Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE BERGER

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Je suis le bon berger.
Jean 10, v. 11


 Les premiers artistes chrétiens ont représenté le Christ sous les traits d'un berger portant une brebis sur ses épaules. Aucune recherche de ressemblance. Ce n'est pas le charpentier de Nazareth, le Maître qu'ont connu les disciples. C'est un symbole. Vous avez peut-être présente à l'esprit cette statuette gracieuse que l'on voit sur tous les livres d'art chrétien. C'est un jeune homme, presque un enfant, sans barbe, sans auréole, au profil grec, au regard clair et enthousiaste.

L'image du « Bon Berger» était chère aux premières générations de chrétiens. juifs, Grecs, Italiens, ils connaissaient bien la vie pastorale, les grands troupeaux de brebis, les risques et les responsabilités du gardien.

Des mots qui ont vieilli?
Me trompé-je en pensant que l'image du Bon Berger a perdu pour nous de sa puissance dynamique? Nous avons relégué comme désuètes les expressions de «brebis du Seigneur» pour désigner les chrétiens, «troupeau» pour désigner la communauté, « ouailles», c'est-à-dire brebis, pour désigner les paroissiens. Seul le mot de « pasteur» (berger) a subsisté. Mais nous ne l'employons plus guère pour parler du Christ : le «Bon Pasteur», ou le «Bon Berger». On préfère, surtout lorsqu'on s'adresse à la jeunesse, parler de lui comme du Chef, du Capitaine, de l'Entraîneur. Et plutôt que de nous comparer à des brebis, nous préférerions comme symbole le lion ou même le loup. (Pensons au succès du terme scout : les petits loups et les mères louves.)

Réhabilitation du berger
Faut-il abandonner le terme de « Bon Berger»? Mais en somme qu'est-ce qu'un berger?

Dépouillons notre pensée de toutes les images mièvres que la littérature nous a données du berger et de la bergère. Évoquons les grands troupeaux de brebis - non pas ceux que nous voyons dans notre petit canton - ceux qui déferlent comme une houle sur les pâturages de la Judée près de Bethléem ou de la Samarie, près du mont Garizim. C'est tantôt un grouillement tumultueux, tantôt une dispersion de toutes les brebis dans la vaste étendue. Les voici soudain qui s'élancent toutes, de près et de loin, de tout l'espace du pâturage et se pressent comme attirées par une force irrésistible. Elles dévalent sur les pentes gazonnées, elles enjambent les petits murs de pierre, elles se hâtent en bêlant.
Le berger, fière silhouette campée sur son bâton, les rassemble; elles ont reconnu sa voix; elles le suivent. C'est l'heure de passer dans un autre pâturage. Le berger a senti se lever le vent. Il conduira son troupeau dans un endroit plus abrité. Il presse ou ralentit la marche selon la nature du chemin; il fait garder le flanc du troupeau par ses chiens afin que les brebis ne se dispersent pas; il porte dans ses bras les agneaux nés aux champs, incapables de suivre leur mère. Il croise une tribu de nomades, aux yeux pleins de convoitise. Les brebis n'ont pas peur. Le berger les protège. Il a son bâton ferré, il a sa fronde. Il saurait s'en servir, si quelque pillard voulait S'emparer d'un agneau, comme il a su chasser les loups, et l'ours au sourd grondement, et même le lion, dont le lointain rugissement sur les plateaux de Transjordanie a fait trembler le troupeau. Le berger conduit ses brebis et combat pour ses brebis, et il donnerait sa vie pour ses brebis car il les aime, et son honneur de berger veut que pas une de ses brebis ne soit perdue. Comme le dit un vieux dicton: « Brebis de bon berger ne meurt jamais. » Mais il est un autre dicton qui dit : « Qui troupeau a, guerre a. » Car il faut protéger le troupeau contre les ennemis du dehors, discipliner le troupeau, veiller sur lui et de jour et de nuit. « Si le berger s'endort à l'ombre, néglige la sévère conduite des bêtes, les chiens ralentissent leur vigilance, les moutons se dispersent, les plus vagabonds entraînant les autres. La liberté est belle, le plaisir de courir et de flâner fait oublier qu'on se trouve là pour brouter. Les heures passent et les ventres sont creux. »

Noblesse de la vie pastorale
Tout au long de la journée, le berger conduit son troupeau, règle sa marche, choisit le pâturage, assiste les brebis qui mettent bas, soigne celles qui sont malades. Et, le soir, il est le dernier couché. Il s'enroule dans son lourd manteau qui lui sert de lit auprès de ses bêtes, dans un coin du bercail pour qu'entre lui et son troupeau la vie commune soit totale, pour qu'elle se confonde dans une même chaleur d'amitié. Souvent il se couche en travers de la porte, éveillé au moindre bruit, mettant son corps entre le troupeau et le rôdeur qui voudrait s'introduire dans le bercail à la faveur de la nuit. Il est lui-même la porte. C'est sans doute le sens de l'expression de Jésus: « je suis la porte des brebis. »

Le rude berger, tout bruni par le soleil, endurci par sa vie de plein air, sans autre société que 'celle de ses brebis et de son chien, aime son troupeau. Parfois il l'emmène sur des pâturages éloignés du village, et ne peut le ramener pour la nuit. Il faut alors passer les veilles de la nuit à garder les troupeaux, comme ces bergers qui veillaient près de Bethléem dans la nuit de Noël. Car berger ne dort quand il y a danger.

J'emprunte bien des traits de cette description à un ouvrage tout récemment publié par un berger des Hautes-Alpes sur la vie des troupeaux (1). Et voici ce qui m'a encore vivement frappé : Pour être un bon berger, il ne suffit pas d'être courageux, combatif, de commander avec autorité. « La brebis est très sensible à tous les impondérables remous que l'homme déplace autour de lui par sa seule présence, à l'état extérieur dans lequel il se présente, gestes, mouvements du corps, habillement, à l'état d'esprit qui l'anime, nervosité, orage du coeur, même à l'imperceptible halo de sentiments qui l'entoure et dont il est lui-même inconscient. Qu'il pénètre dans une bergerie sans cette disposition d'âme requise qui veut le repos dans les sentiments, la modération, le sang-froid, sans ce niveau de grâce atteint, on verra les brebis se ruer en avant, se débander, prises d'une panique soudaine. Comme si cette entrée les eût boutées hors d'elles-mêmes, rejetées du recueillement dans lequel elles se tenaient. ... C'est pourquoi on ne peut être bon berger que si l'on est de pacifique complexion, maître de soi-même, aussi bien de son âme que de son corps, pur dans ses moeurs, calme dans son humeur, appareillé à l'allure même de cette tranquillité qu'inspirent les troupeaux. »

Jésus, le Bon Berger
Il est pour les siens, pour cette foule qui le presse, le berger. Sans lui, ils étaient « comme des brebis sans berger», ces Galiléens abandonnés à eux-mêmes, et c'est une pauvre existence que celle d'une brebis sans berger, brebis errante, brebis affolée, brebis aux abois, proie facile pour ceux qui la guettent.

Ils étaient las de suivre les mauvais bergers qui s'étaient offerts pour les garder : pharisiens pleins d'orgueil et de mépris, ordonnant des choses qu'ils ne faisaient pas eux-mêmes, rabbis et docteurs de la loi habiles à couper les cheveux en quatre et à interpréter les commandements sans en comprendre l'esprit, chefs politiques désireux de secouer le joug de Rome, à l'âme fanatique, assoiffée de vengeance, sadducéens amis de la paix, mais au prix de quels compromis avec le monde païen !

Jésus a été pour eux le berger dont ils avaient besoin. Spontanément ils se sont rangés autour de lui, ils lui ont fait confiance, ils ont écouté sa voix. Comme un bon berger, Jésus sait ce qu'il faut à ses brebis, il les conduit à la source de la vie, il sait que leurs coeurs sont inquiets jusqu'à ce qu'ils aient été ramenés à Dieu. Il les détourne des steppes arides, de ce qui fait illusion et ne rassasie pas, de la conquête des richesses. Il révèle à la Samaritaine la source d'eau vive. Il conduit à Dieu ceux qui ont longtemps erré à la recherche des biens de ce monde ou de la sagesse des hommes, il sait quels sont les bons pâturages, et ceux qui se laissent conduire par lui sont rassasiés.

Comme un bon berger, il garde ceux qui se confient en lui. Il vient à leur secours, quand ils sont assaillis par le doute ou par l'hostilité des hommes ou par les offensives du prince des ténèbres. « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. » « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi? » « Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps et ne peuvent tuer votre âme. » « Ne crains point, crois seulement. » Le Bon Berger est fort. « Prenez courage, j'ai vaincu le monde. » N'est-il pas le bon, le fort berger, le fier berger, celui qui devant Pilate parle pour ses brebis? Il n'a point trompé ni séduit les hommes, et il donnera sa vie pour eux, puisqu'il le faut. En donnant sa vie, il agit en berger; en ressuscitant, il conduira tous ceux qui ont mis en lui sa confiance, tout le troupeau que son Père lui a donné, jusqu'aux célestes domaines, là où les loups et les pirates ne pourront plus rien sur les brebis rachetées, gardées.

Comme un berger, il est l'âme du troupeau; ceux qui viennent à lui, juifs, Grecs, esclaves et hommes libres, riches et pauvres, séparés par tant de barrières que les hommes ont dressées entre eux, deviennent un seul troupeau. Un lien plus fort que le lien du sang, le lien de la race, ou celui d'intérêts communs ou d'idées communes, unit tous ceux qui sont gardés par le Bon Pasteur.

Qui troupeau a, guerre a
Il parle avec autorité. Il exige une stricte discipline de ceux qui le suivent. Il est sévère quand les brebis s'égaillent dans les champs emblavés, ou s'attardent paresseusement. Il tance ses disciples qui s'égarent en vaines discussions: « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés ! » Qui troupeau a, guerre a. Non seulement guerre avec ceux du dehors, pharisiens et hérodiens. Guerre pour discipliner son troupeau. Car les hommes sont plus difficiles à conduire que des brebis. « Il est certain, écrit Calvin, que de nature nous ne sommes rien moins que brebis, mais plutôt nous naissons tous lions, tygres, loups et ours, jusqu'à ce que l'Esprit du Seigneur Jésus nous apprivoise, et que de bestes sauvages et farouches, il nous face brebis. »

Et même quand nous sommes brebis, ne sommes-nous pas des brebis déconcertantes? Des brebis qui s'évadent sur toutes sortes de pâturages, permis ou interdits, des brebis qui écoutent avec plaisir toutes sortes de bergers à la voix séduisante et aux appels flatteurs, des brebis qui, le soir, à l'heure du danger, viennent se blottir près de leur Bon Berger, la laine encore toute souillée de la boue des marécages où elles ont erré pendant le jour. Et demain nous recommencerons cette vie disloquée entre les mauvais bergers et le bon, jaloux de notre indépendance, heureux en même temps de nous savoir gardés. De quelle patience fait preuve le berger!

Il est fort. Mais son autorité n'est pas la contrainte brutale. Comme un bon berger, il est maître de lui-même, aussi bien de son âme que de son corps. Au plus fort de la tempête, il reste calme. Il donne la paix, il donne la joie, parce qu'il est lui-même en paix; il déborde de cette calme assurance, de cette joie paisible que Dieu seul peut faire jaillir en ce monde.

Splendeur de vivre sous la garde du Bon Berger
Il est le Bon Berger. Il l'a été pour Pierre et pour Jean, pour Marthe et Marie, pour Nathanaël et Bartimée. Par sa résurrection et sa présence invisible dans l'Église il continue d'être le Bon Berger. Dans la nuit, quand la tempête fait rage au dehors, les brebis serrées au, bercail ne voient pas le berger. Mais elles ont confiance, elles savent qu'il est là. Elles peuvent demeurer paisibles. «Brebis de bon berger ne meurt jamais. » Dans la nuit où se débat notre humanité, nous ne voyons pas le Christ, nous ne voyons que des démons; tout le bercail est ébranlé et secoué jusqu'en ses fondements. Mais nous savons qu'il est là, celui qui nous garde. Il combat pour les siens, « il ne sommeille ni ne dort », il prend dans ses bras les plus faibles et ceux que ce monde brutal a blessés, ceux dont la foi est ébranlée, ceux qui ne savent plus même prier. Blessures mortelles? Non pas ! Car brebis de bon berger ne meurt jamais.

Appelez Jésus « le lion de Juda », si vous voulez, car il peut être terrible, et ses adversaires tremblent devant lui. Dites avec l'Apocalypse qu'« il monte un cheval blanc » et que « de sa bouche sort une épée tranchante dont il va frapper les nations ». Dites qu'il est le « Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ».
Mais en le nommant le « Bon Berger » nous aurons dit tout ensemble et sa force et son amour.

Nous aurons dit aussi ce qu'il doit être pour chacun de nous.
Car il ne me suffit pas qu'il soit « le Bon Berger ». Il faut qu'il soit « mon berger ». L'est-il vraiment? Le considères-tu comme ton berger? Le connais-tu comme les brebis connaissent leur berger, n'écoutant que sa voix? Sinon, que fais-tu pour le connaître? Lui obéis-tu comme on obéit au berger, fuyant les terres qu'il te dit de fuir, renonçant aux nourritures qu'il te défend, nourrissant ton esprit et ton coeur de ce qu'il te donne? Sinon, pourquoi te dis-tu chrétien? As-tu confiance en lui, ne redoutant qu'une chose, lui déplaire?

Jésus, Christ, mon berger ! je le dis. Ou plutôt je veux le dire, je veux n'avoir d'autre berger que toi. Dès l'aube, je marcherai à ta voix, je te suivrai sur les sentiers que tu me montreras. Et quand viendra le soir, je n'aurai point de crainte. Je sais que le jour où je ne pourrai plus avancer le Bon Berger prendra soin de sa brebis; il conduira toutes ses brebis dans les demeures éternelles.

« je suis le Bon Berger. »
« Nous sommes les brebis que tu conduis. »


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LE PAIN VIF


Je suis le pain de vie qui est descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Jean 6, v. 51


Notre pain quotidien
De toute antiquité le pain fut la nourriture des hommes. Le cultivateur a labouré la terre, semé le grain; les pluies ont fertilisé les champs; le soleil a fait lever le blé, il a mûri les épis; les moissonneurs ont lié les gerbes lourdes; ils ont battu le blé, ils l'ont vanné; il a fallu moudre le grain, pétrir la pâte, cuire le pain.

Quand Jésus prenait un pain pour le rompre entre ses disciples, il rendait grâces, il évoquait la providence de Dieu et la peine des hommes. Lorsque Jésus apparut aux disciples en route vers Emmaüs, ils ne le reconnurent point à ses paroles ni à ses gestes. Mais « quand il fut à table avec eux, il prit le pain, et après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le leur donna. Alors, dit l'Évangile, leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent. » Il n'y avait que le Maître pour mettre tant de clarté dans ce geste familier.
« Mange ton pain avec joie », dit l'Ecclésiaste.
« Mange ton pain avec émotion », dit Ezéchiel.
« Mange ton pain paisiblement », dit saint Paul.

Les méthodes de travail ont changé de nos jours, mais c'est toujours la même terre qu'il faut labourer, le même soleil qui fait lever le blé; le pain est le fruit d'un long labeur; en lui se résume la peine des hommes et celle de Dieu.
« Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. »

Béni sois-tu pour ce pain. Que nous sachions le partager avec ceux qui n'en ont pas.

Mais « l'homme ne vit pas de pain seulement ». Il ne lui suffit pas de nourrir son corps. Dans l'abondance, il peut se trouver misérable. Les besoins du coeur, l'inquiétude, les aspirations profondes de la nature humaine, le pain ne peut les rassasier. Que feraient toutes les richesses matérielles du monde à celui qui est seul, qui pleure un de ses bien-aimés, que ronge le remords ou qui tremble devant l'éternité?
L'homme ne vit pas de pain seulement, du pain qui nourrit son corps; il lui faut d'autres nourritures.

Pain de mort
Les uns n'ont pour pain que leur chagrin; ils peuvent dire avec le psalmiste : « Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit. »

D'autres se nourrissent de rancunes et de haines, ils attendent le jour des réparations, l'heure de la vengeance; leur pain est âcre, et ils ne sont jamais rassasiés. Ils font leur pâture quotidienne d'une déception; ils ne peuvent accepter un échec, une blessure d'amour-propre, une humiliation; et ils n'ont d'autre nourriture que de ronger cette peine secrète, pain dur comme une pierre, poivre au lieu de pain.

D'autres encore se nourrissent d'illusions et de rêves; ils croient que la vie est un roman, ils attendent la chance, la fortune, le gros lot; trouvant leur vie monotone, ils vivent de chimères; leur pain est sans consistance et ne les nourrit pas, sable au lieu de pain.

Nourritures terrestres, nourritures d'un jour
Il y a heureusement d'autres pains, d'autres nourritures du coeur qui n'ont pas cette saveur de mort. Les uns vivent d'une noble ambition, les autres se nourrissent de la joie du travail, joie de l'effort physique, joie du sportif, joie du montagnard qui conquiert une cime, joie de l'étude ou de la recherche scientifique, joie de servir sa patrie ou l'humanité souffrante, joie d'agir et de se dépenser, émotions artistiques.
Tout cela, C'est du pain pour nos coeurs, un pain pour lequel il faut savoir rendre grâces à Dieu.

Béni sois-tu, Seigneur, de nous avoir donné ce pain-là et celui de l'amitié et celui de l'amour ! Ce pain-là n'est pas un pain de mort ! Mais ce n'est pas encore le « pain de vie ».

Toutes ces joies sont terrestres et limitées, et nous sommes en marche vers l'éternité, et nous avons besoin d'infini. Qui chérit un être bien-aimé tremble en pensant à l'inéluctable séparation. Qui aime l'effort, la joie de l'étude et du travail, voit ses forces diminuer avec les années; le sportif devient, un vétéran et regrette ses vingt ans; l'ouvrier se voit refuser le travail parce qu'on le trouve trop vieux. Et celui qui dans l'âge mûr ou dans sa jeunesse est arrêté par la maladie, quel sera son pain?

La journée est courte, et nous mangeons notre pain à la hâte, comme un bien précieux qui peut nous être ôté d'un moment à l'autre. En nous, il y a toujours une faim inassouvie, une faim d'éternité, non pas seulement le désir de prolonger notre vie et nos affections au delà de la mort, mais le désir d'être en communion dès ici-bas avec l'infini. Nous sommes à la trace d'un paradis perdu.

Nous sommes comme ces avions que nous montrent les images de la guerre, avions abattus, avions aux ailes brisées. Quoi de plus triste que ces épaves d'avions ! Triste parce que nous y voyons notre propre destin; nous sommes là, comme eux, jetés à terre, nous qui avions la nostalgie des cimes; inutiles, nous qui voulions servir; souillés et maculés de péché, nous qui voulions nous élever au-dessus des turpitudes; blessés à mort, nous qui voulions vivre à jamais.
Y a-t-il un pain qui puisse répondre à notre faim d'absolu, d'éternité?

En ce temps-là, des hommes avaient faim
Ouvrons les Évangiles. Nous y trouvons des gens qui connaissent cette faim-là.
La Samaritaine a mangé le pain de luxure; mais elle cherche un autre pain; elle a faim de pardon et d'éternité.
Le péager Lévi a du pain en abondance; mais il a pris en dégoût sa fortune et son métier véreux. Comme l'enfant prodigue, il « meurt de faim ».
Les pêcheurs du lac de Génésareth, Jean et Jacques, les « fils du tonnerre», ont connu la joie de l'effort physique, de le péché laborieuse; ils ont la force et l'audace de la jeunesse. Mais pourquoi leur regard se perd-il au loin, vers quels rivages plus hauts que les collines de la Galilée?
Simon le Zélote s'est nourri de rêves révolutionnaires; il a connu l'exaltation, des complots; il voit déjà Jérusalem délivrée, l'humiliation des juifs lavée dans le sang. Mais ce pain le brûle au lieu de le faire vivre.
Nicodème, l'intellectuel, a mangé le pain de la science; il s'est nourri de philosophie, de gloire aussi, celle que lui vaut sa situation brillante à Jérusalem. Ce pain n'a plus de saveur. Et il ne résout pas la question: « Que faut-il faire pour avoir la vie éternelle? »
Marie-Madeleine a connu un grand amour, passion coupable qui lui a procuré des heures d'exaltation. L'ivresse est passée; il lui reste le sentiment d'une déchéance, d'un irréparable péché. Elle est brisée. Elle a faim.

Ils ont faim de pardon, de vie nouvelle, d'infini, d'amour plus fort que le péché, plus fort que la mort.
Ceux-là et tant d'autres, la Bible nous les montre qui s'acheminent par des sentiers tous différents mais convergeant vers Celui qui a dit : JE SUIS LE PAIN DE VIE.
Littéralement: « je suis le pain, le pain vivant, le pain qui descend du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. »
Ceux-là et tant d'autres, l'Évangile nous les montre apaisés, consolés, rassasiés, transfigurés par la présence du Christ.

« À qui irions-nous qu'à Toi, tu as les paroles de la vie éternelle! »
Tu es le pain de vie, Toi qui ne m'as pas condamné> mais pardonné et relevé.
Tu es le pain de vie, Toi en qui j'ai trouvé Dieu tout proche, car ma faim était la faim de Dieu.
Tu es le pain de vie, Toi qui m'associes à ta vie sainte et m'appelles à être ouvrier avec Toi.
Tu es le pain de vie, Toi qui m'as ôté la peur de la mort, puisqu'avec Toi mourir est un gain.
Parce que tu m'as aimé, je ne puis plus douter, parce que tu m'as relevé, je ne suis plus découragé, parce que tu es fort, je serai fort, parce que tu es le Vivant, je vivrai.
« Mon Seigneur et mon Dieu »

Je suis votre pain
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés... » « je suis le pain de vie. »

Le Christ s'adresse à chacun de nous. Il sait., jeunes gens, que vous avez faim et que votre coeur est inquiet et tourmenté jusqu'à ce qu'il ait trouvé Dieu. Il est le pain de vie.
Il sait, affligés, que votre pain est mêlé de larmes, il connaît votre lassitude. Il est le pain de vie.
Il sait, hommes forts, qui avez cru pouvoir vous passer de religion, que vous êtes inquiets du lendemain et déçus de vous-mêmes. Il est le pain de vie.
Il sait, malades privés pour un temps ou pour toujours du pain que mangent les autres hommes, il sait votre souffrance. Il vous offre une vie que la maladie ne pourra plus affaiblir. Il est le pain de vie.

Donne-nous toujours ce pain-là
Dans les temps où tout chancelle autour de nous, où la pensée de la mort nous devient familière, où l'on a honte de soi-même, où le découragement abat les plus robustes, à qui irions-nous qu'à celui qui donne le pain de vie?
Il n'est pas loin de nous. Au moment où tu l'invoques, où tu le pries, il est là, car il y a longtemps qu'il te cherche.
Il est là tout près, dans ta chambre, à ton chevet. C'est le Christ de ton enfance,, C'est le Christ de Noël, c'est le Christ des Évangiles, c'est le Christ dont chaque croix te rappelle la mort rédemptrice. Ouvre ta Bible. Élève vers lui ton coeur. Dis-lui : « Seigneur, aie pitié de moi. » « Kyrie eleison. » « Christ, viens à mon secours ! »

Prends et mange. Le pain de vie t'est donné. Nourris ton coeur de sa présence. C'est lui qui t'a protégé, c'est lui qui a fait naître en toi ces élans de courage, ce dégoût du péché, cette soif d'absolu, cette certitude que tout peut recommencer et qu'il y a des réalités invisibles plus sûres que celles que nous voyons. Il t'a déjà donné la nourriture qui fait vivre avant même que tu l'aies demandée.
Mais ne te contente pas de chercher de temps en temps la présence du Christ. Cherche d'abord, cherche premièrement, cherche toujours le Pain de vie. Il donnera leur vraie saveur à toutes les nourritures passagères que tu as déjà reçues de Dieu. Tout est transposé sur un plan nouveau, plan d'éternité. Nous ne nous détachons pas de ceux que nous aimons ni des oeuvres qui nous appellent, mais il y a dans notre amour et dans nos oeuvres quelque chose que la mort ne pourra plus détruire. Tout ce que le Christ, le Vivant, a touché, devient, comme lui, éternel.

Christ, notre pain !
Et nous aurons la franchise et le courage de renoncer aux pains de mort auxquels nous avions goûté. Car on ne peut vouloir en même temps la présence de Dieu et celle des démons, la paix du Christ et la satisfaction de nos passions, Dieu et Mammon. Un choix s'impose: Pain de vie ou pain de mort.
Marguerite de Navarre dit dans une de ses « Chansons spirituelles» :

« Si Dieu m'a pour chef Christ donné,
Faut-il que je suyve aultre maistre
S'il m'a le pain vif ordonné,
Faut-il du pain de mort repaistre ? »

Loué sois-tu, Seigneur, pour le pain qui nourrit nos corps !
Loué sois-tu pour toutes les bonnes nourritures que tu as données à nos coeurs ! Loué sois-tu surtout pour le « pain vif », le pain d'éternité, Christ, notre pain !
« Mon âme, bénis l'Éternel, et n'oublie aucun de ses bienfaits. »

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1 E. FINBERT, La vie pastorale. 
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