Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

N'ÊTES-VOUS PAS SUPERSTITIEUX?

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S'il y a peu de gens vraiment pieux dans nos campagnes, on y trouve, en revanche, une foule de gens superstitieux. Cela s'explique : la vraie piété demande à l'homme le sacrifice de ses mauvais penchants, tandis que la superstition s'arrange avec eux, ou semble même les justifier. On comprend donc pourquoi l'une est généralement repoussée, et l'autre bien accueillie.

Les superstitions populaires se divisent en plusieurs classes. Quelques-unes, et les plus accréditées, prétendent s'appuyer sur la religion même. On attribue des effets miraculeux à certains pèlerinages, à certaines reliques, à l'invocation de tel saint en tel jour et avec telles cérémonies.

Un malade s'imagine que, pour avoir gravi, pieds nus, la montagne qu'on lui indique près de son hameau, ou pour s'être baigné dans une fontaine consacrée au souvenir d'un ancien ermite, il sera infailliblement guéri.
Un autre, tourmenté dans sa conscience par le souvenir d'un crime, se persuade qu'en faisant les mêmes choses il sera délivré de ses remords. Tous deux s'en vont donc où la superstition les appelle ; mais le malade de corps revient chez lui un peu plus souffrant qu'il ne l'était à son départ ; et, si le malade d'esprit a peut-être mieux réussi à se guérir, c'est qu'il est plus aisé de tromper sa conscience que de se délivrer d'une infirmité physique. Au fond, ils ont également perdu l'un et l'autre leur temps et leurs pas.

Eh ! comment peut-on croire, en effet, que ces vaines pratiques soient réellement bonnes à quelque chose ? Si les reliques d'un saint ou les eaux d'une fontaine guérissaient les maux, du corps et de l'âme, tout l'ordre des voies de Dieu dans la nature et dans la religion serait complètement renversé ; car le corps et l'âme seraient alors soumis à d'autres lois que celles que nous connaissons, à des lois incertaines et capricieuses ; il n'y aurait plus rien de déterminé, rien d'assuré, en sorte que pour avoir obtenu ces bénédictions extraordinaires, nous ne saurions plus comment nous conduire dans le cours habituel des affaires humaines.

Rejetez donc avec mépris ces fausses idées et ces faux miracles. Que les malades se guérissent, quand ils le peuvent, par de bons remèdes et par le régime ; que les consciences angoissées cherchent le repos près de Celui qui peut nous le donner, parce qu'il a payé la dette de nos péchés sur la croix : voilà ce qu'enseignent la raison et la Parole de Dieu.

Quand on vient vous raconter de grands prodiges opérés par ces reliques et ces pèlerinages, allez vérifier les faits, si vous en êtes curieux ; interrogez, observez de près les gens qui doivent avoir été si parfaitement guéris, et vous saurez bientôt à quoi vous en tenir.
Que si, par un heureux accident, quelque malade a recouvré tout à coup la santé, ne vous pressez pas encore de crier au miracle. Est-il étonnant que, sur dix ou vingt mille personnes qui ont recours à de pareils moyens, il y en ait une ou deux qui soient délivrées de leur maladie ? On devrait s'étonner, au contraire, que la puissance de leur imagination, le voyage qu'elles entreprennent, l'émotion qu'elles éprouvent ne produisît jamais ce résultat. Il n'y pas là, croyez-moi, le moindre prodige.

D'autres superstitions, plus absurdes encore s'il est possible, règnent dans nos campagnes. Telle est celle qui fait supposer à beaucoup de villageois, quand ils perdent quelques têtes de leur bétail, qu'on a jeté sur elles un mauvais sort. Au lieu de penser que ces bêtes sont mortes tout naturellement par l'effet d'une épidémie ou d'une maladie ordinaire, on en accuse ce prétendu sortilège. Bien plus, on cherche, on désigne, on trouve l'individu qui doit l'avoir jeté sur les troupeaux. De là, des haines, des sentiments de vengeance, des injures, et quelquefois pis. On fait un mal réel pour punir un mal imaginaire, et l'on frappe des innocents pour se venger de la perte de pauvres animaux qui sont morts par la volonté de Dieu.

Quelle folie ! quelle honte pour notre pays et pour notre siècle ! Un mauvais sort ! Mais qu'est-ce qu'un mauvais sort ! Pourriez-vous me l'expliquer ? C'est une maladie communiquée malicieusement à nos troupeaux, dites-vous. Mais comment leur a-t-elle été communiquée, je vous prie ? Est-ce en leur donnant à manger une herbe malfaisante ou à boire une eau empoisonnée? Non, répondez-vous, c'est un regard, une parole méchante lancée en passant, qui a fait tout le mal. Quoi ! vous accordez à un homme, et à un homme pervers, un tel privilège ! il lui suffirait d'un regard, d'une parole pour répandre la mort autour de lui ! Mais alors il serait aussi puissant que Dieu même !

Vous n'y avez pas réfléchi assurément. Ce sont là des extravagances nées dans un temps de profondes ténèbres : les petits enfants devraient rougir de les adopter aujourd'hui.
Soyez raisonnables enfin. Si l'un de vos amis vient vous dire, quand vous avez perdu subitement quelques bêtes, que c'est l'effet d'un sort jeté sur elles, haussez les épaules, et répondez à ce pauvre homme. Allez faire vos contes ailleurs ; je ne suis pas aussi stupide que vous le croyez.
J'attends encore plus de votre raison. Quand vous entendrez menacer quelqu'un sur l'accusation d'avoir jeté un mauvais sort contre les troupeaux de vos voisins, prenez hardiment sa défense. À coup sûr, il est parfaitement innocent de cette faute-là. Ne souffrez donc pas qu'il porte la peine d'un crime qu'il n'aurait pas pu commettre lors même qu'il l'aurait voulu.

La distinction des jours heureux et malheureux est du même genre que l'idée du mauvais sort: ces deux folies peuvent se donner la main. Ne vous mettez pas en route, ne rentrez pas vos récoltes, ne vous mariez pas, ne faites aucune affaire ce jour-là, vous dit un paysan d'un air solennel et mystérieux. Et pourquoi donc ? Parce que c'est un mauvais jour, il vous porterait malheur.
Sur cela, bien des villageois renvoient à un autre jour ce qu'ils devraient faire immédiatement, et ce délai entraîne parfois de fâcheuses conséquences, Un voyage retardé compromet toute une entreprise; une récolte laissée vingt-quatre heures de plus à la pluie se perd : en voulant éviter d'agir dans un jour soi-disant malheureux, on s'attire un véritable malheur.

Qu'est-ce donc que cette distinction des jours? Sur quoi se fonde-t-elle ? Y a-t-il dans la nature quelque signe qui fasse reconnaître un mauvais jour de celui qui ne l'est pas ? En aucune manière. Le soleil se lève aussi brillant le vendredi, par exemple, que les autres jours; l'air est aussi pur, la terre aussi bien parée de verdure et de fleurs. Et pourtant s'il était vrai que ce fût un jour pire que les autres, la bonne Providence ne nous l'aurait-elle pas indiqué? Elle annonce de loin l'approche de l'orage; n'aurait-elle pas également annoncé la venue d'un jour fatal ? Une pareille superstition est donc une sorte de blasphème contre la bonté de Dieu.

Mes amis, voulez-vous savoir quels sont les jours malheureux et ceux qui ne le sont pas? Le jour malheureux, c'est celui où vous commencez un voyage, un labour, un travail quelconque, sans avoir prié le Seigneur, et sans avoir bien réfléchi sur les moyens de conduire votre projet à bonne fin, Le jour heureux, c'est celui où vos prières et vos réflexions ont précédé l'exécution de vos entreprises. Voilà ma distinction des jours elle est plus sage que là vôtre, et ne cause aucun délai fâcheux.

Là superstition que je combats ici, est encouragée, j'en conviens, par certains almanachs très-répandus, mais elle n'en est pas moins extravagante. Ces almanachs sont de mauvais écrits dont je vous engage à vous défier. Ils flattent les préjugés des villageois pour trouver plus de lecteurs, c'est-à-dire pour gagner plus d'argent; et ce bénéfice qu'ils font aux dépens de votre crédulité, vous le payez souvent bien cher.
Non-seulement ils vous parlent des bons et des mauvais jours, mais ils ont encore la prétention de vous prédire le beau temps, la pluie, les orages, la grêle, les guerres, la mort des princes, et tout le reste. Auriez-vous la bonhomie de croire à ces prédictions? Un homme qui serait véritablement prophète ! Mais comprenez-vous bien qu'un tel homme devrait avoir en lui une inspiration particulière de Dieu ? Ah! je vous le dis, cet homme-là ne s'amuserait pas à faire des almanachs pour vivre. Le prophète qui vend ses prédictions pour deux sous est un grossier charlatan qui ne doit tromper que des sots.

Allez dans la ville voisine; montez dans une vieille petite chambre, et vous verrez là, devant une mauvaise table boiteuse, au milieu de quelques bouquins tous usés, un pauvre bonhomme en habit râpé, lequel, en écrivant ses prétendues prophéties, rit en lui-même des sottises qu'il va faire imprimer, et des crédules paysans qui vont les acheter? Et vous pourriez vous laisser prendre à de pareilles niaiseries ! Mes chers lecteurs, si vous étiez dupes de ce charlatanisme, et qu'il vous en arrivât quelque malheur, vous mériteriez qu'au lieu de vous plaindre, on se moquât de vous.
Dès que vous trouvez une prédiction dans un almanach, fermez-le sans en lire une seule ligne de plus, et dites : Voilà un impudent menteur! Vous ne risquerez jamais de vous tromper.

Je n'ai pas encore épuisé le catalogue des superstitions populaires : ce chapitre est aussi long que triste. Combien de gens qui, étant frappés de quelque grande affliction, croient qu'un tel individu réputé sorcier les pourra délivrer de leur peine ! En attendant, ils lui donnent ce qu'ils ont de meilleur : argent, sacs de blé et ce qui s'ensuit, c'est-à-dire que, dans l'espoir d'échapper à la ruine, ils travaillent eux-mêmes et de tout leur coeur à se laisser ruiner.

Les époux Dubois étaient renommés à plusieurs lieues à la ronde pour leur esprit d'ordre et d'activité. Le mari était laborieux, économe ; et la femme, ne sortant guère de chez elle, tirait parti de tout dans le ménage. Depuis quatre ans qu'ils étaient ensemble, ils avaient pu déjà ajouter à leur petite ferme un morceau de terre de fort bon rapport; Dieu leur avait aussi donné un fils, le plus charmant. petit enfant du village. Par malheur, il tomba gravement malade. Il y avait alors deux choses à faire, bien simples et bien faciles : il fallait premièrement implorer sur cet enfant la bénédiction du Seigneur, ensuite appeler un bon médecin; mais les Dubois ne firent ni l'un ni l'autre, et aimèrent mieux se confier aux hommes qu'à Dieu.

Dans les environs demeurait un homme qui passait pour sorcier. On ne savait d'où il était venu, ni de quoi il vivait; il habitait seul dans une hutte écartée, ne fréquentait personne; on l'entendait prononcer à voix basse des mots inintelligibles ; et quand il venait au village, il se couvrait la figure d'un large chapeau sous lequel brillaient des yeux creux et ardents comme des charbons enflammés. Les enfants avaient peur de lui, et les hommes même ne se souciaient pas de passer le soir trop près de sa cabane. Le bruit courut bientôt que c'était un sorcier, et cette opinion ne diminua pas la terreur qu'il inspirait.

Si nous allions consulter le vieux Carion, dit la mère Dubois dans un moment d'angoisse; il nous donnerait peut être un bon avis; et elle versait des torrents de larmes, en contemplant le front tout pâle de son fils. Le mari, aussi peu éclairé qu'elle, approuva la proposition. Dès le jour même, ils coururent, tout tremblants, interroger le soi-disant sorcier. Celui-ci, prenant un ton d'autorité, leur fit raconter point par point toute leur histoire, en ayant soin de les questionner sur leur petite fortune. Il apprit que les Dubois étaient à leur aise, et disposés à tout sacrifier pour conserver leur enfant. Là-dessus, il bâtit son plan comme vous l'allez voir.

Mes amis, leur dit-il en secouant la tête d'un air mystérieux, la guérison de votre enfant est difficile; vous avez attendu bien tard pour me consulter, mais enfin, par compassion pour vos peines, j'essaierai. Il faudra employer dans cette maladie, je vous en préviens, des moyens extraordinaires et qui coûteront beaucoup. J'ai dans mes collections une plante rare, qui a été cueillie sur une montagne des Indes, et dont la vertu est merveilleuse. Je vous en donnerai bien une partie; mais, je le répète, c'est très-cher.

La mère éplorée demanda le prix de la plante, et quoique son mari fît quelque difficulté de payer ce qu'on en demandait, elle l'en conjura si vivement qu'il finit par y consentir. Le champ, acquis par des années de travail et d'économie, fut vendu. On administra la plante rare à l'enfant, avec les prescriptions indiquées par le sorcier; mais la maladie ne s'en alla point. Bien loin d'être déconcerté par ce mauvais succès, le vieux Carion prit un ton encore plus magistral, et assura qu'un nouveau symptôme qu'il venait d'observer chez le malade exigeait un remède plus efficace. Il fallait se procurer l'écorce d'un arbre dont le sorcier prononça lé nom dans une langue inconnue, et sur cette écorce verser un élixir dont il avait le secret, puis faire bouillir le tout dans une eau sur laquelle il aurait fait tourner trois fois sa baguette magique, en prononçant des paroles sacramentelles. Tout cela ne pouvait s'obtenir encore que, par une forte somme d'argent. Les Dubois, une fois entrés dans cette mauvaise voie, ne voulurent pas reculer, de peur de perdre tout ce qu'ils avaient déjà donné à Carion. Leur amère affliction, d'ailleurs, les rendait crédules. Mais ni l'écorce de l'arbre inconnu, ni l'élixir, ni les trois tours de la baguette magique, ni les paroles sacramentelles ne produisirent le moindre effet; l'état de l'enfant malade empirait toujours.

Chers lecteurs, le courage me manque pour achever ces tristes détails. Qu'il vous suffise de savoir que le misérable Carion arracha aux époux Dubois, pièce à pièce, tout ce qu'ils possédaient au monde. Tantôt, c'était le sang d'une brebis tachetée de certaine manière qu'il fallait verser sur un linge pour en envelopper la tête du malade, et Carion faisait payer la brebis tout entière; tantôt c'était une potion merveilleuse qu'il fallait composer, et dont Carion vendait les ingrédients au poids de l'or. La chose dura tant et si bien que l'enfant mourut au même jour que les Dubois avaient donné leurs dernières hardes pour le sauver, et ils se trouvèrent sans meubles et sans pain, à côté du cadavre de leur fils.
Vous jugez des malédictions dont ils poursuivirent l'infâme charlatan; mais ces malédictions ne leur rendirent ni leur fils ni leur fortune. Un médecin vint constater le décès de l'enfant, et ayant appris quels avaient été les caractères de la maladie, il déclara qu'il aurait probablement pu la guérir en peu de jours.

Carion fut cité devant les tribunaux à la requête du maire de la commune, et condamné à plusieurs années de prison. C'était une satisfaction accordée à l'indignation publique, mais encore une fois elle ne fit pas recouvrer aux Dubois l'être chéri qu'ils avaient perdu. La mère mourut de douleur six semaines après son fils. Le père traîna une existence misérable ; il n'avait plus le coeur à l'ouvrage, il devint mendiant, et se jeta dans de grossiers excès pour s'étourdir.

Voilà ce qu'il en coûte d'être superstitieux. Cinquante exemples pareils à celui que je viens de raconter occupent, chaque année, nos tribunaux. Mes chers lecteurs, il n'y a point de sorciers: il n'y a que d'indignes fripons qui cherchent à duper les paysans trop crédules. Rappelez-vous que les seules ressources qui soient vraiment bonnes contre toute espèce de malheur, c'est la prière d'abord, et puis la science du médecin, l'activité dans le travail, la prudence, la sobriété, l'économie. Employez ces moyens : ils ne peuvent manquer de vous réussir.

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