Jean 14, v. 19 |
Matin
de
Pâques
« Seigneur, à qui
irions-nous qu'à toi, tu as les paroles de
la vie éternelle ! »
s'écriait l'apôtre Pierre quelque
temps avant la mort de son Maître.
« Je suis la
résurrection et la vie, avait dit
Jésus. Celui qui croit en moi vivra, quand
même il serait mort ; et quiconque vit
et croit en moi ne mourra
jamais. »
« Parce que je vis, vous
vivrez aussi. »
Mais maintenant, voici trois jours que
Jésus est mort.
Celui qui s'élevait sur la
montagne de la transfiguration est descendu au
séjour des morts.
Celui qui marchait sur les eaux est
enseveli sous la pierre.
La Lumière du monde n'est plus
aujourd'hui que ténèbres.
Le Prince de la vie a succombé
sur la croix.
Prostrés dans la douleur, les
disciples voient s'abîmer leurs certitudes.
Avec la mort de leur Maître est morte leur
foi.
Ne se souviennent-ils donc pas des
prophéties ? N'était-il pas
écrit que toutes ces choses devaient
arriver ? Jésus ne s'était-il
pas comparé au grain qui doit mourir pour
porter beaucoup de fruit ? Ne leur avait-il
pas parlé de cette mort nécessaire,
rançon qu'il fallait payer pour le salut des
pécheurs ? Ne leur avait-il pas
dit : « Il vous est avantageux que
je m'en aille » ? Toutes ces
paroles, ils ne les avaient pas comprises,
aveuglés qu'ils étaient par la
pensée que le Christ ne pouvait pas mourir
comme un homme pécheur.
La mort de Jésus les a tellement
déconcertés qu'ils ne peuvent plus
croire aux promesses qui les faisaient vivre.
Jésus avait dit : « Parce que
je vis, vous vivrez. » En bonne logique,
ils disent : Puisqu'il est mort, nous
mourrons !
« Nous espérions qu'il
était celui qui doit délivrer
Israël », disent les disciples sur
le chemin d'Emmaüs. Qu'y a-t-il de plus beau
que le verbe espérer au présent, de
plus triste que ce verbe au passé !
« Nous
espérions... » ; C'est donc
que notre espérance est morte.
Réalité
de la
résurrection
On a cherché à
réduire les récits de Pâques
à de simples visions, à des
expériences mystiques. Comme le dit le
poète Jean Aicard :
« Il ressuscita si vivant dans leurs âmes
Que tous crurent le voir et le virent aussi. »
Tout me paraît contredire cette
interprétation dont se contentent bien des
gens. D'abord la précision des textes.
Ensuite, la simple psychologie : Veut-on que
ces disciples, anéantis par la douleur,
jetés dans l'incrédulité par
la mort de leur Maître, aient imaginé
que le Seigneur était réellement
ressuscité, ce qui les fait traiter de fous
ou les conduira au martyre S'ils persistent dans
leur témoignage ? Des visions, ils les
eussent repoussées comme des mirages. Il
fallait, pour les convaincre de la
réalité de l'au-delà, que Dieu
leur rendît pendant quarante jours la
présence charnelle de celui qu'ils avaient
vu mettre au tombeau. « 0 coeurs lents
à croire ce qu'ont dit les prophètes »,
Dieu a eu pitié de vous ; il ne vous a
pas condamnés à cause de votre
incrédulité; il vous a rendu votre
Sauveur et en vous le rendant il vous a rendu la
foi.
Vous avez entendu sa voix, comme
autrefois. Il vous a appelés par votre nom.
« Marie ! »
« Simon ! » Vous avez vu
son corps meurtri. Ses mains percées. Son
côté blessé. Il a
partagé avec vous le pain. Et les poissons
qu'il a fait cuire au bord du lac. Vous ne l'avez
pas tout de suite reconnu, tant sa présence
était inattendue. Mais « votre
coeur ne brûlait-il pas au dedans de
vous » jusqu'au moment où vous
avez osé croire ?
« Rabbouni !
Maître ! »
« Seigneur, tu sais toutes choses, tu
sais que je t'aime. »
Promesses
vivantes
Il vit ! Et toutes ses promesses,
enfouies dans la tombe, ressuscitent avec
lui ! Elles éclatent en paroles de vie.
Il avait donc bien le droit de promettre la vie,
lui qui savait que la mort ne pourrait le tenir
captif !
Il vit ! Et dès lors les
disciples, si timides jusqu'alors, couards comme
lièvres, ont toutes les audaces. Les
entendez-vous dire en plein sanhédrin,
devant ces imposants prélats qui ont
condamné Jésus à mort :
« Ce Jésus, que vous avez fait mourir en le
pendant au bois, le Dieu de nos pères l'a
ressuscité. » Puisque Jésus
vit, ils peuvent défier la mort, et
même la mort sur la croix.
« Puisque Jésus vit, nous vivrons
aussi. » Et les hommes ne peuvent plus
rien sur nous ! Une seule chose importe :
demeurer unis au Christ, rester attachés
à celui dont procède la vie,
communier à ses souffrances, si cette
communion nous unit plus fortement a lui.
Il vit ! Et dès lors, dans
toute la chrétienté, la mort n'est
plus la reine des épouvantements ; elle
est vaincue.
« Vous
vivrez ! » La mort n'est donc plus
le dernier mot, la séparation à
jamais ; nous n'aurons plus à
l'égard de nos bien-aimés
arrachés à ce monde des regrets
éternels, mais la douce espérance
d'un au revoir ? Merveilleuses perspectives
ouvertes par Jésus, auxquelles Pâques
vient donner une éclatante confirmation.
« Maintenant, dit la Parole de Dieu,
Christ est ressuscité des morts,
prémices de ceux qui sont morts... De
même qu'en Adam tous sont mortels, de
même, en Christ, tous recouvreront la
vie. »
« Je suis allé vous
préparer une place, et là où
je suis, vous serez avec moi. »
« Parce que je vis, vous
vivrez. »
Tous
revivront-ils ?
« Vous vivrez... »
Qui est ce « vous » ?
Lorsque
Jésus a prononcé cette
parole, il s'adressait à ses disciples, dans
la chambre haute, la veille de sa mort, Judas, le
traître, les ayant déjà
quittés. « Vous êtes en moi,
leur dit-il, et je suis en vous. Celui qui m'aime
sera aimé de mon Père. Vous m'aimez,
parce que vous gardez mes
commandements. »
L'Évangile ne propose pas la vie
éternelle comme une récompense aux
vertueux, ou aux plus religieux, comme un dû
à ceux qui comptent sur leurs
mérites. Qui peut prétendre
mériter cette récompense
sublime ? De quelle vertu pouvaient se
prévaloir les disciples qui, le soir
même - Jésus le savait -
s'endormiraient au jardin de
Gethsémané, et donneraient le
lendemain la preuve de leur lâcheté,
de l'impuissance des hommes les mieux
intentionnés à faire quelque chose
pour leur Sauveur ?
La vie dont parle le Christ n'est pas
une récompense, un dû, elle est la
continuation dans un autre monde des relations qui
se sont établies entre le Fils de Dieu et
ses disciples. Cette union d'âmes, cette
communion entre les disciples et leur Maître,
est quelque chose d'éternel.
La mort ne peut pas dissoudre de tels
liens.
« Parce que je vis, vous
vivrez. »
Jésus ne parle pas ce
soir-là de l'humanité en
général, du sort des
incrédules, des indifférents, de
l'immortalité de l'âme, de toute
âme humaine. Il parle à ses disciples,
à ceux en qui a été
commencée l'oeuvre de la
régénération ; ils
étaient perdus, et Dieu les a
retrouvés ; ils étaient morts
pour Dieu jusqu'au jour où le Christ les a
appelés à la vie. En dépit de
leur faiblesse, de leurs défauts, du vieil
homme qui a tant de peine à
disparaître, quelque chose de nouveau a
commencé en eux, la grâce de Dieu est
à l'oeuvre en eux ; ils ont ouvert leur
coeur à cette initiative de Dieu, qui ne
laissera pas son oeuvre inachevée. La mort
ne limite pas la grâce. « Vous
vivrez. »
La
promesse est
pour nous
Ce « vous » que
Jésus a prononcé s'adresse-t-il
à nous ?
Cette promesse est pour nous, et pour
tous ceux qui l'entendent, mais à une
condition, c'est que nous acceptions de devenir et
de demeurer ses disciples, c'est-à-dire de
nous soumettre à son influence, de le
laisser prendre la première place dans notre
vie. Y a-t-il entre lui et nous
ces liens de confiance, d'obéissance et
d'amour qui font de nous des sarments unis au
cep ? Est-il pour nous pain de vie, pain dont
se nourrit notre coeur ? Est-il pour nous
source d'eau vive, nous qui avions bu à tant
de citernes troubles ? « Parce que
je vis, vous vivrez ! » Ces liens
qui se sont formés sur la terre entre nous
et notre Sauveur, ce sont des liens
d'éternité. Ce pain de vie est un
pain d'éternité. Cette source, ne
jaillit-elle pas dès maintenant en vie
éternelle ? Serait-il vrai ?
Oui ! Pâques nous le dit : Christ
est ressuscité. Il vit et nous sommes
à lui à jamais. Splendeur de la
promesse de Pâques !
Tous
ne
pourront cependant pas se réjouir à
cette promesse !
Elle n'est pas pour moi, dites-vous,
parce que je ne peux pas me considérer comme
un disciple du Christ. Vous le regardez de loin,
avec respect, vous l'avez renié
peut-être, trahi - qui n'a eu ses heures
sombres ? - vous lisez le récit de
Pâques un peu comme un étranger, vous
demandez comme la femme syrophénicienne
quelques miettes. Le Christ ne veut pas vous donner
seulement quelques miettes ; il vous appelle
comme il a appelé ses disciples, comme il a
appelé Zachée et Lévi, et
Pierre une première fois
et une seconde fois après le reniement. Vous
portez peut-être le nom de chrétien.
Il veut que ce nom devienne pour vous
réalité. Il veut être pour vous
l'Ami, le Maître, le Sauveur. Et tous, il
nous appelle, les ouvriers de la première
heure et ceux de la onzième, à serrer
les rangs autour de lui, à nous
réveiller du sommeil qui retient nos
âmes captives ; c'est lui qui
déliera pour nous les chaînes qui nous
font esclaves de la chair, de Mammon, et nous
entraînent à la mort. Il veut faire
pénétrer en nous cette vie
éternelle qu'il est venu donner au
monde.
Nous ne voulons pas seulement contempler
le Vainqueur.
Il nous appelle à participer
à sa victoire. « Venez à
moi, nous dit-il, pour avoir la vie. »
Philippiens 3, v. 19-20 |
Notre
véritable patrie
Si nous appartenons au Christ, au
Seigneur ressuscité, nous ne vivons plus
seulement de la vie d'ici-bas,
nous vivons déjà, dans la communion
du Christ, de la vie éternelle, que nous
connaîtrons pleinement quand nous aurons
rompu les derniers liens qui nous unissent à
cette terre. Le chrétien n'est pas celui qui
espère devenir au delà de la mort
« citoyen des cieux ». Il l'est
déjà dans une certaine mesure ;
et s'il vit encore sur la terre, il a une vie
« cachée avec Christ en
Dieu », comme le dit saint Paul. Il a
deux patries, l'une terrestre, à laquelle
l'unissent les liens de la chair et du sang,
l'autre céleste, à laquelle
l'unissent les liens de l'esprit ; l'une
provisoire, l'autre définitive. Plus nous
avançons dans la vie, plus nous regardons
à Jésus, plus notre patrie terrestre
nous apparaît comme une réalité
passagère, où nous sommes comme
« des étrangers et des
voyageurs », plus le ciel devient notre
véritable patrie.
Désir
nostalgique du ciel
Certains chrétiens ont
éprouvé plus fortement que d'autres
le sentiment d'appartenir à une patrie
céleste ; ils ont désiré
avec une ardeur intense être
délivrés de ce corps de chair qui lie
à la terre pour vivre enfin face à
face avec Dieu dans la véritable patrie.
Ainsi Jean-Sébastien Bach.
« Cet homme robuste et sain, nous dit son
biographe M. Albert Schweizer, qui vivait
entouré de l'affection d'une grande famille,
cet homme qui était l'énergie et
l'activité même, qui, bien plus, avait
un goût prononcé pour le franc
burlesque, ressentait au fond de son âme le
désir intense du repos éternel. Il
connaissait la nostalgie de la mort... En la mort,
il fête la libératrice suprême
et décrit en d'admirables berceuses
spirituelles la quiétude qui envahit son
âme a cette pensée ; ou bien
encore sa félicité se traduit par des
thèmes joyeux et exubérants, d'une
gaîté surnaturelle. L'on sent que son
âme chante dans cette musique et que le
croyant l'a écrite dans une sorte
d'exaltation. Quel charme pénétrant
dans son admirable : « Fermez-vous,
paupières fatiguées » de la
cantate « Ich habe genug » ou
bien encore la simple mélodie
« Komm, süsser Tod »,
« Viens, douce mort ».
Ce désir du ciel, nous le
trouvons exprimé dans les
épîtres de Paul, en particulier dans
celles qu'il a écrites en prison.
« Pour moi, dit-il aux Philippiens,
vivre, c'est Christ ; mourir est un
gain. » « Nous sommes citoyens
des cieux, d'où nous attendons un Sauveur,
le Seigneur Jésus-Christ, qui
métamorphosera notre
corps de misère en un corps semblable
à son corps glorieux. » Il se sent
partagé entre deux désirs, celui de
vivre encore sur la terre parce que son
ministère n'est pas terminé, et celui
de gagner le ciel, sa véritable patrie.
« Je me sens tiré des deux
côtés : j'aspire à m'en
aller pour être avec le Christ (ce serait de
beaucoup préférable) ; mais
rester dans mon corps est plus nécessaire
à cause de vous. »
Peut-on
vraiment être chrétien sans
éprouver cette
nostalgie ?
Cette nostalgie du ciel, cette joie qui
saisit le croyant à la pensée que ses
souffrances vont bientôt prendre fin, cette
fête pour les âmes à la
rencontre de leur Sauveur, est-elle seulement une
permission accordée à quelques
chrétiens, dans les temps d'épreuves
et de persécutions ? Ou doit-elle
être éprouvée par tout
chrétien, au point que celui qui n'aurait
jamais la pensée du ciel, ni la joie de s'en
approcher, ne serait pas un chrétien
authentique ?
L'apôtre reproche « aux
ennemis de la croix du Christ » de
« ne penser qu'aux choses de la
terre ». « Si vous êtes
ressuscités avec Christ, dit-il aux
chrétiens de Colosses, recherchez les choses
d'en-haut.
Attachez-vous
aux choses d'en-haut et non à celles de la
terre. »
L'épître aux
Hébreux, parlant de tous ceux qui sont morts
dans la foi, les montre tous
« désirant une patrie meilleure,
la patrie céleste ». Cette patrie,
ils l'ont « vue et saluée de loin,
ayant fait profession d'être étrangers
et voyageurs sur la terre ».
Ceux qui n'auront vécu que pour
la terre, ceux qui n'auront pas
désiré d'autres nourritures que
celles de la terre, ceux qui n'auront pas
été à la trace de Dieu,
comment pourraient-ils avoir part un jour à
la paix du ciel, eux qui ne l'ont nullement
recherchée ? « Ceux qui
sèment pour la chair moissonneront de la
chair la corruption. »
Penser
au ciel,
quel privilège !
Les temps actuels nous détachent
tout naturellement de ce monde et nous font
désirer plus ardemment que jamais le ciel.
La guerre nous révèle combien nos
richesses, notre vie elle-même, sont
fragiles. « Nous sommes citoyens des
cieux ! » Nous comprenons que ceux
qui ont vu leur maison détruite, ceux qui
ont fui leur patrie, les prisonniers et les
réfugiés, ceux qui ont tout perdu et
n'ont plus de cette terre qu'une vision
d'épouvante, se souviennent avec bonheur de cette
affirmation de la foi, et qu'ils le disent encore
à l'heure dernière, quand tout point
d'appui vient à manquer ici-bas.
C'est cette pensée qui soutient
saint Étienne dans son martyre ; il
fixait les yeux sur le ciel ; il voyait la
gloire de Dieu et Jésus debout à sa
droite ; « Écoutez,
disait-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de
l'homme debout à la droite de
Dieu. »
C'est cette pensée qui soutient
saint Paul, au milieu des périls de sa vie
d'apôtre, et lui fait dire :
« On nous regarde comme des brebis
destinées à la boucherie, mais, dans
toutes ces épreuves, nous sommes plus que
vainqueurs par celui qui nous a aimés ;
oui, j'en suis certain, ni la mort, ni la vie, ni
le présent, ni l'avenir, ni aucune autre
créature ne saurait nous séparer de
l'amour de Dieu manifesté en
Christ. »
C'est la même pensée qui
fait dire à Luther dans son choral :
- « Qu'on nous ôte nos biens,
- Qu'on serre nos liens,
- Que nous importe !
- Ta grâce est la plus forte »
« Nous sommes citoyens des
cieux ! »
Penser
au ciel,
un danger ?
La pensée du ciel ne peut-elle
pas cependant nous faire oublier que nous sommes
encore, et tant que Dieu nous prête vie, des
citoyens de notre patrie terrestre ? En nous
détachant de ce qui est périssable,
n'allons-nous pas oublier les tâches que Dieu
nous a confiées ?
En nous sauvant du péché,
en nous faisant naître à la vie
éternelle, en nous révélant
notre véritable destinée qui est dans
le ciel, l'Évangile ne veut nullement nous
amener à mépriser la terre, nous
dérober aux devoirs qui nous lient à
notre patrie terrestre. « Je ne te prie
pas de les ôter du monde, disait Jésus
en priant pour ses disciples, mais de les
préserver du Malin... De même que tu
m'as envoyé dans le monde, je les ai
envoyés dans le monde. »
Ce n'est pas à nous qu'il
appartient de fixer l'heure où nous
quitterons ce monde pour être à jamais
dans le ciel ; celui qui voudrait devancer les
temps, par le suicide, ou - ce qui est aussi un
suicide - en fuyant le monde, en se retirant dans
la vie contemplative, mauvais serviteur qui enfouit
son talent au lieu de le faire fructifier ;
celui-là, croyant gagner plus vite le ciel,
ne peut que le perdre. En nous donnant une patrie
céleste, le Christ ne nous ôte pas
à notre patrie terrestre. Comme le Christ a aimé
sa terre, terre de
sa patrie charnelle, terre souillée par le
péché, terre où fut
plantée la croix de Golgotha, il nous faut
aussi chérir la terre qui nous a vus
naître, terre où reposent nos
aïeux, terre trop souvent arrosée de
sang, terre que Dieu a voulue belle et que les
hommes ont rendue laide. L'aimer et donner pour
elle nos biens et notre vie, S'il le faut. Non pas
seulement dans la guerre mais dans la paix ;
car donner sa vie pour sa terre, pour sa patrie, ce
n'est pas seulement mourir pour elle, c'est vivre
pour elle, vivre pour ses frères, vivre pour
le bonheur des siens, se donner à ceux que
Dieu nous a confiés.
Mais, en contemplant les horizons
terrestres, nous devons voir se dessiner, en
surimpression, les horizons célestes. En
aimant notre patrie, qui nous est donnée
pour la courte durée de notre vie terrestre,
nous penserons à notre patrie
éternelle. Célestes visions,
splendides promesses qui nous soutiennent dans nos
labeurs et nos luttes !
Penser
au ciel,
une force
La pensée du ciel ne doit pas
nous détacher du devoir présent. Elle
doit au contraire nous aider à mieux
accomplir notre tâche ici-bas. Où
trouverons-nous le courage de vivre parmi nos
frères qui souffrent,
d'aimer notre prochain, de travailler au bien de
notre patrie, si ce n'est dans la pensée que
cette terre est visitée par la grâce
de Dieu et qu'en vivant pour nos frères nous
accomplissons la volonté de Dieu ?
Paul, le chrétien, le mystique hanté
par les visions célestes, n'a jamais
oublié « ceux de sa
race » ; il s'est souvenu qu'il
était « citoyen
romain » ; son désir de la
mort et de la communion parfaite avec Christ ne l'a
pas empêché d'accepter la vie
d'ici-bas comme une bénédiction,
puisque « cette vie corporelle signifiait
pour lui une activité
féconde ». « Citoyen des
cieux », il se sentait plus fort,
libéré de la crainte de la mort,
libéré des soucis matériels
qui entravent les autres hommes, plus apte à
travailler dans ce monde, sur cette terre qu'il a
parcourue en tous sens, terre d'Asie
mêlée de son sang à Lystre
où il fut lapidé, terre d'Europe
tremblant sous la prison de Philippes.
Si la pensée du ciel nous rend
indifférents au sort de notre patrie
terrestre, c'est que nous n'avons pas l'amour que
Dieu a eu pour le monde, ni le sens de
l'incarnation de son Fils.
Aimer
la terre.
Aimer le ciel
Il faut aimer la terre, parce que Dieu
l'a créée, parce que Dieu nous y a
placés, parce que Dieu
lui a donné son Fils. Mais cet amour sera
subordonné à un plus grand amour,
celui du ciel, dont nous sommes les citoyens par
notre appartenance à Jésus-Christ,
vainqueur de la mort.
Amour de la terre, de ses splendeurs,
empreintes du Créateur ; pitié
pour ses misères, empreintes des hommes
rebelles à sa Loi.
« Que dire de tant de choses
belles et utiles qui remplissent l'univers, dit
saint Augustin, et dont la bonté de Dieu a
donné l'usage et le spectacle à
l'homme ? Parlerai-je de ce vif éclat
de la lumière, de la magnificence du soleil,
de la lune et des étoiles, de ces sombres
beautés des forêts, des couleurs et
des parfums des fleurs... Parlerai-je de la mer,
qui fournit toute seule un si grand spectacle
à nos yeux, et des diverses couleurs dont
elle se couvre comme d'autant d'habits
différents, tantôt verte, tantôt
bleue, tantôt pourprée ? Et ce ne
sont pourtant là que les consolations de
misérables condamnés à mort et
non les récompenses des bienheureux !
Quelles seront donc ces récompenses ?
Qu'est-ce que Dieu donnera à ceux qu'il
appelle à la vie, S'il donne tant ici-bas
à ceux qu'il a voués à la
mort ? »
Horizons terrestres, horizons
célestes.
Citoyens de la terre, citoyens des
cieux.
L'un
ne va pas
sans l'autre.
Chrétiens, nous appartenons
à deux patries. Cela peut être notre
tourment. Cela doit être notre force. Double
amour dont l'un doit être d'autant plus fort
que les cieux sont au-dessus de la terre et qu'ils
sont la seule réalité permanente,
tandis que la terre n'est que pour un
temps.
Double amour que Dieu a fait
naître en nous.
Actes I, v. 11 |
Deux aspects
de la
piété
chrétienne
Le récit de l'Ascension nous dit
que Jésus « a été
enlevé du milieu de nous ». Il est
monté « au ciel ». Il en
« reviendra ». L'Ascension est
une séparation, un dernier adieu, qui laisse
les disciples tout tristes,
déconcertés, le regard éperdu
vers ce ciel où leur Seigneur est
monté.
Nous affirmons d'autre part, en nous
basant sur des paroles du Christ que
« Jésus est au milieu de nous ».
Jésus n'a-t-il pas dit : « Je
suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin
du monde. » « Là
où deux ou trois sont réunis en mon
nom, je suis au milieu d'eux. »
« Demeurez en moi, et je demeurerai en
vous. »
Saint Paul ne dit-il pas :
« Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ
qui vit en moi. » Ne parle-t-il pas de
cette vie « cachée avec
Christ » ?
Nous trouvons donc deux formes de la
piété chrétienne : Les
uns, se fondant principalement sur le récit
de l'Ascension et les textes qui parlent du retour
du Christ ont une piété
entièrement tournée vers l'avenir,
vers l'avènement du Royaume de Dieu, vers le
retour du Christ. Piété
eschatologique, c'est-à-dire tournée
vers les derniers temps ; piété
adventiste, C'est-à-dire attendant
l'avènement de celui qui aujourd'hui est
absent de ce monde et qui doit y revenir.
Les autres, se fondant sur les paroles
de l'Évangile que j'ai citées, et sur
d'autres encore, pensent surtout à la
réalité de la présence du
Christ dans l'âme croyante ; ils ont
fait l'expérience de cette
présence ; ils chantent :
« 0 jour béni, jour de victoire,
que je ne saurais oublier. J'ai vu, j'ai vu le Roi
de gloire apparaissant sur mon sentier. »
Que leur faut-il de plus ? Qu'attendre
encore ? La croyance au retour du Christ leur
paraît un non-sens, ou en tout cas un dogme
sans importance.
Auxquels donner raison ? Aux uns
et
aux autres ; ou plutôt à ceux qui
ont saisi la double réalité de la
présence et de l'absence du Christ, à
ceux qui le possèdent et qui l'attendent.
Mais ne suis-je pas en train de dire une
absurdité ? N'est-on pas obligé
de choisir entre deux affirmations contraires, qui
en bonne logique doivent s'exclure ? Voyons
s'il y a là une contradiction ou une
superposition de deux réalités qui se
complètent : présence et absence
du Christ en ce monde.
Il
est au
ciel
Reprenons notre texte. « Ce
Jésus, qui a été enlevé
du milieu de vous dans le ciel... » Mais
qu'est-ce donc que « le
ciel » ? La Bible oppose le ciel
à la terre, l'invisible au visible, le
spirituel au charnel. Le ciel, c'est le monde
invisible où Dieu vit, où Dieu
règne, où sa volonté est
faite, Quand nous sommes en prière, levant
les yeux vers le ciel, ou au contraire les fermant
pour ne plus considérer qu'une
présence au tréfonds de
nous-mêmes, nous sommes au seuil même
de l'invisible. Nous parlons à Dieu et Dieu
nous entend, et Dieu nous touche de sa grâce.
Quand Jacob est visité par la grâce de Dieu à
Béthel, il
s'écrie : « Certainement
l'Éternel est en ce lieu... C'est ici la
porte des cieux »
« Quand tu pries, dit
Jésus, entre dans ta petite chambre, ferme
la porte, et prie ton Père qui est
là, dans ce lieu secret. » Le ciel
vient donc jusqu'à toi, jusqu'à ta
chambrette. Dire que Jésus est monté
au ciel, ce n'est pas dire qu'il s'en est
allé bien loin de nous, mais qu'il est
entré dans l'invisible. Il a rejoint son
Père.
Nous ne pouvons plus le voir de nos yeux
de chair, comme les disciples l'ont vu en
Galilée, ni même comme ils l'ont vu,
glorifié, pendant les quarante jours qui ont
séparé Pâques de l'Ascension.
Il a été enlevé au ciel. Une
nuée le cache a nos yeux. Il est
« à la droite de Dieu »,
c'est-à-dire à la place d'honneur,
tout près de Dieu. Il est en même
temps très loin, dans l'immensité de
l'invisible, et très près de nous,
puisque l'invisible effleure le visible, comme Dieu
qui pénètre au plus profond de nos
âmes sans cesser de demeurer dans le ciel.
Les promesses du Christ à ses disciples,
leur affirmant qu'il ne les laisserait pas
orphelins ont leur accomplissement dans cette
réalité. Christ qui est dans le ciel
pénètre au plus profond de la
personnalité humaine. Là où
deux ou trois sont réunis, il est au milieu
d'eux. Invisible, présent, puissant. Plus
présent encore qu'il ne l'était
lorsqu'il vivait au milieu
d'eux, en Galilée. Car le disciple
n'était pas toujours auprès de son
Maître, qui se devait aux uns et aux autres.
Après l'Ascension, le Maître peut
être au coeur de son disciple.
Parce qu'il est invisible, parce qu'il a
toutes les qualités de Dieu, il peut
être avec moi qui cherche sa présence
sainte dans ma chambre, comme il est au même
moment avec ce soldat qui gémît sur
une civière, dans un lazaret, quelque part
où l'on se bat ; comme il est avec ce
Chinois qui, à l'autre
extrémité du monde, l'invoque ;
comme il est avec ceux qui sont morts dans la foi
et qui vivent continuellement en sa
présence, dans le ciel. C'est pourquoi
Jésus disait à ses disciples :
« Il vous est avantageux que je m'en
aille. » Et cette autre parole,
mystérieuse tout d'abord :
« Encore un peu de temps et vous ne me
verrez plus ; puis encore un peu de temps et
vous me verrez parce que je vais au
Père. » « Vous ne me
verrez plus... et vous me verrez... parce que je
vais au Père. » Parce que
Jésus va au Père, parce qu'il monte
au ciel, nous le verrons. jusqu'ici nous l'avons vu
de nos yeux de chair. Ce n'est pas encore vraiment
voir. Alors nous le verrons par le regard de la
foi, ce regard qui se prolongera dans
l'éternité, quand nos yeux de chair
seront depuis longtemps fermés à la
lumière du soleil. Quand Jésus monte au ciel, ce
n'est pas
pour
quitter ses amis, c'est pour être plus
près d'eux. Vous me verrez. Vous allez
seulement commencer à me voir.
Splendeur de cette
réalité. Christ, au ciel, à la
droite de Dieu, un avec Dieu quand nous le prions.
Christ tout proche, parce qu'il est au ciel. Parce
qu'il est monté au ciel, nous pouvons
être en communion avec lui, et parce que le
ciel descend jusqu'aux abîmes, Christ peut
être présent quand, par notre
péché, par nos turpitudes, nous
sommes précipités dans ces
abîmes.
Il est au ciel. Le ciel n'est
éloigné que des incrédules, de
ceux qui ne veulent pas le voir.
Il
en
reviendra
« Ce Jésus, qui a
été enlevé du milieu de vous
dans le ciel en reviendra de la même
façon que vous l'avez vu y
monter. » Que signifie alors ce retour du
ciel sur la terre, de l'invisible dans le
visible ? En quoi marque-t-il un pas de plus,
un pas décisif ? En quoi doit-il faire
l'objet de notre attente, être
désiré ardemment par les
chrétiens ?
Aujourd'hui le Christ est le Seigneur de
l'Eglise ; il se révèle aux
croyants comme le vainqueur de la mort. Mais c'est
une réalité encore cachée au
monde. Les ténèbres ont repoussé la
lumière. Et le dernier mot des
ténèbres repoussant le Seigneur de
lumière fut la croix de Golgotha. La terre a
méprisé son Sauveur. Elle l'a
crucifié. Elle le crucifie tous les jours en
le bafouant, en vivant au mépris de sa loi
d'amour. Les ténèbres règnent
dans ce monde, et la guerre que nous vivons est le
paroxysme de cette offensive des
ténèbres, l'oeuvre humaine par
excellence, de l'homme sans Christ, de l'homme
orgueilleux et superbe. En sera-t-il toujours
ainsi ? Le Christ ne sera-t-il toujours que
l'hôte invisible de quelques âmes
croyantes, le Seigneur d'une Église
tantôt persécutée, tantôt
l'objet du mépris de la multitude,
Église dont les puissants de ce monde
peuvent impunément se moquer?
La Parole de Dieu l'affirme :
celui
qui est monté au ciel en reviendra, de la
même façon qu'il y est monté,
C'est-à-dire que d'invisible il redeviendra
visible. Mais ce retour ne sera pas une nouvelle
incarnation humble et misérable. Ce retour
sera glorieux. Le Christ imposera au monde entier
son règne. Il jugera le monde. Ses ennemis
le verront de leurs yeux charnels ; toute
chair le verra, même « ceux qui
l'ont percé » ; et leur rire
sera changé en lamentation. Alors la
lumière tuera les ténèbres. Et
ceux qui ont aimé la lumière seront
éclairés à jamais d'une
clarté qui sera dans les
coeurs et sur toute la surface de la terre. Et la
matière sera pétrie de lumière
et Christ sera tout en tous. La terre de la
révolte sera la terre de Dieu.
Maranatha !
Splendide et terrible espérance
que celle de l'Eglise au jour de l'Ascension, de
l'Eglise qui célèbre la
Saint-Cène « jusqu'à ce que
le Seigneur vienne » - ce sont les
propres termes de l'institution de la
Sainte-Cène. Splendide, parce que tous ceux
qui aiment le Christ doivent se réjouir de
voir son triomphe en ce monde, de voir tout genou
ployé devant le triomphateur, de voir enfin
le monde accueillir celui qui seul est digne d'en
être le Maître. Terrible, parce qu'il
sera trop tard pour changer de voie, trop tard pour
se préparer - pensez à la parabole
des vierges folles - et qu'il n'y aura plus de
délai pour le jugement de ce monde.
« Seigneur, viens
bientôt ! » disons-nous avec
l'Église primitive. Et cependant nous
pensons tout aussitôt à ceux que nous
aimons et qui ne sont pas prêts à ce
jugement, et nous pensons à nous-mêmes
qui sommes si mal préparés et qui
tremblons à la pensée que demain
peut-être, ce soir, il faudra ouvrir notre
grand livre et rendre compte du bien et du mal que
nous avons fait, et que nos
coeurs seront pesés et trouvés
légers, et que le juge dira à un
grand nombre : « Retirez-vous de
moi, allez dans le feu éternel... car j'ai
eu faim et vous ne m'avez pas donné à
manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas
donné à boire. » Et c'est
sans doute parce que ce jour-là sera
terrible que Dieu en a différé
jusqu'ici la date, afin qu'un plus grand nombre
soient sauvés, discernent les signes des
temps, fassent leur soumission au Christ qui
prépare, invisible, inlassable, puissant
dans son apparente faiblesse, la venue soudaine et
glorieuse de son règne, son retour du ciel
où il est monté au jour de
l'Ascension.
C'est ainsi que le chrétien est
en même temps celui qui possède Christ
et celui qui désire son retour, celui qui
voit son Seigneur et celui qui en est encore
séparé, un disciple qui adore, dont
la vie est cachée avec Christ en Dieu, comme
Marie aux pieds de son Maître, et un
serviteur qui veille, ne sachant à quelle
heure de la nuit son maître
reviendra.
C'est cette double réalité
de la foi et de l'espérance
chrétienne que l'Ascension nous rappelle. Ne
négligeons aucun des aspects de notre foi
chrétienne. Cherchons la présence du
Christ. Ouvrons nos coeurs au ciel si proche
où Christ vit. Saisissons
par la foi la grâce qu'il nous offre, son
pardon, sa force, son esprit saint. Mais ayons en
même temps la nostalgie du règne de
Christ, désirons cette grâce qui nous
est annoncée dans la Parole de Dieu :
« Ce Jésus, qui a
été enlevé du milieu de vous
dans le ciel, en reviendra de la même
manière que vous l'y avez vu
monter. »
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