Les témoins de la mort de Jésus ont gardé le souvenir de sept paroles prononcées sur la croix :
Luc 23, v. 34 |
Des soudards envoyés par le grand
prêtre, sous la surveillance des soldats
romains, ont étendu Jésus sur la
croix; ils ont cloué ses mains; ils ont
cloué ses pieds; ils ont dressé la
croix tout ensanglantée; ils achèvent
leur triste besogne.
Qui éprouverait à
l'égard de ces Juifs crucifiant leur Messie
un sentiment de pitié?
C'est la victime elle-même qui
nous enseigne à voir en eux les instruments
aveugles d'un décret qu'ils ne peuvent
comprendre. « Ils ne savent ce qu'ils font.
» Ils ne savent pas que celui qu'ils
crucifient entre deux autres condamnés, Dieu
le leur avait donné pour les sauver. Ils ne
savent pas que la postérité parlera
d'eux et que jusqu'aux extrémités du
monde le souvenir de leur geste de bourreaux sera
douloureusement évoqué de
génération en
génération. Ils font leur
métier. Comme tant d'autres après eux
qui font souffrir leurs semblables. Tant
d'instruments dociles de la puissance des
ténèbres ! Comme nous qui tant de
fois faisons souffrir notre prochain par notre
brutalité, mais aussi par nos paroles, notre
égoïsme, notre manque d'amour.
« Père, pardonne-leur, car
ils ne savent ce qu'ils font ! »
Père, pardonne-moi tout ce mal
que j'ai fait et je ne le savais pas, et je ne
pensais pas aux conséquences de mes actes,
et je faisais ce que tout le monde fait.
Mais il n'y a pas que des instruments
dociles de ceux qui les mènent. Il y a ceux
qui savent ce qu'ils font. J'ai maintes fois fait
souffrir en sachant ce que je faisais. Je n'ai pas
l'excuse que Jésus allègue en faveur
de la soldatesque qui le
crucifie. Mon Dieu, y aura-t-il pardon pour
moi?
Au pied de la croix, je n'ose même
pas me mettre au nombre de ceux qui « ne
savent pas ce qu'ils font». Mon Dieu, ce
pardon, demandé par ton fils pour les
bourreaux de Golgotha, je l'implore; je m'en sens
plus indigne encore que ces hommes
représentés par les peintres comme
des brutes sans intelligence.
Seigneur, aie pitié de moi !
Luc 23, v. 42-43 |
Seigneur, c'est un malfaiteur qui t'implore. Le
« bon larron », comme on l'appelle
parfois. Et pourquoi veut-on qu'il ait
été bon? C'est assez d'une victime
innocente en Golgotha. La justice des hommes ne
fait pas mourir que des justes. C'est un malfaiteur
qui paie sa faute. Voleur de grand chemin, brigand,
assassin? La seule chose que nous savons de lui
c'est qu'à l'heure de la mort cet homme sans
aveu jette un regard plein d'espoir sur ce juste
qui meurt avec lui. Il a entendu
le Christ prier pour ceux qui le
persécutent. Mais lui, lui le larron, lui
qui savait ce qu'il faisait quand il frappait,
quand il détroussait les voyageurs, comment
peut-il attendre quelque pardon? Il n'a aucun droit
au pardon des hommes: « Pour nous, c'est
justice, dit-il, nous recevons la peine que nos
actes ont méritée. » Quel droit
aurait-il au pardon du Dieu saint dont il a
violé les commandements? Il n'a aucun
mérite si ce n'est le mérite de se
savoir coupable, et c'est le seul qui permette
à Jésus de le sauver;
«Aujourd'hui même, tu seras avec moi
dans le paradis.» Toi, le larron, toi qui
meurs d'une mort méritée, toi, triste
échantillon de l'espèce humaine, de
cette race des hommes qui s'est
révoltée contre Dieu, toi, «
enclin au mal, né dans la corruption,
incapable de faire le bien », tu t'es reconnu
coupable, et tu as espéré: «
Jésus, souviens-toi de moi! »
Reçois le pardon aujourd'hui même,
sans autre expiation que celle que les hommes te
font subir. Une sainte victime expie pour toi et
meurt pour que tu vives.
Que d'honnêtes gens, que de riches
et de sages n'entendront jamais la parole
libératrice adressée au brigand sur
la croix ! Et pourtant aux yeux des hommes comme
ils valent mieux que le brigand,
comme ils ont plus de mérites que cet homme
méprisable ! Si le brigand est entré
au paradis, à combien plus forte raison y
auront-ils part ! Non pas. Car aux yeux de Dieu une
seule chose est nécessaire, aux meilleurs
comme aux pires, c'est que nous ayons avoué
notre péché, notre indignité,
c'est que l'honnête homme, ou celui qui se
croit tel, ait compris que pour Dieu il n'est rien
de plus qu'un malfaiteur, il est de la race du
brigand, il est le frère du larron, il est
le larron lui-même.
À celui qui en face de la croix
s'identifie avec le malfaiteur et demande avec lui
le pardon, Jésus dit: « En
vérité, je te le dis, aujourd'hui
même tu seras avec moi dans le paradis.
»
Jean 19, v. 26-27 |
Au pied de la croix une mère, muette,
douloureuse. Elle est montée à
Jérusalem avec son fils. Que va-t-elle
devenir, seule? Et ce chemin du retour, avec ses
risques et sa fatigue et tout cela qu'elle aura
toujours devant les yeux, une couronne
d'épines, une croix, du sang, et tout cela qui
continuera
à l'assourdir, tous ces cris de la foule :
« Barrabas » « Qu'il soit
crucifié ! »
Au pied de la croix un disciple, «
celui que Jésus aimait »,
peut-être parce qu'il était le plus
jeune, le plus émotif, le plus fragile,
Jean. Un disciple prostré dans la
poussière brûlante, incapable de se
souvenir des prophéties et des paroles de
Jésus annonçant ses souffrances et sa
résurrection.
Jésus peut encore leur parler
à tous deux, mais ce n'est pas pour les
convaincre : il y a des heures où les
paroles sont inutiles, où les discours ne
font plus d'effet, où le silence seul
établit une communion. Quelques mots
seulement, une tâche que Jésus leur
confie à l'un et à l'autre. «
Femme, voilà ton fils. » «
Voilà ta mère. » Ne reste pas
inconsolable au pied de la croix, prends soin de
mon disciple, prends ma place auprès de lui
et appuie-toi sur lui comme tu t'appuyais sur moi.
Et toi, Jean, tout ce trésor d'affection que
tu m'as témoignée, reporte-le sur
cette mère.
C'est ainsi que le Christ nous apprend
à ne pas nous replier sur nous-mêmes
dans nos deuils et nos dépouillements, mais
à nous consacrer à une tâche
nouvelle. Femme qui pleures auprès d'une
tombe, fils arraché aux siens par la guerre, toi
qui chemines
tout
seul, toi dont les yeux sont pleins de visions
d'effroi, ne reste pas inerte au pied d'une croix.
Va au-devant des tâches que Dieu te donne.
Vois ton prochain qui souffre auprès de toi.
Penche-toi sur sa douleur et mets un baume sur ses
plaies comme si c'étaient celles de celui
que tu pleures. « Voilà ton fils.»
« Voilà ta mère.»
Matthieu 27, v. 46 |
Il fallait que le Christ bût toute la
coupe de la souffrance humaine et' qu'il
connût comme nous jusqu'à cette
suprême détresse de ne plus se sentir
soutenu par Dieu, suprême détresse du
doute à l'heure où l'on aurait le
plus besoin de croire. Il le fallait pour que le
Fils de Dieu S'identifiât pleinement au
pécheur, pour qu'il fût totalement
solidaire de l'homme qu'il est venu sauver, pour
qu'il fût vraiment notre
frère.
S'il avait éprouvé
seulement l'abandon des hommes, S'il avait
été sans cesse porté sur la croix par le Dieu
d'amour,
sa
douleur n'eût pas été totale et
nous ne pourrions pas unir notre douleur à
sa douleur. Car notre douleur, C'est d'être
loin de Dieu, C'est de nous croire
abandonnés. Il fallait que notre Sauveur
connût aussi cette douleur, que le Fils se
crût abandonné du Père et
qu'une de ses paroles sur la croix fût un cri
déchirant comme celui d'un homme qui,
privé d'affection et tout seul en ce monde,
est encore privé de la lumière
d'en-haut, un homme qui sombre dans la nuit totale.
Un cri. Si poignant, ce cri ! Ceux qui
étaient au pied de la croix n'ont pu
l'oublier; les évangélistes l'ont
écrit en araméen, seule des paroles
de la croix qui vienne jusqu'à nous dans la
langue même de Jésus. Mais ce cri
monte vers Dieu : « Mon Dieu, mon Dieu ...
» Dans ta douleur, mon frère, dans tes
heures de doute, crie ta détresse, mais,
comme Jésus sur la croix, tourne ta face
vers celui qui se cache au regard de ta foi: «
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi... ? »
Et celui qui t'aidera à faire
monter vers Dieu ce cri de détresse, c'est
Jésus qui, sur la croix, a connu le
même abandon.
« Mon Dieu, mon Dieu... »
Jean 19, v. 28 |
Pour comprendre ce que devait être la soif
d'un crucifié, il faudrait avoir vécu
en Orient, au soleil brûlant du Midi.
Peut-être dans une heure de fièvre,
après une opération, avons-nous dit,
la gorge desséchée : J'ai
soif ? Mais Jésus est sur la croix, sur
la colline inondée de soleil. Les gens ont
coutume de se vêtir de grands manteaux et ne
vont jamais tête nue au soleil. Jésus
n'a rien qui le protège et sa tête
comme son corps est nue ; le sang qu'a fait
couler la couronne d'épines est
coagulé dans ses cheveux en
désordre ; il n'a rien bu depuis la
veille, depuis le vin de la Sainte-Cène.
S'il y avait un peu d'ombre comme au jardin des
oliviers ! Mais il n'y a rien sur la colline
du Crâne, rien que le grand ciel rouge, rien
que la croix au bois brûlant, rien que la
poussière soulevée par les passants,
rien que le poids de nos péchés qui
ploie ses épaules. Jésus dit :
« J'ai soif. »
Moi aussi, qui contemple la croix, j'ai
soif. Ce n'est peut-être pas la même
soif, au sens propre, physique. Mais c'est une soif
que Jésus a connue lui aussi, chaque jour,
et surtout sur la croix.
« J'ai soif de sympathie
profonde, écrit Elisabeth Leseur, de
tendresse... mon âme a soif de se
dévouer, de se donner, d'être comprise
et aimée, de tout comprendre et de tout
partager. Elle soupire après ce qui dure et
voudrait parfois secouer le fardeau des
incompréhensions, des hostilités, des
étroitesses qui, du dehors, pèse sur
elle et la blesse.
« J'ai soif d'infini,
d'immortalité, de cet épanouissement
de l'âme que nous connaîtrons seulement
au delà de ce qui passe.
« J'ai soif de vie, de la
seule Vie, pleine, éternelle, avec toutes
nos tendresses retrouvées dans le sein de
l'Amour infini !
« Mon Dieu, j'ai soif !
»
« Il y a des vents
brûlants qui passent sur l'âme humaine
et la dessèchent », dit
Lamennais.
Quand mon âme est
desséchée et que j'attends une
délivrance qui ne vient pas, ce tourment me
rapproche de celui qui a dit sur la croix :
« J'ai soif. »
Jean 19, v. 30 |
En Jésus toute l'Écriture
s'accomplit. En sa vie et en sa mort.
Qu'il est doux d'accomplir la
prophétie : « On
l'appellera : Prince de la
paix. »
Ou encore :
« Il ne brisera point le
roseau cassé,
Il n'éteindra point le lumignon
qui fume. »
Il est d'autres paroles de
l'Écriture dures à
accomplir :
« Méprisé et
abandonné des hommes, homme de douleur et
fait à la souffrance, il sera
dédaigné, il sera
méconnu...
... meurtri pour nos
péchés,
brisé pour nos
iniquités.
Il supportera le châtiment qui
nous donne le salut
Et ses meurtrissures nous vaudront la
guérison.
L'Éternel fera retomber sur lui
notre crime à tous.
... Pareil à l'agneau qu'on
mène à la tuerie,
à la brebis muette devant ceux
qui la tondent, il n'ouvrira pas la
bouche...
Il plaît à l'Éternel
de le briser par la souffrance. »
Il faut que toutes ces choses arrivent.
Il faut que l'Écriture s'accomplisse. Il
faut accepter, tout accepter.
« Mon Dieu, non pas ma
volonté, mais ta
volonté ! » Sur la croix,
« tout est accompli »
Heureux qui souffre et supporte tout
parce qu'il a été fidèle,
parce qu'il ne s'est pas dérobé
à son ministère, parce qu'il n'a pas
fui la croix.
Heureux qui va mourir avec la certitude
que par sa souffrance saintement acceptée il
a tout accompli, agneau de Dieu mourant pour le
salut du pécheur.
« Heureux ceux qui sont
persécutés pour la
justice » et qui par leurs souffrances
acceptées comme un accomplissement, comme
une obéissance, s'unissent aux souffrances
du Christ en croix.
Heureux ceux qui, sans toujours
comprendre le pourquoi de leur calvaire,
l'acceptent comme un acquiescement à la
volonté de Dieu, comme une
conséquence de leur fidélité,
comme l'accomplissement d'une destinée
voulue de Dieu.
Heureux qui accomplit la volonté
de Dieu dans la joie et la
sérénité ; heureux aussi
qui accomplit cette volonté dans la douleur
et le dénûment. Cette
obéissance dans la souffrance unit plus
étroitement au Sauveur.
Heureux qui, soutenu par la grâce
de Dieu et par la communion du crucifié,
pourra dire à l'heure dernière :
J'ai accompli la tâche que Dieu m'avait
confiée. Je peux mourir :
« Tout est accompli. »
Luc 23, v. 46 |
Mon Dieu tu m'avais abandonné. Mais,
maintenant que tout est accompli, tu es là.
« Je remets mon esprit entre tes
mains. » Mon esprit, c'est-à-dire
ma vie - car il n'y a pas ici opposition entre le
corps et l'esprit. Je me remets tout entier entre
tes mains. Cette vie, Dieu me l'avait
donnée, Dieu me la reprend. « Que
le nom de l'Éternel soit
béni ! »
Sur la croix où tes bras sont
écartelés, Jésus, le
Père n'a cessé d'être
présent. Les mots que tu prononces me font
oublier le bois maudit où tu pends tout
meurtri et je vois au lieu de l'instrument du
supplice des bras ouverts comme ceux d'une croix,
un grand amour qui descend jusqu'à toi. Ce
n'est pas à la mort que tu t'abandonnes,
C'est à Dieu. « Père, je
remets mon esprit entre tes
mains. »
Mourir comme le Christ, quelle
grâce !
Qui peut oser se présenter devant
Dieu comme Jésus à l'heure de la
mort ? Tout ceux qui ont accepté leur
croix ; tous ceux qui ont demandé le
pardon ; tous ceux qui dans la souffrance se
sont unis aux souffrances du Christ ; tous
ceux pour qui le sang du Christ a
coulé sur la croix ; tous
ceux-là qui, unis dans leur passion avec le
Christ, seront unis avec lui dans la vie.
Tous ceux-là peuvent dire comme
Marguerite, la reine de Navarre qui partageait la
foi des premiers réformés de
France :
- « Unie à lui, je ne puis avoir peur,
- Peine, travail, ennui, mal, ni douleur
- Car avec lui, croix, mort et passion
- Ne peut être que consolation.
- Trop faible suis en moi, en Dieu très forte ;
- Car je puis tout en lui, qui me conforte.
- Mort, ni péché, qui tant me fait de guerre,
- Ne me pourront séparer un seul jour
- De la grande charité et amour
- Que mon Père, par Jésus-Christ, me porte. »
C'est pourquoi, prosterné devant la croix, je vois en elle mon salut :
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