Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Au delà des horizons tout proches

PÂQUES, FONDEMENT DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE

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Parce que je vis, vous vivrez aussi.
Jean 14, v. 19


 Matin de Pâques
« Seigneur, à qui irions-nous qu'à toi, tu as les paroles de la vie éternelle ! » s'écriait l'apôtre Pierre quelque temps avant la mort de son Maître.
« Je suis la résurrection et la vie, avait dit Jésus. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »
« Parce que je vis, vous vivrez aussi. »

Mais maintenant, voici trois jours que Jésus est mort.
Celui qui s'élevait sur la montagne de la transfiguration est descendu au séjour des morts.
Celui qui marchait sur les eaux est enseveli sous la pierre.
La Lumière du monde n'est plus aujourd'hui que ténèbres.
Le Prince de la vie a succombé sur la croix.
Prostrés dans la douleur, les disciples voient s'abîmer leurs certitudes. Avec la mort de leur Maître est morte leur foi.

Ne se souviennent-ils donc pas des prophéties ? N'était-il pas écrit que toutes ces choses devaient arriver ? Jésus ne s'était-il pas comparé au grain qui doit mourir pour porter beaucoup de fruit ? Ne leur avait-il pas parlé de cette mort nécessaire, rançon qu'il fallait payer pour le salut des pécheurs ? Ne leur avait-il pas dit : « Il vous est avantageux que je m'en aille » ? Toutes ces paroles, ils ne les avaient pas comprises, aveuglés qu'ils étaient par la pensée que le Christ ne pouvait pas mourir comme un homme pécheur.

La mort de Jésus les a tellement déconcertés qu'ils ne peuvent plus croire aux promesses qui les faisaient vivre. Jésus avait dit : « Parce que je vis, vous vivrez. » En bonne logique, ils disent : Puisqu'il est mort, nous mourrons !
« Nous espérions qu'il était celui qui doit délivrer Israël », disent les disciples sur le chemin d'Emmaüs. Qu'y a-t-il de plus beau que le verbe espérer au présent, de plus triste que ce verbe au passé ! « Nous espérions... » ; C'est donc que notre espérance est morte.

Réalité de la résurrection
On a cherché à réduire les récits de Pâques à de simples visions, à des expériences mystiques. Comme le dit le poète Jean Aicard :

« Il ressuscita si vivant dans leurs âmes
Que tous crurent le voir et le virent aussi. »

Tout me paraît contredire cette interprétation dont se contentent bien des gens. D'abord la précision des textes. Ensuite, la simple psychologie : Veut-on que ces disciples, anéantis par la douleur, jetés dans l'incrédulité par la mort de leur Maître, aient imaginé que le Seigneur était réellement ressuscité, ce qui les fait traiter de fous ou les conduira au martyre S'ils persistent dans leur témoignage ? Des visions, ils les eussent repoussées comme des mirages. Il fallait, pour les convaincre de la réalité de l'au-delà, que Dieu leur rendît pendant quarante jours la présence charnelle de celui qu'ils avaient vu mettre au tombeau. « 0 coeurs lents à croire ce qu'ont dit les prophètes », Dieu a eu pitié de vous ; il ne vous a pas condamnés à cause de votre incrédulité; il vous a rendu votre Sauveur et en vous le rendant il vous a rendu la foi.

Vous avez entendu sa voix, comme autrefois. Il vous a appelés par votre nom. « Marie ! » « Simon ! » Vous avez vu son corps meurtri. Ses mains percées. Son côté blessé. Il a partagé avec vous le pain. Et les poissons qu'il a fait cuire au bord du lac. Vous ne l'avez pas tout de suite reconnu, tant sa présence était inattendue. Mais « votre coeur ne brûlait-il pas au dedans de vous » jusqu'au moment où vous avez osé croire ? « Rabbouni ! Maître ! » « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime. »

Promesses vivantes
Il vit ! Et toutes ses promesses, enfouies dans la tombe, ressuscitent avec lui ! Elles éclatent en paroles de vie. Il avait donc bien le droit de promettre la vie, lui qui savait que la mort ne pourrait le tenir captif !

Il vit ! Et dès lors les disciples, si timides jusqu'alors, couards comme lièvres, ont toutes les audaces. Les entendez-vous dire en plein sanhédrin, devant ces imposants prélats qui ont condamné Jésus à mort : « Ce Jésus, que vous avez fait mourir en le pendant au bois, le Dieu de nos pères l'a ressuscité. » Puisque Jésus vit, ils peuvent défier la mort, et même la mort sur la croix. « Puisque Jésus vit, nous vivrons aussi. » Et les hommes ne peuvent plus rien sur nous ! Une seule chose importe : demeurer unis au Christ, rester attachés à celui dont procède la vie, communier à ses souffrances, si cette communion nous unit plus fortement a lui.

Il vit ! Et dès lors, dans toute la chrétienté, la mort n'est plus la reine des épouvantements ; elle est vaincue.

« Vous vivrez ! » La mort n'est donc plus le dernier mot, la séparation à jamais ; nous n'aurons plus à l'égard de nos bien-aimés arrachés à ce monde des regrets éternels, mais la douce espérance d'un au revoir ? Merveilleuses perspectives ouvertes par Jésus, auxquelles Pâques vient donner une éclatante confirmation. « Maintenant, dit la Parole de Dieu, Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts... De même qu'en Adam tous sont mortels, de même, en Christ, tous recouvreront la vie. »
« Je suis allé vous préparer une place, et là où je suis, vous serez avec moi. »
« Parce que je vis, vous vivrez. »

Tous revivront-ils ?
« Vous vivrez... » Qui est ce « vous » ? Lorsque

Jésus a prononcé cette parole, il s'adressait à ses disciples, dans la chambre haute, la veille de sa mort, Judas, le traître, les ayant déjà quittés. « Vous êtes en moi, leur dit-il, et je suis en vous. Celui qui m'aime sera aimé de mon Père. Vous m'aimez, parce que vous gardez mes commandements. »

L'Évangile ne propose pas la vie éternelle comme une récompense aux vertueux, ou aux plus religieux, comme un dû à ceux qui comptent sur leurs mérites. Qui peut prétendre mériter cette récompense sublime ? De quelle vertu pouvaient se prévaloir les disciples qui, le soir même - Jésus le savait - s'endormiraient au jardin de Gethsémané, et donneraient le lendemain la preuve de leur lâcheté, de l'impuissance des hommes les mieux intentionnés à faire quelque chose pour leur Sauveur ?

La vie dont parle le Christ n'est pas une récompense, un dû, elle est la continuation dans un autre monde des relations qui se sont établies entre le Fils de Dieu et ses disciples. Cette union d'âmes, cette communion entre les disciples et leur Maître, est quelque chose d'éternel.
La mort ne peut pas dissoudre de tels liens.
« Parce que je vis, vous vivrez. »

Jésus ne parle pas ce soir-là de l'humanité en général, du sort des incrédules, des indifférents, de l'immortalité de l'âme, de toute âme humaine. Il parle à ses disciples, à ceux en qui a été commencée l'oeuvre de la régénération ; ils étaient perdus, et Dieu les a retrouvés ; ils étaient morts pour Dieu jusqu'au jour où le Christ les a appelés à la vie. En dépit de leur faiblesse, de leurs défauts, du vieil homme qui a tant de peine à disparaître, quelque chose de nouveau a commencé en eux, la grâce de Dieu est à l'oeuvre en eux ; ils ont ouvert leur coeur à cette initiative de Dieu, qui ne laissera pas son oeuvre inachevée. La mort ne limite pas la grâce. « Vous vivrez. »

La promesse est pour nous
Ce « vous » que Jésus a prononcé s'adresse-t-il à nous ?

Cette promesse est pour nous, et pour tous ceux qui l'entendent, mais à une condition, c'est que nous acceptions de devenir et de demeurer ses disciples, c'est-à-dire de nous soumettre à son influence, de le laisser prendre la première place dans notre vie. Y a-t-il entre lui et nous ces liens de confiance, d'obéissance et d'amour qui font de nous des sarments unis au cep ? Est-il pour nous pain de vie, pain dont se nourrit notre coeur ? Est-il pour nous source d'eau vive, nous qui avions bu à tant de citernes troubles ? « Parce que je vis, vous vivrez ! » Ces liens qui se sont formés sur la terre entre nous et notre Sauveur, ce sont des liens d'éternité. Ce pain de vie est un pain d'éternité. Cette source, ne jaillit-elle pas dès maintenant en vie éternelle ? Serait-il vrai ? Oui ! Pâques nous le dit : Christ est ressuscité. Il vit et nous sommes à lui à jamais. Splendeur de la promesse de Pâques !

Tous ne pourront cependant pas se réjouir à cette promesse !
Elle n'est pas pour moi, dites-vous, parce que je ne peux pas me considérer comme un disciple du Christ. Vous le regardez de loin, avec respect, vous l'avez renié peut-être, trahi - qui n'a eu ses heures sombres ? - vous lisez le récit de Pâques un peu comme un étranger, vous demandez comme la femme syrophénicienne quelques miettes. Le Christ ne veut pas vous donner seulement quelques miettes ; il vous appelle comme il a appelé ses disciples, comme il a appelé Zachée et Lévi, et Pierre une première fois et une seconde fois après le reniement. Vous portez peut-être le nom de chrétien. Il veut que ce nom devienne pour vous réalité. Il veut être pour vous l'Ami, le Maître, le Sauveur. Et tous, il nous appelle, les ouvriers de la première heure et ceux de la onzième, à serrer les rangs autour de lui, à nous réveiller du sommeil qui retient nos âmes captives ; c'est lui qui déliera pour nous les chaînes qui nous font esclaves de la chair, de Mammon, et nous entraînent à la mort. Il veut faire pénétrer en nous cette vie éternelle qu'il est venu donner au monde.
Nous ne voulons pas seulement contempler le Vainqueur.
Il nous appelle à participer à sa victoire. « Venez à moi, nous dit-il, pour avoir la vie. »


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CITOYENS DES CIEUX


Ils ne pensent qu'aux choses de la terre. Quant à nous, nous sommes citoyens des cieux...
Philippiens 3, v. 19-20

 

Notre véritable patrie
Si nous appartenons au Christ, au Seigneur ressuscité, nous ne vivons plus seulement de la vie d'ici-bas, nous vivons déjà, dans la communion du Christ, de la vie éternelle, que nous connaîtrons pleinement quand nous aurons rompu les derniers liens qui nous unissent à cette terre. Le chrétien n'est pas celui qui espère devenir au delà de la mort « citoyen des cieux ». Il l'est déjà dans une certaine mesure ; et s'il vit encore sur la terre, il a une vie « cachée avec Christ en Dieu », comme le dit saint Paul. Il a deux patries, l'une terrestre, à laquelle l'unissent les liens de la chair et du sang, l'autre céleste, à laquelle l'unissent les liens de l'esprit ; l'une provisoire, l'autre définitive. Plus nous avançons dans la vie, plus nous regardons à Jésus, plus notre patrie terrestre nous apparaît comme une réalité passagère, où nous sommes comme « des étrangers et des voyageurs », plus le ciel devient notre véritable patrie.

Désir nostalgique du ciel
Certains chrétiens ont éprouvé plus fortement que d'autres le sentiment d'appartenir à une patrie céleste ; ils ont désiré avec une ardeur intense être délivrés de ce corps de chair qui lie à la terre pour vivre enfin face à face avec Dieu dans la véritable patrie.

Ainsi Jean-Sébastien Bach. « Cet homme robuste et sain, nous dit son biographe M. Albert Schweizer, qui vivait entouré de l'affection d'une grande famille, cet homme qui était l'énergie et l'activité même, qui, bien plus, avait un goût prononcé pour le franc burlesque, ressentait au fond de son âme le désir intense du repos éternel. Il connaissait la nostalgie de la mort... En la mort, il fête la libératrice suprême et décrit en d'admirables berceuses spirituelles la quiétude qui envahit son âme a cette pensée ; ou bien encore sa félicité se traduit par des thèmes joyeux et exubérants, d'une gaîté surnaturelle. L'on sent que son âme chante dans cette musique et que le croyant l'a écrite dans une sorte d'exaltation. Quel charme pénétrant dans son admirable : « Fermez-vous, paupières fatiguées » de la cantate « Ich habe genug » ou bien encore la simple mélodie « Komm, süsser Tod », « Viens, douce mort ».

Ce désir du ciel, nous le trouvons exprimé dans les épîtres de Paul, en particulier dans celles qu'il a écrites en prison. « Pour moi, dit-il aux Philippiens, vivre, c'est Christ ; mourir est un gain. » « Nous sommes citoyens des cieux, d'où nous attendons un Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, qui métamorphosera notre corps de misère en un corps semblable à son corps glorieux. » Il se sent partagé entre deux désirs, celui de vivre encore sur la terre parce que son ministère n'est pas terminé, et celui de gagner le ciel, sa véritable patrie. « Je me sens tiré des deux côtés : j'aspire à m'en aller pour être avec le Christ (ce serait de beaucoup préférable) ; mais rester dans mon corps est plus nécessaire à cause de vous. »

Peut-on vraiment être chrétien sans éprouver cette nostalgie ?
Cette nostalgie du ciel, cette joie qui saisit le croyant à la pensée que ses souffrances vont bientôt prendre fin, cette fête pour les âmes à la rencontre de leur Sauveur, est-elle seulement une permission accordée à quelques chrétiens, dans les temps d'épreuves et de persécutions ? Ou doit-elle être éprouvée par tout chrétien, au point que celui qui n'aurait jamais la pensée du ciel, ni la joie de s'en approcher, ne serait pas un chrétien authentique ?

L'apôtre reproche « aux ennemis de la croix du Christ » de « ne penser qu'aux choses de la terre ». « Si vous êtes ressuscités avec Christ, dit-il aux chrétiens de Colosses, recherchez les choses d'en-haut. Attachez-vous aux choses d'en-haut et non à celles de la terre. »

L'épître aux Hébreux, parlant de tous ceux qui sont morts dans la foi, les montre tous « désirant une patrie meilleure, la patrie céleste ». Cette patrie, ils l'ont « vue et saluée de loin, ayant fait profession d'être étrangers et voyageurs sur la terre ».

Ceux qui n'auront vécu que pour la terre, ceux qui n'auront pas désiré d'autres nourritures que celles de la terre, ceux qui n'auront pas été à la trace de Dieu, comment pourraient-ils avoir part un jour à la paix du ciel, eux qui ne l'ont nullement recherchée ? « Ceux qui sèment pour la chair moissonneront de la chair la corruption. »

Penser au ciel, quel privilège !
Les temps actuels nous détachent tout naturellement de ce monde et nous font désirer plus ardemment que jamais le ciel. La guerre nous révèle combien nos richesses, notre vie elle-même, sont fragiles. « Nous sommes citoyens des cieux ! » Nous comprenons que ceux qui ont vu leur maison détruite, ceux qui ont fui leur patrie, les prisonniers et les réfugiés, ceux qui ont tout perdu et n'ont plus de cette terre qu'une vision d'épouvante, se souviennent avec bonheur de cette affirmation de la foi, et qu'ils le disent encore à l'heure dernière, quand tout point d'appui vient à manquer ici-bas.

C'est cette pensée qui soutient saint Étienne dans son martyre ; il fixait les yeux sur le ciel ; il voyait la gloire de Dieu et Jésus debout à sa droite ; « Écoutez, disait-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. »

C'est cette pensée qui soutient saint Paul, au milieu des périls de sa vie d'apôtre, et lui fait dire : « On nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie, mais, dans toutes ces épreuves, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés ; oui, j'en suis certain, ni la mort, ni la vie, ni le présent, ni l'avenir, ni aucune autre créature ne saurait nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Christ. »

C'est la même pensée qui fait dire à Luther dans son choral :

« Qu'on nous ôte nos biens,
Qu'on serre nos liens,
Que nous importe !
Ta grâce est la plus forte »

« Nous sommes citoyens des cieux ! »

Penser au ciel, un danger ?
La pensée du ciel ne peut-elle pas cependant nous faire oublier que nous sommes encore, et tant que Dieu nous prête vie, des citoyens de notre patrie terrestre ? En nous détachant de ce qui est périssable, n'allons-nous pas oublier les tâches que Dieu nous a confiées ?

En nous sauvant du péché, en nous faisant naître à la vie éternelle, en nous révélant notre véritable destinée qui est dans le ciel, l'Évangile ne veut nullement nous amener à mépriser la terre, nous dérober aux devoirs qui nous lient à notre patrie terrestre. « Je ne te prie pas de les ôter du monde, disait Jésus en priant pour ses disciples, mais de les préserver du Malin... De même que tu m'as envoyé dans le monde, je les ai envoyés dans le monde. »

Ce n'est pas à nous qu'il appartient de fixer l'heure où nous quitterons ce monde pour être à jamais dans le ciel ; celui qui voudrait devancer les temps, par le suicide, ou - ce qui est aussi un suicide - en fuyant le monde, en se retirant dans la vie contemplative, mauvais serviteur qui enfouit son talent au lieu de le faire fructifier ; celui-là, croyant gagner plus vite le ciel, ne peut que le perdre. En nous donnant une patrie céleste, le Christ ne nous ôte pas à notre patrie terrestre. Comme le Christ a aimé sa terre, terre de sa patrie charnelle, terre souillée par le péché, terre où fut plantée la croix de Golgotha, il nous faut aussi chérir la terre qui nous a vus naître, terre où reposent nos aïeux, terre trop souvent arrosée de sang, terre que Dieu a voulue belle et que les hommes ont rendue laide. L'aimer et donner pour elle nos biens et notre vie, S'il le faut. Non pas seulement dans la guerre mais dans la paix ; car donner sa vie pour sa terre, pour sa patrie, ce n'est pas seulement mourir pour elle, c'est vivre pour elle, vivre pour ses frères, vivre pour le bonheur des siens, se donner à ceux que Dieu nous a confiés.

Mais, en contemplant les horizons terrestres, nous devons voir se dessiner, en surimpression, les horizons célestes. En aimant notre patrie, qui nous est donnée pour la courte durée de notre vie terrestre, nous penserons à notre patrie éternelle. Célestes visions, splendides promesses qui nous soutiennent dans nos labeurs et nos luttes !

Penser au ciel, une force
La pensée du ciel ne doit pas nous détacher du devoir présent. Elle doit au contraire nous aider à mieux accomplir notre tâche ici-bas. Où trouverons-nous le courage de vivre parmi nos frères qui souffrent, d'aimer notre prochain, de travailler au bien de notre patrie, si ce n'est dans la pensée que cette terre est visitée par la grâce de Dieu et qu'en vivant pour nos frères nous accomplissons la volonté de Dieu ? Paul, le chrétien, le mystique hanté par les visions célestes, n'a jamais oublié « ceux de sa race » ; il s'est souvenu qu'il était « citoyen romain » ; son désir de la mort et de la communion parfaite avec Christ ne l'a pas empêché d'accepter la vie d'ici-bas comme une bénédiction, puisque « cette vie corporelle signifiait pour lui une activité féconde ». « Citoyen des cieux », il se sentait plus fort, libéré de la crainte de la mort, libéré des soucis matériels qui entravent les autres hommes, plus apte à travailler dans ce monde, sur cette terre qu'il a parcourue en tous sens, terre d'Asie mêlée de son sang à Lystre où il fut lapidé, terre d'Europe tremblant sous la prison de Philippes.

Si la pensée du ciel nous rend indifférents au sort de notre patrie terrestre, c'est que nous n'avons pas l'amour que Dieu a eu pour le monde, ni le sens de l'incarnation de son Fils.

Aimer la terre. Aimer le ciel
Il faut aimer la terre, parce que Dieu l'a créée, parce que Dieu nous y a placés, parce que Dieu lui a donné son Fils. Mais cet amour sera subordonné à un plus grand amour, celui du ciel, dont nous sommes les citoyens par notre appartenance à Jésus-Christ, vainqueur de la mort.
Amour de la terre, de ses splendeurs, empreintes du Créateur ; pitié pour ses misères, empreintes des hommes rebelles à sa Loi.

« Que dire de tant de choses belles et utiles qui remplissent l'univers, dit saint Augustin, et dont la bonté de Dieu a donné l'usage et le spectacle à l'homme ? Parlerai-je de ce vif éclat de la lumière, de la magnificence du soleil, de la lune et des étoiles, de ces sombres beautés des forêts, des couleurs et des parfums des fleurs... Parlerai-je de la mer, qui fournit toute seule un si grand spectacle à nos yeux, et des diverses couleurs dont elle se couvre comme d'autant d'habits différents, tantôt verte, tantôt bleue, tantôt pourprée ? Et ce ne sont pourtant là que les consolations de misérables condamnés à mort et non les récompenses des bienheureux ! Quelles seront donc ces récompenses ? Qu'est-ce que Dieu donnera à ceux qu'il appelle à la vie, S'il donne tant ici-bas à ceux qu'il a voués à la mort ? »
Horizons terrestres, horizons célestes.
Citoyens de la terre, citoyens des cieux.

L'un ne va pas sans l'autre.
Chrétiens, nous appartenons à deux patries. Cela peut être notre tourment. Cela doit être notre force. Double amour dont l'un doit être d'autant plus fort que les cieux sont au-dessus de la terre et qu'ils sont la seule réalité permanente, tandis que la terre n'est que pour un temps.
Double amour que Dieu a fait naître en nous.


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IL REVIENDRA


Ce Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous dans le ciel en reviendra de la même manière que vous l'y avez vu monter.
Actes I, v. 11


Deux aspects de la piété chrétienne
Le récit de l'Ascension nous dit que Jésus « a été enlevé du milieu de nous ». Il est monté « au ciel ». Il en « reviendra ». L'Ascension est une séparation, un dernier adieu, qui laisse les disciples tout tristes, déconcertés, le regard éperdu vers ce ciel où leur Seigneur est monté.

Nous affirmons d'autre part, en nous basant sur des paroles du Christ que « Jésus est au milieu de nous ». Jésus n'a-t-il pas dit : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux. » « Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. »
Saint Paul ne dit-il pas : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. » Ne parle-t-il pas de cette vie « cachée avec Christ » ?

Nous trouvons donc deux formes de la piété chrétienne : Les uns, se fondant principalement sur le récit de l'Ascension et les textes qui parlent du retour du Christ ont une piété entièrement tournée vers l'avenir, vers l'avènement du Royaume de Dieu, vers le retour du Christ. Piété eschatologique, c'est-à-dire tournée vers les derniers temps ; piété adventiste, C'est-à-dire attendant l'avènement de celui qui aujourd'hui est absent de ce monde et qui doit y revenir.

Les autres, se fondant sur les paroles de l'Évangile que j'ai citées, et sur d'autres encore, pensent surtout à la réalité de la présence du Christ dans l'âme croyante ; ils ont fait l'expérience de cette présence ; ils chantent : « 0 jour béni, jour de victoire, que je ne saurais oublier. J'ai vu, j'ai vu le Roi de gloire apparaissant sur mon sentier. » Que leur faut-il de plus ? Qu'attendre encore ? La croyance au retour du Christ leur paraît un non-sens, ou en tout cas un dogme sans importance.

Auxquels donner raison ? Aux uns et aux autres ; ou plutôt à ceux qui ont saisi la double réalité de la présence et de l'absence du Christ, à ceux qui le possèdent et qui l'attendent. Mais ne suis-je pas en train de dire une absurdité ? N'est-on pas obligé de choisir entre deux affirmations contraires, qui en bonne logique doivent s'exclure ? Voyons s'il y a là une contradiction ou une superposition de deux réalités qui se complètent : présence et absence du Christ en ce monde.

Il est au ciel
Reprenons notre texte. « Ce Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous dans le ciel... » Mais qu'est-ce donc que « le ciel » ? La Bible oppose le ciel à la terre, l'invisible au visible, le spirituel au charnel. Le ciel, c'est le monde invisible où Dieu vit, où Dieu règne, où sa volonté est faite, Quand nous sommes en prière, levant les yeux vers le ciel, ou au contraire les fermant pour ne plus considérer qu'une présence au tréfonds de nous-mêmes, nous sommes au seuil même de l'invisible. Nous parlons à Dieu et Dieu nous entend, et Dieu nous touche de sa grâce. Quand Jacob est visité par la grâce de Dieu à Béthel, il s'écrie : « Certainement l'Éternel est en ce lieu... C'est ici la porte des cieux »
« Quand tu pries, dit Jésus, entre dans ta petite chambre, ferme la porte, et prie ton Père qui est là, dans ce lieu secret. » Le ciel vient donc jusqu'à toi, jusqu'à ta chambrette. Dire que Jésus est monté au ciel, ce n'est pas dire qu'il s'en est allé bien loin de nous, mais qu'il est entré dans l'invisible. Il a rejoint son Père.

Nous ne pouvons plus le voir de nos yeux de chair, comme les disciples l'ont vu en Galilée, ni même comme ils l'ont vu, glorifié, pendant les quarante jours qui ont séparé Pâques de l'Ascension. Il a été enlevé au ciel. Une nuée le cache a nos yeux. Il est « à la droite de Dieu », c'est-à-dire à la place d'honneur, tout près de Dieu. Il est en même temps très loin, dans l'immensité de l'invisible, et très près de nous, puisque l'invisible effleure le visible, comme Dieu qui pénètre au plus profond de nos âmes sans cesser de demeurer dans le ciel. Les promesses du Christ à ses disciples, leur affirmant qu'il ne les laisserait pas orphelins ont leur accomplissement dans cette réalité. Christ qui est dans le ciel pénètre au plus profond de la personnalité humaine. Là où deux ou trois sont réunis, il est au milieu d'eux. Invisible, présent, puissant. Plus présent encore qu'il ne l'était lorsqu'il vivait au milieu d'eux, en Galilée. Car le disciple n'était pas toujours auprès de son Maître, qui se devait aux uns et aux autres. Après l'Ascension, le Maître peut être au coeur de son disciple.

Parce qu'il est invisible, parce qu'il a toutes les qualités de Dieu, il peut être avec moi qui cherche sa présence sainte dans ma chambre, comme il est au même moment avec ce soldat qui gémît sur une civière, dans un lazaret, quelque part où l'on se bat ; comme il est avec ce Chinois qui, à l'autre extrémité du monde, l'invoque ; comme il est avec ceux qui sont morts dans la foi et qui vivent continuellement en sa présence, dans le ciel. C'est pourquoi Jésus disait à ses disciples : « Il vous est avantageux que je m'en aille. » Et cette autre parole, mystérieuse tout d'abord : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus ; puis encore un peu de temps et vous me verrez parce que je vais au Père. » « Vous ne me verrez plus... et vous me verrez... parce que je vais au Père. » Parce que Jésus va au Père, parce qu'il monte au ciel, nous le verrons. jusqu'ici nous l'avons vu de nos yeux de chair. Ce n'est pas encore vraiment voir. Alors nous le verrons par le regard de la foi, ce regard qui se prolongera dans l'éternité, quand nos yeux de chair seront depuis longtemps fermés à la lumière du soleil. Quand Jésus monte au ciel, ce n'est pas pour quitter ses amis, c'est pour être plus près d'eux. Vous me verrez. Vous allez seulement commencer à me voir.

Splendeur de cette réalité. Christ, au ciel, à la droite de Dieu, un avec Dieu quand nous le prions. Christ tout proche, parce qu'il est au ciel. Parce qu'il est monté au ciel, nous pouvons être en communion avec lui, et parce que le ciel descend jusqu'aux abîmes, Christ peut être présent quand, par notre péché, par nos turpitudes, nous sommes précipités dans ces abîmes.
Il est au ciel. Le ciel n'est éloigné que des incrédules, de ceux qui ne veulent pas le voir.

Il en reviendra
« Ce Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous dans le ciel en reviendra de la même façon que vous l'avez vu y monter. » Que signifie alors ce retour du ciel sur la terre, de l'invisible dans le visible ? En quoi marque-t-il un pas de plus, un pas décisif ? En quoi doit-il faire l'objet de notre attente, être désiré ardemment par les chrétiens ?

Aujourd'hui le Christ est le Seigneur de l'Eglise ; il se révèle aux croyants comme le vainqueur de la mort. Mais c'est une réalité encore cachée au monde. Les ténèbres ont repoussé la lumière. Et le dernier mot des ténèbres repoussant le Seigneur de lumière fut la croix de Golgotha. La terre a méprisé son Sauveur. Elle l'a crucifié. Elle le crucifie tous les jours en le bafouant, en vivant au mépris de sa loi d'amour. Les ténèbres règnent dans ce monde, et la guerre que nous vivons est le paroxysme de cette offensive des ténèbres, l'oeuvre humaine par excellence, de l'homme sans Christ, de l'homme orgueilleux et superbe. En sera-t-il toujours ainsi ? Le Christ ne sera-t-il toujours que l'hôte invisible de quelques âmes croyantes, le Seigneur d'une Église tantôt persécutée, tantôt l'objet du mépris de la multitude, Église dont les puissants de ce monde peuvent impunément se moquer?

La Parole de Dieu l'affirme : celui qui est monté au ciel en reviendra, de la même façon qu'il y est monté, C'est-à-dire que d'invisible il redeviendra visible. Mais ce retour ne sera pas une nouvelle incarnation humble et misérable. Ce retour sera glorieux. Le Christ imposera au monde entier son règne. Il jugera le monde. Ses ennemis le verront de leurs yeux charnels ; toute chair le verra, même « ceux qui l'ont percé » ; et leur rire sera changé en lamentation. Alors la lumière tuera les ténèbres. Et ceux qui ont aimé la lumière seront éclairés à jamais d'une clarté qui sera dans les coeurs et sur toute la surface de la terre. Et la matière sera pétrie de lumière et Christ sera tout en tous. La terre de la révolte sera la terre de Dieu.

Maranatha !
Splendide et terrible espérance que celle de l'Eglise au jour de l'Ascension, de l'Eglise qui célèbre la Saint-Cène « jusqu'à ce que le Seigneur vienne » - ce sont les propres termes de l'institution de la Sainte-Cène. Splendide, parce que tous ceux qui aiment le Christ doivent se réjouir de voir son triomphe en ce monde, de voir tout genou ployé devant le triomphateur, de voir enfin le monde accueillir celui qui seul est digne d'en être le Maître. Terrible, parce qu'il sera trop tard pour changer de voie, trop tard pour se préparer - pensez à la parabole des vierges folles - et qu'il n'y aura plus de délai pour le jugement de ce monde.

« Seigneur, viens bientôt ! » disons-nous avec l'Église primitive. Et cependant nous pensons tout aussitôt à ceux que nous aimons et qui ne sont pas prêts à ce jugement, et nous pensons à nous-mêmes qui sommes si mal préparés et qui tremblons à la pensée que demain peut-être, ce soir, il faudra ouvrir notre grand livre et rendre compte du bien et du mal que nous avons fait, et que nos coeurs seront pesés et trouvés légers, et que le juge dira à un grand nombre : « Retirez-vous de moi, allez dans le feu éternel... car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire. » Et c'est sans doute parce que ce jour-là sera terrible que Dieu en a différé jusqu'ici la date, afin qu'un plus grand nombre soient sauvés, discernent les signes des temps, fassent leur soumission au Christ qui prépare, invisible, inlassable, puissant dans son apparente faiblesse, la venue soudaine et glorieuse de son règne, son retour du ciel où il est monté au jour de l'Ascension.

C'est ainsi que le chrétien est en même temps celui qui possède Christ et celui qui désire son retour, celui qui voit son Seigneur et celui qui en est encore séparé, un disciple qui adore, dont la vie est cachée avec Christ en Dieu, comme Marie aux pieds de son Maître, et un serviteur qui veille, ne sachant à quelle heure de la nuit son maître reviendra.

C'est cette double réalité de la foi et de l'espérance chrétienne que l'Ascension nous rappelle. Ne négligeons aucun des aspects de notre foi chrétienne. Cherchons la présence du Christ. Ouvrons nos coeurs au ciel si proche où Christ vit. Saisissons par la foi la grâce qu'il nous offre, son pardon, sa force, son esprit saint. Mais ayons en même temps la nostalgie du règne de Christ, désirons cette grâce qui nous est annoncée dans la Parole de Dieu : « Ce Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous dans le ciel, en reviendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. »

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