Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Prédicant (suite 2)

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Durand, alors à Lamastre, avisa son maître d'un voeu formulé par quelques religionnaires fervents. Ceux-ci souhaitaient qu'un jeûne solennel fût célébré pendant deux ou trois jours par tous les protestants de France afin d'apaiser la colère de Dieu. Pour que la décision prit un caractère général, il fallait se mettre en rapports avec le Languedoc et le Dauphiné.
Ainsi la solidarité des persécutés s'avère plus forte que les arrêts de la Cour. L'ordonnance qui doit anéantir le protestantisme à peine ranimé se heurte aux volontés ordonnées de ceux dont elle se propose de ruiner une seconde fois la vie religieuse; et le jeûne des huguenots va lui répondre le 15 octobre suivant d'une manière calme et pacifique.

Les temps sont changés depuis l'époque camisarde. La thèse des pasteurs prêchant la résignation stoïque a prévalu sur celle des prophètes de la violence.

La situation des Églises était par ailleurs à peu près inchangée. Dortial venait de prendre possession de ses quartiers et le prédicant Brunel, qu'il ne faut pas confondre avec le religionnaire de Craux, mentionné plus haut, se voyait accusé de courtiser une jeune fille. Il fut très vivement repris par ses collègues qui le mirent en demeure de l'épouser ou de cesser toutes relations avec elle. Il importait de ne donner aucune prise aux calomnies des catholiques. On s'appliquait à faire exécuter méthodiquement les décisions des synodes. Mais cela ne plaisait guère à Monteil qui continuait à tenir des assemblées. L'une d'elles fut bientôt surprise par Dumolard en juillet 1724. Les conséquences furent dramatiques : on captura près de trente personnes, les unes dans une maison voisine de Gluiras, et les autres près de Saint-Christol où elles s'étaient réfugiées. Monteil, irrémédiablement compromis aux yeux de ses partisans, abandonné par les Églises, s'en remit à la charité de Court non sans se plaindre amèrement « des mauvaises dispositions de Durand à son égard », et il lui demanda de le recommander à ses amis de Suisse afin qu'ils favorisassent sa retraite.

La nécessité d'assurer à Durand une autorité très ferme sur ses compagnons ressortait de plus en plus de tous ces événements. Il fallait en revenir à l'idée que Corteiz exprimait dès l'année précédente à son jeune compagnon d'armes, et qui effrayait tellement celui-ci. Il fallait l'élever au rang de ministre régulier. Corteiz écrivit à Court. Roger était aux portes du Vivarais et pouvait sans difficultés examiner et consacrer son ami. Si par extraordinaire les choses ne pouvaient se régler ainsi, Durand gardait la ressource d'aller chercher l'ordination auprès de ses frères du Bas-Languedoc, après s'être muni des certificats de bonnes vie, moeurs et doctrine délivré par les prédicants du Vivarais. Mais, ajoutait le prudent Corteiz, il fallait bien réfléchir avant de prendre une telle décision. Le nouveau candidat au ministère était jeune. Les jalousies ne lui seraient par épargnées, particulièrement celles de Bernard et de Dortial plus âgés et plus anciens que lui. Ils ne manqueraient pas d'interprêter défavorablement la mesure prise en sa faveur la sagesse exigeait donc que l'on prévînt le mal.

Nous verrons bientôt quels douloureux malentendus cette objection allait soulever entre son auteur et notre héros.
Celui-ci, ignorant les réserves de Corteiz, se hâta d'écrire à Roger, au reçu d'une lettre de Court, pour l'inviter à prendre part au prochain synode. Les incessantes relations de ces hommes ne se ralentissaient pas.

Durand s'ouvrit là de ses scrupules à l'apôtre du Dauphiné. Il lui devait sa vocation, il n'hésita pas à se montrer à lui tel qu'il était, avouant ses craintes et son sentiment de grande insuffisance. Âgé de vingt-quatre ans à peine, il avait au péril de sa vie accompli l'effrayante tâche de réorganiser les Églises ardéchoises malgré les oppositions les plus violentes. Mais il ne s'en retrouvait pas moins tremblant devant la gravité de la charge dont il attendait d'être revêtu. Il y aspirait, certes, mais il la redoutait. Son âme apparaît là dans toute sa profondeur. Le lutteur méthodique est avant tout un croyant plein de zèle, humble et scrupuleux.
Roger répondit. Il s'efforça de rassurer Durand. Lui-même ne pouvait pas se rendre au synode; mais, disait-il, « si vous regardez M. Court comme suffisant, et votre assemblée synodale comme ayant non seulement droit d'appeler mais aussi de donner vocation, et que vous vouliez vous conformer à un usage si saint, pourquoi ne pas profiter de l'occasion et chercher d'autres moyens que ceux que Dieu vous présente ? Cependant, souvenez-vous que, soit que vous le receviez à présent ou à une autre fois, vous devez apporter une grande application, accompagnée de prières et de modération ».

En l'absence de son ami auquel il se proposait de demander seulement de présider le synode à l'exclusion de toute autre cérémonie de consécration, Durand réunit quand même l'assemblée des prédicants. Martel, un nouveau venu, affirma qu'il était en état de « conférer lui-même l'ordination ». II se donnait ainsi pour un pasteur régulier', mais il n'avait pas d'autres raisons pour justifier ce titre que celle d'avoir autrefois rencontré Claude Brousson lors de son passage en Dauphiné. L'illustre avocat devenu pasteur lui aurait-il alors imposé les mains ? Quoi qu'il en soit, on ne fit pas confiance au prédicant et l'on décida purement et simplement que le candidat au « ministère entier » irait en Languedoc dès le mois de février suivant demander à Court de présider à sa consécration.

Les actes du synode tenu le 11 novembre 1724 en Vivarais, et « fort édifiant » aux dires du fils du greffier, nous ont été gardés; mais ils ne mentionnent pas certaines discussions dont le caractère va mettre désormais un peu de douceur dans l'austérité de notre récit. Durand se rendait souvent à Craux où il était reçu dans la famille de son ami Pierre Rouvier, toujours aux galères depuis les incidents de 1719 relatés en leur temps. Une idylle allait s'ébaucher. Anne Rouvier, de deux années plus jeune que le prédicant, lui inspirait une très vive sympathie. L'accueil et l'aide offerts par les siens au vagabond pour la foi furent d'autres raisons qui contribuèrent à éveiller un sentiment dont il s'ouvrit à la jeune fille. Une pure lumière venait de se lever sur sa route sévère. Lutteur courageux, préoccupé avant tout de mener à bien sa tâche difficile, il va nous apparaître désormais plus humain, accessible aux sentiments les plus normaux et les plus légitimes, qui lui apporteront, avec les plus redoutables causes de souffrance, d'incomparables, satisfactions.

Anne Rouvier devra faire appel à tout son courage pour accepter de partager la vie du proscrit. Les séparations seront incessantes et le jour terrible viendra peut-être où l'arrestation la privera pour toujours de son compagnon. Elle sait cela, mais elle possède une âme fortement trempée, et elle n'hésite pas. Elle sera digne dans son héroïsme de celui qui l'a choisie. Durand tout heureux fait part de l'événement au synode, comme cela se doit dans un temps où la discipline la plus rigoureuse est prescrite aux troupeaux et aux conducteurs, Gravement on délibère. Des visites trop fréquentes donneraient un prétexte aux calomnies et aux commentaires que l'on ne manque pas de débiter contre les nouveaux convertis. Or il faut éviter tout ce qui pourrait jeter le moindre discrédit sur « les choses de la religion ». On met le prédicant en garde contre ces dangers et l'on, souhaite qu' « il finisse son mariage » sans attendre. Mais on connaît toute sa profonde valeur morale et sa modération. On l'autorise donc, pour finir, à voir sa fiancée « quand il le voudra ». Son tact saura bien concilier ces avis contradictoires.

Plein de ces joies nouvelles, mais sans rien oublier néanmoins de ses soucis coutumiers, il écrit à Court le il' janvier 1725. Un peu d'inquiétude perce au travers de ses lignes. Il a su les réserves de Corteiz touchant sa consécration. Il se trouble. Pourquoi son vieil ami, auquel il voue une admiration sans limites, a-t-il émis de semblables opinions ? Durand ne le comprend pas. Il fait de fréquents retours sur lui-même. Il se pose des questions. Corteiz aurait-il découvert en lui quelque défaut dont il n'aurait pas pour sa part une notion suffisamment nette ? Mais il faudrait qu'alors il en fût averti. Il aspire au Saint Ministère; Corteiz ne l'ignore pas. « Que celui-ci l'informe donc de ses raisons, par charité, cela ne pourra qu'être très. profitable à l'un comme à l'autre ». Durand « le croyait davantage son ami ». Mais Court « fera part (à Corteiz) de toutes ces inquiétudes ; car il faut que tout se fasse au grand jour ». Le jeune prédicant n'aime pas les arrières-pensées, et ne veut pas en garder par devers lui. Il se déclare prêt à se soumettre, en ce qui concerne son mariage, à toutes les règles qui lui seront prescrites, afin qu'on ne puisse pas le suspecter de mauvaise conduite. Obéissance difficile pour un fiancé ! Heureusement les anciens, indulgents, ne lui rendent pas la loi trop tyrannique.

Mais peut-être Corteiz va-t-il encore « broncher » là-dessus ? Car l'austère cévenol ne recommande guère le mariage à ses jeunes collègues. Leur zèle pour les Églises risque, selon lui, de s'en trouver refroidi, et les dangers deviennent trop grands. À quoi bon ajouter à ses propres périls ceux que l'on fera désormais partager à toute une famille ? L'oeuvre de la reconstitution du protestantisme exige l'effort total de l'homme sans aucune restriction, de quelque ordre qu'elle soit. Oui, Corteiz n'approuvera pas ces projets. Mais il n'empêchera pas que Durand n'entende les choses d'une autre oreille. Les « affaires » vont bien; la vie s'ouvre magnifique devant lui. Il est heureux. Seulement on est encore trop près de la déclaration de 1724 pour qu'il se risque à courir immédiatement la grande aventure du mariage. Il faut s'armer de patience, car si les ordonnances n'ont pas encore été suivies d'une recrudescence de la persécution, on l'attend d'un moment à l'autre. L'heure du triomphe sonnera bien quand même. Il n'est que de prendre ses dispositions pour arriver sain et sauf jusque là.

Durand, gêné par la température rigoureuse, resta sans doute en Vivarais jusqu'en février. Il ne quitta guère quelques maisons amies où il se cachait soigneusement. Mais à la fin du mois il traversa le Rhône et s'en fut en Dauphiné. Là il rencontra le fameux « colporteur » dont il n'a malheureusement pas laissé le nom dans ses relations.

Redoutable métier que celui-là ! Plus que toute autre religion, le protestantisme a besoin de livres. On sait à quels terribles égarements il s'était laissé aller, avec le prophétisme, pour avoir voulu substituer à l'autorité de la Bible celle de la libre « inspiration » du croyant. Mais les volumes restés entre les mains des huguenots étaient rares. Il était impossible d'en renouveler le tirage en France. Tout au plus parvenait-on à éditer d'une manière clandestine, et non sans grands risques, quelques placets ou quelques feuilles de peu d'importance. Le ravitaillement en exemplaires des Saintes Écritures était pratiquement impossible depuis la Révocation. Une seule ressource subsistait : l'introduction secrète de psautiers ou de Bibles achetés en Suisse. On y recourut largement. Les contrebandiers passaient la frontière par des pistes détournées ou se hasardaient même à fréquenter les grands chemins, mais en plaçant les ouvrages interdits dans des tonneaux parfois munis de doubles fonds, dans des voitures chargées de fourrage, ou dans des accessoires de sellerie. On vit cacher des psautiers dans les bâts des mulets. La dangereuse marchandise était ensuite dissimulée dans les balles des colporteurs. On franchissait le Rhône en face de La Voulte ou du Pouzin. Les habitants des îles ou des rives, presque tous religionnaires, étaient à la fois pêcheurs et passeurs. On comprend toute l'importance du concours qu'ils pouvaient apporter dans de telles conditions.

Les livres de piété étaient déposés chez quelque ami fidèle, en Vivarais, à Valence ou à Beaumont. Il fallait ensuite procéder à leur répartition entre les provinces protestantes, Vivarais, Languedoc et Dauphiné. L'opération était souvent délicate, chacun s'efforçant d'être le mieux servi. Toute la correspondance des pasteurs est embarrassée de ces questions parfois épineuses et qui soulevèrent bien des contestations.

L'accord réalisé, il restait enfin à faire prendre les divers colis par quelque délégué qui se dissimulait le plus possible pendant son voyage de retour. Les arrestations étaient fréquentes ; et cette forme de désobéissance aux arrêts royaux pouvait entraîner les châtiments les plus sévères.
Le rôle effacé des colporteurs était donc d'une importance capitale. Chaque pasteur avait recours aux services de quelques-uns de ces hommes. Auxiliaires fidèles, ils appuyaient de la plus sûre manière l'action des prédicateurs, et ces humbles ouvriers de la Restauration du Protestantisme méritent qu'on rappelle ici leurs efforts héroïques et discrets.

Durand resta trois jours avec l'un d'eux. Mais les termes volontairement ambigus de sa lettre donnent à penser que le « marchand » rencontré en Dauphiné était un prédicant officiellement attitré, peut-être Roger lui-même. Le fils! du greffier se trouvait alors très recherché, et recourut probablement au langage secret habituel.

Tous deux parlèrent de beaucoup de choses. L'apôtre du Vivarais attendait un exemplaire de la Théologie de Pictet. Il se mit d'accord sur les conditions d'achat. L'autre « se déclara satisfait du prix donné », et fit part de son intention de revoir bientôt son ami en Ardèche. Jusque là il s'appliquerait à « rétablir l'ordre dans son coin ». L'exemple de Court et de ses collaborateurs était bien suivi. Mais le « marchand » demandait pour cela qu'un collègue vint l'assister. Enfin il émettait un voeu : il s'agissait de prier Court d'envoyer deux délégués dans toutes les communautés du Royaume afin de les sommer d'accepter les règlements sous peine d'excommunication. L'unité ne manquerait pas d'être ainsi resserrée.

On retrouve une fois encore la preuve des liens très étroits qui unissaient entre elles les Églises de régions très diverses, et celle de l'extraordinaire continuité de vues des ouvriers de la restauration de la réforme française.

Durand séjourna vers le milieu de mars 1724 à Valence, où il se fit adresser des lettres par l'intermédiaire de M. Saint-André, « praticien » (clerc de notaire) chez le procureur Guérin. Une recrudescence de surveillance avait lieu, et le voyageur méfiant écrivit sous un pseudonyme, priant au surplus que l'on usât envers lui du même procédé. Il s'inquiétait toujours des motifs qui avaient poussé Corteiz à recommander l'ajournement de sa consécration, et sans cesse il revenait à ces préoccupations. Était-ce manque de savoir ? Mais Corteiz avait expressément déclaré qu'on pourrait 's'il le fallait recevoir le candidat sans examen, puisque les circonstances ne permettaient pas son départ pour Genève... Ou bien, s'agissait-il de défauts que l'austère Cévenol jugeait assez graves pour qu'ils rendissent impossible la consécration de son jeune frère d'armes? Mais entre amis dont l'affection est scellée par les mêmes soucis et les mêmes ambitions, tout doit pouvoir être dit... Quelles mystérieuses raisons laissaient donc le vieux pasteur hésiter devant les décisions à prendre ? Elles devaient être bien sérieuses pour qu'il s'appliquât ainsi à les retarder...

L'urgence du travail à poursuivre ne laissa pas Durand longtemps à ses méditations anxieuses. Il était depuis quelques jours avec un jeune compagnon qui devait plus tard devenir son collègue et son successeur. Sans doute s'appliquait-il à l'initier aux difficultés de son ministère; mais, en même temps, il concevait les plus graves soucis sur l'attitude de Monteil; déjà virtuellement séparé des Églises qu'il avait autrefois servies.

Le prédicant reprit bientôt ses courses et descendit à Villeneuve-de-Berg. Le 15 avril 1725, il y rencontra Joffre, et fut nommé le surlendemain modérateur d'un synode tenu « en Vivarais ». La coutume était maintenant prise entre prédicants de se réunir deux fois par an pour délibérer. Leur difficile labeur ne se poursuivait pas au hasard, mais selon un plan nettement établi et rigoureusement suivi.

En raison des fâcheux incidents dont souffraient alors les Églises de l'Ardèche, ce synode prit le caractère d'une conférence disciplinaire. On suspendit Martel et Dortial. Le premier était de plus en plus suspect de n'être pas pasteur, bien qu'il l'eût affirmé devant les membres de l'assemblée réunie le 11 novembre précédent. L'autre ne se conformait pas à ses engagements. Tous deux troublaient l'ordre et calomniaient les prédicants. Ceux-ci restaient en liaison constante et pouvaient se grouper très rapidement en cas de nécessité.

Ces dispositions eurent bientôt à jouer. Le 15 mai, Durand s'en fut à Blaizac trouver Rouvière dans sa maison familiale. Ce dernier, fidèle compagnon d'oeuvre de Corteiz, avait, sous le surnom de Crote (voûte), pris part aux premiers synodes du Bas-Languedoc et s'était trouvé mêlé de très près depuis lors à la réorganisation des Églises de cette province. Il venait d'être envoyé par Court en Vivarais afin de coordonner les efforts entrepris dans ces diverses régions. Roger lui-même avait passé le Rhône et parcourait le pays. Avec Rouvière et Bernard il visitait les communautés, dans les montagnes et les Boutières, établissant des anciens partout où cette mesure lui semblait nécessaire.

Mais, comme pour rappeler la fragilité de toute action humaine, Monteil le dissident défaisait ici ce que les prédicants reconstruisaient là. À Marcoles, en particulier, il détournait les fidèles de leur devoir de soumission envers les institutions nouvelles, conseils d'anciens et synodes enfin restaurés.
Cela n'empêcha pas les prédicateurs de se réunir le 21 juin 1725 avec 45 de ces anciens, accompagnés des délégués du Languedoc et du Dauphiné, de Rouvière déjà nommé, et de Roger qui présida la conférence. Elle fut particulièrement importante. On y consacra l'accord étroit qui devait désormais unir les Églises des trois provinces. Aucune d'elles ne devait être mise sur un plan d'infériorité par rapport aux autres. L'influence de Court se faisait en effet fortement sentir et l'on pouvait craindre qu'une préséance fût attribuée aux communautés dont il avait la direction dans les Cévennes et dans la plaine aux alentours de Nîmes. Il n'en fut rien. Au surplus un article fut voté, qui rendait obligatoire l'adhésion aux quarante articles de la vieille confession de foi de 1559. La discipline était remise en vigueur, et le principe proclamé selon lequel les provinces se devaient entre elles aide et secours « dans tous les cas ». Toutefois on ne crut pas devoir exiger un serment des proposants. Désormais les Églises pouvaient se prêter les unes aux autres leurs pasteurs et leur argent « pour le relèvement des maisons que la persécution pourrait abattre », ou « pour aider aux pauvres et prisonniers qu'elle pourrait faire ». On devait à cet effet réunir des fonds sous le contrôle étroit des colloques, autorisés à s'envoyer mutuellement des visiteurs dûment qualifiés.

Des mesures étaient prises en outre pour que les assemblées ne fussent convoquées qu'à bon escient, et par les anciens avertis par le prédicant lui-même de son prochain passage. Car les religionnaires se rassemblaient parfois sur de fausses indications, et personne ne venait ensuite présider leur réunion. Si des fidèles étaient capturés, les Églises devaient se considérer engagées à les aider, eux et leurs familles, par tous les moyens en leur pouvoir, sauf au cas où le malheur serait dû à la témérité.
Un article mérite d'être entièrement recopié en raison de l'émouvant témoignage qu'il rend au courage et au loyalisme des huguenots opprimés :

« Sur la proposition qui a été faite de quelle manière doivent se conduire les fidèles qui viennent à être arrêtés par les ennemis à l'occasion des assemblées, sur les interrogations qui peuvent à eux être faites à ce sujet, la compagnie a décidé que si ceux qui les interrogeront sont de simples particuliers qui n'en aient aucun ordre de la part du Roi, il, ne leur sera rien répondu ; au contraire, que si c'est un magistrat ou plusieurs, représentant la personne du Roi, qui le fassent, on sera obligé de leur déclarer la vérité en ce qui regarde le particulier et tout ce qui tend à la gloire de Dieu et à l'édification de son Église ; mais que, sur tout ce qui ne tend pas à ce but, on gardera un profond silence, n'étant pas obligé, ni par les lois naturelles, ni par celles de l'Evangile, de révéler ce qui peut être préjudiciable à nos frères, lorsque, d'ailleurs, ce qu'on révélerait ne saurait contribuer ni à la gloire de Dieu, ni à l'édification de l'Eglise, ni au bien ni à la tranquillité de I'État. Que si quelqu'un était assez faible ou méchant que de cacher le moindre des articles qui pourraient contribuer à ce but, sera déclaré, pour ce qui regarde l'Eglise, traître et apostat, et pour ce qui regarde l'État, rebelle et séditieux, et comme tel poursuivi par toutes voies ecclésiastiques. »

Il serait difficile de prêter aux protestants, comme on a pourtant voulu le faire, le rôle odieux de révoltés ou de mauvais Français. Cette décision n'était pas une imposture. Elle devait comme les autres, rester secrète et ceux qui la prenaient n'avaient donc aucune raison de dissimuler leurs véritables sentiments.

Les derniers paragraphes du procès-verbal recommandent de placer des sentinelles aux abords des bourgades logeant des troupes, afin d'avertir à temps les assemblées de la sortie éventuelle de ces garnisons. Ils prescrivent enfin aux religionnaires de s'abstenir de toute participation aux danses et fêtes votives. S'ils ont des procès entre eux, ils devront les régler en les portant devant les conseils d'anciens de préférence aux magistrats. La paix doit régner dans les communautés qui doivent apaiser elles-mêmes les différends survenus entre leurs membres. Ces délibérations ne sont pas, on le voit, exclusives de toute préoccupation sociale.

Le rôle de Rouvière fut particulièrement apprécié. Mention en fut faite sur le certificat de présence qu'il devait rapporter après l'avoir fait parapher par le modérateur du synode auprès duquel il venait d'être délégué.

Tandis que Durand se trouvait le 28 juin près de Gluiras, Rouvière et Roger repassaient le Rhône près de Valence et gagnaient les montagnes du Dauphiné. Bientôt ils adressaient à Court, en deux longues lettres, la relation détaillée des réunions et des mesures récemment adoptées. Tout un échange de correspondance allait s'établir entre ces hommes. Une question délicate devait être résolue. Au synode, on avait désigné Benjamin Du Plan comme délégué des Églises auprès des puissances étrangères. Ce gentilhomme d'Alès, religionnaire convaincu, devait sur les instigations de Court plaider la cause des Églises persécutées auprès de leurs soeurs des pays voisins, de Suisse, de Hollande, d'Angleterre et d'Allemagne, et s'efforcer de trouver, pour le protestantisme français, des secours de sympathies et d'argent. Nouvelle méthode de défense, étape nouvelle du plan conçu par le génie de Court, dont les résultats n'allaient guère tarder, rendant au labeur de ses collègues une assurance que les succès obtenus en France avaient déjà légitimement développée.

Malheureusement la personnalité de Du Plan était discutée. On connaissait ses sympathies pour les inspirés. Corteiz en particulier protesta avec sa vigueur accoutumée contre le choix fait par Court. Quelques nuages compromirent momentanément les relations jusque là si cordiales et si confiantes des deux hommes. Le second mit ses efforts à convaincre les provinces de la légitimité de cette mesure qu'il avait préconisée. Roger inquiet écrivit à Durand peu de temps après. Il pensait que la nomination devrait être ratifiée par un synode national. Or ceci imposait préalablement aux diverses Églises fa désignation de leurs représentants.

Durand fit part de ces conversations à Court, non sans signaler qu'il venait d'écrire cinq autres lettres. On était au milieu d'août. Le pasteur languedocien répondit immédiatement par une longue missive : Il avait vu Corteiz et l'avait amené à ses vues. Les deux amis réconciliés étaient acquis en outre à l'idée de voir installer leur jeune frère d'armes dans toutes les charges du 'Ministère, « y compris celle de la distribution des sacrements » ; et ceci malgré les jalousies possibles de ses collègues plus âgés. Court fit donc à son correspondant une longue exhortation, et souligna le caractère particulièrement solennel de la fonction à laquelle il allait être appelé :

« Il faut, pour cela, des lumières, sans lesquelles on serait un flambeau dépourvu de clarté ; de la piété, du courage. Il faut que le conducteur puisse dire aux fidèles: « Soyez nos imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » ; et que sa vie morale soit irréprochable. Et encore, il doit être prudent, car la moindre faute peut coûter cher à l'Eglise sous la croix »...

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