Matthieu 16, v. 18 |
À
qui le
Christ attribue-t-il ce
pouvoir ?
Trois fois l'Évangile parle des
clefs qui ouvrent ou ferment le ciel.
La première fois, Jésus
s'adresse à Pierre, qui vient de confesser
sa foi. « je te donnerai les clefs du
Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur
la terre sera lié dans les cieux ; ce
que tu délieras sera délié
dans les cieux. »
Si l'on isole ce texte des deux autres,
on peut penser qu'il s'agit là d'un
privilège accordé exclusivement
à Pierre, mis à part comme chef de
l'Eglise.
Mais il faut bien constater que
Jésus, parlant aux disciples
(Matthieu
18, v. 18), leur dit exactement la même
chose : « En vérité,
je vous le déclare, tout ce que vous aurez
lié sur la terre sera lié dans le
ciel et tout ce que vous aurez délié
sur la terre sera délié dans le
ciel. » Cette parole s'adresse
« aux disciples ». Quels
disciples ? - Les douze, dit-on, alors que
l'Évangile ne le précise pas et que
le terme de disciple s'applique à tous ceux
qui ont suivi Jésus. Le mot disciple peut
donc être pris dans un sens restreint, et ce
que Jésus leur dit ne concerner de nos jours
que les ministres de la Parole de Dieu. Mais il
peut être pris au sens large. Que de paroles
dites « aux disciples » sont
comprises comme si elles s'adressaient à
toute la chrétienté. Tout le Sermon
sur la montagne
(Matthieu
5, 6,
7), dit « aux
disciples », est considéré
comme nous concernant tous.
On oublie trop souvent que Jésus
a parlé une fois encore de ce
mystérieux pouvoir des clefs lorsqu'il dit,
mais cette fois aux scribes et aux
pharisiens : « Malheur à
vous ! Car vous fermez à clef le
Royaume des cieux devant les hommes ; vous n'y
entrez pas vous-mêmes, et ceux qui veulent y
entrer, vous les en empêchez »
(Matthieu
23, v. 13). Le mot clef ne
se trouve pas dans toutes les traductions
françaises. Mais dans le texte grec, il y a
bien kleîete, vous fermez à clef.
C'est le verbe d'où vient le mot clef, employé
dans le premier
de nos textes, « je te donnerai les
clefs », tas kleîdas. Ainsi les
scribes et les pharisiens, ces ennemis de
l'Évangile, possèdent eux aussi le
redoutable pouvoir des clefs, ou du moins, s'ils
n'ont pas les clefs qui ouvrent le Royaume des
cieux, ils ont celles qui le ferment.
Le pouvoir des clefs n'appartient pas au
seul Pierre, ni aux douze apôtres, ni
à la multitude des disciples ; tout
homme - même les adversaires de la foi -
possède le redoutable pouvoir d'ouvrir ou de
fermer les portes des cieux.
Quel
est donc
ce pouvoir des clefs ?
Chaque fois que Jésus parle des
clefs du Royaume des cieux, ne veut-il pas dire
tout simplement que tout ce que nous faisons sur la
terre peut avoir des conséquences
éternelles ? Par nos actes, comme par
nos paroles, nous pouvons aider quelqu'un à
trouver le chemin du ciel ou nous pouvons lui
barrer la route.
Les pharisiens, par leur hypocrisie,
peuvent dégoûter de la vraie
piété ; ils éloignent de
Dieu ceux qu'ils devraient conduire à
lui ; ce sont des « guides
aveugles », dit Jésus.
« Ils disent et ne font pas ; ils
lient de pesants fardeaux et les mettent sur les
épaules des hommes ; mais pour eux, ils
ne veulent pas seulement les remuer du
doigt. »
Ils
ont fait de la religion un moralisme sec et sans
joie. « Ils ferment à clef le
Royaume des cieux ; ils n'y entreront pas, et
ceux qui veulent y entrer, ils les en
empêchent. »
« Lier », ce n'est
pas seulement jeter quelqu'un en prison ou le
maintenir dans l'esclavage, c'est empêcher
une âme de parvenir à la vraie
liberté, c'est maintenir dans les liens de
la mort et du péché ceux qui
voudraient parvenir jusqu'à Dieu. Prends
garde, disciple du Christ, de ne point faire comme
les pharisiens, car les hommes regardent à
toi ; si tu les déçois, si tu
leur es en scandale, tu les repousses, tu les
enchaînes dans les liens de
l'incrédulité ou de la
révolte, tu les éloignes de Dieu pour
la vie présente, et - redoutable
conséquence de ton attitude - pour toujours.
Car celui qui se tient loin de Dieu et du pardon
sur cette terre, comment peut-il espérer
parvenir aux cieux ? Malheur à ceux qui
lient « ces petits qui croient en
moi » ! « Si quelqu'un
fait tomber dans le péché l'un de ces
petits qui croient, dit Jésus, mieux
vaudrait pour lui qu'on lui mit au cou une meule de
moulin, et qu'on le jetât à la
mer »
Si les hommes ont le redoutable pouvoir
de lier, ils ont aussi celui de délier. Ils
peuvent au sens propre comme au sens figuré
briser les chaînes qui retiennent les hommes
captifs.
- « Voici le jeûne auquel je prends plaisir, dit l'Éternel
- C'est de briser les chaînes injustes,
- De dénouer les liens de tous les jougs,
- De renvoyer libres ceux qu'on opprime,
- De rompre tout lien de servitude. »
- (Esaïe 58, v. 6)
Quelle chaîne plus cruelle que celle du
péché, qui tient les hommes
liés, fermés au ciel, incapables de
faire le bien, incapables d'espérer !
Qu'il est beau de pouvoir, avec l'aide de Dieu,
aider une âme à trouver le chemin du
pardon et de la vie nouvelle ! Briser les
liens de la superstition, de la peur, de
l'incrédulité, des passions
mauvaises, du doute, faire ce que Jésus a
fait pour cette femme qui depuis dix-huit ans
était « possédée par
un esprit ». « Cette fille
d'Abraham, que Satan tenait liée depuis
dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer
de ce lien ? »
Lorsque nous avons aidé quelqu'un
à dénouer le lien qui empêchait
l'épanouissement de son âme, ce que
nous avons fait pour lui aura des
conséquences bien au delà de la
mort ; nous lui avons ouvert le chemin du
ciel. Nous avons en nous la clef
qui ouvre, comme nous avons aussi celle qui
ferme.
Redoutable
alternative
Jésus nous a placés devant
cette redoutable alternative : Par tes
paroles, par ton exemple, tu dénoues des
liens ou tu en formes, tu brises des chaînes
ou tu en forges, tu ouvres les portes du ciel ou tu
les fermes.
Pourquoi tant de personnes
s'éloignent-elles de Dieu et meurent-elles
lentement dans les liens de
l'incrédulité ? Parce qu'elles
ont rencontré sur leur chemin des
chrétiens qui leur ont été en
scandale. M. François Mauriac, dans le
« Noeud de vipères »,
parle d'une âme qui s'est fermée
à la foi. « ... Au long de sa
morne vie, de tristes passions lui cachent la
lumière toute proche, dont un rayon parfois
le touche, va le brûler ; ses
passions... mais d'abord les chrétiens
médiocres qui l'épient. Combien
d'entre nous rebutent ainsi le pécheur, le
détournent d'une vérité qui,
à travers eux, ne rayonne
plus. »
Dans la mesure où nous avons pris
parti pour Dieu et où nous avons une
fonction dans l'Eglise, notre attitude et notre
exemple peuvent lier des âmes, et les lier
pour toujours. C'est pourquoi, au moment où
Jésus confère à Pierre une mission à part, une
mission excellente entre toutes, celle de
paître le troupeau, d'être le pasteur
des brebis, il lui rappelle le redoutable pouvoir
qu'il détient. Plus que quiconque il est
placé devant l'alternative : lier ou
délier.
Il est bon que les pasteurs se
souviennent qu'ils ont ce pouvoir des clefs, qu'ils
peuvent fermer des coeurs, jeter dans
l'impiété ceux qu'ils auront
scandalisés, abandonner à la mort les
brebis blessées qu'ils n'auront pas
pansées.
Mais il faut que tous nous soyons
conscients des conséquences de nos actes.
Vinet dit : « Les chrétiens
sont les arguments décisifs pour ou contre
le christianisme. » Prenons garde de
n'être pas des arguments contre notre
foi ! Il y a de notre part des silences
coupables. Il y a aussi des paroles maladroites,
dites sans amour et des témoignages
démentis par nos actes.
Redoutons le péché,
redoutons la paresse spirituelle, redoutons
l'égoïsme, redoutons d'être de
ces demi-chrétiens, de ces mauvais
chrétiens qui ferment le chemin du ciel
à ceux qui veulent y entrer.
Mais ne pensons pas seulement à
l'aspect négatif de notre texte. Notre
désir n'est pas seulement de laisser libre
le chemin qui mène au ciel. Nous voulons,
puisque Dieu nous en a
confié le pouvoir, user de la clef qui ouvre
la porte des cieux.
Splendide
responsabilité
Pasteurs, qui avez reçu comme
saint Pierre la vocation de
« paître les brebis »,
vous détenez les clefs du Royaume, vous
déliez ceux à qui vous annoncez le
pardon, la rédemption, la vie
éternelle. Redoutable et splendide mission
que le Seigneur nous a confiée ! Qui
est suffisant pour cet apostolat ? Qui
n'éprouve le besoin d'implorer sans cesse le
secours du Christ, sans lequel nous sommes
incapables de nous servir des clefs qui nous ont
été remises ?
Parents, vous avez fait à vos
enfants le don de la vie sur cette terre, mais vous
avez en vos mains les clefs qui ouvrent ou qui
ferment, qui aident à trouver les portes de
l'éternité ou qui en
éloignent. Dans la cérémonie
du baptême, on vous a dit quand vous
présentiez vos enfants :
« Souvenez-vous que c'est une
créature immortelle, un dépôt
dont vous aurez un jour à rendre
compte. » Ayant appelé vos enfants
à la vie de la chair, vous efforcez-vous de
leur ouvrir les portes du Royaume des cieux ?
Chefs, patrons, maîtres, membres
du corps enseignant, vous avez autour de vous des
hommes et des femmes qui regardent à vous,
qui savent que vous faites profession d'être
chrétiens. Votre attitude, votre sens de la
justice, votre bonté, comme aussi votre
injustice ou votre indifférence à
leur égard, tout cela peut ouvrir ou fermer
une porte, lier ou délier, faire tomber ou
relever. Sans même que vous ayez ouvert la
bouche, vous avez déjà usé des
redoutables clefs du Royaume. Mais Dieu vous
demandera sans doute davantage ; il vous fera
souvenir que vous avez charge d'âmes et que
dans certaines circonstances il faut savoir dire
les quelques mots qui feront naître la foi,
qui délieront celui qui est lié par
le péché, courbé par
l'incrédulité. Redoutable pouvoir des
clefs que vous avez reçu en assumant une
responsabilité ici-bas.
Membres de notre Église, fils de
la Réforme, héritiers d'un riche
patrimoine religieux, nous avons reçu des
clefs dont nous devons nous servir. Il fut un temps
où nul ne venait dans notre pays sans y
découvrir autre chose que de belles
montagnes et des sites merveilleux, sans y trouver
la foi qui délie, l'Évangile qui fait
vivre. Nous avons à l'égard des
étrangers qui viennent
à nous, des réfugiés et des
visiteurs, souvent liés par trop de
souffrances, par trop d'injustices subies et de
haines implacables, le pouvoir des clefs ; par
notre mépris ou notre indifférence,
nous pouvons les maintenir dans les liens de la
méfiance et de la révolte à
l'égard de Dieu et des hommes ; par
notre bonté, par un témoignage
inspiré par l'amour de Dieu et des
âmes, nous pouvons délier ceux qui
sont liés.
Le pouvoir des clefs n'a pas
été donné à tous dans
une même mesure. Comme le montre la parabole
des talents, les uns ont reçu plus que les
autres et les responsabilités ne sont pas
égales. Mais tous ont reçu quelque
don, tous ont reçu une clef. Il sera
beaucoup demandé à celui qui a
beaucoup reçu.. Mais celui qui n'a
reçu qu'un seul talent, celui-là ne
doit point mépriser le don de Dieu. Nul ne
pourra dire au jugement dernier : Seigneur, tu
ne m'avais confié aucune clef.
Tout chrétien, en recevant le don
de la foi, a en même temps reçu le
pouvoir d'aider son prochain à parvenir
à la lumière de Jésus-Christ,
la clef qui ouvre les portes du ciel.
Il faut nous en souvenir.
Et ne pas commencer une journée
sans penser que nous allons dans ce jour de
grâce lier ou délier, sans demander
à Dieu de nous permettre d'user des clefs,
guidés par son Esprit, conduits par sa main.
Il faut que nous soyons tout illuminés de la
présence du Christ pour que nous sachions
nous servir de ces clefs. Il faut que Christ vive
en nous, non pas seulement parce que c'est notre
bonheur qui est en jeu et notre destinée
éternelle, mais parce que sa seule
présence peut faire de nous des âmes
fortes et rayonnantes de foi et d'amour, qui
rompent des liens, qui brisent des chaînes,
qui ouvrent des portes que nul ne pourra jamais
fermer.
Seigneur, me voici pour faire ta
volonté !
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