Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVEZ-VOUS DE LA PROBITÉ ?

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Quelle question ! direz-vous peut-être avec humeur; bien certainement j'ai de la probité; je suis un honnête homme ; jamais mon nom n'a figuré dans une mauvaise affaire, et j'ai le droit de porter la tête haute partout où je vais.

D'accord, mes chers lecteurs ; vous n'avez été ni des incendiaires, ni des meurtriers, ni des voleurs de grand chemin ; vous n'avez commis aucun crime qui vous ait déshonorés. Mais je crains pourtant, à n'en juger même que sur les maximes assez larges de la morale du monde, que vous n'ayez manqué souvent aux devoirs de la probité. Ne prenez pas d'avance le parti de nier vos fautes ; je vous en donnerai des preuves positives, et votre conscience décidera.

Parlons en premier lieu des torts faits à la société tout entière. Le gouvernement a établi des impôts ou des droits dont le produit est employé aux dépenses publiques. Or, ces droits de l'État, les avez-vous toujours exactement payés ? N'avez-vous jamais fait ni la contrebande sur les frontières, ni la fraude dans l'intérieur du pays ? Pesez bien ma question, et répondez franchement.

Il est vrai, direz-vous, nous avons fraudé les droits du gouvernement ; il nous est arrivé quelquefois de transporter de nuit nos boissons et d'autres objets qui sont soumis à une taxe, ou de n'en déclarer qu'une partie. Mais quoi ! les particuliers n'en ont éprouvé aucun dommage; l'État seul y a perdu, et il est assez riche pour supporter ces petites portes...
Est-ce là toute votre justification ? Je la trouve, laissez-moi vous le dire, aussi mauvaise que les actes mêmes que vous essayez de défendre. Comment ! parce que vous n'avez volé que le trésor public, vous pensez n'avoir fait tort à personne ? Mais au contraire, vous avez d'un seul coup fait tort à tout le monde, vous avez pris au pays tout entier, par des manoeuvres déloyales, ce qui lui appartient légitimement.

Ce sont de petites pertes, répondez-vous, et le gouvernement est assez riche pour n'en pas souffrir. Mais à quel titre vous faites-vous juges dans cette cause-là? Est-ce à vous à décider si le gouvernement souffrira de vos fraudes ou non ? Si quelque voleur se conduisait de la sorte à votre égard, et se disait, en dérobant une partie de votre bien: C'est un homme riche; il supportera aisément cette petite perte, lui donneriez-vous raison? Il me semble que vous le traduiriez en justice, et que vous lui diriez : Ce n'est pas à vous à prononcer sur ce qui m'est nécessaire ou ne me l'est point.
Et d'ailleurs, oubliez-vous qu'une masse de petites pertes finit par en former une très-grande. Si, dans tous les villages, dans tous les hameaux de la France, chacun faisait ce que vous faites, le dommage causé à l'État ne serait-il pas énorme? Les trois francs que vous lui prenez, multipliés dix millions de fois, font une somme de trente millions : appelez-vous cela une petite perte pour le trésor ?

Notez bien que les dépenses publiques exigent une somme qui s'élève à tel chiffre déterminé. Or, quand la contrebande et la fraude en ôtent une partie au gouvernement, il doit compléter par d'autres moyens ce qui lui manque : de sorte que les impôts étant augmentés d'un côté, parce que votre mauvaise foi les diminue de le l'autre, une multitude de vos concitoyens, et les plus pauvres comme les plus riches, paient au delà de ce qu'ils devraient faire en bonne justice. Il y a tel indigent à qui on a vendu peut-être son dernier meuble pour compenser ce que vous aviez enlevé au trésor. Si vos fraudes ne sont pas des actes coupables, des actes odieux, quel nom leur donnerez-vous ?
Mais c'est l'usage ! L'usage mes amis n'empêche pas une chose injuste; il ne rend pas légitimes le mensonge, la ruse, la fraude, la contrebande. Voler l'État, c'est toujours voler: si vous le faites, vous manquez à la probité, et vous êtes à cet égard, dans toute la force du terme, de malhonnêtes gens.

Venons-en à vos rapports avec les simples particuliers. Êtes-vous en ceci, du moins complètement, droits et intègres ?
J'ai bien peur que non.
On ne va pas en général, je le sais, enfoncer les portes ni les meubles pour voler l'argent de son prochain; mais dans combien de villages de France les pauvres ne se permettent-ils pas sans aucun scrupule de dérober des fruits, des légumes, du bois, et une foule de choses semblables : acte d'autant plus vil que ces objets sont confiés à la bonne foi publique, et devraient être respectés par elle. Je connais des cantons où les propriétaires sont forcés de cueillir les fruits à moitié verts, parce que s'ils les laissaient venir à maturité, ils les perdraient infailliblement. Quelles moeurs cela suppose ! et quel oubli des plus simples règles de la probité !

Voilà pour les paysans pauvres; mais les riches n'en font-ils pas autant à leur manière ? et ne sont-ils pas encore plus coupables, puisqu'ils n'ont pas même, comme les autres, l'excuse d'être dans le besoin !

On trompe communément sur la quantité, la qualité, la valeur réelle des denrées. Ou tâche d'abuser les yeux, en plaçant au-dessus ce qui est bon, et au-dessous ce qui ne vaut rien. Quand l'acheteur ne s'entend pas au prix des marchandises, on les lui fait payer le double de ce qu'il en devrait donner. Que de paroles fausses, de honteuses manoeuvres, de ruses indignes dans ces transactions ! Si l'on pouvait rassembler tout ce qui s'est dit et fait de contraire à la droiture dans une seule ville, pendant un seul jour de marché, les coeurs honnêtes s'en soulèveraient de dégoût.

Eh bien ! n'avez-vous rien fait de pareil, vous qui lisez ces lignes? N'avez-vous jamais dupé, volé vos acheteurs? N'avez-vous pas déclaré, pour mieux vendre vos denrées, ce que vous saviez positivement être faux ? N'avez-vous pas enfin dans votre bourse plus d'argent qu'il ne devrait y en avoir, si vous aviez toujours, agi avec intégrité ?

Répondrez-vous de nouveau: C'est l'usage ? Je vous répondrai à mon tour : L'usage ne vous justifie point. Vous avez violé vos devoirs d'honnête homme ; vous êtes coupables devant votre conscience et devant Dieu.
Hélas ! que parlé-je de conscience ? Plusieurs en sont arrivés au point, non-seulement de ne plus rougir de cette espèce de vol, mais de s'en applaudir. Quand ils ont imaginé quelque adroit mensonge, joué quelque tour subtil, fait quelque bonne dupe, ils s'en reviennent triomphants, et ne craignent pas de raconter à leur jeune famille les succès qu'ils ont obtenus. Quel méprisable triomphe ! Puissent-ils ne pas amèrement gémir plus tard de ce qui les rend si joyeux aujourd'hui !
Le bien mal acquis ne profite point. Si l'on n'est pas frappé dans sa fortune, on l'est dans sa santé, dans ses enfants, dans quelque partie sensible en un mot; et d'une manière ou de l'autre, la Providence punit tôt ou tard ceux qui commettent de telles choses.

Adrien Collard avait été, dans sa jeunesse, l'un des plus hardis et des plus heureux contrebandiers de la frontière.
Vingt fois, avec ses chiens bien dressés au métier, il avait franchi sans accident la triple ligne des douanes, Quand l'âge lui vint, se voyant à la tête d'une belle fortune, il renonce à l'état de contrebandier pour se faire cultivateur : Mais, dans son nouveau genre de vie il ne fut guère moins fripon que dans le premier.

Il s'était fait une loi de ne payer d'impôts au gouvernement que lorsqu'il y était absolument forcé. La fraude en tout et partout: c'était sa maxime, et il prenait même plaisir à en donner des leçons aux novices qui ne savaient pas encore jouer de si bons tours que lui aux douaniers et aux contrôleurs. Dans ses affaires avec les simples individus, même système: Adrien Collard trompait l'acheteur tant qu'il pouvait, et n'épargnait ni mensonges ni ruses pour faire payer ses marchandises le double ou le triple de leur valeur. Cette façon d'agir lui a attira, on le pense bien, plus d'une querelle, mais il ne s'en mettait pas en peine, lui qui avait bravé des adversaires tout autrement redoutables. Enfin il prospéra si bien qu'il s'amassa quatre à cinq mille livres de rentes, et chacun disait avec un sentiment d'envie : Voyez le vieux Collard ! Il était fils d'un pauvre journalier qui ne lui a pas laissé vingt sous d'héritage, et voici qu'il est un des plus riches fermiers du pays !

Mais en toute chose il est bon d'attendre la fin. Cette prospérité ne dura pas toujours, et Dieu montra clairement que, pour avoir retardé la juste punition d'Adrien Collard, il n'avait pas oublié sa mauvaise conduite. Le contrebandier avait deux fils et une fille. À force de l'entendre raconter les exploits de sa jeunesse, l'aîné se prit d'une vive passion pour l'ancien métier de son père. Il s'y jeta bientôt à corps perdu, faisant même dans l'occasion le coup de fusil contre les douaniers. Pas le plus léger remords de conscience, tandis qu'il volait le trésor de l'État et s'exposait à devenir assassin. Mais en envoyant des balles à la tête des douaniers, il courait le risque d'en recevoir lui-même, et un jour on le rapporta dans la maison de son père, tout sanglant et défiguré : il était blessé à mort. Adrien conduisit trois jours après les restes: de son fils aîné à leur dernière demeure, et dût reconnaître que, si la contrebande a ses charmes, elle a aussi ses peines. Il n'ouvrit pas la bouche, cependant, contre son premier métier, de peur de démentir le langage de toute sa vie; mais sa douleur, étant concentrée, n'en devint que plus amère, et son coeur saigna longtemps en dedans.

Le second de ses fils, averti par ce triste exemple, se contenta de la profession de cultivateur qui lui paraissait plus sûre et presque aussi lucrative. Mais dans cet état comme dans l'autre, Adrien Collard avait donné à ses enfants de mauvaises leçons qu'ils avaient trop bien retenues. Le jeune homme renouvela si fréquemment ses friponneries, et les poussa si loin, que ses dupes commencèrent à s'en fâcher sérieusement. On lui fit coup sur coup des procès qu'il perdit, et son argent s'en alla encore plus vite qu'il n'était venu. Ce ne fut pas tout. L'attention étant éveillée sur son compte, on le surveilla plus exactement, et comme il continuait à frauder les droits de l'État, il fut jeté en prison. La première punition ne le corrigea point, et il en subit une deuxième beaucoup plus longue. Dans la prison il fit connaissance avec des misérables qui lui inspirèrent la passion de l'ivrognerie et de la débauche. Il devint par degrés le plus mauvais sujet de la contrée; et Adrien Collard, craignant d'être ruiné par ce fils dépravé, crut n'avoir d'autre parti à prendre que de le chasser de sa maison.

Restait une fille : elle ne fit ni la contrebande ni la fraude comme ses frères, parce que la faiblesse de son sexe ne le comportait pas; mais elle avait appris de son père à estimer l'argent par-dessus tout. Elle se maria : l'époux qu'elle avait choisi uniquement pour sa fortune était aussi avare qu'elle. Les discussions d'intérêt. s'élevèrent entre le gendre et le beau-père : tous deux refusaient de faire la moindre concession pour avoir la paix. La femme donna raison à son mari contre son père; Que dirai-je encore ? Les réunions de famille n'étaient remplies que d'aigres disputes. La fille déclara enfin qu'elle ne remettrait plus les pieds dans la maison paternelle, et tint parole.

Ainsi, au déclin de ses jours, Adrien Collard demeura seul, car il était veuf depuis plusieurs années. Rien pour adoucir, pour soutenir sa triste vieillesse; des infirmités, le poids des ans, le poids du malheur, l'amertume de la solitude; et pas un sourire d'enfant qui vînt le consoler. Plût à Dieu qu'à toutes ses autres peines se fût jointe celle du remords, car le remords l'aurait conduit peut-être à la source de la paix et de l'espérance. Mais la seule tristesse qui lui eût ouvert un meilleur avenir était justement celle qui lui manquait. La fortune qu'il avait acquise avec tant de fatigue et par de si coupables moyens, ne lui apportait aucun soulagement. Il n'en savait plus que faire ; il gémissait de la laisser à deux enfants, dont l'un la dissiperait en ignobles orgies, et dont l'autre s'en était rendu indigne par son ingratitude. Oh ! quelle dure et sombre existence que la sienne! On ne l'enviait plus; on s'en détournait avec effroi, et parce qu'il était devenu misérable, on ne cessait de rappeler ses fautes, qu'on paraissait avoir oubliées aux jours de sa prospérité.

Collard ne survécut pas longtemps à de si poignantes infortunes. Il s'étendit sur un grabat solitaire, et y ferma les yeux sans que sa fille dénaturée fût venue une seule fois s'asseoir à son chevet. On rapporte seulement qu'un de ses voisins, allant le voir par pitié, l'entendit murmurer à sa dernière heure : J'ai été le plus malheureux des hommes. Pourquoi ne suis-je pas resté pauvre et intègre comme mon père? Il est mort en paix, et je meurs dans le désespoir.

Qu'est devenue son âme au delà du tombeau ? Dieu l'a jugée : notre regard, à nous, doit s'arrêter devant la pierre du sépulcre. Mais les douleurs qui ont rempli sa vie terrestre ne suffisent-elles pas, mes amis, pour vous apprendre que l'homme est châtié par les conséquences des péchés mêmes auxquels il s'est abandonné ? Il y a des exceptions à cela, j'en conviens ; mais elles sont rares dans ce monde, et impossibles dans le monde à venir.

De la probité; une probité vraie, stricte, constante : c'est le chemin le plus sûr en même temps que le plus honorable. Ne donnez point à vos fils et à vos filles des exemples de mauvaise foi qu'ils mettraient en pratique, non-seulement contre les autres, mais contre vous-mêmes. Qu'ils s'instruisent plutôt, en vous voyant faire, à ne s'écarter jamais des sévères maximes de la conscience : ils s'en trouveront mieux et vous aussi.

Prenez garde de vous préparer une vieillesse chargée de regrets et de déshonneur. Quand on se voit descendre vers la tombe, on a bien assez du fardeau des années sans y ajouter les peines domestiques et les déchirements de coeur qui accompagnent si souvent la fin d'une vie sans probité. Les richesses que vous auriez pu amasser n'y feraient rien : les larmes ne coulent pas moins abondantes ni moins amères devant des monceaux d'or que sous le toit vide et un de l'indigent.

Ne vous rassurez point en pensant que vous n'avez pas été aussi loin dans votre manque de droiture que cet Adrien Collard le mal que vous avez fait n'en est pas moins du mal. Si vous n'avez pas été contrebandiers ni fraudeurs comme Adrien, vous avez été peut-être, dans vos relations avec votre prochain, aussi menteurs, aussi trompeurs que lui. Croyez-vous donc que la différence entre lui et vous soit si considérable, et que votre sort, en rigoureuse justice, devrait être beaucoup plus heureux que le sien?

D'ailleurs, et je vous prie de bien méditer sur cette réflexion que je vous adresse en terminant, les petites fautes conduisent aux grandes. Vous faites tort aujourd'hui à votre prochain de quelques centimes; cela vous paraît peu de chose; mais demain, entraînés à votre insu par ce premier succès, vous lui ferez un tort plus considérable. Les brigands fameux qui ont porté leur tête sur l'échafaud, et sont morts au milieu des imprécations publiques, ont la plupart commencé par de petits larcins, et ce n'est que peu à peu qu'ils se sont aguerris jusqu'à commettre d'exécrables attentats. Eux-mêmes, soyez-en sûr, ne se doutaient pas du chemin qu'ils feraient dans une telle carrière; ils ont été poussés, emportés par leurs premiers pas sur cette pente rapide, et ne se sont arrêtés qu'au fond de l'abîme.

Mes amis, ne posez pas le pied sur le bord du précipice avec le fol espoir de vous arrêter un peu plus bas : vous avez plus de forces pour n'en pas approcher que vous n'en auriez pour vous retenir. Soyez donc scrupuleux sur ce que vous appelez de petites choses comme sur les grandes. Ne mentez point, ne trompez point, ne fraudez rien, ne prenez ni à l'État ni à qui que ce soit un denier au delà de ce qui vous est dû, Votre bonheur terrestre le demande, et combien plus encore votre bonheur éternel !

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