Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

À L'ÉCOLE DES OFFICIERS

 Au mois de mai 1910, Miriam devint cadette; elle entra à l'École Militaire Internationale, pour être préparée à sa mission d'officière. Cinq ans plus tôt, elle avait vu sa soeur Catherine s'en aller, puis Marie avait suivi, et maintenant ses propres désirs allaient être réalisés. Depuis sa plus tendre enfance, elle s'était préparée pour ce jour et l'avait souhaité.

Quelques semaines avant sa mort, parlant des multiples et grandes occasions que l'Armée du Salut offre aux jeunes gens, Miriam disait:
Je ne sais pas ce qu'ils attendent, ou pourquoi ils attendent des révélations particulières, ou des voix dans la nuit, pour les appeler à offrir leur vie au service de Dieu. Il y a le besoin, le terrible, terrible besoin des peuples de tous les pays, et certainement pour les personnes réellement sauvées du péché, en possession de leur santé et de leurs facultés, ce besoin est, par lui-même, un appel suffisant. Quand les gens dorment dans une maison en flammes, qui donc attend un appel Spécial pour les avertir du danger qu'ils courent, et pour les conduire en un lieu sûr?

Aussitôt donc que son âge et sa santé lui permirent de faire le pas décisif, elle quitta joyeusement la maison paternelle pour devenir une des milliers d'officières de l'Armée du Salut, que son père a si bien nommées : « les servantes de tous ». Miriam passa deux ans à l'École des Officiers, la première année comme cadette, la seconde comme sergente d'École Militaire.

Il y eut une certaine émotion parmi les autres cadettes, quand elles apprirent que la petite-fille du Général fondateur serait de leur « volée », comme s'appelle le groupe de cadettes d'une session. Parmi toutes les réflexions échangées dominaient surtout celles au sujet de la position qu'occuperait cette cadette particulière; mais ses camarades découvrirent bientôt que ce qui distinguait la cadette Miriam, c'étaient ses qualités spirituelles, plutôt que des privilèges exceptionnels.
Elle prit part aux travaux du ménage accomplis par les cadettes, dormit dans le dortoir, elle s'assit à la même table que les autres, étudia avec elles et se joignit à elles dans toutes les activités du dehors, prenant, lorsqu'elle avait la liberté de choisir, les postes les plus difficiles et les moins désirables. Officières et cadettes, qui furent associées à cette période de sa vie, conservent précieusement un trésor de pieux souvenirs, parmi lesquels il est difficile de choisir.

Certaines personnalités, brillantes et attirantes en public, perdent à être connues dans la vie privée; mais la douceur de Miriam, sa patience et sa bonne humeur dans la vie commune, la firent particulièrement aimer de celles qui vinrent en contact avec elle. Une officière, jadis sa compagne comme cadette à l'École des Officiers, déclare :
Elle ne fit jamais partie d'un petit clan, à l'École, mais elle se donnait à tous et particulièrement aux jeunes filles isolées. Si une cadette avait reçu de mauvaises nouvelles de la maison, et que l'on eût besoin de la cadette Miriam, on était sûr de la trouver dans la chambre de l'affligée. Je me souviens d'un retour de vacances où je souffris réellement d'une crise de nostalgie. Mais Miriam mit sa tête à la porte et, me jetant quelques fleurs printanières qu'elle avait cueillies chez elle, elle me dit joyeusement :
- J'ai pensé que vous aimeriez ces fleurs.

Ces petites attentions changent complètement le ciel d'une journée.
Son bonheur nous touchait toutes. Elle grimpait les escaliers de pierre de l'École, deux marches à la fois, et, elle donnait une gentille tape amicale sur l'épaule d'une jeune fille timide, et lui disait :
- Vous avez été merveilleuse ce matin.

Vous n'avez pas idée de ce que cette tape pouvait donner de courage. Cependant, elle n'était pas coulante sur les défauts de ses amies. Si vous lui demandiez son opinion, vous étiez sûre d'entendre la vérité, même si cette vérité ne constituait pas précisément un compliment, mais ses franches paroles ne cachaient aucun aiguillon.

Miriam réussissait dans ses études, bien qu'elle ne trouvât pas toujours les sujets très faciles. Elle voyait approcher les examens avec la même inquiétude que les autres cadettes. Se rappelant les avantages de son éducation, elle sympathisait avec les jeunes filles qui, avant leur venue à l'École des Officiers, n'avaient pu se consacrer à l'étude.

Quelques-unes de ces cadettes souffraient d'une telle appréhension des examens, que Miriam comprit que leur crainte leur nuirait et leur enlèverait tous leurs moyens devant les examinateurs. Elle s'offrit à les aider. Si vous aviez jeté un coup d'oeil dans sa chambre, pendant les heures de liberté, vous auriez trouvé Miriam accroupie à la mode indienne sur le tapis, un cercle de jeunes filles l'entourant, l'attention fixée sur les sujets les plus difficiles. Quelques semaines avant l'examen, elle s'arrangea avec une cadette qui s'éveillait toujours de bonne heure pour qu'elle l'appelle à la pointe du jour, et, avec sa petite classe, elle se faufilait dans la lingerie, où elles étudiaient jusqu'à ce que la cloche du réveil les oblige à retourner au dortoir pour se préparer aux travaux de la journée. Ne nous étonnons pas si, sortie la première, elle fut portée en triomphe sur les épaules des autres jeunes filles à travers les couloirs, et elle jouit de cette démonstration d'amitié, comme elle avait joui de sa classe matinale.

La verve humoristique de Miriam apportait une heureuse diversion aux ennuis des jours sombres et des situations difficiles. La composition de plans d'allocutions était peut-être le sujet le moins aimé de tout le programme d'études de l'École. Pour combattre les conséquences déprimantes de cette classe, Miriam gardait une provision de biscuits, brioches et sandwiches. Lorsque la cloche sonnait pour annoncer la fin de ce cours, elle s'exclamait :
- Enfin, les plans sont terminés; j'ai une faim de loup! Passons maintenant aux réalisations (1).

Et elle se précipitait pour aller chercher ses provisions et les partager entre toutes ses camarades. Pour les sergentes de sa promotion, une collation fut toujours une réalisation.
Pour préparer les cadettes au travail du champ de bataille, elles sont attachées à des postes proches de l'École des Officiers. Elles consacrent à ces postes un certain nombre d'après-midi et de soirées par semaine. Sous la direction d'une officière expérimentée, elles s'emploient au travail pratique qu'elles devront accomplir plus tard dans leur poste : visites de maison en maison, vente de Cri de Guerre dans les cabarets, réunions en plein air et réunions dans la salle. La Cadette Miriam travailla à son tour dans quelques-uns des plus pauvres quartiers de Londres. Les taudis de Shoreditch et de Hackney Wick étaient ses champs de travail favoris, elle y déversait son infatigable amour.


Miriam Booth avant son entrée à l'École Militaire 1909.

Plusieurs personnes s'étonnent que l'Armée du Salut exige de ses officières et de ses soldats du sexe féminin d'entrer dans les cabarets pour y offrir le Cri de Guerre. Le but poursuivi n'est nullement mercantile, mais spirituel; car cette activité leur permet de prendre contact avec des hommes et des femmes des plus irréligieux. Une officière se souvient que, pendant le séjour de Miriam à Shoreditch, elle sut parler d'une telle façon à un ivrogne, qu'il quitta le bar avec elle et la suivit à la salle de l'Armée du Salut. Elle le reconduisit ensuite chez lui, et veilla à ce qu'à donne sa paie à sa femme. Un peu plus tard, cette famille se rattacha au poste de l'Armée du Salut.

Pendant le séjour de Miriam à l'École des Officiers, l'Armée du Salut souffrait de violentes attaques d'une partie de la presse. Miriam était affligée d'entendre le nom de son grand-père et celui de son père tournés en moquerie par des badauds; mais son tact, souvent, transforma l'hostilité ignorante en bienveillance. Son visage si pur, ses traits si fins, contrastaient étrangement avec son sordide entourage :
- Écoutez, camarades, disait-elle gaiement, croyez-vous que ce soit très courageux d'attaquer les absents? Dites-moi, y en a-t-il un parmi vous qui connaisse le Général Booth? Non. Eh bien ! je connais quelqu'un qui vit en ce moment chez le Général, c'est une brave et honnête femme; elle m'a dit que le Général Booth est un homme droit juste, et bon, et je la crois.

Ainsi elle réussit à faire changer d'opinion à plus d'un groupe. Puis, les laissant, elle se glissait dans une rue écartée, elle essuyait sur son visage de chaudes larmes et murmurait
- Que la calomnie est terrible!

Mais, elle ne s'attardait pas à ces pensées; la vue d'un visage sombre, d'un enfant, ou d'une personne dans le besoin, réclamait son attention et amenait quelques nouvelles manifestations de cet amour qui brûlait dans son coeur.

Dans un journal fragmentaire qu'elle tenait à ce moment-là, nous trouvons quelques brèves mentions de ses visites aux cabarets :
Le Cri de Guerre se vendit difficilement cette après-midi, mais j'ai eu néanmoins des moments bénis. Dans un bar, j'ai pu parler avec deux hommes à l'aspect respectable, et aussi avec le tenancier; j'ai prié avec eux.
Les cabarets sont pleins. Comme ces gens émeuvent mon coeur ! Terrible bataille à la porte d'un « bistro ». Je me sentis poussée à me jeter dans la mêlée et à me saisir d'un des antagonistes. Sa femme était surexcitée et elle criait
- Tenez-le bien, ma soeur!

À nous deux, nous le tirâmes de la mêlée. Un monsieur vint nous aider et, à la fin, nous parvînmes à reconduire le pauvre homme chez lui! Toute la rue était en émoi. Je lui ai préparé une tasse de thé et j'ai prié avec lui. Il m'a promis de venir à notre réunion demain.

J'ai dû m'occuper de deux ivrognes ce soir à la réunion en plein air. Après la réunion du soir, je me suis jointe à une expédition (2) pour sauver les ivrognes à Islington. Expédition réussie malgré la pluie. Je suis rentrée à une heure. C'est magnifique de s'emparer des buveurs.

Cette expédition avait rassemblé dans la salle une foule de gens aux différents degrés de l'ivresse; dix d'entre eux cherchèrent le salut. Miriam, en l'absence de tout autre musique, conduisit l'expédition avec sa concertina (3).
Faire du bien dans les visites, entrer dans la maison où l'on ne vous invite pas, et, où même l'on ne désire pas votre présence, cela demande du tact et de la grâce. Mais, quoiqu'il en coûtât d'abord à Miriam d'accomplir ce travail, elle apprit à l'aimer, et elle était une messagère de paix dans toutes les maisons.

Elle ne se contentait pas d'une aide superficielle et d'une action toute sentimentale. Elle visait à obtenir des résultats bénis et permanents. La promesse du Sauveur s'accomplit pour elle : « Votre fruit demeurera. »
Le journal de Miriam nous fournit quelques aperçus de ses expériences comme visiteuse :
Très bonnes visites. J'ai entendu quelques histoires bien tristes; une pauvre vieille femme me parle du passé. Je lui ai fait son lit et je lui ai donné une pommade pour son fils malade.
En visite toute la journée. Très bonne journée. Toutes sortes de gens malades, rétrogrades, riches et pauvres. Témoin de bien des querelles. Je commence à connaître ce qui m'attend comme officière dans un poste.
Nous avions déjà visité deux familles dans une petite maison :
- Personne d'autre ne demeure ici? demandai-je
- Il y a encore Mme Smith, en haut, me répondit-on, mais je ne sais pas si elle aimerait vous voir.

La réponse n'était pas très encourageante, néanmoins, je m'aventurai jusqu'à l'étage au-dessus. Je frappai timidement à la porte. Un faible
« Entrez! », et j'ouvre la porte.
- Oh! ma soeur, vous êtes réellement venue, dit la femme qui m'aperçoit.

Elle se laisse tomber sur une caisse et me montre la seule chaise de la chambre.
Je jette un regard sur la pièce; la chambre con, tient un lit, une table, une caisse et une chaise, rien de plus. Tout est propre, le plancher est encore humide du dernier nettoyage. La femme était pâle, le visage émacié, et l'aspect profondément triste.
- Oh! vous êtes réellement venue, reprenait-elle, en berçant un bel enfant dans ses bras.
- Oui, vous m'attendiez donc? demandai-je étonnée.
- Je suis à bout de ressources, s'écria-t-elle, et malade, et je crains de l'avouer à mon mari; il est déjà fou d'inquiétude de me voir affamée; nous n'avons pas une bouchée de pain à la maison. Alors j'ai pensé aux soeurs de l'Armée du Salut; elles ne sont jamais venues ici; mais je me suis mise a genoux et j'ai dit tout simplement : « 0 Dieu, envoie deux soeurs aujourd'hui! » Et vous êtes vraiment venues!

Je lui fais conter son histoire. Bientôt dite, cette histoire : son mari avait une bonne place dans une fabrique de jouets, mais il la perdit sans qu'il y eût de sa faute. Il fabriquait maintenant de petits fouets pour enfants qu'on lui payait un prix de famine. Elle avait lutté bravement contre une maladie mortelle. Le loyer de la chambre, qu'elle occupait depuis six ans, n'avait plus été payé à temps, et le bébé et les autres enfants souffriraient bientôt de la faim. Elle avait prié pour recevoir la visite de deux soeurs, et sa prière avait été exaucée.
Nous discutâmes de la meilleure manière de lui venir en aide, et j'ai pu la réconforter. Oui, elle prierait, elle apporterait toutes ses difficultés à Dieu, et il l'exaucerait sans doute à nouveau.

J'ai promis de revenir avec le nécessaire, pour subvenir à leurs besoins immédiats. J'ai laissé la mère, le visage baigné de larmes de reconnaissance et le gentil bébé, aux abondantes boucles dorées, m'a gratifiée du plus charmant sourire qu'un bébé puisse donner, et il agita sa menotte en guise de salutation.

J'ai pu, plus tard, les aider d'une manière efficace. Nous avons payé le loyer, nous lui avons procuré des vêtements pour elle et pour ses enfants. Quelques semaines plus tard, nous les avions complètement remis sur pieds.

Comme les multitudes de l'East End de Londres avaient conquis son grand-père, elles conquirent aussi le coeur de Miriam. Avec sa brigade de cadettes, elle s'arrêtait au coin des rues populeuses, montait sur une chaise et de là commençait à chanter et à parler aux gens. Un officier raconte :
C'était vraiment intéressant de voir la façon dont elle groupait les foules qui restaient suspendues à ses lèvres, écoutant ses appels jusqu'à ce que la brigade se transporte ailleurs. Le plus souvent, elle restait en arrière pour aider quelqu'un à qui elle s'était particulièrement intéressée.

Une cadette, sa compagne, nous parle de sa grande capacité d'adaptation aux circonstances. Elle raconte :
J'avais songé à une démonstration spéciale en plein air. Il devait y avoir plusieurs cloches en carton : rouge pour le danger, verte pour l'avertissement, blanche pour le salut, noire pour la mort. Ces cloches, attachées à une corde, devaient être mises en branle pendant la réunion, tandis que nous chanterions ou parlerions sur les thèmes qu'elles suggéraient. Je demandai l'avis de Miriam. Elle se montra pleine d'enthousiasme.
- Splendide, dit-elle. Exécutez votre projet, puis prêtez-moi vos notes et vos cloches, et j'essayerai aussi.
Son succès dépassa le mien et de beaucoup. Une rue pleine de gens qui l'écoutaient, et elle, montée sur une chaise, parlait avec puissance, tandis que les cadettes agitaient les cloches.

Son journal nous donne quelques impressions sur son activité en plein air :
Bonne réunion en plein air. Une femme m'insulta un peu, mais cela rassembla une plus grande foule. Les cadettes réussirent bien.
Très bonne réunion en plein air. Un ivrogne à conduire, une femme s'évanouit dans la rue. Un homme suivit le défilé jusqu'à la salle; pendant la réunion, il s'approcha du banc des pénitents; il semble sincère.

Parfois, elle quittait la réunion en plein air pour aller parler aux mères debout sur le seuil de leur maison. Son amour des enfants était si grand, que même les plus mal soignés ne la répugnaient pas. Elle prenait les petits barbouillés dans ses bras et elle les embrassait, gagnant ainsi le coeur des enfants et celui de leur mère. Plus d'une âme fut conquise par ces conversations rapides au seuil des maisons.
Entre les activités de l'après-midi et la réunion du soir, les cadettes se reposaient dans la salle de l'Armée. Elles y prenaient leur goûter, qu'elles apportaient de l'École Militaire.

Après le thé, une réunion sans façon avait lieu, pendant laquelle la sergente avait l'occasion de traiter de quelques sujets pratiques concernant le travail des cadettes. Miriam considérait ces réunions comme les plus importantes, et elle s'y préparait comme si elle devait parler a un nombreux auditoire, et non à une poignée de jeunes filles. Le thé achevé, les cadettes repartaient vers les diverses activités qui leur étaient assignées. Le journal de Miriam nous permet de comprendre le sérieux avec lequel elle envisageait ces diverses responsabilités :

Ce soir, bon auditoire. Dieu m'a aidée à traiter mon sujet, car je ne me sentais pas très bien préparée. Nous avons eu sept âmes. Continué pendant une heure jusqu'à la victoire.
Lu : « Le péché est comme un feu dévorant. » J'ai senti que Dieu m'aidait. J'étais émue à la pensée de ces gens. Comment pouvons-nous les secourir?

Une expérience que les cadettes envisagent à l'avance avec un mélange de sentiments les plus divers, c'est le stage à Hackney dans l'oeuvre pour la jeunesse. Dans ce quartier pauvre et surpeuplé, nous possédons une salle pouvant contenir environ deux cents personnes, et consacrée aux réunions d'enfants. Le quartier fournit les plus rares spécimens de gavroches, et, si une cadette réussit maîtriser ces gamins, elle ne sera jamais embarrassée dans l'oeuvre parmi les enfants, quel que soit le poste qui lui échoie plus tard. Miriam jouit de cette occasion, bien qu'elle dût, pour faire face aux diverses éventualités de cette oeuvre, faire appel à toutes les ressources de son esprit fertile.

Un soir, quelques-uns des grands garçons étaient bruyants et' espiègles d'une manière extraordinaire. Ils avaient invente une façon nouvelle et plus rapide de descendre des galeries dans la salle, en glissant le long des colonnes qui soutenaient ces galeries. Ils accomplissaient ainsi toutes sortes d'acrobaties pour le plus grand ennui des cadettes et la joie des autres enfants. Miriam annonçait alors le cantique :

Quand Il viendra chercher ses joyaux...

Se tournant vers son aide, elle soupira :
- Ses joyaux? Ah! comment les tenir?

À l'heure de la fermeture, des sons étranges se firent entendre. Une recherche soigneuse amena la découverte de plusieurs garçons sous l'estrade, qui avait une porte à chaque extrémité. Ni flatteries ni menaces ne parvenaient à les faire sortir. Miriam regardait ses aides avec désespoir; tout à coup une inspiration lui traversa l'esprit :
- J'ai trouvé! dit-elle.

Chiffonnant plusieurs morceaux de papier, elle les alluma et, tout fumants, elle les jeta sous l'estrade, dont elle ferma au verrou une des portes; elle courut se placer à l'autre porte. Bientôt cinq gamins, aux yeux farouches, enfumés comme des renards en leur tanière, sortirent, pleins de respect pour celle qui les avait pris à leur propre piège. Alors, elle leur sourit et leur dit quelques paroles aimables avant de les renvoyer.

Un soir d'été, elle confia à son assistante qu'elle voulait obtenir plus d'ordre dans ces réunions enfantines. La salle était pleine d'enfants de toutes tailles, tous barbouillés, et, désireuse de terminer la journée aussi plaisamment qu'il était possible de le faire dans une salle de l'Armée du Salut. Miriam commença la réunion par un cantique. Le chant, sans doute, comportait moins de mouvement et de crescendo que les enfants n'en mirent, pourtant, il n'y avait pas trop d'indiscipline. Mais, tout à coup, la porte s'ouvrit, et une troupe de gamins de huit à treize ans pénétrèrent dans la salle. Ils avaient été à la pêche aux grenouilles, et ils portaient des bâtons et des pots à confitures, tandis que de leurs poches s'échappaient des têtards qui n'avaient pu trouver place dans les pots, et dégringolaient le long de leurs pantalons en guenilles. Les figures des gamins étaient toutes barbouillées, et leurs cheveux en désordre, tout humides de sueur, se dressaient raides comme des baguettes, ou pendaient en mèches collées sur leur front.

Miriam saisit d'un coup d'oeil la situation, et la joie qui bouillonnait en son coeur jaillit irrésistiblement. Elle se laissa tomber sur un banc, secouée par le rire qui fusait entre ses lèvres; les deux cents gamins, si facilement excités, riaient aux éclats et lançaient de sauvages clameurs. Son accès de fou rire passe, elle se leva et fit signe aux enfants; alors elle se mit à chanter en français.

Lorsque le charme du cantique les eut calmés, elle apporta le tableau noir sur l'estrade et se mit à dessiner : d'abord des fleurs, puis des paysages; les montagnes, les rivières, le ciel naissaient sous ses doigts agiles. Elle avait remarqué quelques fleurs sauvages à la boutonnière des vestes sales, ou se fanant dans les petites mains brûlantes. Aussitôt, elle avait compris que son seul espoir de gagner son public, ce soir-là, c'était de faire appel au sens de la beauté qui vit dans le coeur de chaque enfant.

En termes fascinants, Miriam dépeignit le ciel, jusqu'à ce que ces gamins désirassent y aller un jour. Alors, elle leur parla du péché, la seule chose qui pouvait les empêcher d'entrer dans ce lieu magnifique; elle leur indiqua comment leur coeur pouvait être délivré du mal, La réunion se termina avec un certain nombre de ces gosses agenouillés avec leur chère sergente, demandant à Jésus de les délivrer de leurs péchés et de les rendre bons.




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(1) Il y a en anglais un jeu de mots intraduisible en français. « Done with the outlines! Now for the inlines. » 
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(2) Sortie de l'Armée du Salut à l'heure de la fermeture des cabarets. On s'efforce de réunir tous les ivrognes dans la salle pour les amener au Christ. 
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(3) Petit instrument portatif qui a la sonorité et presque la puissance d'un harmonium. 
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