Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

HEUREUSE DÉCOUVERTE. - CORRESPONDANCE DE BOOS DURANT SA DÉTENTION.

-------

Boos ne resta point oisif à Augsbourg : quoiqu'il ne lui fût pas permis de sortir de la ville, il eut plusieurs occasions de glorifier le Seigneur.

Il entra un jour chez un bouquiniste, et se mit à feuilleter quelques vieux livres. « Qu'est-ce que c'est que ces livres ? » demanda-t-il au marchand ? - « Ce sont les livres de nos saints. » - « Qui appelez-vous de ce nom-là ? » - « Ce sont des gens qui ne font que prier et chanter des cantiques, et qui ne se mêlent en rien des affaires du monde, gens singuliers qui veulent être meilleurs que les autres. Quant à moi, » continua le bouquiniste d'un ton de dédain, « je n'en fais pas le moindre cas ; ce ne sont que des hypocrites. Il faut vivre comme tout le monde. » C'est singulier, pensa Boos ; il y a là-dessous un mystère que je veux éclaircir. - Il s'informa auprès du libraire où demeuraient ceux qu'il appelait des saints, les chercha, et fut heureux de découvrir des âmes pieuses, unies à Christ, et vivant loin des souillures du présent siècle. Il trouva une cinquantaine de fidèles qui, comme lui, se réjouissaient à la précieuse clarté de la foi en Jésus, et qui, comme lui aussi, étaient méprisés et persécutés par un monde plongé dans le mal.

Un jeune étudiant, précepteur à Augsbourg, entendait débiter tout autour de lui les plus grossières injures sur le compte de Boos et de ceux qu'on appelait ses adhérents. Quoiqu'étranger à l'Évangile, et nullement désireux de le connaître, il ne pouvait pourtant, sans quelque serrement de coeur, ouïr un pareil langage contre des gens qui, ses yeux, ne faisaient aucun mal. À force d'entendre répéter les mêmes choses, il désira connaître l'hérétique Boos, cet homme si méprisé de tout le monde. Il chercha, il s'informa, et parvint enfin à découvrir sa demeure.

Staublein (c'est le nom de l'étudiant), vit en Boos un tout autre homme que celui qu'on lui avait dépeint. Il en reçut un accueil si affectueux qu'il le visita très-fréquemment, et que peu à peu la vérité se fit jour dans son coeur.
L'oeuvre du Saint-Esprit fut lente et difficile : l'orgueil de la science du jeune homme s'éleva pendant plusieurs semaines contre la doctrine d'un salut tout gratuit. Mais enfin le Seigneur fut le plus fort: Staublein, comme jadis Paul sur le chemin de Damas, se jeta à terre et s'écria . « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Il crut et devint un homme nouveau.

Cette conversion eut lieu le 24 janvier 1798, le jour anniversaire de la naissance de Timothée, dans la chambre même de Boos, qui l'appela dès-lors son cher Timothée, son bien-aimé disciple. Ce fut une grande et précieuse consolation pour le prisonnier. Comme le coeur du nouveau Timothée souffrait d'entendre les calomnies dont on couvrait son père en la foi, il supporta tout avec une douceur vraiment angélique, et ne cessa de prier pour les personnes de la maison. Mais une santé délicate, de fréquents crachements de sang l'avertirent qu'il quitterait bientôt cette vallée de misères. Forcé d'abandonner ses études, et de se retirer à la campagne sous le toit paternel, Timothée travailla selon ses forces à l'avancement du règne de Dieu : plusieurs âmes furent,par son moyen, amenées à la vérité, et au bout de peu d'années, il remit paisiblement son esprit entre les mains du Seigneur.

Malgré la défense qu'on lui en avait faite, Boos écrivait fréquemment à ses enfants en la foi, pour les affermir dans leur marche et dans leur sainte profession. Il avait une correspondance très-active. Un grand nombre de ses lettres ont été détruites par ses adversaires : il nous en reste pourtant assez pour nous faire apprécier le vif intérêt qu'il portait à tous ceux qui entretenaient des relations fraternelles avec lui. Voici quelques fragments de ses lettres, datées d'Augsbourg.

Du 5 Octobre 1197.

À ****.

« Cher ami,

« Tu es un excellent pêcheur ; tu saurais pêcher un coeur jusqu'au fond de la mer. - Je ne puis te dire combien je suis touché de la simplicité de ta foi : cette simplicité est, à mes yeux, du plus grand prix. Il faut que notre raison se soumette docilement à la parole de Dieu. Satan s'en rira sans doute ; car son empire s'établit de nouveau dans nos coeurs, dès que nous nous écartons de la vie et de la simplicité d'un enfant. Souvenons-nous toujours de cette parole : « Si vous ne devenez pas de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume de Dieu. »

Boos.

Augsbourg, 26 Octobre 1197.

 

À Schlund (1)

« Je suis bien réjoui de ce que, non seulement vous ne vous êtes pas scandalisé à mon sujet, mais encore de ce que mes épreuves sont pour vous une occasion d'affermissement : vous m'exprimez toute la part que vous y prenez, au risque même de vous exposer à quelque danger ; je vous en remercie et j'en bénis Dieu. On serait, sans doute, tout disposé à s'aigrir contre ses persécuteurs : je sens que j'ai à me prémunir contre l'irritation ; le Seigneur m'en donne la force. Votre exemple me fortifie aussi beaucoup.
Oui, cher ami, je reconnais, même après l'arrêt injuste qui me retient ici, que le Seigneur a en égard à ma misère. Il m'a donné l'Esprit de son amour. Notre foi excite la colère des uns et paraît une folie aux autres ; mais elle est pour nous la puissance de Dieu. Si nous sommes renversés, nous nous relevons toujours, et nous nous glorifions de l'opprobre dont nous sommes jugés dignes pour la cause de Christ. Le monde nous croit fort malheureux, Ah ! qu'il se trompe ! Avec Jésus on peut vivre en paix, même sous le poids d'une croix et jusques dans l'enfer de ce monde. Je me réjouis de ce que la foi qui nous est commune, vous porte à travailler dans la même vigne et de ce que vous ne redoutez pas de recevoir le salaire que le monde sait nous donner, l'opprobre et le mépris. Que Dieu vous fortifie, vous console et vous maintienne dans ces dispositions-là ! Venez à Augsbourg ; venez voir votre dévoué ermite. »

Boos.

À une personne à qui on avait défendu de lui écrire.

Augsbourg, 25 Novembre 1197.

« Quoi ! il en serait donc ainsi ! Il nous serait interdit de nous écrire ! Nous devrions donc placer la lumière sous le boisseau ! Le serviteur de Moïse faisait donc bien de dire à son maître, en parlant d'Adad et de Médad qui prophétisaient un camp : « Moïse, mon Seigneur, empêche-les (Nombres, XI, 27, 28) ! » - Saint Paul était donc dans l'erreur quand il écrivait aux Thessaloniciens : « N'éteignez point l'Esprit (1, Thess., V, 19) ! » Non, non... ; car je sais que s'il est dit : « Obéissez aux puissances supérieures, » il est aussi écrit : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes (Actes, V, 29). »

« On m'apprend que nos doctrines se colportent partout ; mais travesties, au point de les rendre tout à fait méconnaissables. Les religieux en font l'objet de leurs plaisanteries et de leurs bons mots dans leur repas. Satan couvre ces pauvres aveugles de la boue que nous rejetons ; mais il la leur donne plus noire et plus épaisse, tout en les endormant dans une fatale sécurité, qui les empêche de trouver le vrai chemin du ciel. Comme il est actif, cet ennemi des âmes ! Si, seulement, les enfants de lumière l'étaient autant pour la vérité ! - Que c'est affligeant de voir les enfants des ténèbres dévorer en riant des souillures que nous jetons loin de nous ! Pauvres gens ! si vous connaissiez ce que Dieu nous a fait connaître, vous ne vous ririez pas de nous ou vous ne vous plaindriez pas. Vous jouissez de la gloire du monde, mais vous ne possédez pas Jésus ni la vie qui est en lui. Que Dieu ait pitié de vous ! »

Boos.

15 Décembre 1797.

Au Même.

« Oui, oui, écris-moi toujours. Toutes leurs défenses sont inutiles. Il y a maintenant près d'un an qu'on m'a interdit toute espèce de correspondance, et jamais je n'ai autant correspondu que pendant cette année-ci : ma conscience ne m'en fait aucun reproche. Je vois avec peine qu'il y a des personnes assez timides pour ne pas oser faire briller leur lumière. Ceux qui nous défendent d'écrire ont sans doute de bonnes intentions ; mais nous en avons aussi de bonnes. Tandis que les adversaires de Christ ne se donnent aucun relâche, nous irions tranquillement nous promener vers Emmaüs ! Non, non, il ne peut pas en être ainsi.

« Ne crains point, petit troupeau ; car il a plu au Père de vous donner le royaume. » Je préfère croire ces paroles de mon Maître, plutôt que les gens qui me disent : « Prenez garde, Boos, qu'il ne vous arrive quelque désagrément. »

« Il y a en moi quelqu'un qui me dit de t'écrire ces lignes - « Ne te fie pas trop aux autres ; remplis ton devoir et ne donne aucune prise sur toi. » - Donnez-vous garde des chiens, a dit Jésus ; et lui-même ne se fiait point aux juifs (Jean, II, 24.). Ne courons pas au devant de la persécution, attendons-la patiemment. Lors même que Jésus se fût plusieurs fois échappé des mains de ses ennemis, quand son heure fut venue, on se saisit de lui ; il en fut de même de ses apôtres. Ce qu'on a fait au Maître, pourquoi ne le ferait-on pas aux disciples ?

Il faut que le vieil homme soit déchiré d'une façon ou d'une autre. C'est à travers la douleur et l'affliction que le royaume de Dieu doit s'établir sur la terre : il ne peut pas en être autrement. Quiconque veut s'amasser un trésor dans le ciel, doit laisser tomber tout le reste. Lis l'Écriture et tu verras ce qu'elle dit à ce sujet. Or, tout ce qui y est écrit doit nécessairement s'accomplir. Cependant, comme il est de mon devoir de t'avertir, je t'exhorte à te tenir sur tes gardes ; mais sois sans crainte et offre-toi tout entier et avec joie en sacrifice à Celui qui s'est donné pour toi : l'honneur, l'argent, les biens, la vie, tout ce que nous avons vient de lui. Il nous a acquis au prix de ses souffrances ; qu'il fasse maintenant ce qu'il voudra de nous ; il prend son plaisir en nous, comme tu te réjouis en ton ami. Réjouissons-nous donc en Jésus ; suivons-le, car il est notre auguste chef. Marchons au combat sur ses traces, et, s'il le faut, donnons notre vie pour lui. »

Boos.

.


CHAPITRE VIII.

LIBÉRATION INATTENDUE. - NOUVELLE COMPARUTION À AUGSBOURG.


Boos fut, à son grand étonnement, mis en liberté, en janvier 1798, après quatre mois d'arrêts dans la ville. Le conseil ecclésiastique fut tellement touché de sa bonne conduite et de l'excellent témoignage que leur en donna son répétiteur, que, non contents de mettre fin à sa détention sur parole bien long-temps avant la fin de l'année, ils lui permirent de reprendre ses fonctions de chapelain. Il fut placé en cette qualité à Langeneifnach, à 17 lieues d'Augsbourg. Le pasteur de cette paroisse se nommait Koch, ancien directeur de la maison de correction de Goeggingen. Boos fut recommandé à sa surveillance.

Dès qu'il fut établi dans sa nouvelle paroisse, il écrivit à ses amis d'Augsbourg

« Par la grâce de Dieu, je me trouve parfaitement bien. J'ai commencé à prêcher hier, pour la première fois depuis mon arrivée ici. Le Seigneur a mis sa parole sur mes lèvres : j'étais fort ému ainsi que mes auditeurs. Il paraît qu'il y a à Langeneifnach quelques âmes sérieuses et qui s'occupent de leur salut.
L'oeuvre du Seigneur doit être souvent arrosée des prières, des larmes et même quelquefois du sang de ses enfants. Eh bien ! s'il ne peut en être autrement, s'il faut souffrir le martyre, le Seigneur nous donnera la force nécessaire. Ne vous étonnez pas si ces pensées se présentent à mon esprit : l'enfant brûlé craint le feu. D'ailleurs mon principal, le pasteur Koch, chargé de me surveiller dans mes discours, dans ma correspondance, dans toutes mes démarches, s'est mis à remplir sa tâche ; mais cela ne m'empêchera pas d'annoncer hardiment la parole de la croix. Priez pour que nous persévérions à renoncer sans regrets à tous les biens temporels, et que nous soyons de plus en plus convaincus que la chair et le sang ne peuvent ouvrir l'entrée du royaume de Dieu. »

B.

À Timothée (Staublein).

Langeneifnach, ... Février 1798.

« Ta seconde lettre m'a été remise le 18 de ce mois, immédiatement après le sermon. Le Seigneur m'a accompagné dans la chaire, et de là vers mes auditeurs. Leurs coeurs ont été émus et leurs yeux ont laissé couler des larmes. Notre Dieu me tient sous sa protection. Je n'ai pas de peine à te croire quand tu me dis que l'Écriture est pour toi une source de consolation ; j'en ai fait la douce expérience. -
Les frères de S. t'auraient écrit depuis long-temps s'ils ne craignaient pas tes entours. Écris-leur de bannir cette crainte. Il faut bien aller une fois à Jérusalem, c'est-à-dire à Augsbourg, où siège la cour ecclésiastique qui persécute Christ ; aucun chrétien ne doit reculer devant l'épreuve. Une foi exempte de l'épreuve n'est peut-être pas la vraie foi ; la confession de bouche est assez commune ; si elle n'a pas passé par le creuset, on peut douter de sa réalité.

« Tu me demandes comment vont mes affaires. Tout est encore tranquille ; je suis riche : on me donne ma chambre, la table et un léger traitement. Je suis presque honteux d'être l'objet de tant soins.
Mon cher Timothée, ne sois pas surpris si tu n'es pas toujours environné d'une vive lumière, et si quelquefois tu es en butte à l'affliction. Nous passons par les mêmes épreuves, et il est, bon qu'il en soit ainsi. Mêlons à toutes nos souffrances le sel des douleurs de Jésus.
Du reste, ne cherche pas à te soustraire violemment à l'épreuve ; attends, avec patience que Celui qui est lumière vienne réchauffer et éclairer ton coeur. Des milliers d'hommes suivaient Jésus et se réjouissaient de sa lumière ; mais lorsque le prince des ténèbres l'eut livré entre les mains de ses ennemis, ces mêmes hommes se retirèrent.
Puisses-tu lui être toujours fidèle ! Que la grâce de Dieu soit avec toi ! » Boos.

Il y avait à peine deux mois que Boos jouissait d'un peu de repos à Langeneifnach et qu'on commençait à voir quelque fruit de son pieux ministère lorsque ses adversaires se mirent de nouveau en campagne. Les hauts dignitaires et les diacres de la province de Kempten se récrièrent de ce qu'on lui avait rendu la liberté, et s'en plaignirent auprès de l'électeur et évêque Clément Wenceslas - Ils demandèrent nettement qu'on l'enfermât pour le reste de ses jours. On avait intercepté une lettre que Boos avait écrite à un de ses frères en la foi, persécuté comme lui pour la cause de l'Évangile. Il dut quitter Langeneifnach le 3 avril 1798, et aller en toute hâte à Augsbourg. Il se rendit chez un de ses amis. Ne sachant trop s'il devait se présenter devant ses juges, ou prendre la fuite, il demanda conseil à son hôte. Celui-ci lui répond : « Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre. » Boos se rend à Munich, auprès du pasteur Winkelhofer. Au bout de trois semaines, il se voit encore forcé de s'enfuir, et va de village en village, semant partout la précieuse semence de la vérité, fortifiant ceux qui avaient cru, et leur rappelant que « c'est par beaucoup. d'afflictions qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. »

Cependant il était quelquefois en proie aux besoins les plus pressants. Il s'arrêtait de temps en temps au bord d'un ruisseau pour y laver son linge, et le faisait sécher sur les branches d'un arbre. Il entra un jour, chez un paysan, pour lui offrir ses services en qualité de domestique. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu'au moment où il faisait son humble demande, le paysan ôta respectueusement son bonnet, et le salua en lui baisant la main !
Notre brave paysan l'avait aussitôt reconnu pour un ecclésiastique, et l'accueillit avec le plus vif empressement. Boos lui parla des miséricordes du Seigneur, et eut la joie de l'amener à une foi vivante en Jésus-Christ. Il n'y passa que quelques jours, et retourna le 1er juillet chez le pasteur Winkelhofer, et trois jours après il se rendit à Path, chez Eb. Celui-ci le recommanda à un ami intime, Benoît Scharl, intendant de Groenbach, près de Hohenlinden, en Bavière. « Scharl, » lui écrivit-il, « viens avec ta voiture chercher un ami que je confie à tes soins. Tu le recevras chez toi et dans ton coeur, sans t'informer de son nom. Traite-le comme tu me traiterais moi-même. » L'intendant part à lettre vue, arrive chez son ami et fait monter l'inconnu dans sa voiture, sans lui faire aucune question : il le conduit dans sa maison comme Abraham reçut les anges de l'Éternel.

Au bout de quelques mois, arrive à Groenbach un ecclésiastique qui connaissait notre pauvre fugitif. « Que fais-tu donc ici, Boos ? » lui dit-il.
L'intendant sut alors avec qui il avait affaire ; mais son affection et son estime ne firent que s'accroître davantage, surtout lorsque Boos lui eut raconté son histoire.

Ses adversaires avaient si bien pris leurs mesures, que le 9 décembre il dut quitter son bienfaiteur, et se rendit à Augsbourg. Il aurait pu éviter de comparaître devant le tribunal qui l'avait déjà condamné une fois ; mais espérant sans doute que cette démarche spontanée mettrait un terme à cette vie errante dont il était fatigué, il résolut de se présenter devant ses juges. « Je me jetai moi-même dans les bras de mes ennemis, » écrivait-il dans une de ses lettres. « Me voici, leur dis-je, prêt à souffrir tous les maux dont vous voudrez m'accabler. Ils furent extrêmement étonnés de cette démarche, et me traitèrent avec beaucoup plus de douceur que je ne m'y attendais. »

On lui fit subir plusieurs interrogatoires ; on lui demanda entr'autres quels étaient ses amis et les personnes avec lesquelles il avait correspondu. « Je ne puis vous les nommer, » répondit Boos ; « sans eux j'aurais plus d'une fois péri ; et d'ailleurs cela ne vous regarde en aucune façon. » - « Pourquoi vous êtes-vous enfui ? » - « Je vous l'ai déjà dit ; pourquoi voulez-vous que je vous le dise encore ? »
L'agent fiscal qui l'interrogeait se mit en colère, et voyant qu'on ne pouvait rien en obtenir, se borna à le faire condamner à quatre mois d'arrêt dans la ville d'Augsbourg, sous la surveillance du vicaire-général Nigg.
Ce prélat faisait grand cas de Boos ; plus d'une fois il lui glissa un louis d'or dans la main, avec défense expresse de n'en rien dire à personne. Il lui eût volontiers donné pleine liberté, si cela lui eût été possible. Voyant que son respectable prisonnier ne serait jamais en repos dans ce diocèse, ni dans les environs, il lui conseilla de chercher une terre plus hospitalière. D'après ces conseils, Boos partit d'Augsbourg le 30 avril 1799, muni de la recommandation d'un ami dévoué, et il arriva, accompagné des bénédictions de ses frères, dans le diocèse de Linz, dans la Haute-Autriche.

.


CHAPITRE IX.

BOOS EN AUTRICHE. - EXTRAITS DE SON JOURNAL


Il y reçut le meilleur accueil possible. L'évêque de Linz (Antoine Gall), sut apprécier sa profonde piété, et le vif intérêt que notre respectable proscrit prenait à l'avancement du règne de Dieu.

« Que ne m'envoie-t-on encore, » disait-il souvent, « vingt prêtres tels que Boos ! » Il le plaça d'abord provisoirement à Leonding, près de Linz, en qualité de prédicateur-adjoint, et peu de temps après à Waldneukirch. Boos y déploya le même zèle que dans les postes précédents. Sa prédication pleine de vie, les consolations qu'il savait offrir aux malades et aux âmes travaillées, la pureté de sa conduite, lui acquirent bientôt l'estime et la confiance de ses supérieurs ecclésiastiques et de ses nombreuses ouailles. Après un séjour de deux ans à Waldneukirch, le professeur Bertgen, pasteur à Penerbach, voulut l'associer à ses travaux .
Boos y consentit, et resta cinq ans dans cette paroisse. Voici quelques extraits de son journal, durant son ministère à Penerbach :

1803. - 2 juillet.
- Celui qui bâti sa maison sur le roc qui est Christ, la voit résister aux plus violents orages. Si un homme chancelle et est renversé par l'épreuve, il montre assez que son christianisme ne reposait que sur le sable. Combien de gens qui sont dans ce cas-ci !

Du 6. - Si le fils de l'empereur venait nous dire de la part de son père : « Mes amis, ne vous mettez pas en peine de vos moyens d'existence ; mon père connaît tous vos besoins, et il vous fournira tout ce qui vous est nécessaire ; appliquez-vous seulement à bien vous conformer aux lois du royaume. » Un tel message nous eût tous réjouis. Eh, bien ! il y a long-temps que Dieu nous a fait dire la même chose par son Fils ; et pourtant il y a bien peu d'hommes qui veuillent ajouter foi à ses paroles : preuve certaine qu'ils ont plus de confiance en l'empereur qu'en Dieu.

Du 7.
- Fortifie-toi dans la grâce en Jésus-Christ, » disait saint Paul à Timothée (II, Tim., II, 1) Il semble quelquefois que la grâce, la lumière, le zèle, le courage sont endormis et presque éteints dans le coeur du fidèle. C'est bien là ce que j'éprouve. Trop souvent toute lumière paraît éteinte en moi ; ma vie spirituelle est près de s'évanouir. Ce triste état dure deux ou trois jours ; puis tout se ranime et paraît sortir d'un profond sommeil.

Du 8.
- Une veuve, mère de six enfants, en conduisait un aujourd'hui à l'école : l'enfant se débattait, et dès qu'il me vit il voulut prendre la fuite. Mais la mère le retint et l'amena avec peine dans la salle, en me disant, en présence du maître d'école : « Aidez-moi à corriger cet enfant, il ne veut pas m'obéir. » La pauvre veuve versait un torrent de larmes. - « Oui, nous t'aiderons, lui répondis-je ; tu le mérites bien, puisque tu amènes tes enfants à l'école. » Me tournant vers le jeune garçon : « Tombe aux genoux de ta mère, lui dis-je ; baise-lui les mains et les pieds. » L'enfant obéit sur le champ ; il remercia même sa mère de l'avoir amené à l'école ; lui demanda pardon, ainsi qu'à tous les enfants qui se trouvaient là. « Il ne faut pas désespérer de ton enfant, lui dis-je, on peut encore le former à l'obéissance, comme une recrue. » La veuve s'en alla toute consolée.

Du 11.
- Les hommes qui demandent à Dieu quelques grâces lui sont plus agréables que ceux qui prétendent lui apporter quelque chose. Le Pharisien de la parabole se croyait riche en oeuvres méritoires, et voulait présenter à Dieu quelque offrande ; mais le Seigneur lui dit : Je ne veux rien de toi. Tandis que le péager se présentait devant Dieu comme un pauvre misérable, implorant sa grâce et son pardon, le Seigneur fut attentif à sa requête, et lui accorda selon le désir de son coeur. - C'est ainsi que les riches s'en retournent les mains vides, et les pauvres les mains pleines. Les riches sont pauvres et les pauvres sont riches.

Du 14.
- Je viens de donner tout mon argent à deux voyageurs. Mais que dis-je ? cet argent n'était pas à moi, il était au Seigneur. Je voudrais réellement ne rien avoir, car c'est une triste chose que de dire : « Mon argent. » 0 mon Dieu, fais que je t'appartienne ; je te donne tout ce qui est à moi !

Du 15.
- Quelqu'un me disait : « J'ai encore quelque chose sur le coeur ; mais je n'ose le confier à personne, pas même à vous ; et cependant j'en ai la conscience chargée. - « Eh bien, dites-le à Dieu, lui répondis-je ; car on peut tout lui dire, le bien comme le mal, les petites choses tout comme les grandes, tout, tout. ... » Cette personne m'ouvrit alors ses plus secrètes pensées.

Du 16.
- Les pharisiens ne pouvaient jamais répondre à cette question de Jésus : « Que pensez-vous de Christ ; et de qui est-il fils ? » Et pourtant ils avaient lu les prophéties et entendu les discours de Jésus, C'est qu'il leur manquait la vraie connaissance de Christ, Il en est de même aujourd'hui : la plupart des chrétiens lisent l'histoire de Jésus et en entendent beaucoup parler, mais bien peu sont en état de répondre aux questions qu'on leur adresse. S'ils connaissaient véritablement le Seigneur, ils regarderaient, selon l'exemple de Paul, tout le reste comme de la boue. Puisqu'ils trouvent tout leur plaisir ailleurs qu'en Christ, ils ont en cela une preuve qu'ils ne le connaissent point.

Du 20.
- Y a-t-il une plus grande folie que celle des nationalistes donnant le nom, d'obscurantistes à ceux qui portent dans leurs mains et sur leur bouche le soleil de la révélation ? Il y a là autant de sottise que si l'on disait qu'une faible lampe jette plus d'éclat que l'astre du jour.

Du 21.
- Moins un homme renvoie sa conversion, mieux il s'en trouve. Cependant il vaut mieux tard que jamais. C'est ce que je disais aujourd'hui à un homme qui se désespérait, sur son lit de mort, d'avoir si long-temps négligé son salut : ces paroles ont amené l'espoir et la confiance dans son âme.

Du 22.
- Christ dans le coeur et la croix sur le dos, voilà ce que possède tout vrai chrétien.

Du 27.
- Il y a des femmes qui se plaignent sans cesse de leurs maris. J'ai coutume de leur dire :
« Mes bonnes amies, toutes ces plaintes ne vous servent à rien et vos maris n'en retirent aucun profit. Priez plutôt pour eux ; présentez-les au Seigneur, comme on faisait autrefois des infirmes qu'on apportait à ses pieds. Quand Jésus verra vos larmes et votre foi, il vous dira aussi : « Aie bon courage, ma fille, je t'aiderai et convertirai ton époux. »

Du 9 Août.
- Lorsque Satan séduisit Eve, il employa la ruse et le mensonge, et lui fit les mêmes promesses qui entraînent aujourd'hui tant de jeunes personnes dans le péché. » « Il n'y a pas de mal à ceci », leur répète-t-il sans cesse ; à tel divertissement sera pour toi une source de plaisirs et de joies », et ces pauvres filles d'Eve, ajoutant foi à ces impostures, chancellent et succombent.

Du 10.
- Quelques sages de l'antiquité cherchaient la lumière et la sagesse auprès des juifs, dépositaires des oracles de Dieu. Nos nouveaux sages font tout le contraire : ils se détournent de la vraie lumière que nous a procurée la révélation et cherchent leurs folles pensées ou en eux-mêmes ou dans les écrits des païens.

Du 15.
- Quand il fait nuit, je ne puis commander au jour de paraître : il faut que j'attende le lever du soleil. Il en est de même lorsque, les ténèbres remplissent mon âme : je prie jusqu'à ce que le soleil de justice m'éclaire encore de ses doux rayons.

Du 19.
- Bon jour ! C'est souvent la seule bonne parole qui sorte de la bouche de tel ou tel homme dans une matinée. Bonne nuit ! C'est aussi la seule bonne oeuvre qu'il accomplisse durant tout le reste du jour.

Du 22.
- J'ai visité aujourd'hui un malade qui vivait en inimitié avec une de ses voisines. » « Tu peux mourir, lui dis-je » ; réconcilie-toi avec ta voisine, soit pour ta propre satisfaction, soit pour l'édification du prochain. - « Je le voudrais de tout mon coeur, répondit le malade ; mais je crains une nouvelle dispute si je lui adresse la parole. »
- Eh bien ! j'irai auprès d'elle, si tu le désires, et je lui demanderai pardon en ton nom. - Bien volontiers. - J'y allai, le chapeau à la main, je lui demandai pardon pour le malade. La voisine, touchée de ce procédé, se mit à fondre en larmes et me promit de préparer un excellent mets et de le porter elle-même au malade, comme un gage de réconciliation. « Bravo ! lui dis-je, accomplis au plus tôt ton projet. »

Du 27.
- Que diraient mes camarades si je ne voulais plus ni jouer, ni boire, ni me divertir avec eux ? Ainsi me parlait aujourd'hui un jeune homme que j'exhortais à se convertir. - Si tes amis se moquent de toi, quand tu veux vivre d'une manière réglée, c'est comme si des goitreux se moquaient de ceux qui ne le sont pas. L'approbation de tes camarades te serait-elle plus chère que celle de Dieu et de ses anges ! Oh ! alors, c'en serait fait de toi et de ton salut éternel !

.
(1) Le biographe de Boos (Gossner) ne nous apprend pas qui est ce correspondant ; il en est de même de la plupart des autres personnes à qui Boos a écrit. 
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant