Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XV

LE DÉPART POUR LA PATRIE CÉLESTE

 LE dernier premier janvier qu'elle passa sur cette terre, Miriam écrivit au Brigadier Simpson :
Je me demande ce que 1917 nous réserve. Ces armées d'inaction et de maladie semblent laisser un grand vide en ma vie. Des années si précieuses perdues que j'aurais pu employer à l'accomplissement de tant de choses pour Dieu et pour son Royaume. Ceci constitue peut-être le plus grand mystère de tous les mystères de ma maladie. Mais je ne veux pas laisser le doute se glisser en moi. Il sait, Il aime et Il prend soin. Le verset proposé par mon « Pain Quotidien » pour la lecture hier soir était :« J'ai entendu leurs cris... Je connais leur misère et je suis descendu pour les en délivrer. » Ainsi nous devons affronter la nouvelle année dans la foi et l'espérance.

Pendant les mois suivants, tandis qu'elle semblait plus forte et que sa vigueur mentale n'était pas affaiblie, de nouveaux symptômes alarmants se manifestèrent, entraînant de nouvelles inquiétudes. Dans l'automne, un nouveau traitement des plaies, recommandé par les meilleurs médecins, vint à la. connaissance du Général et de Mme Booth. L'essai de ce traitement décidé, Miriam accueillit l'idée de son séjour à la clinique comme une ultime espérance de guérison.

Avec un soin méthodique, elle commença aussitôt à prendre ses dispositions pour une absence. Elle dressa la liste de tout ce dont elle avait besoin à la clinique. Elle révisa les trésors de sa commode. Pendant son absence, sa chambre devait être repeinte; elle dirigea elle-même le déménagement de ses petits souvenirs d'amitié.
- Hélène, ne replacez point sur la cheminée l'écriteau « Espoir », dit-elle à la servante, la veille de son départ; je suis lasse de l'espoir, je veux la certitude.

Pendant toute sa maladie, Miriam avait rarement parlé de sa mort; elle débordait de vitalité, mais, peu avant cet incident, elle mentionna le sujet de sa mort possible dans une conversation avec son frère Wycliffe :
Quand je mourrai, dit-elle, j'aimerais que ce jour soit considéré comme un jour de naissance plutôt que comme un jour funèbre et triste. Ce sera le commencement d'une vie nouvelle, sans les douleurs et les épreuves de cette existence.

Lors de son séjour à la clinique, Miriam souffrit d'une de ces crises de fièvre intense et de douleurs auxquelles elle était sujette. Une nuit qu'elle ne pouvait dormir, l'infirmière alarmée, appela la directrice, Miss Bennet, qui nous raconte :
Miss Booth était fort peinée que l'on m'eût dérangée. Je sais que c'est beaucoup dire, mais, dans toute ma carrière d'infirmière, je n'ai jamais eu une malade comme elle. La voir supporter les douleurs les plus pénibles, s'efforcer de ne manifester par aucun signe ses souffrances, me tourmentait :
- Criez une bonne fois et plaignez-vous, cela vous soulagera, lui dis-je un jour.
- O Miss Bennet, je ne puis pas. Vos infirmières, que penseraient-elles de l'Armée?
- Ne vous inquiétez pas de l'Armée, lui répliquai-je; gémissez une fois pour me plaire.
Je n'ai jamais vu une telle fidélité à l'idéal, une telle. détermination de ne. point déshonorer son Sauveur aux yeux de ceux qui n'avaient point fait l'expérience de la présence réconfortante du Seigneur.

Pendant son séjour à Londres, elle eut un vif désir de revoir sa soeur Marie, qui était encore en France; mais, dans son désintéressement, ne prévoyant pas de changement immédiat dans sa situation, elle écrivit. « Mais, au fond, chérie, je pense que vous ferez mieux d'attendre jusqu'à mon retour à la maison, de manière que nous puissions réellement passer quelques heures ensemble. »

La rencontre des deux soeurs, si ardemment souhaitée de part et d'autre, n'eut pas lieu ici-bas, mais elles passeront l'éternité ensemble.
Le Commissaire et Mme Booth-Tucker attendaient une occasion de quitter l'Angleterre pour se rendre dans les Indes; recevant l'avis de s'embarquer immédiatement, ils s'arrangèrent pour faire une visite d'adieu à Miriam. Elle était très attachée à son oncle et, plus d'une fois, elle parla de sa dernière prière avec elle.
- Un esprit si grand, si noble et si fertile, remarquait-elle.

À une certaine époque du traitement, une opération, par l'un des plus éminents chirurgiens d'Europe, fut jugée utile. Pendant toute sa maladie, rien ne fut entrepris sans le consentement de Miriam; maintenant encore, tout en tremblant à la pensée des souffrances que comportait une telle opération, elle décida :
- Oui, tentons tout immédiatement.

Ce fut pendant un de ces derniers jours, qu'avec sa sympathie pour les autres, elle écrivit à un officier, dangereusement malade, lui aussi :
Je viens d'apprendre que vous entrez à l'hôpital lundi pour une opération. Je puis comprendre vos sentiments, et je désire vous assurer de mes prières et de ma sympathie. Le Seigneur vous fortifiera, j'en suis certaine; les bras du Tout-Puissant vous soutiendront. J'ai été très malade pendant la dernière quinzaine, et je rentre aussi à l'hôpital lundi pour une opération, ainsi nous sommes compagnons de détresse. J'ai été terrifiée à la pensée de cette épreuve, mais le Seigneur me donnera le courage nécessaire. Je me confie en lui.

Pour s'assurer les soins du chirurgien dont nous avons parlé, Miriam dut être transportée à l'hôpital. Comme elle voyageait dans l'ambulance avec sa mère et son infirmière, regardant vers l'ouest, elle dit :
- Regardez le splendide coucher de soleil. Ne croirait-on pas un message de Dieu ?
Peut-être aussi en était-ce un.

Miriam connaissait déjà la vie de l'hôpital. Elle avait confiance, certes, dans les infirmières qui allaient la soigner, et ce coucher de soleil lui faisait penser à ce Dieu qui l'avait fait naître dans ce doux foyer du Homestead et à la tendresse qu'elle y avait reçue.
Quand Mme Booth vit sa fille dans une salle, avec beaucoup de malades et toutes les marques de la vie de l'hôpital autour d'elle, son coeur défaillit. Jusqu'alors, elle avait pu protéger sa bien-aimée du bruit et de l'agitation du monde.
- Je ne puis pas vous quitter, chérie, soupirait-elle.
- Oh! si, vous le pouvez, maman, répliqua Miriam, avec la vraie gaieté du soldat; laissez-moi persévérer jusqu'au bout.

Le docteur lui donna l'assurance consolante que rien de fâcheux n'était prévu, et Mme Booth pourrait s'arranger pour emmener la malade un couple de jours plus tard. Le mercredi après-midi, l'opération eut lieu. Les forces de Miriam s'étaient très bien maintenues et, avec beaucoup de joie, ses parents attendaient le vendredi, jour fixé pour son retour. Sa mère passa la soirée du jeudi avec elle et, le cour joyeux, le lendemain matin, elle prit le train pour Londres. Elle allait ramener Miriam à la maison.

Depuis des années, Mme Booth avait coutume £apprendre par coeur quelques versets des Saintes Écritures, ou de s'en remémorer quelques autres. Pendant le trajet de Hadley Wood à Finsbury Park, elle lut ce verset du Nouveau Testament : « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, mais tu le comprendras bientôt. » Les mots semblaient se détacher du reste de la page avec une signification étrange. Elle les lut et les relut. Alors l'Esprit-Saint, le Consolateur, qui avait toujours été si près de la mère et de la fille pendant ces années d'épreuve, s'approcha et lui donna l'intuition que ces mots concernaient Miriam. Pour la première fois, la crainte pénétra dans son âme : « Si Miriam n'allait pas bien ! » Elle était si absorbée par cette pensée qu'elle atteignit Finsbury Park sans s'en apercevoir, et un employé dut lui rappeler qu'elle devait descendre. En hâte elle se rendit à l'hôpital. Aussitôt qu'elle vit Miriam, elle comprit le sens de la phrase qu'elle avait lue. Peu après, le spécialiste arriva et confirma toutes ses craintes. Le coeur faiblissait et Miriam déclinait.

La Commissaire Catherine et le Brigadier Bernard rejoignirent bientôt Mme Booth; le Général et le Brigadier Simpson furent appelés en hâte. Miriam pouvait encore parler lorsque le Général arriva, mais comme elle n'attachait aucune signification particulière à la visite du Général à cette heure, il appartint à sa mère de lui annoncer la nouvelle :
- Chérie, vous allez à la maison aujourd'hui, mais pas à Hadley Wood, au ciel, lui dit-elle.
- Oh ! je suis si contente, si contente, répondit-elle. Dans combien de temps ?
- Bientôt, je pense, ma chérie.

Miriam se tourna vers Catherine :
- Cordon, (1) soupira-t-elle.
- Il vient, mon amour.
- Cher garçon, dit-elle.

Et elle sourit.
Le Brigadier Simpson rejoignit le petit groupe au moment où sa bien-aimée entrait dans la voie solitaire. Les yeux brillants d'une joie merveilleuse, elle regarda ses chéris et sourit pour un suprême adieu, puis elle s'enfonça dans la sombre vallée de la mort.
- Miriam, ma chérie, vous êtes à nous pour toujours, dit le Général d'une voix brisée par la douleur.

Elle sourit à nouveau, s'enfonça un peu plus avant, et le groupe attristé disparut à ses yeux.
Son père remit le précieux esprit à la garde du Père céleste. Elle ferma ses yeux aux scènes terrestres et s'éveilla pour contempler le Roi dans sa beauté.




D'une manière toute spéciale, Miriam était une fille du peuple. Elle l'aimait vraiment, et son plus ardent désir était de lui consacrer sa vie. Selon l'ordre de Dieu, elle quitta ce monde de la façon qu'elle aurait sans doute choisie elle-même, partant du champ de bataille du grand hôpital. Pour sa mère'. et toutes les mères lé comprendront facilement, les circonstances de la mort de sa fille chérie, loin de la maison, au milieu d'étrangers, sembla remplir sa coupe de douleurs jusqu'au bord. Dans les premiers moments de cette grande peine, la Capitaine d'État-Major Olive lui apporta une consolation en racontant comment, tandis qu'elle attendait à la porte de l'hôpital, elle avait pu trouver, dans son pauvre coeur meurtri, les paroles de consolation pour une pauvre veuve brisée par l'agonie d'un deuil récent.

La Parole de Dieu est certaine : « Toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu. » Déjà quelques-uns ont commencé à voir comment le bien découlerait de cette expérience inattendue; car le monde est plein en ce moment (2) de malades séparés de leurs bien-aimés et de leur foyer, au moment de leur plus grand besoin; les êtres qu'unissaient les plus tendres liens durent abandonner leurs malades aux soins des étrangers, recevoir leur « adieu » au milieu d'indifférents, ou même ne jamais savoir comment leurs dernières heures s'étaient écoulées. Ceux-ci étaient dispersés par le monde, et la pensée que la Capitaine Miriam, après ses longues années de réclusion dans sa chambre de malade, passa par le même chemin difficile, les attacha plus étroitement à l'Armée du Salut.




Au Congress Hall, la salle que Miriam aimait par-dessus tout, où, tout petit bébé, elle avait été consacrée à Dieu et à l'Armée du Salut, où, plus tard, elle avait elle-même voué sa vie à la guerre sainte, on déposa son corps pour le dernier adieu de ses camarades.

La chambre du vieil édifice, préparée par la Commissaire Catherine pour sa soeur, est appelée la chambre du Général. Là, notre Chef se repose, travaille et reçoit entre les réunions tenues dans cette salle centrale de l'Armée. Là aussi, le grand-père glorifié se reposa.

« Nous avons tout disposé comme nous pensons qu'elle l'aurait aimé », dit la Commissaire, quand, avec l'amour le plus désintéressé, elle montrait le chemin de la chambre silencieuse. Le désir de Miriam? Les arrangements les plus simples portant la marque distinctive du soldat.

La chambre était drapée aux couleurs de l'Armée, mais il n'y avait pas de fleurs. Malgré son grand amour des fleurs, pendant toute sa vie elle fut peinée de voir les gens dépenser leur argent à acheter des fleurs pour leur plaisir. Elle aurait certainement demandé que l'argent des fleurs, que l'on pourrait désirer placer sur sa bière, fût consacré au soulagement des malheureux.
Elle était très belle dans la paix de la mort. Ses mains, aux formes délicates, étaient jointes sur son bien-aimé drapeau, dont les plis l'enveloppaient. Elle avait exprimé, une fois, le désir que ses galons de sergente, emblèmes de ses derniers services publics, soient placés dans son cercueil. On ne l'oublia pas.

Sur son large front semblaient écrites les promesses accomplies d'une parfaite victoire.
Comme nous la regardions, nous comprîmes pleinement le sens de cette déclaration : « 0 mort, où est ton aiguillon? » Et cette joyeuse affirmation : « Nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire, parce que nous regardons, non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles; car les choses visibles sont passagères, mais les invisibles sont éternelles. » Qu'importait maintenant la longue bataille ? Christ avait soutenu son enfant dans ce combat, il l'avait aidée à en sortir plus que vainqueur.

Le jeudi 13 décembre après-midi, la Capitaine Miriam fut déposée à côté de ses grands-parents et de nos autres morts, dans cet endroit sacré aux salutistes du monde entier, le cimetière d'Abney Park. Avant les funérailles, le Général présida un service au Congress Hall, auquel prirent part plusieurs membres de la famille. Le vieil édifice aux murailles grises était rempli d'une multitude silencieuse, et une foule qui n'avait pu entrer. formait une longue colonne dans la rue.

Les arbres. dehors, tendaient vers le ciel leurs bras dénudés, mais sur leurs branches on découvrait les bourgeons, promesses du printemps. À l'intérieur du Congress Hall. des milliers de gens séchaient leurs larmes tandis qu'ils chantaient, par la foi, devançant le grand jour :

Bientôt nous Te verrons au ciel,
Sur ton trône éternel.
Mais ne vivant déjà qu'en Toi,
Nous Te couronnons Roi.
C'est Toi, Jésus, oui, c'est Toi
Que nous couronnons Roi.

La procession, avec sa musique, son drapeau, ses uniformes, le cercueil sans ornement, solennel et silencieux symbole de l'incertitude de la vie, firent entendre leur message à des milliers de spectateurs sympathiques. Sur le cercueil, reposaient le chapeau de la guerrière et sa Bible. Lorsque la procession atteignit Abney Park, le jour déclinait rapidement. Une foule immense entourait l'endroit où, dans un passé inoubliable, on déposa les restes de la mère de l'Armée du Salut et ceux de notre Fondateur.

La note prédominante des chants et des prières du court service funèbre fut la louange et non les lamentations.
En terminant, le Général, debout au premier rang, insista pour que chaque personne présente réfléchisse à la leçon qui se trouve toujours dans les événements que Dieu permet :
Je me suis demandé, continua-t-il, quelle est cette leçon pour moi-même? Quelle est cette leçon pour sa mère? Quelle est cette leçon pour toute notre famille? Je vous prie de chercher au fond de votre coeur, qui que vous soyez, la réponse à cette question : Y a-t-il une leçon pour moi dans cet événement?
Dès le moment où Miriam fut frappée, je n'ai pas entendu un seul murmure sortir de ses lèvres, mais toujours ces mots : « Pouvoir faire la volonté de Dieu, c'est le tout de la vie. »

Je vous répète cet après-midi : Le tout de la vie c'est d'accomplir la volonté de Dieu et de marcher avec lui dans cette intimité qui nous permet en tout temps de dire : « Ta volonté soit faite. »

Le Commissaire Howard, Chef de l'État-Major, prononça la bénédiction après que le corps eût été confié à la tombe.
Le dimanche soir qui suivit les funérailles, le Général présida un service commémoratif au Congress Hall. La salle se remplit de nouveau, et la vie de la Capitaine Miriam, une fois de plus, adressa un vibrant appel à ces milliers de personnes dont elle avait aimé l'âme, et qu'elle s'était efforcée de bénir pendant son passage sur cette terre. Ses bien-aimés étaient présents : son père, sa mère, ses soeurs, ses frères, son fiancé, non pas comme des affligés sans espérance, mais comme des croyants qui attendent dans l'espoir, assurés d'une glorieuse résurrection, la réunion certaine, et qui sentent que le reste de leur vie, pendant lequel ils pourront servir Dieu et sauver les perdus, devient de plus en plus précieux. Avant que la réunion de prière prît fin, une centaine d'âmes pleuraient sur leurs manquements et leurs péchés, et confessaient au Sauveur de Miriam, leur désir de vivre d'une vie sainte. Qui oserait dire qu'elle ne connut pas cette victoire et n'en partagea pas les joies ?




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(1) Gordon Simpson était son fiancé. 
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(2) Pendant la guerre. 
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