Boos ne resta point oisif à
Augsbourg : quoiqu'il ne lui fût pas
permis de sortir de la ville, il eut plusieurs
occasions de glorifier le Seigneur.
Il entra un jour chez un bouquiniste, et
se mit à feuilleter quelques vieux livres.
« Qu'est-ce que c'est que ces
livres ? » demanda-t-il au
marchand ? - « Ce sont les livres de
nos saints. » - « Qui
appelez-vous de ce nom-là ? »
- « Ce sont des gens qui ne font que
prier et chanter des cantiques, et qui ne se
mêlent en rien des affaires du monde, gens
singuliers qui veulent être meilleurs que les
autres. Quant à moi, » continua le
bouquiniste d'un ton de dédain,
« je n'en fais pas le moindre cas ;
ce ne sont que des hypocrites. Il faut vivre comme
tout le monde. » C'est singulier, pensa
Boos ; il y a là-dessous un
mystère que je veux éclaircir. - Il
s'informa auprès du libraire où
demeuraient ceux qu'il appelait des saints, les
chercha, et fut heureux de découvrir des
âmes pieuses, unies à Christ, et
vivant loin des souillures du présent
siècle. Il trouva une cinquantaine de
fidèles qui, comme lui, se
réjouissaient à la précieuse
clarté de la foi en Jésus, et qui,
comme lui aussi, étaient
méprisés et persécutés
par un monde plongé dans le mal.
Un jeune étudiant,
précepteur à Augsbourg, entendait
débiter tout autour de lui les plus
grossières injures sur le compte de Boos et
de ceux qu'on appelait ses adhérents.
Quoiqu'étranger à l'Évangile,
et nullement désireux de le connaître,
il ne pouvait pourtant, sans quelque serrement de coeur,
ouïr un pareil
langage contre des gens qui, ses yeux, ne faisaient
aucun mal. À force d'entendre
répéter les mêmes choses, il
désira connaître
l'hérétique Boos, cet homme si
méprisé de tout le monde. Il chercha,
il s'informa, et parvint enfin à
découvrir sa demeure.
Staublein (c'est le nom de
l'étudiant), vit en Boos un tout autre homme
que celui qu'on lui avait dépeint. Il en
reçut un accueil si affectueux qu'il le
visita très-fréquemment, et que peu
à peu la vérité se fit jour
dans son coeur.
L'oeuvre du Saint-Esprit fut lente et
difficile : l'orgueil de la science du jeune
homme s'éleva pendant plusieurs semaines
contre la doctrine d'un salut tout gratuit. Mais
enfin le Seigneur fut le plus fort: Staublein,
comme jadis Paul sur le chemin de Damas, se jeta
à terre et s'écria .
« Seigneur, que veux-tu que je
fasse ? » Il crut et devint un homme
nouveau.
Cette conversion eut lieu le 24 janvier
1798, le jour anniversaire de la naissance de
Timothée, dans la chambre même de
Boos, qui l'appela dès-lors son cher
Timothée, son bien-aimé disciple. Ce
fut une grande et précieuse consolation pour
le prisonnier. Comme le coeur du nouveau
Timothée souffrait d'entendre les calomnies
dont on couvrait son père en la foi, il
supporta tout avec une douceur vraiment
angélique, et ne cessa de prier pour les
personnes de la maison. Mais une santé délicate, de
fréquents crachements de sang l'avertirent
qu'il quitterait bientôt cette vallée
de misères. Forcé d'abandonner ses
études, et de se retirer à la
campagne sous le toit paternel, Timothée
travailla selon ses forces à l'avancement du
règne de Dieu : plusieurs âmes
furent,par son moyen, amenées à la
vérité, et au bout de peu
d'années, il remit paisiblement son esprit
entre les mains du Seigneur.
Malgré la défense qu'on
lui en avait faite, Boos écrivait
fréquemment à ses enfants en la foi,
pour les affermir dans leur marche et dans leur
sainte profession. Il avait une correspondance
très-active. Un grand nombre de ses lettres
ont été détruites par ses
adversaires : il nous en reste pourtant assez
pour nous faire apprécier le vif
intérêt qu'il portait à tous
ceux qui entretenaient des relations fraternelles
avec lui. Voici quelques fragments de ses lettres,
datées d'Augsbourg.
Du 5 Octobre 1197.
À ****.
« Cher ami,
« Tu es un excellent pêcheur ; tu saurais pêcher un coeur jusqu'au fond de la mer. - Je ne puis te dire combien je suis touché de la simplicité de ta foi : cette simplicité est, à mes yeux, du plus grand prix. Il faut que notre raison se soumette docilement à la parole de Dieu. Satan s'en rira sans doute ; car son empire s'établit de nouveau dans nos coeurs, dès que nous nous écartons de la vie et de la simplicité d'un enfant. Souvenons-nous toujours de cette parole : « Si vous ne devenez pas de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume de Dieu. »
Boos.
Augsbourg, 26 Octobre 1197.
À Schlund (1)
« Je suis bien réjoui de ce
que, non seulement vous ne vous êtes pas
scandalisé à mon sujet, mais encore
de ce que mes épreuves sont pour vous une
occasion d'affermissement : vous m'exprimez
toute la part que vous y prenez, au risque
même de vous exposer à quelque
danger ; je vous en remercie et j'en
bénis Dieu. On serait, sans doute, tout
disposé à s'aigrir contre ses
persécuteurs : je sens que j'ai
à me prémunir contre
l'irritation ; le Seigneur m'en donne la
force. Votre
exemple me fortifie aussi beaucoup.
Oui, cher ami, je reconnais, même
après l'arrêt injuste qui me retient
ici, que le Seigneur a en égard à ma
misère. Il m'a donné l'Esprit de son
amour. Notre foi excite la colère des uns et
paraît une folie aux autres ; mais elle
est pour nous la puissance de Dieu. Si nous sommes
renversés, nous nous relevons toujours, et
nous nous glorifions de l'opprobre dont nous sommes
jugés dignes pour la cause de Christ. Le
monde nous croit fort malheureux, Ah ! qu'il
se trompe ! Avec Jésus on peut vivre en
paix, même sous le poids d'une croix et
jusques dans l'enfer de ce monde. Je me
réjouis de ce que la foi qui nous est
commune, vous porte à travailler dans la
même vigne et de ce que vous ne redoutez pas
de recevoir le salaire que le monde sait nous
donner, l'opprobre et le mépris. Que Dieu
vous fortifie, vous console et vous maintienne dans
ces dispositions-là ! Venez à
Augsbourg ; venez voir votre
dévoué ermite. »
Boos.
À une personne à qui on avait défendu de lui écrire.
Augsbourg, 25 Novembre 1197.
« Quoi ! il en serait donc
ainsi ! Il nous serait interdit de nous
écrire ! Nous devrions donc placer la lumière
sous le
boisseau ! Le serviteur de Moïse faisait
donc bien de dire à son maître, en
parlant d'Adad et de Médad qui
prophétisaient un camp :
« Moïse, mon Seigneur,
empêche-les
(Nombres,
XI, 27,
28) ! » - Saint Paul
était donc dans l'erreur quand il
écrivait aux Thessaloniciens :
« N'éteignez point l'Esprit
(1,
Thess., V, 19) ! »
Non, non... ; car je sais que s'il est
dit : « Obéissez aux
puissances supérieures, » il est
aussi écrit : « Il vaut mieux
obéir à Dieu qu'aux hommes
(Actes,
V, 29). »
« On m'apprend que nos
doctrines se colportent partout ; mais
travesties, au point de les rendre tout à
fait méconnaissables. Les religieux en font
l'objet de leurs plaisanteries et de leurs bons
mots dans leur repas. Satan couvre ces pauvres
aveugles de la boue que nous rejetons ; mais
il la leur donne plus noire et plus épaisse,
tout en les endormant dans une fatale
sécurité, qui les empêche de
trouver le vrai chemin du ciel. Comme il est actif,
cet ennemi des âmes ! Si, seulement, les
enfants de lumière l'étaient autant
pour la vérité ! - Que c'est
affligeant de voir les enfants des
ténèbres dévorer en riant des
souillures que nous jetons loin de nous !
Pauvres gens ! si vous connaissiez ce que Dieu
nous a fait connaître, vous ne vous ririez pas de
nous
ou
vous ne vous plaindriez pas. Vous jouissez de la
gloire du monde, mais vous ne possédez pas
Jésus ni la vie qui est en lui. Que Dieu ait
pitié de vous ! »
Boos.
15 Décembre 1797.
Au Même.
« Oui, oui, écris-moi toujours.
Toutes leurs défenses sont inutiles. Il y a
maintenant près d'un an qu'on m'a interdit
toute espèce de correspondance, et jamais je
n'ai autant correspondu que pendant cette
année-ci : ma conscience ne m'en fait
aucun reproche. Je vois avec peine qu'il y a des
personnes assez timides pour ne pas oser faire
briller leur lumière. Ceux qui nous
défendent d'écrire ont sans doute de
bonnes intentions ; mais nous en avons aussi
de bonnes. Tandis que les adversaires de Christ ne
se donnent aucun relâche, nous irions
tranquillement nous promener vers
Emmaüs ! Non, non, il ne peut pas en
être ainsi.
« Ne crains point, petit
troupeau ; car il a plu au Père de vous
donner le royaume. » Je
préfère croire ces paroles de mon
Maître, plutôt que les gens qui me
disent : « Prenez garde, Boos, qu'il
ne vous arrive quelque
désagrément. »
« Il y a en moi quelqu'un qui
me dit de t'écrire ces lignes -
« Ne te fie pas trop aux autres ;
remplis ton devoir et ne donne aucune prise sur
toi. » - Donnez-vous garde des chiens, a
dit Jésus ; et lui-même ne se
fiait point aux juifs
(Jean,
II, 24.). Ne courons pas au
devant de la persécution, attendons-la
patiemment. Lors même que Jésus se
fût plusieurs fois échappé des
mains de ses ennemis, quand son heure fut venue, on
se saisit de lui ; il en fut de même de
ses apôtres. Ce qu'on a fait au Maître,
pourquoi ne le ferait-on pas aux
disciples ?
Il faut que le vieil homme soit
déchiré d'une façon ou d'une
autre. C'est à travers la douleur et
l'affliction que le royaume de Dieu doit
s'établir sur la terre : il ne peut pas
en être autrement. Quiconque veut s'amasser
un trésor dans le ciel, doit laisser tomber
tout le reste. Lis l'Écriture et tu verras
ce qu'elle dit à ce sujet. Or, tout ce qui y
est écrit doit nécessairement
s'accomplir. Cependant, comme il est de mon devoir
de t'avertir, je t'exhorte à te tenir sur
tes gardes ; mais sois sans crainte et
offre-toi tout entier et avec joie en sacrifice
à Celui qui s'est donné pour
toi : l'honneur, l'argent, les biens, la vie,
tout ce que nous avons vient de lui. Il nous a
acquis au prix de ses souffrances ; qu'il
fasse maintenant ce qu'il voudra de nous ; il
prend
son
plaisir en nous, comme tu te réjouis en ton
ami. Réjouissons-nous donc en
Jésus ; suivons-le, car il est notre
auguste chef. Marchons au combat sur ses traces,
et, s'il le faut, donnons notre vie pour
lui. »
Boos.
Boos fut, à son grand étonnement,
mis en liberté, en janvier 1798,
après quatre mois d'arrêts dans la
ville. Le conseil ecclésiastique fut
tellement touché de sa bonne conduite et de
l'excellent témoignage que leur en donna son
répétiteur, que, non contents de
mettre fin à sa détention sur parole
bien long-temps avant la fin de l'année, ils
lui permirent de reprendre ses fonctions de
chapelain. Il fut placé en cette
qualité à Langeneifnach, à 17
lieues d'Augsbourg. Le pasteur de cette paroisse se
nommait Koch, ancien directeur de la maison de
correction de Goeggingen. Boos fut
recommandé à sa surveillance.
Dès qu'il fut établi dans
sa nouvelle paroisse, il écrivit à
ses amis d'Augsbourg
« Par la grâce de Dieu,
je me trouve parfaitement bien. J'ai
commencé à prêcher hier, pour
la première fois depuis mon arrivée
ici. Le Seigneur a mis sa parole sur mes
lèvres : j'étais fort ému
ainsi que mes auditeurs. Il paraît qu'il y a
à Langeneifnach quelques âmes
sérieuses et qui s'occupent de leur salut.
L'oeuvre du Seigneur doit être
souvent arrosée des prières, des
larmes et même quelquefois du sang de ses
enfants. Eh bien ! s'il ne peut en être
autrement, s'il faut souffrir le martyre, le
Seigneur nous donnera la force nécessaire.
Ne vous étonnez pas si ces pensées se
présentent à mon esprit :
l'enfant brûlé craint le feu.
D'ailleurs mon principal, le pasteur Koch,
chargé de me surveiller dans mes discours,
dans ma correspondance, dans toutes mes
démarches, s'est mis à remplir sa
tâche ; mais cela ne m'empêchera
pas d'annoncer hardiment la parole de la croix.
Priez pour que nous persévérions
à renoncer sans regrets à tous les
biens temporels, et que nous soyons de plus en plus
convaincus que la chair et le sang ne peuvent
ouvrir l'entrée du royaume de
Dieu. »
À Timothée (Staublein).
Langeneifnach, ... Février 1798.
« Ta seconde lettre m'a
été remise le 18 de ce mois,
immédiatement après le sermon. Le
Seigneur m'a accompagné dans la chaire, et
de là vers mes auditeurs. Leurs coeurs ont
été émus et leurs yeux ont
laissé couler des larmes. Notre Dieu me
tient sous sa protection. Je n'ai pas de peine
à te croire quand tu me dis que
l'Écriture est pour toi une source de
consolation ; j'en ai fait la douce
expérience. -
Les frères de S. t'auraient
écrit depuis long-temps s'ils ne craignaient
pas tes entours. Écris-leur de bannir cette
crainte. Il faut bien aller une fois à
Jérusalem, c'est-à-dire à
Augsbourg, où siège la cour
ecclésiastique qui persécute
Christ ; aucun chrétien ne doit reculer
devant l'épreuve. Une foi exempte de
l'épreuve n'est peut-être pas la vraie
foi ; la confession de bouche est assez
commune ; si elle n'a pas passé par le
creuset, on peut douter de sa
réalité.
« Tu me demandes comment vont
mes affaires. Tout est encore tranquille ; je
suis riche : on me donne ma chambre, la table
et un léger traitement. Je suis presque
honteux d'être l'objet de tant soins.
Mon cher Timothée, ne sois pas
surpris si tu n'es pas toujours environné
d'une vive lumière, et si
quelquefois tu es en butte à l'affliction.
Nous passons par les mêmes épreuves,
et il est, bon qu'il en soit ainsi. Mêlons
à toutes nos souffrances le sel des douleurs
de Jésus.
Du reste, ne cherche pas à te
soustraire violemment à
l'épreuve ; attends, avec patience que
Celui qui est lumière vienne
réchauffer et éclairer ton coeur. Des
milliers d'hommes suivaient Jésus et se
réjouissaient de sa lumière ;
mais lorsque le prince des ténèbres
l'eut livré entre les mains de ses ennemis,
ces mêmes hommes se
retirèrent.
Puisses-tu lui être toujours
fidèle ! Que la grâce de Dieu
soit avec toi ! » Boos.
Il y avait à peine deux mois que Boos
jouissait d'un peu de repos à Langeneifnach
et qu'on commençait à voir quelque
fruit de son pieux ministère lorsque ses
adversaires se mirent de nouveau en campagne. Les
hauts dignitaires et les diacres de la province de
Kempten se récrièrent de ce qu'on lui
avait rendu la liberté, et s'en plaignirent
auprès de l'électeur et
évêque Clément Wenceslas - Ils
demandèrent nettement qu'on l'enfermât
pour le reste de ses jours. On avait
intercepté une lettre que Boos avait
écrite à un de ses frères en
la foi, persécuté comme lui pour la
cause de l'Évangile. Il dut quitter
Langeneifnach le 3 avril 1798, et aller en toute
hâte à Augsbourg. Il se rendit chez un de ses amis.
Ne sachant
trop
s'il devait se présenter devant ses juges,
ou prendre la fuite, il demanda conseil à
son hôte. Celui-ci lui répond :
« Si l'on vous persécute dans une
ville, fuyez dans une autre. » Boos se
rend à Munich, auprès du pasteur
Winkelhofer. Au bout de trois semaines, il se voit
encore forcé de s'enfuir, et va de village
en village, semant partout la précieuse
semence de la vérité, fortifiant ceux
qui avaient cru, et leur rappelant que
« c'est par beaucoup. d'afflictions qu'il
nous faut entrer dans le royaume de
Dieu. »
Cependant il était quelquefois en
proie aux besoins les plus pressants. Il
s'arrêtait de temps en temps au bord d'un
ruisseau pour y laver son linge, et le faisait
sécher sur les branches d'un arbre. Il entra
un jour, chez un paysan, pour lui offrir ses
services en qualité de domestique. Quelle ne
fut pas sa surprise, lorsqu'au moment où il
faisait son humble demande, le paysan ôta
respectueusement son bonnet, et le salua en lui
baisant la main !
Notre brave paysan l'avait
aussitôt reconnu pour un
ecclésiastique, et l'accueillit avec le plus
vif empressement. Boos lui parla des
miséricordes du Seigneur, et eut la joie de
l'amener à une foi vivante en
Jésus-Christ. Il n'y passa que quelques
jours, et retourna le 1er juillet chez le pasteur
Winkelhofer, et trois jours après il se
rendit à Path, chez Eb.
Celui-ci le recommanda à un ami intime,
Benoît Scharl, intendant de Groenbach,
près de Hohenlinden, en Bavière.
« Scharl, » lui
écrivit-il, « viens avec ta
voiture chercher un ami que je confie à tes
soins. Tu le recevras chez toi et dans ton coeur,
sans t'informer de son nom. Traite-le comme tu me
traiterais moi-même. » L'intendant
part à lettre vue, arrive chez son ami et
fait monter l'inconnu dans sa voiture, sans lui
faire aucune question : il le conduit dans sa
maison comme Abraham reçut les anges de
l'Éternel.
Au bout de quelques mois, arrive
à Groenbach un ecclésiastique qui
connaissait notre pauvre fugitif. « Que
fais-tu donc ici, Boos ? » lui
dit-il.
L'intendant sut alors avec qui il avait
affaire ; mais son affection et son estime ne
firent que s'accroître davantage, surtout
lorsque Boos lui eut raconté son
histoire.
Ses adversaires avaient si bien pris
leurs mesures, que le 9 décembre il dut
quitter son bienfaiteur, et se rendit à
Augsbourg. Il aurait pu éviter de
comparaître devant le tribunal qui l'avait
déjà condamné une fois ;
mais espérant sans doute que cette
démarche spontanée mettrait un terme
à cette vie errante dont il était
fatigué, il résolut de se
présenter devant ses juges. « Je
me jetai moi-même dans les bras de mes
ennemis, » écrivait-il dans une de
ses lettres. « Me voici, leur dis-je,
prêt à souffrir tous les maux dont
vous voudrez m'accabler. Ils furent
extrêmement étonnés de cette
démarche, et me traitèrent avec
beaucoup plus de douceur que je ne m'y
attendais. »
On lui fit subir plusieurs
interrogatoires ; on lui demanda entr'autres
quels étaient ses amis et les personnes avec
lesquelles il avait correspondu. « Je ne
puis vous les nommer, » répondit
Boos ; « sans eux j'aurais plus
d'une fois péri ; et d'ailleurs cela ne
vous regarde en aucune façon. » -
« Pourquoi vous êtes-vous
enfui ? » - « Je vous l'ai
déjà dit ; pourquoi voulez-vous
que je vous le dise encore ? »
L'agent fiscal qui l'interrogeait se mit
en colère, et voyant qu'on ne pouvait rien
en obtenir, se borna à le faire condamner
à quatre mois d'arrêt dans la ville
d'Augsbourg, sous la surveillance du
vicaire-général Nigg.
Ce prélat faisait grand cas de
Boos ; plus d'une fois il lui glissa un louis
d'or dans la main, avec défense expresse de
n'en rien dire à personne. Il lui eût
volontiers donné pleine liberté, si
cela lui eût été possible.
Voyant que son respectable prisonnier ne serait
jamais en repos dans ce diocèse, ni dans les
environs, il lui conseilla de chercher une terre
plus hospitalière. D'après ces
conseils, Boos partit d'Augsbourg le 30 avril 1799,
muni de la recommandation d'un ami
dévoué, et il arriva, accompagné des
bénédictions de ses frères,
dans le diocèse de Linz, dans la
Haute-Autriche.
Il y reçut le meilleur accueil possible.
L'évêque de Linz (Antoine Gall), sut
apprécier sa profonde piété,
et le vif intérêt que notre
respectable proscrit prenait à l'avancement
du règne de Dieu.
« Que ne m'envoie-t-on
encore, » disait-il souvent,
« vingt prêtres tels que
Boos ! » Il le plaça d'abord
provisoirement à Leonding, près de
Linz, en qualité de
prédicateur-adjoint, et peu de temps
après à Waldneukirch. Boos y
déploya le même zèle que dans
les postes précédents. Sa
prédication pleine de vie, les consolations
qu'il savait offrir aux malades et aux âmes
travaillées, la pureté de sa
conduite, lui acquirent bientôt l'estime et
la confiance de ses supérieurs
ecclésiastiques et de ses nombreuses
ouailles. Après un séjour de deux ans
à Waldneukirch, le professeur Bertgen,
pasteur à Penerbach, voulut l'associer
à ses travaux .
Boos y consentit, et resta cinq ans dans
cette paroisse. Voici quelques extraits de son
journal, durant son ministère à
Penerbach :
1803. - 2
juillet. - Celui qui bâti sa
maison sur le roc qui est Christ, la voit
résister aux plus violents orages. Si un
homme chancelle et est renversé par
l'épreuve, il montre assez que son
christianisme ne reposait que sur le sable. Combien
de gens qui sont dans ce cas-ci !
Du 6. - Si le fils de l'empereur venait
nous dire de la part de son père :
« Mes amis, ne vous mettez pas en peine
de vos moyens d'existence ; mon père
connaît tous vos besoins, et il vous fournira
tout ce qui vous est nécessaire ;
appliquez-vous seulement à bien vous
conformer aux lois du royaume. » Un tel
message nous eût tous réjouis. Eh,
bien ! il y a long-temps que Dieu nous a fait
dire la même chose par son Fils ; et
pourtant il y a bien peu d'hommes qui veuillent
ajouter foi à ses paroles : preuve
certaine qu'ils ont plus de confiance en l'empereur
qu'en Dieu.
Du 7.
-
Fortifie-toi dans la grâce en
Jésus-Christ, » disait saint Paul
à Timothée
(II,
Tim., II, 1) Il semble
quelquefois que la grâce, la lumière,
le zèle, le courage sont endormis et presque
éteints dans le coeur du fidèle.
C'est bien là ce que j'éprouve. Trop souvent
toute lumière paraît éteinte en
moi ; ma vie spirituelle est près de
s'évanouir. Ce triste état dure deux
ou trois jours ; puis tout se ranime et
paraît sortir d'un profond sommeil.
Du 8. -
Une
veuve, mère de six enfants, en conduisait un
aujourd'hui à l'école : l'enfant
se débattait, et dès qu'il me vit il
voulut prendre la fuite. Mais la mère le
retint et l'amena avec peine dans la salle, en me
disant, en présence du maître
d'école : « Aidez-moi
à corriger cet enfant, il ne veut pas
m'obéir. » La pauvre veuve versait
un torrent de larmes. - « Oui, nous
t'aiderons, lui répondis-je ; tu le
mérites bien, puisque tu amènes tes
enfants à l'école. » Me
tournant vers le jeune garçon :
« Tombe aux genoux de ta mère, lui
dis-je ; baise-lui les mains et les
pieds. » L'enfant obéit sur le
champ ; il remercia même sa mère
de l'avoir amené à
l'école ; lui demanda pardon, ainsi
qu'à tous les enfants qui se trouvaient
là. « Il ne faut pas
désespérer de ton enfant, lui dis-je,
on peut encore le former à
l'obéissance, comme une recrue. »
La veuve s'en alla toute consolée.
Du 11. -
Les hommes qui demandent à Dieu quelques
grâces lui sont plus agréables que
ceux qui prétendent lui apporter quelque
chose. Le Pharisien de la parabole se croyait riche
en oeuvres méritoires, et voulait
présenter à Dieu quelque offrande ; mais le
Seigneur
lui dit : Je ne veux rien de toi. Tandis que
le péager se présentait devant Dieu
comme un pauvre misérable, implorant sa
grâce et son pardon, le Seigneur fut attentif
à sa requête, et lui accorda selon le
désir de son coeur. - C'est ainsi que les
riches s'en retournent les mains vides, et les
pauvres les mains pleines. Les riches sont pauvres
et les pauvres sont riches.
Du 14.
- Je
viens de donner tout mon argent à deux
voyageurs. Mais que dis-je ? cet argent
n'était pas à moi, il était au
Seigneur. Je voudrais réellement ne rien
avoir, car c'est une triste chose que de
dire : « Mon argent. » 0
mon Dieu, fais que je t'appartienne ; je te
donne tout ce qui est à moi !
Du 15.
-
Quelqu'un me disait : « J'ai encore
quelque chose sur le coeur ; mais je n'ose le
confier à personne, pas même à
vous ; et cependant j'en ai la conscience
chargée. - « Eh bien, dites-le
à Dieu, lui répondis-je ; car on
peut tout lui dire, le bien comme le mal, les
petites choses tout comme les grandes, tout, tout.
... » Cette personne m'ouvrit alors ses
plus secrètes pensées.
Du 16.
-
Les pharisiens ne pouvaient jamais répondre
à cette question de Jésus :
« Que pensez-vous de Christ ; et de
qui est-il fils ? » Et pourtant ils
avaient lu les prophéties et entendu les
discours de Jésus, C'est qu'il leur manquait
la vraie connaissance de Christ,
Il en est de même aujourd'hui : la
plupart des chrétiens lisent l'histoire de
Jésus et en entendent beaucoup parler, mais
bien peu sont en état de répondre aux
questions qu'on leur adresse. S'ils connaissaient
véritablement le Seigneur, ils
regarderaient, selon l'exemple de Paul, tout le
reste comme de la boue. Puisqu'ils trouvent tout
leur plaisir ailleurs qu'en Christ, ils ont en cela
une preuve qu'ils ne le connaissent point.
Du 20.
- Y
a-t-il une plus grande folie que celle des
nationalistes donnant le nom, d'obscurantistes
à ceux qui portent dans leurs mains et sur
leur bouche le soleil de la
révélation ? Il y a là
autant de sottise que si l'on disait qu'une faible
lampe jette plus d'éclat que l'astre du
jour.
Du 21.
-
Moins un homme renvoie sa conversion, mieux il s'en
trouve. Cependant il vaut mieux tard que jamais.
C'est ce que je disais aujourd'hui à un
homme qui se désespérait, sur son lit
de mort, d'avoir si long-temps
négligé son salut : ces paroles
ont amené l'espoir et la confiance dans son
âme.
Du 22.
-
Christ dans le coeur et la croix sur le dos,
voilà ce que possède tout vrai
chrétien.
Du 27. -
Il
y a des femmes qui se plaignent sans cesse de leurs
maris. J'ai coutume de leur dire :
« Mes bonnes amies, toutes ces
plaintes ne vous servent à
rien et vos maris n'en retirent aucun profit. Priez
plutôt pour eux ; présentez-les
au Seigneur, comme on faisait autrefois des
infirmes qu'on apportait à ses pieds. Quand
Jésus verra vos larmes et votre foi, il vous
dira aussi : « Aie bon courage, ma
fille, je t'aiderai et convertirai ton
époux. »
Du 9
Août. - Lorsque Satan
séduisit Eve, il employa la ruse et le
mensonge, et lui fit les mêmes promesses qui
entraînent aujourd'hui tant de jeunes
personnes dans le péché. »
« Il n'y a pas de mal à
ceci », leur répète-t-il
sans cesse ; à tel divertissement sera
pour toi une source de plaisirs et de
joies », et ces pauvres filles d'Eve,
ajoutant foi à ces impostures, chancellent
et succombent.
Du 10.
-
Quelques sages de l'antiquité cherchaient la
lumière et la sagesse auprès des
juifs, dépositaires des oracles de Dieu. Nos
nouveaux sages font tout le contraire : ils se
détournent de la vraie lumière que
nous a procurée la révélation
et cherchent leurs folles pensées ou en
eux-mêmes ou dans les écrits des
païens.
Du 15. -
Quand il fait nuit, je ne puis commander au jour de
paraître : il faut que j'attende le
lever du soleil. Il en est de même lorsque,
les ténèbres remplissent mon
âme : je prie jusqu'à ce que le soleil de
justice
m'éclaire encore de ses doux rayons.
Du 19.
-
Bon jour ! C'est souvent la seule bonne parole
qui sorte de la bouche de tel ou tel homme dans une
matinée. Bonne nuit ! C'est aussi la
seule bonne oeuvre qu'il accomplisse durant tout le
reste du jour.
Du 22.
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J'ai visité aujourd'hui un malade qui vivait
en inimitié avec une de ses
voisines. » « Tu peux mourir,
lui dis-je » ; réconcilie-toi
avec ta voisine, soit pour ta propre satisfaction,
soit pour l'édification du prochain. -
« Je le voudrais de tout mon coeur,
répondit le malade ; mais je crains une
nouvelle dispute si je lui adresse la
parole. »
- Eh bien ! j'irai auprès
d'elle, si tu le désires, et je lui
demanderai pardon en ton nom. - Bien volontiers. -
J'y allai, le chapeau à la main, je lui
demandai pardon pour le malade. La voisine,
touchée de ce procédé, se mit
à fondre en larmes et me promit de
préparer un excellent mets et de le porter
elle-même au malade, comme un gage de
réconciliation. « Bravo ! lui
dis-je, accomplis au plus tôt ton
projet. »
Du 27.
-
Que diraient mes camarades si je ne voulais plus ni
jouer, ni boire, ni me divertir avec eux ?
Ainsi me parlait aujourd'hui un jeune homme que
j'exhortais à se convertir. - Si tes amis se
moquent de toi, quand tu veux vivre d'une manière
réglée, c'est comme si des goitreux
se moquaient de ceux qui ne le sont pas.
L'approbation de tes camarades te serait-elle plus
chère que celle de Dieu et de ses
anges ! Oh ! alors, c'en serait fait de
toi et de ton salut éternel !
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