L'existence d'un curé
tel que Martin Boos au sein de l'église
catholique, surprendra sûrement la plupart de
nos lecteurs, et nous leur devons quelques mots
d'explication. Boos a été le
contemporain ou l'ami de Gossner, de Henhoefer, de
Feneberg, de Lindl, que les protestants
français connaissent depuis long-temps par
les journaux religieux ou par de courtes
notices ; et les événements qui
ont eu lien à Donaumoos', se rattachent
à ce même mouvement religieux qui a
fait naître ces courageux témoins de
la vérité chrétienne au milieu
des erreurs de Rome.
Pendant la
dernière moitié du 18e siècle,
les principes du gallicanisme, qui soumet le pape aux
conciles, avaient
pénétré dans l'Allemagne
catholique, qui subissait en même temps
l'influence combinée du jansénisme
français, du luthéranisme allemand,
et de la philosophie rationaliste du siècle.
L'ordre des jésuites perdait sa
prépondérance et finit par être
supprimé. Les archevêques de Vienne et
de Salzbourg s'élevaient contre les abus de
leur église et contre la méthode
scolastique de l'enseignement de la
théologie, tandis que l'empereur d'Autriche,
Joseph II, abolissait par des ordonnances
séculières l'usage du latin dans le
culte, diminuait le nombre et la pompe des autels,
supprimait plusieurs processions, mettait des
bornes aux indulgences, fermait les couvents et
cherchait à réformer
l'éducation élémentaire et
supérieure.
À cette
même époque, Léopold, grand-duc
de Toscane, opérait de semblables
réformes dans ses états avec le
secours du pieux évêque de Pistoia,
Scipion Ricci. La Bible fut traduite en langue
vulgaire, soit d'après la vulgate, soit
d'après le grec et l'hébreu, et
plusieurs de ces traductions ne furent que des
versions protestantes plus ou moins
modifiées. D'illustres professeurs, tels que
Jahn à Vienne, Hug à Fribourg,
s'écartèrent en nombre de points des
opinions généralement reçues
dans leur église, et publièrent sur la Bible et
sur les
diverses
branches de la théologie des écrits
qu'ils avaient composés en ayant recours aux
recherches des protestants, et que les protestants
à leur tour surent
apprécier.
Il se
forma ainsi en
Autriche, et plus tard en Bavière, une
classe de catholiques qui, sans sortir de leur
église ni même se mettre en guerre
ouverte avec les partisans de la stricte orthodoxie
romaine, adoptèrent et répandirent
par leurs livres et leur prédication un
catholicisme mitigé et épuré
dont voici les principaux traits.
La
tradition divine
et apostolique ne doit pas être confondue
avec la tradition de l'église, qui n'est
authentique que lorsqu'elle ne contredit ni les
textes positifs de l'Écriture, ni son
esprit, ni les premiers principes du bon sens et de
la raison humaine.
La
transsubstantiation ne fait pas partie des dogmes
catholiques, car elle n'est fondée ni sur
l'Écriture, ni sur la tradition ; le
concile de Trente n'a voulu établir que la
présence réelle de Christ dans
l'Eucharistie il ne s'est pas expliqué
catégoriquement sur la manière ou le
mode du mystère.
Il faut
distinguer
les sacrements scripturaires de ceux qui ne sont
qu'ecclésiastiques et traditionnels
La Vulgate n'a point
été déclarée version
authentique et exempte de toute faute par le
concile de Trente, qui a voulu simplement, par un
règlement disciplinaire, écarter les
traductions protestantes. Le catéchisme
romain fit place à des livres meilleurs.
Diverses cérémonies furent
modifiées ou abrogées. On travailla
avec zèle à corriger la liturgie et
à y introduire, la langue
allemande.
Les hommes
les plus
remarquables de ce catholicisme
idéalisé ont été ou
sont encore Sailer, de Wessenberg, Dereser, Jahn,
Hug, Oberthiir, etc.
Sailer,
qui a
exercé une grande influence sur Boos, est
né en 1751 dans un village bavarois. Il
était entré en 1770 dans l'ordre des
Jésuites, qui fut supprimé trois ans
après. Il fut nommé en 1780
professeur de théologie à
l'université d'Ingolstadt, mais il perdit
bientôt après cette place. En 784 il
fut appelé comme professeur à
l'université de Dillingen, qui
dépendait alors de l'évêque
d'Augsbourg. Mais en 1794 il reçut
inopinément sa démission. En 1800 il fût de
nouveau
nommé professeur à Landshul où
avait été transférée
l'université d'Ingolstadt. En 1822, il
devint coadjuteur de l'évêché
de Ratisbonne, et évêque de cette
même ville en 1829. Il est mort en 1832. Nous
le verrons prendre la défense de Boos
persécuté, sans avoir jamais
été lui-même en butte aux
persécutions de son église ;
cependant il eut aussi sa part de l'opprobre de
Christ, et ses nombreux écrits de
théologie et d'édification prouvent
une âme d'une profonde piété.
Plusieurs d'entre eux ont trouvé un accueil
très-favorable parmi ses coreligionnaires et
doivent avoir fait beaucoup de bien. Nous nommerons
parmi les nombreux disciples de Sailer, d'une part,
Boos et Gossner, vrais chrétiens
évangéliques ; et de l'autre, le
chanoine Schmid, dont les histoires bibliques ont
été introduites dans les
écoles dé Bavière et ont eu
plus de vingt éditions, et qui est bien
connu des lecteurs français par ses nombreux
ouvrages à l'usage de la jeunesse :
Geneviève, les Oeufs de Pâques, la
Corbeille de Fleurs, etc.
L'évêque
de Constance, de Wessenberg, a eu de longs
démêlés avec la cour de Rome,
à laquelle il s'était rendu suspect
par son projet d'introduire dans le culte le chant
des cantiques allemands et dont il publia un
recueil, par ses efforts pour
faire naître une vraie piété
parmi les prêtres de son diocèse, les
éclairer et les instruire, par ses
mandements de jeûne qui étaient pleins
de modération et de sagesse, par ses
écrits. Le grand-duc de Baden, dans les
états duquel est situé Constance,
soutint de Wessenberg contre Rome, et ces
démêlés ne cessèrent
qu'en 1827 par un concordat qui supprimait cet
évêché. De Wessenberg vit
encore ; il est né en 1774 à
Dresde, ou son père était ambassadeur
d'Autriche. Il s'est illustré par de
nombreux écrits d'édification,
d'histoire philosophique et d'esthétique et
par des poésies.
Sailer et
de
Wessenberg peuvent être regardés comme
les représentants de ce catholicisme
idéalisé de l'Allemagne, que nous
pourrions comparer au jansénisme sous de
certains rapports. Les pieux évêques
et théologiens ne remirent point en honneur,
il est vrai, les grandes doctrines de St. Paul,
d'Augustin et de Luther sur la foi, la grâce,
la justification et l'élection ; mais
ils cherchèrent, ainsi que l'avaient fait
les jansénistes, à réformer
les erreurs de Rome sans les abjurer et les
secouer. Tentatives infructueuses. Rome a
déclaré, au temps de Luther et par le
concile de Trente, qu'il y avait antipathie et
guerre à mort entre elle et la
vérité.
Les hommes
dont nous
venons de parler, exercèrent une grande
influence sur leur patrie. Leurs disciples nous
paraissent se diviser en deux classes, si les
renseignements que nous possédons sur
l'Allemagne catholique actuelle ne nous induisent
pas en erreur. Les uns sont des catholiques d'une
piété douce, aimable,
éclairée, mais sans grande
énergie de caractère ni profondeur de
vues dogmatiques. Les autres sont de vrais
réformateurs à la Luther, qui valent
mieux que leurs maîtres, et qui ont
été en guerre ouverte avec leur
église : tels Boos et ses amis. Ils ont
été plus conséquents ou plus
courageux que leurs prédécesseurs,
qui avaient ouvert à demi les yeux sur les
erreurs du papisme et n'avaient pas pu on voulu les
sonder jusqu'au fond et les rejeter
entièrement. Mais eux, Ils sont
remontés à la source de toutes les
erreurs de détails de leur confession ;
ils sont arrivés à la grande doctrine
du salut gratuit par la foi, à cette
doctrine qui est l'unique levier avec lequel on
remue les nations et on renverse les forteresses de
Satan, à cette doctrine que Rome rejette de
son sein avec angoisse dès qu'elle y
naît et s'y développe, parce qu'elle
la tue.
Boos, nous
l'avons
dit, a été un chrétien
vraiment évangélique, quoiqu'il soit
mort dans l'église de Rome
que ses amis avaient abandonnée. On le voit
en relations intimes d'amitié avec des
protestants, et l'on ne trouve nullement chez lui
cette animosité contre la réforme qui
dépare la plupart des écrits
jansénistes. Sa vie nous apprend comment
Dieu peut faire éclater la pure
lumière de son Évangile au sein des
ténèbres de Rome, et comment Rome met
en oeuvre toutes les ressources de l'enfer pour
étouffer cette lumière. Ces pages
nous offrent une répétition en petit
des grandes scènes de la réforme, et
nous prouvent que Rome n'a pas changé, car
elle a traité Boos précisément
comme elle avait traité Luther il y a trois
siècles. Et si Luther se fut obstiné.
à rester dans l'église qui le
persécutait et l'excommuniait, il eût
été comme Boos forcé à
l'inaction et au silence ; mais la
réforme n'en aurait pas moins eu lieu,
seulement elle se serait faite par un autre homme
que Dieu aurait suscité selon son bon
plaisir.
Nous ne
nous trompons
certainement pas en désignant
l'époque de Gossner et de Boos comme celle
d'un vrai réveil religieux dans la
Bavière catholique. C'est ce qu'atteste
l'apparition simultanée de nombreux
prédicateurs de la foi vivante, l'agitation
profonde qu'ils ont causée tout autour
d'eux, soit en amenant une foule
d'âmes à Jésus-Christ, soit en
soulevant contr'eux tous les adversaires de la
vérité, la fondation d'une
société catholique à
Ratisbonne pour la distribution de la Bible (voyez
feuilles religieuses de Vaud, année 1826, et
l'activité d'hommes tels que Van Ess, qui
compte par cent mille les exemplaires qu'il a
répandus de sa traduction des saintes
Écritures.
Mais la
lumière de l'Évangile semble
s'être déjà couchée pour
la Bavière catholique. Le catholicisme
ultramontain, le papisme y règne de nouveau
sans opposition et y compte ses plus fougueux
défenseurs. Les ordres monastiques y
trouvent une puissante protection ; chaque
année voit se restaurer d'anciens couvents
d'hommes ou de femmes, s'en ouvrir de nouveaux, et
l'éducation publique est en majeure partie
entre les mains des
Bénédictins.
Quant à
l'Autriche, les réformes violentes de Joseph
Il n'ont eu qu'une existence
éphémère et ont disparu sans
laisser de traces. Elles provenaient, non de la foi
qui reconnaît l'erreur au flambeau de la
révélation, mais de la raison
naturelle qui juge la superstition selon ses
idées propres et la combat avec ses seules
forces. C'était une simple protestation du
sens commun et de la philosophie contre tout ce que le
papisme contient de
déraisonnable. Mais la biographie de Boos
nous montrera qu'en Autriche comme en
Bavière, et comme dans le monde entier, le
salut qui est en Jésus-Christ ne peut
être offert aux pécheurs sans attirer
irrésistiblement les uns et scandaliser les
autres ; car il est une puissance divine et
une odeur de vie ou de mort.
En
résumé, nous dirons, avec les
réformateurs : Il y a
possibilité de salut dans l'Eglise de Rome,
parce que la vérité est assez forte
pour se faire jour à travers tous les
obstacles, et que le Saint-Esprit est plus puissant
que le pape et ses serviteurs. Mais on ne fait son
salut dans Rome que malgré Rome ; qui
veut aller à Jésus-Christ directement
et avec la foi vivante, est certain d'être
persécuté, parce que Rome, en
repoussant la réforme, s'est endurcie dans
le mensonge et ne peut subsister que par la mort
spirituelle de ses membres.
La vie du curé Martin
Boos a été publiée en 1826,
par Jean Gossner. (1)
Dix ans plus tard, la
Société Évangélique de
Saint-Gall en fit paraître un
abrégé, formant un volume de
près de 400 pages. C'est proprement une
autobiographie composée en presque
totalité avec les ouvrages imprimés
de Boos, ses manuscrits et ses lettres. Une
traduction littérale n'aurait pas
été tolérable dans notre
langue. Des lecteurs français ne sont pas
familiarisés avec le laisser-aller, avec la
prolixité des Allemands ; Ils veulent
un récit plus
animé et plus soutenu ; ils redoutent
les répétitions et les longueurs dont
plusieurs écrivains d'outre-Rhin sont
parfois trop prodigues. Nous avons donc
cherché à coordonner les faits et
presque refondu le livre entier, tout en nous
efforçant de conserver la simplicité
et l'originalité qu'on retrouve dans la
plupart des ouvrages allemands. Nous avons, autant
que cela nous a été possible,
laissé parler Boos lui-même ; les
retranchements que nous nous sommes permis ne
portent que sur des faits déjà
énoncés ou sur des articles
d'édification dont les sujets avaient
été traités dans quelqu'autre
partie de l'ouvrage.
Nous
ne nous
sommes point senti arrêté par les
formes du catholicisme romain auxquelles Martin
Boos resta constamment
attaché.
Ces formes
ont, sans
doute, plus on moins embarrassé sa
marche ; peut-être aussi ont-elles
entravé l'oeuvre de l'Esprit dans son
coeur ; mais elles ne l'ont point
empêché de confesser hardiment la
vérité telle qu'elle est dans la
Bible. Ces formes ne font que mieux ressortir la
lumière de l'Évangile, qui sait se
faire jour à travers les épais
taillis dont le papisme a couvert une portion du
champ du Seigneur.
Si donc
quelqu'un de
nos lecteurs trouvait étrange l'association
de ces deux mots : curé
évangélique,
nous lui dirions : lisez la vie
de Boos et dites-nous si une telle vie n'est pas
celle d'un chrétien ; dites-nous si un
homme qui éleva aussi haut l'étendard
de l'Évangile et qui proclama d'une si
intelligible voix le nom de Christ au sein d'une
communion qui le condamnait comme un
hérétique ; dites-nous si un
homme animé d'une foi aussi vive,
j'ajouterai aussi pure, n'appartient pas à
cette Église universelle, invisible, que
Jésus a rachetée au prix de son sang,
et s'il n'y a pas quelque intérêt
à connaître la foi et les
espérances d'un tel serviteur de
Dieu ?
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