Martin
Boos (1) aient des
paysans
aisés qui possédaient vingt vaches et
quatre chevaux. Sa mère avait mis au monde
seize enfants et Martin était le
quatorzième.
Il était à peine
âgé de quatre ans, quand son
père et sa mère furent enlevés
en quinze jours par une
épidémie, et il ne put se rappeler
leurs traits. Ils laissaient douze orphelins, dont
l'aînée était une fille de
dix-huit ans, et qui furent partagés entre
les plus proches parents de la famille.
La soeur aînée porta, un
lundi de Pentecôte, le petit Martin à
Augsbourg, chez leur oncle, le conseiller
ecclésiastique et procureur fiscal, Koegel.
En route elle avait été si
fatiguée de son fardeau, qu'elle avait
déposé le petit Martin dans un champ
de blé et avait couru seule à
Augsbourg. Le pauvre enfant ainsi abandonné
se mit à pleurer, et finit par s'endormir
d'un paisible sommeil dans le champ où il
avait été laissé, Vers quatre
heures de l'après-midi, sa soeur revint le
chercher et le présenta à son oncle
en le priant de le recevoir et de le traiter comme
son enfant.
Mais Martin ne voulait pas rester
à Augsbourg on eût dit qu'il
pressentait que cette ville devait être le
lieu de son martyre. Il demandait avec instance
à retourner avec sa soeur à la
maison. Le troisième jour, sa soeur partit
de grand matin sans lui dire adieu ; force lui
fut de rester.
Lorsque l'enfant eut environ huit ans,
son oncle l'envoya à l'école
où il apprit à lire et à
écrire. Au bout de quelques années,
son oncle lui dit, un jour en lui remettant la
rétribution scolaire :
« Voici bien assez long-temps que tu es
à l'école, il te faut apprendre un
métier. Lequel te plaît le mieux ? » -
Martin
lui répondit, sans hésiter :
« Je voudrais devenir
prêtre. » - « Quoi, dit
l'oncle, prêtre ! mais tu n'as pour cela
ni talent, ni argent. » Ces paroles
affligèrent beaucoup l'enfant. Quelques
instants après, son oncle lui dit de revenir
vers lui après le repas, qu'il lui
remettrait un billet pour son maître de qui
il voulait savoir s'il était content de lui.
Le vieux maître donna à Martin le
meilleur témoignage : parmi ses trois
cents élèves il était le plus
appliqué dans les principes du latin ;
il les devançait tous ; ce serait
dommage et péché que de ne pas lui
faire continuer ses études. Martin avait, en
effet, appris secrètement les
éléments de la langue latine. Dans la
crainte de le fâcher, il n'en avait pas dit
un mot à son oncle qui, d'ailleurs, d'un
bout de l'année à l'autre, ne
s'informait jamais de lui.
Lors donc que Martin apporta ce bon
témoignage, l'oncle lui dit :
« Eh ! bien, puisque ton
maître est content de toi, j'essaierai de te
faire étudier ; mais si tu ne continues
pas à t'appliquer, je ferai de toi un
cordonnier. »
L'enfant devint plus assidu
encore ; il étudiait sans cesse et
priait le bon Dieu de l'aider à atteindre
son but. Il fut placé dans l'école
des Jésuites, où dans l'espace de
cinq ans il parcourut les classes
inférieures avec un grand succès.
Puis il fit au lycée sa logique
Les vacances tiraient à leur fin
quand il revint chez son oncle qui lui dit.
« Où as-tu donc resté si
long-temps ? Demain tu dois partir pour
Dillingen (à l'université) ;
dépêche-toi d'aller demander une
attestation aux ex-jésuites. » Ils
ne voulurent pas la lui donner quand ils eurent
appris que l'intention de son oncle était de
lui faire continuer ses études à
Dillingen ; « car, disaient-ils,
c'est un endroit fort dangereux pour les jeunes
gens ; ( il y avait alors à cette
université des professeurs vraiment
chrétiens et
très-distingués) ; il serait
exposé à y perdre sa religion ;
ils lui procureraient la meilleure place qu'il
pût désirer, comme précepteur
dans une des bonnes maisons d'Augsbourg, s'il
consentait à rester chez eux, et, dans ce
cas, il n'aurait plus besoin de l'appui de son
oncle. »
En apprenant cette réponse, son
oncle qui n'aimait pas les jésuites, se mit
dans une grande colère et dit :
« Retourne vers eux et dis-leur que s'ils
ne te donnent pas sur-le-champ le témoignage
qu'il te faut, je les y forcerai. » Ils
le lui donnèrent alors dans les meilleurs
termes possibles.
Muni de ce témoignage, il partit
le lendemain de bonne heure pour Dillingen. Il y
étudia la physique et la métaphysique
avec ardeur ; et il fut admis gratuitement au
collège (alumnat), où il
étudia la théologie.
Quand il revint, pendant les vacances,
auprès de son oncle,
à Augsbourg, celui-ci l'accueillit avec le
premier mot d'éloge qu'il lui eût dit
dans sa vie : « Cette
année-ci tu m'as réellement fait
plaisir. Le directeur du séminaire m'a
écrit plusieurs fois beaucoup de bien de
toi. »
Martin étudia pendant quatre ans
la théologie, à Dillingen. Au
commencement de la première année, il
reçut les quatre ordinations mineures (3).
Dans
la
seconde année, vers Pâques, il
reçut le sous-diaconat. Mais il tomba
bientôt après malade, et la
fièvre ne le quitta que huit jours avant la
Pentecôte. Durant ce temps, il lui avait
été impossible d'étudier. Mais
comme son oncle voulut absolument qu'il fût
ordonné prêtre l'automne suivante, Il
assista pendant les quatre jours aux exercices
spirituels, et alla avec les autres
élèves de l'alumnat, subir l'examen
à Augsbourg. Il en sortit avec honneur, et
sa joie était d'autant plus vive, que la
crainte d'un revers avait été plus
grande. Pendant le dîner, il causait avec son
oncle de l'examen qui venait d'avoir lieu, et comme
il exprimait des doutes sur son
ordination, « Pourquoi te la
refuserait-on ? lui dit le vieillard, tu as
fait le meilleur examen. - L'automne suivante il
reçut la prêtrise.
À sa première messe
solennelle assistaient cinq cents personnes, (parmi
lesquelles on comptait trente-cinq
ecclésiastiques), qui s'y étaient
rendues en l'honneur non de Martin, mais de son
oncle. Ce vieillard, qui atteignait alors sa
soixante et dixième année, en eut
tant de joie, qu'il donna un tir à la cible
qui dura huit jours.
Martin dut rester encore deux
années au séminaire, de Dillingen,
pour y achever ses études. Enfin, il passa
sept semaines au séminaire
général de Pfaffenhausen, d'où
il sortit pour se rendre comme chapelain, à
Unterthingau, bourg de la Basse-Souabe.
À Unterthingau, Boos ne tarda pas
à faire l'expérience que l'ordination
conférée par les hommes ne donne pas
la connaissance de l'Évangile ; sa conduite
avait toujours
été irréprochable, et,
dès sa jeunesse, il avait été
rempli de la crainte de Dieu. Néanmoins, il
était encore étranger à cette
foi vivante qui renouvelle le coeur et nous fait
vivre d'une vie cachée avec Christ en Dieu.
Son coeur n'était point en repos ; il
voulait être son propre Sauveur et se frayer
un chemin vers le ciel. Ses bonnes oeuvres, ses
mortifications, ses jeûnes, voilà les
justices qu'il offrait à Dieu pour expier
ses péchés et pour acheter le bonheur
éternel.
Hélas ! que de gens qui,
comme Boos inconverti prétendent que la
félicité céleste peut
s'obtenir par l'oeuvre de l'homme ! Combien de
pauvres âmes qui veulent se mettre à
la place de Jésus, et qui, si le Seigneur
n'en prend pitié, périront dans leur
aveuglement !
Avant que de suivre M. Martin Boos dans
sa longue carrière de combats et de
souffrances, que nos lecteurs nous permettent de
leur faire connaître deux lettres, qu'il a
écrites sans doute à une
époque bien plus avancée que celle
où nous sommes, mais qui parlent de sa
conversion.
Il écrivait à un ami, en
1804 :
« Tu me demandes qui m'a
réveillé de mon sommeil de mort et
amené à la foi. Singulière
question ! C'est le Christ, c'est la main du
Père qui m'a attiré vers le Fils.
Voici en peu de mots l'histoire de toute ma
vie :
1. Dès mon plus jeune âge,
j'ai connu et porté avec
soupir ma misère et mes
péchés.
2. Pendant de longues années,
j'ai demandé à Dieu, jour et nuit,
avec larmes, lumière, repos, force,
délivrance.
3. En 1790, la première
année de ma véritable vie,
m'arrivèrent à la fois
lumière, repos, paix, joie, empire sur les
convoitises charnelles, connaissance vivante de
l'économie du salut, foi vive, ferme
espérance, amour.
Électrisé de toutes ces
choses sublimes, j'électrisai aussi les
autres. Je ne puis donc croire que ce ne soit
qu'une illusion du diable ou de
l'imagination ; je dois croire que Dieu a vu
mes larmes, qu'il a entendu mes prières, mes
soupirs, les coups que je frappais à sa
porte, et qu'après de longues années
d'attente, il m'a exaucé. Notre Dieu n'est
pas une statue de bois, un Dieu mort et
insensible ; il est un Dieu vivant. Il
répond à qui l'interroge, donne
à qui lui demande, ouvre à qui
heurte. J'en suis aujourd'hui encore le
témoin vivant. »
Voici une autre lettre de 1811 :
« Tu dis que ma vie est un
lent et long martyre. Tu as raison. Dans ma
jeunesse, c'étaient mes péchés
qui me martyrisaient, et pendant bien long-temps,
je n'ai pas connu d'autre sauveur que
moi-même. Quand plus tard, j'eus
trouvé le seul sauveur et qu'il m'eut
délivré de mes péchés,
je fus martyrisé par les consistoires et le
peuple à l'esprit juif et
légal ; ils voulaient m'enlever ma foi
et mon Sauveur par la peur, les
disputes, les bannissements, et cette
tragédie dure encore. Ajoute à cela
l'enfer de mon propre coeur qui est méchant,
présomptueux, absurde, peureux, prompt
à se désespérer. C'est un
miracle que je vive encore ; je me trouve
effroyablement vieux, et cependant je commence
seulement ma cinquantième année.
Je me suis donné des peines
infinies (je parle en insensé (4
) ) pour vivre
saintement : des années
entières, même pendant les rigueurs de
l'hiver, je couchais sur le plancher froid et dur,
laissant mon lit vide ; je me flagellais
jusqu'au sang, j'endurais la faim pour donner mon
pain aux pauvres ; toutes mes heures de loisir
je les passais dans l'église ou dans son
cimetière ; je me confessais et
communiais presque tous les huit jours. Je voulais
absolument vivre de mes bonnes oeuvres et de mes
bonnes moeurs. Mais quelle vie
c'était !
Malgré toute ma sainteté,
je m'enfonçais toujours plus avant dans
l'égoïsme ; j'étais triste,
anxieux ; mille scrupules me tourmentaient. Ce
saint-là criait toujours dans son
coeur : « Malheureux que je
suis ! qui me
délivrera ? » Et personne ne
me répondait : « La
grâce de Dieu par
Jésus-Christ. » (5)
J'étais malade, et nul ne m'offrait la
plante qui seule pouvait me guérir, et dont
le nom est : Le juste vit de foi. Lorsque
enfin on me l'eut
apportée, et que je me trouvai mieux, le
monde entier vint à moi avec son
érudition et sa dignité
ecclésiastique : il voulait me faire
croire que j'avais mangé du poison, vomi du
poison, empoisonné chacun, et qu'il fallait
me chasser, m'enfermer, me pendre, me noyer, me
brûler.
Je ne connais personne de plus heureux
que moi, et cependant, pauvre lièvre, je
suis un objet d'effroi pour le monde.
J'aimerais par-dessus tout à
être obscur, tranquille, mais en vain ;
je suis connu de l'Orient et de l'Occident.
Voilà en peu de mots le cours de
ma vie entière. Quand je serai mort, dis de
ma part au monde que je le salue, et que je n'ai
voulu lui donner d'autre simple pour tous
ses maux que celle-ci :
Le juste vit de foi ; qu'elle m'a
fait du bien, à moi et à d'autres, et
que si l'on n'a eu confiance ni en moi ni en mon
remède, la faute n'en est pas à moi.
Que j'ai fait l'épreuve aussi long-temps
qu'eux de la croyance qu'on peut se sauver par
soi-même ; mais que plus tard j'avais
trouvé dans un vieux écrit : que
nous sommes justifiés et sauvés au
nom de Christ par grâce, sans que nous le
méritions, et que c'est dans cette foi que
je suis mort. Que si ce pont ne leur plaît
pas, qu'ils essaient de passer à gué
le vaste Océan du monde sans s'y noyer.
Voilà ce qu'après ma mort tu diras de
ma part au monde. »
« C'était en 1788 ou
1789, raconte-t-il encore ailleurs, je faisais
visite à une malade, connue par sa profonde
humilité et par une piété
exemplaire.
Vous mourrez, lui dis-je, dans une bien
grande paix, n'est-ce pas ? - « Et
pourquoi ? » demanda la malade. -
« Vous avez eu une vie si pieuse, si
pleine de vertus ... »,
répondis-je. -
« Ah ! si je me reposais
sur ma piété, répliqua-t-elle
avec un doux sourire, je ne mériterais que
l'enfer. Non, non, je ne m'appuie que sur
Jésus, mon Sauveur. »
Puis, me regardant avec surprise, elle
ajouta : « Quel prêtre
êtes-vous ? Quelles consolations
m'apportez-vous ? Comment subsisterais-je
devant le tribunal de Dieu, où chacun rendra
compte même de ses paroles vaines, si Christ
n'était pas mon rocher ? Je serais bien
certainement perdue, si j'attendais la
félicité céleste de
moi-même, de mes mérites. Quel est
l'homme qui soit pur aux yeux de
l'Éternel ? (1) Laquelle de nos
actions, de nos vertus, aura le poids requis s'il
la pèse à sa balance ? Non, si
le Christ n'était pas mort pour moi, s'il
n'avait pas satisfait à la justice de Dieu
et payé mes dettes, toutes mes bonnes
oeuvres ne me sauveraient pas de la condamnation
éternelle. C'est lui, c'est lui seul qui est
mon espérance, mon salut et ma
joie... »
Ces paroles, sorties de la bouche d'une
femme en grande réputation de
sainteté, furent comme une vive
lumière qui brilla aux yeux de Martin Boos.
Ce fut dès lors qu'il reçut Christ
comme sa parfaite justice, et qu'il goûta la
paix et la joie du salut. Ce fut aussi dès
cette époque qu'il eut à endurer
toutes sortes de persécutions : sa
prédication, empreinte des saines doctrines
de l'Évangile, ne pouvait manquer de lui
attirer de violents adversaires.
Prêcher un salut gratuit, un salut
donné de Dieu, et que l'homme ne peut et ne
doit recevoir que comme un don, comme une pure
aumône ; prêcher une telle
doctrine dans une Église où, tout en
conservant le nom de Christ, on lui substitue les
oeuvres des hommes comme moyen de
rédemption, n'était-ce pas saper
cette Église par sa base et encourir ses
plus sévères châtiments ?
Néanmoins, une fois que Boos fut
placé sur le vrai fondement, il y
resta ; le Seigneur l'y maintint et lui donna
de souffrir avec joie pour son nom.
Après un séjour de deux ans
à Naterthingan, Boos fut appelé
à Kempten (6),
en
qualité de chapelain du chapitre ;
puis, comme chanoine, à Groenbach. Le
zèle qu'il déploya dans la chaire et
au confessionnal lui gagna bientôt la
confiance du peuple. On accourait en foule à
ses sermons ; les âmes
altérées de la justice cherchaient
avec avidité ses instructions. Sa
charité, sa douceur, le calme et le
sérieux empreints sur son visage, tout
concourait à lui gagner l'affection de ses
paroissiens.
C'en fut assez pour exciter la jalousie
des autres chanoines, particulièrement du
doyen. Les plus âgés ne pouvaient voir
sans envie que Boos, le plus jeune et le dernier
élu, eût acquis le plus de confiance et d'amour.
Ils
profitaient de son absence pour forcer son pupitre
et pour lire ses lettres ; puis ils le
raillaient à table et ne lui cachaient point
leur profonde inimitié. Leur haine
éclata au point qu'ils lui
ôtèrent son emploi et lui interdirent
l'entrée du couvent.
Boos fut expulsé de Groenbach.
Le voilà sans asile et sans
savoir où porter ses pas. Il
aperçoit, à peu de distance de la
route, une chétive cabane ; il y entre
et n'y trouve personne. Le premier besoin de son
âme est de se jeter aux pieds du Seigneur. Il
comprenait le sens de ces paroles :
« Ne vous inquiétez d'aucune
chose, mais exposez vos besoins à Dieu en
toute, occasion, par des prières et des
supplications, avec des actions de
grâces ; et la paix de Dieu, laquelle
surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et
vos esprits en Jésus-Christ
(Philipp.,
IV,
6, 7.) »
Aussi éprouva-t-il toute la
fidélité de Dieu : son âme
fut inondée d'une lumière
extraordinaire ; il vit en Christ, comme il ne
l'avait point fait encore, son Rédempteur et
son Sauveur ; et il crut en lui d'une foi plus
vive que jamais.
Étant sorti de la cabane, plein
de confiance et de joie, il se remit en chemin et
arriva à Seeg
auprès d'un vénérable
curé, nommé Feneberg. On lui confia
une modeste place de chapelain, à lui qui avait été
chanoine. Son activité et sa
fidélité chrétiennes allaient
toujours en croissant. Une circonstance
singulière excita contre lui de nouveaux
adversaires. C'était en 1794 : un jour
qu'il baptisait un enfant avec une profonde
dévotion, il sauta, par inadvertance, un
feuillet du rituel, précisément celui
où se trouvent ces mots.
« Renonces-tu au démon et à
ses oeuvres ? » Aussitôt,
grâce à la malice de la sage-femme, on
fit courir le bruit que Boos baptisait les enfants
au nom du démon. Toutes les mères de
famille en furent tellement effrayées,
qu'aucune d'elles ne voulut faire baptiser son
enfant par le nouveau chapelain. Ce fut en vain
qu'il chercha à démentir cette
odieuse calomnie : tout le pays en fut
bientôt rempli.. Toutefois, Martin Boos ne se
laissa point intimider et n'en travailla pas moins
avec courage à l'édification de son
troupeau.
Le prince abbé de Kempten fut
informé des injustes traitements dont Boos
avait été l'objet à Groenback,
et le plaça, en 1795, à Wiggensbach,
en qualité de chapelain, et avec la
perspective d'obtenir au plus tôt une cure.
Ce fut là que Boos s'affermit
entièrement dans la foi, s'enracina en
Jésus-Christ, et s'étudia avec un
nouveau zèle à conduire les
âmes au Sauveur. La lecture des saintes
Écritures et de quelques ouvrages religieux
était sa plus douce occupation. À
l'exemple du Sauveur, il passait
des nuits entières dans la prière et
la méditation. On le voyait souvent entrer
dans l'église ou dans sa cellule pour lutter
en prière avec le Dieu de Jacob. Il y avait
dans le temple une petite niche
dérobée dont il aimait à faire
un lieu de prières secrètes :
c'est là qu'il se retirait loin de tous les
regards, et qu'il reçut les grâces les
plus signalées. Ce lieu fût toujours
cher à son souvenir. « C'est
derrière l'autel du choeur de Wiggensback,
écrivait-il à l'un de ses amis
intimes, que Dieu m'a révélé
en plein sa justice parfaite, qui nous sauve
complètement et éternellement ;
c'est là que J'ai appris
véritablement à connaître sa
croix, ses mérites, sa
grâce. »
Cependant la prédication de Boos
ne tarda pas à faire la plus vive sensation.
Un grand nombre d'âmes furent amenées
par son ministère à la connaissance
de Christ. Bien des aveugles eurent les yeux
ouverts et furent rendus participants de la paix
que Jésus donne aux siens.
Voici
les
directions que Boos avait coutume de donner aux
âmes angoissées qui lui demandaient la
voie du salut :
1° Si tu es à tes propres
yeux pécheur, vicieux, aveugle, paralytique,
lépreux, et que tu sois inquiet et
embarrassé, il est temps alors que, comme
les aveugles et les lépreux de
l'Évangile, tu cherches ton refuge dans la
foi seule. C'est-à-dire, tu dois comme le brigand
et
Madeleine aller plein de confiance vers le Sauveur,
avec toutes tes fautes et tes péchés,
tel que tu es, lui demander du coeur ton pardon
avec la justice qu'il t'a acquise, saisir avec
larmes ce pardon et te l'approprier avec joie. Car
si Dieu t'a fait connaître et sentir ta
misère, c'est afin que tu viennes implorer
du Sauveur ton pardon.
S'il t'a rendu pauvre d'esprit, c'est
afin de te faire saisir par la foi le royaume des
cieux et toutes les richesses que t'a acquises
Jésus par ses souffrances et sa mort.
Viens donc à lui quand tu te sens
pauvre et pécheur, viens chercher
grâce sur grâce ; mais une fois
que tu es du nombre des croyants,
c'est-à-dire que tu as saisi la
rémission de tes péchés, ainsi
que la vraie justice de Jésus-Christ, tu
dois t'appliquer entièrement à la
vertu, la piété, l'obéissance
et à l'imitation de Jésus. Non point
que par tes bonnes oeuvres tu puisses te justifier
et mériter le pardon de tes
péchés, la justice de Christ et le
ciel, mais tu dois te conduire ainsi parce que Dieu
t'a pardonné tes péchés
à cause de Jésus-Christ, et qu'il t'a
donné gratuitement son Esprit, la vie
éternelle et la force de garder ses
commandements.
2° Après avoir obtenu ta
justification, fais donc des oeuvres autant que tu
le pourras, mais garde-toi de fonder sur elles ton
repos et ta sécurité, car nos actions
les meilleures sont encore souillées ;
la vue de leur imperfection
bannit la paix intérieure.
Fais donc reposer cette paix uniquement
sur ce que ton Sauveur a accompli pour toi ;
alors elle sera affermie comme un rocher,
inébranlable comme lui, et en même
temps la reconnaissance et l'amour t'inspireront un
grand zèle et une grande ardeur pour
multiplier tes oeuvres ; mais quand tu auras
fait tout ce qui te sera commandé, ne te
crois jamais un serviteur juste et saint ; tu
n'es toujours qu'un serviteur inutile et imparfait.
Car la grâce de ton Sauveur seule t'a rendu
capable d'agir selon lui. Avant qu'il t'eût
accordé ton pardon et qu'il t'eût
rendu participant de son Esprit, en un mot avant
d'être justifié, tu ne pouvais,
accomplir une seule véritable bonne
oeuvre.
3° Mais, diras-tu, quel temps
faudra-t-il porter le poids de ma misère et
de mon angoisse ? Tu le porteras
jusqu'à ce que tu sois
dégoûté de tout
péché et las de toute
vanité ; jusqu'à ce que tu
désespères de tout secours humain, et
principalement de celui que tu cherchais en
toi-même, jusqu'à ce que, enfin, tu te
sois jeté aux pieds de Jésus pour
invoquer et saisir sa justice comme ton unique
refuge.
Hâte-toi donc, abandonne sans
réserve tout le bagage de tes propres
efforts ; vas au Sauveur comme une âme
fatiguée, ayant essayé de tout sans
succès, et qui maintenant, convaincue de sa
profonde indignité , ne veut plus que crier
grâce ! Vas-y
dès ce jour même afin de hâter
ton soulagement, car l'Éternel a dit :
« N'attends pas pour obéir le mors
et le frein. »
(Ps.
XXXII, 9).
Plusieurs personnes ne pouvant trouver la paix,
ni dans la confession, ni dans l'absolution
prononcée par leurs prêtres, se
jetaient dans des cloîtres ; c'est
là qu'elles pensaient obtenir le pain
spirituel dont leurs âmes étaient
affamées. Une d'elles, ayant le monde en
horreur, avait formé le projet d'entrer dans
un couvent, ou du moins chez un
ecclésiastique. Elle s'imaginait que dans
une telle retraite le péché n'aurait
plus aucune prise sur son coeur.
En effet, elle est admise dans un
cloître ; mais quel n'est pas son
désappointement ! elle n'y trouve
aucune vie spirituelle, et dit tout franchement aux
religieuses : « Vous n'êtes
que des porteuses de robes noires. » Elle
en sort aussitôt. De plus en plus
travaillée par le besoin de la paix, elle
recourt aux pèlerinages. deux fois elle va
à Einsiedeln, canton de Schwitz ; mais
tout est inutile, son âme n'a point encore
découvert la source des eaux vives pour y
étancher sa soif. Elle s'adresse à
son curé, et le supplie de lui enseigner
quelqu'autre voie propre à satisfaire les
inexprimables besoins de son coeur. Le curé
la taxe d'orgueil, de folie.
« Voulez-vous donc en savoir plus que
moi ? » lui dit-il, et il la laisse
en proie à toutes les angoisses, d'une
conscience réveillée.
Enfin, elle a la bonne pensée
d'aller auprès de Martin Boos, qui lui
annonce Jésus mort pour nos offenses et
ressuscité pour notre justification.
Le Seigneur lui ouvre les yeux, comme il
le fit jadis à Lydie, et dépose dans
son âme les arrhes du Saint-Esprit, de cet
Esprit par lequel elle peut invoquer Dieu comme son
Père. Jésus devient sa lumière
et sa vie. Dès-lors elle éprouve un
profond dégoût pour ce qui n'a que
l'apparence de la piété ; elle
n'aime plus à se servir de son rosaire, ni
à prononcer des prières qui ne
sortent que des lèvres. Cependant la voie
nouvelle où elle est entrée lui
devient peu à peu suspecte ; elle
craint que quelque embûche ne soit
cachée sous ses pas, et elle fait part de
ses craintes à Boos.
« Pourquoi ne vous servez-vous
plus de votre chapelet, » lui
demanda-t-il un jour ? - « Je n'aime
que Jésus, » répondit-elle,
« parce qu'il est avec moi et en
moi. » - « Vous ne pouvez rien
faire de mieux, » ajouta Boos ;
« car ce n'est point une
hérésie que d'aimer le Seigneur, de
penser à lui et de faire tout pour
lui : cela vaut infiniment mieux que beaucoup
de prières sur le chapelet. »
La voilà pleinement
rassurée. Mais de nouveaux doutes viennent
assiéger son âme : elle s'imagine
qu'un ecclésiastique qui fait si peu de cas
du rosaire ne doit pas valoir grand chose. Elle
retourne auprès de lui, et lui expose
très-naïvement l'idée qu'elle a
conçue à son sujet.
Boos se met à rire. « Oui, vous
avez bien raison, » lui dit-il,
« de moi-même je ne vaux pas grand
chose ; mais il n'en est pas ainsi de la
Parole que je vous ai annoncée : elle
est vraie, éternellement vraie. Allez en
paix, croissez dans la foi et dans la
charité. Ayez toujours le mal en horreur et
attachez-vous étroitement au
bien. »
Peu de temps après, on
célébra dans le voisinage une
fête d'indulgences (7).
Notre
nouvelle Lydie se garda bien de s'y rendre, ainsi
qu'elle le faisait précédemment. Elle
alla auprès de Boos, quoiqu'il habitât
à cinq lieues de chez elle. « Vous
n'êtes pas allée à la
fête ! » lui dit-il, -
« Non, car mon absolution est
JÉSUS-CHRIST MORT POUR MOI ; son sang
est la seule et unique absolution de mes
péchés. » - « Qui
t'a enseigné cela, » dit Boos. -
« Personne ; cette pensée
m'est venue d'elle-même à
l'esprit ; Jésus m'ôte mes
péchés et toutes ces choses
auxquelles je me suis trop attachée, et
où je cherchais vainement mon salut.
Je suis maintenant assurée que
tout cela ne sert de rien, si Jésus ne nous
délivre pas de nos péchés et
n'habite pas dans nos coeurs. Je me suis long-temps tourmentée,
presqu'à
en mourir, avec ces
pratiques-là, et n'y ai trouvé qu'un
surcroît de peines et d'angoisses. Mais
maintenant je possède Jésus et sa
paix. »
Boos lui remit un Nouveau-Testament.
Elle lui fit de fréquentes visites, et
toujours avec une joie extrême. Souvent elle
était accompagnée de quelques
personnes travaillées par lé
sentiment de leurs péchés, et qui
s'en retournaient avec la connaissance de l'unique
voie du salut. Elle conduisit même à
Boos le chapelain de son village.
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