Jean 10, v. 11 |
Les premiers artistes chrétiens ont représenté le Christ sous
les traits d'un berger portant une brebis sur ses épaules. Aucune
recherche de ressemblance. Ce n'est pas le charpentier de
Nazareth, le Maître qu'ont connu les disciples. C'est un symbole. Vous
avez peut-être présente à l'esprit cette statuette gracieuse que l'on
voit sur tous les livres d'art chrétien. C'est un jeune homme, presque
un enfant, sans barbe, sans auréole, au profil grec, au regard clair
et enthousiaste.
L'image du « Bon Berger» était chère aux premières
générations de chrétiens. juifs, Grecs, Italiens, ils connaissaient
bien la vie pastorale, les grands troupeaux de brebis, les risques et
les responsabilités du gardien.
Des mots qui ont vieilli?
Me trompé-je en pensant que l'image du Bon Berger a perdu
pour nous de sa puissance dynamique? Nous avons relégué comme désuètes
les expressions de «brebis du Seigneur» pour désigner les chrétiens,
«troupeau» pour désigner la communauté, « ouailles», c'est-à-dire
brebis, pour désigner les paroissiens. Seul le mot de « pasteur»
(berger) a subsisté. Mais nous ne l'employons plus guère pour parler
du Christ : le «Bon Pasteur», ou le «Bon Berger». On préfère, surtout
lorsqu'on s'adresse à la jeunesse, parler de lui comme du Chef, du
Capitaine, de l'Entraîneur. Et plutôt que de nous comparer à des
brebis, nous préférerions comme symbole le lion ou
même le loup. (Pensons au succès du terme scout : les petits loups et
les mères louves.)
Réhabilitation du berger
Faut-il abandonner le terme de « Bon Berger»? Mais en
somme qu'est-ce qu'un berger?
Dépouillons notre pensée de toutes les images mièvres que
la littérature nous a données du berger et de la bergère. Évoquons les
grands troupeaux de brebis - non pas ceux que nous voyons dans notre
petit canton - ceux qui déferlent comme une houle sur les pâturages de
la Judée près de Bethléem ou de la Samarie, près du mont Garizim.
C'est tantôt un grouillement tumultueux, tantôt une dispersion de
toutes les brebis dans la vaste étendue. Les voici soudain qui
s'élancent toutes, de près et de loin, de tout l'espace du pâturage et
se pressent comme attirées par une force irrésistible. Elles dévalent
sur les pentes gazonnées, elles enjambent les petits murs de pierre,
elles se hâtent en bêlant.
Le berger, fière silhouette campée sur son bâton, les
rassemble; elles ont reconnu sa voix; elles le suivent. C'est l'heure
de passer dans un autre pâturage. Le berger a senti se lever le vent.
Il conduira son troupeau dans un endroit plus abrité. Il presse ou ralentit
la marche selon la nature du chemin; il fait garder le flanc du
troupeau par ses chiens afin que les brebis ne se dispersent pas; il
porte dans ses bras les agneaux nés aux champs, incapables de suivre
leur mère. Il croise une tribu de nomades, aux yeux pleins de
convoitise. Les brebis n'ont pas peur. Le berger les protège. Il a son
bâton ferré, il a sa fronde. Il saurait s'en servir, si quelque
pillard voulait S'emparer d'un agneau, comme il a su chasser les
loups, et l'ours au sourd grondement, et même le lion, dont le
lointain rugissement sur les plateaux de Transjordanie a fait trembler
le troupeau. Le berger conduit ses brebis et combat pour ses brebis,
et il donnerait sa vie pour ses brebis car il les aime, et son honneur
de berger veut que pas une de ses brebis ne soit perdue. Comme le dit
un vieux dicton: « Brebis de bon berger ne meurt jamais. » Mais il est
un autre dicton qui dit : « Qui troupeau a, guerre a. » Car il faut
protéger le troupeau contre les ennemis du dehors, discipliner le
troupeau, veiller sur lui et de jour et de nuit. « Si le berger
s'endort à l'ombre, néglige la sévère conduite des bêtes, les chiens
ralentissent leur vigilance, les moutons se dispersent, les plus
vagabonds entraînant les autres. La liberté est belle, le plaisir de
courir et de flâner fait oublier qu'on se trouve là
pour brouter. Les heures passent et les ventres sont creux. »
Noblesse de la vie pastorale
Tout au long de la journée, le berger conduit son
troupeau, règle sa marche, choisit le pâturage, assiste les brebis qui
mettent bas, soigne celles qui sont malades. Et, le soir, il est le
dernier couché. Il s'enroule dans son lourd manteau qui lui sert de
lit auprès de ses bêtes, dans un coin du bercail pour qu'entre lui et
son troupeau la vie commune soit totale, pour qu'elle se confonde dans
une même chaleur d'amitié. Souvent il se couche en travers de la
porte, éveillé au moindre bruit, mettant son corps entre le troupeau
et le rôdeur qui voudrait s'introduire dans le bercail à la faveur de
la nuit. Il est lui-même la porte. C'est sans doute le sens de
l'expression de Jésus: « je suis la porte des brebis. »
Le rude berger, tout bruni par le soleil, endurci par sa
vie de plein air, sans autre société que 'celle de ses brebis et de
son chien, aime son troupeau. Parfois il l'emmène sur des pâturages
éloignés du village, et ne peut le ramener pour la nuit. Il faut alors
passer les veilles de la nuit à garder les troupeaux, comme ces
bergers qui veillaient près de Bethléem dans la
nuit de Noël. Car berger ne dort quand il y a danger.
J'emprunte bien des traits de cette description à un
ouvrage tout récemment publié par un berger des Hautes-Alpes sur la
vie des troupeaux (1).
Et voici ce qui m'a encore vivement frappé : Pour être un bon berger,
il ne suffit pas d'être courageux, combatif, de commander avec
autorité. « La brebis est très sensible à tous les impondérables
remous que l'homme déplace autour de lui par sa seule présence, à
l'état extérieur dans lequel il se présente, gestes, mouvements du
corps, habillement, à l'état d'esprit qui l'anime, nervosité, orage du
coeur, même à l'imperceptible halo de sentiments qui l'entoure et dont
il est lui-même inconscient. Qu'il pénètre dans une bergerie sans
cette disposition d'âme requise qui veut le repos dans les sentiments,
la modération, le sang-froid, sans ce niveau de grâce atteint, on
verra les brebis se ruer en avant, se débander, prises d'une panique
soudaine. Comme si cette entrée les eût boutées hors d'elles-mêmes,
rejetées du recueillement dans lequel elles se tenaient. ... C'est
pourquoi on ne peut être bon berger que si l'on est
de pacifique complexion, maître de soi-même, aussi bien de son âme que
de son corps, pur dans ses moeurs, calme dans son humeur, appareillé à
l'allure même de cette tranquillité qu'inspirent les troupeaux. »
Jésus, le Bon Berger
Il est pour les siens, pour cette foule qui le presse, le
berger. Sans lui, ils étaient « comme des brebis sans berger», ces
Galiléens abandonnés à eux-mêmes, et c'est une pauvre existence que
celle d'une brebis sans berger, brebis errante, brebis affolée, brebis
aux abois, proie facile pour ceux qui la guettent.
Ils étaient las de suivre les mauvais bergers qui
s'étaient offerts pour les garder : pharisiens pleins d'orgueil et de
mépris, ordonnant des choses qu'ils ne faisaient pas eux-mêmes, rabbis
et docteurs de la loi habiles à couper les cheveux en quatre et à
interpréter les commandements sans en comprendre l'esprit, chefs
politiques désireux de secouer le joug de Rome, à l'âme fanatique,
assoiffée de vengeance, sadducéens amis de la paix, mais au prix de
quels compromis avec le monde païen !
Jésus a été pour eux le berger dont ils avaient besoin.
Spontanément ils se sont rangés autour de lui, ils
lui ont fait confiance, ils ont écouté sa voix. Comme un bon berger,
Jésus sait ce qu'il faut à ses brebis, il les conduit à la source de
la vie, il sait que leurs coeurs sont inquiets jusqu'à ce qu'ils aient
été ramenés à Dieu. Il les détourne des steppes arides, de ce qui fait
illusion et ne rassasie pas, de la conquête des richesses. Il révèle à
la Samaritaine la source d'eau vive. Il conduit à Dieu ceux qui ont
longtemps erré à la recherche des biens de ce monde ou de la sagesse
des hommes, il sait quels sont les bons pâturages, et ceux qui se
laissent conduire par lui sont rassasiés.
Comme un bon berger, il garde ceux qui se confient en
lui. Il vient à leur secours, quand ils sont assaillis par le doute ou
par l'hostilité des hommes ou par les offensives du prince des
ténèbres. « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. » «
Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi? » « Ne craignez pas ceux
qui peuvent tuer le corps et ne peuvent tuer votre âme. » « Ne crains
point, crois seulement. » Le Bon Berger est fort. « Prenez courage,
j'ai vaincu le monde. » N'est-il pas le bon, le fort berger, le fier
berger, celui qui devant Pilate parle pour ses brebis? Il n'a point
trompé ni séduit les hommes, et il donnera sa vie pour eux, puisqu'il
le faut. En donnant sa vie, il agit en berger; en
ressuscitant, il conduira tous ceux qui ont mis en lui sa confiance,
tout le troupeau que son Père lui a donné, jusqu'aux célestes
domaines, là où les loups et les pirates ne pourront plus rien sur les
brebis rachetées, gardées.
Comme un berger, il est l'âme du troupeau; ceux qui
viennent à lui, juifs, Grecs, esclaves et hommes libres, riches et
pauvres, séparés par tant de barrières que les hommes ont dressées
entre eux, deviennent un seul troupeau. Un lien plus fort que le lien
du sang, le lien de la race, ou celui d'intérêts communs ou d'idées
communes, unit tous ceux qui sont gardés par le Bon Pasteur.
Qui troupeau a, guerre a
Il parle avec autorité. Il exige une stricte discipline
de ceux qui le suivent. Il est sévère quand les brebis s'égaillent
dans les champs emblavés, ou s'attardent paresseusement. Il tance ses
disciples qui s'égarent en vaines discussions: « Vous ne savez de quel
esprit vous êtes animés ! » Qui troupeau a, guerre a. Non seulement
guerre avec ceux du dehors, pharisiens et hérodiens. Guerre pour
discipliner son troupeau. Car les hommes sont plus difficiles à
conduire que des brebis. « Il est certain, écrit
Calvin, que de nature nous ne sommes rien moins que brebis, mais
plutôt nous naissons tous lions, tygres, loups et ours, jusqu'à ce que
l'Esprit du Seigneur Jésus nous apprivoise, et que de bestes sauvages
et farouches, il nous face brebis. »
Et même quand nous sommes brebis, ne sommes-nous pas des
brebis déconcertantes? Des brebis qui s'évadent sur toutes sortes de
pâturages, permis ou interdits, des brebis qui écoutent avec plaisir
toutes sortes de bergers à la voix séduisante et aux appels flatteurs,
des brebis qui, le soir, à l'heure du danger, viennent se blottir près
de leur Bon Berger, la laine encore toute souillée de la boue des
marécages où elles ont erré pendant le jour. Et demain nous
recommencerons cette vie disloquée entre les mauvais bergers et le
bon, jaloux de notre indépendance, heureux en même temps de nous
savoir gardés. De quelle patience fait preuve le berger!
Il est fort. Mais son autorité n'est pas la contrainte
brutale. Comme un bon berger, il est maître de lui-même, aussi bien de
son âme que de son corps. Au plus fort de la tempête, il reste calme.
Il donne la paix, il donne la joie, parce qu'il est lui-même en paix;
il déborde de cette calme assurance, de cette joie paisible que Dieu
seul peut faire jaillir en ce monde.
Splendeur de vivre sous la garde
du Bon Berger
Il est le Bon Berger. Il l'a été pour Pierre et pour
Jean, pour Marthe et Marie, pour Nathanaël et Bartimée. Par sa
résurrection et sa présence invisible dans l'Église il continue d'être
le Bon Berger. Dans la nuit, quand la tempête fait rage au dehors, les
brebis serrées au, bercail ne voient pas le berger. Mais elles ont
confiance, elles savent qu'il est là. Elles peuvent demeurer
paisibles. «Brebis de bon berger ne meurt jamais. » Dans la nuit où se
débat notre humanité, nous ne voyons pas le Christ, nous ne voyons que
des démons; tout le bercail est ébranlé et secoué jusqu'en ses
fondements. Mais nous savons qu'il est là, celui qui nous garde. Il
combat pour les siens, « il ne sommeille ni ne dort », il prend dans
ses bras les plus faibles et ceux que ce monde brutal a blessés, ceux
dont la foi est ébranlée, ceux qui ne savent plus même prier.
Blessures mortelles? Non pas ! Car brebis de bon berger ne meurt
jamais.
Appelez Jésus « le lion de Juda », si vous voulez, car il
peut être terrible, et ses adversaires tremblent devant lui. Dites
avec l'Apocalypse qu'« il monte un cheval blanc » et que « de sa
bouche sort une épée tranchante dont il va frapper
les nations ». Dites qu'il est le « Roi des rois et le Seigneur des
seigneurs ».
Mais en le nommant le « Bon Berger » nous aurons dit tout
ensemble et sa force et son amour.
Nous aurons dit aussi ce qu'il doit être pour chacun de
nous.
Car il ne me suffit pas qu'il soit « le Bon Berger ». Il
faut qu'il soit « mon berger ». L'est-il vraiment? Le considères-tu
comme ton berger? Le connais-tu comme les brebis connaissent leur
berger, n'écoutant que sa voix? Sinon, que fais-tu pour le connaître?
Lui obéis-tu comme on obéit au berger, fuyant les terres qu'il te dit
de fuir, renonçant aux nourritures qu'il te défend, nourrissant ton
esprit et ton coeur de ce qu'il te donne? Sinon, pourquoi te dis-tu
chrétien? As-tu confiance en lui, ne redoutant qu'une chose, lui
déplaire?
Jésus, Christ, mon berger ! je le dis. Ou plutôt je veux
le dire, je veux n'avoir d'autre berger que toi. Dès l'aube, je
marcherai à ta voix, je te suivrai sur les sentiers que tu me
montreras. Et quand viendra le soir, je n'aurai point de crainte. Je
sais que le jour où je ne pourrai plus avancer le
Bon Berger prendra soin de sa brebis; il conduira toutes ses brebis
dans les demeures éternelles.
« je suis le Bon Berger. »
« Nous sommes les brebis que tu conduis. »
Jean 6, v. 51 |
Notre pain quotidien
De toute antiquité le pain fut la nourriture des hommes.
Le cultivateur a labouré la terre, semé le grain; les pluies ont
fertilisé les champs; le soleil a fait lever le blé, il a mûri les
épis; les moissonneurs ont lié les gerbes lourdes; ils ont battu le
blé, ils l'ont vanné; il a fallu moudre le grain, pétrir la pâte,
cuire le pain.
Quand Jésus prenait un pain pour le rompre entre ses
disciples, il rendait grâces, il évoquait la providence de Dieu et la
peine des hommes. Lorsque Jésus apparut aux disciples en route vers
Emmaüs, ils ne le reconnurent point à ses paroles ni à ses gestes.
Mais « quand il fut à table avec eux, il prit le pain, et après avoir
prononcé la bénédiction, il le rompit et le leur donna. Alors, dit
l'Évangile, leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent. » Il n'y
avait que le Maître pour mettre tant de clarté dans ce geste familier.
« Mange ton pain avec joie », dit l'Ecclésiaste.
« Mange ton pain avec émotion », dit Ezéchiel.
« Mange ton pain paisiblement », dit saint Paul.
Les méthodes de travail ont changé de nos jours, mais
c'est toujours la même terre qu'il faut labourer, le même soleil qui
fait lever le blé; le pain est le fruit d'un long labeur; en lui se
résume la peine des hommes et celle de Dieu.
« Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. »
Béni sois-tu pour ce pain. Que nous sachions le partager
avec ceux qui n'en ont pas.
Mais « l'homme ne vit pas de pain seulement ». Il ne lui
suffit pas de nourrir son corps. Dans l'abondance,
il peut se trouver misérable. Les besoins du coeur, l'inquiétude, les
aspirations profondes de la nature humaine, le pain ne peut les
rassasier. Que feraient toutes les richesses matérielles du monde à
celui qui est seul, qui pleure un de ses bien-aimés, que ronge le
remords ou qui tremble devant l'éternité?
L'homme ne vit pas de pain seulement, du pain qui nourrit
son corps; il lui faut d'autres nourritures.
Pain de mort
Les uns n'ont pour pain que leur chagrin; ils peuvent
dire avec le psalmiste : « Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit.
»
D'autres se nourrissent de rancunes et de haines, ils
attendent le jour des réparations, l'heure de la vengeance; leur pain
est âcre, et ils ne sont jamais rassasiés. Ils font leur pâture
quotidienne d'une déception; ils ne peuvent accepter un échec, une
blessure d'amour-propre, une humiliation; et ils n'ont d'autre
nourriture que de ronger cette peine secrète, pain dur comme une
pierre, poivre au lieu de pain.
D'autres encore se nourrissent d'illusions et de rêves;
ils croient que la vie est un roman, ils attendent la chance, la
fortune, le gros lot; trouvant leur vie monotone,
ils vivent de chimères; leur pain est sans consistance et ne les
nourrit pas, sable au lieu de pain.
Nourritures terrestres,
nourritures d'un jour
Il y a heureusement d'autres pains, d'autres nourritures
du coeur qui n'ont pas cette saveur de mort. Les uns vivent d'une
noble ambition, les autres se nourrissent de la joie du travail, joie
de l'effort physique, joie du sportif, joie du montagnard qui
conquiert une cime, joie de l'étude ou de la recherche scientifique,
joie de servir sa patrie ou l'humanité souffrante, joie d'agir et de
se dépenser, émotions artistiques.
Tout cela, C'est du pain pour nos coeurs, un pain pour
lequel il faut savoir rendre grâces à Dieu.
Béni sois-tu, Seigneur, de nous avoir donné ce pain-là et
celui de l'amitié et celui de l'amour ! Ce pain-là n'est pas un pain
de mort ! Mais ce n'est pas encore le « pain de vie ».
Toutes ces joies sont terrestres et limitées, et nous
sommes en marche vers l'éternité, et nous avons besoin d'infini. Qui
chérit un être bien-aimé tremble en pensant à l'inéluctable
séparation. Qui aime l'effort, la joie de l'étude
et du travail, voit ses forces diminuer avec les années; le sportif
devient, un vétéran et regrette ses vingt ans; l'ouvrier se voit
refuser le travail parce qu'on le trouve trop vieux. Et celui qui dans
l'âge mûr ou dans sa jeunesse est arrêté par la maladie, quel sera son
pain?
La journée est courte, et nous mangeons notre pain à la
hâte, comme un bien précieux qui peut nous être ôté d'un moment à
l'autre. En nous, il y a toujours une faim inassouvie, une faim
d'éternité, non pas seulement le désir de prolonger notre vie et nos
affections au delà de la mort, mais le désir d'être en communion dès
ici-bas avec l'infini. Nous sommes à la trace d'un paradis perdu.
Nous sommes comme ces avions que nous montrent les images
de la guerre, avions abattus, avions aux ailes brisées. Quoi de plus
triste que ces épaves d'avions ! Triste parce que nous y voyons notre
propre destin; nous sommes là, comme eux, jetés à terre, nous qui
avions la nostalgie des cimes; inutiles, nous qui voulions servir;
souillés et maculés de péché, nous qui voulions nous élever au-dessus
des turpitudes; blessés à mort, nous qui voulions vivre à jamais.
Y a-t-il un pain qui puisse répondre à notre faim
d'absolu, d'éternité?
En ce temps-là, des hommes
avaient faim
Ouvrons les Évangiles. Nous y trouvons des gens qui
connaissent cette faim-là.
La Samaritaine a mangé le pain de luxure; mais elle
cherche un autre pain; elle a faim de pardon et d'éternité.
Le péager Lévi a du pain en abondance; mais il a pris en
dégoût sa fortune et son métier véreux. Comme l'enfant prodigue, il «
meurt de faim ».
Les pêcheurs du lac de Génésareth, Jean et Jacques, les «
fils du tonnerre», ont connu la joie de l'effort physique, de le péché
laborieuse; ils ont la force et l'audace de la jeunesse. Mais pourquoi
leur regard se perd-il au loin, vers quels rivages plus hauts que les
collines de la Galilée?
Simon le Zélote s'est nourri de rêves révolutionnaires;
il a connu l'exaltation, des complots; il voit déjà Jérusalem
délivrée, l'humiliation des juifs lavée dans le sang. Mais ce pain le
brûle au lieu de le faire vivre.
Nicodème, l'intellectuel, a mangé le pain de la science;
il s'est nourri de philosophie, de gloire aussi, celle que lui vaut sa
situation brillante à Jérusalem. Ce pain n'a plus de saveur. Et il ne
résout pas la question: « Que faut-il faire pour avoir la vie
éternelle? »
Marie-Madeleine a connu un grand amour, passion coupable
qui lui a procuré des heures d'exaltation. L'ivresse est passée; il
lui reste le sentiment d'une déchéance, d'un irréparable péché. Elle
est brisée. Elle a faim.
Ils ont faim de pardon, de vie nouvelle, d'infini,
d'amour plus fort que le péché, plus fort que la mort.
Ceux-là et tant d'autres, la Bible nous les montre qui
s'acheminent par des sentiers tous différents mais convergeant vers
Celui qui a dit : JE SUIS LE PAIN DE VIE.
Littéralement: « je suis le pain, le pain vivant, le pain
qui descend du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra
éternellement. »
Ceux-là et tant d'autres, l'Évangile nous les montre
apaisés, consolés, rassasiés, transfigurés par la présence du Christ.
« À qui irions-nous qu'à Toi, tu as les paroles de la vie
éternelle! »
Tu es le pain de vie, Toi qui ne m'as pas condamné>
mais pardonné et relevé.
Tu es le pain de vie, Toi en qui j'ai trouvé Dieu tout
proche, car ma faim était la faim de Dieu.
Tu es le pain de vie, Toi qui m'associes à ta vie sainte
et m'appelles à être ouvrier avec Toi.
Tu es le pain de vie, Toi qui m'as ôté la peur de la
mort, puisqu'avec Toi mourir est un gain.
Parce que tu m'as aimé, je ne puis plus douter, parce que
tu m'as relevé, je ne suis plus découragé, parce que tu es fort, je
serai fort, parce que tu es le Vivant, je vivrai.
« Mon Seigneur et mon Dieu »
Je suis votre pain
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés...
» « je suis le pain de vie. »
Le Christ s'adresse à chacun de nous. Il sait., jeunes
gens, que vous avez faim et que votre coeur est inquiet et tourmenté
jusqu'à ce qu'il ait trouvé Dieu. Il est le pain de vie.
Il sait, affligés, que votre pain est mêlé de larmes, il
connaît votre lassitude. Il est le pain de vie.
Il sait, hommes forts, qui avez cru pouvoir vous passer
de religion, que vous êtes inquiets du lendemain et déçus de
vous-mêmes. Il est le pain de vie.
Il sait, malades privés pour un temps ou pour toujours du
pain que mangent les autres hommes, il sait votre souffrance. Il vous
offre une vie que la maladie ne pourra plus affaiblir. Il est le pain
de vie.
Donne-nous toujours ce pain-là
Dans les temps où tout chancelle autour de nous, où la
pensée de la mort nous devient familière, où l'on a honte de soi-même,
où le découragement abat les plus robustes, à qui irions-nous qu'à
celui qui donne le pain de vie?
Il n'est pas loin de nous. Au moment où tu l'invoques, où
tu le pries, il est là, car il y a longtemps qu'il te cherche.
Il est là tout près, dans ta chambre, à ton chevet. C'est
le Christ de ton enfance,, C'est le Christ de Noël, c'est le Christ
des Évangiles, c'est le Christ dont chaque croix te rappelle la mort
rédemptrice. Ouvre ta Bible. Élève vers lui ton coeur. Dis-lui : «
Seigneur, aie pitié de moi. » « Kyrie eleison. » « Christ, viens à mon
secours ! »
Prends et mange. Le pain de vie t'est donné. Nourris ton
coeur de sa présence. C'est lui qui t'a protégé, c'est lui qui a fait
naître en toi ces élans de courage, ce dégoût du péché, cette soif
d'absolu, cette certitude que tout peut recommencer et qu'il y a des
réalités invisibles plus sûres que celles que nous voyons. Il t'a déjà
donné la nourriture qui fait vivre avant même que tu l'aies demandée.
Mais ne te contente pas de chercher de temps en temps la
présence du Christ. Cherche d'abord, cherche
premièrement, cherche toujours le Pain de vie. Il donnera leur vraie
saveur à toutes les nourritures passagères que tu as déjà reçues de
Dieu. Tout est transposé sur un plan nouveau, plan d'éternité. Nous ne
nous détachons pas de ceux que nous aimons ni des oeuvres qui nous
appellent, mais il y a dans notre amour et dans nos oeuvres quelque
chose que la mort ne pourra plus détruire. Tout ce que le Christ, le
Vivant, a touché, devient, comme lui, éternel.
Christ, notre pain !
Et nous aurons la franchise et le courage de renoncer aux
pains de mort auxquels nous avions goûté. Car on ne peut vouloir en
même temps la présence de Dieu et celle des démons, la paix du Christ
et la satisfaction de nos passions, Dieu et Mammon. Un choix s'impose:
Pain de vie ou pain de mort.
Marguerite de Navarre dit dans une de ses « Chansons
spirituelles» :
- « Si Dieu m'a pour chef Christ donné,
- Faut-il que je suyve aultre maistre
- S'il m'a le pain vif ordonné,
- Faut-il du pain de mort repaistre ? »
Loué sois-tu, Seigneur, pour le pain qui nourrit nos corps !
Loué sois-tu pour toutes les bonnes nourritures que tu as
données à nos coeurs ! Loué sois-tu surtout pour le
« pain vif », le pain d'éternité, Christ, notre pain !
« Mon âme, bénis l'Éternel, et n'oublie aucun de ses
bienfaits. »
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