Le sermon sur la montagne ne met pas sous nos yeux la loi de Dieu aggravée et renforcée, comme la condition à remplir pour entrer dans le royaume des cieux. Il nous montre les devoirs imposés à ceux qui sont déjà membres de ce royaume. Le proverbe « Noblesse oblige », a une signification plus juste dans le royaume des cieux que dans le monde. La plus haute noblesse sont les enfants de Dieu, qui sont le sel de la terre et la lumière du monde. Voilà pourquoi le sermon sur la montagne commence par nous parler de la félicité et de la gloire des enfants de Dieu. Les béatitudes sont leurs lettres de noblesse. Ces paroles sont adressées aux disciples, mais de manière cependant à être entendues par le peuple.
Heureux les pauvres en esprit, car le
royaume des cieux est à eux ! Heureux !
Quelle douce introduction ! Ce n'est pas une nouvelle loi, ni une
nouvelle exigence, c'est un message venant du coeur de Celui qui
s'appelle Jésus, c'est-à-dire Sauveur. Et cependant, si aimables, si
suaves que soient les béatitudes, elles n'en ont pas moins un effet
puissant, parce qu'elles sont diamétralement opposées à l'esprit et à
la manière de voir du monde. Celui qui ne saurait pas encore que le
christianisme est en scandale au monde, pourrait l'apprendre ici. On
peut comprendre comment un vieux couple catholique fut si fort ému par
ces suaves paroles. Le mari avait acheté chez un bouquiniste un
Nouveau Testament sans avoir l'idée que ce livre fût la Parole de
Dieu. « C'est un si beau livre ! » lui avait-on dit.
Ils le lisaient un soir d'hiver. Quand le mari eut achevé les
béatitudes, il devint pensif, lut une seconde et une troisième fois,
et, courbant la tète, il revenait sans cesse à ces mots, dont
il ne pouvait détacher les yeux. À la fin il regarda sa femme et lui
dit : Femme, ou bien ce livre ment, on bien nous n'avons pas été
de vrais chrétiens jusqu'à présent.
C'est qu'il est plus facile à un homme de distribuer tous
ses biens aux pauvres que de devenir pauvre en esprit. Ceux que le
Seigneur appelle heureux ne sont pas les pauvres en argent on en biens
de la terre ; mais ceux qui ne voient en eux-mêmes aucun mérite,
aucune justice, et qui ne trouvent dans le monde ni consolation ni
paix ; ceux qui viennent à Dieu avec un coeur pauvre et vide,
afin qu'il le remplisse. Les mendiants spirituels, voilà les seuls qui
soient heureux. Cela semble si facile et cependant cela coûte
tant ! Cela ne coûte pas moins que le renoncement à soi-même, le
renoncement à l'orgueil naturel. Depuis que l'homme a ajouté foi aux
paroles du père du mensonge : « Vous serez comme des dieux,
connaissant le bien et le mal », son coeur n'a plus besoin de
lumière sur les choses de Dieu, il sait tout ; il comprend
tout ; il est plein de lui-même, de sa propre sagesse. Dès lors,
le royaume des cieux ne trouve plus aucune place dans son coeur.
Pauvres en esprit ! Ce sont ceux qui ne
trouvent rien de bon en eux-mêmes et qu'un tel sentiment tourmente. Si
tu es heureux de posséder la grâce de Dieu, et que cependant tu te
demandes : À quoi dois-je cette faveur ? » Si, malgré
la salutaire action de l'Esprit de Dieu en toi, tu aspires cependant à
la grâce, comme le brigand sur la croix, c'est là la pauvreté en
esprit. Si lé Seigneur se sert de toi comme instrument de son amour,
s'il te fait expérimenter qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à
recevoir, nourrissant par ton moyen ceux qui ont faim, désaltérant
ceux qui ont soif, vêtant ceux qui sont nus et consolant les affligés,
et que cette conduite t'attire des louanges, si tu crois véritablement
que tu n'en mérites aucune, parce que ta main gauche ignore ce que ta
droite a fait, c'est la pauvreté en esprit.
Et les pauvres en esprit sont heureux. Ils ne
doivent pas seulement le devenir. Ce sont des vases préparés
pour recevoir la grâce du royaume des cieux, qui comme les eaux
terrestres, se répandent seulement dans les profondeurs. La pauvreté
en esprit est en un mot l'état d'un homme qui a la
conscience d'être un pauvre pécheur, précisément le contraire du
pharisaïsme.
Heureux ceux qui sont dans
l'affliction, car ils seront consolés. Où sont les
hommes qui traversent la vie sans verser des larmes ? Doivent-ils
tous être consolés ? Oui ! qu'ils viennent tous, ces coeurs
courbés sous leurs fardeaux, brisés par la douleur. Qu'ils viennent
tous à Jésus. Il ne met dehors aucun de ceux qui viennent à Lui. Même
si tu ne souffres que de maux corporels, viens aussi à Jésus, mais
viens véritablement, personnellement. Auprès de lui, ta douleur sera
sanctifiée, en sorte que tu deviendras accessible à ses consolations.
Cependant ces paroles ne signifient pas que tous ceux qui
ont des afflictions ici-bas doivent nécessairement être consolés dans
l'éternité. Ceux qui auront souffert ici-bas sans Jésus, ne seront pas
consolés dans la vie future ; mais ils subiront une peine sans
fin. Lorsque le Seigneur proclame heureux, déjà sur la terre,
ceux qui sont dans l'affliction, il a en vue la tristesse selon Dieu,
qui produit une repentance à salut dont on ne se repent jamais. La
tristesse du monde qui produit la mort, ne considère que les
conséquences matérielles du péché. La tristesse selon Dieu est causée
par le péché lui-même, non pas seulement dans quelques-unes de ses
manifestations, mais dans sa source, dans le coeur qui veut toujours
suivre sa propre voie. Cette affliction, qui contient déjà le salut,
est née en Golgotha. Sur la croix, Jésus te dit : « Voilà ce
que j'ai fait pour toi ; et toi, qu'as-tu fait pour
moi ? » Si cette question te fait baisser les yeux et que tu
éprouves une véritable douleur de ne pas aimer assez Celui qui t'a
tant aimé ; c'est là l'affliction qui rend heureux. De plus, le
Fils de Dieu a apporté sur la terre la faculté de souffrir pour les
péchés des autres. En voyant l'endurcissement de Jérusalem, il pleura
sur elle ; il a été affligé de l'incrédulité de ses ennemis,
parce qu'ils ne voulaient pas penser aux choses qui appartiennent à
leur paix. Quiconque a l'Esprit de Jésus connaît par expérience ces
larmes, cette douleur. Il ne juge pas ; il ne condamne pas le
monde à cause de son incrédulité ; il prie pour lui et porte sa
douleur.
Être dans l'affliction et pourtant être heureux !
L'homme naturel ne peut pas comprendre cela. Et
cependant, même dans les souffrances terrestres, il en est une qui
ronge le coeur, et qui ne se conçoit néanmoins pas sans un certain
bonheur mélancolique. C'est la nostalgie. Quiconque est
atteint de ce mal, languit et dépérit peu à peu. La vue d'une telle
souffrance fait pitié. Toutefois un coeur atteint de nostalgie peut se
dire estimé heureux, comparé, à ces êtres infortunés qui n'ont point
de chez-soi, pas de maison paternelle, qui n'ont pas un lieu
où l'on pense à eux, où ils soient attendus. Tous ceux-là ignorent la
douleur rongeante de la nostalgie. Combien ne seraient-ils pas plus
heureux s'ils la connaissaient ! Le monde ignore aussi la douleur
que causent à l'homme ses propres péchés et les péchés des autres,
mais cette ignorance ne le rend pas heureux. S'il la connaissait, il
ne serait plus le monde ; il compterait parmi les enfants de Dieu
qui aspirent, dès ici-bas, à entrer dans la demeure céleste. Celte béatitude
du Seigneur pourrait donc se traduire ainsi : Heureux ceux
qui ont la nostalgie, car ils verront la maison paternelle !
Heureux les débonnaires, car ils
hériteront la terre. Ce qui est promis au Psaume
XXXVIle, aux croyants de l'Ancien Testament : que les
débonnaires hériteront la terre, Jésus l'applique ici aux
citoyens du royaume des cieux, et leur donne l'assurance que ceux qui
sont ici-bas méprisés et opprimés par le monde, remporteront cependant
la victoire. Le coeur des pauvres en esprit, qui mènent deuil sur
leurs péchés, ne se plaint pas en disant : « En quoi l'ai-je
mérité ? » Il se tait. et se laisse châtier. Nous avons,
disent-ils, ce que nous avons mérité. Un coeur ainsi disposé s'humilie
sous la puissante main de Dieu, et apprend à dire avec David : Je
le rends grâces, ô Dieu, de ce que tu m'as fidèlement
châtié ! C'est ainsi que nous recevons avec
douceur la Parole qui est plantée en nous. Même lorsque les hommes
nous font tort et nous offensent, notre coeur demeure calme et ne
s'irrite point. La vraie humilité et l'affliction supportées de bon
coeur, tuent l'ambition et l'égoïsme, et se manifestent extérieurement
sous les traits de cette débonnaireté à laquelle l'héritage de la
terre est promis. La promesse de l'héritage a aussi pour objet les
biens à venir. Dans le royaume de la gloire, les débonnaires
hériteront de la nouvelle terre et de la domination
avec Christ. Tout est à vous le présent et l'avenir, la terre et le
ciel, et ici-bas déjà, une vie paisible, que l'agitation du monde ne
saurait troubler. Quand l'Éternel prend
plaisir aux voies d'un homme, il apaise même envers lui ses
ennemis. Cela est vrai, surtout des débonnaires.
Heureux ceux qui ont faim et
soif de justice, car ils seront rassasiés. Assertions
qui paraissent des contradictions, problèmes qui pour l'esprit
mondain, sont obscurs et insolubles. La faim est un tourment, la soif
est une souffrance pour le coeur humain, aussi longtemps qu'il n'a pas
été brisé par la repentance. Et ici le Sauveur parle d'une faim et
d'une soif qui portent en elles la félicité ! Tout coeur d'homme
a faim et soif. Le coeur mondain a soif de biens terrestres, de
bien-être, d'honneurs. Mais on peut dire de ces choses, ce que Jésus
disait à la Samaritaine : « Quiconque boira de cette eau,
aura encore soif. » Ces objets sont incapables d'étancher la soif
du coeur. Ils sont plutôt une eau salée, qui augmente la soif.
Il arrive à l'incrédule, ce qui arrive à l'homme qui,
ayant faim, rêve qu'il mange, mais quand il est réveillé, son âme est
vide ; et à celui qui, ayant soif, rêve qu'il boit, mais quand il
est réveillé, il est las et son âme est altérée (Esaïe
XXIX, 8). Après de courts moments d'un rassasiement illusoire,
vient l'indigence éternelle et la soif inextinguible du mauvais riche.
Les enfants de Dieu ont soif de Dieu, du Dieu vivant lui-même. Ils
aspirent à voir sa face en justice (Ps.
XLII, 3 ). Ils ont faim et soif de l'aliment du royaume de
Dieu qui s'appelle la Justice.
Ils seront rassasiés.
Naturellement il n'est pas question ici de la satiété du Laodicéen,
qui disait : « Je suis riche, je me suis enrichi et je n'ai
besoin de rien. » Il y a un rafraîchissement fortifiant, qui
n'éteint pas la soif de la communion d'amour avec le Seigneur, car il
demeure toujours vrai que plus on aime le Sauveur, plus on sent
combien on devrait l'aimer. C'est la bienheureuse expérience de cette
promesse du Seigneur : « Je suis venu, afin que mes brebis
aient la vie et qu'elles l'aient même avec abondance (Jean
X, 10).
Heureux les miséricordieux, car
ils obtiendront miséricorde. Il convient
de remarquer ici que les béatitudes se rattachent l'une à l'autre
comme les anneaux d'une chaîne tiennent l'un à l'autre. Chacune ne
peut être bien comprise, que si on l'étudie dans sa liaison avec
l'ensemble. La miséricorde qui est proclamée bienheureuse n'est pas
une disposition du coeur inconverti. On ne peut la trouver que chez
ceux qui ont obtenu miséricorde, chez les pauvres en esprit ;
chez ceux qui sont affligés ; chez ceux qui ont faim et soif de
justice, et dont la faim et la soif ont été apaisées par le pardon de
leurs péchés. Le coeur impénitent est égoïste, et, croyant n'avoir
besoin d'aucune grâce, il est froid et indifférent aux besoins du
coeur et de l'âme de son prochain. Tous les coeurs animés des
sentiments de Caïn disent comme lui : « Suis-je
le gardien de mon frère ? » C'est pourquoi
aussi les sacrificateurs et les anciens d'Israël repoussèrent durement
Judas, qui était dévoré de remords, en lui disant : « Que
nous importe ? tu y pourvoiras. » Mais celui
à qui il a été beaucoup pardonné, aime beaucoup et a pitié de ceux qui
souffrent. On n'apprend la miséricorde, qu'auprès de Celui qui, ému de
compassion envers nous, a souffert pour nous jusqu'à la mort.
Car ils obtiendront miséricorde.
Le serviteur auquel le Roi du ciel avait remis toute sa dette, accepta
la miséricorde comme une proie ; mais il n'en fit point
bénéficier son compagnon de service. Il voulait bien jouir de la
miséricorde, mais il refusait de l'exercer. C'est pourquoi la
miséricorde lui fut retirée et le paiement intégral de sa dette, fut
exigé de lui. Mais ceux qui usent de compassion obtiendront
miséricorde dans le temps et dans l'éternité. La foi égoïste, qui ne
cherche la miséricorde de Dieu que pour elle-même, et qui refuse de
l'exercer envers les autres, est funeste et sans paix. Mais les
miséricordieux obtiennent déjà dès ici-bas l'effet de la
promesse : Si tu partages ton pain avec
celui qui a faim, que tu fasses venir dans ta maison les étrangers
qui sont errants, et que quand tu vois celui qui est nu, tu le
couvres et que tu ne te caches point de ta propre chair, alors la
lumière éclora comme l'aube du jour, et la guérison germera
incontinent ; la justice ira devant toi, et la gloire de
l'Éternel sera ton arrière-garde (Ésaïe
LVIII,
7. 8).
Ici se trouve la solution d'un problème de la vie
chrétienne : c'est que beaucoup de croyants
ne jouissent pas d'une véritable paix et ne parviennent pas à une joie
réelle, en sorte qu'ils n'appartiennent pas à ce
peuple heureux, qui a sujet de jeter des cris de réjouissance à
l'Éternel (Ps.
LXXXIX, 16). Leur foi est une lumière qui est placée sous le
boisseau, et ne projette aucun rayon de miséricordieux amour. Si leur
vie était une manifestation éclatante de cet amour miséricordieux,
leur lumière éclorait comme l'aurore, et leur coeur apprendrait à
jeter des cris de joie.
Heureux ceux qui ont le coeur
pur, car ils verront Dieu. C'est
là une parole sérieuse, qui a bien souvent rempli d'inquiétude et
d'angoisses le coeur de chrétiens fidèles. Cependant il est évident
que le Sauveur ne proclame pas heureux le coeur naturellement pur. car
parmi les impurs nul, n'est pur ; et tous sont obligés de
s'écrier : Je
suis un homme souillé de lèvres et j'habite parmi un peuple
souillé de lèvres (Ésaïe
VI, 5).
Quel chrétien oserait se joindre aux enfants du monde,
qui, lorsque leurs péchés sont ostensiblement châtiés, se consolent en
disant : « Il y a sans doute des taches dans ma vie, mais
mon coeur est pur. » Erreur ! Non seulement la conduite est
pleine d'impureté ; mais aussi le coeur est entaché de mauvaises
convoitises, d'égoïsme, d'ambition, sans véritable crainte de Dieu,
sans amour pour le prochain, amateur de vanités.
Le coeur proclamé heureux est donc, non celui qui serait
pur de sa nature, mais celui qui a été purifié par la grâce de Dieu et
par l'action bien édifiante du Saint-Esprit. C'est le coeur des
pêcheurs reçus en grâce qui ont éprouvé les effets de la miséricorde
divine par le pardon de leurs péchés, et qui, remplis d'un ardent
désir de se purifier, répètent avec ferveur cette supplication du
Psalmiste : « Oh ! que mes voies soient bien réglées
pour garder tes statuts (Ps.
CXIX, 5) ! »
Cet ardent désir pousse chaque jour l'âme à rechercher la
sanctification, sans laquelle nul ne verra le Seigneur (Héb.
XII, 14). Mais c'est une douleur journalière pour tout coeur
chrétien, de sentir que, malgré nos combats, le péché est toujours
attaché à nous, nous rend paresseux pour toute espèce de bien, et que
nous sommes si souvent vaincus par lui. D'un autre côté, cette
connaissance nous entretient dans l'humilité et nous préserve de
l'illusion qui nous persuaderait que nous avons déjà
atteint la perfection. Elle nous force de purifier toujours de
nouveau, par la foi, nos coeurs, dans le sang du Fils de Dieu.
Oui, heureux ceux qui ont le
coeur pur, car ils verront Dieu. Le coeur pur,
c'est-à-dire le coeur qui cherche et trouve chaque jour le pardon de
ses péchés dans le sang de l'Agneau et qui y lave ses vêtements, - le
coeur pur est l'oeil qui contemple Dieu. Chaque péché non pardonné,
rend le coeur aveugle et trouble la joie de la prière. Le coeur
humain, impénitent et impur, ne voit autour de lui que la poussière de
la terre, et au-dessus de lui que vapeur et brouillard. Si le coeur
est comme la mer agitée, dont les flots ne jettent que de la vase et
du limon, il ne peut ni contempler ni connaître Dieu, malgré toute sa
science et toute sa connaissance.
Tandis que le coeur purifié par l'amour de Dieu, devient
un miroir qui reçoit les rayons de la face de Dieu en Jésus-Christ.
Heureux ceux qui procurent la
paix, car ils seront appelés enfants de Dieu. Lorsque
le Seigneur nous console dans les afflictions que nous causent nos
péchés, et nous fait expérimenter les effets de cette parole : La
paix soit avec vous, c'est déjà réellement une béatitude.
Mais il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir. Les biens du ciel
ne nous rendront jamais véritablement heureux, si nous ne pouvons les
communiquer à d'autres.
La grande joie pour l'enfant de paix, c'est de pouvoir
apporter et établir la paix parmi les hommes. Là où des coeurs ont été
divisés et irrités par de mauvaises langues, les enfants de paix
répandent leur semence de paix par de bonnes paroles, et réparent
autant que possible le mal qui a été fait. Mais ils ont mieux à faire
que d'amener les hommes à se supporter les uns les autres avec
douceur. Ils s'efforcent de faire connaître la paix de Dieu aux coeurs
qui en sont privés. C'est là un saint et bienheureux effort. C'est
pourquoi ceux qui le font sont appelés enfants de Dieu. Ils
sont engendrés par la divine semence de la nouvelle naissance, une
étincelle de la flamme divine. Leurs divins traits de famille doivent
être reconnus déjà sur la terre, par tous ceux qui ont les yeux sains.
Mais c'est dans le ciel que leur nom d'enfants de Dieu brillera sur
leur front comme une étoile divine. Les saints anges et les
bienheureux les salueront comme enfants de Dieu,
et on verra la réalisation de ces paroles de l'Apocalypse (XXII,
3. 4.) : Ses serviteurs le
serviront, ils verront sa face et son nom sera écrit sur leurs
fronts.
Heureux ceux qui sont persécutés
pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. Le
monde ne veut pas faire sa paix avec Dieu. Il repousse loin de lui les
messagers de paix. Lorsque les pécheurs ne veulent pas se laisser
déranger dans leur funeste manière de vivre ; lorsqu'ils refusent
de se rendre aux invitations des enfants de paix, d'être justifiés
devant Dieu par la repentance et par la foi au Prince de la paix, ils
répondent à ces exhortations pleines d'amour, par la persécution.
Malgré cela, lorsque les martyrs ont eu à souffrir pour la justice,
ils étaient cependant heureux. Les consolations du royaume des cieux
restauraient leur âme au milieu des plus horribles tourments
corporels, en sorte qu'ils purent non seulement rester fidèles jusqu'à
la mort, mais encore chanter joyeusement des cantiques de louanges.
Ici le Sauveur a surtout en vue les disciples, qui subiront les
premiers le choc de l'inimitié du monde.
Vous serez heureux lorsqu'à
cause de moi on vous dira des injures, qu'on vous persécutera et
qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal.
Réjouissez-vous alors et tressaillez de joie, parce que voire
récompense sera grande dans les cieux, car ils ont ainsi persécuté
les prophètes qui ont été avant vous. On a dit que la
haine du monde est la marque distinctive du chrétien. Elle est le
sceau que le monde appose sur leur vocation et leur élection célestes.
Cependant, ce ne sont pas les souffrances et les persécutions en
elles-mêmes qui font les martyrs, ce sont les causes de ces
persécutions et de ces souffrances. Lorsque les hommes disent de nous
un mal qui est vrai, et qu'à cause de cela nous sommes injuriés et
persécutés, ceci n'est assurément pas une béatitude. Mais
lorsque le mal qu'ils disent de nous est faux ; lorsque le motif
de leurs injures et de leurs persécutions n'est autre que la
confession que nous faisons du nom de Christ, par nos paroles et par
notre conduite, ceci est en tout cas une béatitude. Les
injures que nous souffrons pour Christ, constituent le plus grand
honneur qu'un chrétien puisse obtenir et une précieuse garantie de sa
foi. Ceux qui sont persécutés pour le nom de
Jésus, voient entre les pierres d'un monde qui les lapide, le ciel
ouvert et le Fils de l'homme assis à la droite de Dieu. Ce regard jeté
sur la gloire de Dieu, les rend en toutes choses plus que vainqueurs.
Grâce à ces persécutions, les disciples se trouvent en communion avec
les prophètes, qui ont eu à souffrir pour le même témoignage.
Lorsque l'impératrice Eudoxie cherchait à mettre à mort
le vénérable père de l'Eglise, Chrysostôme, il disait : « Si
l'impératrice veut me faire scier, qu'elle le fasse. » La même
chose est arrivée au prophète Esaïe. Veut-elle me faire jeter à la
mer ? je penserai au prophète Jonas. Veut-elle me faire brûler
dans une fournaise ? je souffrirai avec les trois hommes de Dieu.
Veut-elle me jeter aux bêtes ? je me souviendrai de Daniel dans
la fosse aux lions. Veut-elle me faire décapiter ? j'aurai pour
compagnon Jean-Baptiste. Veut-elle me faire lapider ? Qu'elle le
fasse ; saint Étienne n'a pas été mieux traité. »
On peut reconnaître dans les béatitudes un ordre, une
gradation qui nous montre le commencement, les progrès et la
consommation de la Justice chrétienne. Le commencement est
opéré par une humble connaissance de soi-même et une sainte tristesse
dans nos rapports avec Dieu et avec les hommes (v.
3-5). Le progrès consiste dans un effort sérieux pour réaliser
la justice devant Dieu, dans l'exercice de la miséricorde, dans la
pureté du coeur et dans la tendance à procurer la paix (v.
6-9). La consommation se caractérise par la patience sous la
croix pour l'amour de Jésus (v.
10-12). L'ensemble est une chaîne d'or de béatitudes, depuis le
premier anneau jusqu'au dernier. C'est une véritable échelle de Jacob,
dont le premier échelon s'appuie sur la terre, et dont le dernier
touche le ciel. Aucun degré ne doit être négligé ; aucun échelon
ne doit manquer. C'est pourquoi ces béatitudes ne sont pas au fond
différentes l'une de l'autre; c'est une seule et même béatitude
considérée sous différentes faces. Seulement, il ne faut pas regarder
les premiers degrés comme un simple passage. La pauvreté en esprit et
la tristesse selon Dieu, sont les traits fondamentaux du caractère
chrétien.
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