Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

CONVERSIONS ET PERSÉCUTIONS.

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Ces conversions frappaient d'étonnement tous ceux qui en étaient témoins. Ils ne pouvaient comprendre d'où provenaient cette foi, cette patience, cette charité qui brillaient dans la conduite de ces chers enfants de Dieu. De la surprise ils passèrent au blasphème, et ces pauvres aveugles accusaient ces chrétiens d'avoir quelque commerce avec le diable. On vit un père, qui auparavant aimait tendrement sa fille, ne pouvoir plus la souffrir depuis qu'elle était devenue vraiment chrétienne. Plus elle redoublait d'humilité, de douceur et d'obéissance envers lui, plus sa fureur s'accroissait. « Tu ne te montres si pieuse, » lui dit-il, « que pour mieux cacher tes diableries. Va, tu n'es qu'une hypocrite ! »
Un jour, dans son aveugle colère, il la chassa de chez lui. La jeune fille versa d'abord un torrent de larmes. Quelques jours auparavant, elle avait lu dans l'Évangile ces paroles qui devaient s'accomplir si tôt à son égard : « Ils vous chasseront des synagogues et vous poursuivront de ville en ville. » Cette prédiction du Sauveur releva son courage ; elle éprouva même de la joie de souffrir quelque chose pour Jésus. Elle pria pour son père, et Dieu exauça sa requête ; car peu de jours après il courut après elle, la chercha long-temps, et la trouva dans une ville éloignée. Dès qu'il la vit, il tomba à ses pieds, lui demanda pardon des mauvais traitements qu'il lui avait fait souffrir, et reconnut que c'était lui et non pas elle que le démon avait séduit.

Un prêtre visita un jour une malade convertie par le ministère de Boos, et lui parla de toute autre chose que de la grande affaire du salut. Quand il fut parti, la garde-malade, qui était aussi une enfant de Dieu, se mit à dire : « Quel ecclésiastique est-ce là? il ne dit pas un mot de religion. » - « Hélas, répondit la malade, il en fait de même dans ses prédications ; il s'en faut peu qu'il ne recommande la danse du haut de la chaire. » Aussitôt elles se mirent à prier l'une et l'autre pour ce pauvre ecclésiastique.

Lorsque celui-ci revint, la pieuse garde-malade lui cita quelques paroles du Nouveau-Testament ; mais il n'y fit aucune attention. Non contente de cela, elle lui remit plusieurs passages de la bible. Le prêtre prit la feuille, promit de la lire, mais son air semblait dire assez qu'il n'y avait rien à espérer de lui. Les deux servantes de Christ ne se lassèrent point de prier, et eurent la joie de voir leur prière exaucée. De retour chez lui, le prêtre lut les passages, par pure curiosité, et les chercha dans le Nouveau-Testament. Il y en eut un surtout qui le frappa beaucoup ; c'est celui-ci : « Éprouvez-vous vous-mêmes pour savoir si vous êtes dans la foi (2, Cor., XIII, 5.). »
Il fondit aussitôt en larmes ; ses yeux furent ouverts ; il reconnut son aveuglement et son manque total de foi et de piété, et il éprouva la vérité de ces paroles de saint Augustin : « Les simples et les ignorants se réveillent et forcent le royaume des cieux, tandis que nous, nous restons dans nos péchés. » Bientôt après il retourna auprès de la malade et lui raconta tout ce qui lui était arrivé.
Son coeur était pénétré de la plus vive reconnaissance envers elle et envers le Seigneur qui venait de faire luire la vérité à ses yeux. Sur sa demande, ces deux femmes le mirent aussitôt en relation avec Boos. Celui-ci, qui connaissait ce prêtre mondain et incrédule, fut singulièrement étonné de le voir entrer chez lui. Mais quand il lui eut ouvert son coeur et dépeint le changement que le Seigneur y avait opéré, Boos ne douta point de la réalité de sa conversion. Il lui avoua toutes ses fautes, toute son incrédulité, avec un tel abandon et une telle ingénuité, que Boos en éprouva la plus vive joie. La pureté de sa conduite, sa prédication pleine de vie, excitèrent un étonnement universel.
Dès-lors toute sa joie fut d'annoncer la bonne nouvelle à toutes les âmes qui l'entouraient. Plusieurs pécheurs furent amenés à la vérité par son moyen.

Le premier jour de l'an 1797, Martin Boos prêcha à Wiggensbach avec une telle force et le Seigneur bénit si puissamment ses paroles, que près de quarante personnes, saisies de la plus profonde terreur, prirent mal, au point qu'on fut obligé de les emporter du temple. De là, grande rumeur dans toute la ville. Quelques-uns criaient : « Hosanna, béni soit le nom du Très-Haut » ! D'autres : « A bas le prédicateur ! Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! »
Ces derniers coururent auprès du curé de la paroisse, nommé Abraham, et le conjurèrent de renvoyer le chapelain. Ils accompagnaient leurs paroles des plus affreuses menaces. Les amis du Seigneur et ceux qui étaient pénétrés au moins de sentiments pacifiques, allèrent aussi chez le curé pour le solliciter de ne pas leur ôter leur cher Boos. Toutes ces demandes contradictoires durèrent un jour et une nuit entiers ; chaque parti croyait avoir remporté la victoire. Abraham était l'ami d'enfance de Boos et son ancien condisciple.
C'était un homme d'un caractère faible et timide. Il faisait le plus grand cas de son chapelain. aussi long-temps que tout était calme autour de lui, il paraissait partager ses sentiments, ou tout au moins approuver ses doctrines. Mais quand l'orage de la persécution se leva, il en fut vivement effrayé et cédant à la tempête, il expulsa le fidèle témoin de la vérité qui est en Christ.

Les ennemis de l'Évangile prirent alors un nouveau courage. La persécution devint générale et éclata, comme un coup de tonnerre, partout où se trouvaient quelques âmes fidèles. On les saisit, on les traîna devant les tribunaux ; on fouilla leurs demeures, leurs vêtements. Mais les juges ne les trouvant coupables que d'une foi ferme et simple en Christ, les relâchèrent et ne prirent aucune mesure pour les garantir des mauvais traitements d'une multitude aveugle et pleine de rage. Quelques-uns de ces chrétiens durent restés cachés cinq ou six mois dans d'obscures retraites. D'autres se virent traqués d'un lieu à l'autre comme des animaux féroces, et quittèrent pour toujours leur pays natal. Ici, on enfonçait les fenêtres et l'on visitait les maisons pour surprendre les fidèles ; là, des soldats ou des paysans armés stationnaient devant leurs portes avec leurs fusils chargés. Un de ces furieux ayant attiré dans sa maison une femme chrétienne, comme dans un refuge assuré, s'apprêtait aussitôt à la fusiller ; mais son fils le désarma et la femme parvint à s'échapper.

Toute la province de Kempten, où habitaient un grand nombre de vrais croyants, était en proie à la plus violente agitation, tant était grand l'aveuglement de la multitude.
Quel était donc le crime de ces victimes du plus affreux fanatisme ?
De recevoir Jésus comme leur Sauveur et de vivre selon les saints commandements de la parole de Dieu. Boos, ni ceux qui, comme lui, aimaient le Seigneur, ne s'étaient pas séparés de l'Eglise de Rome ; ils n'y songeaient même pas. Mais n'oublions pas que toujours et partout, « la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent, tandis que pour ceux qui sont sauvés, elle est la puissance de Dieu » (1, Cor., I, 18.).

Cependant Boos s'était retiré dans un village reculé, cherchant l'obscurité et évitant tout éclat. Il défendait à chacun de parler de lui ; mais le bruit de sa piété se répandait de plus en plus. La haine et l'envie des prêtres s'augmentaient de jour en jour. « C'est un séducteur et un hérétique, s'écriaient-ils. Voyez comme il attire tout le peuple à lui. Il veut fonder une secte nouvelle et renverser la religion catholique. »
Toutes les chaires retentissaient des plus sévères menaces contre le pacifique Boos. Des hommes qui, jusqu'alors, n'avaient montré aucun intérêt pour la religion, déployaient le plus grand zèle pour la défendre.

Le seul nom de Boos était si odieux, qu'on ne pouvait le prononcer sans s'exposer à toute espèce de mauvais traitements. Quiconque osait en prendre la défense, pouvait être assuré de recevoir quelques coups de poings ou de bâtons. Un homme, du village de Wertach, ayant dit un mot en faveur de Boos, en présence de quelques personnes reçut un si violent coup dans la poitrine, qu'il en mourut au bout de peu de jours. La justice ne fit aucune recherche et le coupable resta complètement impuni. Aucune parole de vengeance ne sortit de la bouche du mourant; peu d'instants avant de remettre son âme entre les mains du Seigneur, il pria sa femme d'assurer son assassin qu'il lui pardonnait au nom de Christ, et exhorta son épouse, à lui rendre le bien pour le mal.

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CHAPITRE V.

UNE ENQUÊTE. - BOOS ENCORE FUGITIF.


Les autorités civiles et ecclésiastiques, à l'instigation de quelques prêtres, firent de nouveau jeter en prison les plus fidèles amis de Boos, et surtout les ecclésiastiques connus pour être des partisans. Abraham, l'ancien ami d'enfance du chapelain de Wiggensbach, se fit tristement remarquer parmi ses plus violents adversaires.

Voici une portion de l'interrogatoire qu'on fit subir à un prêtre accusé de tremper dans les hérésies de Boos.
Le Juge. - Connaissez-vous les préceptes enseignés par Martin Boos ?
Le Prêtre. - Oui.

Le Juge. - En quoi consistent-ils ?
Le Prêtre. - Il nous a enseigné la repentance et la foi en Jésus-Christ.

Le Juge. - Qu'entendez-vous pas croire en Jésus-Christ ?
Le Prêtre. - Lorsqu'un homme, éclairé par la grâce de Dieu, se reconnaît misérable pécheur, c'est une joie pour lui de croire au Rédempteur et d'accepter, comme une aumône, son pardon. Les Israélites, mordus par les serpents brûlants, n'avaient qu'à jeter leurs regards sur le serpent d'airain qu'avait élevé Moïse, et ils étaient aussitôt guéris ; il en est de même du pêcheur en regardant à Christ, il obtient la guérison et le salut de son âme (Jean, Ill, 17).

Le Juge. - À quel signe reconnaissez-vous que Christ est en vous ?
Le Prêtre. - Saint Jean dit - « Quiconque confessera que Jésus est le fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui demeure en Dieu » (1 Jean, IV, 15). On connaît l'arbre à son fruit. Là où est Christ, là est la paix, la joie, la patience, la douceur, la pureté et l'espérance du salut éternel.

Le Juge. - Quels sont les disciples de Jean et ceux de Jésus ?
Le Prêtre. - Les disciples de Jean sont ceux qui se repentent et qui, par là, se préparent à recevoir le Christ. Les disciples de Jésus sont ceux qui croient à lui et qui, par la foi, l'ont reçu dans leurs coeurs.

Le Juge. - Comment êtes-vous arrivé à cette croyance-là.
Le Prêtre. - Depuis long-temps j'étais tourmenté par mes doutes et par mes péchés, La philosophie ne faisait qu'accroître la maladie de mon âme. Je ne trouvais aucun repos dans l'observation des actes extérieurs de la religion. Quelques entretiens que j'eus avec un homme respectable, répandirent un peu de lumière dans mon coeur. De pieux ecclésiastiques me donnèrent quelques textes de la Bible ; je les lus, et le sentiment de mes péchés se réveilla en moi avec une force toute nouvelle. Je me rendis auprès de Martin Boos, à Wiggensbach. Il me montra Jésus comme étant l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. Ce fidèle curé me parla beaucoup du bonheur que donne Jésus. - Je crus à l'Évangile et ne sentis que la paix et la joie dans mon coeur, accompagnées d'un ardent désir de me convertir à Christ.

Le Juge. - N'y a-t-il point eu de cérémonie extérieure ?
Le Prêtre. - Non, aucune.

Le Juge. - Attendez-vous quelque miracle ?
Le Prêtre. - Aucun.

Le Juge. - Croyez-vous que ces doctrines soient propres à rendre les hommes meilleurs ?
Le Prêtre. - Oui, sans doute ; je ne les ai jamais considérées autrement.

C'en fut assez : ce brave ecclésiastique ne put habiter le pays et fut prié d'aller se fixer ailleurs.

Revenons à Boos. Il ne put rester long-temps caché dans sa paisible retraite et se trouva de nouveau sur une grande route, sans ressource, sans emploi, sans abri. Il ne voulait pas se réfugier chez ses frères ; ç'aurait été les exposer à de violentes perquisitions et à d'horribles traitements. Il fit pourtant demander à un pasteur du voisinage (1), nommé Nathanaël, s'il pourrait le recevoir chez lui. Celui-ci lui fit dire qu'il serait réjoui de sa visite et qu'il regarderait comme une grâce d'avoir l'occasion d'accueillir sous son toit un homme persécuté pour une aussi belle cause, et il envoya un de ses intimes amis à sa rencontre. Celui-ci, ayant fait quelques lieues de chemin, aperçut de loin Boos, monté sur un vieux cheval blanc. Où vas-tu, Saint-Martin, lui cria-t-il, dès qu'il l'eut vu ? Où vas-tu sur ton cheval blanc ? » Il serait difficile d'exprimer la joie de notre pieux proscrit, à l'ouïe de cette voie amie. « Paix te soit ! » lui cria le messager. « Paix te soit ! » Il fut, bientôt dans les bras de Nathanaël, qui le reçut comme si c'eût été le Seigneur en personne. Il lui fut doux de se rappeler ces paroles de Jésus : « Celui qui vous reçoit, me reçoit, et celui qui me reçoit, reçoit Celui qui m'a envoyé » (Math., X, 40). Boos lui fit le récit de toutes ses épreuves. Quoiqu'ils sussent bien qu'on ne les laisserait pas long-temps en repos, ils se livrèrent à la joie la plus vive et bénirent Dieu de toutes ses grâces. Puis, ils continuèrent à proclamer cet Évangile, qui était l'objet de tant dé calomnies et de persécutions.

La paix dont ils jouirent ne fut pas de longue durée. Il y avait à peine un mois que Boos goûtait quelque repos à Seeg, qu'un commissaire du conseil ecclésiastique se présenta dans le presbytère pour faire une enquête contre Boos qui était alors malade. Nathanaël était absent ce jour-là. Le conseiller ecclésiastique nommé Roessle, fait enfoncer pupitre et armoire, et, sans exhiber ses pleins pouvoirs, il enlève tous les papiers, les lettres et les livres appartenant à Boos, et lui intime l'ordre de le suivre à Augsbourg. Celui-ci était trop souffrant pour se mettre en route, lui promet de se rendre dans cette ville dès que sa santé le lui permettra. En effet, il quitta, peu de jours après, ses bons amis de Seeg, pour aller s'exposer à toute la méchanceté de ses ennemis. Il savait que les cachots et les fers l'attendaient ; mais il avait donné sa parole et se présenta le 10 février 1797, devant le tribunal ecclésiastique d'Augsbourg.

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CHAPITRE VI.

DÉTENTION DE BOOS À AUGSBOURG.


On l'enferma d'abord dans la maison de correction de Goeggingen, à une lieue de la ville, avec des aliénés et toutes sortes de criminels. Ceux qui ne le connaissaient point le croyaient coupable de vol ou d'assassinat. Il resta en prison huit mois, pendant lesquels il subit plus de cinquante interrogatoires. Sur ses instantes demandes, on lui accorda des objets nécessaires pour écrire ; mais on lui interdit toute correspondance avec qui que ce fût. Quelle douceur pour lui de pouvoir confier au papier tous les sentiments qui remplissaient son âme ! Comme il aimait, durant ces longues heures de captivité, se retracer toutes les grâces dont le Seigneur l'avait comblé, et se rendre raison de l'espérance qui faisait toute sa joie ! Voici quelques fragments de son journal à cette époque :

« Je serais tombé dans le plus affreux désespoir, ô mon Dieu ! à la vue de mes innombrables péchés, si ta Parole n'était venue éclairer mes pas. À cette céleste lumière, mes doutes se sont évanouis et l'espérance la plus vive a brillé dans mon coeur. Lorsque nous étions tes ennemis, tu nous a donné ton Fils, notre avocat céleste. C'est dans son précieux sang qu'est toute ma confiance. C'est en m'appuyant sur lui et non sur mes oeuvres, que j'aspire à la pleine jouissance de ta présence glorieuse. Christ, pour nous, Christ en nous, voilà la base du salut et de la sanctification ; voilà la source de toute bonne oeuvre. Mais que de gens qui veulent élever l'édifice de leurs vertus en dehors de ce fondement-là ! La maison qu'ils bâtissent sera bientôt renversée de fond en comble.

Nous ne pouvons porter Christ dans nos coeurs qu'avec une foi vive et une sincère repentance ; les scribes et les pharisiens sont les plus éloignés de Jésus : il n'est pour eux qu'un objet de colère ou de mépris. - Les fidèles doivent en tout temps s'attendre à beaucoup de persécutions ; mais Jésus répand dans leurs coeurs sa sagesse et sa consolation, et renouvelle en leur faveur les miracles de son amour.

De nos jours, comme jadis, Christ est méconnu, injurié, traîné devant des juges iniques et condamné à une mort infâme. - Il est une communion des saints, communion étroite et qui le devient de plus en plus par les rapports de l'amour fraternel.
Jésus passe encore aujourd'hui auprès de la plupart des savants et des grands de la terre, sans leur faire part de ses grâces ; mais il se communique aux humbles, aux simples qui, d'ordinaire, servent d'instruments pour la conversion des autres ; lorsque Dieu les emploie pour amener quelques-uns de leurs semblables à sa connaissance, ils achèvent, comme le disait saint Paul, le reste des souffrances de Christ.

Il n'y a sur la terre que deux Églises : la vraie et la fausse. Combien peu appartiennent à la première. -
Il y a parmi les meilleurs catholiques et dans l'Eglise protestante, une foule de judaïsans, c'est-à-dire, d'hommes qui se confient en leur propre justice et qui ne veulent pas se soumettre à la vraie justice qui nous vient de Dieu seul.
Les bonnes oeuvres ne nous acquièrent pas le pardon, mais il est impossible de parvenir sans elles au bonheur éternel. Quand les hommes veulent devenir meilleurs, presque toujours le désir de la récompense ou la crainte du châtiment les fait aller à l'école de la loi de Moïse, puis à celle de saint Jean, qui est la repentance ; puis à l'école de la croix de Christ ; et, enfin, à celle du Saint-Esprit.

En prêchant Moïse et la loi, vous pouvez être assurés être moins tourmentés qu'en prêchant Jésus et son Évangile. D'où cela vient-il ? C'est qu'on est beaucoup plus juif que chrétien, et que Satan s'oppose à ce qu'on présente aux hommes les moyens d'observer les commandements de Dieu. - Bien des gens trouvent ces maximes dignes de tout leur mépris, « L'homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu ; elles sont pour lui une folie, parce que c'est spirituellement qu'on en juge. »

C'est ainsi que le pieux Boos employait les loisirs de sa prison : la méditation de la parole et la prière faisaient toutes ses délices.

Le directeur de la maison de détention de Goeggingen était un ecclésiastique nommé Hoffmann. Accoutumé à ne voir dans les prisonniers confiés à ses soins que des malfaiteurs dignes de toute la sévérité des lois, il accueillit Boos comme un criminel et un misérable hérétique. Mais quelle fut sa surprise de voir l'humilité, la douceur, la patience, la piété du nouveau détenu ! Il pouvait à peine en croire ses yeux. Tout cet extérieur si pieux ne lui parut d'abord être que de l'hypocrisie ; mais les entretiens qu'il eut avec Boos lui apprirent bientôt qu'il n'avait pas affaire avec un malfaiteur, Celui-ci lui raconta tout naïvement sa vie passée et lui exposa ses principes religieux avec une telle simplicité, que le directeur en fut profondément touché, et se dit à lui-même : « Ah ! que nous sommes loin de ressembler à cet homme. » Puis se tournant vers le prisonnier, il lui dit avec une vive émotion : « Combien je voudrais goûter votre bonheur ! » - « Vous le pouvez, » répondit Boos ; puis, empruntant les paroles de Paul à Agrippa, il ajouta : « Plût à Dieu que non seulement vous, mais aussi tous ceux qui sont ici, devinssiez tels que je suis, à l'exception de ces liens (Actes, XXVI, 29) ! Pour cela, croyez au Seigneur Jésus ; croyez qu'il peut vous délivrer des liens du péché et de l'incrédulité. Croyez et vous serez sauvé. »

Le Seigneur bénit les paroles de son enfant : Hoffmann crut, ainsi que toute sa maison ; avec le sentiment de ses misères, il reçut l'assurance de la paix et de la grâce de Dieu. Dès-lors le geôlier et le détenu ne formèrent plus qu'un coeur et qu'une âme. La captivité de Boos fut ainsi singulièrement adoucie, et sa foi reprit une vie nouvelle.

Cependant la procédure s'instruisait toujours. Le prisonnier conduit à plusieurs reprises devant le conseil ecclésiastique d'Augsbourg, répondait avec calme à toutes les questions qu'on lui adressait, et démontrait que sa croyance n'était pas autre chose que celle que demande la Bible, et qu'elle était d'accord avec les enseignements des Pères et avec la liturgie de l'Église. Ses juges s'agitèrent en tout sens, et cherchèrent des hérésies et des délits où il était impossible d'en trouver. Ils citèrent devant eux Nathanaël et son chapelain, et trente-sept autres personnes prévenues de complicité avec Boos. Les deux premiers furent détenus pendant huit jours dans des cloîtres, isolés l'un de l'autre, et condamnés à des actes de pénitence et de contrition. Plusieurs curés, poussés par un zèle aveugle et diabolique, firent feu et flamme contre les accusés, et même écrivirent au vicaire général qu'il fallait donner un exemple et brûler un de ces hérétiques. Le vicaire-général, nommé Nigg, était assez favorable à Boos et à ses amis, mais il manquait d'énergie et n'osait plaider leur cause. Cependant, afin d'abréger l'enquête, il prit sur lui de jeter au feu plusieurs liasses de papiers appartenant au détenu.

On fit comparaître ses coaccusés le 30 août, et. comme il fut impossible de les déclarer coupables, on leur défendit de parler de leurs croyances et on les mit tous en liberté. Ils s'en allèrent pleins de joie d'avoir souffert quelque chose pour le nom de Christ.

Quant à Boos, qui venait de subir une détention préventive de huit mois, il fut condamné pour une année à ne point sortir de la ville, et on lui interdit, durant ce temps-là, toute fonction ecclésiastique, « afin, » disait l'arrêt, « qu'il pût se livrer à une nouvelle étude de la théologie ! »
Écoutons-le lui-même raconter les impressions qu'il ressentit dans ces pénibles circonstances de sa vie. Voici ce qu'il écrivait à un de ses amis, le 22 septembre 1797 :

« Je suis bien réjoui de ce que tu ne t'es pas trop chagriné de ma condamnation. Tout cela s'est passé d'une manière fort singulière. Il y a quelques mois encore Adam (le vieil homme) se débattait d'une façon terrible contre cette coupe amère que je devais boire. Je l'offris dix fois par jour en holocauste au Seigneur. Ce sacrifice m'apporta du repos, et me fit envisager avec calme ma prochaine condamnation. Je me persuadai que ce vieil Adam serait toujours soumis. Mais lorsque le gardien m'annonça que j'étais condamné à une année d'emprisonnement, mon homme naturel se révolta et fit de nouveau les plus vives résistances. Je le garrottai bras et jambes et le posai sur l'autel du sacrifice : enfin il se résigna.
Mais le 10 septembre ; à trois heures du soir, ma soeur vint dans ma prison m'annoncer que je serai conduit le lendemain dans la maison de correction. Oh ! ce fut pour moi un coup affreux. J'aurais voulu que du moins ce ne fût pas elle qui m'apportât cette triste, nouvelle. Le lendemain, à quatre heures du matin, je fis le trajet de Goeggingen à Augsbourg, avec la certitude d'être condamné ce jour-là en présence de mes amis et de mes frères. Je priai et me livrai tour à tour à la joie et à la tristesse, tout le long de la route. J'entrai dans la cellule de Siller, et lui fis connaître toute l'angoisse de mon âme. Il me consola, ranima mon courage, et fut pour moi un ange de paix. À neuf heures j'étais sur la sellette. Mes frères arrivèrent les uns après les autres, Devant nous, et vis-à-vis des juges ecclésiastiques, étaient un crucifix, un prie-dieu couvert d'une toile rouge et un rituel ouvert. Le vicaire-général en tira une feuille, en me disant d'avancer au milieu de la salle, et d'une voix forte, me donna lecture de l'arrêt qui me condamnait à passer un an dans la maison de correction. En entendant cette lecture, j'étais aussi tranquille que s'il n'eût pas été question de moi. Tu connais maintenant toute cette vilaine histoire. Je te l'écris afin que tu saches bien comment les choses se passent ici. Tu peux y être appelé aujourd'hui ou demain, et ne va pas dire : Voilà ce que je ferai ou ce que je ne ferai pas. L'homme ne peut savoir ce qu'il fera dans un tel moment. C'est l'esprit du Père qu'il te faudrait invoquer, pour qu'il te mit sur les lèvres tout ce que tu aurais à dire. »

Vers la même date, il écrivait de Goeggingen, à l'un de ses frères en la foi :

« J'entrerai demain chez M. K., à Augsbourg. J'ai loué chez lui, au rez-de-chaussée, une chambre obscure, pour 45 creutzer par mois ; il me fournit à dîner pour 16 creutzer ; je dois me procurer le petit mobilier dont j'ai besoin. Je n'ai aucun revenu, mais le Seigneur aura soin de moi. Me voici de nouveau étudiant.... Je ne m'inquiète de rien, et remets toute mon affaire entre les mains de l'Éternel. - Il m'est fort difficile de t'écrire ; j'ai été plus de dix fois interrompu en t'écrivant ces lignes. Dès que j'entends ouvrir des portes, je cache ma feuille, parce qu'on m'a défendu d'écrire à mes amis. - Notre âme a des mains, des yeux et des oreilles, de manière que nous pouvons en quelque sorte dire comme l'apôtre : « Ce que nous avons vu, ce que nous avons ouï. c'est ce que nous vous annonçons, afin que vous ayez communion avec nous (1, Jean, I, 3). » Mais ceux qui n'ont pas reçu ses sens spirituels, ignorent tout ce qui concerne la parole de vie. Jésus est toujours près de nous et nos adversaires ne s'en doutent point, et se moquent de ceux qu'il a embrasés de son amour. »

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(1) A Seeg, Où Boos avait été chapelain 3 ans auparavant. Voyez page 14
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