Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUELS SONT VOS AMUSEMENTS ET VOS LECTURES ?

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L'homme a besoin de distractions ; il faut, et pour le corps et pour l'esprit, que le travail soit entremêlé de récréations qui nous le fassent reprendre avec plus de vigueur. La morale de l'Évangile ne s'y oppose point, et le même Dieu qui a semé nos campagnes de tant de fleurs nous permet aussi, sans doute, de semer de quelques plaisirs le chemin de la vie. Mais ces plaisirs cessent d'être légitimes quand ils blessent les devoirs de la conscience, quand ils abrutissent la raison, ou seulement quand ils occupent dans notre existence une trop grande place. Honnêteté, modération, réserve : ce sont les lois qui doivent présider à tous nos délassements.
En est-il ainsi au village? Pour quelques-uns, oui; pour le plus grand nombre, non. Leurs plaisirs son mal choisis, grossiers, dangereux pour les moeurs, tellement que ce qui devrait servir surtout à rendre des forces à l'homme pour travailler, achève souvent de lui ôter celles qu'il a.

Je ne dirai qu'un mot de ceux qui accordent trop de temps à leurs amusements : ce défaut est plus commun dans les villes que dans les campagnes. Néanmoins on rencontre aussi quelques villageois qui semblent croire qu'ils n'ont été mis au monde que pour se divertir sans trêve ni fin. Le plaisir, qui ne doit être dans une vie bien réglée que l'accessoire, devient l'essentiel dans la leur. Pauvres gens et dignes d'une grande compassion ! Non-seulement ils mangent leur fortune, s'ils sont riches, et tombent dans la misère, s'ils ne le sont pas ; mais encore, parce qu'ils abusent des divertissements, ils les rendent pour eux fades et insipides. C'est la fatigue qui assaisonne les récréations ; dans l'oisiveté, nulle jouissance réelle; et je ne sais si l'excès des divertissements n'est pas enfin plus pesant pour l'homme et ne lui laisse pas un coeur plus vide que l'excès du travail.

Mais quittons les fainéants: d'autres villageois, bien plus nombreux, appellent notre attention : je parle des intempérants. Quel détestable vice que celui de l'ivrognerie ! et comme il est contagieux ! Allez dans nos villages le dimanche et les jours de fête ; placez-vous à la porte des cafés qui commencent à s'y multiplier et des cabarets tout est plein, les entrées, les salles, les cours; et quel bruit ! quels chants malhonnêtes ! quelles disputes ! Attendez ; plusieurs de ces malheureux vont sortir l'oeil terne, le corps chancelant, moins capables de se conduire que des brutes ; et dans ce honteux état ils vont s'offrir en spectacle à leurs femmes et à leurs enfants.
On appelle cela se divertir; je l'appelle, moi, s'abrutir.

Ah ! si quelqu'un de mes lecteurs était adonné à l'ivrognerie, je le conjurerais de se recueillir et de m'écouter. Mon ami vous avez une passion qui vous pousse vers l'abîme. Songez à votre santé déjà été affaiblie peut-être : ne la ruinez pas entièrement. Les intempérants se donnent des maladies cruelles, et combien meurent avant l'âge ! Êtes-vous assez ennemi de vous-même pour accepter volontairement une si triste existence et une mort prématurée ?

Votre santé n'est pas la seule chose qui souffre par votre ivrognerie: votre bourse n'en souffre pas moins. Rien de coûteux comme cette passion; elle amène l'indigence derrière elle en la tenant à deux mains : d'abord, on ne s'enivre pas sans payer; ensuite, quand on s'enivre souvent, on gagne peu. Aussi, sur quatre mendiants, y en a-t-il trois qui en sont venus là par l'intempérance. Le cabaret est la porte du bureau de charité et de l'hôpital.
Ne reculerez-vous pas devant une telle perspective? Quoi ! vous, dont le père était si justement respecté, vous qui portez un nom honorable, vous iriez vous unir un jour à la troupe des gens sans aveu pour implorer la pitié des passants? Et l'on dirait, en vous jetant une dédaigneuse aumône : Voyez cet homme-là ! il était notre égal, et il a tout dévoré dans de vils excès.

Vous me répondrez que vous n'irez-pas si loin. Eh! qu'en savez-vous? Il est bien plus facile, croyez-moi, de renoncer complètement à l'intempérance que de la contenir. Quand on s'y livre, on en devient bientôt esclave, et d'autant plus qu'elle est funeste pour l'esprit comme pour le corps. Elle éteint les facultés de l'intelligence, fausse le jugement, abaisse tout vôtre moral. Un intempérant, ce n'est plus un homme qui pense, et qui par sa pensée est le roi de la nature ; c'est une créature déchue, à laquelle on ne sait quelle place assigner dans l'ordre de l'univers.

Et la famille dont vous êtes le chef ? Est-ce là ce que vous avez promis à votre compagne, lorsque vous l'avez été chercher sous le toit de son père, et qu'elle vous a remis le soin de son bonheur? Lui avez-vous annoncé qu'elle aurait un protecteur qui ne saurait se diriger soi-même et qui reviendrait près d'elle la raison égarée et l'injure à la bouche ? Et vos enfants ? Que voulez-vous qu'ils fassent, en ayant sans cesse devant les yeux un si mauvais exemple? Ou ils vous imiteront, ou ils vous mépriseront. Dans le premier cas, c'est leur malheur que vous faites dans le second, c'est le vôtre.

Et votre âme enfin ? Conçoit-on un intempérant qui, au sortir de la vie, irait se reposer dans le sein de Dieu ? Conçoit-on qu'après avoir fait de ses jours une longue et horrible orgie, il soit reçu dans la compagnie des anges ! Mais l'idée seule en est révoltante non, « les ivrognes n'hériteront point le royaume de Dieu (1 Cor., VI, 10.) »

Qu'ajouterai-je encore ? Interrogez les médecins, les directeurs des hôpitaux, les membres des bureaux de bienfaisance, les juges des cours d'assises, les geôliers de nos prisons, ils n'auront qu'une voix pour vous dire que l'ivrognerie est une source inépuisable de maladies, d'infirmités, de misères, de crimes et de douleurs.
Pensez à tout cela, tandis qu'il en est encore temps. On redresse un jeune arbrisseau, mais un vieux chêne, on ne le redresse plus : il garde son ancienne forme ou se brise avec un long gémissement.

Après l'intempérance, les jeux de hasard : passion également trop répandue dans nos campagnes. Je ne blâme pas indistinctement toute espèce de jeux. Il y a des jeux d'adresse, qui, se faisant en pleine campagne, aident à développer la souplesse du corps en même temps qu'ils reposent l'esprit, et donnent au coup d'oeil une justesse qui peut devenir utile dans des objets plus sérieux. Que les paysans se divertissent à ces jeux-là, ils font bien, pourvu qu'ils n'y laissent absorber ni leur temps ni leur coeur.
Mais les jeux de hasard ? Outre qu'ils ne servent pas à fortifier le corps, ni à l'assouplir, ils excitent l'amour du gain, la fraude, l'inimitié. Rarement ils s'achèvent sans dispute, et plus rarement encore on les quitte content de soi et de sa journée. On s'emporte, on s'oublie dans la lutte. Tel père de famille, circonspect dans toutes ses affaires, ne l'est plus dans celle-là. Enflammé par ses gains, ou irrité de ses pertes, il risque sur un coup de dé, sur une partie de cartes, son patrimoine, le pain de ses enfants, et s'il joue de malheur, que devient-il ?

Charles Gournot l'a bienfait voir. C'était un bon père, un bon voisin ; on l'avait nommé membre du conseil municipal. Il possédait une ferme qui avait prospéré par son intelligente activité ; mais il avait un défaut et très-grave : celui d'être passionné pour les jeux de hasard. Dans les commencements il y avait apporté quelque réserve : il ne jouait qu'après ses heures de travail, et n'y mettait que des enjeux qu'il pouvait perdre sans trop d'inconvénient. Mais, d'année en année, les cartes lui prenaient plus de temps et les enjeux devenaient plus forts. Charles Gournot se fiait à son habileté ; il se croyait le meilleur joueur du pays, et les parties heureuses qu'il faisait lui causaient une sorte de vertige.

Mon ami, lui disait sa femme, le jeu t'occupe trop : nos intérêts y perdent, ainsi que nos enfants. Quand le maître n'y est pas tout est négligé, les domestiques se croisent les bras; il y a de l'inexactitude dans nos comptes, et nos deux fils, je le crains, commencent à jouer comme toi. Bien, bien, lui répondit Gournot avec d'autant plus de brusquerie qu'il sentait au fond qu'elle avait raison ; propos de femme que cela, tout va chez nous comme par le passé; et quand on travaille beaucoup, il est bien permis d'un peu se divertir.

En s'autorisant de ces belles maximes, il passait des après-dînées tout entières sur un jeu de cartes. Sa réputation ne s'en trouvait pas mieux, et quoiqu'il continuât de jouer assez heureusement, son humeur s'en aigrissait. Il ne pouvait se cacher à lui-même, dans ses moments de sang-froid, que les affaires de sa maison allaient mal, et que les bénéfices du jeu ne compensaient pas de telles pertes. Mais la passion y était : une fois l'heure du jeu venue, Charles Gournot ne tenait plus chez lui ni au travail; il se précipitait vers le cabaret où il était sûr de trouver d'autres joueurs qui l'attendaient ; et là, il oubliait sa femme, ses enfants, sa métairie, le monde entier.

Son bonheur au jeu ne lui fut pas toujours fidèle. Il rencontra des joueurs qui, alléchés par sa fortune, et moins honnêtes que lui, le firent tomber dans leurs pièges. piqué au jeu, Gournot voulait regagner ce qu'il avait perdu, et perdait encore davantage. Il fît des dettes considérables qu'il cacha longtemps à sa femme. Mais les billets qu'il avait souscrits arrivaient à l'échéance, et force lui était de les payer. Le pauvre Gournot se disait parfois : c'est fini, je ne jouerai plus, mais il faut auparavant que je me remette à flot. En attendant, au lieu de réparer ses pertes, il les augmentait. Un créancier vint, qui, n'étant pas remboursé à terme, eut recours à la justice. Alors Gournot avoua, en pleurant, toute la vérité. Ses voisins qui l'aimaient, lui ouvrirent leur bourse, mais ses dettes étaient trop grandes, et les gens d'affaires qui s'en mêlaient agrandirent encore le gouffre. On mit aux enchères les propriétés de Gournot, et son nom fut rayé de la liste du conseil municipal.

Ce malheureux fut corrigé par cette rude leçon ; il ne joua plus ; mais le coup avait porté au fond de son coeur, et il ne s'en releva jamais. On le voyait errer dans le village, le regard triste, l'air abattu, rongé au dedans d'une peine qu'il ne pouvait surmonter, et les mères le montraient à leurs fils, en disant : Charles Gournot était riche, et il est devenu misérable parce qu'il aimait le jeu !

Il y a d'autres amusements moins ruineux, il est vrai, mais plus cruels. ce sont les combats d'animaux, dont l'usage s'est conservé dans quelques-unes de nos provinces. Quelle indignité de se divertir à irriter l'un contre l'autre de pauvres êtres privés de raison, et voir couler leur sang ! Quoi de plus propre à éteindre dans les âmes la douce pitié, les tendres affections et l'horreur du meurtre ! Ceux qui aiment ces barbares spectacles s'habituent par degrés, sans le savoir, à des goûts féroces qu'ils satisferont peut-être ensuite sur leurs semblables ; et pour avoir abusé de leur pouvoir sur les brutes, ils perdent celui qu'ils devraient conserver sur eux-mêmes.

Fuyez ces jeux atroces; n'y menez pas vos enfants. La vue du sang n'est jamais bonne, elle est trop bien d'accord avec les mauvais instincts de notre nature (1).

Évitez en même temps les plaisirs dangereux pour les moeurs, les danses publiques, les fêtes bruyantes et désordonnées, où, sous prétexte d'honorer le saint de son village, on commet les actes les plus scandaleux. Ces plaisirs allument dans l'imagination des flammes impures, et la pudeur s'enfuit, tremblante et indignée ; ou bien ils provoquent sans sujet de violentes querelles; et l'on est, le lendemain, tout affligé d'avoir prodigué de lâches insultes à un ami dont les premières années se sont entrelacées avec les nôtres.
La vanité, d'ailleurs, préside à ces amusements, et que de pièges elle sème sous les pas des deux sexes ! Le jeune homme veut briller aux dépens de ses rivaux; la jeune fille surtout veut effacer ses compagnes par l'éclat de sa toilette. Elle ne se donne point de repos qu'elle n'ait puisé dans la bourse de son père de quoi s'acheter une parure qui attire sur elle tous les yeux ; et si le père n'est pas riche ou qu'il résiste à ses folles demandes, qui sait jusqu'où elle se laissera entraîner par ce besoin de luxe et d'ostentation ? Hommes sages, parents prévoyants, considérez quels effrayants progrès a faits dans nos hameaux la vanité de la parure, et dites-vous que cette passion menace, non-seulement d'appauvrir votre famille, mais de la déshonorer. Vous êtes avertis : c'est à vous d'y bien réfléchir.

Ce qui doit enfin vous éloigner de ces divertissements, c'est qu'ils ont presque toujours lieu le dimanche. Souvenez-vous de ce que j'ai écrit sur la manière de sanctifier le jour du Seigneur. Or, qu'y a-t-il de plus étranger, de plus opposé aux saintes méditations qui doivent remplir le dimanche, que les fêtes mondaines, les banquets, les jeux auxquels se livrent tant de villageois? Essayez, en sortant de là, d'élever votre âme à Dieu. Si vous le voulez absolument, vous prononcerez les mots d'une prière; mais sera-ce une prière? Il faut donc nécessairement choisir : ou renoncer à la sanctification du dimanche, et c'est presque renoncer, je vous en avertis, à tout sentiment de religion; ou abandonner ces amusements qui s'accommodent avec tout, excepté avec la pensée des choses saintes. « Nul ne peut servir deux maîtres, » dit le Seigneur. « L'amour du monde est une inimitié contre Dieu » (Matth., VI, 24 Jacq., IV, 4.). Voyez donc quel parti vous devez prendre; et si vous ne vous décidez pas, le démon en décidera pour vous.

Mais si vous nous retranchez, dira quelqu'un, les amusements du dimanche, et les jeux, et les danses, et les festins, que nous restera-t-il ? C'est donc une vie d'ermite et de trappiste que vous prétendez nous imposer? Nullement; le dimanche a des joies, ne vous l'ai-je pas dit ? qui sont plus douces que celles du monde, parce qu'elles sont plus pures. Faites-en l'épreuve, et vous n'en voudrez plus d'autres. Je connais des chrétiens au village, qui, ayant quitté leurs anciens plaisirs pour goûter ceux de la communion du Seigneur, s'écrient maintenant : Nous pensions nous réjouir autrefois et nous ne faisions que nous étourdir et nous pervertir. C'est à présent que nous savons où sont les véritables joies, et nous n'échangerions pas un seul de nos dimanches pour les divertissements réunis de tous ceux que nous avons passés ici-bas, avant notre conversion.

Que parlez-vous, mes chers lecteurs, d'une vie d'ermite et de trappiste ! Qui vous empêche de réunir autour de vous et vos enfants et vos amis, pour épancher vos âmes dans les plus doux entretiens ? Qui vous empêche de goûter les joies de la charité? Qui vous empêche enfin de prendre, et le dimanche et les autres jours, d'honnêtes récréations, lesquelles, après vous avoir délassés de vos travaux, laisseront dans votre mur de riants souvenirs, sans aucun mélange de regrets ni de remords ?

L'une de ces distractions, et la plus féconde de toutes peut-être, c'est la lecture. Elle convient au jeune homme, elle convient au vieillard elle est accessible à toutes les conditions. Ce plaisir, on n'a pas besoin de le chercher hors de chez soi ; il est là ! sous notre main chaque fois que nous l'appelons; et il vient, toujours le même, toujours nouveau, dissiper notre ennui, calmer nos tristesses, nourrir et ennoblir nos pensées. Il continue, s'interrompt, se reprend, s'arrête, docile à toutes nos volontés, et rempli d'incomparables douceurs.

Ces réflexions s'appliquent spécialement à la lecture de la Bible, que je vous ai déjà plus d'une fois recommandée. La Bible, lue et relue, présente sans cesse des choses nouvelles, et devient plus riche à mesure, qu'on y creuse plus profondément. Chacun de ses chapitres pour ainsi parler, comme chaque plante de la nature, épuiserait la vie d'un homme sans être lui-même épuisé.

À la Bible, qui doit toujours garder la première place et la dernière dans nos lectures, on peut ajouter d'autres écrits de religion, et des livres bien choisis d'histoire, de voyages, de littérature, de poésie. Il y en a peu dans notre langue qui méritent une approbation complète, mais il y en a pourtant, et quiconque les cherche avec soin ne manquera pas d'en trouver.
Sont-ce là vos lectures, chers amis? Hélas ! beaucoup d'entre vous (et je parle de ceux qui savent lire) ne lisent absolument rien; il leur semble même que les livres sont incompatibles avec les travaux des champs. Mais pourquoi donc? Pourquoi ces nobles délassements de l'esprit ne s'allieraient-ils pas avec vos occupations habituelles? L'homme qui cultive la terre abdique-t-il le droit de cultiver sa raison?

D'autres villageois lisent, à la vérité, mais de mauvais livres. On ne leur voit dans les mains que des almanachs menteurs, des recueils de chansons obscènes ou impies, de pitoyables romans, ou quelque volume dépareillé d'un écrit, soi-disant philosophique : en sorte que leur âme, dans ce qui devrait développer sa vie, trouve la mort.
Vous n'êtes pas assez attentifs, mes amis, aux choix de vos lectures. Tout livre imprimé n'est pas bon, tant s'en faut : sur dix, on peut affirmer qu'il y en a neuf de mauvais. Or, si dans un festin on vous apprenait que sur dix plats neufs sont empoisonnés, ne vous tiendriez-vous pas sur vos gardes ? et ne consulteriez-vous pas avec un soin scrupuleux les hommes de l'art, afin de n'être pas exposés à vous tromper ? Faites-en donc de même pour votre nourriture intellectuelle. La santé de l'âme ne mérite-t-elle pas autant de sollicitude que celle du corps ?

Méfiez-vous de ces marchands ambulants qui, à côté d'une foule d'objets de parure, vous offrent des livres à bon marché. Méfiez-vous de ceux qui, dans les foires, tiennent boutique de petites brochures. Considérez si la Bible est dans le nombre ; sinon, passez votre chemin le plus vite possible, de peur qu'une page ou une gravure immorale ne frappent les jeune filles. Ces marchands ramassent ce qu'ils rencontrent de pire, parce que l'expérience leur a appris que les mauvais livres se vendent plus facilement que les bons. Que leur importe que, par ces lectures, des jeunes gens soient corrompus, des familles divisées, des crimes commis ; leur affaire, à eux, c'est d'y gagner de l'argent. Mais la vôtre, à vous honnêtes villageois, c'est de garantir de ces abominables tentations et vos moeurs et celles de votre famille.

Tâchez de ressembler à Louis Maucroix, le digne, l'excellent homme qu'on pleure encore dans son village. Louis Maucroix était un simple cultivateur comme vous, moins riche peut-être, car il ne possédait que trois ou quatre arpents de terre autour d'une maisonnette, mais sa pauvreté ne l'avait pas empêché d'avoir du goût pour l'étude. Étant jeune, il était le premier de son école; étant vieux, il fut le conseil et le guide de son hameau.

Chaque jour, au retour des champs, il consacrait au moins une heure à la lecture; en hiver, quand l'ouvrage ne pressait pas, il y employait toute la veillée Il avait dans un coin de sa chambre trois tablettes couvertes de livres. On y remarquait une grosse Bible au premier coup d'oeil ; la couverture et les pages en étaient usées, et attestaient un long service entre des mains habituées à manier la charrue. Près de la Bible étaient plusieurs volumes proprement reliés, sur les titres desquels on lisait les noms de Fénelon, de Pascal et de quelques sermonnaires. Dans une autre tablette figuraient les chefs-d'oeuvre de Corneille, de Racine, de Lafontaine, de Buffon, outre les lettres de Mme de Sévigné, un abrégé d'histoire ancienne, une histoire de France, et quelques volumes de voyage et d'agriculture. Enfin, la tablette supérieure était remplie de petits imprimés. C'est là, disait Maucroix à ses amis, que je garde la collection de l'Almanach des Bons-Conseils et une foule d'autres traités ou brochures que j'aime à retrouver dans mes heures de loisir.

Maucroix fut d'abord en butte aux moqueries des jeunes gens du village, parce qu'on ne le voyait à aucune fête le dimanche, ni dans aucun lieu de divertissement les autres jours.
Il est bien sauvage, disait-on : à quoi passe-t-il donc son temps? Il doit périr d'ennui, et si tout le monde lui ressemblait, adieu les plaisirs et la gaîté ! Mais ceux qui allaient rendre visite à Maucroix donnèrent tort à ces mauvais plaisants. Ils le trouvaient serein, content, un livre sur la table, et toujours prêt à rendre service à ses amis. Peu à peu quelques jeunes gens, plus sérieux que les autres, prirent l'habitude de passer deux ou trois heures chez lui le dimanche; car il leur lisait de bons livres, et les expliquait avec une rare facilité.

Il savait donner aussi d'excellents avis en toutes choses ; et sa réputation s'étant répandue dans les environs, il eut bientôt plus de visites qu'il n'en pouvait recevoir. Deux voisins avaient-ils un démêlé? Ils choisissaient Louis Maucroix pour arbitre, et le procès était fini avant d'avoir commencé. S'agissait-il d'une nouvelle invention : Louis Maucroix l'étudiait et la jugeait utile, en faisait l'application ; puis on l'imitait de confiance. La commune ayant une contestation avec un propriétaire du voisinage, Maucroix fut chargé de défendre les intérêts de sa localité, et s'en acquitta si parfaitement qu'on voulut le nommer maire du village.

Il serait difficile de raconter tout ce qu'il fit de bien autour de lui. Il apprit aux uns à aimer la religion, aux autres à la respecter du moins, et nul n'osait en sa présence se permettre la plus légère plaisanterie sur les vérités du christianisme. Il organisa des souscriptions pour les pauvres, et l'on ne rencontrait plus un mendiant dans la commune. On disait en forme de proverbe : Qui a pour lui Louis Maucroix a déjà prouvé son bon droit. Il vécut ainsi de longues années et s'endormit du sommeil des justes. Tout le village le pleura comme un père. Les vieillards s'écriaient : Pourquoi ne sommes-nous pas morts avant lui ? Les jeunes gens disaient : À qui demanderons-nous maintenant un bon conseil? Et les pauvres ajoutaient en sanglotant : Qu'allons-nous devenir ?

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(1) Tout cela s'applique d'une manière générale à la cruauté envers les animaux. Rien de plus lâche et de plus odieux que de maltraiter ces êtres qui ont, comme nous, le sentiment de la douleur, et qui épuisent leurs forces au service de l'homme. Le Seigneur veut bien qu'ils nous soient assujettis, mais c'est contrevenir à sa volonté que de leur infliger des souffrances qui ne sont pas absolument nécessaires. 
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