Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

SÉJOUR EN ALLEMAGNE

 Une des gloires de l'Armée du Salut est son internationalisme, son esprit d'amour qui embrasse tous les peuples de l'Univers. Le Commissaire Railton fut peut-être le premier salutiste à exprimer ce sentiment dans les paroles de son cantique :

En toi le Nord et le Midi,
Le Levant et le Couchant sont unis.

Plus tard, notre Général nous fournit cet aphorisme : « Tous les pays sont ma patrie, parce que tous sont à Dieu, mon Père. » Cet esprit, travaillant dans les coeurs des salutistes du monde entier, leur inspira ce cri de ralliement de l'Armée du Salut : « Christ pour le monde, le monde pour Christ! »
Pour préparer leurs enfants pour le service universel, le Général et Mme Booth les encouragèrent à l'étude des langues étrangères. Ils parlèrent français dès leur plus tendre enfance, et l'allemand fut une matière obligatoire de leurs études. Pour qu'ils parlent couramment cette dernière langue, il fut décidé que Miriam, Bernard et Olive iraient étudier six mois en Allemagne.

La Major Goodall, la secrétaire particulière de Mme Booth, accompagna les jeunes gens à Cassel dans le duché de Hesse. Tout avait été arrangé à l'avance; ils devaient être pensionnaires du pasteur de l'Église Nationale, le pasteur serait leur professeur. Mais à l'arrivée, ils se trouvèrent en face d'un malentendu. Leur hôte s'était déclaré enchanté de posséder sous son toit les petits-enfants d'un homme aussi bon et aussi renommé que le Général Booth. Tout semblait être pour le mieux dans ces arrangements; mais lorsque le pasteur découvrit que les jeunes gens étaient eux-mêmes salutistes, se glorifiaient de l'être et désiraient se rattacher au petit poste salutiste qui combattait dans la ville, le pasteur fut ennuyé; mais il n'eut pas une minute d'hésitation. Il ne pouvait supporter l'Armée du Salut ainsi installée chez lui. Les demoiselles et M. Booth devraient se rendre à l'Église officielle et cesser de porter l'uniforme salutiste.

Beaucoup de jeunes gens, en de semblables circonstances, auraient cédé à la force des choses : après tout, ils étaient envoyés à Cassel pour étudier et non pour mener une campagne salutiste. Puis, leur connaissance de la langue était très limitée, ils ne possédaient nulle expérience des moeurs de ce peuple, et se mettre en contradiction, dès leur arrivée, avec une famille honorable de la ville, ne saurait être qu'à leur désavantage. Se plier, même involontairement, aux désirs de leur hôte et s'adonner à l'étude, goûter quelques mois de bonheur avec les charmantes personnes auprès desquelles leur hôte les introduirait, ne semblait-il pas être la conduite la plus sage?
Pas pour Miriam, cependant. Un pauvre petit poste de l'Armée du Salut combattait à Cassel. Laisserait-elle ces humbles camarades lutter seuls, tandis qu'elle se tiendrait à l'écart? Elle se mit « en grève » immédiatement; elle télégraphia à ses parents pour obtenir l'autorisation de faire d'autres arrangements.

La situation ne fut pas sans causer quelques inquiétudes au Général et à Mme Booth; mais ils étaient décidés à encourager l'esprit de fidélité de leurs enfants à une cause juste, même s'ils devaient courir quelques risques; ils avaient aussi confiance en Miriam pour faire face à toutes les difficultés et pour porter les responsabilités dont elle demandait à se charger. La Major Goodall et Miriam visitèrent toutes les pensions de famille, jusqu'à ce qu'elles fussent exténuées de fatigue. La Major nous décrit cette expérience avec beaucoup de gaîté :
Je ne parle pas l'allemand, dit-elle, aussi devais-je rester assise, muette, tandis que Miriam et les propriétaires discutaient les conditions. Les seuls mots que je pouvais comprendre étaient : « Heilsarmee » et « Vegetarianer ». Mais les habitants de Cassel regardaient de travers les gens qui avaient de semblables opinions et de pareils goûts.

Je devais être rentrée à Londres pour une date fixée, et nous étions toujours errantes et vagabondes, quand je pensai à aller trouver le chapelain de l'Église Anglicane. Nous trouvâmes en M. Thomas et en sa femme de véritables et aimables amis et, par leur intermédiaire, Miriam eut l'espoir d'un logis avant mon départ.

Certaines personnes pourront penser que c'était bien risqué de laisser ainsi trois jeunes gens, dont l'aînée a dix-neuf ans, le second dix-sept et la troisième quinze, sans un chaperon dans un pays étranger, dans une maison où logent des gens de différentes nationalités, occupés ou de leurs plaisirs, ou de leur éducation. Mais avec Miriam pour veiller, nulle raison de s'inquiéter. Glorifier Dieu et faire plaisir à sa mère étaient pour elle des principes aussi immuables que le rocher de Gibraltar. Avant que nous quittions la maison, Mme Booth nous avait dit :
- N'oubliez jamais d'avoir ensemble un moment de prière chaque jour.

Et Miriam nous réunissait pour la prière quotidienne, même lorsque j'étais avec eux.
Ces jours, ces semaines constituent de précieux souvenirs. Chère Miriam, avec son charme et sa fidélité, sa joie et sa facile adaptation aux circonstances, elle était vraiment une agréable compagne. La nourriture, sur le continent, diffère de nos mets anglais; cependant, elle s'y mit dès le début. Elle s'intéressait aux jolies scènes de la vie hollandaise, elle se réjouit de rencontrer en passant nos camarades hollandais du poste de Rotterdam. Elle jouit particulièrement du voyage en bateau sur le Rhin. Le pays était dans sa pleine gloire automnale. Tandis que le bateau glissait entre les vignobles, les forêts, les châteaux et les montagnes, ses yeux s'amusaient à cette débauche de rouge rutilant, de jaune, de vert bronzé et de brun, et sa joie devenait vraiment contagieuse.

Miriam écrivit souvent à la Major Goodall, pendant son séjour à Cassel, et nous sommes autorisés à découper quelques fragments de cette correspondance, qui projette d'intéressantes lumières sur les mois passés dans cette ville.
Aussitôt que les jeunes gens eurent changé de demeure, ils se mirent à la recherche de la salle de l'Armée. Olive conte qu'elle était située dans la rue principale, au quatrième étage, au-dessus de magasins.

Ce matin, écrit Miriam, en uniforme, nous allâmes à la recherche du poste de l'Armée pour le plus grand amusement des indigènes. Mais lorsque nous arrivâmes à la salle, nous ne pûmes entrer, et vous auriez ri de nous voir frapper à la porte, entourés d'un demi-cercle de curieux très amusés. Nous allions abandonner notre entreprise, lorsqu'une petite femme nous accosta et nous dit qu'elle savait où les officières demeuraient. Elle nous pilota, puis, après de multiples demandes dans d'étranges cours, nous finîmes par trouver enfin le logis des officières. La Capitaine et la Lieutenante étaient chez elles. Leur réunion commença à 9 h. 30. Nous eûmes une gentille conversation et nous nous procurâmes un Kriegsruf et un recueil de cantiques.


La Brigadière Asdell (Zazzie) avec Catherine, Marie et Miriam.
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Le dimanche suivant, ils eurent plus de chance et ils purent assister aux réunions matin et soir. Miriam écrit a ce propos :
Les réunions furent pour nous un indicible rafraîchissement, après ces semaines où nous avions été privés de l'Armée. Il y a un piano dans la salle, je l'ai tenu, et Bernard a joué du cornet à pistons. J'ai chanté des cantiques et dit quelques mots aux deux réunions. Trois personnes au banc des pénitents, parmi lesquelles un homme et sa femme. il y avait environ vingt personnes le matin et trente-six le soir. C'est une toute petite salle, mais bien décorée de textes.

Plus tard elle écrit :
Olive et moi, nous nous sommes rendues à la réunion de la Jeune Armée, cette après-midi. J'ai parlé surtout par gestes multipliés, mais les enfants m'ont comprise. Je vais prendre une classe, mais je ne sais pas comment je m'en tirerai.

La vie des jeunes gens, à la pension, ne coulait pas douce et facile; leurs amis anglais leur conseillèrent de chercher un autre logis. Nous trouvons ces lignes dans les lettres de Miriam :
Nous déménageons samedi. Vous ne vous doutez pas de la terreur que m'inspirent ces nouveaux débuts. Rompre avec les gens ici, payer la note, et je n'ai pas la moindre idée du pourboire que je dois donner, et puis faire connaissance de nouveaux visages. C'est aussi ennuyeux qu'une visite prolongée. Je serai bien préparée pour de tels événements lorsque je rentrerai. Je suis menacée d'une attaque de nostalgie, mais je ne dois pas prévoir le mal.

À propos de son nouveau logis, Miriam écrit :
La société n'est pas absolument impeccable, mais le fait que nous sommes salutistes est une telle sauvegarde!

Au sujet de ses études, elle continue :
Les leçons vont bien. Olive et moi nous écrivons une quantité d'exercices pour Fräulein qui nous donne six leçons par semaine. Aussi, avec nos autres études et la musique, les journées sont bien remplies et nous n'avons guère de loisirs.

Tout de même, ils trouvèrent le temps de faire de charmantes promenades dans la campagne, les forêts et les collines qui entourent Cassel et qui sont magnifiques. Miriam écrit :
Mercredi nous avons été en excursion à Wilhelmshöhe pour voir le saut du fleuve. Nous emportâmes du thé et des petits pains avec nous et nous fîmes le thé sur place. Nous nous sommes énormément amusés, bien que nous ayons été obligés de travailler ensuite jusqu'à 11 heures pour rattraper le temps. Ne le dites pas à maman.

Le soleil brillait toujours dans le coeur de Miriam, éclairant jusqu'aux lieux les plus communs de la vie quotidienne et embellissant tout pour elle. Elle trouvait du plaisir dans les événements les plus simples et elle savait admirer les jolies choses sans pour cela en convoiter la possession et être malheureuse d'en être privée. comme le montre l'extrait suivant d'une de ses lettres :
La foire va commencer à l'ombre des arbres de Strand Platz. Une masse de boutiques alignent leur double rangée où il semblerait que l'on puisse tout acheter. Certains étalages de porcelaines sont magnifiques. Je suppose que vous n'avez besoin d'aucune jolie chose. Les cochons. les chats, les singes de porcelaine sont à croquer, et il y a un étalage plein de jolis vases et de pots en vieille porcelaine vert mousseux. Vraiment fascinant.

Mais Miriam a peu d'argent à dépenser pour ses fantaisies; elle prie la Major de bien vouloir se charger de lettres qu'elle enferme sous une enveloppe à son adresse, car elle doit faire attention au frais de timbres, surtout « avec maman qui n'est pas à la maison, et il nous faut lui écrire, ainsi qu'à papa, des lettres séparées »; cela constitue de lourds frais d'affranchissement.

Miriam parle des amis qu'elle fait :
Une vieille dame allemande, qui tint une école à Torquay pendant quarante ans, est venue nous voir. Nous lui montrâmes nos photographies et nos petites choses, et nous lui parlâmes de l'oeuvre de l'Armée. Elle fut très intéressée; elle examina nos chapeaux et me pria de mettre le mien. Nous avons été invités à prendre le thé; les amis étaient très aimables, mais leur conversation était si vide. Frau... nous a visités et nous nous sommes efforcés de converser de notre mieux. Elle nous dit que nous avons fait des progrès sensibles en allemand. Nous lui chantâmes quelques cantiques de l'Armée du Salut en allemand, qui lui plurent.

À leurs petites réunions de prières, que Miriam continuait à tenir dans leur salon chaque jour, elle invita des pensionnaires de la maison, plusieurs répondirent à son invitation. Miriam écrit au sujet des pensionnaires :
Nous avons eu quelques jolis jeux avec eux et nous nous efforçons de leur faire du bien. Il y a deux jeunes Anglais qui nous intéressent particulièrement. L'un des deux est catholique romain. Nous avons eu quelques bonnes conversations avec lui au sujet de l'Armée et de son âme. Il a lu : La merveilleuse histoire de l'Armée du Salut, et je crois qu'il est réellement impressionné. L'autre est un brave jeune homme du Yorkshire. Il va à l'Église anglicane. Nous avons chanté quelques cantiques et par le moyen des cantiques je me suis arrangée pour lancer quelques mots au sujet de son âme, il finit par s'ouvrir à moi, il reconnut ses torts et sa misère morale. Il pleura même. Je lui ai prêté un livre qui, je le pense, lui fera du bien, et j'ai promis de prier pour lui. Il m'a remerciée de lui avoir parlé et il m'a promis de servir Dieu. Il m'a quittée pour aller prier dans sa chambre. N'est-ce pas merveilleux, la façon dont le Seigneur nous donne des occasions de faire du bien? Ces deux jeunes gens sont bien les derniers que j'aurais pensé pouvoir influencer. Je suis si anxieuse d'être en bon exemple ici! Vous prierez pour moi, je le sais.

Le Commissaire Oliphant, qui avait la direction de l'oeuvre en Allemagne, visita Cassel à ce moment-là, encourageant non seulement ses officières, mais aussi les trois étrangers. Miriam écrit sur cette visite :
Nous avons passé un moment délicieux avec le Commissaire. Nous prîmes tous le thé chez les officières, puis ce fut la réunion. La petite salle était pleine et le Commissaire parla vraiment bien. Six âmes vinrent au banc des pénitents. La fille de la propriétaire nous avait accompagnés. Elle n'avait jamais été auparavant dans une réunion de l'Armée du Salut. À la réunion de prières, elle se rendit crânement au banc des pénitents. Elle veut être salutiste immédiatement. Elle rencontrera sans doute quelques difficultés dans l'exécution de ses plans; mais si sa mère voit un réel changement dans sa vie, tout ira bien, je pense.

La compagnie de la Jeune Armée, le dimanche après-midi, progressait à grands pas. Nous lisons dans les papiers de Miriam :
Nous devenons réellement un grand groupe. Dimanche, cinq petites filles s'approchèrent du banc des pénitents. Notre petite convertie à la pension tient bon.

La saison de Noël à Cassel fut pleine d'intérêt pour Miriam, et son frère et sa soeur. Elle écrit :
Chacun prépare Noël. Les boutiques sont attrayantes; sur toutes les places, on vend des arbres de Noël. C'est très amusant de voir les gens faire leurs achats, et puis se mettre en route avec les petits enfants qui les suivent, portant un gros arbre sur leur épaule; les branches cachent complètement leur tête, et les petites jambes apparaissent juste au-dessous de cette verdure ambulante.

Les jeunes gens reçurent de nombreuses invitations de familles de la bonne société pour les fêtes de Noël. Ils en acceptèrent quelques-unes, et s'y rendirent dans leurs modestes habits, les jeunes filles portant leurs broches de l'Armée du Salut. Miriam fut fortement troublée en découvrant que certaines de ces réunions étaient très mondaines; mais elle employait toutes les occasions pour parler des choses qu'elle aimait, Quand en leur demandait de dire quelque chose, à elle ou à sa soeur, sans hésitation elles chantaient des cantiques de l'Armée du Salut, La différence entre ces cantiques et les chants entendus d'ordinaire dans ces salons fit vibrer, dans le coeur de certains auditeurs une corde profonde, et on leur redemanda maintes fois de chanter :

Ma robe était toute souillée de péchés,
Je ne savais comment la nettoyer,
Jusqu'à ce qu'une voix douce et tendre
Me dise : « Viens et lave-la, je te la rendrai blanche comme la neige. »
J'ai lavé ma robe dans le sang de Jésus,
Et il l'a rendue blanche comme la neige.

Nous trouvons ces lignes dans une des lettres de Miriam :
Hier, en revenant de la réunion, nous rencontrâmes presque toute la colonie anglaise qui revenait d'un concert. Les femmes portaient leur soie et leur satin, et leurs châles précieux. Nous nous arrêtâmes et nous leur parlâmes. De quels yeux quelques-uns regardèrent nos uniformes!

Qui peut dire quelles étaient les pensées de ce groupe?
Miriam participa de tout coeur à la fête de Noël à la salle de l'Armée, et elle se réjouit avec ses humbles camarades de Cassel. Sa dernière lettre d'Allemagne mentionne la soirée de longue veille dont elle écrit
Il y avait environ trente personnes présentes; nous eûmes un moment franchement rafraîchissant pour nos âmes. Quel contraste avec les gens du monde et avec leur vie ce jour-là! À la pension, nous avions laissé les pensionnaires en train de boire de la bière et du punch.

Dans les premiers jours de la nouvelle année, les études en Allemagne et la vie parmi les étrangers prirent fin, Miriam avait fait flotter bien haut jusqu'au bout son drapeau. Elle avait rempli le rôle d'une véritable compagne pour son frère et pour sa soeur, elle avait attiré les gens à son Sauveur par le parfum de sa douce vie, elle avait désarmé les préjugés et l'hostilité par sa franche bonne volonté; elle avait maintenu des relations amicales avec tous ceux avec qui elle avait habité pendant son séjour à Cassel. Elle avait encouragé ses camarades allemands et leur avait été en bénédiction; par ces divers ministères, elle avait semé pour l'éternité. Tout ce qu'elle a accompli est connu seulement de son Sauveur, dont la main la soutint et dont la présence la réjouit pendant cette première absence du foyer.

Son expérience peut apporter aide et direction aux jeunes lecteurs qui doivent vivre seuls, loin de leurs parents, et sont parfois perplexes et ennuyés. Avant son séjour en Allemagne, la vie de Miriam avait été particulièrement protégée; elle avait été soignée comme une plante de serre. À la maison, toutes les influences l'avaient aidée à être une vraie salutiste; mais, plongée subitement au milieu des circonstances étranges et difficiles, elle fut appelée à prendre d'importantes décisions et à garder en même temps son apparence calme et joyeuse. Ainsi la force et la constance de ses principes furent mises à l'épreuve, et, nous l'avons vu, ils en sortirent vainqueurs. Dans toutes ses voies, elle choisit le parti du Seigneur et il resta avec elle, la guidant par sa grâce, la revêtant de son esprit de sagesse, et l'aidant à refléter quelque chose de la beauté de la sainteté.




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