On convint de tenir le synode
général réclamé par
Roger, et les députés du Vivarais
furent priés de se rendre d'ici septembre
à Saint-Jean-du-Gard. Là un ancien
devait les conduire auprès de leurs
compagnons. Les délégués du
Dauphiné, dont on n'avait aucune nouvelle
depuis près de deux mois, n'avaient
qu'à suivre les mêmes instructions.
Tout était soigneusement
prévu, jusqu'aux diverses adresses remises
aux voyageurs. Comme suite aux suggestions de Court
un synode provincial se réunit auparavant le
29 août 1725 en Vivarais. Rouvière y
participa. L'examen « de Bernard et de Durand
fut remis à la session suivante; mais la
vocation au Saint-Ministère adressée
aux deux hommes restait maintenue ». Roger
était présent. Pour confirmer les
accords conclus le 21 juin entre les trois
provinces, on décida que les
règlements adoptés seraient
portés en Languedoc par Durand,
délégué au prochain synode de
cette région. Là, ils seraient
Approuvés et signés par
tous.
Ce programme fut ponctuellement
suivi. Court se rendit le 3 septembre à
Saint-Jean avec les proposants de ses quartiers. Il
y retrouva Corteiz qui s'y reposait de
récentes fatigues, puis une semaine plus
tard, Durand et Roger, guidés par
Rouviére qui regagnait enfin son propre
champ d'activité. Le 13 le synode se
réunissait. Court en fut nommé
modérateur. Bien que les chefs des
Églises de l'Ardèche et du
Dauphiné fussent tous présents, le
colloque eut un caractère exclusivement
provincial. Il le fallait pour qu'on pût
régler les accords particuliers et faire
approuver par les représentants du Languedoc
les mesures adoptées par les autres
régions, avant que le synode national ne les
ratifiât au nom du protestantisme
français tout entier.
Ce fut néanmoins au cours de
cette réunion, que, selon Corteiz, « on
traita d'une étroite alliance, et qu'on
dressa des règlements pour serrer davantage
cette étroite union ». Voici
quelques-uns des règlements adoptés
:
« En premier lieu, le
Languedoc ne recevrait point de proposants dans le
plein ministère sans le consentement des
ministres du Dauphiné et du Vivarais, et
réciproquement pour chacune des provinces.
Ce qui a donné naissance à cet
article, c'est qu'on à douté que la
nécessité et la complaisance ne
mît le sacré ministère entre
les mains de personnes indignes de le manier.
Secondement, que nous serons tous attachés
aux 40 articles de la confession de foi ; en un mot
que nous aurions même doctrine à
l'égard des dogmes, même discipline,
et que nous nous donnerions mutuellement le secours
nécessaire dans tous les cas de
nécessité, sans qu'il y ait jamais
rien qui put avoir le moindre air de
rébellion contre le Roi
».
Durand et Roger entreprirent
à l'issue du colloque quelques courses en
Bas-Languedoc. Le 18 septembre, vers 10 heures du
soir, ils entrèrent dans « une ville
», peut-être Anduze, et faillirent y
rencontrer Court et sa femme. Mais les deux
époux ne passèrent malheureusement
« sur le pont » qu'une heure plus
tard.
Le jeune vivarois disposait
d'une
somme assez importante. Il en fit part à
Court qui voulait lui faire avancer par
Rouvière l'argent nécessaire à
son voyage de retour, et proposa même de
rembourser à ses amis de Nîmes la
petite dette contractée là-bas lors
de son passage en septembre 1723.
En outre de ces indications
rassurantes il transmit à
son maître une supplique de Monteil
désireux d'obtenir une recommandation qui
l'introduisît auprès des
réfugiés de Genève, où
il comptait se rendre prochainement. Durand, trop
heureux de se voir enfin délivré de
son difficile voisin, ne manquait pas d'en: appuyer
la. requête. L'attestation de Court ne
porterait aucune indication de date et Monteil
pourrait ainsi l'utiliser quand il
voudrait.
Bientôt Roger et son
frère d'armes quittaient le Languedoc. Ils
traversèrent en, hâte
Villeneuve-de-Berg. L'apôtre du
Dauphiné était pressé de
retrouver ses Églises; mais son compagnon,
moins bon marcheur, se plaignait du régime
d'étapes forcées auquel il
était astreint.
Parvenu dans ses montagnes
Durand
écrivit à Court. Il venait
d'accompagner son collègue jusqu'au
Rhône et reprenait maintenant le travail.
Monteil venait d'avouer sa faute, mais il se
refusait à toute confrontation avec la femme
qui l'accusait. Il citait à tort et à
travers Irénée, et le Pape Victor 1er
dont il rapportait les anathèmes contre les
Églises de la Grèce, auxquelles il se
comparait lui-même non sans quelque
pédanterie.
... Un, autre souci poursuivait
le
fils du greffier. Il n'avait pu voir qu'une seule
fois Anne Rouvier depuis son retour. La jeune fille
était souffrante. Elle avait
été et devait toujours être de
santé chancelante.
Aux peines et aux joies de son
fiancé ces préoccupations ajoutaient
leur angoisse intime et pesante, mais sans le
décourager cependant. Il restait tout entier
à ses méditations et songeait
à l'avenir en s'effrayant des
responsabilités qui seraient les siennes
après sa consécration maintenant
imminente. Bien qu'il consentît à
risquer sa vie tous les jours, il tremblait devant
la solennité de ses nouvelles fonctions et
s'en trouvait indigne. Ses scrupules s'expriment
dans sa correspondance avec toute leur
acuité, et leur caractère de profonde
délicatesse. Roger, son père
spirituel, s'efforçait de le rassurer et
l'appelait à la réflexion, à
la prière, seules capables de calmer ses
légitimes appréhensions. Il affirmait
qu'il pouvait être pleinement
tranquillisé sur la régularité
de « l'ordination » envisagée.
Court avait toutes les qualités requises
pour la lui conférer, et le synode lui
adresserait ensuite vocation. On voit quel souci
ces vaillants avaient d'une forme dont ils auraient
pu à bon droit s'affranchir. Mais ils
entendaient rester pleinement fidèles
à leur vocation d'hommes d'ordre et de
serviteurs de Dieu.
Roger fit encore parvenir à
son jeune ami les ouvrages de théologie dont
il désirait se servir pour préparer
son examen. Déjà Durand avait
reçu de Betrine un cahier contenant le
développement d'un certain nombre de «
chefs » de théologie. L'apôtre du Dauphiné écrivit
à Court pour lui recommander qu'on ne
fût pas trop sévère pour le
candidat, et qu'on lui communiquât à
l'avance le sujet de ses interrogations. Le rigide
et clairvoyant pasteur savait qu'on pouvait
pleinement compter sur un homme dont il avait
à maintes reprises apprécié
les qualités de lucidité, de courage
et de fidélité.
Celui-ci passa la fin de
l'année sur les confins du plateau de la
Haute-Loire où il célébra
trois baptêmes. En même temps il
préparait la réunion du synode
national qui devait donner leur sanction aux
efforts de coopération entrepris en plein
accord depuis plusieurs années par les
pasteurs des trois provinces protestantes du
Sud-Est de la France. Court ne tarda pas à
comprendre que les circonstances l'obligeaient
à reporter une telle rencontre en mai, et il
en fit part à Durand, ajoutant qu'il se
proposait de s'y rendre lui-même avec
Corteiz. Sa lettre, datée de mars 1726,
croisa celle du jeune Ardéchois. Celui-ci
venait de voir Roger et regrettait que le
Dauphiné ne fût point en état
de céder au Vivarais des livres de
piété venus de Suisse. Ses
Églises ne pouvaient donc être servies
qu'après celles des deux autres provinces,
où les ouvrages arrivaient tout d'abord
avant d'être aussitôt,
réclamés par des religionnaires
heureux de profiter de l'aubaine. Durand
déplorait que de telles conditions fussent
défavorables aux communautés dont il
avait la charge; mais il obtint
de Roger que ce dernier fit procéder
à de nouveaux envois par ses amis suisses,
et ce fut la fin de la discussion. Le partage
devait être fait dorénavant par les
deux hommes et leur entente se trouva bientôt
confirmée par la promesse de M. « du
Caylâ », de Genève (le
député général Benjamin
du Plan) : Celui-ci était en relations avec
le libraire Duvilard, précieux collaborateur
pour les religionnaires auxquels il accordait de
grandes facilités de paiement, en
témoignage effectif de son
intérêt et sa sympathie pour eux et
leur oeuvre. Du Plan s'engageait à faire
remettre à Lyon plusieurs ballots de livres.
On n'aurait plus qu'à les transporter de
là jusqu'en Vivarais. Mais Durand ne voulut
pas accuser réception de ses envois à
« Du Cayla » sans avoir
préalablement fixé avec Court les
conditions de leur répartition.
Examinant la question de la date
et
du lieu de réunion du synode national, il
insistait pour que celui-ci fût
convoqué dans sa propre province
plutôt qu'en Dauphiné, et consentait
à ce que le jour en fût reculé.
Mais il rappelait que, pour donner tout son
caractère à la consécration
dont il ne cessait de se préoccuper, il
fallait que Corteiz prît avec lui les lettres
de réception accordées en 1718 par
les pasteurs de Zurich qui lui avaient alors
imposé les mains. Ainsi pourrait-on recopier
ces certificats à l'appui du
procès-verbal attestant
la validité de l' « ordination » :
Celle-ci allait être la première
cérémonie de ce genre
célébrée au Désert,
depuis que Corteiz, devenu ministre
régulier, avait consacré Court
à la plaine de Curens, près de
Saint-Hippolyte-du-Fort, le 21 novembre
1718.
On en était aux derniers
préparatifs. Durand traversa bientôt
le Rhône et rencontra Roger. Tous deux
fixèrent au 14 mai 'la date
définitive de l'assemblée. Court en
fut aussitôt averti, et on le pria en
même temps de se rendre à Craux ce
jour-là; « des guides le conduiraient
ensuite jusqu'au lieu où ses frères
le recevraient avec joie ».
Anne Rouvier s'était
retirée chez son futur beau-père, au
Bouchet de Pranles. Son fiancé ne l'y avait
pas rejointe depuis longtemps. Les visites
fréquentes étaient rendues
dangereuses par la surveillance exercée
autour du vieux greffier. Elles l'auraient
compromis de la manière la plus redoutable.
Quoi qu'il en coûtât aux uns et aux
autres, la voix du sang devait se taire devant de
telles considérations.
Court reçut ces nouvelles,
répondit et pria qu'on vînt le
chercher le 1er mai à la foire de
Villeneuve-de-Berg. Ces marchés
étaient largement fréquentés
par les prédicants auxquels ils donnaient
l'occasion de se rencontrer sans danger, sous
l'allure de voyageurs paisibles venus là
pour le règlement de leurs
affaires.
Durand poursuivait toujours ses
courses missionnaires et
entretenait avec ses collègues une
correspondance plus pressante que jamais; il leur
faisait part de ses scrupules qu'il ne parvenait
pas à calmer. Il s'examinait sans cesse et
s'astreignait par d'incessants efforts à
plus de discipline intérieure. Ne le voit-on
pas annoncer triomphalement le 27 avril qu'il a
renoncé à la pipe ? En sorte que,
dit-il, « il en aura bientôt fait autant
du tabac ». Sans doute devait-il priser, cette
habitude étant alors fort répandue.
Mais il ne réussit pas à se vaincre
sur ces deux points. Six années plus tard,
lorsqu'il fut arrêté, on retrouva dans
ses bagages la petite pipe à culot d'argent
dont il n'avait pas pu finalement se passer
entièrement.
Le 14 mai arriva. Court et
Corteiz
se rendirent à Craux. Mais avant leur
arrivée la date de ce premier synode
national avait été reculée de
deux jours ; et les pasteurs passèrent sans
doute le temps qui les séparait de la date
solennelle, à se reposer et à
s'entretenir avec « les frères »
déjà parvenus
là-bas.
Corteiz nous a laissé la
relation des événements, et le
registre de La Voulte celle des
délibérations qui
suivirent.
La session s'ouvrit. Il y avait
là trois pasteurs, Corteiz, Court et Roger,
neuf proposants et trente-six anciens;
assemblée relativement importante. On
pouvait à ce seul progrès
numérique juger des succès
remportés par les ouvriers de la
restauration de nos Églises depuis le premier
synode du Désert, tenu au hameau des
Montèzes le 21 août 1715. Ils
n'étaient alors que neuf, dans la cave d'une
maison cévenole. À présent,
après dix ans d'efforts, leur nombre atteint
presque la cinquantaine et groupe des
députés venus de trois provinces.
Louis XlV avait fait exprimer à Loudun, en
1659, son dessein de suspendre
définitivement la tenue des synodes
nationaux. Maintenant des artisans, des clercs de
notaire, des travailleurs de la terre se
mêlent de renouer en dépit des
persécutions la chaîne brisée
de la tradition. Mais les conditions sont bien
changées depuis soixante-sept ans. «
Ici, écrit M. Daniel Benoît, point de
théologien éminent, ni de gentilhomme
occupant des charges de Cour. Seulement trois
pasteurs sans grande culture intellectuelle »,
forts de leur courage et de leur volonté, de
leur absolu dévouement à la cause
qu'ils défendent au péril de leur
vie; et quelques prédicants sans
lettres.
Roger, d'un commun accord, est
élu président de l'assemblée.
Il est le plus ancien de tous, tant par l'âge
que par le nombre des années passées
au service des Églises, et cet hommage lui
est bien dû. En outre il aura l'honneur de
présider à la consécration de
son jeune ami Durand. L'homme d'expérience -
il a plus de cinquante et un ans - va pouvoir enfin
rendre à son compagnon, qui lui doit sa
vocation, le témoignage
suprême de son intérêt et de sa
grande et fidèle affection.
La journée du 16 mai fut
employée dans sa plus grande partie, nous
dit Corteiz, « à raisonner des choses
qui concernent les Églises du Vivarais
». À l'issue de ces
délibérations « on demanda les
proposants qui tendaient à se faire
recevoir. Mais il n'y en eût qu'un qui se
présenta à l'examen. Monsieur Roger
assista à cet examen. Monsieur Durand qui
avait déjà prêché
pendant quelques années en Vivarais en
qualité de proposant, se présenta
pour être examiné. On commença
par ses moeurs, vie et conduite, et on le pria
d'exposer le sermon », dont le sujet et le
texte lui avaient été donnés
à l'avance.
Au cours de. la journée des
décisions multiples avaient
été prises et des règlements
élaborés. Nous l'avons dit. Dans
l'ensemble ils confirment les mesures
adoptées par les divers synodes provinciaux.
Nos comptes-rendus des assemblées
précédentes, en particulier de celle
du 13 septembre 1725, en ont esquissé les
grands traits. Il importait de consacrer les
efforts et de fixer les conclusions auxquelles on
avait abouti dans chacune des provinces. On sent
toujours, dans ces multiples articles - il y en a
vingt-neuf - les mêmes préoccupations
d'ordre, de discipline et de soumission aux
pouvoirs publics en tout ce qui ne concerne pas les
questions de foi. Toutes les dispositions sont
prévues pour assurer
un bon travail d'ensemble entre les diverses
régions représentées, et
« pour qu'elles puissent se prêter
secours, le cas échéant, en hommes et
en argent ». La prudence est
recommandée dans la tenue des
assemblées, et les anciens sont remis en
face de leurs devoirs envers les pasteurs qu'ils
doivent guider, abriter et seconder selon leur
pouvoir. Enfin l'excommunication doit être
prononcée contre quiconque aura recours
à l'Eglise Romaine pour faire bénir
son mariage ou baptiser ses enfants. Le mot d'ordre
est renouvelé, touchant l'attitude à
prendre en face des juges par les religionnaires
arrêtés. Ils ne devront dire aux
magistrats légalement autorisés
à les interroger, que ce qui les concerne
eux-mêmes, et eux seuls, sans rien avouer qui
puisse compromettre les frères. La
sincérité, toujours, la trahison,
jamais.
La nuit survint et l'assemblée fut
suspendue jusqu'au lendemain. Où se
retirèrent les quarante-huit
délégués? On était
alors à la belle saison. Si *l'on avait
voulu trouver des gîtes à peu
près confortables, il aurait fallu les
chercher dans une bourgade relativement importante;
et cela aurait éveillé les
soupçons des malintentionnés. Les
troupes « roulaient » dans le pays. Il
faut donc croire que les membres du synode se
dispersèrent dans diverses maisons amies
dont ils occupèrent les
granges ou les quelques recoins vacants ; pendant
que les « anciens » venus des
églises voisines regagnaient tout simplement
leurs demeures, peut-être accompagnés
par quelques hôtes dangereux qu'ils
logèrent cette nuit-là.
Entre temps, un rendez-vous
général était donné
pour le lendemain soir aux huguenots de la
contrée. Une assemblée aurait lieu,
au cours de laquelle Durand, unanimement
aimé par les populations auxquelles il
s'était totalement dévoué,
recevrait la consécration
pastorale.
Nous dirons peu des séances
du vendredi 17 mai. Les anciens et les proposants
continuèrent à assister à
l'examen du jeune prédicant, comme
témoins et spectateurs. « La
journée fut employée, dit Corteiz,
à l'examiner dans la doctrine, et il a
heureusement répondu partout d'une
manière satisfaisante ».
Le soir vint, De tous
côtés les religionnaires arrivaient.
La soirée devait être solennelle. Pour
la seconde fois depuis la Révocation de
l'édit de Nantes, un pasteur allait
être installé dans sa charge. Les
vieillards se souvenaient des jours meilleurs
où les temples étaient encore ouverts
et s'étonnaient d'être appelés
à assister à cet
événement étrange. En pleine
persécution l'Eglise rendait à l'un
de ses enfants le caractère glorieux et
pénible de conducteur pleinement
qualifié. L'adolescent rempli de
zèle, que ses aînés avaient si récemment
encore connu comme le fils d'un de leurs amis
d'autrefois et de toujours, allait devenir leur
ministre attitré.
Les plus jeunes admiraient
simplement leur frère dont ils enviaient en
secret le sort difficile, et tous étaient
dans la joie.
Pierre Durand, lui, se
recueillait
sans doute et réalisait en cette heure
suprême toute la gravité de la mission
vers laquelle il avait été conduit.
L'homme scrupuleux se sondait une fois encore avant
l'engagement définitif dont il comprenait
cependant le caractère d'absolue
nécessité. Il devait agir ainsi pour
que son travail fût pleinement efficace.
Mais, dans sa théologie rigide, il
s'effrayait de ses responsabilités et du
jugement possible de Dieu; il se sentait faible
devant Lui, ce soir-là comme au cours de
tant d'autres où, dans le calme d'une maison
sûre, il s'ouvrait de ses pensées
à ses amis plus âgés, Court,
Corteiz et Roger.
Celui-ci, quand le moment en fut
venu, prononça dans la nuit le sermon de
circonstance. Il n'avait pas besoin d'être
éloquent pour émouvoir. Les
événements suffisaient assez à
dire ce qui s'était passé et les
souffrances ou les drames qui pouvaient survenir
d'un jour à l'autre. Les exhortations de
l'apôtre du Dauphiné trouvaient un
large écho dans les âmes de ces
paysans vivarois venus de partout à la
ronde. Qu'on veuille bien relire la lettre
adressée à Rouvier le 18 mars 1719, et l'on se
rendra un compte fort juste de ce que pouvait
être l'allocution d'un homme de coeur,
habitué à la souffrance et prêt
au martyre. Le ministère de douleur
poursuivi depuis cette date par son jeune ami
l'avait habitué, lui aussi, à ces
perspectives d'une sombre beauté. Il
était un homme au sens plein du mot, et il
ne voulait plus reculer devant les charges dont il
allait être incessamment
revêtu.
Après la prédication,
il se mit à genoux et promit solennellement
« de n'enseigner rien qui ne fût contenu
dans l'Écriture sainte ; d'exhorter les
peuples à l'obéissance et de ne
favoriser aucune sédition ». Alors les
trois pasteurs se levèrent pour lui imposer
les mains et Roger prononça la formule de
consécration : « Pierre Durand, nous te
donnons permission, au nom de Jésus-Christ
et par l'autorité de notre assemblée
synodale, de prêcher la parole de Dieu,
d'administrer les sacrements et d'exercer la
discipline ».
Le chant d'un psaume s'éleva
dans la nuit; musique âpre et forte
chaulée par les voix de ceux qui, pouvant
payer de leur liberté cette heure de joie,
clamaient quand même à Dieu leurs
espoirs et leur adoration, leur détresse et
leurs actions de grâce. Bientôt le
grand silence retomba sur ce coin montagneux du
Vivarais. Alors chacun, grave, s'en retourna chez
soi. Un nouveau pasteur venait d'être choisi
par l'Église affligée.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |