Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SUITE DU PRÉCÉDENT :

QUE FAUT-IL FAIRE POUR AVOIR DE LA RELIGION?

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Persuadez-vous bien d'abord que, pour être chrétiens, vous avez quelque chose à faire. Certaines gens tombent à cet égard dans une étrange illusion. Lorsqu'on leur demande : Que faites-vous pour vous rapprocher du Seigneur? elles répondent avec un grand sang-froid: Rien du tout. Comme il ne dépend pas de nous de changer nos idées et nos sentiments, nous laissons faire à Dieu, après avoir pratiqué les formes de notre culte. S'il veut nous donner plus de piété, il le fera : s'il ne le veut pas, nous n'y pouvons rien.

Il y a dans cette opinion du vrai tout ensemble et du faux, et c'est cela même qui la rend plus perfide : une erreur complète n'ayant aucun point d'appui dans la conscience, ne se soutiendrait pas si longtemps. Ce qu'il y a ici de vrai, c'est que Dieu seul peut changer et convertir les âmes; ce qu'il y a de faux, c'est que l'homme n'ait rien à faire pour obtenir cette conversion.
Une comparaison expliquera ma pensée.

Les fruits de la terre, d'où nous viennent-ils? De la main de Dieu, assurément. C'est lui qui a mis dans la terre un principe de fertilité; c'est lui qui, en ordonnant au soleil de se lever et à la pluie de tomber, fait germer, croître et mûrir les plantes.
Or, si un laboureur vous disait : Puisque la moisson vient de Dieu, je ne cultiverai pas mon champ, et je n'y répandrai pas de semence, que lui répondriez-vous? Vous lui diriez que, d'une maxime très-vraie, il tire une très-fausse conséquence ; que la moisson vient de Dieu, sans doute, mais qu'il ne la donne qu'autant que la terre a été cultivée et la semence répandue.

C'est une loi universelle, que tout nous est donné de Dieu, mais à condition que nous serons, suivant une parole de l'Écriture, ouvriers avec lui. Rien n'est véritablement à nous que nous n'y ayons mis la main. Et pourquoi donc la foi chrétienne ferait-elle seule exception à cette règle générale? Si le Seigneur exige notre coopération pour nous accorder les moindres choses, comment ne la demanderait-il pas pour la plus grande et la plus précieuse de toutes !

La Bible, d'ailleurs, tranche la question. Elle nous déclare en mille endroits que nous devons chercher, demander, heurter à la porte, écouter, travailler, agir enfin, et de toutes nos forces, pour entrer et demeurer dans la voie du salut. Si, d'un côté, elle nous enseigne que tout, dans l'oeuvre de notre délivrance, est un don de Dieu, elle nous apprend, de l'autre, que rien ne nous est accordé sans notre concours.

Vous devez donc faire quelque chose pour avoir de la religion; mais quoi ? quelle marche suivre ? quels moyens employer ? Lisez ce que fit Étienne, vieux soldat de l'Empire : son exemple vous instruira mieux que mes préceptes.

Étienne était encore très-jeune quand la Révolution chassa les prêtres et ferma les églises; il fut dès lors privé de toute instruction religieuse, Sa mère lui avait bien appris quelques prières dans son enfance; mais c'étaient de simples formules auxquelles il ne comprenait rien, et il les eut bientôt oubliées. Point de lectures ni de conversations pieuses dans sa maison; plus de culte dans son village. Des jurements, des blasphèmes, des cris de vengeance et de mort contre les ministres de la religion, des fêtes impies en l'honneur d'une courtisane qu'on appelait la Raison ou la déesse de la liberté: telle fut l'éducation de ses jeunes années.

Plus tard, la guerre l'appela sur les champs de bataille. Il assista aux grandes victoires de l'Empereur, du Caire à Moscou. Le bruit des armes, le siège et le sac des villes, les scènes de meurtre et de sang, tout ce qu'il vit, tout ce qu'il fit ne servit qu'à étourdir son âme et à la détourner de Dieu. Jamais, malgré la mort qu'il voyait chaque jour face à face, une seule pensée religieuse ne venait traverser son esprit; il ne comprenait que l'ardeur de la lutte, l'emportement de la bravoure et l'ivresse du triomphe.

Il revint au village après la chute de Napoléon. Ses parents n'étaient plus. Il se trouva seul, et s'ennuya de son isolement. Le récit de ses exploits militaires était un plaisir qui le fatigua bientôt, lui et ses amis. Il chercha donc une compagne, et fut assez heureux pour rencontrer l'une des plus aimables et des plus douces créatures qui aient été formées pour le bonheur de l'homme.

Étienne devint père ; des sentiments inconnus remplirent son coeur, et il commençait à goûter toutes les joies du foyer domestique, lorsque sa femme et son fils lui furent subitement enlevés.

N'essayons pas de peindre la douleur d'Étienne; elle était trop vive, trop profonde pour pouvoir s'exprimer dans aucune langue humaine. Ses compagnons de plaisir ne tentèrent pas même de l'arracher à son morne abattement; ils s'effrayèrent d'un désespoir qui surpassait tous leurs moyens de consolation. l'un de ses voisins, cependant, homme sérieux, qui ne s'était guère lié avec lui dans ses jours heureux, entreprit d'apporter quelque soulagement à sa peine. Il lui parla de Dieu et du ciel, et lui dit que sa femme et son fils n'étaient pas tout entiers dans le tombeau.

Étienne, en tout autre circonstance, ne l'aurait pas écouté jusqu'au bout, mais il s'était amolli sous les coups du malheur, et la pensée de revoir sa femme et son enfant fut la première consolation qui descendit au fond de son âme, et la ranima. Il interrogea son voisin sur ce qu'il devait faire pour apprendre à connaître la religion et tous deux se mirent à genoux pour implorer sur ces faibles commencements la bénédiction du ciel.

Étienne s'acheta une Bible. Jusqu'alors il n'en avait pas lu le premier mot; il n'en citait de mémoire quelques passages que pour s'en moquer. Il se mit à lire dans un tout autre esprit. Au lieu d'y voir un sujet de dérision, il arrosait souvent de ses larmes les pages du livre sacré.

Des doutes venaient pourtant l'assaillir. Il trouvait dans la Bible plus d'une doctrine obscure qui lui paraissait difficile à croire. Comment pourrais-je admettre, se disait-il, ce que je ne comprends pas! Il eut recours aux lumières de son pieux voisin. Leurs conversations sur ces points mystérieux se continuèrent longtemps. Le vieux soldat prétendait toujours qu'il n'était tenu de croire qu'à ce qu'il pouvait expliquer, et son ami lui répondait : Tout est mystère pour notre faible intelligence. Nous ne comprenons, pas comment notre âme est unie à notre corps, ni comment une idée de notre esprit fait mouvoir nos bras et nos mains ni comment une semence jetée en terre produit une plante; le moindre objet, un brin d'herbe, un grain de sable renferme des abîmes que nous ne pouvons sonder. Or, si nous sommes incapables. de tout expliquer dans le monde visible, de quel droit prétendrions-nous tout expliquer dans le monde invisible ? Mon ami, continuait l'homme pieux, consentons à être ce que nous sommes : de pauvres créatures ignorantes et bornées. Il y a dans l'Évangile des choses qui confondent notre raison, mais qui en même temps rassurent et réjouissent notre coeur. Eh bien ! que notre raison soit confondue, pourvu que notre coeur soit dans la joie. Nous aurons beaucoup gagné d'un côté, et qu'aurons-nous perdu de l'autre?
Alors ils priaient de nouveau ensemble, et les doutes d'Étienne s'évanouissaient par degrés dans les effusions de la prière.

Mais une seconde difficulté s'éleva, plus grande encore, que la première, et plus difficile à vaincre. Étienne sentait bien qu'il avait commis beaucoup de fautes dans sa vie; il les avouait avec la franchise d'un soldat; mais il refusait opiniâtrement de confesser qu'il n'avait eu aucune bonne qualité, ni fait aucune bonne oeuvre depuis qu'il était dans le monde.
Après tout, disait-il, si j'ai commis des fautes, je n'en ai pas commis autant que plusieurs de mes camarades. Ils pillaient, ils maltraitaient, ils égorgeaient sans pitié des vieillards et des femmes; ils mêlaient aux plus détestables atrocités de longs éclats de rire: pour moi, j'ai toujours eu horreur de ces excès, et quand je l'ai pu, je les ai empêchés.

Mon digne ami, répondait son voisin, ce n'est pas par les actions des méchants que vous devez juger les vôtres, mais sur la loi de Dieu. En vous comparant à certains hommes, vous pouvez vous croire à demi juste; mais cette justice examinée au flambeau de la loi de Dieu, ne vous paraîtra plus qu'un vaste amas d'iniquités et de souillures. Qu'importe que vous n'ayez pas été précisément aussi méchant que tel de vos anciens compagnons d'armes, si vous l'avez assez été pour mériter une condamnation éternelle.

Pensez-vous qu'un accusé serait absous devant les tribunaux humains, par cela seul qu'il aurait prouvé qu'il n'a pas commis autant de crimes que d'autres ? Non, le juge lui lirait les articles du code qu'il a violés, et prononcerait contre lui la peine écrite dans la loi.
Faisons d'avance comme ce juge : ouvrons la Bible; voyons si nous n'avons pas désobéi à tous les commandements du Seigneur, et sachons nous condamner nous-mêmes, pour que le souverain Juge ne nous condamne point.

Là-dessus, ils lisaient dans les saintes Écritures de la loi. Étienne se défendait encore, et disputait pied à pied le terrain de sa prétendue justice. Il lui semblait qu'il devait à tout prix offrir, quelque chose au Seigneur en récompense de la grâce qu'il demandait; mais son ami lui montrait clairement que les meilleures de ses oeuvres portaient la profonde empreinte de l'égoïsme et de l'orgueil.
Ce sont des fruits d'une belle apparence, lui disait-il; mais ouvrez-les : un ver impur les ronge au dedans.
Puis, les deux amis recouraient à la prière qui avait toujours plus de puissance que les meilleurs arguments pour convaincre Étienne, et pour l'humilier.

Le combat dura des mois entiers. Il y avait des jours où le vieux soldat paraissait entièrement convaincu de péché; il s'étonnait alors de la grande patience de Dieu, qui, pouvant d'une seule parole appeler son âme en jugement, ne l'avait pas frappé au milieu de ses impiétés et de ses désordres. Mais, le lendemain, toutes ces bonnes impressions semblaient avoir été effacées comme par la main d'un puissant adversaire. Il s'irritait à la pensée d'être confondu dans une même réprobation avec les plus vils scélérats, et répétait que, dans sa carrière militaire, il avait été compatissant et généreux.

L'homme pieux qui le dirigeait ne se rebuta pas de ses résistances; il savait que le coeur naturel de l'homme renonce à tout plutôt qu'au sentiment de ses mérites, et que, pour déraciner cet orgueil, il faut prier beaucoup. Il redoubla donc de prières pour son ami, quand il était seul, et avec lui, quand ils étaient ensemble, étant persuadé que celui qui demande avec foi, sans hésiter, sera certainement exaucé.

Étienne se soumit enfin à toutes les déclarations de la Bible; il s'écria du fond de son âme, comme le péager : 0 Dieu ! sois apaisé envers moi qui suis pécheur. Une tristesse qu'il n'avait jamais connue s'empara de tout son être; mais cette tristesse, loin de l'arrêter dans sa course, lui donnait en quelque sorte des ailes pour l'amener plus vite au pied de la croix.

Le Sauveur des hommes devint son Sauveur. Étienne put dire avec une entière confiance: Christ est mort pour moi, pour moi proprement, Je ne suis plus sous la condamnation, car il m'a réconcilié avec Dieu par l'effusion de son sang. Je ne suis plus esclave du péché: Christ m'a affranchi par le don de son Esprit. Je ne crains plus, la mort : il l'a vaincue et lui a ôté son aiguillon. Je suis assuré d'aller au ciel, car il est allé m'y préparer une place; et il ne m'oubliera point maintenant que je crois et que j'espère en lui, puisqu'il ne m'a pas oublié quand j'étais incrédule.

Le nouveau converti posséda pleinement la paix de l'Évangile. Sa joie ne ressemblait pas à celle qu'il avait ressentie dans un jour de victoire, ni même à celle qu'il avait goûtés près de sa chère compagne ; elle était infiniment plus pure que la première et plus durable que la seconde. il s'écriait en versant de douces larmes : Mon Sauveur ! mon Sauveur ! pourquoi t'ai-je connu si tard ? Pourquoi t'ai-je résisté si longtemps? Ah ! je veux désormais t'aimer de toute mon âme, te suivre partout où tu iras, et marcher par ta grâce dans le sentier de la justice, en attendant d'aller me reposer éternellement dans ton sein.

Ce n'était pas un enthousiasme passager. Étienne était réellement un homme nouveau, et le prouva par ses oeuvres. On fut d'abord tout surpris dans son village du changement qui s'était fait eu lui; on n'y concevait rien quelques-uns même en plaisantaient, disant qu'apparemment une de ses vieilles blessures s'était rouverte, et lui avait fait perdre la raison; mais ces propos moqueurs tombèrent vite. Étienne était trop sage dans ses discours, trop charitable dans sa conduite, pour être longtemps accusé de folie. On passa du mépris à l'admiration ; et quoi de plus noble, en effet, et de plus touchant que de voir ce brave soldat de Marengo et de Wagram allant s'asseoir au chevet des malades pour les consoler, et partageant avec le mendiant infirme le morceau de pain qu'il avait gagné par vingt ans de combats ! Quelquefois aussi, il réunissait autour de lui, quelques petits enfants qui ne s'effrayaient ni de son âge ni de son front cicatrisé, parce qu'il leur expliquait avec la tendresse et là douceur d'un père les paraboles de Jésus.

Quoique pauvre, il acquit bientôt sur les habitants du village plus d'ascendant que les riches, parce qu'on le savait plus désintéressé et plus dévoué. Ses exhortations, ses instructions, ses exemples eurent sur un grand nombre de ses amis une heureuse influence. Il leur apprit à connaître le Seigneur et à l'aimer. Des réunions pieuses se formèrent dans sa maison; il y présidait, il y priait, et ses paroles empruntaient de ses bonnes oeuvres une force qui leur ouvrait le chemin des coeurs.

Il vécut ainsi quelques années, et au moment de s'endormir du dernier sommeil il dit à ceux qui pleuraient autour de sa couche : Mes amis, ne pleurez point, mais réjouissez-vous. Je m'en vais à Dieu; je contemplerai mon Sauveur face à face, et je deviendrai semblable à lui. Ne pleurez point. c'est ici le plus beau jour de ma vie, le jour de mon éternelle délivrance; il m'est bon de déloger pour être avec Christ. Pensez à votre propre fin ; soyez prêts à partir, quand le Seigneur redemandera votre âme. Adieu, mes amis, adieu. Que la grâce du Seigneur soit avec vous dans la vie et dans la mort !

Chers lecteurs, méditez sur ce récit, et vous y verrez ce qu'il vous faut faire pour avoir de la religion. Ouvrez la Bible, et priez. Comparez vos oeuvres avec la loi de Dieu, et priez. Humiliez votre raison devant les révélations de l'Écriture, et priez. Sentez vos misères, et priez. Regardez à la croix du Sauveur, et priez. Convertissez-vous, sanctifiez-vous par la puissance de l'Esprit divin, et priez.
Que la prière précède, accompagne et suive tout le reste. Il est impossible que celui qui prie avec persévérance ne soit pas béni; car cette persévérance même, étant déjà l'effet d'une grâce de Dieu, est une garantie que nous en recevrons d'autres et de plus abondantes.

Si vous n'avez pas éprouvé les mêmes afflictions que le pieux Étienne, vous avez eu pourtant les vôtres, qui étaient autant d'appels d'en haut pour vous détacher de la terre. Et en admettant, ce qui est bien rare, que vous ayez joui jusqu'à présent d'une prospérité constante, n'est-ce pas un motif de plus pour vous engager à chercher le Seigneur et à le servir? Pourriez-vous être si ingrats que d'employer ses bienfaits mêmes à vous détourner de lui? Heureux ou malheureux, approchez-vous de Dieu, et il s'approchera de vous.

Je sais qu'il y a dans la plupart de nos villages des gens qui vous donneront de tout autres conseils. Ce sont des savants, comme on les appelle, c'est-à-dire des hommes qui ont lu quelques mauvais livres de philosophie, ou des romans et des journaux pleins d'impiétés et d'immoralités. Mais les savants de cette espèce ne méritent aucune créance. Ils ont assez appris pour être orgueilleux, et l'on arrive aisément jusque-là ; mais ils n'ont pas assez appris pour être humbles.
S'ils étaient plus éclairés, ils mettraient plus de réserve dans leurs discours sur la religion. Les ignorants seuls décident de tout en courant ; les véritables savants réfléchissent beaucoup, et parlent avec modestie.

Ne vous confiez donc point à ceux qui tâcheraient de vous éloigner des idées religieuses. Au lieu de les en croire sur parole, considérez leurs actions. Voyez s'ils ne sont pas égoïstes, médisants, dédaigneux, avares, querelleurs, gonflés de la plus insupportable vanité. Seriez-vous donc aveugles à ce point de vous en remettre à ces gens-là de ce que vous devez faire pour le salut de vos âmes? Laissez-les dans leur incrédulité, s'ils s'obstinent malheureusement à y rester ; plaignez-les et priez pour eux; mais quant à vous, entrez dans une voie meilleure. Soyez religieux, soyez chrétiens. Saisissez la vie éternelle qui vous est annoncée et promise dans. l'Évangile. Ne retardez pas le travail de votre salut ; rachetez le temps : il est court, il est incertain, il s'en va et ne revient plus. Ne dormez pas comme les autres, mais veillez et marchez dans la lumière, afin de pouvoir dire, comme l'apôtre saint Paul, à votre dernière heure : « J'ai combattu le bon combat ; j'ai achevé ma course ; j'ai gardé la foi. Au reste, la couronne de justice m'est réservée, et le Seigneur, juste juge, me la donnera en ce jour-là, et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui auront aimé son avènement » (2 Tim., IV, 7, 8.).

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