les croyants qui fléchissent les genoux au nom du Seigneur Jésus, n'auraient aucune chance d'y entrer. - Il est probable que tous ceux qui prient ne seront pas tous sauvés : mais il est certain que ceux qui ne prient pas ne le seront pas. La volonté du Père céleste n'est pas que nous fassions des oeuvres extérieures, mais que nous croyions en Celui qu'il a envoyé (Jean VI, 40).

Plusieurs me diront en ce jour-là, Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom ? n'avons-nous pas chassé les démons en ton nom ? n'avons-nous pas fait des miracles en ton nom ? À lors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai jamais connus ! relirez-vous de moi, vous qui faites métier d'iniquité. La simple confession de bouche, le simple combat extérieur contre le malin, l'accomplissement de quelques soi-disant bonnes oeuvres, ne seront pas admis par le Sauveur comme des fruits du royaume des cieux. Toutes ces confessions extérieures du nom de Christ, toutes ces bonnes oeuvres peuvent être le fruit de l'égoïsme, de l'orgueil et marcher de front avec la colère, la haine, l'impureté, l'avarice, etc. Et tous ceux qui agissent ainsi, sont aux yeux du Sauveur des ouvriers d'iniquité. Le Seigneur ne connaît pas leurs oeuvres, et ce mot du Bon Berger : Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent (Jean X, 14) ne s'applique pas à eux. Ils se glorifient peut-être de connaître le Sauveur ; mais ils le connaissent seulement pour avoir entendu parler de lui, et non par une relation personnelle de leur coeur avec lui. C'est pourquoi lui-même ne les reconnaît pas pour les siens.

Quiconque donc entend les paroles que je dis et les met en pratique je le compare à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc .... Mais quiconque entend les paroles que je dis et ne les met pas en pratique, je le compare à un homme insensé, qui a bâti sa maison sur le sable.... La mise en pratique des paroles de Jésus consiste en ceci : Faire habiter Christ dans son coeur par la foi et être enraciné et fondé dans la charité (Éphés. III, 17. 18). Cette foi fortifie et donne la force de résister dans les détresses, empêche de succomber dans les tentations, et de s'irriter dans les afflictions et les persécutions qu'on souffre à cause de la Parole. On croit que le poison des maladies contagieuses est porté au loin par le vent. Il en est de même du poison spirituel des fausses doctrines et des passions mondaines, qui s'est emparé des masses populaires et qui les pousse comme un tourbillon. Alors, tout ce qui n'est pas fondé sur Christ comme sur l'inébranlable rocher, est emporté et détruit. Dans la cour du souverain sacrificateur, près du feu, soufflait un vent qui vint battre la maison de celui qui avait été surnommé le rocher. Elle était bâtie sur le sable de la confiance en soi-même aussi subit-elle l'épouvantable chute du reniement.

Lorsque, devant le palais de Pilate, un vent de tempête soufflait dans la foule du peuple ce cri meurtrier : Crucifie, crucifie ! ceux qui le poussaient n'étaient certainement pas tous des ennemis déclarés de Jésus. Il y en avait sans doute beaucoup parmi eux, ceux qui avaient écouté avec un recueillement respectueux les paroles de vie qui sortaient de sa bouche, et qui, lors de son entrée solennelle à Jérusalem, s'étaient écriés avec enthousiasme : Hosanna ! Mais ils ne croyaient pas de tout leur coeur ; ils n'étaient pas fondés sur le roc. C'est pourquoi ils s'associèrent à ceux qui clouèrent Jésus au bois maudit. Les temps d'afflictions et de persécutions sont des temps d'épreuve, où les vraies pensées des coeurs se manifestent. Que celui qui croit être debout prenne garde qu'il ne tombe (1 Cor. X, 12) ! Recevoir les paroles de Jésus avec une foi simple et se livrer à leur efficace, voilà ce qui donne la force de mettre en pratique les enseignements qu'on a entendus. Car cette parole n'est pas une lettre morte ; elle produit elle-même ce qu'elle commande.

Et quand Jésus eut achevé tous ces discours, le peuple fut étonné de sa doctrine, car il enseignait comme ayant autorité et non comme les scribes. Il enseignait comme ayant autorité, c'est-à-dire qu'il enseignait les choses, tandis que les scribes n'enseignaient que des idées. Il enseignait avec un amour qui pénétrait et saisissait les âmes, et chacun de ceux qui l'entendaient se disait en lui-même : C'est de moi qu'il parle ; il veut me sauver. Il ne faut donc pas être surpris que le peuple fût étonné de cette doctrine. Il n'en pouvait pas être autrement, du moment que chacun était obligé de se dire : « Tel que je suis, je ne puis pas entrer dans le royaume des cieux. »

Les prédications puissantes excitent l'étonnement, les prédications intéressantes, si instamment réclamées aujourd'hui, provoquent des louanges et des félicitations. Heureux les prédicateurs auxquels ces louanges ne sont pas nuisibles, comme ce fut le cas pour le vieux père Jaenike, dans l'église de Bethléem à Berlin. Un de ses auditeurs, ayant trouvé son sermon très beau, éprouva le besoin de lui en faire compliment. Il le suivit dans la sacristie et le remercia pour sa belle prédication. Jaenike, plutôt confondu qu'enorgueilli par cette louange, répondit brièvement : « Pendant que je descendais les degrés de la chaire, le diable me faisait le même compliment. »

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant