Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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28. Le Sermon sur la montagne.

(Matthieu V -VI-VII.)


b) Le sel de la terre et la lumière du monde.

Jusqu'à présent, le Sauveur a montré la gloire et la félicité des enfants de Dieu ; il insiste maintenant sur leur vocation et leurs devoirs dans le monde et à l'égard du monde. On redemandera beaucoup à celui à qui il a été beaucoup donné. Il faut que celui qui a été délivré de la corruption, devienne immédiatement, dans la main du Sauveur, un instrument pour la délivrance des autres. Les disciples n'ont à attendre que de la haine de la part du monde ; mais ils ne doivent pas lui rendre le mal pour le mal, ni se séparer obstinément de lui. Car les puissances célestes qu'ils ont reçues, il faut qu'ils les répandent dans l'humanité.

Vous êtes le sel de la terre. Par la force du sel, qui préserve de la corruption et donne de la saveur, les disciples de Jésus (Marc IX, 49), doivent préserver l'humanité de la corruption, et se tenir eux-mêmes, devant Dieu et à l'égard les uns des autres, dans un état agréable et exempt de fadeur. Le péché a corrompu chaque âme en particulier, par cela même qu'il l'a séparée de Dieu, qui est la source de la vie ; mais il a aussi troublé l'ordre divin dans l'humanité en général. Il fait que chacun a égard à son propre intérêt et ne se soucie nullement de celui des autres ; il brise les liens de communauté et d'amour qui doivent unir les hommes entre eux, et exerce partout une action dissolvante. Mais le Sauveur a apporté la vie impérissable, et il a chargé ses disciples de la transmettre au monde entier.

Le sel de la terre doit préserver de la décomposition ; mais en s'acquittant de leur mandat, les disciples deviennent pour le monde des personnages incommodes et insupportables. S'ils n'étaient que sucre et miel, s'ils flattaient les instincts charnels, le monde les honorerait et les aimerait, mais il faut que le sel de la terre s'attende à être persécuté. Cependant les disciples doivent être pour la terre du sel et non du poivre. Cette force qui empêche la corruption, les disciples l'ont reçue de Christ lui-même et de son Esprit, qui doit châtier avant de pouvoir consoler. Comme cet Esprit s'acquitte de sa mission par le ministère des hommes, les disciples, en leur qualité d'oints du Seigneur, n'ont pas seulement du sel en eux-mêmes (Marc IX, 51), mais ils sont, eux, le sel de la terre.

Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? De même que les forces corporelles, la force anticorruptrice de l'Esprit de Dieu doit être maintenue et augmentée dans les croyants. Malheur aux chrétiens qui ont reçu le témoignage du Saint-Esprit et qui refusent de rendre ce témoignage devant ceux qui ne connaissent pas Jésus ! Ils privent les hommes courbés vers la terre, des seuls arômes qui puissent diriger leurs pensées vers le ciel, et deviennent comme des chiens muets qui ne peuvent pas aboyer (Ésaïe LVI, 10). Lorsque le sel a perdu sa saveur, rien ne peut la lui rendre. Car il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goûté le don céleste, qui ont été faits participants du Saint-Esprit, qui ont goûté la bonne Parole de Dieu et les puissances du siècle à venir, s'ils retombent, soient renouvelés à la repentance, puisque, autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le Seigneur de gloire en le livrant à l'ignominie (Héb. VI, 4-6).

Le sel qui a perdu sa saveur ne vaut plus rien qu'à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les hommes. Ces paroles sont bien de nature à effrayer, et à arracher à leur trompeuse sécurité tous ceux qui, par crainte de choquer ou de perdre l'amitié du monde, faussent la vérité et endorment les consciences au lieu de les réveiller ; tous ceux qui, par crainte de la souffrance, prétendent que la vie de la foi doit être « accommodée au temps » et proposée comme une manière de voir. Jetés hors du royaume de Dieu, ils seront dédaigneusement foulés aux pieds précisément par ceux dont ils ont recherché les faveurs par leurs flatteries.

Vous êtes la lumière du monde ; une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Le Sauveur se nomme lui-même la lumière du monde, et promet à ceux qui le suivent la lumière de la vie (Jean VIII, 12). Ceux qui se laissent pénétrer de cette lumière, sont des enfants de lumière, et deviennent eux-mêmes lumière dans le Seigneur (Eph. V, 8). Comme la lune fait rayonner dans la nuit la lumière qu'elle a reçue du soleil, de même celui qui porte en soi la lumière céleste est appelé à éclairer ceux qui marchent encore dans les ténèbres.

On n'allume point une chandelle pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Celui-là met la lumière sous le boisseau, qui se tait sur les choses qu'il a vues et éprouvées ; qui, suivant Christ comme la lumière du monde, veut s'épargner à lui-même la peine du renoncement. Notre devoir est d'annoncer, par nos paroles et notre vie, par notre enseignement et nos souffrances, les vertus de celui qui nous a fait passer des ténèbres à sa merveilleuse lumière.

Si le monde dit toute sorte de mal des croyants, comme s'ils étaient des malfaiteurs, parce qu'il ne veut pas de la lumière de la vie, il faut que les chrétiens montrent leur foi en faisant briller à tous les yeux les oeuvres d'un amour plus actif, et qu'en faisant le bien, ils ferment la bouche aux hommes ignorants et dépourvus de sens (I Pierre II, 15). Dieu seul voit la foi dans les coeurs ; il faut qu'elle devienne visible aux hommes par l'amour. Si un propriétaire incrédule s'adresse constamment aux hommes pieux de son entourage pour avoir des domestiques pieux, parce qu'ils sont zélés et consciencieux, fidèles et obéissants, la bonne conduite de ces hommes pieux a forcé cet incrédule à glorifier leur Père qui est dans les cieux.
Justin Martyr, un père de l'Église du IIe siècle, est un de ceux qui ont été gagnés à la foi par la belle conduite des chrétiens. Il raconte lui-même qu'en voyant la patience héroïque des témoins de la vérité en face des supplices, il avait été obligé, de se dire : « Ce n'est pas ainsi que meurent les malfaiteurs ». Puisse notre vie tout entière rendre témoignage que notre coeur est éclairé par l'aurore de l'éternité ! Alors le monde ne pourra pas nous refuser le témoignage que les gens de Guérar rendirent à Isaac : « Nous avons vu clairement que l'Éternel est avec toi. Tu es béni de l'Éternel (Genèse XXVI, 28. 29) ».


c) La Justice du Royaume des cieux.
(Matth. V, 17-48.)

Il est bien probable que depuis que Jésus, à l'occasion de la purification du temple, avait parlé de détruire cet édifice le peuple, excité par les pharisiens, l'avait soupçonné de vouloir combattre la loi de Moïse. C'est contre ce soupçon que le Sauveur s'élève maintenant.


1. L'ACCOMPLISSEMENT ET NON L'ABOLITION DE LA LOI.

Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir. Les pensées éternelles de Dieu, consignées dans la Loi et les Prophètes, et qui indiquent le but auquel il voulait conduire les hommes par ses dispensations, ne sont nullement supprimées dans le Nouveau Testament, ; au contraire, elles y sont réalisées par l'incarnation de Dieu en Christ. Ce n'est pas Christ qui a aboli la loi ; ce sont ceux qui l'ont si souvent accusé de l'abolir et qui finalement l'ont mis à mort comme contempteur de cette loi. Ce sont eux qui sont les vrais destructeurs de la loi de Dieu. Ceux qui étaient satisfaits de la manière dont ils accomplissaient la loi, les scribes, les pharisiens et tous ceux qui étaient animés de leur esprit, attendaient du Christ des ordonnances extraordinaires, dont l'observation leur donnerait plus de droits à l'héritage de la vie éternelle. Ils croyaient que la Loi pouvait suffire aux faibles et aux commençants, mais, en hommes exercés et éprouvés, sentaient en eux-mêmes la force de faire beaucoup plus.

Mais Christ est venu pour accomplir la loi. Et en parlant ainsi il n'a pas seulement en vue une vraie et parfaite explication de la loi, par opposition aux explications superficielles des pharisiens. Celui qui dit : Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens, etc. : mais moi je vous dis, celui-là ne parle pas comme un commentateur de Moïse ; il se pose comme le législateur même qui est au-dessus de Moïse. Il nous montre que le vrai sens de la loi, tel que Dieu l'entend, est spirituel, et a pour but de régler non seulement nos actions, mais encore nos pensées et nos sentiments. De plus, il s'est soumis à la loi ; il l'a accomplie par son obéissance et en supportant la malédiction dont elle menaçait les pécheurs. Enfin il écrit continuellement cette loi par son Esprit, dans le coeur de ses enfants et la leur fait observer, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous qui marchons non selon la chair, mais selon l'esprit (Rom. VIII, 4).

Les hommes regardent les lois auxquelles Dieu a soumis la vie de la nature comme des lois d'airain, qui sont indestructibles ; au contraire, ils considèrent celles par lesquelles Dieu règle la conduite des hommes comme étant flexibles et variables. Le Sauveur enseigne précisément le contraire. Jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, dit-il, il n'y aura rien dans la loi qui ne s'accomplisse, jusqu'à au seul iota et un seul trait de lettre. Le ciel et la terre se dissoudront plutôt que Dieu renonce à la moindre parcelle de sa justice et de sa sainteté.


2. LA JUSTICE DEVANT DIEU ET NON DEVANT LES HOMMES

Car je vous dis en vérité que si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Si la justice des scribes et des pharisiens n'était pas plus estimée que leur personne, le Seigneur n'exigerait pas trop de nous, car ils sont devenus un objet de mépris dans la chrétienté. Il. ne semble pas difficile d'accomplir la loi mieux qu'ils ne l'accomplissaient. Une justice qui ne viserait qu'à surpasser la leur, ne serait pas un but trop élevé. Mais d'abord maint individu apprendra à se connaître lui-même, s'il ne se contente pas de se comparer avec de plus méchants que lui, mais plutôt avec les meilleurs et les plus pieux. Or, les scribes étaient pieux par vocation et les pharisiens l'étaient de réputation. Ils se considéraient eux-mêmes comme les meilleurs, les plus nobles et les plus pieux des hommes, et prenaient leur religion très au sérieux. La plupart de ceux qui les blâment le plus sévèrement aujourd'hui, pourraient à peine soutenir la comparaison avec leur conduite extérieure, et ne sont peut-être pas non plus fort éloignés d'eux quant à leurs sentiments.

D'après le jugement populaire, la justice des pharisiens était la plus élevée à laquelle un homme pût atteindre.

D'après le jugement du Sauveur, cette justice était tout à fait insuffisante, car, avec elle, on ne peut pas subsister devant Dieu, ni accomplir ses commandements. Les pharisiens manquaient en deux points. Ils ne comprenaient pas la loi de Dieu, et n'en saisissaient que le sens superficiel et littéral ; puis ils ne connaissaient pas leur propre coeur. Et ainsi ils pouvaient vivre dans l'illusion d'avoir accompli la volonté de Dieu, lorsqu'ils s'étaient abstenus de l'acte extérieur de meurtre ; d'adultère, de vol, de parjure ou d'idolâtrie. Une telle justice qui ne consiste que dans un accord extérieur avec la lettre de la loi, ne saurait avoir de valeur aux yeux de Celui qui regarde au coeur.

Cette justice des pharisiens est la même que celle dont se glorifient aujourd'hui les incrédules. On regarde la loi de Dieu comme une ordonnance de police ou comme une législation criminelle ; on prétend avoir un coeur bon et vertueux, on se flatte soi-même avec complaisance, et on répète volontiers avec le jeune homme : Que me manque-t-il encore (Matth. XIX, 20) ? Mais celui qui a reconnu que la loi est spirituelle et que l'imagination du coeur des hommes est mauvaise dès leur jeunesse (Gen. VIII, 21), s'écrie avec douleur : Certainement il n'y a point d'homme juste sur la terre (Eccles. VII, 20). 0 Éternel, si tu prends garde aux iniquités, Seigneur, qui est-ce qui subsistera (Ps. CXXX, 3) ? C'est parce que, contrairement à la méthode pharisaïque, la nature humaine étant incapable d'atteindre à la justice que Dieu demande, Il a envoyé son propre Fils comme Sauveur ; celui qui croit en lui est juste.

Recevoir Jésus et lui donner son coeur avec un confiant amour : telle est la volonté de Dieu à notre égard. C'est là la justice qui surpasse celle des scribes et des pharisiens. Elle la surpasse, non parce qu'elle consiste à chercher la justice devant Dieu dans un plus haut degré de perfection, à la manière des pharisiens, mais en ce qu'elle rend réellement juste devant Dieu. Le Sauveur enseigne une voie toute nouvelle pour arriver au salut. L'homme naturel se place devant Dieu avec ses oeuvres et en attend la récompense ; Jésus se donne lui-même et attend de l'homme l'adhésion de la foi, de la reconnaissance et de l'amour.

Après avoir enseigné cette vie nouvelle, le Sauveur montre comment, dans le royaume du Père céleste, on comprend et on observe ses divins commandements, c'est-à-dire, non d'après leur sens superficiel et littéral, mais spirituellement et par amour.
Il cite pour exemple le sixième, le septième et le troisième commandement de la toi. Il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point. Les pharisiens prétendaient que pour accomplir ce commandement, il suffisait de ne pas ôter la vie au prochain. Jésus enseigne que dans le royaume des cieux, auquel il nous appelle, la colère, le mépris, l'injure, sont spécialement interdits et cela parce que l'amour est la loi de ce royaume, parce que les offenses, et les haines implacables, sont des taches spirituelles incompatibles avec l'amour ; enfin parce que la colère, le mépris, l'injure constituent les péchés de Caïn.

Quant au septième commandement : Tu ne commettras point adultère, on l'expliquait comme s'il défendait seulement l'acte matériel et grossier. Mais moi je vous dis : Ainsi parle le Sauveur en sa qualité de législateur : quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis adultère avec elle dans son coeur. Le Seigneur, qui regarde au coeur, et aux yeux duquel toute mauvaise convoitise est un péché, accorde à ses enfants la grâce de son Saint-Esprit, qui purifie leur coeur même des appétits charnels, afin qu'ils puissent supporter le saint regard de l'Éternel.

Si ton oeil te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le loin de toi, car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse que si, tout ton corps était jeté dans la géhenne. Et si ta main droite te fait tomber dans le péché, coupe-la et jette-la loin de loi car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse que si tout ton corps était jeté dans la géhenne. Ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses convoitises (Gal. V, 24). Par le saint baptême, nous sommes entrés dans la communion des souffrances de Christ, afin que notre vieil homme, héritage d'Adam, soit détruit avec ses passions et ses convoitises. L'extraction de l'oeil, l'amputation de la main ne seraient utiles que si le mauvais coeur, source du péché, pouvait être enlevé en même temps.

De même que l'adultère du coeur, l'adultère par le divorce arbitraire, est banni du royaume des cieux. Quiconque répudie sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, l'expose à devenir adultère, et quiconque se marie avec la femme qui aura été répudiée, commet un adultère. Le mariage est une institution divine, établie dans le Paradis, et qui embrasse toutes les relations célestes et terrestres des époux pendant toute leur vie. Outre la vie naturelle, une vie conforme à la volonté de Dieu, la vie cachée avec Christ, doit aussi être cultivée dans le mariage ; et parce que cette union est une institution divine, elle est indissoluble. L'adultère seul, cette réelle et criminelle rupture du mariage, peut être devant Dieu un motif suffisant de divorce ; quiconque y procède par un autre motif, brise volontairement le lien conjugal et commet un adultère devant Dieu. Et quiconque épouse la femme divorcée, commet aussi un adultère, puisque devant Dieu elle est encore liée à son premier mari. Et l'ecclésiastique qui unit un tel couple bénit un adultère.

Le Sauveur veut aussi éloigner de son royaume l'abus du serment. Cet abus ne consiste pas seulement dans le parjure, mais encore dans tout jurement prononcé légèrement et sans nécessité. Les hommes jurent par celui qui est plus grand qu'eux, et le serment fait pour confirmer une chose termine tous les différends (Héb. VI, 16). L'autorité a aussi exigé un serment du Sauveur. Le souverain sacrificateur lui dit : Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu (Matth. XXVI, 63). Et Jésus prêta le serment exigé en ces mots : Tu le dis ! Ainsi les paroles du Sauveur : Mais moi je vous dis : Ne jurez du tout point ; que votre parole soit oui, oui, non, non ; tout ce qu'on dit de plus vient du malin, ne sont dirigées que contre le jurement prononcé légèrement et sans nécessité, dans la vie de tous le jours ; mais non contre le serment exigé par l'autorité. Un tel serment est un vrai culte rendu à Dieu.


3. DE LA LOI DU TALION

Vous avez entendu qu'il a été dit ; Oeil pour oeil, dent pour dent, Mais moi Je vous dis de ne point résister à celui qui vous fait dit mal ; mais si quelqu'un le frappe à la joue droite, présente lui aussi l'autre, et si quelqu'un veut plaider avec toi et t'ôter la robe, donne-lui aussi l'habit, et si quelqu'un te veut contraindre d'aller une lieue avec lui, vas-en deux. Donne à celui qui te demande et ne le détourne point de celui qui vent emprunter de toi. Le droit de punir et de châtier, confié à l'autorité, ne peut pas être invoqué par l'individu privé pour excuser ses vengeances personnelles. Même lorsque nous subissons des violences et des outrages ; même lorsqu'on nous fait tort en se couvrant d'un semblant de droit ; c'est le charitable souci de l'âme de notre prochain qui doit régler notre conduite, et non le désir de nous venger du tort que nous avons souffert. Le tort que nous fait notre prochain doit nous causer plus de peine pour son âme, que de douleur pour l'injustice dont nous sommes victimes. Notre amour pour notre prochain doit être tel que nous soyons prêts, en nous oubliant nous-mêmes, à souffrir un plus grand tort, plutôt qu'à chercher à nous venger et à réclamer notre droit.

Il y avait en France, au moyen âge, un jeune juriste nommé Lanfranc. Pressé par le besoin d'obtenir la paix de son âme, il prit la résolution de se livrer à la recherche des choses de Dieu dans le silence de la vie d'anachorète. En chemin, il fut attaqué par des brigands qui le dépouillèrent complètement et ne lui laissèrent que ses vêtements. Il se souvint à cette occasion d'avoir lu dans Grégoire de Naziance qu'au temps de la guerre des Lombards, en Italie, un homme pieux, auquel des brigands avaient pris son cheval, leur donna encore son fouet, pour obéir aux paroles de Christ, afin qu'ils pussent conduire l'animal, et que les Lombards, touchés de cette générosité, lui rendirent le fouet et le cheval. De même Lanfranc offrit aussi ses vêtements, dans l'espoir qu'on les lui rendrait avec tout ce qu'ils lui avaient enlevé. Mais il se trompait. Non seulement les brigands prirent les vêtements, mais encore ils le maltraitèrent lui-même. Tous deux avaient agi de la même manière et leur conduite eut un résultat tout différent. Extérieurement ils avaient agi de même, mais leurs sentiments étaient bien différents.

Le pieux Italien voulait simplement obéir à la parole de Christ, tandis que la conduite de Lanfranc est celle d'un égoïste, qui espérait recouvrer ce qui lui appartenait. Du reste, que la légitime défense soit permise et compatible avec l'amour du prochain, c'est ce que le Sauveur nous montre par son propre exemple. Le serviteur du souverain sacrificateur lui donne un soufflet. Le Seigneur ne rend pas l'outrage, mais il parle à la conscience de cet homme en lui disant : Si j'ai mal parlé, montre ce que j'ai dit de mal ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?

Ne résistez pas à celui qui vous fait du mal. Une classe d'un Gymnase se composait d'environ 50 élèves, âgés de 15 à 17 ans. Avant la leçon, deux d'entre eux se prirent de querelle à cause de la place de leurs livres sous la table. Avant que l'un d'eux pût se mettre en garde, l'autre lui appliqua sur la joue un bruyant soufflet. Tous les élèves partirent d'un éclat de rire. L'agresseur se préparait au combat, car il s'attendait à ce que son voisin se défendit. Mais celui-ci s'assit tranquillement, offrant l'image de la patience outragée. Son camarade s'assit aussi, silencieux, confus et se repentant sincèrement de sa brutalité. Plus tard il lui dit : Ta douceur et ta patience m'ont causé une douleur telle, que de ma vie je n'en ai éprouvé de plus vive. Tu m'as vaincu et frappé plus douloureusement que je ne l'avais fait. Dès ce moment ils devinrent les meilleurs amis. Une pareille manière d'agir ne s'apprend qu'auprès de Celui qui l'a commandée.


4. DE L'AMOUR DES ENNEMIS

Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (43). L'Écriture ne parle nulle part aussi crûment. Les pharisiens seuls pouvaient exprimer une pareille pensée. Sans doute cette parole du psalmiste : Éternel, ne haïrai-je pas ceux qui te haïssent et ne serai-je pas indigné contre ceux qui s'élèvent contre toi (Ps. CXXXIX, 21) ? peut s'appliquer aux ennemis de Dieu, de son peuple, de son règne ; mais les pharisiens l'appliquaient à leurs ennemis personnels, et s'en autorisaient pour excuser leurs haines et leur impiété.

Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous outragent et vous persécutent, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux. Nous remarquons ici quelque chose du sel du royaume des cieux, car aucun homme ne pourrait jamais tirer de pareilles pensées de sa raison. L'amour des ennemis vient de Dieu, qui fait dans son coeur la différence entre le pécheur qu'il aime et le péché qu'il hait. Les traits du Père sont gravés sur le visage des enfants. Par la foi Jésus habite en nous ; il gouverne notre coeur et nous donne son esprit.

C'est ce qui arriva à un esclave de l'Amérique du Nord, qui avait si bien gagné la confiance de son maître par sa fidélité, que celui-ci l'établit sur ses autres esclaves. L'ayant un jour emmené avec lui à un marché d'esclaves, il le chargea d'en acheter quelques-uns. L'achat terminé, le surveillant pria son maître d'acheter encore un vieil esclave tout décrépit et malade. Le maître s'y refusa longtemps, car évidemment cet homme était incapable de rendre le moindre service. Finalement, il céda à l'instante prière de son esclave. Celui-ci eut pour son compagnon tous les soins imaginables. Il faisait tout son ouvrage. Il avait pour lui les plus touchantes attentions et lui donnait la meilleure nourriture. Cette conduite frappa son maître, qui lui dit : D'où vient donc l'intérêt que tu portes à ce vieillard ? C'est probablement ton père ? - Non, maître, ce n'est pas mon père. - C'est donc ton oncle ? - Non, maître, ce n'est pas mon oncle. - C'est donc un de tes parents, ou un ami, ou un bienfaiteur ? Non, maître. - Voyons, explique-moi ce singulier attachement que tu voues à ce vieux bonhomme. - Maître, cet homme est mon ennemi ; il m'a arraché à ma patrie et m'a vendu à un marchand d'esclaves. Là, j'ai appris à connaître et à aimer mon Sauveur, qui me dit : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Le monde se glorifie de ses bonnes oeuvres, qu'il oppose à la foi. L'amour des ennemis, voilà une bonne oeuvre. Qu'on la cherche en dehors de la foi !


d) La piété devant Dieu et non devant les hommes.

(Matth. VI, 1-18.)

Notre vie cachée avec Christ en Dieu, se dérobe aux regards des hommes. Dans toutes les manifestations de la vie divine, l'oeil simple de l'enfant de Dieu regarde à Christ. La piété extérieure ne vise qu'à être vue et appréciée. Les mauvaises dispositions poussent les hommes à faire de mauvaises oeuvres ; l'ambition corrompt les bonnes oeuvres.


1. DE L'AUMÔNE

Ce n'est pas pour obtenir des louanges et des hommages, que les enfants de Dieu ouvrent généreusement la main pour donner aux pauvres, c'est uniquement par amour pour eux et pour les soulager dans leurs besoins. Quand, tu fais l'aumône, que la main gauche ne sache pas ce que fait la droite. Lorsque, au grand jour du jugement, le Sauveur parlera des dons et des oeuvres d'amour de ses disciples, leur mémoire leur fera complètement défaut, et ils seront tout étonnés de ce que le Seigneur leur dit.


2. DE LA PRIÈRE

Sans la prière, il n'y a point de communion avec Dieu, point de piété, point de salut. La prière est la respiration de la foi. Et l'âme de la prière, c'est le regard du coeur invariablement fixé sur Dieu, comme les yeux des serviteurs regardent à la main de leurs maîtres, et les yeux de la servante à la main de sa maîtresse, ainsi nos yeux regardent à l'Éternel notre Dieu jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous (Ps. CXXIII, 2). Contrairement aux prières fastueuses des pharisiens, le Sauveur ordonne la prière secrète dans le cabinet. Cependant il recommande aussi la prière faite en commun par deux ou trois réunis en son nom, et leur promet sa gracieuse présence. De même, lorsque l'Église sera assemblée dans tous les lieux où il aura mis son nom, il viendra à elle et la bénira (Exode XX, 24). Mais toujours il faut que la prière s'adresse à Dieu seul, sans chercher à attirer l'attention des hommes qui peuvent en être témoins.

Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux. C'est une précieuse assurance pour nous que de savoir que notre prière exerce une influence décisive sur le coeur de notre Père céleste, si toutefois nous croyons qu'il est réellement notre Père, et que nous sommes réellement ses enfants en Christ. Il y a quelque chose de grand dans la qualité d'enfants de Dieu, parce que le coeur et la main de leur Père garantissent aux prières de ses enfants une influence sur tout le cours de leur vie.

Ton nom soit sanctifié, ton règne vienne, ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Le nom du Père, le règne du Père, la volonté du Père tiennent avant tout au coeur des enfants. Les trois premières demandes peuvent être résumées en ces mots « À Dieu seul soit gloire dans les cieux ». Les quatre dernières dans ceux-ci : « Reçois la prière que nous t'adressons dans nos détresses ! » Dieu veut faire sa demeure dans tout homme. Il. veut être la substance de notre connaissance (son nom), de notre sentiment et de notre salut (son règne), de notre volonté (sa volonté). Dieu tout en tous ! Son nom, révélation de sa nature et de sa vérité, sera sanctifié parmi nous, lorsque sa Parole y sera annoncée avec pureté et clarté, et lorsque, comme enfants de Dieu, nous la prendrons pour règle de notre vie. Son règne vient lorsque le Saint-Esprit incline les coeurs à obéir à la Parole, aussi bien dans la chrétienté que parmi les Juifs et les païens. Sa volonté est faite lorsque toute volonté contraire à celle-là est mise aux pieds du Seigneur. Les anges et les bienheureux glorifiés servent Dieu avec joie, ce qui leur procure une parfaite félicité, de telle sorte que leurs accents de louanges retentissent jour et nuit. - S'il en était déjà ainsi sur la terre ! - Conduisons-nous comme des bourgeois des cieux, et la volonté de Dieu sera accomplie.

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. La piété est utile à toutes choses ; elle a les promesses non seulement de la vie à venir, mais aussi celles de la vie présente (1 Tim. IV, 8). Quelle consolation pour nous de savoir que notre Père céleste nous donnera la nourriture et pourvoira à tous les besoins de nos corps, et que nous pouvons sans crainte lui dire ce qui nous manque comme un enfant qui a faim demande un morceau de pain à sa mère !

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Comme nous péchons chaque jour et méritons d'être punis, nous avons chaque jour besoin du pain quotidien de notre âme, du pardon de nos péchés. Le Seigneur veut bien pardonner chaque jour et richement, les péchés de ceux qui le lui demandent avec une confiance enfantine. Combien le fleuve de l'amour ne doit-il pas couler abondamment si ceux à qui il a été beaucoup pardonné doivent beaucoup aimer ! C'est ainsi que l'amour de Dieu, qui nous pardonne chaque jour richement nos péchés, doit nous presser de pardonner aussi de tout notre coeur à ceux qui nous ont offensés. L'amour de Christ nous force à aimer nos ennemis.

Ne nous induis pas en tentation. Que celui qui croit être debout prenne garde qu'il ne tombe (1 Cor. X, 12) ! Le Sauveur, qui en Gethsémané exhortait ses faibles disciples à la vigilance, nous encourage, par cette sixième demande, à exposer nos craintes, nos faiblesses, à notre Père céleste, et à nous remettre avec confiance entre ses mains puissantes.

Mais délivre-nous du malin, car à toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire, amen ! Nous vivons dans une vallée de misères et de larmes. Notre corps et notre âme sont oppressés, et soupirent après la parfaite liberté des enfants de Dieu dans le règne de la gloire. Le regard fixé sur la bienheureuse issue des voies de Dieu, nous met dans la bouche cette prière : O Seigneur, mets un terme à toutes nos douleurs ! Comme c'est le Seigneur lui-même qui met cette prière dans notre bouche, et nous commande de prier ainsi, le véritable amen, dans toutes nos prières, est une joyeuse assurance que notre Père céleste l'entend.


3. DU JEUNE
(Matthieu VI, 16-18 ; Marc II, 18-22.)

Avec tous les exercices de piété, les pharisiens pratiquaient aussi le jeûne, afin d'être loués des hommes. Jésus veut qu'on le fasse en secret. À la question que les disciples de Jean-Baptiste adressent à ceux de Jésus : Pourquoi ils ne jeûnent pas, tandis qu'eux et les disciples des pharisiens jeûnaient souvent ? Jésus répondit :
Les amis de l'Époux peuvent-ils s'affliger tandis que l'Époux est avec eux ? Mais le temps vient que l'Époux leur sera ôté, alors ils jeûneront. Il est évident que le Sauveur n'a pas voulu défendre le jeûne ; mais ce qu'il veut, c'est qu'on ne l'observe pas, pour se donner en spectacle aux hommes ; mais qu'il soit pratiqué librement, pour satisfaire un besoin du coeur. Il veut surtout qu'on ne s'imagine pas pouvoir s'en faire un mérite devant Dieu. L'apôtre Paul, d'accord avec le Seigneur, s'élève contre le jeûne légal et méritoire. D'un autre côté, quand aujourd'hui des chrétiens évangéliques s'opposent à toute espèce de jeûne, comme peu convenable aux enfants de la Nouvelle Alliance, ils ne peuvent en appeler ni au Seigneur ni à saint Paul. Jésus dit expressément que les siens jeûneront lorsqu'ils seront privés de sa présence. Le jeûne renferme une grande bénédiction pour la vie intérieure des chrétiens, mais cette bénédiction ne saurait être conservée que si le jeûne être pratiqué en secret. Par un soin exagéré de la chair, le coeur est appesanti au point de ne plus pouvoir s'élever à Dieu. C'est pourquoi on appelle le jeûne : « les ailes de la prière ». C'est une discipline salutaire, bien qu'extérieure, pour préparer le coeur à recevoir les biens spirituels. Ce n'est certainement pas un bon signe, lorsque les chrétiens n'éprouvent pas le besoin de jeûner, lorsqu'ils ne peuvent supporter le jeûne ; mais au contraire, le regardent comme une superstition nuisible à la vie spirituelle.

Mais toi, quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage, afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est dans le secret, et ton Père qui le voit dans le secret le récompensera publiquement. Chaque moment de communion avec Dieu a quelque chose qui restaure et rend heureux. Or, si le jeûne est un moyen de faciliter ou de provoquer cette communion, il ne faut pas qu'il oppresse le coeur et attriste l'esprit. Autrement il ne serait pas de bon aloi. Si nous jeûnons pour le Seigneur, ce sera pour nous une joie, et le reflet de cette joie paraîtra sur notre visage comme une aimable sérénité. Quant à la récompense publique que Dieu promet, elle consiste à fortifier la foi qui nous unit à Dieu et à rendre plus abondants les fleuves d'eaux vives qui doivent en découler.

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