Me voici au terme de ma course; mais avant de me
séparer de vous, mes chers amis, je veux
encore vous adresser quelques paroles
d'exhortation. Il y a entre nous maintenant, je
l'espère, des sentiments de confiance
réciproque, et je puis vous parler tout
à fait à coeur ouvert.
C'est à vous, riches, que je
m'adresse premièrement, parce que vous avez
une plus grande influence, et dès lors une
plus grande responsabilité que les autres.
Votre place est belle au village : on vous observe,
on vous écoute, on sait votre exemple.
Comprenez bien que c'est là une
espèce de royauté qui vous impose des
obligations de plus d'un genre. Point de moyens
frauduleux, ni envers l'État ni envers les
particuliers pour grossir votre fortune; car si les
pauvres vous voyaient agir de la sorte, combien ne
s'y croiraient-ils pas encore plus autorisés
que vous ! Point de dérèglement dans
vos moeurs; car chacun s'appuierait de vos
désordres pour excuser les siens. Point de
plaintes contre le sort que Dieu vous a fait ; car
en entendant vos murmures, les autres penseraient
avoir le même droit d'éclater en
imprécations. De la piété
surtout, une piété sincère et
forte, vous pouvez beaucoup pour le réveil
de la religion autour de vous. En un mot, soyez les
modèles de vos voisins et leurs guides:
c'est à cette condition que Dieu vous a
donné des richesses ici-bas.
Les richesses ont leurs dangers aussi
bien que leurs jouissances, ne l'oubliez jamais.
« Un riche, disait Jésus, entrera
difficilement dans le royaume des cieux
»(Matthieu XIX, 23). Veillez donc, et
attentivement, de peur de vous
laisser prendre à la séduction de la
fortune. N'aspirez pas à étendre
continuellement les bornes de votre
héritage: la part qui vous a
été accordée est assez bonne,
et quand même vous auriez ajouté des
terres à des terres, en seriez-vous plus
heureux? Puisque tout doit bientôt aboutir
pour vous à une fosse et à un peu de
poussière, soyez moins inquiets de ce que
vous avez, et soyez-le davantage de ce que
deviendra votre âme au delà du
tombeau. « Que profiterait-il à un
homme de gagner tout le monde s'il faisait la perte
de son âme? Ou que donnera l'homme en
échange de son âme » (Marc, VIII,
36, 37) ?
Gardez-vous de l'orgueil aussi
soigneusement que de l'avarice. L'orgueil ne sied
à personne, pas même à l'homme
le plus vertueux, et combien moins encore à
l'homme riche ! Vos biens sont hors de vous, et ne
viennent pas de vous. « De qui vient la
différence entre toi et un autre? demandait
l'apôtre S. Paul. qu'as-tu que tu n'aies
reçu? et si tu l'as reçu, pourquoi
t'en glorifies-tu, comme si tu ne l'avais point
reçu ? » (1 Cor., IV, 7)
Voulez-vous que je vous indique le moyen
de vous garantir de la séduction des
richesses ? C'est d'en faire un bon usage. Soyez
charitables. Que la portion de vos biens qui
appartient aux indigents ne soit jamais
diminuée pour agrandir la vôtre. En
faisant cela, vous laisserez peut-être
quelques champs de moins à vos enfants, mais
vous leur laisserez un trésor infiniment
plus précieux : le souvenir de vos bonnes
oeuvres. Je vous exhorte aussi à la
charité, vous qui n'êtes ni riches ni
pauvres. Vous avez un peu de superflu : donnez
quelque chose de ce peu à celui qui n'a
rien. Le morceau de pain qui ne fera aucun vide
chez vous en remplira un chez d'autres, et c'est
là qu'il doit aller, selon la volonté
de Dieu.
Villageois d'une condition
médiocre n'ayez pas la
prétention de vous égaler aux riches.
Cette vanité, tout en ne vous procurant pas
les plaisirs de la fortune, vous ôterait ceux
de l'aisance. En regardant sans cesse à ceux
qui ont plus, vous croiriez avoir moins que vous
n'avez. Comparez-vous, non aux grands, mais aux
petits: vous aurez alors dans votre coeur et dans
votre bouche, au lieu de plaintes contre la
Providence, de continuelles actions de
grâces. Ne vous proposez de surpasser votre
prochain qu'en foi et en sainteté:
l'émulation, nuisible en toute autre chose,
ne l'est plus en celle-là, parce qu'à
mesure qu'on s'y élève, on y sent
mieux qu'on n'a rien de soi-même et que toute
grâce vient de Dieu.
À cette supériorité
dans la vie chrétienne, vous pouvez
également prétendre, vous dont les
jours sont difficiles et pesants. Loin d'être
un obstacle au progrès de la foi, la
pauvreté y est favorable, quand on sait
être pauvre selon le Seigneur. L'âme
n'a pas autant de barrières à
traverser pour se livrer à la contemplation
des biens invisibles, et pourquoi ne
béniriez-vous pas Dieu de vous avoir fait
une nécessité de ce qui vous aplanit
le chemin du bonheur à venir?
Non point que la pauvreté en
elle-même soit déjà un titre
pour obtenir l'héritage du ciel. Rejetez
cette erreur qui vous plongerait dans une fatale
sécurité. Un malheureux qui n'aurait
à offrir au souverain Juge, pour toute
justice et pour tout mérite, que son malheur
même, ne serait pas admis dans le royaume
céleste. Mais la pauvreté, nous
retenant à la terre par moins d'attaches que
la fortune, est plus propre qu'elle a nous faire
désirer et accepter les promesses de
l'Évangile. Profitez donc de votre indigence
pour acquérir les véritables
richesses, et, puisque vous avez les peines de la
pauvreté, tâchez aussi d'en recueillir
les fruits.
Jésus-Christ était pauvre
comme vous, et ce point de ressemblance que vous
avez avec le Rédempteur doit vous exciter
à rechercher les autres.
En vous tenant ce langage, mes chers
amis, je ne me cache pas les dures souffrances qui
vous sont imposées. Je sais qu'il y a dans
mon pays plusieurs millions de villageois, qui,
après le plus rude labeur, n'ont qu'un peu
de pain noir pour se nourrir, et une chétive
hutte de paille pour s'abriter. Je compatis
à toutes vos douleurs, et que ne puis-je les
adoucir ! Mais il y aura toujours des pauvres dans
le monde, c'est Dieu qui l'a dit, et que sont
devant sa volonté tous nos faibles efforts !
Ne pouvant changer votre destinée,
considérez-la sous un aspect qui vous la
rende non-seulement supportable, mais douce et
heureuse. Rappelez-vous que nous sommes
étrangers et voyageurs sur la terre, et des
voyageurs d'un jour. Qu'importe, pendant ce court
trajet, un peu plus de fatigue, ou un peu moins: la
seule chose nécessaire, c'est d'entrer dans
la patrie où le Seigneur nous attend. Ne
soyez donc pas envieux du sort des riches; et ne
murmurez pas. Demain, entre leur poussière
et la vôtre, quelle différence y
aura-t-il ? Mais la différence sera grande
pour vos âmes d'être à la droite
ou à la gauche de Dieu.
Outre l'inégalité des
fortunes, il y a dans les campagnes, comme
ailleurs, des distinctions fondées sur
l'inégalité des lumières. Les
uns sont instruits, et même savants, ainsi
qu'on les nomme; les autres ne le sont
point.
À vous donc, savants de village,
quelques mots d'avertissement. Vous avez bien fait
de cultiver votre esprit; mais soyez en garde
contre l'orgueil de la science, le pire des
orgueils et le plus faux. Parce que vous en savez
plus que vos voisins, n'allez pas croire que vous
savez beaucoup. Si vous étiez
comparés avec nos illustres savants des
villes, votre science paraîtrait bien petite;
et si, à leur tour, les lumières de
ces véritables savants étaient
comparées à celles qu'ils devraient
avoir pour connaître les secrets de la
religion et de la nature, on verrait que toute la
science humaine est
comme une
goutte d'eau sortie de l'océan de la science
divine.
Soyez donc modeste, et il vous sera
d'autant plus aisé de l'être que vous
vous instruirez davantage. Un sot est
présomptueux; un homme vraiment instruit ne
l'est point. Si quelqu'un s'extasie devant votre
science, faites-lui cette réponse que j'ai
lue quelque part : Mon ami, vos éloges ne me
donnent pas une meilleure opinion de mon esprit,
mais ils m'en donnent une pire du vôtre. Un
pareil langage vous garantira du poison de la
flatterie.
Préservez-vous aussi de cette
curiosité intempérante qui veut tout
savoir et tout juger. À force de courir
à travers les précipices des
montagnes, l'imprudent voyageur y tombe ; à
force de jouer avec des armes chargées,
l'étourdi jeune homme se fait de mortelles
blessures. Ne jouez pas non plus avec tous les
écrits qui vous viennent sous les yeux ; ne
courez pas follement au travers de tous ces
abîmes. Combien de pauvres savants de village
qui s'y sont perdus ! La tête leur a en
tourné, ou leur coeur s'y est
perverti.
Faites de vos livres comme le sage fait
de ses amis - examinez s'ils méritent votre
confiance, avant de la leur accorder. Mieux valent
deux amis sûrs que cent qui ne le sont pas :
ainsi des livres. Ne lisez pas trop, mais lisez le
meilleur. Vous y apprendrez plus, et vous n'aurez
rien à oublier. Pensez surtout à
cette règle, que toute science qui vous
éloigne de la religion, au lieu de vous en
rapprocher, est mauvaise. Défendez-vous
contre elle : ce n'est plus un phare qui vous
conduirait au port; c'est une torche sinistre
allumée par des mains perfides, pour vous
attirer et vous briser contre un
écueil.
Quant à vous qui n'avez fait
aucune étude, pauvres gens privés du
pain de la science, ne vous découragez
point. L'homme ne doit jamais prendre son parti de
ne rien savoir, puisqu'il peut à tout
âge, avec une résolution ferme,
apprendre quelque chose. Les exemples de personnes qui
ont appris à lire
entre quarante et soixante ans sont nombreux, et
à plus forte raison le sont-ils au-dessous
de cet âge. On ne doit
désespérer en matière
d'étude que de celui qui
désespère de soi-même : tant
qu'il croit pouvoir apprendre et qu'il le veut rien
n'est entièrement perdu.
Ayez donc confiance et courage, ô
vous qui, par la négligence de vos parents
ou par toute autre cause, n'avez pas
fréquenté les écoles dans vos
jeunes années. Cherchez les occasions de
vous instruire : il s'en trouvera, n'en doutez
point, et vous vous ouvrirez le monde de
l'intelligence, où vous goûterez des
joies qui vous ont été jusqu'ici
inconnues.
Enfin, après
l'inégalité des fortunes et celle des
lumières, il en existe une troisième
: l'inégalité des âges.
Vous qui êtes au milieu de la
carrière, chefs de famille, maris et femmes,
pères et mères, vous êtes
exposés à de grandes tentations. Vous
traversez l'époque de la vie où
s'accroissent outre mesure les affaires et les
soucis du monde. Une métairie à
diriger, un propriétaire à payer, des
enfants à élever, une
responsabilité immense et continuelle
à porter - quoi de plus dangereux pour les
âmes qui manquent de vigilance ? On est alors
assailli de tant de bruits qui montent de la terre
qu'on n'a plus d'oreilles pour entendre la voix qui
descend du ciel ; et le coeur, le pauvre coeur de
l'homme, se partage entre tant d'affections qu'il
n'a plus d'amour pour Celui qu'il devrait aimer de
toute sa force et de toute sa pensée.
On se console en disant : Je retournerai
à Dieu quand je serai délivré
du poids de mes affaires. Triste illusion ! folle
espérance ! Des affaires, vous en aurez
toujours. Si ce ne sont plus les vôtres, ce
seront celles de vos enfants ; si ce ne sont plus
les affaires de vos enfants, ce seront celles de
vos petits-enfants; si ce ne sont plus celles de
vos petits-enfants, ce seront celles du prochain,
ou les affaires de l'État ! ou celles du
monde entier. Les affaires ne se
détachent pas de l'homme ; c'est l'homme qui
s'en doit détacher, assez du moins pour
réserver à Dieu la première
place ; et s'il ne le fait pas, s'il compte que les
affaires le quitteront une fois d'elles-mêmes
pour laisser l'espace libre à la religion,
il ressemble à cet insensé qui
s'était arrêté sur le bord d'un
fleuve attendant qu'il fût à sec pour
continuer son voyage. Mais l'eau coulait, coulait
toujours, et il ne fit pas un seul pas de
plus.
C'est donc quand les inquiétudes
de la vie commencent à vous enlacer qu'il
faut résister vigoureusement à leur
despotisme; plus tard, le combat serait plus
difficile, et la victoire plus incertaine.
Conservez avec un soin jaloux dans vos
pensées et dans votre vie, la part qui est
due au Seigneur : celle du monde sera toujours
assez grande.
Et ne pensez pas que vos
intérêts actuels en souffrent. Je me
suis quelquefois demandé si ce que l'homme
perd à poursuivre avec moins d'ardeur les
biens d'ici-bas n'est pas compensé et au
delà par ce qu'il y gagne, en pratiquant les
vertus chrétiennes. De quelque
manière qu'on réponde à cette
question, toujours est-il certain qu'on ne saurait
citer une seule famille qui soit tombée dans
l'indigence pour avoir été pieuse, et
qu'on en citerait des milliers qui sont devenues
misérables pour ne l'avoir pas
été.
Maris et femmes, respectez vos mutuelles
obligations. Hors de là, nul bonheur vrai.
Ce qui est illégitime peut enivrer le coeur
un moment, mais ne le rend pas heureux. Au fond de
la coupe du vice il y a une lie amère que le
moindre vent fait monter à la surface.
Soyez-vous l'un à l'autre fidèles et
dévoués. Que l'être fort
protège l'être faible, et lui offre
dans son amour un appui qui ne fléchisse
jamais. Que l'être faible, à son tour,
soit la joie de l'être fort par ses tendres
sympathies et ses douces prévenances. En
plaçant la force d'un côté et
la grâce de l'autre, Dieu a fait entre les
deux sexes les parts égales et rendu l'un
nécessaire
à l'autre. N'essayez pas d'intervertir cet
ordre divin l'homme qui imite la femme se
dégrade la femme qui veut être homme
déchoit et s'anéantit.
Pères et mères, je ne vous
exhorte pas à aimer vos enfants : la nature
y a pourvu; mais je vous exhorte à les aimer
selon le Seigneur. Relisez souvent les
préceptes, que vous a donné l'Esprit
de Dieu pour vous diriger dans une oeuvre si
importante. Que nul travail, après celui de
votre salut ne vous soit plus sacré que
celui-là; car, dans toutes les autres
choses, vous travaillez pour le temps, ici pour
l'éternité. Quand la terre ne sera
plus, vos fils et vos filles vivront encore: ils
vivront avec le bien ou le mal que vous aurez fait
à leurs âmes. Que jamais cette
pensée ne vous quitte en présence de
vos enfants, elle mettra dans vos discours et dans
vos actes quelque chose de ce saint tremblement que
vous éprouverez devant le tribunal de
Dieu.
Jeunes gens, vous êtes dans cet
heureux âge où l'intelligence est
prompte, la mémoire fidèle, le coeur
ouvert. C'est maintenant que vous pouvez tout
apprendre, et que vous le devez. Aucun de vous
n'attend, pour s'instruire dans la profession
à laquelle il demandera des moyens
d'existence, que les années soient venues
augmenter les difficultés de sa tâche.
N'attendez pas non plus jusque-là pour vous
instruire de ce qui vous donnera la vie
éternelle. « Souviens-toi de ton
Créateur aux jours de ta jeunesse, avant que
les jours mauvais viennent et que les années
arrivent desquelles tu dises: Je n'y prends point
de plaisir » (Ecclés., XII, 3).
Ne comptez pas sur un avenir qui est
indépendant de votre volonté. Et
lorsque votre imagination abusée veut vous
persuader que vous aurez encore beaucoup de temps
pour vous préparer au jugement de Dieu,
allez dans le champ des morts, et lisez sur les
pierres funéraires l'âge de ceux qui y
reposent : combien n'en trouverez-vous pas qui, au
moment de leur départ,
étaient moins âgés que vous
n'êtes! Comme vous peut-être, ils
espéraient arriver jusqu'au soir, et ils
sont morts dès le matin. Ah ! loin de
compter sur des années, ne comptez pas
même sur le jour de demain. « La
lumière est encore avec vous pour un peu de
temps; marchez pendant que vous avez la
lumière, de peur que les
ténèbres ne vous surprennent »
(Jean, XII, 35).
Si les plaisirs du monde menacent de
vous séduire, examinez-les au flambeau de la
Parole de Dieu. Vous les verrez alors non plus avec
les charmes trompeurs qu'ils revêtent dans
une perspective lointaine, mais avec leurs
cortèges d'illusions et de douleurs. En
parcourant les vastes solitudes de l'Égypte,
le voyageur croit voir aux bornes de l'horizon des
arbres au vert feuillage et des eaux limpides; il
s'avance, il accourt le coeur joyeux, et ne trouve
qu'une plage aride et désolée. Ne
vous laissez pas tromper comme ce voyageur.
Jeunes gens, fuyez les mauvaises
compagnies, et si vous demandez à quels
signes vous les reconnaîtrez, sachez que
toute relation qui vous détourne de Dieu est
mauvaise. Les amis qu'il faut aimer sont ceux qui
nous font aimer Dieu encore plus
qu'eux-mêmes.
Cultivez soigneusement les dons que le
Seigneur vous a faits. Si vous avez une
intelligence heureuse, gardez-vous de la
négliger. Les livres, la science, les arts
peuvent s'allier au travail des champs, et lui
donnent un attrait nouveau. Une humble et riante
maison au village, quelques arpents de prairies, un
peu d'aisance avec la piété et le
goût de l'étude : quel sort sera plus
doux que le vôtre! Les princes de la terre en
devraient être jaloux.
Respectez la vieillesse; levez-vous
devant les cheveux blancs. La vieillesse a un corps
débile, et doit être soutenue par vos
pieuses mains; elle a un esprit mûri par les
ans, et doit être
vénérée. La vieillesse est la
vivante image du passé: aux berceaux des
enfants elle unit, par la chaîne des traditions,
les
tombeaux des
aïeux. Ne pas honorer les vieillards, c'est
insulter aux souvenirs et aux cendres de ses
pères; c'est briser ce que Dieu a voulu
joindre en laissant vivre ces témoins des
générations qui ne sont plus. Jeunes
gens, ne commettez pas un tel sacrilège ;
n'abandonnez pas à un morne isolement la
seconde enfance de ceux qui ont si tendrement
veillé sur la vôtre. Partout où
la vieillesse est méprisée, les
bonnes moeurs s'en vont et l'ordre social chancelle
sur ses fondements.
Et vous enfin, vieillards,
écoutez avec bienveillance les paroles d'un
homme qui s'incline avec respect devant vous, et
veut, selon le conseil d'un apôtre, vous
parler comme à des pères. La plupart
de vos compagnons d'enfance sont couchés
dans le sépulcre ; et vous êtes encore
sur la terre des vivants: soyez-en reconnaissants
envers le Seigneur. Monuments
vénérables de sa bonté et de
sa patience, il vous a donné le temps de
vous repentir et d'aller à lui. Ah ! si vous
avez négligé de le faire
jusqu'à présent, ne profiterez-vous
pas de ce retard de la mort pour vous
réconcilier avec Dieu par
Jésus-Christ?
Vieillards, vos jours sont
comptés. La mort, fatiguée de vous
attendre, réclame impatiemment sa proie, et
Dieu est prêt à la lui donner.
Êtes-vous prêts vous-mêmes
à comparaître devant lui? Les livres
qui vous doivent juger sont ouverts: votre nom y
est-il inscrit au nombre des rachetés du
Sauveur ? Sinon, je vous le dis encore,
hâtez-vous, hâtez-vous ! L'arbre qui a
longtemps occupé la terre, et qui l'a
occupée inutilement, ne sera-t-il pas
jeté au feu?
Et pendant que vous achevez votre course
avec la débilité qui en a
marqué le commencement, ne portez pas envie
à ceux qui ont plus de jeunesse et de
vigueur que vous. C'est une loi de la Providence
que, tandis que les uns montent, les autres
descendent. Vos enfants ont hérité de
votre force, comme vous aviez hérité
de celle de vos pères. Ne
regrettez pas avec amertume le passé ; ne
condamnez pas le présent avec humeur et
injustice. La somme de bien et de mal est toujours
à peu près égale entre les
générations ; et quand il balance
leurs défauts et leurs vertus, l'homme sage
est embarrassé de choisir.
Maintenant, chers lecteurs, il faut nous
quitter. J'aurais encore, sans doute, plus d'une
bonne parole à vous dire ; mais le temps
nous manquerait, à moi pour vous parler,
à vous pour m'écouter. Je vous
recommande à la Parole de Dieu et à
sa grâce ; elle vous instruira mieux que ma
faible voix.
Soyez chrétiens, soyez vertueux,
soyez heureux : trois choses qui n'en font qu'une,
et que vous trouverez en Jésus
crucifié. Adieu, mes amis. Puissions-nous,
après avoir vécu
éloignés les uns des autres ici-bas,
nous réunir tous dans le ciel, et chanter
ensemble le cantique des élus !
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