Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

RICHESSES DANGEREUSES

-------

Qu'il est difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu !
Luc 18, v. 24


Pauvres riches !
La richesse serait-elle une malédiction, qu'elle rende plus difficile l'accès au Royaume de Dieu ? N'est-elle pas considérée dans la Bible comme un don de l'Éternel ? Dieu donna la richesse au roi Salomon et la rendit à Job après les épreuves auxquelles il soumit sa foi. Mais c'est un don dangereux.
On a vu des riches se servir de leur richesse sans en devenir esclaves. Mais pour un riche que ses biens n'ont point arrêté sur le chemin qui mène à Dieu, combien ont été perdus par l'abondance de leurs biens

Fausse sécurité
Le danger des richesses est tout d'abord de nous mettre à l'abri de l'inquiétude qui conduit au Royaume de Dieu. Qui se croit en sécurité en ce monde vit insouciant des véritables problèmes. Qu'a-t-il besoin de Dieu, celui qui n'a pas senti la fragilité de tout ce qui est de la terre ? Nos biens nous trompent parce qu'ils nous donnent un sentiment de sécurité. Et celui qui les possède n'est obsédé que d'une crainte, celle de les perdre. Voyez de quels soins il les entoure, de quel amour il les enserre, de crainte d'en être privé, s'efforçant de les accroître. Il n'a plus qu'une pensée en tête. Comment aurait-il la pensée de Dieu ? Et s'il n'a pas la pensée, de Dieu, désir dominant de sa vie, comment trouverait-il le chemin du Royaume ?

Calvin dit : « Les richesses, de leur nature, n'empêchent point de servir Dieu ; mais il est malaisé que ceux qui ont abondance ne s'enivrent. » Qu'il est difficile de ne pas s'enivrer de sa richesse, de ne pas être aveuglé par elle, de ne pas considérer ses biens comme ce qu'ils sont en réalité, point d'appui fragile et périssable, un peu de poussière appelée à retourner à la poussière - même quand cette poussière est de la poussière d'or ! Qu'il est difficile à un riche de se sentir pauvre et misérable devant Dieu, sans cesse en péril et dans l'inquiétude jusqu'à ce qu'il ait trouvé la véritable richesse qui est en Dieu !
« En travaillant pour les seuls biens matériels, note Saint-Exupéry, nous bâtissons nous-mêmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre, qui ne procure rien qui vaille de vivre. »

Il faut parfois que notre richesse vienne à nous être arrachée pour que notre âme, délivrée des fausses sécurités que procure l'abondance de biens, s'épanouisse enfin dans la communion de celui-là seul qui peut nous enrichir de sa sainte présence. Une Genevoise, qui a écrit le récit de sa vie sous ce titre « Mon bonheur en ce monde », le commence par ces mots : » L'événement le plus heureux de ma vie a été que, lorsque j'avais vingt-trois ans, la position brillante de mes parents s'est écroulée... »

Il faut parfois de ces brusques réveils. Nous les appelons infortunes. Ils sont peut-être notre plus sûre fortune.
« Va, vends tout ce que tu as, et suis-moi ! » dit Jésus à ce jeune homme qu'il voyait prisonnier de ses biens trop absorbants.

Ce n'est point une question de quantité
Il n'est pas nécessaire de posséder « de grands biens », comme le jeune homme riche, pour que notre richesse nous empêche d'entrer dans le Royaume de Dieu.
Un pauvre homme, dont parle la Bible, « n'avait rien du tout, si ce n'est une petite brebis qu'il avait achetée. Il la nourrissait ; elle grandissait chez lui avec ses enfants, mangeant de son pain, buvant à sa coupe et dormant sur son sein ; elle était pour lui comme une fille. » Il était riche d'une brebis, et comme tout riche, enivré de sa richesse, n'ayant de soin que pour elle, ne tremblant que pour elle.

Combien d'entre nous, sans avoir une grande fortune, possèdent une petite maison, un jardin, une bibliothèque, quelques souvenirs. C'est notre richesse. Nous la choyons avec amour. C'est là que nous mettons tout notre coeur.
C'est là que vont nos pensées. Nous nous attachons outre mesure à quelque chose de caduc et nous négligeons l'essentiel, la seule richesse véritable.

La richesse dangereuse ne se mesure pas à sa quantité, mais à l'attachement que nous avons pour elle et aux préoccupations qu'elle engendre.

La misère tout aussi dangereuse
La pauvreté peut être tout aussi dangereuse, si celui qui est privé des biens de ce monde passe son temps à les désirer, s'il se ronge de ne pas les posséder, s'il ne fait qu'envier le sort du riche, S'il s'enivre d'une richesse qu'il n'a pas.

Quand Jésus a révélé aux pauvres qu'ils étaient heureux, il ne pensait pas à tous les pauvres, aux envieux, à ceux que tourmente le désir de la richesse, ni à ceux dont la pauvreté est synonyme de misère et que hante le souci du pain quotidien. Ventre affamé n'a pas d'oreilles. Pour s'attacher à la recherche de Dieu et des vrais biens, il faut n'être point rivé aux soucis matériels.

La richesse n'est pas seulement abondance d'argent
Richesses dangereuses, qui nous rendent plus difficile l'accès au Royaume de Dieu, ce ne sont pas seulement des biens, une terre, une maison. C'est aussi notre santé. Le plus précieux de tous les capitaux, dit-on. Avec lui on peut défier l'adversité. Avec lui on peut s'avancer sans crainte. Richesse dangereuse, parce qu'elle nous empêche de reconnaître notre fragilité et que nous cherchons notre salut en nous-mêmes alors qu'il faudrait le chercher en Dieu. Je connais des gens qu'une volonté peu commune, une énergie remarquable ont éloignés de Dieu. Et quand est venu le jour où il a fallu se pencher vers la terre comme tout homme mortel, quelle détresse, alors que ceux qui étaient coutumiers de la maladie et des infirmités de la chair connaissaient le chemin du Royaume de Dieu !

Richesses dangereuses, ce sont aussi les forces morales qui sont en nous, richesses de l'intelligence, richesses du coeur. Comment se fait-il que cet homme honnête, bon père de famille, époux loyal, coeur d'or, n'éprouve pas le besoin de s'approcher de Dieu ? Nous nous étonnons que les meilleurs d'entre nous soient souvent si peu religieux. Ce sont leurs richesses naturelles qui les dispensent de l'inquiétude religieuse. Ils sont riches ; ils se croient riches ; ils se croient forts ; ils ne voient pas tout ce qui leur manque ; ils ne veulent pas voir que le plus vaillant tombera un jour, s'il n'est pas soutenu par la grâce de Dieu. Les péagers et les gens de mauvaise vie venaient à Jésus, parce qu'ils connaissaient leur détresse. Les honnêtes gens se sont montrés indifférents à son égard, aveugles par leur vertu.
Richesses dangereuses en vérité !

Faut-il désirer la pauvreté ?
Mieux vaudrait être pauvre, dénué de toute assurance en ce monde, arrêté par la maladie, brisé par un échec. Car le pauvre sait que demain ne lui appartient pas, le malade connaît la fragilité de son enveloppe mortelle et celui qui est tombé connaît la misère morale de l'homme. Il faut avoir vu vaciller nos points d'appui ici-bas pour désirer avec ferveur le secours d'En-Haut : Mon Dieu, aie pitié ! Incapable par moi-même de vivre, j'implore ta grâce. Et Dieu tire du bourbier où il s'abîmait le pauvre qui l'implore, mais non pas le riche, sûr de lui, sûr de ses biens, sûr de sa force, ignorant encore de la détresse commune à tous, de la détresse du riche identique à celle du pauvre. Que sont en effet nos différences de fortune en face de l'éternité ? Et de quel poids pèsent nos richesses en face de la mort et du jugement ?

Les plus grands hommes ont été les plus faibles et les plus pauvres, parce que, se sachant misérables, ils ont tout attendu de Dieu ; ils ont tout reçu de Dieu.

De Jérémie, le timide, la risée de son village, Dieu a fait « une ville forte, une muraille d'airain » ; de l'infirme, suspendu entre la mort et la vie, Dieu a fait un Blaise Pascal ; du moine dévoré par le sentiment de son péché, Dieu a fait un Martin Luther et l'a dressé au nom de sa conscience contre l'Eglise et contre l'Empire ; d'un jeune homme chétif, « mol et pusillanime », Dieu a fait un Jean Calvin et toute une ville a été modelée par sa présence.

Saint Paul avait été élevé dans une famille appartenant à l'élite de son peuple ; fortuné, intelligent, vertueux, disciple de l'illustre Gamaliel, il avait d'abondantes richesses. Eût-il trouvé la porte du Royaume de Dieu s'il n'eût pas un jour considéré « toutes ces richesses comme des balayures », s'il n'eût pas désiré la seule vraie richesse, « connaître Christ, communier à ses souffrances, avoir part à sa résurrection » ?

Faut-il pour que nous trouvions le chemin qui conduit à Dieu que nous soyons nous aussi dépouillés de nos richesses, que la maladie nous terrasse, que l'incendie consume nos biens, que la guerre nous arrache à notre foyer, à notre coin de terre, que la mort, frappant autour de nous, nous convainque de la fragilité de notre vie ?

Bilan de notre fortune
Ou suffira-t-il que nous considérions avec intelligence ce que valent nos richesses ? Qu'est-ce que cette maison dont tu es fier ? Pourquoi ne subirait-elle pas le sort de celles de Berlin, de Londres ou de Rome, effondrées en un instant ? Et cette fortune, édifiée par des générations ou par une vie de travail et de sage gérance ? Comment la mettre à l'abri des prélèvements, des dévaluations et des confiscations ? Si la guerre nous avait appris la fragilité de toute fortune sur la terre, elle aurait - à côté de tous les malheurs qu'elle porte à son passif - cet avantage de nous avoir ouvert les yeux sur nous-mêmes.

Qu'est-ce que cette santé dont tu es si fier ? Aujourd'hui ce coeur qui bat dans ta poitrine peut cesser de battre. Ce système nerveux qui t'a permis de tenir contre vents et marées peut refuser de te servir, et tu ne seras plus qu'une loque sans volonté. Fragilité de nos richesses corporelles et mentales !

Que sont ces liens de la famille, si forts, si fragiles ? « Ces liens de la chair et du sang, tôt ou tard brisés par la mort », comme le dit la liturgie du mariage à un moment où l'on aimerait mieux ne pas entendre parler de mort. Et cependant, ne faut-il pas que nous nous souvenions de ceci : S'il n'y a entre ceux qui s'aiment que les liens de la chair et du sang, S'il n'y a pas les liens indestructibles que le Christ forme entre ceux qui ont une même foi, le bonheur est chose si fragile qu'on ne peut y penser qu'en tremblant.

Que sont ces qualités morales, cette vertu dont nous sommes si fiers ? Ne voyons-nous pas de nos jours les plus forts se montrer soudain d'une déconcertante faiblesse ? L'homme d'affaires intègre fait un faux ; l'épouse fidèle brise son foyer ; le président d'une société chrétienne cède à une tentation grossière. Car nos vertus ne sont que fragilité si elles ne procèdent pas de Dieu.

Variations sur le thème de l'Ecclésiaste
« Vanité des vanités ! dit l'Ecclésiaste. Tout est vanité et poursuite du vent. »

Tout est vain, tout est fragile.
Fragile, notre richesse, qu'elle soit placée dans les banques ou cachée dans une terre qu'il faudra fuir !
Fragile notre corps, lentement miné par le surmenage ou soudain déchiré par les bombes !
Fragiles nos amitiés !
Fragiles nos liens de famille !
Fragile notre amour !

Comme tout cela serait triste, si l'Ecclésiaste était le dernier mot de la révélation. Mais il ne faut y voir qu'un prélude, un grave prélude à l'Évangile. Tout est fragile, tout est vain... jusqu'à ce que nous ayons rencontré celui qui donne la vraie richesse et qui la donne jusque dans l'éternité. « Notre coeur est inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en toi », dit saint Augustin. Inquiétude salutaire si elle nous amène à découvrir celui qui donne la vraie paix de l'âme.
Découvrir notre fragilité et pleurer sur notre misère, c'est le seul moyen de trouver la porte étroite qui conduit aux spacieuses avenues de la grâce. Et cette découverte est difficile à ceux qui ont tout en abondance et se croient forts !
« Qu'il est difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu ! »

Le bon usage des richesses
Faut-il donc mépriser nos richesses et, comme saint Benoît Labre, mener une vie délabrée, dénuée de tout bien ? Non pas, à moins que Dieu ne nous en fasse une vocation. Ne méprisons pas la richesse, mais n'en soyons plus esclaves. N'en faisons plus notre prison. Considérons-la comme quelque chose de passager. « Si vos richesses abondent, dit le psalmiste, n'y attachez pas votre coeur. » Ne tremblons pas pour cette richesse, qu'il faudra bien quitter un jour.

Tremblons pour une autre richesse, celle que Dieu donne à ceux qu'il a sauvés, revêtus de sa puissance. Craignons d'être dépouillés de ce « manteau de fête » dont Dieu nous a revêtus le jour où, dans notre misère, nous avons imploré son pardon, de ce « diadème d'allégresse », de cette « couronne de vie » qui sont nos seuls véritables biens.
« Pendant que nous sommes en ce monde, dit Calvin, il nous convient d'être comme oiseaux sur la branche. » Aimons notre branche et rendons grâces à Dieu de nous l'avoir donnée verdoyante et fleurie. Mais ne comptons pas sur elle pour nous porter à jamais.

Et souvenons-nous que nos richesses, toutes nos richesses, matérielles ou morales, nous ont été prêtées par Dieu pour que nous puissions mieux accomplir la tâche qu'il nous donne ; ce sont des talents qu'il faut faire fructifier pour Dieu.
Ni mépris, ni servitude !

Qu'il est donc difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu Difficile, oui ! Impossible, non !
« Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. »

Seigneur, enseigne-nous à bien user de nos richesses !


.


L'EMPREINTE DE DIEU


Tu lieras mes commandements comme un signe sur ta main, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.
Deutéronome 6, v. 8


 Le signe de Yahvé
Aux temps les plus reculés de l'histoire d'Israël, ceux qui voulaient affirmer leur appartenance à leur Dieu, à Yahvé, portaient entre les yeux et sur la main un signe distinctif, un tatouage sacré, une marque imprimée dans la chair. Ces nomades, à demi-barbares, montraient par ce signe qu'ils se séparaient des païens idolâtres et servaient le Dieu invisible.
Lorsque les Israélites devinrent sédentaires et civilisés, ils abandonnèrent cette coutume ; seuls les prophètes y demeurèrent fidèles. Au temps d'Achab et de Jézabel, un prophète qui veut rester inconnu met un bandeau sur son front. On ne le reconnaît comme prophète qu'au moment où il laisse voir son front meurtri par le signe de l'Éternel.
« Un signe sur ta main, un signe entre tes yeux, l'empreinte de Dieu. »

Les phylactères
La Bible donne un sens spirituel à cette vieille coutume lorsqu'elle dit que la Loi de Dieu doit être liée comme un signe sur nos mains, comme un fronteau entre nos yeux. Mais les Israélites, ayant besoin d'un signe visible pour se souvenir des ordres de Dieu, inscrivent les commandements et les enferment dans des capsules de cuir qu'ils attachent à leur main et à leur front. Ce sont les phylactères, que les pharisiens portaient encore au temps du Christ. Signe extérieur de l'appartenance à Dieu, qui hélas était loin de correspondre toujours à une réalité intérieure.
Car l'empreinte de Dieu dans une vie ne peut être un signe extérieur. Ce n'est pas la cicatrice sacrée qui fait le prophète. Ce n'est pas le phylactère qui fait le fidèle de la Loi. Ce n'est pas la croix qui fait le chrétien.

Les commandements de Dieu, la volonté sainte de l'Éternel, doivent être imprimés au fond de nos coeurs et se traduire par des actes et des pensées qui portent son empreinte.

Un signe entre tes yeux
« Les commandements de Dieu seront comme un signe entre tes yeux. » Lorsque Judas embrasse Jésus en le trahissant, il porte dans son regard, il porte dans ses yeux le signe du démon. Je pense à cette fresque de Giotto où l'artiste a mis dans le regard du traître la marque de sa vilenie. Lorsque - pour employer le rude langage biblique - « un homme regarde une femme pour la convoiter », il y a entre ses yeux l'empreinte de l'adultère qu'il désire, de l'infidélité à son serment. Lorsque l'orgueilleux promène son regard insolent, il y a entre ses yeux le signe de son mépris. Il y a des regards sans expression, il y a des regards haineux. Il y a un signe entre tes yeux, lequel ? Même quand tu crois dissimuler ta pensée, tes yeux te trahissent. Il y a un signe qui marque ton front. Lequel ? Celui de la bête, ou celui de Dieu ?
Car notre appartenance à Dieu doit changer notre regard. C'est une façon nouvelle de voir. Celui qui porte Dieu dans son coeur voit dans son prochain un frère qu'il respecte et qu'il aime ; dans le sombre mystère qui l'environne il voit Dieu qui vient au secours de l'homme. Il voit toutes choses sous un angle nouveau. Le monde n'a pas changé, avec ses splendeurs passagères et ses pièges. Mais il le voit tout autrement. Il le voit à travers le prisme de Dieu. Il y a un signe entre ses yeux.

Un signe entre les yeux. L'empreinte de Dieu dans le regard. Au fond, tout est là. Car le principe de la morale est de voir juste, de voir avec respect, de voir avec amour. Et le principe de la religion est de voir, derrière les nourritures terrestres, l'invisible pain, derrière les hommes qui s'agitent, Dieu qui les mène. Tout est en germe dans notre façon de voir. Les images que nous projetons dans notre coeur commandent nos actes. « Si ton oeil est sain, dit l'Évangile, tout ton corps sera dans la lumière ; mais si ton oeil est mauvais, tout ton corps sera dans les ténèbres. »

Un signe sur la main
Il est bon cependant de nous souvenir que nous ne sommes pas appelés seulement à voir, mais à agir. Celui qui aime Dieu et son prochain ne porte pas seulement un signe entre les yeux, il le porte sur la main, c'est-à-dire dans ses actes, la main étant par excellence l'instrument qui nous permet d'agir.

La main de l'homme est expressive comme ses yeux. C'est pourquoi seuls les artistes de génie savent peindre des mains, des mains qui portent la marque du démon ou celle de Dieu. Mains d'ouvriers, noueuses, meurtries par les outils, déformées par le travail ou mains d'intellectuels ou d'artistes, peu importe. Là n'est pas la différence. Mais il y a des mains cupides, des mains bestiales, des mains malfaisantes, habituées au mal, et des mains stupides. Il y a aussi des mains qui portent le signe de l'action bonne, de la vraie charité, du travail honnête et persévérant, il y a ces mains en prière qu'a immortalisées Dürer. Il peut y avoir sur nos mains et dans nos actes l'empreinte de Dieu. Entre les yeux d'abord ; sur les mains ensuite.

Qu'as-tu fait de ta main, de ce merveilleux instrument que Dieu t'a donné, non pour meurtrir mais pour guérir, non pour prendre, mais pour donner, non pour la jouissance mais pour l'entr'aide ?

Un signe qui ne s'imite pas
Il n'y a pas d'autre insigne chrétien que ce signe, ce stigmate sacré, ce signe entre tes yeux, ce signe sur ta main. Si Dieu n'a pas mis cette empreinte dans ton coeur et dans ta chair, arrache de ta boutonnière cette croix, ôte cet insigne de métal que tu n'as pas le droit de porter, arrache ces vêtements ecclésiastiques qui te signalent comme un serviteur de l'Eglise, et pleure sur ton néant. Seigneur, aie pitié de moi, de mon regard souillé, de mes mains inutiles ou homicides !

Surtout ne cherche pas à sauver les apparences. Le regard dévot de Tartufe ne trompe personne, les gestes papelards de celui qui joue la comédie de la piété tournent à sa confusion. C'est en vain que l'on cherchera à paraître religieux et fidèle à la Loi de Dieu, à cacher ses pensées, à étudier ses gestes. L'empreinte de Dieu ne peut s'acquérir de cette manière.

Le signe que portait le Christ entre ses yeux et sur sa main
Le Fils de Dieu a porté, comme jamais homme ne pourra le faire, le signe de Dieu entre ses yeux et sur sa main. Il faut le contempler, non pour l'imiter, ce qui est impossible, mais pour nous laisser pénétrer par son Esprit qui seul peut nous transformer et nous rendre semblables à lui.

Le regard de Jésus ! Tout ce que dit l'Évangile par ces simples mots : « Il le regarda et il l'aima » ! Là où les hommes ne voient qu'une plèbe sordide, Jésus voit une multitude semblable à des brebis sans berger ; là où ils ne voient qu'une fille de joie, Jésus voit une soeur malheureuse, qui sera sauvée par le premier regard d'amour véritable ; là où ils ne voient que gibier de potence, Jésus voit un frère à qui il pourra dire : « Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis » ; là où les hommes voient l'image respectable de l'ordre et de la vertu, chez les pharisiens, Jésus voit une façade trompeuse, un masque derrière lequel il n'y a qu'ambition et orgueil ; là où les hommes voient le signe de ce qui doit durer toujours, les pierres du Temple, Jésus voit la figure de ce monde qui passe, car « de tout cela il ne restera plus pierre sur pierre » ; et dans les ténèbres du Calvaire, quand les hommes ne voient que la puissance du démon et le triomphe de l'injustice, Jésus voit les cieux entr'ouverts : « Père, je remets mon esprit entre tes mains. »

Quand tous étaient aveuglés par leur mesquinerie, par leur envie, par leur incrédulité, un seul a su voir. Sur un front, un jour couronné d'épines, entre deux yeux limpides, il y a eu l'empreinte de Dieu.

Sur ses mains, aussi. Mains habituées à manier le rabot et la varlope, le marteau et la hache, mains d'un bon ouvrier, brunies par le soleil de Galilée. Mains qui se sont levées pour montrer aux hommes penchés sur la terre le ciel tout proche et qui se sont abaissées pour panser des plaies, pour toucher le corps d'un lépreux, les yeux des aveugles, les ulcères hideux. Mains qui ont brandi le fouet de l'indignation pour chasser les vendeurs du Temple, qui se sont posées sur le front des petits enfants pour les bénir et qui ont aidé le paralytique à se lever et à se tenir debout. Mains qui furent percées de clous sur la croix, mains toutes maculées de sang. Il y avait un signe sur ces mains, le signe de Dieu, du Dieu saint et terrible pour le pécheur, du Dieu miséricordieux à celui qui pleure sur son péché. Les hommes ont broyé ces mains sur la croix ; ils leur ont imprimé le stigmate sanglant de leur haine ; ils n'ont pas effacé le signe de Dieu. Et quand le jour de Pâques le Christ ressuscité apparaît aux disciples d'Emmaüs, ils ne le reconnaissent pas tout d'abord. À quoi l'ont-ils reconnu ? À ses mains, à son geste, familier et tout chargé de sens, de rompre le pain avant le repas en remerciant Dieu de nous l'avoir donné. « Alors, dit l'Évangile, leurs yeux s'ouvrirent. »

Impossible aux hommes, possible à Dieu
« Ayez les yeux fixés sur Jésus, le chef et le consommateur de la foi », dit l'apôtre. La loi de Dieu, ses commandements, nous ne sommes pas appelés à les méditer théoriquement. Ils S'impriment en nous quand nous vivons dans la communion du Christ.

Le signe de Dieu est un don de Dieu. Et ce don, Dieu le fait à ceux qui, dans le sentiment de leur misère humaine, s'offrent à lui, parce qu'ils savent que Dieu seul peut les sauver.
Nous nous présenterons devant Dieu comme le poète :

« Voici mon front qui n'a pu que rougir,
Voici mes yeux, luminaires d'erreur,
Voici mes mains qui n'ont pas travaillé...
Vous connaissez tout cela, tout cela,
Et que je suis plus pauvre que personne. »

Et voici le miracle que Dieu accomplit, miracle plus grand que de guérir un malade, plus grand que de rendre la vie à un mort. Dieu met son empreinte sur notre front et sur nos mains, et nous commençons à voir autrement, et nous commençons à accomplir des actes justes et bons ; Simon Pierre le présomptueux devient l'humble et l'intrépide témoin du Christ ; Saul de Tarse, le pharisien, devient un apôtre et dans les rudes pêcheurs de Galilée on reconnaît des disciples du Christ, car il y a dans toute leur manière d'être quelque chose qui rappelle le Maître. « On les reconnaissait, dit le livre des Actes, pour avoir été avec Jésus. »

Transfigurés par le Christ, renouvelés jusqu'aux sources profondes de nos actes par la contemplation du Sauveur, régénérés, c'est là ce que Dieu veut faire de chacun de nous. Être chrétien, ce n'est pas moins que cela.
Nous savons alors ce qu'il nous reste à faire :
Le démon voudrait mettre la marque de la bête sur notre front, troubler notre regard et se servir de nos mains pour faire son oeuvre de mort. Que Dieu nous aide à nous refuser à son empreinte !

Ne commençons plus une journée sans avoir offert à Dieu nos yeux pour qu'il en purifie le regard, n'accomplissons plus un geste sans que nos mains aient été sanctifiées par la présence en nous du Sauveur.

Seigneur, voici mes yeux.
Seigneur, voici mes mains.
Seigneur, grave en moi ton empreinte.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant