Ces conversions frappaient
d'étonnement tous ceux qui en étaient
témoins. Ils ne pouvaient comprendre
d'où provenaient cette foi, cette patience,
cette charité qui brillaient dans la
conduite de ces chers enfants de Dieu. De la
surprise ils passèrent au blasphème,
et ces pauvres aveugles accusaient ces
chrétiens d'avoir quelque commerce avec le
diable. On vit un père, qui auparavant
aimait tendrement sa fille, ne
pouvoir plus la souffrir depuis qu'elle
était devenue vraiment chrétienne.
Plus elle redoublait d'humilité, de douceur
et d'obéissance envers lui, plus sa fureur
s'accroissait. « Tu ne te montres si
pieuse, » lui dit-il, « que
pour mieux cacher tes diableries. Va, tu n'es
qu'une hypocrite ! »
Un jour, dans son aveugle colère,
il la chassa de chez lui. La jeune fille versa
d'abord un torrent de larmes. Quelques jours
auparavant, elle avait lu dans l'Évangile
ces paroles qui devaient s'accomplir si tôt
à son égard : « Ils
vous chasseront des synagogues et vous poursuivront
de ville en ville. » Cette
prédiction du Sauveur releva son
courage ; elle éprouva même de la
joie de souffrir quelque chose pour Jésus.
Elle pria pour son père, et Dieu
exauça sa requête ; car peu de
jours après il courut après elle, la
chercha long-temps, et la trouva dans une ville
éloignée. Dès qu'il la vit, il
tomba à ses pieds, lui demanda pardon des
mauvais traitements qu'il lui avait fait souffrir,
et reconnut que c'était lui et non pas elle
que le démon avait séduit.
Un prêtre visita un jour une
malade convertie par le ministère de Boos,
et lui parla de toute autre chose que de la grande
affaire du salut. Quand il fut parti, la
garde-malade, qui était aussi une enfant de
Dieu, se mit à dire : « Quel
ecclésiastique est-ce là? il ne dit
pas un mot de religion. » -
« Hélas, répondit la
malade, il en fait de même dans ses
prédications ; il s'en faut peu qu'il
ne recommande la danse du haut de la
chaire. » Aussitôt elles se mirent
à prier l'une et l'autre pour ce pauvre
ecclésiastique.
Lorsque celui-ci revint, la pieuse
garde-malade lui cita quelques paroles du
Nouveau-Testament ; mais il n'y fit aucune
attention. Non contente de cela, elle lui remit
plusieurs passages de la bible. Le prêtre
prit la feuille, promit de la lire, mais son air
semblait dire assez qu'il n'y avait rien à
espérer de lui. Les deux servantes de Christ
ne se lassèrent point de prier, et eurent la
joie de voir leur prière exaucée. De
retour chez lui, le prêtre lut les passages,
par pure curiosité, et les chercha dans le
Nouveau-Testament. Il y en eut un surtout qui le
frappa beaucoup ; c'est celui-ci :
« Éprouvez-vous vous-mêmes
pour savoir si vous êtes dans la foi
(2,
Cor., XIII, 5.). »
Il fondit aussitôt en
larmes ; ses yeux furent ouverts ; il
reconnut son aveuglement et son manque total de foi
et de piété, et il éprouva la
vérité de ces paroles de saint
Augustin : « Les simples et les
ignorants se réveillent et forcent le
royaume des cieux, tandis que nous, nous restons
dans nos péchés. »
Bientôt après il retourna
auprès de la malade et lui raconta tout ce
qui lui était arrivé.
Son coeur était
pénétré de la plus vive
reconnaissance envers elle et envers le Seigneur
qui venait de faire luire la vérité
à ses yeux. Sur sa demande, ces deux femmes
le mirent aussitôt en relation avec Boos.
Celui-ci, qui connaissait ce prêtre mondain
et incrédule, fut singulièrement
étonné de le voir entrer chez lui.
Mais quand il lui eut ouvert son coeur et
dépeint le changement que le Seigneur y
avait opéré, Boos ne douta point de
la réalité de sa conversion. Il lui
avoua toutes ses fautes, toute son
incrédulité, avec un tel abandon et
une telle ingénuité, que Boos en
éprouva la plus vive joie. La pureté
de sa conduite, sa prédication pleine de
vie, excitèrent un étonnement
universel.
Dès-lors toute sa joie fut
d'annoncer la bonne nouvelle à toutes les
âmes qui l'entouraient. Plusieurs
pécheurs furent amenés à la
vérité par son moyen.
Le premier jour de l'an 1797, Martin
Boos prêcha à Wiggensbach avec une
telle force et le Seigneur bénit si
puissamment ses paroles, que près de
quarante personnes, saisies de la plus profonde
terreur, prirent mal, au point qu'on fut
obligé de les emporter du temple. De
là, grande rumeur dans toute la ville.
Quelques-uns criaient : « Hosanna,
béni soit le nom du
Très-Haut » ! D'autres :
« A bas le prédicateur !
Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! »
Ces derniers coururent auprès du
curé de la paroisse, nommé Abraham,
et le conjurèrent de
renvoyer le chapelain. Ils accompagnaient leurs
paroles des plus affreuses menaces. Les amis du
Seigneur et ceux qui étaient
pénétrés au moins de
sentiments pacifiques, allèrent aussi chez
le curé pour le solliciter de ne pas leur
ôter leur cher Boos. Toutes ces demandes
contradictoires durèrent un jour et une nuit
entiers ; chaque parti croyait avoir
remporté la victoire. Abraham était
l'ami d'enfance de Boos et son ancien
condisciple.
C'était un homme d'un
caractère faible et timide. Il faisait le
plus grand cas de son chapelain. aussi long-temps
que tout était calme autour de lui, il
paraissait partager ses sentiments, ou tout au
moins approuver ses doctrines. Mais quand l'orage
de la persécution se leva, il en fut
vivement effrayé et cédant à
la tempête, il expulsa le fidèle
témoin de la vérité qui est en
Christ.
Les ennemis de l'Évangile prirent
alors un nouveau courage. La persécution
devint générale et éclata,
comme un coup de tonnerre, partout où se
trouvaient quelques âmes fidèles. On
les saisit, on les traîna devant les
tribunaux ; on fouilla leurs demeures, leurs
vêtements. Mais les juges ne les trouvant
coupables que d'une foi ferme et simple en Christ,
les relâchèrent et ne prirent aucune
mesure pour les garantir des mauvais traitements
d'une multitude aveugle et pleine de rage.
Quelques-uns de ces chrétiens durent
restés cachés cinq ou six mois dans d'obscures
retraites. D'autres se virent traqués d'un
lieu à l'autre comme des animaux
féroces, et quittèrent pour toujours
leur pays natal. Ici, on enfonçait les
fenêtres et l'on visitait les maisons pour
surprendre les fidèles ; là, des
soldats ou des paysans armés stationnaient
devant leurs portes avec leurs fusils
chargés. Un de ces furieux ayant
attiré dans sa maison une femme
chrétienne, comme dans un refuge
assuré, s'apprêtait aussitôt
à la fusiller ; mais son fils le
désarma et la femme parvint à
s'échapper.
Toute la province de Kempten, où
habitaient un grand nombre de vrais croyants,
était en proie à la plus violente
agitation, tant était grand l'aveuglement de
la multitude.
Quel était donc le crime de ces
victimes du plus affreux fanatisme ?
De recevoir Jésus comme leur
Sauveur et de vivre selon les saints commandements
de la parole de Dieu. Boos, ni ceux qui, comme lui,
aimaient le Seigneur, ne s'étaient pas
séparés de l'Eglise de Rome ;
ils n'y songeaient même pas. Mais n'oublions
pas que toujours et partout, « la
prédication de la croix est une folie pour
ceux qui périssent, tandis que pour ceux qui
sont sauvés, elle est la puissance de
Dieu »
(1,
Cor., I, 18.).
Cependant Boos s'était
retiré dans un village reculé, cherchant
l'obscurité et évitant tout
éclat. Il défendait à chacun
de parler de lui ; mais le bruit de sa
piété se répandait de plus en
plus. La haine et l'envie des prêtres
s'augmentaient de jour en jour. « C'est
un séducteur et un hérétique,
s'écriaient-ils. Voyez comme il attire tout
le peuple à lui. Il veut fonder une secte
nouvelle et renverser la religion
catholique. »
Toutes les chaires retentissaient des
plus sévères menaces contre le
pacifique Boos. Des hommes qui, jusqu'alors,
n'avaient montré aucun intérêt
pour la religion, déployaient le plus grand
zèle pour la défendre.
Le seul nom de Boos était si
odieux, qu'on ne pouvait le prononcer sans
s'exposer à toute espèce de mauvais
traitements. Quiconque osait en prendre la
défense, pouvait être assuré de
recevoir quelques coups de poings ou de
bâtons. Un homme, du village de Wertach,
ayant dit un mot en faveur de Boos, en
présence de quelques personnes reçut
un si violent coup dans la poitrine, qu'il en
mourut au bout de peu de jours. La justice ne fit
aucune recherche et le coupable resta
complètement impuni. Aucune parole de
vengeance ne sortit de la bouche du mourant; peu
d'instants avant de remettre son âme entre
les mains du Seigneur, il pria sa femme d'assurer
son assassin qu'il lui pardonnait au nom de Christ,
et exhorta son épouse, à lui rendre
le bien pour le mal.
Les autorités civiles et
ecclésiastiques, à l'instigation de
quelques prêtres, firent de nouveau jeter en
prison les plus fidèles amis de Boos, et
surtout les ecclésiastiques connus pour
être des partisans. Abraham, l'ancien ami
d'enfance du chapelain de Wiggensbach, se fit
tristement remarquer parmi ses plus violents
adversaires.
Voici une portion de l'interrogatoire
qu'on fit subir à un prêtre
accusé de tremper dans les
hérésies de Boos.
Le
Juge. - Connaissez-vous les
préceptes enseignés par Martin
Boos ?
Le
Prêtre. - Oui.
Le
Juge. - En quoi
consistent-ils ?
Le
Prêtre. - Il nous a
enseigné la repentance et la foi en
Jésus-Christ.
Le
Juge. - Qu'entendez-vous pas croire en
Jésus-Christ ?
Le
Prêtre. - Lorsqu'un homme,
éclairé par la grâce de Dieu,
se reconnaît misérable pécheur, c'est une joie pour
lui de
croire
au Rédempteur et d'accepter, comme une
aumône, son pardon. Les Israélites,
mordus par les serpents brûlants, n'avaient
qu'à jeter leurs regards sur le serpent
d'airain qu'avait élevé Moïse,
et ils étaient aussitôt
guéris ; il en est de même du
pêcheur en regardant à Christ, il
obtient la guérison et le salut de son
âme
(Jean,
Ill, 17).
Le
Juge. - À quel signe reconnaissez-vous
que Christ est en vous ?
Le
Prêtre. - Saint Jean dit -
« Quiconque confessera que Jésus
est le fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui
demeure en Dieu »
(1
Jean, IV, 15). On connaît
l'arbre à son fruit. Là où est
Christ, là est la paix, la joie, la
patience, la douceur, la pureté et
l'espérance du salut éternel.
Le
Juge. - Quels sont les disciples de Jean
et ceux de Jésus ?
Le
Prêtre. - Les disciples de Jean
sont ceux qui se repentent et qui, par là,
se préparent à recevoir le Christ.
Les disciples de Jésus sont ceux qui croient
à lui et qui, par la foi, l'ont reçu
dans leurs coeurs.
Le
Juge. - Comment êtes-vous
arrivé à cette
croyance-là.
Le
Prêtre. - Depuis long-temps
j'étais tourmenté
par mes doutes et par mes péchés, La
philosophie ne faisait qu'accroître la
maladie de mon âme. Je ne trouvais aucun
repos dans l'observation des actes
extérieurs de la religion. Quelques
entretiens que j'eus avec un homme respectable,
répandirent un peu de lumière dans
mon coeur. De pieux ecclésiastiques me
donnèrent quelques textes de la Bible ;
je les lus, et le sentiment de mes
péchés se réveilla en moi avec
une force toute nouvelle. Je me rendis
auprès de Martin Boos, à Wiggensbach.
Il me montra Jésus comme étant
l'Agneau de Dieu qui ôte les
péchés du monde. Ce fidèle
curé me parla beaucoup du bonheur que donne
Jésus. - Je crus à l'Évangile
et ne sentis que la paix et la joie dans mon coeur,
accompagnées d'un ardent désir de me
convertir à Christ.
Le
Juge. - N'y a-t-il point eu de
cérémonie
extérieure ?
Le
Prêtre. - Non, aucune.
Le
Juge. - Attendez-vous quelque
miracle ?
Le
Prêtre. - Aucun.
Le
Juge. - Croyez-vous que ces doctrines
soient propres à rendre les hommes
meilleurs ?
Le
Prêtre. - Oui, sans doute ;
je ne les ai jamais considérées
autrement.
C'en fut assez : ce brave
ecclésiastique ne put habiter le pays et fut
prié d'aller se fixer ailleurs.
Revenons à Boos. Il ne put rester
long-temps caché dans sa
paisible retraite et se trouva de nouveau sur une
grande route, sans ressource, sans emploi, sans
abri. Il ne voulait pas se réfugier chez ses
frères ; ç'aurait
été les exposer à de violentes
perquisitions et à d'horribles traitements.
Il fit pourtant demander à un pasteur du
voisinage (1),
nommé Nathanaël, s'il pourrait le
recevoir chez lui. Celui-ci lui fit dire qu'il
serait réjoui de sa visite et qu'il
regarderait comme une grâce d'avoir
l'occasion d'accueillir sous son toit un homme
persécuté pour une aussi belle cause,
et il envoya un de ses intimes amis à sa
rencontre. Celui-ci, ayant fait quelques lieues de
chemin, aperçut de loin Boos, monté
sur un vieux cheval blanc. Où vas-tu,
Saint-Martin, lui cria-t-il, dès qu'il l'eut
vu ? Où vas-tu sur ton cheval
blanc ? » Il serait difficile
d'exprimer la joie de notre pieux proscrit,
à l'ouïe de cette voie amie.
« Paix te soit ! » lui
cria le messager. « Paix te
soit ! » Il fut, bientôt dans
les bras de Nathanaël, qui le reçut
comme si c'eût été le Seigneur
en personne. Il lui fut doux de se rappeler ces
paroles de Jésus : « Celui
qui vous reçoit, me reçoit, et celui
qui me reçoit, reçoit Celui qui m'a
envoyé »
(Math.,
X, 40). Boos lui fit le
récit de toutes ses épreuves.
Quoiqu'ils sussent bien qu'on ne
les laisserait pas long-temps en repos, ils se
livrèrent à la joie la plus vive et
bénirent Dieu de toutes ses grâces.
Puis, ils continuèrent à proclamer
cet Évangile, qui était l'objet de
tant dé calomnies et de
persécutions.
La paix dont ils jouirent ne fut pas de
longue durée. Il y avait à peine un
mois que Boos goûtait quelque repos à
Seeg, qu'un commissaire du conseil
ecclésiastique se présenta dans le
presbytère pour faire une enquête
contre Boos qui était alors malade.
Nathanaël était absent ce
jour-là. Le conseiller ecclésiastique
nommé Roessle, fait enfoncer pupitre et
armoire, et, sans exhiber ses pleins pouvoirs, il
enlève tous les papiers, les lettres et les
livres appartenant à Boos, et lui intime
l'ordre de le suivre à Augsbourg. Celui-ci
était trop souffrant pour se mettre en
route, lui promet de se rendre dans cette ville
dès que sa santé le lui permettra. En
effet, il quitta, peu de jours après, ses
bons amis de Seeg, pour aller s'exposer à
toute la méchanceté de ses ennemis.
Il savait que les cachots et les fers
l'attendaient ; mais il avait donné sa
parole et se présenta le 10 février
1797, devant le tribunal ecclésiastique
d'Augsbourg.
On l'enferma d'abord dans la maison de
correction de Goeggingen, à une lieue de la
ville, avec des aliénés et toutes
sortes de criminels. Ceux qui ne le connaissaient
point le croyaient coupable de vol ou d'assassinat.
Il resta en prison huit mois, pendant lesquels il
subit plus de cinquante interrogatoires. Sur ses
instantes demandes, on lui accorda des objets
nécessaires pour écrire ; mais
on lui interdit toute correspondance avec qui que
ce fût. Quelle douceur pour lui de pouvoir
confier au papier tous les sentiments qui
remplissaient son âme ! Comme il aimait,
durant ces longues heures de captivité, se
retracer toutes les grâces dont le Seigneur
l'avait comblé, et se rendre raison de
l'espérance qui faisait toute sa joie !
Voici quelques fragments de son journal à
cette époque :
« Je serais tombé dans
le plus affreux désespoir, ô mon
Dieu ! à la vue de mes innombrables
péchés, si ta Parole n'était
venue éclairer mes pas. À cette
céleste lumière, mes doutes se sont
évanouis et l'espérance la plus vive a
brillé dans mon coeur. Lorsque nous
étions tes ennemis, tu nous a donné
ton Fils, notre avocat céleste. C'est dans
son précieux sang qu'est toute ma confiance.
C'est en m'appuyant sur lui et non sur mes oeuvres,
que j'aspire à la pleine jouissance de ta
présence glorieuse. Christ, pour nous,
Christ en nous, voilà la base du salut et de
la sanctification ; voilà la source de
toute bonne oeuvre. Mais que de gens qui veulent
élever l'édifice de leurs vertus en
dehors de ce fondement-là ! La maison
qu'ils bâtissent sera bientôt
renversée de fond en comble.
Nous ne pouvons porter Christ dans nos
coeurs qu'avec une foi vive et une sincère
repentance ; les scribes et les pharisiens
sont les plus éloignés de
Jésus : il n'est pour eux qu'un objet
de colère ou de mépris. - Les
fidèles doivent en tout temps s'attendre
à beaucoup de persécutions ;
mais Jésus répand dans leurs coeurs
sa sagesse et sa consolation, et renouvelle en leur
faveur les miracles de son amour.
De nos jours, comme jadis, Christ est
méconnu, injurié, traîné
devant des juges iniques et condamné
à une mort infâme. - Il est une
communion des saints, communion étroite et
qui le devient de plus en plus par les rapports de
l'amour fraternel.
Jésus passe encore aujourd'hui
auprès de la plupart des savants et des
grands de la terre, sans leur faire part de ses
grâces ; mais il se communique aux humbles,
aux
simples qui, d'ordinaire, servent d'instruments
pour la conversion des autres ; lorsque Dieu
les emploie pour amener quelques-uns de leurs
semblables à sa connaissance, ils
achèvent, comme le disait saint Paul, le
reste des souffrances de Christ.
Il n'y a sur la terre que deux
Églises : la vraie et la fausse.
Combien peu appartiennent à la
première. -
Il y a parmi les meilleurs catholiques
et dans l'Eglise protestante, une foule de
judaïsans, c'est-à-dire, d'hommes qui
se confient en leur propre justice et qui ne
veulent pas se soumettre à la vraie justice
qui nous vient de Dieu seul.
Les bonnes oeuvres ne nous
acquièrent pas le pardon, mais il est
impossible de parvenir sans elles au bonheur
éternel. Quand les hommes veulent devenir
meilleurs, presque toujours le désir de la
récompense ou la crainte du châtiment
les fait aller à l'école de la loi de
Moïse, puis à celle de saint Jean, qui
est la repentance ; puis à
l'école de la croix de Christ ; et,
enfin, à celle du Saint-Esprit.
En prêchant Moïse et la loi,
vous pouvez être assurés être
moins tourmentés qu'en prêchant
Jésus et son Évangile. D'où
cela vient-il ? C'est qu'on est beaucoup plus
juif que chrétien, et que Satan s'oppose
à ce qu'on présente aux hommes les
moyens d'observer les commandements de Dieu. - Bien
des gens trouvent ces maximes dignes de tout leur
mépris, « L'homme animal ne comprend pas les
choses
qui sont de l'esprit de Dieu ; elles sont pour
lui une folie, parce que c'est spirituellement
qu'on en juge. »
C'est ainsi que le pieux Boos employait
les loisirs de sa prison : la
méditation de la parole et la prière
faisaient toutes ses délices.
Le directeur de la maison de
détention de Goeggingen était un
ecclésiastique nommé Hoffmann.
Accoutumé à ne voir dans les
prisonniers confiés à ses soins que
des malfaiteurs dignes de toute la
sévérité des lois, il
accueillit Boos comme un criminel et un
misérable hérétique. Mais
quelle fut sa surprise de voir l'humilité,
la douceur, la patience, la piété du
nouveau détenu ! Il pouvait à
peine en croire ses yeux. Tout cet extérieur
si pieux ne lui parut d'abord être que de
l'hypocrisie ; mais les entretiens qu'il eut
avec Boos lui apprirent bientôt qu'il n'avait
pas affaire avec un malfaiteur, Celui-ci lui
raconta tout naïvement sa vie passée et
lui exposa ses principes religieux avec une telle
simplicité, que le directeur en fut
profondément touché, et se dit
à lui-même :
« Ah ! que nous sommes loin de
ressembler à cet homme. » Puis se
tournant vers le prisonnier, il lui dit avec une
vive émotion : « Combien je
voudrais goûter votre
bonheur ! » - « Vous le
pouvez, » répondit Boos ;
puis, empruntant les paroles de Paul à
Agrippa, il ajouta : « Plût
à Dieu que non seulement
vous, mais aussi tous ceux qui sont ici, devinssiez
tels que je suis, à l'exception de ces liens
(Actes,
XXVI, 29) ! Pour cela,
croyez au Seigneur Jésus ; croyez qu'il
peut vous délivrer des liens du
péché et de
l'incrédulité. Croyez et vous serez
sauvé. »
Le Seigneur bénit les paroles de
son enfant : Hoffmann crut, ainsi que toute sa
maison ; avec le sentiment de ses
misères, il reçut l'assurance de la
paix et de la grâce de Dieu. Dès-lors
le geôlier et le détenu ne
formèrent plus qu'un coeur et qu'une
âme. La captivité de Boos fut ainsi
singulièrement adoucie, et sa foi reprit une
vie nouvelle.
Cependant la procédure
s'instruisait toujours. Le prisonnier conduit
à plusieurs reprises devant le conseil
ecclésiastique d'Augsbourg, répondait
avec calme à toutes les questions qu'on lui
adressait, et démontrait que sa croyance
n'était pas autre chose que celle que
demande la Bible, et qu'elle était d'accord
avec les enseignements des Pères et avec la
liturgie de l'Église. Ses juges
s'agitèrent en tout sens, et
cherchèrent des hérésies et
des délits où il était
impossible d'en trouver. Ils citèrent devant
eux Nathanaël et son chapelain, et trente-sept
autres personnes prévenues de
complicité avec Boos. Les deux premiers
furent détenus pendant huit jours dans des
cloîtres, isolés l'un de l'autre, et condamnés
à des actes de pénitence et de
contrition. Plusieurs curés, poussés
par un zèle aveugle et diabolique, firent
feu et flamme contre les accusés, et
même écrivirent au vicaire
général qu'il fallait donner un
exemple et brûler un de ces
hérétiques. Le
vicaire-général, nommé Nigg,
était assez favorable à Boos et
à ses amis, mais il manquait
d'énergie et n'osait plaider leur cause.
Cependant, afin d'abréger l'enquête,
il prit sur lui de jeter au feu plusieurs liasses
de papiers appartenant au détenu.
On fit comparaître ses
coaccusés le 30 août, et. comme il fut
impossible de les déclarer coupables, on
leur défendit de parler de leurs croyances
et on les mit tous en liberté. Ils s'en
allèrent pleins de joie d'avoir souffert
quelque chose pour le nom de Christ.
Quant à Boos, qui venait de subir
une détention préventive de huit
mois, il fut condamné pour une année
à ne point sortir de la ville, et on lui
interdit, durant ce temps-là, toute fonction
ecclésiastique,
« afin, » disait l'arrêt,
« qu'il pût se livrer à une
nouvelle étude de la
théologie ! »
Écoutons-le lui-même
raconter les impressions qu'il ressentit dans ces
pénibles circonstances de sa vie. Voici ce
qu'il écrivait à un de ses amis, le
22 septembre 1797 :
« Je suis bien réjoui
de ce que tu ne t'es pas trop
chagriné de ma condamnation. Tout cela s'est
passé d'une manière fort
singulière. Il y a quelques mois encore Adam
(le vieil homme) se débattait d'une
façon terrible contre cette coupe
amère que je devais boire. Je l'offris dix
fois par jour en holocauste au Seigneur. Ce
sacrifice m'apporta du repos, et me fit envisager
avec calme ma prochaine condamnation. Je me
persuadai que ce vieil Adam serait toujours soumis.
Mais lorsque le gardien m'annonça que
j'étais condamné à une
année d'emprisonnement, mon homme naturel se
révolta et fit de nouveau les plus vives
résistances. Je le garrottai bras et jambes
et le posai sur l'autel du sacrifice : enfin
il se résigna.
Mais le 10 septembre ; à
trois heures du soir, ma soeur vint dans ma prison
m'annoncer que je serai conduit le lendemain dans
la maison de correction. Oh ! ce fut pour moi
un coup affreux. J'aurais voulu que du moins ce ne
fût pas elle qui m'apportât cette
triste, nouvelle. Le lendemain, à quatre
heures du matin, je fis le trajet de Goeggingen
à Augsbourg, avec la certitude d'être
condamné ce jour-là en
présence de mes amis et de mes
frères. Je priai et me livrai tour à
tour à la joie et à la tristesse,
tout le long de la route. J'entrai dans la cellule
de Siller, et lui fis connaître toute
l'angoisse de mon âme. Il me consola, ranima
mon courage, et fut pour moi un ange de paix.
À neuf heures j'étais sur la sellette. Mes frères
arrivèrent les uns après les autres,
Devant nous, et vis-à-vis des juges
ecclésiastiques, étaient un crucifix,
un prie-dieu couvert d'une toile rouge et un rituel
ouvert. Le vicaire-général en tira
une feuille, en me disant d'avancer au milieu de la
salle, et d'une voix forte, me donna lecture de
l'arrêt qui me condamnait à passer un
an dans la maison de correction. En entendant cette
lecture, j'étais aussi tranquille que s'il
n'eût pas été question de moi.
Tu connais maintenant toute cette vilaine histoire.
Je te l'écris afin que tu saches bien
comment les choses se passent ici. Tu peux y
être appelé aujourd'hui ou demain, et
ne va pas dire : Voilà ce que je ferai
ou ce que je ne ferai pas. L'homme ne peut savoir
ce qu'il fera dans un tel moment. C'est l'esprit du
Père qu'il te faudrait invoquer, pour qu'il
te mit sur les lèvres tout ce que tu aurais
à dire. »
Vers la même date, il
écrivait de Goeggingen, à l'un de ses
frères en la foi :
« J'entrerai demain chez M.
K., à Augsbourg. J'ai loué chez lui,
au rez-de-chaussée, une chambre obscure,
pour 45 creutzer par mois ; il me fournit
à dîner pour 16 creutzer ; je
dois me procurer le petit mobilier dont j'ai
besoin. Je n'ai aucun revenu, mais le Seigneur aura
soin de moi. Me voici de nouveau
étudiant.... Je ne m'inquiète de
rien, et remets toute mon affaire entre les mains
de l'Éternel. - Il m'est fort difficile de
t'écrire ; j'ai été plus
de dix fois interrompu en t'écrivant ces
lignes. Dès que j'entends ouvrir des portes,
je cache ma feuille, parce qu'on m'a défendu
d'écrire à mes amis. - Notre
âme a des mains, des yeux et des oreilles, de
manière que nous pouvons en quelque sorte
dire comme l'apôtre : « Ce que
nous avons vu, ce que nous avons ouï. c'est ce
que nous vous annonçons, afin que vous ayez
communion avec nous
(1,
Jean, I, 3). » Mais
ceux qui n'ont pas reçu ses sens spirituels,
ignorent tout ce qui concerne la parole de vie.
Jésus est toujours près de nous et
nos adversaires ne s'en doutent point, et se
moquent de ceux qu'il a embrasés de son
amour. »
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