Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

PREMIÈRES ANNÉES DE BOOS

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 Martin Boos (1) aient des paysans aisés qui possédaient vingt vaches et quatre chevaux. Sa mère avait mis au monde seize enfants et Martin était le quatorzième.

Il était à peine âgé de quatre ans, quand son père et sa mère furent enlevés en quinze jours par une épidémie, et il ne put se rappeler leurs traits. Ils laissaient douze orphelins, dont l'aînée était une fille de dix-huit ans, et qui furent partagés entre les plus proches parents de la famille.
La soeur aînée porta, un lundi de Pentecôte, le petit Martin à Augsbourg, chez leur oncle, le conseiller ecclésiastique et procureur fiscal, Koegel. En route elle avait été si fatiguée de son fardeau, qu'elle avait déposé le petit Martin dans un champ de blé et avait couru seule à Augsbourg. Le pauvre enfant ainsi abandonné se mit à pleurer, et finit par s'endormir d'un paisible sommeil dans le champ où il avait été laissé, Vers quatre heures de l'après-midi, sa soeur revint le chercher et le présenta à son oncle en le priant de le recevoir et de le traiter comme son enfant.
Mais Martin ne voulait pas rester à Augsbourg on eût dit qu'il pressentait que cette ville devait être le lieu de son martyre. Il demandait avec instance à retourner avec sa soeur à la maison. Le troisième jour, sa soeur partit de grand matin sans lui dire adieu ; force lui fut de rester.

Lorsque l'enfant eut environ huit ans, son oncle l'envoya à l'école où il apprit à lire et à écrire. Au bout de quelques années, son oncle lui dit, un jour en lui remettant la rétribution scolaire : « Voici bien assez long-temps que tu es à l'école, il te faut apprendre un métier. Lequel te plaît le mieux ? » - Martin lui répondit, sans hésiter : « Je voudrais devenir prêtre. » - « Quoi, dit l'oncle, prêtre ! mais tu n'as pour cela ni talent, ni argent. » Ces paroles affligèrent beaucoup l'enfant. Quelques instants après, son oncle lui dit de revenir vers lui après le repas, qu'il lui remettrait un billet pour son maître de qui il voulait savoir s'il était content de lui. Le vieux maître donna à Martin le meilleur témoignage : parmi ses trois cents élèves il était le plus appliqué dans les principes du latin ; il les devançait tous ; ce serait dommage et péché que de ne pas lui faire continuer ses études. Martin avait, en effet, appris secrètement les éléments de la langue latine. Dans la crainte de le fâcher, il n'en avait pas dit un mot à son oncle qui, d'ailleurs, d'un bout de l'année à l'autre, ne s'informait jamais de lui.

Lors donc que Martin apporta ce bon témoignage, l'oncle lui dit : « Eh ! bien, puisque ton maître est content de toi, j'essaierai de te faire étudier ; mais si tu ne continues pas à t'appliquer, je ferai de toi un cordonnier. »

L'enfant devint plus assidu encore ; il étudiait sans cesse et priait le bon Dieu de l'aider à atteindre son but. Il fut placé dans l'école des Jésuites, où dans l'espace de cinq ans il parcourut les classes inférieures avec un grand succès. Puis il fit au lycée sa logique

Les vacances tiraient à leur fin quand il revint chez son oncle qui lui dit. « Où as-tu donc resté si long-temps ? Demain tu dois partir pour Dillingen (à l'université) ; dépêche-toi d'aller demander une attestation aux ex-jésuites. » Ils ne voulurent pas la lui donner quand ils eurent appris que l'intention de son oncle était de lui faire continuer ses études à Dillingen ; « car, disaient-ils, c'est un endroit fort dangereux pour les jeunes gens ; ( il y avait alors à cette université des professeurs vraiment chrétiens et très-distingués) ; il serait exposé à y perdre sa religion ; ils lui procureraient la meilleure place qu'il pût désirer, comme précepteur dans une des bonnes maisons d'Augsbourg, s'il consentait à rester chez eux, et, dans ce cas, il n'aurait plus besoin de l'appui de son oncle. »
En apprenant cette réponse, son oncle qui n'aimait pas les jésuites, se mit dans une grande colère et dit : « Retourne vers eux et dis-leur que s'ils ne te donnent pas sur-le-champ le témoignage qu'il te faut, je les y forcerai. » Ils le lui donnèrent alors dans les meilleurs termes possibles.
Muni de ce témoignage, il partit le lendemain de bonne heure pour Dillingen. Il y étudia la physique et la métaphysique avec ardeur ; et il fut admis gratuitement au collège (alumnat), où il étudia la théologie.

Quand il revint, pendant les vacances, auprès de son oncle, à Augsbourg, celui-ci l'accueillit avec le premier mot d'éloge qu'il lui eût dit dans sa vie : « Cette année-ci tu m'as réellement fait plaisir. Le directeur du séminaire m'a écrit plusieurs fois beaucoup de bien de toi. »

Martin étudia pendant quatre ans la théologie, à Dillingen. Au commencement de la première année, il reçut les quatre ordinations mineures (3). Dans la seconde année, vers Pâques, il reçut le sous-diaconat. Mais il tomba bientôt après malade, et la fièvre ne le quitta que huit jours avant la Pentecôte. Durant ce temps, il lui avait été impossible d'étudier. Mais comme son oncle voulut absolument qu'il fût ordonné prêtre l'automne suivante, Il assista pendant les quatre jours aux exercices spirituels, et alla avec les autres élèves de l'alumnat, subir l'examen à Augsbourg. Il en sortit avec honneur, et sa joie était d'autant plus vive, que la crainte d'un revers avait été plus grande. Pendant le dîner, il causait avec son oncle de l'examen qui venait d'avoir lieu, et comme il exprimait des doutes sur son ordination, « Pourquoi te la refuserait-on ? lui dit le vieillard, tu as fait le meilleur examen. - L'automne suivante il reçut la prêtrise.

À sa première messe solennelle assistaient cinq cents personnes, (parmi lesquelles on comptait trente-cinq ecclésiastiques), qui s'y étaient rendues en l'honneur non de Martin, mais de son oncle. Ce vieillard, qui atteignait alors sa soixante et dixième année, en eut tant de joie, qu'il donna un tir à la cible qui dura huit jours.

Martin dut rester encore deux années au séminaire, de Dillingen, pour y achever ses études. Enfin, il passa sept semaines au séminaire général de Pfaffenhausen, d'où il sortit pour se rendre comme chapelain, à Unterthingau, bourg de la Basse-Souabe.

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CHAPITRE II

SA CONVERSION.


À Unterthingau, Boos ne tarda pas à faire l'expérience que l'ordination conférée par les hommes ne donne pas la connaissance de l'Évangile ; sa conduite avait toujours été irréprochable, et, dès sa jeunesse, il avait été rempli de la crainte de Dieu. Néanmoins, il était encore étranger à cette foi vivante qui renouvelle le coeur et nous fait vivre d'une vie cachée avec Christ en Dieu. Son coeur n'était point en repos ; il voulait être son propre Sauveur et se frayer un chemin vers le ciel. Ses bonnes oeuvres, ses mortifications, ses jeûnes, voilà les justices qu'il offrait à Dieu pour expier ses péchés et pour acheter le bonheur éternel.

Hélas ! que de gens qui, comme Boos inconverti prétendent que la félicité céleste peut s'obtenir par l'oeuvre de l'homme ! Combien de pauvres âmes qui veulent se mettre à la place de Jésus, et qui, si le Seigneur n'en prend pitié, périront dans leur aveuglement !

Avant que de suivre M. Martin Boos dans sa longue carrière de combats et de souffrances, que nos lecteurs nous permettent de leur faire connaître deux lettres, qu'il a écrites sans doute à une époque bien plus avancée que celle où nous sommes, mais qui parlent de sa conversion.
Il écrivait à un ami, en 1804 :
« Tu me demandes qui m'a réveillé de mon sommeil de mort et amené à la foi. Singulière question ! C'est le Christ, c'est la main du Père qui m'a attiré vers le Fils. Voici en peu de mots l'histoire de toute ma vie :

1. Dès mon plus jeune âge, j'ai connu et porté avec soupir ma misère et mes péchés.
2. Pendant de longues années, j'ai demandé à Dieu, jour et nuit, avec larmes, lumière, repos, force, délivrance.
3. En 1790, la première année de ma véritable vie, m'arrivèrent à la fois lumière, repos, paix, joie, empire sur les convoitises charnelles, connaissance vivante de l'économie du salut, foi vive, ferme espérance, amour.

Électrisé de toutes ces choses sublimes, j'électrisai aussi les autres. Je ne puis donc croire que ce ne soit qu'une illusion du diable ou de l'imagination ; je dois croire que Dieu a vu mes larmes, qu'il a entendu mes prières, mes soupirs, les coups que je frappais à sa porte, et qu'après de longues années d'attente, il m'a exaucé. Notre Dieu n'est pas une statue de bois, un Dieu mort et insensible ; il est un Dieu vivant. Il répond à qui l'interroge, donne à qui lui demande, ouvre à qui heurte. J'en suis aujourd'hui encore le témoin vivant. »

Voici une autre lettre de 1811 :
« Tu dis que ma vie est un lent et long martyre. Tu as raison. Dans ma jeunesse, c'étaient mes péchés qui me martyrisaient, et pendant bien long-temps, je n'ai pas connu d'autre sauveur que moi-même. Quand plus tard, j'eus trouvé le seul sauveur et qu'il m'eut délivré de mes péchés, je fus martyrisé par les consistoires et le peuple à l'esprit juif et légal ; ils voulaient m'enlever ma foi et mon Sauveur par la peur, les disputes, les bannissements, et cette tragédie dure encore. Ajoute à cela l'enfer de mon propre coeur qui est méchant, présomptueux, absurde, peureux, prompt à se désespérer. C'est un miracle que je vive encore ; je me trouve effroyablement vieux, et cependant je commence seulement ma cinquantième année.

Je me suis donné des peines infinies (je parle en insensé (4 ) ) pour vivre saintement : des années entières, même pendant les rigueurs de l'hiver, je couchais sur le plancher froid et dur, laissant mon lit vide ; je me flagellais jusqu'au sang, j'endurais la faim pour donner mon pain aux pauvres ; toutes mes heures de loisir je les passais dans l'église ou dans son cimetière ; je me confessais et communiais presque tous les huit jours. Je voulais absolument vivre de mes bonnes oeuvres et de mes bonnes moeurs. Mais quelle vie c'était !

Malgré toute ma sainteté, je m'enfonçais toujours plus avant dans l'égoïsme ; j'étais triste, anxieux ; mille scrupules me tourmentaient. Ce saint-là criait toujours dans son coeur : « Malheureux que je suis ! qui me délivrera ? » Et personne ne me répondait : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ. » (5) J'étais malade, et nul ne m'offrait la plante qui seule pouvait me guérir, et dont le nom est : Le juste vit de foi. Lorsque enfin on me l'eut apportée, et que je me trouvai mieux, le monde entier vint à moi avec son érudition et sa dignité ecclésiastique : il voulait me faire croire que j'avais mangé du poison, vomi du poison, empoisonné chacun, et qu'il fallait me chasser, m'enfermer, me pendre, me noyer, me brûler.
Je ne connais personne de plus heureux que moi, et cependant, pauvre lièvre, je suis un objet d'effroi pour le monde.
J'aimerais par-dessus tout à être obscur, tranquille, mais en vain ; je suis connu de l'Orient et de l'Occident.

Voilà en peu de mots le cours de ma vie entière. Quand je serai mort, dis de ma part au monde que je le salue, et que je n'ai voulu lui donner d'autre simple pour tous ses maux que celle-ci :

Le juste vit de foi ; qu'elle m'a fait du bien, à moi et à d'autres, et que si l'on n'a eu confiance ni en moi ni en mon remède, la faute n'en est pas à moi. Que j'ai fait l'épreuve aussi long-temps qu'eux de la croyance qu'on peut se sauver par soi-même ; mais que plus tard j'avais trouvé dans un vieux écrit : que nous sommes justifiés et sauvés au nom de Christ par grâce, sans que nous le méritions, et que c'est dans cette foi que je suis mort. Que si ce pont ne leur plaît pas, qu'ils essaient de passer à gué le vaste Océan du monde sans s'y noyer. Voilà ce qu'après ma mort tu diras de ma part au monde. »

« C'était en 1788 ou 1789, raconte-t-il encore ailleurs, je faisais visite à une malade, connue par sa profonde humilité et par une piété exemplaire.
Vous mourrez, lui dis-je, dans une bien grande paix, n'est-ce pas ? - « Et pourquoi ? » demanda la malade. - « Vous avez eu une vie si pieuse, si pleine de vertus ... », répondis-je. -
« Ah ! si je me reposais sur ma piété, répliqua-t-elle avec un doux sourire, je ne mériterais que l'enfer. Non, non, je ne m'appuie que sur Jésus, mon Sauveur. »

Puis, me regardant avec surprise, elle ajouta : « Quel prêtre êtes-vous ? Quelles consolations m'apportez-vous ? Comment subsisterais-je devant le tribunal de Dieu, où chacun rendra compte même de ses paroles vaines, si Christ n'était pas mon rocher ? Je serais bien certainement perdue, si j'attendais la félicité céleste de moi-même, de mes mérites. Quel est l'homme qui soit pur aux yeux de l'Éternel ? (1) Laquelle de nos actions, de nos vertus, aura le poids requis s'il la pèse à sa balance ? Non, si le Christ n'était pas mort pour moi, s'il n'avait pas satisfait à la justice de Dieu et payé mes dettes, toutes mes bonnes oeuvres ne me sauveraient pas de la condamnation éternelle. C'est lui, c'est lui seul qui est mon espérance, mon salut et ma joie... »

Ces paroles, sorties de la bouche d'une femme en grande réputation de sainteté, furent comme une vive lumière qui brilla aux yeux de Martin Boos. Ce fut dès lors qu'il reçut Christ comme sa parfaite justice, et qu'il goûta la paix et la joie du salut. Ce fut aussi dès cette époque qu'il eut à endurer toutes sortes de persécutions : sa prédication, empreinte des saines doctrines de l'Évangile, ne pouvait manquer de lui attirer de violents adversaires.

Prêcher un salut gratuit, un salut donné de Dieu, et que l'homme ne peut et ne doit recevoir que comme un don, comme une pure aumône ; prêcher une telle doctrine dans une Église où, tout en conservant le nom de Christ, on lui substitue les oeuvres des hommes comme moyen de rédemption, n'était-ce pas saper cette Église par sa base et encourir ses plus sévères châtiments ?
Néanmoins, une fois que Boos fut placé sur le vrai fondement, il y resta ; le Seigneur l'y maintint et lui donna de souffrir avec joie pour son nom.

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CHAPITRE III.

BOOS CHAPELAIN À KEMPTEN, À GROENBACH, PUIS EXPULSÉ DE SA PAROISSE.

- SES TRAVAUX À SEEG ET À WIGGENSBACH. - UNE NOUVELLE LYDIE.


Après un séjour de deux ans à Naterthingan, Boos fut appelé à Kempten (6), en qualité de chapelain du chapitre ; puis, comme chanoine, à Groenbach. Le zèle qu'il déploya dans la chaire et au confessionnal lui gagna bientôt la confiance du peuple. On accourait en foule à ses sermons ; les âmes altérées de la justice cherchaient avec avidité ses instructions. Sa charité, sa douceur, le calme et le sérieux empreints sur son visage, tout concourait à lui gagner l'affection de ses paroissiens.

C'en fut assez pour exciter la jalousie des autres chanoines, particulièrement du doyen. Les plus âgés ne pouvaient voir sans envie que Boos, le plus jeune et le dernier élu, eût acquis le plus de confiance et d'amour. Ils profitaient de son absence pour forcer son pupitre et pour lire ses lettres ; puis ils le raillaient à table et ne lui cachaient point leur profonde inimitié. Leur haine éclata au point qu'ils lui ôtèrent son emploi et lui interdirent l'entrée du couvent.
Boos fut expulsé de Groenbach.

Le voilà sans asile et sans savoir où porter ses pas. Il aperçoit, à peu de distance de la route, une chétive cabane ; il y entre et n'y trouve personne. Le premier besoin de son âme est de se jeter aux pieds du Seigneur. Il comprenait le sens de ces paroles : « Ne vous inquiétez d'aucune chose, mais exposez vos besoins à Dieu en toute, occasion, par des prières et des supplications, avec des actions de grâces ; et la paix de Dieu, laquelle surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos esprits en Jésus-Christ (Philipp., IV, 6, 7.) » Aussi éprouva-t-il toute la fidélité de Dieu : son âme fut inondée d'une lumière extraordinaire ; il vit en Christ, comme il ne l'avait point fait encore, son Rédempteur et son Sauveur ; et il crut en lui d'une foi plus vive que jamais.

Étant sorti de la cabane, plein de confiance et de joie, il se remit en chemin et arriva à Seeg auprès d'un vénérable curé, nommé Feneberg. On lui confia une modeste place de chapelain, à lui qui avait été chanoine. Son activité et sa fidélité chrétiennes allaient toujours en croissant. Une circonstance singulière excita contre lui de nouveaux adversaires. C'était en 1794 : un jour qu'il baptisait un enfant avec une profonde dévotion, il sauta, par inadvertance, un feuillet du rituel, précisément celui où se trouvent ces mots. « Renonces-tu au démon et à ses oeuvres ? » Aussitôt, grâce à la malice de la sage-femme, on fit courir le bruit que Boos baptisait les enfants au nom du démon. Toutes les mères de famille en furent tellement effrayées, qu'aucune d'elles ne voulut faire baptiser son enfant par le nouveau chapelain. Ce fut en vain qu'il chercha à démentir cette odieuse calomnie : tout le pays en fut bientôt rempli.. Toutefois, Martin Boos ne se laissa point intimider et n'en travailla pas moins avec courage à l'édification de son troupeau.

Le prince abbé de Kempten fut informé des injustes traitements dont Boos avait été l'objet à Groenback, et le plaça, en 1795, à Wiggensbach, en qualité de chapelain, et avec la perspective d'obtenir au plus tôt une cure. Ce fut là que Boos s'affermit entièrement dans la foi, s'enracina en Jésus-Christ, et s'étudia avec un nouveau zèle à conduire les âmes au Sauveur. La lecture des saintes Écritures et de quelques ouvrages religieux était sa plus douce occupation. À l'exemple du Sauveur, il passait des nuits entières dans la prière et la méditation. On le voyait souvent entrer dans l'église ou dans sa cellule pour lutter en prière avec le Dieu de Jacob. Il y avait dans le temple une petite niche dérobée dont il aimait à faire un lieu de prières secrètes : c'est là qu'il se retirait loin de tous les regards, et qu'il reçut les grâces les plus signalées. Ce lieu fût toujours cher à son souvenir. « C'est derrière l'autel du choeur de Wiggensback, écrivait-il à l'un de ses amis intimes, que Dieu m'a révélé en plein sa justice parfaite, qui nous sauve complètement et éternellement ; c'est là que J'ai appris véritablement à connaître sa croix, ses mérites, sa grâce. »
Cependant la prédication de Boos ne tarda pas à faire la plus vive sensation. Un grand nombre d'âmes furent amenées par son ministère à la connaissance de Christ. Bien des aveugles eurent les yeux ouverts et furent rendus participants de la paix que Jésus donne aux siens.

Voici les directions que Boos avait coutume de donner aux âmes angoissées qui lui demandaient la voie du salut :

Si tu es à tes propres yeux pécheur, vicieux, aveugle, paralytique, lépreux, et que tu sois inquiet et embarrassé, il est temps alors que, comme les aveugles et les lépreux de l'Évangile, tu cherches ton refuge dans la foi seule. C'est-à-dire, tu dois comme le brigand et Madeleine aller plein de confiance vers le Sauveur, avec toutes tes fautes et tes péchés, tel que tu es, lui demander du coeur ton pardon avec la justice qu'il t'a acquise, saisir avec larmes ce pardon et te l'approprier avec joie. Car si Dieu t'a fait connaître et sentir ta misère, c'est afin que tu viennes implorer du Sauveur ton pardon.
S'il t'a rendu pauvre d'esprit, c'est afin de te faire saisir par la foi le royaume des cieux et toutes les richesses que t'a acquises Jésus par ses souffrances et sa mort.
Viens donc à lui quand tu te sens pauvre et pécheur, viens chercher grâce sur grâce ; mais une fois que tu es du nombre des croyants, c'est-à-dire que tu as saisi la rémission de tes péchés, ainsi que la vraie justice de Jésus-Christ, tu dois t'appliquer entièrement à la vertu, la piété, l'obéissance et à l'imitation de Jésus. Non point que par tes bonnes oeuvres tu puisses te justifier et mériter le pardon de tes péchés, la justice de Christ et le ciel, mais tu dois te conduire ainsi parce que Dieu t'a pardonné tes péchés à cause de Jésus-Christ, et qu'il t'a donné gratuitement son Esprit, la vie éternelle et la force de garder ses commandements.

Après avoir obtenu ta justification, fais donc des oeuvres autant que tu le pourras, mais garde-toi de fonder sur elles ton repos et ta sécurité, car nos actions les meilleures sont encore souillées ; la vue de leur imperfection bannit la paix intérieure.
Fais donc reposer cette paix uniquement sur ce que ton Sauveur a accompli pour toi ; alors elle sera affermie comme un rocher, inébranlable comme lui, et en même temps la reconnaissance et l'amour t'inspireront un grand zèle et une grande ardeur pour multiplier tes oeuvres ; mais quand tu auras fait tout ce qui te sera commandé, ne te crois jamais un serviteur juste et saint ; tu n'es toujours qu'un serviteur inutile et imparfait. Car la grâce de ton Sauveur seule t'a rendu capable d'agir selon lui. Avant qu'il t'eût accordé ton pardon et qu'il t'eût rendu participant de son Esprit, en un mot avant d'être justifié, tu ne pouvais, accomplir une seule véritable bonne oeuvre.

Mais, diras-tu, quel temps faudra-t-il porter le poids de ma misère et de mon angoisse ? Tu le porteras jusqu'à ce que tu sois dégoûté de tout péché et las de toute vanité ; jusqu'à ce que tu désespères de tout secours humain, et principalement de celui que tu cherchais en toi-même, jusqu'à ce que, enfin, tu te sois jeté aux pieds de Jésus pour invoquer et saisir sa justice comme ton unique refuge.
Hâte-toi donc, abandonne sans réserve tout le bagage de tes propres efforts ; vas au Sauveur comme une âme fatiguée, ayant essayé de tout sans succès, et qui maintenant, convaincue de sa profonde indignité , ne veut plus que crier grâce ! Vas-y dès ce jour même afin de hâter ton soulagement, car l'Éternel a dit : « N'attends pas pour obéir le mors et le frein. » (Ps. XXXII, 9).




Plusieurs personnes ne pouvant trouver la paix, ni dans la confession, ni dans l'absolution prononcée par leurs prêtres, se jetaient dans des cloîtres ; c'est là qu'elles pensaient obtenir le pain spirituel dont leurs âmes étaient affamées. Une d'elles, ayant le monde en horreur, avait formé le projet d'entrer dans un couvent, ou du moins chez un ecclésiastique. Elle s'imaginait que dans une telle retraite le péché n'aurait plus aucune prise sur son coeur.
En effet, elle est admise dans un cloître ; mais quel n'est pas son désappointement ! elle n'y trouve aucune vie spirituelle, et dit tout franchement aux religieuses : « Vous n'êtes que des porteuses de robes noires. » Elle en sort aussitôt. De plus en plus travaillée par le besoin de la paix, elle recourt aux pèlerinages. deux fois elle va à Einsiedeln, canton de Schwitz ; mais tout est inutile, son âme n'a point encore découvert la source des eaux vives pour y étancher sa soif. Elle s'adresse à son curé, et le supplie de lui enseigner quelqu'autre voie propre à satisfaire les inexprimables besoins de son coeur. Le curé la taxe d'orgueil, de folie. « Voulez-vous donc en savoir plus que moi ? » lui dit-il, et il la laisse en proie à toutes les angoisses, d'une conscience réveillée.

Enfin, elle a la bonne pensée d'aller auprès de Martin Boos, qui lui annonce Jésus mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification.

Le Seigneur lui ouvre les yeux, comme il le fit jadis à Lydie, et dépose dans son âme les arrhes du Saint-Esprit, de cet Esprit par lequel elle peut invoquer Dieu comme son Père. Jésus devient sa lumière et sa vie. Dès-lors elle éprouve un profond dégoût pour ce qui n'a que l'apparence de la piété ; elle n'aime plus à se servir de son rosaire, ni à prononcer des prières qui ne sortent que des lèvres. Cependant la voie nouvelle où elle est entrée lui devient peu à peu suspecte ; elle craint que quelque embûche ne soit cachée sous ses pas, et elle fait part de ses craintes à Boos.
« Pourquoi ne vous servez-vous plus de votre chapelet, » lui demanda-t-il un jour ? - « Je n'aime que Jésus, » répondit-elle, « parce qu'il est avec moi et en moi. » - « Vous ne pouvez rien faire de mieux, » ajouta Boos ; « car ce n'est point une hérésie que d'aimer le Seigneur, de penser à lui et de faire tout pour lui : cela vaut infiniment mieux que beaucoup de prières sur le chapelet. »

La voilà pleinement rassurée. Mais de nouveaux doutes viennent assiéger son âme : elle s'imagine qu'un ecclésiastique qui fait si peu de cas du rosaire ne doit pas valoir grand chose. Elle retourne auprès de lui, et lui expose très-naïvement l'idée qu'elle a conçue à son sujet. Boos se met à rire. « Oui, vous avez bien raison, » lui dit-il, « de moi-même je ne vaux pas grand chose ; mais il n'en est pas ainsi de la Parole que je vous ai annoncée : elle est vraie, éternellement vraie. Allez en paix, croissez dans la foi et dans la charité. Ayez toujours le mal en horreur et attachez-vous étroitement au bien. »

Peu de temps après, on célébra dans le voisinage une fête d'indulgences (7). Notre nouvelle Lydie se garda bien de s'y rendre, ainsi qu'elle le faisait précédemment. Elle alla auprès de Boos, quoiqu'il habitât à cinq lieues de chez elle. « Vous n'êtes pas allée à la fête ! » lui dit-il, - « Non, car mon absolution est JÉSUS-CHRIST MORT POUR MOI ; son sang est la seule et unique absolution de mes péchés. » - « Qui t'a enseigné cela, » dit Boos. - « Personne ; cette pensée m'est venue d'elle-même à l'esprit ; Jésus m'ôte mes péchés et toutes ces choses auxquelles je me suis trop attachée, et où je cherchais vainement mon salut.
Je suis maintenant assurée que tout cela ne sert de rien, si Jésus ne nous délivre pas de nos péchés et n'habite pas dans nos coeurs. Je me suis long-temps tourmentée, presqu'à en mourir, avec ces pratiques-là, et n'y ai trouvé qu'un surcroît de peines et d'angoisses. Mais maintenant je possède Jésus et sa paix. »
Boos lui remit un Nouveau-Testament. Elle lui fit de fréquentes visites, et toujours avec une joie extrême. Souvent elle était accompagnée de quelques personnes travaillées par lé sentiment de leurs péchés, et qui s'en retournaient avec la connaissance de l'unique voie du salut. Elle conduisit même à Boos le chapelain de son village.

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(1) Le premier chapitre a été dicté par Boos vers la fin de sa vie à l'un de ses amis. Nous le reproduisons dans une traduction littérale, pour faire connaître, si c'est possible, à nos lecteurs tout ce qu'il y a de simplicité ingénue et de naïveté dans l'original allemand. 
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(2) Décembre est, en allemand, le mois de Christ, et Noël le jour de Christ.
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(3) L'église catholique, ainsi que l'église grecque, distingue huit ordres ecclésiastiques - quatre inférieurs, de sacristains, de lecteurs, d'exorcistes et d'acolytes, qui sont d'ordinaire conférés par l'évêque en un même jour ; et quatre supérieurs, de sous diacres, de diacres, de prêtres et d'évêques, qui obligent au célibat et impriment le caractère indélébile de l'état ecclésiastique. 
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(4) Allusion à 2 Cor
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(5) Allusion à Rom., VII.
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(6) Kempten faisait alors partie de la Souabe ; c'était une ville libre impériale, et une abbaye attenante au château du prince-évêque. Cette ville compte plus de 6000 habitants. 
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(7) Nos lecteurs n'ignorent pas que les indulgences consistent dans la rémission des péchés et des peines qu'ils méritent, et que l'église romaine a trouvé dans cette pratique un des plus puissants leviers pour établir son autorité. Qui ne connaît les effrayants abus qu'elle en a fait ? 
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