Habitants du village, c'est ici le livre d'un
inconnu, mais d'un inconnu qui vous aime. Le
même Dieu nous a créés; nous
sommes membres de la même famille : vous
êtes mes frères, et je suis le
vôtre. Quels titres sacrés à
votre bienveillance et à vos sympathies
!
J'espère que, durant les longues
veillées de l'hiver, ou le
soir du dimanche, plus d'un chef de famille ouvrira
ce livre pour le lire avec ses enfants. Au dehors
de la chaumière tout est calme, au dedans
tout est bien rangé; chacun vient de prendre
le dernier repas de la journée, et rien ne
distrait les auditeurs qui veulent s'instruire
encore par une bonne lecture, avant d'aller
chercher dans le sommeil des forces pour le travail
du lendemain.
Quelquefois, le père de famille
s'interrompt pour demander : À quoi peut
nous servir ce qui est écrit dans ce livre?
Quelle application devons-nous en faire à
nous-mêmes? Et le vénérable
aïeul, assis près du feu dans son large
fauteuil de chêne, ajoute à cette
lecture les réflexions que lui inspire sa
vieille expérience. Il parle avec une douce
autorité, comme un homme qui, en traversant
de longs jours, a beaucoup vu et beaucoup souffert.
L'attention redouble alors, et le plus jeune des
enfants avance la tête pour mieux
écouter.
Heureuse la maison qui passe de la sorte
ses veillées ! Sur elle repose la
bénédiction de Dieu. Le malheur
pourra encore y entrer, il est vrai; mais ce sera
un malheur adouci par l'union domestique et
consolé par la religion.
Mes amis, le langage que je vous
tiendrai sera sincère et franc. La franchise
est comme un remède amer, qui répugne
d'abord au malade, mais qui lui paraît, doux
ensuite parce qu'il l'a guéri.
Il n'y aura ni détours ni
flatteries dans mes paroles. Vous ne me verrez pas,
à l'exemple de tant d'autres, peindre la
campagne comme le séjour d'une candide
innocence et d'un parfait contentement. L'homme est
homme partout, vivant dans le péché,
et par conséquent dans la douleur. Vous
n'avez pas tous les défauts de l'habitant
des grandes villes, mais vous avez les
vôtres; et quel meilleur service pourrais-je
vous rendre que de vous les signaler ?
S'il y a dans ce livre quelque reproche
qui ne s'applique pas à votre
caractère ni à votre
conduite, ne vous hâtez pas de dire :
Voilà un écrivain qui exagère
! Allez plus loin, et vous y trouverez ce qui
s'adresse à vous. Il est bien sûr que
nul n'achèvera cette lecture sans y
découvrir, s'il le veut, de quoi devenir
meilleur.
Je vous parlerai aussi
très-simplement. Point de grandes phrases,
point de mots, prétentieux entre vous et moi
; ce serait un voile qui vous cacherait ma
pensée. Imaginez que l'un de vos voisins,
ayant à vous communiquer une affaire
importante, employât des termes que vous
auriez peine à comprendre, ne
l'inviteriez-vous pas à s'expliquer avec
plus de simplicité ? Eh bien ! je ne veux
point ressembler à ce voisin-là. Je
vous dirai, sans vaine recherche, ce que j'aurai
dans l'esprit ou sur le coeur; et si quelqu'un
refuse de suivre, mes conseils, au moins
n'aura-t-il pas l'excuse de dire qu'il ne les a pas
compris.
Enfin, je me placerai toujours, en vous
parlant, devant Celui qui sonde le fond des
consciences. Écoutez-moi donc comme je vous
parle : en présence de Dieu. Si nous le
voyons sans cesse à notre droite, nous ne
serons point tentés, vous de repousser la
vérité ni moi de la trahir.
Mais vous me demanderez peut-être
de quel droit je remplis auprès de vous une
mission à laquelle vous ne m'avez pas
appelé. - Où sont vos titres,
direz-vous, pour nous reprendre et nous exhorter
à mieux faire? Manquons-nous de guides qui
nous montrent le bon chemin ? - Ma réponse,
chers lecteurs, sera courte: Ne vous ai-je pas dit
que vous êtes mes frères ?
Supposons un moment que vous soyez
suffisamment instruits de vos devoirs; cet
écrit ne vous servira-t-il à rien?
Non, il pourra vous être utile encore, parce
que les mêmes préceptes, venant de
divers côtés, se graveront mieux dans
votre souvenir. Mais cette supposition ne
s'appliquera qu'à bien peu de lecteurs. Que
de gens qui ne savent pas ce qu'ils auraient le
plus besoin de savoir. Ils se corrigeraient
peut-être, étant avertis; mais ne
l'étant point, ils vivent
et meurent dans une ignorance fatale.
Ceux-là songeraient-ils à me
contester le droit de leur faire un peu de bien
?
Hélas ! quand je
réfléchis que des vingt-cinq millions
de villageois qui existent en France, la plupart
manquent presque entièrement des
lumières et des directions qui leur seraient
si nécessaires ; quand je pense que beaucoup
d'entre eux, plus à plaindre encore que les
ignorants, sont mal instruits et commettent sans
remords, ou même avec je ne sais quelle
approbation de leur fausse conscience, une foule
d'actes coupables; quand je me représente
enfin qu'il s'agit pour ces millions d'hommes,
non-seulement de rendre plus heureuse leur
destinée d'un jour, mais de leur indiquer la
route du bonheur éternel : à ces
graves réflexions, je sens
profondément que j'ai quelque chose à
vous dire, et que je dois vous le dire sans retard.
« Parle, me crie l'Esprit comme à
l'apôtre saint Paul, et ne te tais point.
»
Je voudrais, au lieu de converser avec
vous par l'intermédiaire de ce froid papier,
pouvoir aller moi-même par toute la France,
de chaumière en chaumière ; et puis
quand nous aurions invoqué ensemble le nom
du Seigneur Jésus-Christ, nous nous
expliquerions à coeur ouvert sur les grands
intérêts du temps et de
l'éternité. Çà et
là, sans doute, je rencontrerais une
âme qui se confondrait avec la mienne dans
ces doux entretiens, en attendant qu'elles soient
réunies pour jamais dans le sein de notre
Père qui est aux cieux.
Mais je ne le puis : un livre ira plus
loin que je ne saurais aller. Accueillez-le donc,
à la place de l'auteur, avec une fraternelle
bienveillance, et le Seigneur veuille le
bénir pour vous et pour vos enfants !
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