Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVEZ-VOUS DE LA RELIGION?

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Cette question vient la première, parce que tout le reste en dépend : notre salut dans l'autre vie, notre vertu et notre bonheur dans celle-ci.

Avez-vous donc de la religion
Je prévois mes chers lecteurs, ce que plusieurs de vous me répondront : Nous avons été baptisés; nous avons fait notre première communion; nous assistons aussi régulièrement que possible au service divin; et quand on nous demande quelque sacrifice pour les frais du culte, nous y consentons volontiers. Nous avons donc toute la religion qu'il nous faut avoir.

J'entends, mais prenez-y garde : il est possible d'être tout ce que vous êtes, de faire tout ce que vous faites, sans avoir le plus petit commencement de foi chrétienne. Vous avez été baptisés, mais à votre baptême, que pouviez-vous comprendre et promettre ? Vous avez fait votre première communion, mais l'avez-vous faite avec intelligence et dans un véritable esprit de piété? Vous assistez régulièrement au service divin, mais y assistez-vous de coeur? Vous donnez quelque chose enfin pour l'église, mais ces dons ne vous sont-ils pas arrachés par le respect humain plutôt qu'inspirés par l'amour de Dieu?

Il faut d'autant plus vous exciter à y réfléchir sérieusement qu'il règne en général dans nos campagnes un triste esprit de formalisme. On substitue au fond des choses la simple pratique des cérémonies. C'est le corps tout seul qui entre dans l'église, mais l'âme n'y vient pas avec lui; elle est dans les champs, sur la place du marché, dans un cabaret peut-être, enfin partout ailleurs que devant Dieu. Or, si l'on habillait un cadavre, et qu'on le fit asseoir sur les bancs de l'église, diriez-vous qu'il a pris part au service religieux ? Et pourtant qu'êtes-vous autre chose que ce cadavre dans la maison du Seigneur, quand votre âme n'y est point?

J'ai vu souvent des villageois qui, ne jugeant pas même nécessaire de se placer dans l'intérieur de l'église, se tenaient en dehors, à quelques pas de la porte, et durant la messe faisaient la conversation aussi librement que dans une balle. Ils causaient de leurs récoltes, de leurs troupeaux, de leurs ventes, de leurs achats, tout le long de l'office sauf qu'à un certain moment ils s'inclinaient en signe d'adoration; puis ils s'en allaient la conscience tranquille, disant qu'ils avaient fait leur devoir. Malheureuse profanation ! illusion insensée ! (1)

Les anciens Juifs n'étaient pas tombés jusque-là; ils avaient plus de respect pour les formes de la religion, et néanmoins parce que leur coeur y demeurait étranger, le Seigneur leur dit : « Ne continuez plus à m'apporter des oblations de néant... Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos fêtes solennelles : elles me sont fâcheuses; je suis las de les supporter » ( Esaïe, I, 13, 14.).

Cet esprit de formalisme est si différent de la foi qu'il s'allie fréquemment chez le même homme avec de mauvaises passions, avec des actes criminels. En voici un exemple entre mille, et qui vous fera toucher comme au doigt l'intervalle qui sépare le formaliste du chrétien.


Jacques Perrin... Mais, avant de continuer, un mot d'explication. Si quelque lecteur cherche dans mes histoires des personnalités contre tel de ses voisins, et qu'il dise : C'est Pierre, c'est Jean, c'est Paul, ou tel autre, il aura tort: je ne veux accuser personne en particulier. Mais, s'il trouve ici le portrait de ses propres défauts et qu'il tâche de s'en corriger, il aura raison. Ceci soit dit une fois pour toutes, et je poursuis.

Jacques Perrin est considéré, dans son village comme un homme religieux, et même comme un dévot. Personne plus que lui n'est exact aux offices; on ne citerait pas depuis trente ans une seule grand'messe à laquelle il n'ait pris part sur son banc de marguillier. Il suit, un cierge à la main, et d'un air contrit, toutes les processions; il communie régulièrement aux grands jours; bien plus, il va en pèlerinage à certaines fêtes de l'année, et n'y épargne ni son temps ni sa peine.

Curieux de savoir ce qui en était de cette dévotion, et me rappelant cette parole du Seigneur, que l'arbre se connaît par son fruit, je me suis mis à observer attentivement Jacques Perrin. Hélas ! mes chers lecteurs, que mon mécompte a été grand ! et qu'il m'a fallu rabattre de la bonne opinion qu'on a de lui !

Perrin se vante sans cesse d'avoir de la religion, beaucoup de religion; il se compare aux autres pour se préférer à eux, et n'accorder d'éloges qu'à lui seul. Là-dessus je me suis souvenu du pharisien de l'Évangile qui se glorifie de n'être pas comme le reste des hommes, et j'ai dit en moi-même - La vraie piété ne s'enfle point, non plus, que la vraie charité qui en est le fruit.

Un chrétien est humble, et celui-là est orgueilleux : comment serait-il chrétien ? J'ai remarqué, en outre, que Jacques Perrin est dur envers ses serviteurs, et qu'il exige d'eux un travail tellement au-dessus de leurs forces, que le plus robuste et le plus laborieux ne demeure guère chez lui plus de six mois. En voyant cela je me suis dit : Un chrétien est bon envers ses inférieurs ; celui-là les traite avec dureté : comment serait-il chrétien?

Jacques Perrin fait plus : il prête à usure. Plusieurs de ses voisins et de ses parents même en savent quelque chose. Il a profité de leurs besoins pour les dépouiller. Non content de prendre ses sûretés avant de leur confier son argent, il leur a imposé des conditions qui les ont enfin ruinés. L'un y a perdu le champ qu'il avait hérité de ses pères; l'autre, le métier qui le faisait vivre. Il est vrai que Perrin fait ensuite l'aumône à ceux qu'il a réduits à la demander; mais pour des pièces d'or il ne leur rend que des liards, et avec quelle mauvaise humeur ! Sur cela je me suis dit - Un chrétien doit aimer son prochain comme soi-même; celui-là le pressure et le précipite dans la misère : comment serait-il chrétien ?

Enfin, sans parler des ruses et des mensonges dont Perrin ne se fait pas faute, j'ai vu toujours plus clairement qu'il ne pense qu'à se bâtir des greniers pour y entasser toutes ses récoltes, qu'à s'arrondir par l'achat des propriétés du voisinage, en un mot qu'il est avare; et j'ai pensé en moi-même : Le chrétien cherche avant tout à s'amasser des trésors dans le ciel; celui-là ne travaille qu'à s'amasser des trésors sur la terre. Comment serait-il chrétien ?

J'ai compris alors que cet homme, loin d'être meilleur que les autres, est pire, puisqu'il a tous leurs défauts, et qu'il y ajoute celui de se croire le plus religieux des habitants de son village. Prenez donc garde de vous séduire vous-même comme Jacques Perrin.

Et Marguerite Letourneur ! Ne vous parlerai-je point de celle-là ? La vieille Marguerite pousse encore plus loin que Perrin les pratiques dévotes; elle ne sort presque pas de l'église, mais quand elle en sort, quelle méchante langue ! quelle ardeur à colporter de maison en maison tous les scandales de la paroisse ! On dirait qu'elle n'apprend dans le sanctuaire de Dieu qu'à être plus habile dans l'art de déchirer son prochain. Personne n'échappe à ses amères critiques. Malheur à la jeune fille qui a osé mettre quelque nouvelle parure ! Malheur au jeune homme qui n'a pas écouté ses remontrances d'un air assez docile ! Elle ne médit pas seulement de ce qu'elle voit, mais de ce qu'elle croit voir, et à force de chercher partout du mal, elle en invente.

Le présent ne lui suffit pas, elle revient sur le passé avec une mémoire impitoyable. Ce que tout le monde a oublié, elle ne l'oublie point ; ce que Dieu a pardonné peut-être, elle ne le pardonne point, Telle pauvre créature qui a eu la honte de faillir vingt ans auparavant, est encore sa victime à l'heure qu'il est ; Marguerite ne cessera de la frapper qu'en descendant au tombeau.

Apprenez de ceci à ne pas confondre les apparences de la piété avec la piété même, et gardez-vous de ressembler à Marguerite Letourneur.
Avez-vous donc de la religion ?
Je m'assure que vous serez maintenant moins prompts à répondre affirmativement, et que vous m'interrogerez à votre tour pour me demander : À quels signes pouvons-nous reconnaître si nous avons de la religion, ou si nous n'en avons point?

Mes amis, la religion dont je vous parle c'est la foi chrétienne avec les fruits qu'elle doit porter. Or, la foi est d'abord la persuasion intime, pleine et ferme, que Jésus-Christ est notre Sauveur; et pour arriver à cette persuasion, il faut avoir compris et admis que l'homme, être déchu de sa nature, est condamné à cause de ses mauvaises oeuvres ; car quiconque ne se regarde pas comme perdu ne sentira pas le besoin d'être sauvé.

Avez-vous donc ouvert les yeux sur votre misère naturelle, sur vos péchés propres, sur votre état de condamnation, et avez-vous crié au Seigneur, pour être pardonnés et délivrés ? Le Seigneur, exauçant votre requête, vous a-t-il accordé cette délivrance ? Avez-vous cru, et croyez-vous qu'il a lui-même payé sur la croix, de son propre sang, de sa propre vie, la rançon de vos iniquités ! Est-ce bien là votre expérience personnelle, votre expérience actuelle ? C'est à votre conscience à répondre devant Dieu.

La foi est encore, selon la définition du Saint-Esprit, une vive représentation des choses qu'on espère, et une démonstration de celles qu'on ne voit point (Héb., XI, 1.).

Celui qui croit sincèrement voit avec l'oeil de l'âme ce que l'oeil du corps ne peut voir, les grandes réalités du monde à venir; il les saisit, il les possède, il en a l'avant-goût. La paix de Christ pénètre son coeur et le remplit ; il est joyeux ; il ne doute point dans son espérance des biens éternels. Est-ce là ce que vous éprouvez ? Que votre conscience réponde encore devant Dieu !

La foi. chrétienne, enfin, doit porter des fruits par la puissance du Saint-esprit. Le chrétien tâche d'obéir à Dieu en toutes choses, au dedans comme au dehors, en secret comme en public; car il sait que pour aller à lui et pour demeurer dans sa communion il faut avoir un coeur pur, des mains pures, une vie pure. Et comme il a une vue claire du bonheur qui lui est promis, il ne recule devant aucun sacrifice pour se rassurer. Il est patient, il est tempérant, il est fidèle, il est charitable.
S'il doit renoncer à ce qui lui est le plus cher ici-bas pour garder la vie de Christ, il le fait. S'il fallait donner le monde entier pour être avec Dieu, et que ce monde fût en son pouvoir, il le donnerait. Il « cherche premièrement le royaume de Dieu et sa justice (Matth. VI, 33.). » Est-ce là ce que vous faites? Interrogez toujours votre conscience, et qu'elle réponde devant Dieu!

Tous ces caractères sont, il est vrai, divers et variables dans la carrière du chrétien. Le soleil est quelquefois voilé de nuages épais; l'eau du fleuve est quelquefois troublée par l'orage ; l'âme du fidèle est aussi en certains jours, obscurcie et troublée. Mais à travers le plus sombre nuage, brille pourtant un rayon lumineux; sous la surface agitée, l'eau poursuit son cours vers l'Océan; de même, sans nier les abattements et les défaillances de la foi chrétienne, on peut affirmer qu'il lui reste, jusque dans ses plus mauvais jours, quelque chose de vivant et d'actif. Avez-vous cette vie et ses oeuvres, sinon où est votre foi ?

Nous voilà dans un tout autre monde, je le crains, que celui où vous étiez d'abord placé. Il ne s'agit plus de formes extérieures, de pratiques dévotes, ou du moins nous les laissons dans leur ordre secondaire; il s'agit de la conversion de l'esprit et du coeur, de la sainteté, du renoncement à soi-même et du dévouement à Dieu.

Nous n'avons jamais rien entendu de semblable, direz-vous peut-être, et c'est une nouvelle religion que vous venez nous annoncer. Oui, elle est nouvelle, en effet, quand on la compare à la facile et commode religion inventée par les hommes pour rassurer leur conscience, tout en n'abandonnant point leurs passions.
Mais cette religion, si nouvelle pour le grand nombre, et qui le sera toujours à ses yeux, est aussi ancienne que l'Eglise de Jésus-Christ, aussi ancienne à quelques égards que la création de l'homme sur la terre: c'est la religion de Dieu. Ouvrez la Bible, et vous n'en douterez point.

C'est trop exiger de nous, dira-t-on encore. Oui, c'est trop pour l'homme livré à lui seul; non, ce n'est pas trop pour celui qui demande et obtient les grâces du Saint-Esprit. Quand d'un coeur simple et sincère nous prions Dieu, il met en nous ce qu'il attend de nous; il nous donne ce que nous lui devons offrir. Essayez de vous transformer en une nouvelle créature par vos propres moyens, et plus vous redoublerez d'efforts, plus vous serez accablés du sentiment de votre impuissance. Tendez au même but en vous appuyant sur la main de votre Père céleste, et vous ne broncherez pas. Rien sans le Seigneur, tout avec lui et par lui : c'est le langage de l'Écriture et celui de l'expérience.

Mais nous n'avons donc pas eu de religion jusqu'à présent, et tout en nous est à recommencer. Cela peut être; c'est même très-probable pour ceux précisément qui font cette objection. Est-ce là ce qui pourrait vous arrêter ?
Et parce que vous avez marché vingt ou quarante ans dans l'erreur serait-ce une raison pour n'en pas sortir?
À ce compte, plus un voyageur s'est égaré, plus il a de motifs pour ne pas revenir sur le droit chemin !

Mais que faire pour avoir de la religion? C'est ici que je vous attendais, mes chers lecteurs, je vais vous répondre, en implorant sur vous la bénédiction de Dieu.

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(1) On peut juger du peu de religion des villageois par l'usage si général des jurements. Prendre le nom de Dieu en vain, prononcer d'affreuses imprécations contre ses ennemis, contre ses voisins, contre les animaux qui nous servent, et en certains cas contre soi-même, quoi de plus commun, et en même temps quoi de plus contraire à la vraie piété ! Tenez-le pour certain quiconque a l'habitude de jurer est impie dans son coeur, quelles que soient les apparences contraires. 
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