Jusqu'à présent, le Sauveur a montré la gloire et la félicité des
enfants de Dieu ; il insiste maintenant sur leur vocation et
leurs devoirs dans le monde et à l'égard du monde. On redemandera
beaucoup à celui à qui il a été beaucoup donné. Il faut que celui qui
a été délivré de la corruption, devienne immédiatement, dans la main
du Sauveur, un instrument pour la délivrance des autres. Les disciples
n'ont à attendre que de la haine de la part du monde ; mais ils
ne doivent pas lui rendre le mal pour le mal, ni se séparer
obstinément de lui. Car les puissances célestes qu'ils ont reçues, il
faut qu'ils les répandent dans l'humanité.
Vous êtes le sel de la terre.
Par la force du sel, qui préserve de la corruption et donne de la
saveur, les disciples de Jésus (Marc
IX, 49), doivent préserver l'humanité de la corruption, et se
tenir eux-mêmes, devant Dieu et à l'égard les uns des autres, dans un
état agréable et exempt de fadeur. Le péché a corrompu chaque âme en
particulier, par cela même qu'il l'a séparée de Dieu, qui est la
source de la vie ; mais il a aussi troublé l'ordre divin dans
l'humanité en général. Il fait que chacun a égard à son propre intérêt
et ne se soucie nullement de celui des autres ; il brise les
liens de communauté et d'amour qui doivent unir les hommes entre eux,
et exerce partout une action dissolvante. Mais le Sauveur a apporté la
vie impérissable, et il a chargé ses disciples de la transmettre au
monde entier.
Le sel de la terre doit préserver de la
décomposition ; mais en s'acquittant de leur mandat, les
disciples deviennent pour le monde des personnages incommodes et
insupportables. S'ils n'étaient que sucre et miel, s'ils flattaient
les instincts charnels, le monde les honorerait et les aimerait, mais
il faut que le sel de la terre s'attende à être persécuté. Cependant
les disciples doivent être pour la terre du sel et non du poivre.
Cette force qui empêche la corruption, les disciples l'ont reçue de
Christ lui-même et de son Esprit, qui doit châtier avant de pouvoir
consoler. Comme cet Esprit s'acquitte de sa mission par le ministère des
hommes, les disciples, en leur qualité d'oints du Seigneur, n'ont pas
seulement du sel en eux-mêmes (Marc
IX, 51), mais ils sont, eux, le sel de la terre.
Mais si le sel perd sa saveur,
avec quoi la lui rendra-t-on ? De même que les
forces corporelles, la force anticorruptrice de l'Esprit de Dieu doit
être maintenue et augmentée dans les croyants. Malheur aux chrétiens
qui ont reçu le témoignage du Saint-Esprit et qui refusent de rendre
ce témoignage devant ceux qui ne connaissent pas Jésus ! Ils
privent les hommes courbés vers la terre, des seuls arômes qui
puissent diriger leurs pensées vers le ciel, et deviennent comme des
chiens muets qui ne peuvent pas aboyer (Ésaïe
LVI, 10). Lorsque le sel a perdu sa saveur, rien ne peut la lui
rendre. Car il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés,
qui ont goûté le don céleste, qui ont été faits participants du
Saint-Esprit, qui ont goûté la bonne Parole de Dieu et les puissances
du siècle à venir, s'ils retombent, soient renouvelés à la repentance,
puisque, autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le
Seigneur de gloire en le livrant à l'ignominie (Héb.
VI, 4-6).
Le sel qui a perdu sa saveur ne
vaut plus rien qu'à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par
les hommes. Ces paroles sont bien de nature à effrayer,
et à arracher à leur trompeuse sécurité tous ceux qui, par crainte de
choquer ou de perdre l'amitié du monde, faussent la vérité et
endorment les consciences au lieu de les réveiller ; tous ceux
qui, par crainte de la souffrance, prétendent que la vie de la foi
doit être « accommodée au temps » et proposée comme une
manière de voir. Jetés hors du royaume de Dieu, ils seront
dédaigneusement foulés aux pieds précisément par ceux dont ils ont
recherché les faveurs par leurs flatteries.
Vous êtes la lumière du
monde ; une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
Le Sauveur se nomme lui-même la lumière du monde, et promet à ceux qui
le suivent la lumière de la vie (Jean
VIII, 12). Ceux qui se laissent pénétrer de cette lumière, sont
des enfants de lumière, et deviennent eux-mêmes lumière dans le
Seigneur (Eph.
V, 8). Comme la lune fait rayonner dans la nuit la lumière
qu'elle a reçue du soleil, de même celui qui porte en soi la lumière céleste
est appelé à éclairer ceux qui marchent encore dans les ténèbres.
On n'allume point une chandelle
pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier,
et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre
lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos
bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les
cieux. Celui-là met la lumière sous le boisseau, qui se
tait sur les choses qu'il a vues et éprouvées ; qui, suivant
Christ comme la lumière du monde, veut s'épargner à lui-même la peine
du renoncement. Notre devoir est d'annoncer, par nos paroles et notre
vie, par notre enseignement et nos souffrances, les vertus de celui
qui nous a fait passer des ténèbres à sa merveilleuse lumière.
Si le monde dit toute sorte de mal des croyants, comme
s'ils étaient des malfaiteurs, parce qu'il ne veut pas de la lumière
de la vie, il faut que les chrétiens montrent leur foi en faisant
briller à tous les yeux les oeuvres d'un amour plus actif, et qu'en
faisant le bien, ils ferment la bouche aux hommes ignorants et
dépourvus de sens (I
Pierre II, 15). Dieu seul voit la foi dans les coeurs ; il
faut qu'elle devienne visible aux hommes par l'amour. Si un
propriétaire incrédule s'adresse constamment aux hommes pieux de son
entourage pour avoir des domestiques pieux, parce qu'ils sont zélés et
consciencieux, fidèles et obéissants, la bonne conduite de ces hommes
pieux a forcé cet incrédule à glorifier leur Père qui est dans les
cieux.
Justin Martyr, un père de l'Église du IIe siècle, est un
de ceux qui ont été gagnés à la foi par la belle conduite des
chrétiens. Il raconte lui-même qu'en voyant la patience héroïque des
témoins de la vérité en face des supplices, il avait été obligé, de se
dire : « Ce n'est pas ainsi que meurent les
malfaiteurs ». Puisse notre vie tout entière rendre témoignage
que notre coeur est éclairé par l'aurore de l'éternité ! Alors le
monde ne pourra pas nous refuser le témoignage que les gens de Guérar
rendirent à Isaac : « Nous avons vu clairement que l'Éternel
est avec toi. Tu es béni de l'Éternel (Genèse
XXVI, 28. 29) ».
Il est bien probable que depuis que Jésus, à l'occasion de la purification du temple, avait parlé de détruire cet édifice le peuple, excité par les pharisiens, l'avait soupçonné de vouloir combattre la loi de Moïse. C'est contre ce soupçon que le Sauveur s'élève maintenant.
Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi
ou les prophètes ; je suis venu, non pour les abolir, mais
pour les accomplir. Les pensées éternelles de Dieu,
consignées dans la Loi et les Prophètes, et qui indiquent le but
auquel il voulait conduire les hommes par ses dispensations, ne sont
nullement supprimées dans le Nouveau Testament, ; au contraire,
elles y sont réalisées par l'incarnation de Dieu en Christ. Ce n'est
pas Christ qui a aboli la loi ; ce sont ceux qui l'ont si souvent
accusé de l'abolir et qui finalement l'ont mis à mort comme
contempteur de cette loi. Ce sont eux qui sont les vrais destructeurs
de la loi de Dieu. Ceux qui étaient satisfaits de la manière dont ils
accomplissaient la loi, les scribes, les pharisiens et tous ceux qui
étaient animés de leur esprit, attendaient du Christ des ordonnances
extraordinaires, dont l'observation leur donnerait plus de droits à
l'héritage de la vie éternelle. Ils croyaient que la Loi pouvait
suffire aux faibles et aux commençants, mais, en hommes exercés et
éprouvés, sentaient en eux-mêmes la force de faire beaucoup plus.
Mais Christ est venu pour accomplir la loi. Et en parlant
ainsi il n'a pas seulement en vue une vraie et parfaite explication de
la loi, par opposition aux explications superficielles des pharisiens.
Celui qui dit : Vous avez entendu qu'il
a été dit aux anciens, etc. : mais
moi je vous dis, celui-là ne parle pas comme un
commentateur de Moïse ; il se pose comme le législateur même qui
est au-dessus de Moïse. Il nous montre que le vrai sens de la loi, tel
que Dieu l'entend, est spirituel, et a pour but de régler non
seulement nos actions, mais encore nos pensées et
nos sentiments. De plus, il s'est soumis à la loi ; il l'a
accomplie par son obéissance et en supportant la malédiction dont elle
menaçait les pécheurs. Enfin il écrit continuellement cette loi par
son Esprit, dans le coeur de ses enfants et la leur fait observer,
afin que la justice de la loi soit accomplie en nous qui marchons non
selon la chair, mais selon l'esprit (Rom.
VIII, 4).
Les hommes regardent les lois auxquelles Dieu a soumis la
vie de la nature comme des lois d'airain, qui sont
indestructibles ; au contraire, ils considèrent celles par
lesquelles Dieu règle la conduite des hommes comme étant flexibles et
variables. Le Sauveur enseigne précisément le contraire. Jusqu'à
ce que le ciel et la terre passent, dit-il, il n'y aura rien dans
la loi qui ne s'accomplisse, jusqu'à au seul iota et un seul trait
de lettre. Le ciel et la terre se dissoudront plutôt
que Dieu renonce à la moindre parcelle de sa justice et de sa
sainteté.
Car je vous dis en vérité que si votre
justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous
n'entrerez point dans le royaume des cieux. Si la
justice des scribes et des pharisiens n'était pas plus estimée que
leur personne, le Seigneur n'exigerait pas trop de nous, car ils sont
devenus un objet de mépris dans la chrétienté. Il. ne semble pas
difficile d'accomplir la loi mieux qu'ils ne l'accomplissaient. Une
justice qui ne viserait qu'à surpasser la leur, ne serait pas un but
trop élevé. Mais d'abord maint individu apprendra à se connaître
lui-même, s'il ne se contente pas de se comparer avec de plus méchants
que lui, mais plutôt avec les meilleurs et les plus pieux. Or, les
scribes étaient pieux par vocation et les pharisiens l'étaient de
réputation. Ils se considéraient eux-mêmes comme les meilleurs, les
plus nobles et les plus pieux des hommes, et prenaient leur religion
très au sérieux. La plupart de ceux qui les blâment le plus sévèrement
aujourd'hui, pourraient à peine soutenir la comparaison avec leur
conduite extérieure, et ne sont peut-être pas non plus fort éloignés
d'eux quant à leurs sentiments.
D'après le jugement populaire, la justice des pharisiens
était la plus élevée à laquelle un homme pût atteindre.
D'après le jugement du Sauveur, cette justice était tout
à fait insuffisante, car, avec elle, on ne peut pas subsister devant
Dieu, ni accomplir ses commandements. Les pharisiens manquaient en
deux points. Ils ne comprenaient pas la loi de Dieu, et n'en
saisissaient que le sens superficiel et littéral ; puis ils ne
connaissaient pas leur propre coeur. Et ainsi ils pouvaient vivre dans
l'illusion d'avoir accompli la volonté de Dieu, lorsqu'ils s'étaient
abstenus de l'acte extérieur de meurtre ; d'adultère, de vol, de
parjure ou d'idolâtrie. Une telle justice qui ne consiste que dans un
accord extérieur avec la lettre de la loi, ne saurait avoir de valeur
aux yeux de Celui qui regarde au coeur.
Cette justice des pharisiens est la même que celle dont
se glorifient aujourd'hui les incrédules. On regarde la loi de Dieu
comme une ordonnance de police ou comme une législation
criminelle ; on prétend avoir un coeur bon et vertueux, on se
flatte soi-même avec complaisance, et on répète volontiers avec le
jeune homme : Que me manque-t-il encore
(Matth.
XIX, 20) ? Mais celui qui a reconnu que la loi est
spirituelle et que l'imagination du coeur des hommes est mauvaise dès
leur jeunesse (Gen.
VIII, 21), s'écrie avec douleur : Certainement il n'y a
point d'homme juste sur la terre (Eccles.
VII, 20). 0 Éternel, si tu prends
garde aux iniquités, Seigneur, qui est-ce qui subsistera
(Ps.
CXXX, 3) ? C'est parce que, contrairement à la méthode
pharisaïque, la nature humaine étant incapable d'atteindre à la
justice que Dieu demande, Il a envoyé son propre Fils comme
Sauveur ; celui qui croit en lui est juste.
Recevoir Jésus et lui donner son coeur avec un confiant
amour : telle est la volonté de Dieu à notre égard. C'est là la
justice qui surpasse celle des scribes et des pharisiens. Elle la
surpasse, non parce qu'elle consiste à chercher la justice devant Dieu
dans un plus haut degré de perfection, à la manière des pharisiens,
mais en ce qu'elle rend réellement juste devant Dieu. Le Sauveur
enseigne une voie toute nouvelle pour arriver au salut. L'homme
naturel se place devant Dieu avec ses oeuvres et en attend la
récompense ; Jésus se donne lui-même et attend de l'homme
l'adhésion de la foi, de la reconnaissance et de l'amour.
Après avoir enseigné cette vie nouvelle, le Sauveur
montre comment, dans le royaume du Père céleste, on comprend et on
observe ses divins commandements, c'est-à-dire, non d'après leur sens
superficiel et littéral, mais spirituellement et par amour.
Il cite pour exemple le sixième, le septième et le
troisième commandement de la toi. Il a été dit aux anciens : Tu
ne tueras point. Les pharisiens prétendaient que pour
accomplir ce commandement, il suffisait de ne pas ôter la vie au
prochain. Jésus enseigne que dans le royaume des cieux, auquel il nous
appelle, la colère, le mépris, l'injure, sont spécialement interdits
et cela parce que l'amour est la loi de ce royaume, parce que les
offenses, et les haines implacables, sont des taches spirituelles
incompatibles avec l'amour ; enfin parce que la colère, le
mépris, l'injure constituent les péchés de Caïn.
Quant au septième commandement : Tu
ne commettras point adultère, on l'expliquait comme
s'il défendait seulement l'acte matériel et grossier. Mais
moi je vous dis : Ainsi parle le Sauveur en sa
qualité de législateur : quiconque
regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis adultère avec
elle dans son coeur. Le Seigneur, qui regarde au coeur,
et aux yeux duquel toute mauvaise convoitise est un péché, accorde à
ses enfants la grâce de son Saint-Esprit, qui purifie leur coeur même
des appétits charnels, afin qu'ils puissent supporter le saint regard
de l'Éternel.
Si ton oeil te fait tomber dans
le péché, arrache-le et jette-le loin de toi, car il vaut mieux
pour toi qu'un de tes membres périsse que si, tout ton corps était
jeté dans la géhenne. Et si ta main droite te fait tomber dans le
péché, coupe-la et jette-la loin de loi car il vaut mieux pour toi
qu'un de tes membres périsse que si tout ton corps était jeté dans
la géhenne. Ceux qui sont à Christ ont crucifié la
chair avec ses convoitises (Gal.
V, 24). Par le saint baptême, nous sommes entrés dans la
communion des souffrances de Christ, afin que notre vieil homme,
héritage d'Adam, soit détruit avec ses passions et ses convoitises.
L'extraction de l'oeil, l'amputation de la main ne seraient utiles que
si le mauvais coeur, source du péché, pouvait être enlevé en même
temps.
De même que l'adultère du coeur, l'adultère par le
divorce arbitraire, est banni du royaume des cieux. Quiconque
répudie sa femme, si ce n'est pour cause
d'adultère, l'expose à devenir adultère, et quiconque se marie
avec la femme qui aura été répudiée, commet un adultère.
Le mariage est une institution divine, établie dans le Paradis, et qui
embrasse toutes les relations célestes et terrestres des époux pendant
toute leur vie. Outre la vie naturelle, une vie conforme à la volonté
de Dieu, la vie cachée avec Christ, doit aussi être cultivée dans le
mariage ; et parce que cette union est une institution divine,
elle est indissoluble. L'adultère seul, cette réelle et criminelle
rupture du mariage, peut être devant Dieu un motif suffisant de
divorce ; quiconque y procède par un autre motif, brise
volontairement le lien conjugal et commet un adultère devant Dieu. Et
quiconque épouse la femme divorcée, commet aussi un adultère, puisque
devant Dieu elle est encore liée à son premier mari. Et
l'ecclésiastique qui unit un tel couple bénit un adultère.
Le Sauveur veut aussi éloigner de son royaume l'abus du serment.
Cet abus ne consiste pas seulement dans le parjure, mais encore dans
tout jurement prononcé légèrement et sans nécessité. Les hommes jurent
par celui qui est plus grand qu'eux, et le serment fait pour confirmer
une chose termine tous les différends (Héb.
VI, 16). L'autorité a aussi exigé un serment du Sauveur. Le
souverain sacrificateur lui dit : Je t'adjure, par le Dieu
vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu (Matth.
XXVI, 63). Et Jésus prêta le serment exigé en ces mots : Tu
le dis ! Ainsi les paroles du Sauveur : Mais moi je vous
dis : Ne jurez du tout point ; que
votre parole soit oui, oui, non, non ; tout ce qu'on dit de
plus vient du malin, ne sont dirigées que contre le
jurement prononcé légèrement et sans nécessité, dans la vie de tous le
jours ; mais non contre le serment exigé par l'autorité. Un tel
serment est un vrai culte rendu à Dieu.
Vous avez entendu qu'il a été dit ;
Oeil pour oeil, dent pour dent, Mais moi Je vous dis de ne point
résister à celui qui vous fait dit mal ; mais si quelqu'un le
frappe à la joue droite, présente lui aussi l'autre, et si
quelqu'un veut plaider avec toi et t'ôter la robe, donne-lui aussi
l'habit, et si quelqu'un te veut contraindre d'aller une lieue
avec lui, vas-en deux. Donne à celui qui te
demande et ne le détourne point de celui qui vent emprunter de toi.
Le droit de punir et de châtier, confié à l'autorité, ne peut pas être
invoqué par l'individu privé pour excuser ses vengeances personnelles.
Même lorsque nous subissons des violences et des outrages ; même
lorsqu'on nous fait tort en se couvrant d'un semblant de droit ;
c'est le charitable souci de l'âme de notre prochain qui doit régler
notre conduite, et non le désir de nous venger du tort que nous avons
souffert. Le tort que nous fait notre prochain doit nous causer plus
de peine pour son âme, que de douleur pour l'injustice dont nous
sommes victimes. Notre amour pour notre prochain doit être tel que
nous soyons prêts, en nous oubliant nous-mêmes, à souffrir un plus
grand tort, plutôt qu'à chercher à nous venger et à réclamer notre
droit.
Il y avait en France, au moyen âge, un jeune juriste
nommé Lanfranc. Pressé par le besoin d'obtenir la paix de son âme, il
prit la résolution de se livrer à la recherche des choses de Dieu dans
le silence de la vie d'anachorète. En chemin, il fut attaqué par des
brigands qui le dépouillèrent complètement et ne lui laissèrent que
ses vêtements. Il se souvint à cette occasion d'avoir lu dans Grégoire
de Naziance qu'au temps de la guerre des Lombards, en Italie, un homme
pieux, auquel des brigands avaient pris son cheval, leur donna encore
son fouet, pour obéir aux paroles de Christ, afin qu'ils pussent
conduire l'animal, et que les Lombards, touchés de cette générosité,
lui rendirent le fouet et le cheval. De même Lanfranc offrit aussi ses
vêtements, dans l'espoir qu'on les lui rendrait avec tout ce
qu'ils lui avaient enlevé. Mais il se trompait. Non seulement
les brigands prirent les vêtements, mais encore ils le maltraitèrent
lui-même. Tous deux avaient agi de la même manière et leur conduite
eut un résultat tout différent. Extérieurement ils avaient agi de
même, mais leurs sentiments étaient bien différents.
Le pieux Italien voulait simplement obéir à la parole de
Christ, tandis que la conduite de Lanfranc est celle d'un égoïste, qui
espérait recouvrer ce qui lui appartenait. Du reste, que la légitime
défense soit permise et compatible avec l'amour du prochain, c'est ce
que le Sauveur nous montre par son propre exemple. Le serviteur du
souverain sacrificateur lui donne un soufflet. Le Seigneur ne
rend pas l'outrage, mais il parle à la conscience de cet homme en lui
disant : Si j'ai mal parlé, montre ce
que j'ai dit de mal ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me
frappes-tu ?
Ne résistez pas à celui qui vous
fait du mal. Une classe
d'un Gymnase se composait d'environ 50 élèves, âgés de 15 à 17 ans.
Avant la leçon, deux d'entre eux se prirent de querelle à cause de la
place de leurs livres sous la table. Avant que l'un d'eux pût se
mettre en garde, l'autre lui appliqua sur la joue un bruyant soufflet.
Tous les élèves partirent d'un éclat de rire. L'agresseur se préparait
au combat, car il s'attendait à ce que son voisin se défendit. Mais
celui-ci s'assit tranquillement, offrant l'image de la patience
outragée. Son camarade s'assit aussi, silencieux, confus et se
repentant sincèrement de sa brutalité. Plus tard il lui dit : Ta
douceur et ta patience m'ont causé une douleur telle, que de ma vie je
n'en ai éprouvé de plus vive. Tu m'as vaincu et frappé plus
douloureusement que je ne l'avais fait. Dès ce moment ils devinrent
les meilleurs amis. Une pareille manière d'agir ne s'apprend qu'auprès
de Celui qui l'a commandée.
Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu
aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (43).
L'Écriture ne parle nulle part aussi crûment. Les pharisiens seuls
pouvaient exprimer une pareille pensée. Sans doute cette parole du
psalmiste : Éternel, ne haïrai-je pas ceux qui te haïssent et ne
serai-je pas indigné contre ceux qui s'élèvent contre toi (Ps.
CXXXIX, 21) ? peut s'appliquer aux ennemis de Dieu, de son
peuple, de son règne ; mais les pharisiens l'appliquaient à leurs
ennemis personnels, et s'en autorisaient pour excuser leurs haines et
leur impiété.
Mais moi je vous dis :
Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du
bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous outragent
et vous persécutent, afin que vous soyez les enfants de votre Père
qui est dans les cieux. Nous remarquons ici quelque
chose du sel du royaume des cieux, car aucun homme ne pourrait jamais
tirer de pareilles pensées de sa raison. L'amour des ennemis
vient de Dieu, qui fait dans son coeur la différence entre le pécheur
qu'il aime et le péché qu'il hait. Les traits du Père sont gravés sur
le visage des enfants. Par la foi Jésus habite en nous ; il
gouverne notre coeur et nous donne son esprit.
C'est ce qui arriva à un esclave de l'Amérique du Nord,
qui avait si bien gagné la confiance de son maître par sa fidélité,
que celui-ci l'établit sur ses autres esclaves. L'ayant un jour emmené
avec lui à un marché d'esclaves, il le chargea d'en acheter
quelques-uns. L'achat terminé, le surveillant pria son maître
d'acheter encore un vieil esclave tout décrépit et malade. Le maître
s'y refusa longtemps, car évidemment cet homme était incapable de
rendre le moindre service. Finalement, il céda à l'instante prière de
son esclave. Celui-ci eut pour son compagnon tous les soins
imaginables. Il faisait tout son ouvrage. Il avait pour lui les plus
touchantes attentions et lui donnait la meilleure nourriture. Cette
conduite frappa son maître, qui lui dit : D'où vient donc
l'intérêt que tu portes à ce vieillard ? C'est probablement ton
père ? - Non, maître, ce n'est pas mon père. - C'est donc ton
oncle ? - Non, maître, ce n'est pas mon oncle. - C'est donc un de
tes parents, ou un ami, ou un bienfaiteur ? Non, maître. -
Voyons, explique-moi ce singulier attachement que tu voues à ce vieux
bonhomme. - Maître, cet homme est mon ennemi ; il m'a arraché à
ma patrie et m'a vendu à un marchand d'esclaves. Là, j'ai appris à
connaître et à aimer mon Sauveur, qui me dit : Aimez
vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Le monde se glorifie de ses bonnes oeuvres, qu'il oppose à la foi.
L'amour des ennemis, voilà une bonne oeuvre. Qu'on la cherche en
dehors de la foi !
Notre vie cachée avec Christ en Dieu, se dérobe aux regards des hommes. Dans toutes les manifestations de la vie divine, l'oeil simple de l'enfant de Dieu regarde à Christ. La piété extérieure ne vise qu'à être vue et appréciée. Les mauvaises dispositions poussent les hommes à faire de mauvaises oeuvres ; l'ambition corrompt les bonnes oeuvres.
Ce n'est pas pour obtenir des louanges et des hommages, que les enfants de Dieu ouvrent généreusement la main pour donner aux pauvres, c'est uniquement par amour pour eux et pour les soulager dans leurs besoins. Quand, tu fais l'aumône, que la main gauche ne sache pas ce que fait la droite. Lorsque, au grand jour du jugement, le Sauveur parlera des dons et des oeuvres d'amour de ses disciples, leur mémoire leur fera complètement défaut, et ils seront tout étonnés de ce que le Seigneur leur dit.
Sans la prière, il n'y a point de communion avec Dieu, point de
piété, point de salut. La prière est la respiration de la foi. Et
l'âme de la prière, c'est le regard du coeur invariablement fixé sur
Dieu, comme les yeux des serviteurs
regardent à la main de leurs maîtres, et les yeux de la servante à
la main de sa maîtresse, ainsi nos yeux regardent à l'Éternel
notre Dieu jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous (Ps.
CXXIII, 2). Contrairement aux prières fastueuses des pharisiens,
le Sauveur ordonne la prière secrète dans le cabinet. Cependant il
recommande aussi la prière faite en commun par deux ou trois réunis en
son nom, et leur promet sa gracieuse présence. De même, lorsque
l'Église sera assemblée dans tous les lieux où il aura mis son nom, il
viendra à elle et la bénira (Exode
XX, 24). Mais toujours il faut que la prière s'adresse à Dieu
seul, sans chercher à attirer l'attention des hommes qui peuvent en
être témoins.
Vous donc, priez
ainsi : Notre Père qui es aux cieux. C'est une
précieuse assurance pour nous que de savoir que notre prière exerce
une influence décisive sur le coeur de notre Père céleste, si
toutefois nous croyons qu'il est réellement notre Père, et que nous
sommes réellement ses enfants en Christ. Il y a quelque chose de grand
dans la qualité d'enfants de Dieu, parce que le coeur et la main
de leur Père garantissent aux prières de ses enfants une influence sur
tout le cours de leur vie.
Ton nom soit sanctifié,
ton règne vienne, ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Le nom du Père, le règne du Père, la volonté du Père tiennent avant
tout au coeur des enfants. Les trois premières demandes peuvent être
résumées en ces mots « À Dieu seul soit gloire dans les
cieux ». Les quatre dernières dans ceux-ci : « Reçois
la prière que nous t'adressons dans nos détresses ! » Dieu
veut faire sa demeure dans tout homme. Il. veut être la substance de
notre connaissance (son nom), de notre sentiment et de notre salut
(son règne), de notre volonté (sa volonté). Dieu tout en tous !
Son nom, révélation de sa nature et de sa vérité, sera sanctifié parmi
nous, lorsque sa Parole y sera annoncée avec pureté et clarté, et
lorsque, comme enfants de Dieu, nous la prendrons pour règle de notre
vie. Son règne vient lorsque le Saint-Esprit incline les coeurs à
obéir à la Parole, aussi bien dans la chrétienté que parmi les Juifs
et les païens. Sa volonté est faite lorsque toute volonté contraire à
celle-là est mise aux pieds du Seigneur. Les anges et les bienheureux
glorifiés servent Dieu avec joie, ce qui leur procure une parfaite
félicité, de telle sorte que leurs accents de louanges retentissent
jour et nuit. - S'il en était déjà ainsi sur la terre ! -
Conduisons-nous comme des bourgeois des cieux, et la volonté de Dieu
sera accomplie.
Donne-nous aujourd'hui
notre pain quotidien. La piété est utile à toutes
choses ; elle a les promesses non seulement de la vie à venir,
mais aussi celles de la vie présente (1
Tim. IV, 8). Quelle consolation pour nous de savoir que notre
Père céleste nous donnera la nourriture et pourvoira à tous les
besoins de nos corps, et que nous pouvons sans crainte lui dire ce qui
nous manque comme un enfant qui a faim demande un morceau de pain à sa
mère !
Pardonne-nous nos offenses
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Comme nous péchons chaque jour et méritons d'être punis, nous avons
chaque jour besoin du pain quotidien de notre âme, du pardon de nos
péchés. Le Seigneur veut bien pardonner chaque jour et richement, les
péchés de ceux qui le lui demandent avec une
confiance enfantine. Combien le fleuve de l'amour ne doit-il pas
couler abondamment si ceux à qui il a été beaucoup pardonné doivent
beaucoup aimer ! C'est ainsi que l'amour de Dieu, qui nous
pardonne chaque jour richement nos péchés, doit nous presser de
pardonner aussi de tout notre coeur à ceux qui nous ont offensés.
L'amour de Christ nous force à aimer nos ennemis.
Ne nous induis pas en
tentation. Que celui qui croit être debout prenne garde
qu'il ne tombe (1
Cor. X, 12) ! Le Sauveur, qui en Gethsémané exhortait ses
faibles disciples à la vigilance, nous encourage, par cette sixième
demande, à exposer nos craintes, nos faiblesses, à notre Père céleste,
et à nous remettre avec confiance entre ses mains puissantes.
Mais délivre-nous du
malin, car à toi appartiennent le règne, la puissance et la
gloire, amen ! Nous vivons dans une vallée de
misères et de larmes. Notre corps et notre âme sont oppressés, et
soupirent après la parfaite liberté des enfants de Dieu dans le règne
de la gloire. Le regard fixé sur la bienheureuse issue des voies de
Dieu, nous met dans la bouche cette prière : O Seigneur, mets un
terme à toutes nos douleurs ! Comme c'est le Seigneur lui-même
qui met cette prière dans notre bouche, et nous commande de prier
ainsi, le véritable amen, dans toutes nos prières, est une joyeuse
assurance que notre Père céleste l'entend.
Avec tous les exercices de piété, les pharisiens pratiquaient aussi
le jeûne, afin d'être loués des hommes. Jésus veut qu'on le fasse en
secret. À la question que les disciples de Jean-Baptiste adressent à
ceux de Jésus : Pourquoi ils ne jeûnent pas, tandis qu'eux et les
disciples des pharisiens jeûnaient souvent ? Jésus
répondit :
Les amis de l'Époux
peuvent-ils s'affliger tandis que l'Époux est avec eux ?
Mais le temps vient que l'Époux leur sera ôté, alors ils jeûneront. Il
est évident que le Sauveur n'a pas voulu défendre le jeûne ;
mais ce qu'il veut, c'est qu'on ne l'observe pas, pour se donner en
spectacle aux hommes ; mais qu'il soit pratiqué librement, pour
satisfaire un besoin du coeur. Il veut surtout qu'on ne s'imagine pas
pouvoir s'en faire un mérite devant Dieu. L'apôtre Paul, d'accord avec
le Seigneur, s'élève contre le jeûne légal et méritoire. D'un autre
côté, quand aujourd'hui des chrétiens évangéliques s'opposent à toute
espèce de jeûne, comme peu convenable aux enfants de la Nouvelle
Alliance, ils ne peuvent en appeler ni au Seigneur ni à saint Paul.
Jésus dit expressément que les siens jeûneront lorsqu'ils seront
privés de sa présence. Le jeûne renferme une grande bénédiction pour
la vie intérieure des chrétiens, mais cette bénédiction ne saurait
être conservée que si le jeûne être pratiqué en secret. Par un soin
exagéré de la chair, le coeur est appesanti au point de ne plus
pouvoir s'élever à Dieu. C'est pourquoi on appelle le jeûne :
« les ailes de la prière ». C'est une discipline salutaire,
bien qu'extérieure, pour préparer le coeur à recevoir les biens
spirituels. Ce n'est certainement pas un bon signe, lorsque les
chrétiens n'éprouvent pas le besoin de jeûner, lorsqu'ils ne peuvent
supporter le jeûne ; mais au contraire, le regardent comme une
superstition nuisible à la vie spirituelle.
Mais toi, quand tu jeûnes,
oins ta tête et lave ton visage, afin qu'il ne paraisse pas aux
hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est dans le
secret, et ton Père qui le voit dans le secret le récompensera
publiquement. Chaque moment de communion avec Dieu a
quelque chose qui restaure et rend heureux. Or, si le jeûne est un
moyen de faciliter ou de provoquer cette communion, il ne faut pas
qu'il oppresse le coeur et attriste l'esprit. Autrement il ne serait
pas de bon aloi. Si nous jeûnons pour le Seigneur, ce sera pour nous
une joie, et le reflet de cette joie paraîtra sur notre visage comme
une aimable sérénité. Quant à la récompense publique que Dieu promet,
elle consiste à fortifier la foi qui nous unit à Dieu et à rendre plus
abondants les fleuves d'eaux vives qui doivent en découler.
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