Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

MIRIAM ET LE FONDATEUR DE L'ARMÉE

 De la mère de l'Armée, Mme la Générale Catherine Booth, Miriam ne gardait qu'un unique souvenir. Elle se rappelait, à l'âge de trois ans, avoir été conduite dans la chambre de la malade. Elle portait sa poupée dans ses bras, et sa grand'mère lui recommanda de bien soigner la poupée, et de veiller à ce qu'elle n'eût pas froid.

Par contre, sa mémoire constituait un véritable magasin où s'entassaient les souvenirs du Général William Booth, son grand-père. Parlant avec des amis, quelque temps avant sa mort, Miriam s'exclamait en réponse à une question :
- S'il me manque? Mais il me manque toujours plus chaque jour!

Elle regarda par la fenêtre, et ses yeux étincelaient quand elle continua :
- Vous savez, je le connaissais si bien. Chacune de ses photographies me rappelle un trait de caractère que j'ai compris.

Elle écrivit une fois :
Je pense que, dès ma plus tendre enfance, le trait de caractère de mon père qui fit la plus profonde et la première impression sur moi, ce fut son infatigable dévouement au cher vieux Général, son père à lui. Chacun de nous, à la maison, savait que la parole du grand-père faisait loi. Ses désirs devaient nous plaire, et dès notre enfance, nous apprîmes que si nous voulions réellement plaire à papa, il nous fallait plaire à grand-papa.

Grand-papa fut le héros de Miriam dès ses premières années. Elle n'était pas effrayée par ses manières austères. Elle recherchait sa société aussi souvent que possible, elle lui racontait ses joies et lui confiait ses ennuis. Lorsqu'il était absent, elle s'intéressait au récit de ses efforts avec un amour et une admiration qui confinaient à l'adoration. La première lettre, écrite à l'âge de huit ans et conservée par le Général, est une description effrayante d'un poney qui s'était emballé avec sa voiture, à Hadley Wood, et s'était cassé une jambe Le grand-père trouvait dans cette enfant, enthousiaste et sensible, assez de traits de son caractère à lui pour les considérer siens, et assez de qualités de la grand'mère pour le charmer entièrement.
D'autres que lui notèrent cette combinaison des deux caractères, et la Commissaire Booth-Hellberg écrivait à ce sujet :

Quelques traits de son caractère me rappelaient beaucoup mon père, et d'autres ma mère. Son goût de l'humour, ses promptes réparties spirituelles, sa façon énergique de faire face aux difficultés et d'en triompher, sa foi illimitée dans le pouvoir immuable de Dieu pour accomplir des miracles, me faisaient penser à son grand-père. Tandis que sa tendre compassion pour les faibles, sa compréhension de leurs combats et de leurs tentations, et même de leurs péchés, - qu'elle s'efforçait de cacher ou, lorsqu'ils étaient découverts par un autre, qu'elle jugeait avec tant de charité, - toutes ces qualités me rappelaient ma mère d'une manière frappante. Parfois, pendant les soirées pathétiques à « Rookstone » (1), assise près de mon père aveugle et lui donnant la main, nous parlions de Miriam; il me disait :
- Elle ressemble tant à sa grand'mère, elle lui ressemble tant!

Dans un article, « Premiers souvenirs de mon grand-père », qui parut dans le Cri de Guerre, il y a quelques années, Miriam donne un aperçu des relations simples et heureuses qui existaient entre le vieux Général et les enfants du Homestead :
Noël, dans la plupart des foyers, est un temps de joie et de bonheur, écrit-elle; mais je pense que chez nous il l'était plus que partout ailleurs. Un des principaux événements de ce jour consistait à aller chanter nos cantiques de Noël à la porte du cher Général, quand il était en Angleterre à ce moment-là. Quels que soient les plans que nous ayons faits pour ce jour, notre fête de Noël commençait toujours par cette visite-là.

Je me rappelle très bien ces matins de Noël; nos courses à travers le jardin avec nos instruments de musique : violons, guitares et cornets à pistons, jusqu'à la maison du Général; nos joyeuses sensations; le visage fouetté par le froid, excités par l'obscurité, nous essayions de nous glisser sans bruit jusqu'à la porte de la chambre à coucher du Général. afin de le surprendre. Nous avions généralement préparé quelques nouveaux choeurs de Noël, mais nous prenions grand soin de ne pas oublier son cantique favori : « Quand Jésus naquit dans une crèche », avec le choeur : « Pour sauver un pécheur comme moi ». Nous terminions toujours par : « Quand l'appel sonnera là-haut, je serai là. »

Hélas! un matin de Noël nos bas se trouvèrent remplis de choses si intéressantes, que nous oubliâmes l'heure. Imaginez notre surprise et notre consternation, quand nous entendîmes le bruit de la canne du Général frappant à coups redoublés le carrelage du vestibule et la voix de stentor de notre grand-père entonnant : « Chrétiens, éveillez-vous. » Immédiatement, nous nous cachâmes sous les couvertures, mais le Général monta dans nos chambres; il nous amusa fort en piquant du bout de sa canne les occupants de chaque lit, soulevant ainsi les éclats de rire de toute la société.

Le Général a toujours été anxieux de nous voir remplis de l'esprit du véritable salutiste. Nul détail de nos efforts enfantins pour vivre en soldats de l'Armée du Salut ne le laissait indifférent ou ne lui paraissait indigne de ses préoccupations. C'est en prenant le thé avec lui, les après-midi où le Général était chez lui, que nous eûmes les meilleures conversations sur toutes sortes de sujets relatifs à la guerre du Salut. Les faits et gestes de notre petit poste étaient souvent discutés et le Général nous fournissait son aide dans la préparation de nos réunions; il nous entretenait de thèmes comme : « Les textes qui conviennent à la réunion du dimanche soir », ou bien : « Comment annoncer une collecte. » Je me rappelle bien une certaine occasion, où le Général nous parla d'une de ses réunions de la Semaine de Renoncement où l'on trouva à la collecte 120 livres (3.000 francs or). Le même jour, nous tenions une réunion dans un petit village de notre district, et la collecte ne produisit que 13 shillings (16 francs or). Le Général, malgré ses nombreuses et importantes occupations, ne manqua point de nous interroger sur les résultats de notre réunion. Avec hésitation, nous lui parlâmes de la petite somme collectée, mais il vit promptement notre désappointement.
- Je trouve ce résultat magnifique, dit-il, et j'ose dire qu'aux yeux de Dieu, il y avait plus d'effort et de sacrifices dans cette collecte de 13 shillings que dans mes 120 livres.

L'exemple et les propos du Général étaient toujours présents à la pensée de Miriam. Par exemple, comme on lui disait qu'un certain édifice était froid, elle répliqua :
- Quelle négligence! Ne pas avoir de feu dans cette salle. Pas étonnant qu'il y ait eu si peu de personnes. Sans doute les gens sont allés au cinéma, où il faisait chaud. Notre ancien Général disait : « Vous ne pouvez avoir une bonne réunion de sanctification avec des auditeurs aux pieds froids. » Je ne sais pas ce qu'il dirait d'une réunion de salut dans de telles circonstances.

Miriam, en grandissant, devint une cause toujours plus grande de joies et de réconfort pour son grand-père. Dans le journal de la jeune fille, nous trouvons ces lignes :
Le Général parle des services que je puis lui rendre en lisant les brouillons de ses manuscrits. Il m'a envoyé une charmante lettre ce matin et dix shillings, me disant que, puisque je dois devenir sa secrétaire, il se sentait responsable en partie de mon confort. Bien aimable de sa part, lettre et argent furent les bienvenus.

Un des plaisirs du Général était de voir Miriam présider le thé l'après-midi, quand parfois, dans les dernières années, il dirigeait les affaires de l'Armée, à Hadley Wood. Dans une certaine occasion, il faisait remarquer à un officier qui était avec lui :
- Nous attendrons un moment, Miriam va venir nous verser le thé.

Les yeux gris, perçants, prirent alors une expression rêveuse. Le Général sembla tomber alors dans une profonde méditation. Puis il murmura :
- Avez-vous remarqué ses yeux? Tout à fait les yeux de sa grand'mère.

Gaie comme un rayon de soleil, Miriam se joignait à la petite société, et avec le tact d'un coeur à l'affection vigilante, elle égayait cette demi-heure, elle la rendait réellement reposante.

Quelquefois, elle encourait le mécontentement du Général. Si elle avait mérité une gronderie, elle l'acceptait et promettait de s'efforcer de s'amender, mais si elle savait n'avoir point tort, ou qu'elle avait de bonnes raisons de croire que quelqu'un était blâmé injustement, les yeux brillants qui ne cillaient point, un rire joyeux sur les lèvres, elle tenait tête au Général. Personne n'appréciait comme lui un franc et loyal adversaire.

Miriam suivait avec intérêt le récit des faits et gestes du Général, dans ses tournées en Angleterre et à l'étranger; elle se faisait un point d'honneur d'aller le conduire à la gare au moment du départ, et de l'accueillir sur le quai au retour.

Il était vraiment aimable avec nous les enfants, dit-elle une fois. Quand j'y pense, la manière dont il accueillait nos manifestations intempestives et extraordinaires, était fort bienveillante. À n'importe quel moment qu'il partit, notre groupe l'accompagnait à la gare. Nous formions une étrange petite bande, en ce temps-là; nous allions pieds nus et portant un drapeau pour saluer le départ de notre grand-père. Grand-papa et papa marchaient en avant en grande conversation, et nous, nous suivions derrière, jacassant tout le long du chemin. Après le baiser d'adieu, quand le train partait, nous agitions notre drapeau et criions de toute la force de nos poumons. Je me demande combien de grands hommes auraient supporté cela.

Dans son journal, nous trouvons ce passage:
Le Général est arrivé ce soir, après son long voyage en Amérique. *Il semble en très bonne santé, quoique nous ne puissions nous empêcher de constater qu'il a considérablement vieilli. Nous sommes reconnaissants à Dieu de l'avoir ramené sain et sauf parmi nous. Naturellement, papa revint avec lui à Hadley Wood. Nous avions retenu une voiture, mais le Général dédaigna notre « affectueuse attention » et fit le chemin à pied d'un pas vif. Bernard, Cliffe (2) et moi nous étions à la gare, maman et Catherine l'attendaient à « Rookstone ».

Quand le Général voyageait. Miriam l'approvisionnait de gentils messages, qui devaient lui être comme autant de fleurettes d'amour pour parfumer la vie du vieux guerrier solitaire. Les lignes suivantes nous en offrent un échantillon :
Nous avons lu dans le Cri de Guerre le récit des moments bénis, dont vous avez joui, et plus noue les lisions, plus nous désirions être avec vous. Particulièrement aujourd'hui et demain, quand vous serez avec Cath (3) à Bath. Nous prions Dieu pour que vous ayez une journée bénie de toutes façons.

Marie est partie avec papa et maman. Je suis dans une misérable condition sans elle, mais je tiens ferme et à la maison et au poste. Notre Adjudante est en vacances.

Elle terminait en donnant des nouvelles de 14 mort du chat, de « Carlo » (4), qui était en bonne santé, des vacances des enfants :
Hier, je les ai conduits au bain et ils s'en sont donné à coeur joie, sautant et se jouant comme des poissons dans l'eau.

Dans les Souvenirs déjà cités, Miriam écrit :
Pas un grand-père, je pense, n'écrivit autant ses petits-enfants que le Général. Bien que toujours sur le front de bataille, écrasé par de multiples fardeaux, portant la responsabilité de quelque voyage à l'étranger, ou de lourdes campagnes en Angleterre, le Général trouvait toujours le temps d'envoyer un joyeux et affectueux message écrit de sa propre main.

Une fois, il m'écrivit d'une ville à l'étranger :
« Nous avons des réunions merveilleuses. Je ne puis me rappeler rien qui les surpasse. Je voudrais que vous puissiez être ici avec moi pour me chanter un solo de temps à autre, mais la réalisation de ce souhait doit être remise à d'autres temps. Vous lirez les comptes rendus de ces réunions dans le Cri de Guerre, mais ils ne peuvent décrire qu'imparfaitement l'impression faite dans les diverses villes où nous tînmes nos réunions. Quelles magnifiques occasions d'agir s'offriront à l'Armée dans l'avenir. Dieu vous bénisse, ma chère fille, et qu'il vous prépare pour le rôle que le Maître, je crois, désire vous voir jouer. Je pars pour Rome aujourd'hui. Oh! que j'y puisse dire quelques paroles qui honoreront mon Maître et sauveront l'âme de quelqu'un.

Lorsque Miriam entra à l'École Militaire, le Général fut très heureux. Dans son journal, à cette date, Miriam écrit de courtes notes dans le genre de celle-ci :
Couru dire bonjour au Général. Il fut très aimable. Il a parlé merveilleusement bien à sa réunion d'anniversaire hier soir.

Au moment de la réunion d'ouverture du Congrès International des Oeuvres Sociales, dans les premières semaines de l'été 1911, à la veille de sa maladie, Miriam écrit :
Je fus autorisée à aller voir le Général à l'heure du thé, lorsqu'il reçut les délégués au Congrès. Il fut très affectueux pour moi. J'ai bu le thé à même de sa tasse et j'ai partagé son pain et son beurre.

Sa maladie causa un profond chagrin à son grand-père. Lorsque l'enfant qu'il aimait si tendrement, et pour laquelle il rêvait une glorieuse carrière, dut s'aliter, on ne pouvait considérer sans émotion ce grand vieillard, âgé de plus de quatre-vingts ans, presque aveugle et déclinant rapidement, s'efforçant de réconforter la jeune fille. Lui écrivant, quelques jours après qu'elle eut été frappée par la maladie, il disait :
Je me sens poussé à vous envoyer ces lignes par la chère Marie, qui, je l'apprends, aura le plaisir de vous chuchoter un mot d'affection à l'oreille, ce matin. Ce plaisir m'est interdit, aussi je vous envoie mon gribouillage pour remplacer ma visite. Je ne puis pas vous dire combien je suis reconnaissant envers le Seigneur pour ses bontés à mon égard. Son saint nom soit béni! Vous devez vous hâter lentement dans votre convalescence. Vous avez passé par une grande épreuve, et il vous faudra de la patience et du temps avant que vous ne retrouviez votre santé parfaite et votre première vigueur. Mais Dieu vous aidera, et nous aurons la joie de vous voir accomplir, comme auparavant, votre oeuvre de guérison des coeurs blessés, de découvertes des prodigues, et du salut des âmes. Mes yeux ne veulent pas me laisser écrire tout ce que je désirerais. Tout mon amour, chérie.

Votre grand-père affectueux.

S'il quittait Londres pour quelques jours, il lui envoyait une couple de lignes dans le genre de celles-ci :
J'aurais dû aller vous voir et vous embrasser, hier soir. Pardonnez-moi. Je serai de retour demain et j'espère vous trouver en meilleure santé.

Ou bien encore :
Je suppose que vous êtes bien seule ce soir. Papa parti à Manchester et maman en Irlande. Cependant, il vous reste Dora et Olive pour vous soigner. Relevez votre courage, ma chérie. Je désire tout simplement que vous sachiez que je pense à vous.

Une fois, comme la chère malade traversait une crise spirituelle, il lui écrivit :
C'est le moment pour vous, chère Miriam, comme pour moi, de montrer la foi dont nous avons parlé et que nous avons chantée. Et vous le ferez. Je suis sûr que vous voulez le faire, ma chérie; et je veux, de mon côté, combattre fermement le même combat. Dieu vit, j'en suis certain. Il est amour et miséricorde, j'en suis certain. Il se soucie de vous et il vous donnera le meilleur pour le moment présent et pour l'éternité, j'en suis également certain.

Elle lui manqua beaucoup, quand elle quitta la maison pour un changement de climat, et parfois un écho de cette privation se glissait dans ses lettres :

Dora et Wycliffe viendront prendre le thé avec moi, mais quand Miriam viendra-t-elle ? Je ne devrais pas demander cela, car je sais qu'elle a déjà elle-même posé cette question bien des fois. Je me sens tout à fait perdu ici sans vous. Il me semble étrange, qu'après avoir attendu si longtemps, si patiemment et si anxieusement que vous franchissiez le tournant critique pour que vous puissiez nous rejoint un peu, - même beaucoup, - vous disparaissiez. Enfin nous devons être patients, et les choses s'arrangeront un peu mieux à notre gré qu'elles ne l'ont été ces derniers mois. J'ai pour ma part des hauts et des bas, dans mon état de santé comme dans mon humeur. J'ai passé un mauvais quart d'heure sur le steamer, en revenant de Flushing, mardi dernier. Je pars à Tunbridge Wells pour dimanche. Dieu soit béni, Il peut et veut m'employer malgré mes infirmités.

La dernière lettre du Général à Miriam fut écrite par portions, peu de temps avant l'opération suprême de ses yeux. Quand il s'interrompait, il ne voyait plus, il fallait que sa main soit replacée à l'endroit où il devait recommencer. Miriam souffrait d'un rhume et le Général lui écrivit :
Il m'est interdit d'aller au Homestead, j'aurais tant aimé jeter un regard sur vous. J'espère que vous serez débarrassée de votre nouvel ennemi à mon retour, ainsi je pourrai aller vous voir. Combien de fois nous nous sommes entretenus du mystère de nos afflictions! Ne vaudrait-il pas mieux pour nous les accepter comme la volonté de notre cher Seigneur, et cela sans hésiter et toujours ? Je ne puis pas vous aider, je puis seulement demander comment vous allez, et me réjouir quand ils me disent que vous allez mieux, et gémir quand ils disent que vous n'êtes pas aussi bien. Si, je puis faire davantage, je puis prier pour vous et cela, soyez-en sûre, je le fais. Peut-être ai-je besoin de plus de foi ? Nulle nécessité de dire peut-être! Cette vérité est trop évidente. Je serai meilleur et j'agirai mieux, Seigneur, aide-nous tous les deux! Aide ton pauvre serviteur en augmentant ma confiance en tes soins paternels en faveur de ma petite-fille, et aide ma chère Miriam en améliorant sa santé et en la conduisant quelque part en Allemagne (5), ici ou à l'étranger, et fais d'elle une conquérante d'âmes. Adieu. Je ne puis plus lire ce que j'écris, et je me demande si vous le pourrez vous-même. En tous cas, cela vous aidera à comprendre que vous n'êtes pas oubliée par votre affectionné grand-papa.

P.-S. - Mes amitiés à Dora et à chacun de ceux qui sont auprès de vous, en bonne santé, y compris les chiens!

Les semaines suivantes, la coupe de Miriam fut mêlée de douceurs et d'amertumes, de joie et de tristesse. L'Adjudant Simpson entra dans sa vie, au moment où le Général reposait, aveugle et fatigué par son opération, approchant rapidement du seuil de l'éternité. Nous avons des aperçus de cette situation dans ses lettres à l'Adjudant. Elle s'exprime ainsi dans ses premières allusions à cet état de choses :
Vous prierez, je le sais, en ce moment d'anxiété, pour le Général. Il est un petit peu mieux cet après-midi, mais il a été bien mal. Mère a été auprès de lui toute la journée.

Et un peu plus tard :
Nous passons par une heure sombre. Il semble que la fin ne saurait tarder. Le cher Général ne souffre pas, mais les docteurs disent qu'il ne sortira pas du coma. C'est un noble guerrier glissant au repos. Je ne puis pas me persuader qu'il nous quitte, mais il aura au ciel une entrée vraiment triomphale.

Un jour ou deux après la mort du Général, Miriam écrit :
Nous allâmes tous dire le suprême au revoir à notre cher Général, la nuit dernière. Ce fut un moment triste et solennel. Mon cher père fut admirable, il nous parla tandis que nous entourions la forme inanimée du grand guerrier, si cher à chacun de nous, non seulement comme chef, mais aussi comme grand-père; il nous parla de l'idéal pour lequel le Général vécut : justice, simplicité et fidélité aux principes; puis il pria. Oh! si bien, si éloquemment! Je me sentis profondément abattue quand j'eus conscience que je regardais le cher visage pour la dernière fois. Je ne puis expliquer ce déchirement. La mort est terrible, et pourtant ma foi fut fortifiée, je sentis toute la différence entre la vie et la mort. Ce cadavre froid n'était pas mon cher Général. Je sens avec une certitude inébranlable qu'il est parti, il nous a devancés.

De la fenêtre du bureau de sa mère, au 101, Queen Victoria Street, a Londres, Miriam vit le cortège funèbre traverser la Cité et, après, quand elle revint à Hadley Wood avec son infirmière, elle écrivit :
Il faisait bien triste ici cet après-midi. J'ai prié pour eux tous à Abney Park (6). Ces paroles merveilleuses : « O mort, où est ton aiguillon ? O sépulcre, où est ta victoire ? » me vinrent à l'esprit avec une fraîcheur sans pareille.

Le service solennel commémoratif, présidé par notre, Général actuel au « Congress Hall », fut la dernière réunion publique à laquelle Miriam assista. Avant que ne revienne, pour la sixième fois, l'anniversaire de la mort du Général, du haut de la même estrade, son père, Bramwell Booth, avait présidé les funérailles de Miriam. Elle avait rejoint ses grands-parents bien-aimés.

Miriam, quelques semaines plus tard, parlant de la vague de sympathie que souleva la mort du Général, écrivit ces lignes :
C'est un moment unique dans la vie de l'Armée. Comme je désire pouvoir profiter de l'occasion offerte par cette inclination des coeurs vers nous, et aider ainsi à rassembler une ample moisson d'âmes.

Bien que sa maladie empêchât Miriam de parler en public de la vie de son grand-père, comme elle aurait aimé le faire, nous avons, en un plan très bref, préparé pour l'Adjudant Simpson, des notes qui montrent, non seulement son appréciation du caractère du Général, mais aussi son art de choisir les matériaux et son respect des proportions.

J'aimerais vous aider à préparer votre discours, écrit-elle, et comme vous avez très peu de temps, je trace rapidement les pensées comme elles me viennent. Prenez deux ou trois points principaux et tenez-vous-y, illustrez-les par le récit de nombreux incidents. Ne rassemblez pas trop de matériaux, ou vous serez submergé et vous n'arriverez pas à prononcer la moitié de votre discours.

La dernière fois que vous avez vu le Général, il vous a dit : « Vous devez faire mieux que votre mieux! » Vous pouvez glisser cette phrase dans votre allocution. Que penseriez-vous de ces trois points principaux ?
I
. - Le salut des âmes fui le but suprême de la vie du Général. J'étais sur le quai d'une gare attendant le train avec le Général. Un monsieur s'approcha, évidemment avec le désir de critiquer. Il dit :
- Général, croyez-vous légitime l'emploi de l'émotion pour amener les gens au salut?

La réponse ne se fit pas attendre :
- Je crois que l'on doit sauver les gens. Pourvu que vous les sauviez réellement, je ne me soucie pas de la méthode que vous employez.

Il
. - L'humilité et la simplicité du Général. Toujours le même, quand les rois l'honoraient comme lorsque le monde le raillait et le méprisait. Il ne fut pas gâté par le succès. Après une fin de semaine des plus surchargées, où il avait attiré de grandes foules et fait une profonde impression, le Général, très fatigué, s'était retiré. Sa sonnette retentit, et un officier répondit à l'appel. Le Général était à genoux. Il dit :
Venez m'aider à chanter :

À genoux, à ses pieds sanglants,
Je veux les baigner de mes larmes.

J'aime toujours chanter ce cantique, lorsque j'ai eu un moment de succès.

III
. - Résumez : Le secret de la puissance du Général. Une bonne phrase pour finir, à moins que vous ne préfériez en faire le refrain, le Leitmotiv de votre discours : « Les promesses de Dieu sont certaines, mais il faut y croire (7). » Papa demandait au Général, pendant sa dernière maladie, quel était le secret de sa puissance. Il répondit :
- Je me suis décidé à consacrer à Dieu tout William Booth.

Faites entrer dans votre discours tout ce que vous pouvez. Parlez assez rapidement et ne consacrez pas trop de temps à l'introduction et aux deux premiers points, la fin est la partie la plus intéressante et la plus importante.

Comme nous l'avons vu, elle fut la première de la famille du Général à suivre notre Chef bien-aimé de l'autre coté du fleuve. Lorsque la nouvelle de sa mort fut annoncée dans un certain foyer salutiste, le petit garçon écouta avec cet air impassible et sérieux des petits garçons qui écoutent les conversations des grandes personnes, puis il fit cette remarque :
- Je suppose que le bon Dieu laissera aujourd'hui le vieux Général se rendre à la porte du ciel. Et quand il verra venir Miriam, il descendra à mi-pente de la colline pour aller a sa rencontre et l'introduire.

Comprise de façons différentes, selon l'âge et l'expérience, cette foi joyeuse et réconfortante dans la glorieuse immortalité, dans la réunion au sein de l'amour et de la joie, par-delà le tombeau, existe dans le coeur de tous les salutistes.




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(1) La maison d'où William Booth fut promu à la Gloire le 20 août 1912. 
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(2) Diminutif de Wycliffe. 
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(3) Diminutif de Catherine. 
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(4) Le chien.
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(5) Comme nous l'avons déjà dit, Miriam devait se rendre comme officière en Allemagne au moment où elle tomba malade. 
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(6) Le cimetière où fut déposée la dépouille mortelle de William Booth et où il repose à côté de Catherine Booth. 
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(7) La dernière parole consciente dite par William Booth sur son lit de mort. 
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