Jean-Baptiste a été arrêté et enfermé dans la forteresse de Macherus
(château fort, habité par Hérode Antipas) ! telle fut la nouvelle
qui parcourut le pays comme un message de terreur. - Pour quel
motif ? - Sans aucune crainte des hommes, Jean-Baptiste avait
hardiment dit au roi Hérode : Il ne
t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère (Matth.
XIV, 3. 4).
Le roi écoutait d'ailleurs volontiers le prédicateur du
désert et suivait ses avis en beaucoup de choses. Mais il ne voulait
pas être repris au sujet de l'adultère dans lequel il vivait, et il
avait fait mettre sous les verrous le censeur importun.
C'est que Jean-Baptiste ne faisait aucune acception de
personnes. Il ne considérait pas les hommes au point de vue de leur
rang ou de leur position dans le monde ; mais uniquement au point
de vue de leur situation vis-à-vis du Dieu saint et de leurs pêchés.
C'est pourquoi il avait repris Hérode comme il aurait repris le
dernier du peuple, et supportait avec une courageuse confiance les
souffrances que cette conduite lui attirait.
Comme cette nouvelle dut effrayer ceux qui adoraient Dieu
en silence dans Sion ! Plusieurs se dirent sans doute :
« Maintenant tout est perdu ! » Cependant Jean-Baptiste
n'était que l'avant-coureur du sauveur. Les choses se passent toujours
ainsi dans l'histoire du règne de Dieu. Il n'y a jamais qu'un homme
qui soit pour ainsi dire le fondé de pouvoirs du Dieu vivant auprès du
peuple. Ainsi, lorsque Moïse eut accompli sa tâche, Josué prit sa
place ; lorsqu'Élie eut fourni sa carrière, Élisée continua son
oeuvre. On aurait pu croire que pour le Sauveur les choses auraient dû
se passer autrement. Comme Fils de Dieu, n'aurait-il pas dû commencer
son oeuvre, aussitôt après avoir été consacré par son baptême dans le
Jourdain ? Mais son humilité ne lui permettait pas de
se mettre en avant. Il remplissait sa mission, non pas sous
Jean-Baptiste, mais à côté de lui. Il ne devait en prendre la
direction unique que lorsque son heure serait venue. Or, cette heure
vint avec la nouvelle de l'emprisonnement de Jean-Baptiste. Alors
Jésus transporta son activité en Galilée, du moins pour le moment.
Le peuple de cette contrée n'était pas en grande estime à
Jérusalem. et dans la Judée. À cause des rapports fréquents et du
mélange des Galiléens avec les païens, on appelait leur province
« la Galilée des Gentils (païens) ». Même dans le Sanhédrin
on avait accueilli le préjugé qu'aucun prophète n'était venu de la
Galilée, bien que ce préjugé fût contredit par l'histoire. Jonas et
Nahum étaient Galiléens.
Ce mépris et ce préjugé provenaient de ce que le peuple
de la Galilée s'était toujours montré libre et indépendant de la
puissante influence du Sanhédrin de Jérusalem. Les Galiléens étaient
des hommes plus simples, au coeur plus ouvert, et beaucoup moins
soumis aux traditions humaines que la population de Jérusalem et de la
Judée.
On peut déjà reconnaître cela à la manière différente
dont Jésus parlait aux uns et aux autres. Lorsqu'il parle aux
Galiléens, il s'exprime d'une façon plus simple et plus populaire. Il
emprunte ses images aux lis des champs, au semeur, au filet jeté dans
la mer. Tandis qu'à Jérusalem, il peut entrer toujours plus
profondément dans le mystère de sa personne divine et humaine. On
pourrait presque dire qu'il parlait là le langage théologique. D'un
autre côté, le caractère galiléen avait aussi ses ombres. Le manque de
sérieux et une capricieuse mobilité (Matth.
XI), mettront Jésus dans le cas, malgré le bon accueil qu'ils
lui avaient fait d'abord, de crier « malheur » précisément
sur les villes où il avait fait le plus de miracles.
Jésus choisit Capernaüm pour son domicile fixe (Matth.
IV, 13). C'est pour cela qu'on la nommait sa ville.
C'est là qu'il acquittait l'impôt du temple ; c'est là qu'il
revenait toujours après ses tournées de prédication dans toute la
contrée. De Capernaüm, il se rendit d'abord à Nazareth, son lieu
natal, où il avait passé sa jeunesse.
Jusqu'à présent, le Sauveur a trouvé partout des coeurs
ouverts. Le bruit de ses miracles s'était répandu dans toute la
contrée. Il était honoré de chacun (Luc
IV, 15). Toutefois il ne fallut pas beaucoup de temps pour que
sa personne et son Évangile devinssent l'objet d'une haine mortelle.
La douceur et les consolations de la Parole de Dieu
plaisent à tous, mais on repousse aigrement ses censures. Ainsi Jésus
vint à Nazareth où il avait été élevé, et il entra, selon sa
coutume, le jour du sabbat, dans la synagogue et se leva pour
lire.
Que de fois il avait été assis là, pour écouter la Parole
de Dieu ! Aujourd'hui, il n'est pas venu pour écouter, mais pour
prêcher. Lorsqu'il se fut levé pour montrer qu'il voulait lire et
expliquer le passage de l'Écriture désigné pour ce jour, on lui
présenta le livre du prophète Ésaïe, et l'ayant ouvert, il trouva
l'endroit où il est écrit : L'Esprit du
Seigneur est sur moi, c'est pourquoi il m'a oint ; il m'a
envoyé pour annoncer l'Évangile aux pauvres, pour renvoyer libres
ceux qui sont dans l'oppression ; pour publier l'année
favorable du Seigneur (Ésaïe
LXI, 1. 2). Ce texte était bien celui qui convenait à Jésus pour
sa première prédication dans sa ville natale. Comme son coeur dut être
ému en voyant assis devant lui ses amis, ses voisins, ses compatriotes
qu'il avait fréquentés journellement, avec lesquels il avait échangé
tant de paroles et de poignées de main ! Et les yeux de tous
étaient arrêtés sur lui, dans l'attente de ce qu'il allait dire.
Que de paroles de consolation et d'exhortation ne leur
avait-il pas adressées autrefois ! que de prières n'avait-il pas
fait monter vers son Père en leur faveur ! Maintenant il est
assis devant eux comme Sauveur. Son coeur plein d'amour brûle de leur
donner ce qu'il a lui-même, sa paix, la joie du royaume de Dieu.
Cette parole de l'Écriture est
accomplie aujourd'hui, et vous l'entendez. Comme son
âme eût débordé d'allégresse si ses auditeurs étaient venus à lui
pauvres, afin qu'il les enrichit ; aveugles, afin
qu'il leur rendit la vue ; oppressés, afin qu'il les affranchit
et les délivrât ! Oh ! comme il les aurait comblés de la
paix, de la joie, de la félicité divines qu'il tenait en réserve pour
eux !
Mais que faut-il entendre par l'année favorable du
Seigneur ? Déjà le sabbat d'Israël était une promesse que
l'histoire de ce peuple devait, comme la semaine, se terminer en Dieu
et dans son Paradis. Au sabbat hebdomadaire, Dieu ajouta l'année
sabbatique. Tous les sept ans, la terre ne devait pas être cultivée,
mais jouir d'une espèce de repos d'Eden. Lorsque sept semaines
d'années s'étaient écoulées, venait la cinquantième année, qui était
l'année du grand « jubilé » et des restitutions, dans
laquelle ceux qui s'étaient appauvris, rentraient en possession de
leurs biens ; les dettes étaient remises aux débiteurs ;
ceux qui avaient été réduits à l'esclavage recouvraient leur liberté.
L'année du jubilé, l'année du Seigneur, signifiait qu'Israël devait
être le peuple du Seigneur. Elle devait rappeler la future délivrance
de tout péché et de tout mal, la restauration tant désirée de la
félicité du Paradis, accordée par le fidèle Jéhovah, le Dieu de
l'alliance, le médecin et le sauveur d'Israël.
L'année favorable du Seigneur était donc le temps où Dieu
répandrait sur son peuple la plénitude de sa grâce et de sa
miséricorde, et par son moyen, sur tous les peuples de la terre. C'est
l'année que l'apôtre nomme « les temps de rafraîchissement de la
part du Seigneur » (Act.
III, 20). Ainsi, lorsque Jésus de Nazareth déclare que la
prophétie d'Ésaïe est accomplie en sa personne, il témoigne par là
qu'il est venu non seulement pour affranchir du péché, mais encore
pour délivrer de toutes les conséquences du péché : des
souffrances, des maladies, des misères de toute espèce, et que dans
son règne, les différences entre le riche et le pauvre, entre le noble
et l'homme de bas état, ne seront pas supprimées, mais que la haine et
les rivalités des diverses classes, provoquées d'une part par l'envie
et la jalousie, et d'autre part par l'orgueil et la dureté. seront
vaincues par un esprit de généreux amour.
Quel résultat ont eu les
paroles pleines de grâce qui sortaient de la bouche de
Jésus ? L'étonnement. De cette manière le Sauveur
n'aurait eu aucun succès, et ses auditeurs, aucun avantage. Il n'est
pas venu pour exciter l'étonnement, mais pour chercher et sauver ce
qui était perdu. Peu à peu, au contraire, l'envie et la haine
s'éveillèrent dans le coeur de ses auditeurs. Dans sa jeunesse, ils
avaient aimé l'aimable et doux charpentier. Mais comme on considère
toujours dans le monde ceux qui prennent au sérieux la foi au Dieu
vivant, comme des gens manquant d'intelligence et de capacités, de
même on avait regardé Jésus comme un bon, mais insignifiant jeune
homme, qui ne ferait pas son chemin d'une manière bien brillante. Sans
doute, ils s'étaient grandement étonnés de le voir jouir d'une telle
réputation hors de leur pays. Mais maintenant il est au milieu d'eux
et leur annonce la Parole de Dieu. Ils sentent que sa parole pleine de
grâce fait impression sur leur coeur et leur conscience, c'est un
moment décisif. La porte du royaume des cieux s'ouvre devant eux. -
Mais ils ne veulent pas y entrer. N'est-ce pas le fils de Joseph,
disent-ils ? Peut-il nous apporter ce que le prophète nous a
promis ? Et s'il est réellement ce qu'il prétend être, pourquoi
ne s'est-il pas hâté d'accomplir parmi nous les oeuvres qui, ailleurs,
lui ont acquis tant de gloire ?
Mais avant qu'ils aient exprimé ces pensées, Celui qui
sonde les coeurs les devance. Vous me direz
sans doute ce proverbe : Médecin guéris-toi toi-même ;
fais dans ta patrie tout ce que nous avons ouï dire que tu as fait
à Capernaüm. - Je vous dis en vérité que nul prophète n'est reçu
dans son pays. Ah ! certainement, que l'on admire
un jeune compatriote qui s'entend à faire fortune, ou qui se distingue
par sa force et son intelligence, cela se comprend, mais qu'on le
reconnaisse comme un prophète, c'est-à-dire comme un homme auquel Dieu
s'est révélé une manière toute particulière, cela est inadmissible.
Les prophètes Élie et Élisée ont aussi expérimenté
l'amère vérité de ce proverbe. Eux aussi furent méprisés du peuple
corrompu au milieu duquel ils vivaient. C'est pourquoi les puissances
divines dont ces prophètes étaient dépositaires, ne se déployèrent pas
en faveur des veuves et des lépreux qui étaient alors en Israël ;
mais en faveur d'une veuve païenne de Sarepta, et d'un officier
païen : Naaman le Syrien. Les Israélites de ce
temps-là auraient aussi pu dire aux prophètes : Faites aussi les
mêmes choses dans votre pays. Mais ces hommes de Dieu ne le pouvaient
pas à cause de l'incrédulité qui régnait parmi le peuple. C'est
pourquoi Jésus ne s'étonne nullement d'être ainsi traité dans sa ville
natale.
Ces exemples tirés de l'histoire d'Israël, montrent aux
Nazaréens que la défaveur avec laquelle un prophète est reçu dans sa
patrie, est préjudiciable, non pas au prophète, mais à ses
compatriotes. La confusion dont le Sauveur les couvre, en les
comparant aux païens, leur va au coeur. « Il tient avec les
païens ! il nous préfère les païens ! » Cette pensée
excite leur colère. Et comme leur religion consiste principalement
dans la conviction d'être le peuple préféré de Dieu, les paroles de
Jésus, qui plaçait les païens au-dessus d'eux, étaient à leurs yeux un
blasphème. C'est pourquoi, s'étant
levés, ils le mirent hors de leur ville, et le menèrent jusqu'au
sommet de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie pour le
précipiter. Mais, l'heure de mourir n'était pas encore
venue pour lui - et humble comme un enfant, mais en même temps avec
une majesté divine, il s'en alla au travers de cette foule furieuse,
et personne n'osa mettre la main sur lui. Nazareth a méconnu le temps
auquel elle a été visitée. Il est venu, chez
les siens, et les siens ne l'ont point reçu !
L'incrédulité a osé nier la réalité des possessions, malgré
les témoignages des saintes Écritures. On prétend que Jésus s'est
accommodé aux illusions des malades, pour les guérir comme on le fait
pour les fous. Cette assertion n'a aucun fondement, attendu que Jésus
n'a pas traité ces malades comme des possédés seulement en leur
présence, mais aussi lorsqu'il en parlait au peuple et même à ses
disciples. On a dit aussi que Jésus aurait adopté les idées qui
régnaient alors sur ces maladies, pour ne pas heurter l'opinion reçue.
De telles concessions à des vues qu'il reconnaissait comme fausses,
ne s'accordent guère avec sa véracité. D'ailleurs, le Sauveur n'a
jamais craint de s'élever contre les erreurs et les préjugés
populaires. D'autres, poussant l'incrédulité plus loin, prétendent que
Jésus était tout à fait sincère en parlant des possessions, qu'il y
croyait réellement, parce que, comme enfant de son siècle, il
partageait cette erreur. Vraiment, on ne sait si l'on doit s'indigner
à l'ouïe d'un pareil blasphème, ou sourire à la pensée que le Fils
unique du Père doive aller à l'école des savants du dix-neuvième
siècle pour se faire examiner sur ses erreurs. Nous laissons
volontiers un tel Sauveur aux libres penseurs.
Que les démoniaques se rencontrent beaucoup plus
fréquemment à l'époque de Jésus que dans les temps postérieurs, cela
s'explique par le caractère particulier de cette époque. C'était un
temps de décomposition, de détresse spirituelle et corporelle. L'ordre
ancien s'écroulait et l'attente de quelque chose de nouveau
remplissait les esprits, qui avaient reconnu le néant de la foi aux
anciens dieux, et qui, ayant été induits en erreur de tant de
manières, ne savaient plus quelle croyance adopter. C'est ainsi que la
place était préparée à l'entrée des esprits malins. Il est très facile
de comprendre que le prince des ténèbres, après avoir échoué dans sa
tentative de détruire l'oeuvre de la Rédemption en gagnant le
Rédempteur, fasse maintenant les plus grands efforts pour réduire,
sous sa puissance, les âmes et les corps des individus. Mais il ne
parvient pas à opérer une union durable entre lui et la nature
humaine. Il ne peut qu'habiter par ses suppôts dans les hommes, sur
lesquels il exerce un pouvoir temporaire, que le Fils de Dieu détruira
par la puissance de son commandement. Et il le détruit réellement
partout où il rencontre, au fond de l'âme des possédés, une aspiration
à la délivrance.
Là où un homme, parvenu à la connaissance de son état de
perdition, et cependant alléché par le péché, résiste à l'impulsion du
Saint-Esprit, et, malgré des lumières suffisantes, s'adonne, le
sachant et le voulant, à son penchant favori, là le coeur est ouvert à
l'entrée de l'esprit malin. D'abord l'homme se livre volontairement à
la puissance des ténèbres ; ensuite il y est peu à peu asservi
malgré lui. Grâce au violent combat intérieur contre les progrès de ces
ténèbres, combat qui tiraille l'âme et qui est de nouveau suivi d'une
rechute aveugle dans le tourbillon du plaisir, le corps lui-même est
désorganisé. C'est ainsi que les esprits impurs, qui cherchent leur
repos dans la chair (Luc
XI, 24), prennent possession du corps des malheureux. Les
possédés étaient donc des hommes dans l'organisme corporel desquels un
esprit malin avait pris place et demeurait comme un second
« moi », et qui, enchaînant pour un temps l'activité morale
des malades, parlait par leur bouche et agissait par leurs membres.
Y a-t-il aujourd'hui des possédés ? - Sans nul
doute. Cependant il faut nous garder de prendre trop facilement la
folie, le délire, la mélancolie, pour une possession. Il est vrai que
la plupart des possédés sont aussi aliénés ; mais tous les
aliénés ne sont pas des possédés. Le Sauveur a donné à ceux-là
seulement qui croient en lui le pouvoir de chasser les démons. Mais le
seul nom de Jésus n'est pas une garantie contre les possessions. Cette
garantie nous est accordée seulement par ces paroles :
« Résistez dans la foi », et par celles-ci :
« Veillez et priez ».
On sait comment le bienheureux Blumhardt, cet homme si
richement béni, d'abord pasteur à Moetlingen, puis aux bains de Roll,
qui menait une vie de prière comme peu le font, a délivré des possédés
de la puissance des esprits impurs, et comment, à la suite de ces
délivrances, beaucoup d'âmes de sa paroisse se sont converties au
Sauveur.
Aussitôt après son retour à Capernaüm, Jésus commença à
enseigner dans la synagogue de cette ville, les jours de sabbat. Et
ils étaient étonnés de sa doctrine, car il parlait avec autorité.
Quelle puissance ne devait pas avoir la parole de Jésus, discourant
des choses religieuses, à propos desquelles on se contente trop
souvent de probabilités ou d'opinions, lui qui en parlait avec une
assurance, une conviction qui calmaient immédiatement le coeur de ses
auditeurs, et en même temps avec une fermeté et une force qui
arrachaient les âmes à leur lourde paresse et les forçaient à prendre
une décision. Ce qu'il disait, ce n'étaient pas seulement des paroles,
c'était une puissance. Voilà pourquoi ses discours ne laissent
personne indifférent. Il faut qu'on les accepte ou qu'on les repousse.
C'est ce qu'expérimenta un homme possédé d'un esprit
impur, qui se trouvait dans la synagogue, où il s'était Introduit
secrètement. Effrayé par la puissante lumière que les paroles de Jésus
jetaient dans le royaume des ténèbres, cet esprit s'écria à haute
voix : Ah ! qu'y a-t-il entre nous
et toi, Jésus de Nazareth ; es-tu venu pour nous
perdre ? Je sais qui tu es ; tu es le saint de Dieu.
Satan est prêt - aujourd'hui comme alors - à confesser le nom de
Christ en paroles, pourvu qu'on le laisse tranquille possesseur de sa
proie (Luc
XI, 22), et beaucoup de chrétiens suivent son exemple. De
bouche, ils confessent le nom de Jésus ; mais par leur conduite,
par leur vie de tous les jours, ils lui disent :
« Qu'avons-nous à faire avec toi, Jésus ? laisse-nous en
repos ! »
Mais le Seigneur n'accepte aucun témoignage du royaume
des ténèbres, qu'il est au contraire venu détruire. Et
Jésus le menaçant, lui dit : Tais-toi et sors de cet
homme ! Il tient le même langage aux chrétiens
mondains : Est-ce à toi de réciter mes
statuts et de prendre mon alliance dans ta bouche, puisque tu hais
la correction ? (Ps.
L, 16. 17.) Seulement, le Sauveur ne parle jamais aux hommes
aussi impérieusement qu'à cet esprit impur. Ceux-ci peuvent encore
être sauvés par la foi en se donnant librement à lui. C'est pourquoi
il les engage à penser aux choses qui appartiennent à leur paix. C'est
seulement lorsque toute sa patience et son généreux amour sont
épuisés, et que le temps de la grâce est écoulé, que les hommes
tombent en la puissance du Roi de l'éternité. Et
le démon, l'ayant jeté au milieu de l'assemblée, sortit de lui.
Mais en présence de Jésus, il n'osa lui faire aucun mal.
De retour à Capernaüm, Jésus parcourt les villes et les bourgades,
prêchant et disant : Amendez-vous, car
le royaume des cieux est proche. Évidemment, Jésus veut
continuer l'oeuvre interrompue par l'emprisonnement de Jean-Baptiste.
C'est ainsi qu'il agit comme il l'avait fait auparavant, lorsqu'il
avait commandé à ses disciples de baptiser simplement à la manière du
précurseur. C'est aussi de cette manière que, dans son entretien
nocturne avec Nicodème, il s'en était référé au baptême de Jean et à
la promesse du Saint-Esprit faite par lui, lorsqu'il avait indiqué à
ce docteur la régénération par l'eau et l'Esprit ; comme la
condition de l'entrée dans le royaume des cieux.
Le changement du coeur est indispensable pour entrer dans
le royaume des cieux. Changez de coeur et non de vêtements ;
changez de coeur et non de lois ; changez de coeur et non
d'organisation politique ou religieuse. L'homme naturel est
orgueilleux, égoïste, jaloux, mondain, éloigné de Dieu et des choses
célestes ; de plus, rempli de ténèbres et d'illusions, tellement
que nul ne connaît l'état de son propre coeur, et ne veut voir le
profond abîme qui sépare le pécheur du Dieu saint. Le royaume des
cieux est quelque chose d'intérieur, un règne spirituel, qui ne
s'établit pas par des moyens extérieurs. C'est pourquoi l'homme ne
peut y entrer en restant tel qu'il est. Un changement de sentiments
est indispensable. L'esprit de Jésus doit aussi être l'esprit de tous
ses disciples. Sans cet esprit on est et l'on demeure exclu du royaume
des cieux.
Tu cherches le bien-être, les jouissances matérielles,
les honneurs terrestres, pauvre coeur ! Aucune de ces choses ne
se trouve dans le royaume des cieux. En les poursuivant, tu fais
complètement fausse route. Tu n'as pas le véritable esprit. Le royaume
des cieux est le règne de Dieu, dans lequel les moeurs
obéissent à sa Parole et à sa volonté avec une sainte joie. Trouves-tu
ton plaisir dans les commandements de Dieu ? Sa Parole est-elle
la règle de tes pensées et de ta vie ? Est-elle pour toi plus
précieuse que l'or, plus douce que le miel ? La nourriture de ton
âme consiste-t-elle à faire la volonté de
Dieu ? S'il n'en est pas ainsi, que cherches-tu dans le royaume
des cieux ? Il n'a rien à offrir à ton esprit ni à tes goûts
terrestres. Il faut que tu changes de coeur.
Une des lois du royaume des cieux est que celui qui
s'abaisse sera élevé et que celui qui s'élève sera abaissé.
T'abaisses-tu volontiers ? Te plais-tu dans la petitesse et dans
l'humilité ? Lorsque le monde ne t'estime peu, te dis-tu :
Je veux m'estimer moins encore ? S'il en est ainsi, tu es déjà
dans le royaume des cieux. Oui bien es-tu orgueilleux ?
Aspires-tu aux choses élevées ? Es-tu vain et ambitieux ?
Aimes-tu à occuper les premières places ? Ce n'est pas là
l'esprit du royaume des cieux. Amende-toi !
Le royaume de Dieu est un règne de vérité. Jésus, le Roi
de ce royaume, a dit : Je suis né et je
suis venu au monde pour rendre témoignage à la vérité ;
quiconque est pour la vérité écoute ma voix. Eh
bien ! aimes-tu la vérité ? Parles-tu et agis-tu selon la
vérité ? Es-tu sincèrement reconnaissant envers tous ceux qui te
disent la vérité sur toi-même, même lorsqu'elle te blesse et
t'humilie ? Si tu aimes à rester dans l'obscurité sur l'état réel
de ton coeur, si tu aimes à te faire illusion à toi-même, à être
flatté, tu n'as pas l'esprit du royaume de Dieu, amende-toi !
sinon tu en seras toujours éloigné.
Le royaume de Dieu est le règne de l'amour ;
il ne cherche pas son propre avantage, il pardonne volontiers, ne
s'aigrit point, supporte tout, croit tout, espère tout. Es-tu partisan
de la maxime d'après laquelle chacun est son propre prochain, ou
encore de celle-ci : « Chacun pour soi et Dieu pour
tous » ? Dans ce cas, tu n'as pas l'esprit du royaume de
Dieu. Amende-toi fais habiter ton Sauveur dans ton coeur par la foi,
et tu auras l'esprit du royaume de Dieu.
Le royaume de Dieu annoncé par Jésus-Christ, c'est-à-dire
la domination de Dieu établie sur toutes choses, ne sera parfait que
lorsqu'il aura acquis son plein développement à la fin des temps. Mais
ce royaume existe déjà en germe dans la personne du Sauveur. C'est de
ce germe que doit sortir le royaume qui croîtra et s'étendra jusqu'aux
extrémités de la terre. Il n'y avait dans cette sainte personne que
béatitude ; communion d'amour avec le Père, humble
soumission à Dieu. Autour de lui, au contraire, il ne voyait que
péché, remords, coeurs brisés, malédiction et corruption. Ramener à
Dieu ces rebelles, guérir ces coeurs blessés, apaiser la colère de
Dieu et changer la malédiction en bénédiction ; voilà ce qui, dès
le commencement, est clairement apparu au Seigneur comme le but de son
travail, comme la tâche de son règne, qui n'est que lumière et vie,
paix et joie. Cette tâche, il veut l'accomplir dans ce monde de péché
et de mort, jusqu'à ce qu'enfin toutes les ténèbres soient vaincues et
que la mort elle-même soit anéantie. Ce dernier but de son oeuvre, le
Sauveur l'a toujours eu clairement devant les yeux ; mais ce qui
ne lui était pas moins clair, c'est que le chemin qui conduit à ce but
serait un long développement à travers des travaux et des combats.
La considération de ce but final du règne de Dieu, où le
péché, la maladie, la détresse, la mort seront vaincus, jette une vive
lumière sur les miracles opérés par Jésus lui-même et par ses
disciples. Ils sont les signes avant-coureurs des temps futurs, d'un
glorieux avenir, et annoncent la lutte de deux ordres de choses dans
le monde : le règne de la lumière et de la vie, combat contre le
règne des ténèbres et de la mort. Partout où les puissances du siècle
à venir sont actives dans une âme se montre aussi l'action de ces
puissances, en ce qu'elles attaquent énergiquement les lois du royaume
du péché et de la mort.
Dans cette prédication du règne de Dieu, nous remarquons
avec admiration la divine sagesse que le Sauveur déploya dès le
commencement. Si nous comparons les discours qu'il prononça dans les
premiers temps de son enseignement public, avec ceux des derniers
temps, nous trouvons partout la même perfection, la même plénitude, la
même simplicité, la même profondeur. Nulle part il n'y a trace
d'embarras ou d'obscurité, comme on le rencontre chez les commençants.
Nulle part le moindre signe d'un développement progressif dans la
doctrine. Dès le début de son enseignement public, il montre que ses
pensées sont l'expression des choses divines, qu'il sait être son
bien. De là vient que ses paroles, au commencement comme à la fin de
son activité publique, sont si claires et si lumineuses, si
mystérieuses et si profondes, si précises et si
expressives. Elles sont en même temps si simples, qu'un enfant peut
les comprendre, et si pleines de sagesse, que l'esprit le plus éclairé
ne saurait les sonder, et que l'éternité ne suffira pas pour en
épuiser le contenu.
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