Je viens d'avoir avec une dame
âgée, et de la classe bourgeoise, un
entretien que je crois utile de faire
connaître, et que voici. - Dieu veuille le
bénir abondamment pour vous qui le
lisez !
Je vous apporte, m'a dit cette dame, les
compliments respectueux du jeune Thomas R...., qui
m'écrit de vous remercier des bonnes
instructions qu'il a reçues de votre bouche,
il y a déjà deux ou trois
ans.
L'Auteur. Je suis
bien réjoui de voir
qu'il conserve, dans l'étranger, les
sentiments de piété qu'il nous
montrait ici.
La
vieille
Genevoise. Il est mon cousin, Monsieur,
et dans notre famille on a toujours
été très-religieux. C'est
connu de tout le monde, et je le dis sans me
vanter. Nous sommes de la vieille roche.
L'Auteur. Il en
était de même
autrefois, dans tout ce pays.
Nos anciennes familles genevoises, soit à la
ville, soit à la campagne, ont longtemps
conservé la religion de nos pères. On
lisait donc la Bible, chère Madame, dans
votre famille ?
La
vieille
Genevoise. Nous n'y manquons jamais,
chaque dimanche ; mais chez mon père,
on la lisait presque tous les jours.
L'Auteur. Et
pourquoi, je vous prie, la lisez-vous
plus rarement aujourd'hui ?
La
vieille
Genevoise. Nous avons eu trop à
faire jusqu'à présent, Monsieur. Mais
mon mari et moi nous nous sommes retirés du
petit commerce que nous avions, et nous voulons
désormais nous occuper davantage de tout
cela. - On sent, Monsieur, oui, l'on sent qu'on
devient âgé, et qu'il faut penser plus
souvent à son salut. Nous y sommes
décidés.
L'Auteur. C'est une
bonne résolution ;
et c'est pourquoi je puis vous demander, tout
librement, ce que vous pensez maintenant, quant
à ce salut. Dites-moi donc, s'il vous
plaît, ce qu'il vous arriverait, si Dieu
retirait votre âme de ce monde.
La
vieille
Genevoise. J'espère bien que je
serai toujours plus prête, et que quand Dieu,
enfin, me, retirera, il ne m'abandonnera
pas.
L'Auteur. Vous ne
m'avez pas répondu,
chère Madame ; car je vous demande ce
qu'il arriverait aujourd'hui, cette nuit,
peut-être, à votre âme, si Dieu
vous la redemandait. Dites-le-moi, sans crainte, je
vous prie. - Serait-elle sauvée, ou bien ne
le serait-elle pas ?
À cette question directe et
pressante, la vieille dame m'a regardé
fixement, puis, avec un geste de persuasion, elle
m'a dit :
Mais, ... je vous assure que je n'ai
rien, rien de bien grave, à me reprocher.
J'ai toujours rempli mes devoirs dans ma maison, et
jamais, que je sache, je n'ai fait tort à
qui que ce soit. Je pense donc que Dieu ne me
demandera pas l'impossible, et que puisque j'ai
fait ce que je devais, il ne me repoussera
pas.
L'Auteur. Je vois,
Madame, que vous ne m'avez pas
encore compris. Veuillez donc m'écouter, je
vous prie. - Je ne vous demande pas ce qui vous
arriverait si nos tribunaux vous jugeaient
aujourd'hui ; car je ne doute pas qu'ils ne
vous trouvassent, en effet, une
très-vertueuse et digne femme, à
l'abri de tout reproche. Mais je vous demande ce
qu'il vous arriverait si Dieu, Dieu lui-même,
vous jugeait. Les tribunaux, vous le savez, ne
regardent qu'à notre conduite civile, mais
Dieu, vous le savez aussi, regarde au coeur,
à la conscience, à ce qui se passe
au-dedans de nous. Les tribunaux, de plus, ne
s'inquiètent guère de nos
discours ; mais Dieu entend tout ce que nous
disons, et il jugera nos paroles. Enfin, les
tribunaux sont satisfaits lorsque nous faisons ce
que la loi humaine nous commande ; mais Dieu
juge d'après la loi divine ; et vous
savez, sans doute, que cette loi-là demande
de nous ni plus ni moins que la
sainteté.
La
vieille
Genevoise. C'est très-vrai,
Monsieur ; aussi je dois dire que devant Dieu
chacun se sent pécheur, et que, pour moi, je
ne suis pas sans faute. Mais cependant je puis
dire, je vous assure, que je n'ai pas de bien
grands reproches à me faire.
L'Auteur.
Allez-vous habituellement à
l'église, Madame ?
La
vieille
Genevoise. Oui bien, sans doute ;
et sans y manquer, chaque
dimanche matin, à moins pourtant que je ne
sois malade.
L'Auteur. En ce
cas-là, laissez-moi vous
dire, et en toute douceur, que vous êtes
alors devant Dieu, mais certainement sans le
savoir, ni le vouloir, dans la contradiction la
plus formelle avec la vérité ;
car alors, certainement, vous ne dites pas ce que
vous déclarez à cette heure ; et
Dieu, qui voit alors votre coeur, ne vous voit pas
sincère devant lui.
La
vieille
Genevoise. Moi, Monsieur ?...
Est-ce bien possible ! - Et en quoi, je vous
prie ?
L'Auteur. Le voici.
Faites-y attention, s'il vous
plaît. - Chaque dimanche, en
commençant le premier service du matin, vous
vous levez, avec toute l'église, et vous
déclarez reconnaître et confesser de
tout voire coeur, et devant la sainte
majesté de Dieu, que vous n'êtes
qu'une pauvre pécheresse, conçue et
née dans le péché et la
corruption ; qui, tous les jours, et en
diverses manières, transgressez les saints
commandements du Seigneur ; ce qui fait,
ajoutez-vous, que vous attirez sur vous, par le
juste jugement de Dieu, la condamnation et la mort.
Voilà ce que vous dites et déclarez
publiquement. Puis, aujourd'hui, à cette
heure même, lorsqu'on vous demande ce que
vous êtes devant la loi de Dieu, vous dites
précisément le contraire, en
répétant que si vous n'êtes pas
sans faute, cependant vous êtes
intègre et vertueuse, et que vous n'avez pas
de bien grands reproches à vous
faire.
Vous le voyez, je pense, il faut, ou
bien que vous disiez la vérité, et en
sincérité de coeur, lorsque vous vous
tenez debout devant Dieu avec l'église, et
qu'en ce cas-là vous disiez aujourd'hui une
chose fausse ; ou bien il faut qu'à
cette heure-ci vous soyez
sincère, et que lorsque vous êtes
à l'église, le dimanche, vous ne le
soyez pas.
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien possible !
Est-ce que je serais ainsi en contradiction avec
moi-même ?... Et pourtant la chose est
toute claire. Non, je ne dis pas à
présent ce que j'ai dit à l'Eglise.
C'est positif.
L'Auteur. Vous
rappelez-vous, je vous prie,
comment parlait le Pharisien, dans la parabole de
cet homme-là et du publicain ?
La
vieille
Genevoise. Oui, oui. Il se vantait de
n'être pas comme le publicain.
L'Auteur. C'est-à-dire
que, tout en faisant
profession de sa religion, et tout en s'adressant
à Dieu par une prière, il se
glorifiait cependant de n'avoir pas de bien grands
reproches à se faire.
La
vieille
Genevoise. Je comprends, Monsieur. J'ai
parlé, je le vois, comme le Pharisien. Je ne
l'aurais pas supposé, je vous
assure.
L'Auteur. Oui, chère
Madame ; vous
avez été, à ce qu'il me
semble, jusqu'à présent, dans ce que
la Sainte-Écriture appelle la propre
justice ; ce qui veut dire, que vous avez
pensé que vos vertus, votre
honnêteté et ce que vous nommiez vos
bonnes oeuvres, (comme par exemple, d'aller
à l'église, de lire la Bible ou de
faire quelque aumône) que tous ces
mérites de votre âme vous
obtiendraient de Dieu un bon accueil, et que cela
l'engagerait à passer par-dessus vos fautes
ou vos péchés, et à vous
recevoir dans le ciel.
La
vieille
Genevoise. Mais, Monsieur, est-ce que
les bonnes oeuvres ne méritent donc rien
devant Dieu ? J'ai toujours pensé que
notre religion et notre bonne conduite entreraient
en ligne de compte, au Jugement
dernier, et qu'ainsi, en remplissant mes devoirs,
j'effacerais, peut-être pas
tout-à-fait, mais enfin en bonne partie, mes
péchés.
L'Auteur. Hé
bien ! chère
Madame, tout en vous disant protestante et ancienne
genevoise, vous n'avez eu, en cela, que la fausse
religion d'une pauvre ignorante romaine.
La
vieille
Genevoise. Moi ! Monsieur, une
catholique ! Est-ce bien
possible ?
L'Auteur. Jugez-en
vous-même. Les papistes,
tout en disant que Dieu a fait notre salut,
enseignent, et croient, cependant, qu'il faut faire
beaucoup de choses pour mériter et
posséder enfin ce salut-là. Ils
pensent donc, ces pauvres égarés, que
le chrétien ne sera sauvé qu'autant
qu'il l'aura mérité et gagné,
sinon entièrement, du moins en bonne
portion, par ses obéissances et ses oeuvres.
Or vous, Madame, vous avez eu la même
idée jusqu'à présent. Vous
avez eu donc absolument la même religion que
ces pauvres ignorants romanistes.
La
vieille
Genevoise. Moi ! Monsieur ?
Ai-je donc jamais cru au pape, ou bien prié
la Vierge, on bien adoré des
images ?
L'Auteur. Je ne le
pense pas ; mais en
tant
que vous avez imaginé que le salut se
mérite, vous avez été, en
cela, du moins, toute semblable aux papistes ;
et remarquez bien que ce point-là est
l'essentiel.
La
vieille
Genevoise. Vous me faites peur, en
vérité ; et je commence à
voir que je me suis beaucoup méprise sur mon
salut.
L'Auteur. Tellement
méprise, en effet, que
vous avez, (toujours, je le répète,
sans le savoir et sans le
vouloir !) renié de fait le Sauveur, le
Seigneur Jésus.
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien possible !
Monsieur ? Cela me fait toute trembler. -
Montrez-moi vite comment j'ai pu le faire, s'il
vous plaît.
L'Auteur.
Comprenez-le
par une comparaison. Si je suis esclave, et qu'un
ami paie ma rançon, il est évident
que je redeviens libre, et que c'est par le
bienfait de cet ami.
La
vieille
Genevoise. Certainement ; car
personne n'aurait l'idée de dire que c'est
l'esclave qui se libère
lui-même.
L'Auteur. Si donc,
après que mon ami a
payé ma rançon, je m'imagine et je
dis, ou bien que je n'étais pas esclave, ou
bien que c'est moi qui ai payé ma
rançon, il est aussi de toute
évidence que je renie mon bienfaiteur et son
bienfait.
La
vieille
Genevoise. Je comprends ! Je
comprends à présent ! Oui, je
vois que lorsque j'ai pensé ou dit que Dieu
ne m'abandonnerait pas, à cause de mes
bonnes-oeuvres, j'ai, de fait, mis de
côté le Seigneur Jésus. Et
cependant je vous assure que je n'en avais pas
l'intention. C'est singulier ! Comme on peut
se tromper soi-même !
L'Auteur.
Et s'imaginer,
n'est-ce pas, que le péché n'est pas
plus criminel devant Dieu que devant les
hommes ?
La
vieille
Genevoise. Mais... laissez-moi vous
demander si vous croyez que le péché
soit, en effet, aussi condamnable qu'on le dit
quelquefois.
L'Auteur.
Dites-moi,
Madame, que penseriez-vous d'une dette que
j'aurais, si vous appreniez que, pour la payer, il
a fallu que le roi de Prusse, l'empereur
d'Autriche et la
reine d'Angleterre unissent tous leurs
trésors ?
La
vieille
Genevoise. Mais, Monsieur, la chose,
parle d'elle-même. Je dirais sans
hésiter que votre dette était
énorme, monstrueuse, puisqu'il aurait fallu
tant d'argent pour l'éteindre.
L'Auteur.
Que direz-vous
donc d'un péché qui n'a pu être
effacé et remis que par le sacrifice, que
par la mort, du Fils de Dieu ?
La
vieille
Genevoise. Cela m'est tout nouveau,
Monsieur. Jamais je n'y ai pensé
jusqu'à cette heure. Je ne puis dire
l'émotion que cela me cause. Le
péché est donc quelque chose de bien
grand, de bien profond devant Dieu ?
L'Auteur.
Ah ! vous
sentez que si pour effacer mon péché,
Dieu eût fait mourir un ange, un
séraphin, il serait évident
déjà que ce péché
n'était pas peu de chose. Mais que serait un
séraphin, et même toutes les
légions des anges, en comparaison de Dieu
lui-même ! Et si Dieu s'est donné
pour me racheter de mon péché, que
pensez-vous donc que soit mon
péché ? Est-il peu de
chose ?
La
vieille
Genevoise. Mais, Monsieur, qu'avez-vous
dit, s'il vous plaît, de Dieu
lui-même ? J'ai bien toujours cru que
Jésus-Christ a été
sacrifié pour nous, mais jamais je n'ai
ouï dire qu'il fût Dieu
lui-même.
L'Auteur.
Ah !
c'est qu'apparemment vous aurez prêté
l'oreille à quelqu'un de ces pauvres et
malheureux incrédules, qui, ayant
renié la religion de nos pères, osent
dire que le Seigneur Jésus-Christ n'est pas
l'Éternel-Dieu manifesté en
chair.
La
vieille
Genevoise. Il se peut ; car je ne
savais pas, je vous assure, que Jésus-Christ
soit Dieu. Je savais bien qu'il
est le Fils de Dieu, mais je ne pensais pas qu'il
soit Dieu lui-même.
L'Auteur.
Vous ne
pensiez pas non plus, je présume, ni que
vous soyez née dans le péché,
ni que la punition du péché sera
éternelle, en enfer ?
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien possible !
Monsieur ? Est-on réellement né
dans le péché ; et de plus
est-il bien vrai que l'enfer ne doive jamais
finir ?
L'Auteur.
C'est pour
nous racheter de l'un et de l'autre que le
Père éternel a donné son Fils,
et que le Fils éternel de Dieu s'est
sacrifié. Or vous sentez que si l'homme
fût né sans péché, oui
que si les peines de l'enfer n'eussent pas
été infinies, éternelles, il
n'eût pas été nécessaire
ni que Dieu lui-même se fit homme, ni qu'il
fût maudit sur la croix,
La
vieille
Genevoise. Maudit sur la
croix !... Jésus-Christ, dites-vous, a
été maudit ?... Est-ce bien
possible !
L'Auteur.
« Il
a été livré pour nos offenses,
dit la Sainte-Écriture, et il est
ressuscité pour notre justification. Christ,
est-il dit encore, nous a rachetés de la
malédiction de la loi de Dieu, quand il a
été fait malédiction pour
nous. »
La
vieille
Genevoise. Oui, je me rappelle ces
passages. Mais je croyais, Monsieur, que cette mort
de Jésus-Christ n'avait fait que nous ouvrir
la porte, si je puis dire, et qu'il nous fallait
ensuite mériter le reste, en marchant au
chemin nous-mêmes.
L'Auteur.
Hé
bien, chère Madame, encore ici vous
n'étiez qu'une pauvre ignorante romaine, et
à l'imitation du pape, vous avez
renié en cela le Sauveur. Car enfin si le
Seigneur Jésus, par sa mort, n'a effacé que le
commencement du péché, et qu'il
faille encore, (comme le disent les pauvres
ignorants romanistes) que ce sacrifice du Sauveur
se répète, ou se prolonge, dans la
Messe, il est clair que quand le Seigneur
Jésus était sacrifié, il ne
faisait pas alors tout ce qu'il fallait faire pour
le salut. Il n'était donc pas un
Sauveur ; car vous comprenez qu'un Sauveur
sauve : ce qui veut dire qu'il fait le tout,
et tout d'une fois.
La
vieille
Genevoise. J'en suis tout
étonnée. Jamais je n'y avais pris
garde. Il est clair que si Jésus a
sauvé une âme, il l'a sauvée
tout-à-fait. Par conséquent, qu'y
ajouter ou qu'y refaire ?
L'Auteur. Aussi
devez-vous voir que ce que vous
avez voulu faire, jusqu'à présent,
soit pour effacer vos péchés, soit
pour mériter de Dieu quelque portion de
votre salut, que tout cela s'est trouvé tout
aussi faux que la Messe, puisque dans la Messe on
répète, ou reproduit, le sacrifice du
Sauveur, et que par cette Messe le pauvre ignorant
romain s'imagine gagner ou mériter son
pardon. La Messe renie donc le sacrifice du
Sauveur, tout en prétendant le
reproduire ; et vous avez fait la même
chose, quand vous cherchiez à mériter
le salut. Je vous le répète :
vous n'avez été, à votre insu,
que comme une ignorante papiste.
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien possible !
Quelle découverte !... Et alors, cher
Monsieur, que faut-il que je fasse à
présent ?
L'Auteur.
Dites-moi, je
vous prie, ce que vous en pensez
vous-même.
La
vieille
Genevoise. Mais... je crois... qu'il
faut que je pense à Dieu beaucoup plus
souvent.
L'Auteur.
Si un criminel
pense, et même sans cesse,
au juge et à la loi, en sera-t-il moins
coupable ?
La
vieille
Genevoise. Mais si en même temps
je prie Dieu et que je lui demande de faire mon
salut, est-ce qu'il ne m'exaucera
pas ?
L'Auteur.
Dites-moi,
Madame, si Dieu nous dit qu'il nous a donné
la vie éternelle, et que cette vie est en
son Fils, que faut-il lui répondre ?
Faut-il lui demander de le faire, ou bien
plutôt faut-il le croire, s'y confier et en
être joyeux ?
La
vieille
Genevoise. Mais, Monsieur, on ne peut
pas demander à Dieu de faire une chose qu'il
a déjà faite et accomplie.
L'Auteur.
Donc, Madame,
vous ne pouvez pas prier Dieu ni d'envoyer en ce
monde Jésus, ni de l'exposer à la
mort et de l'immoler sur la croix.
La
vieille
Genevoise. Hé ! non sans
doute, puisque ce sont des choses que Dieu a
déjà faites.
L'Auteur. C'est
pourquoi il nous faut les croire,
et même de tout notre coeur ; car si on
ne les croit pas, on renie ce que Dieu a
fait ; et si on ne les croit qu'à demi,
c'est comme si l'on disait que Dieu ne dit la
vérité qu'à demi. Et c'est ce
que vans avez fait, quoique sans le savoir. Oui,
comme dit St-Jean, vous « avez fait Dieu
menteur. »
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien
possible !... J'ai fait Dieu
menteur ?
L'Auteur.
Hé ! certainement. Dieu vous
déclarait que Jésus-Christ, par sa
mort, a racheté son Église : que
par son sang, il a lavé et pour toujours
effacé les péchés de son
peuple ; et Jésus, lui-même, pour
vous le certifier, a mis, dans sa vraie
Église, son pain et sa coupe, symboles
consacrés de son corps rompu et de son sang
répandu. Vous les avez vus et même pris l'un et
l'autre, dans le sacrement de la Cène ;
et cependant vous avez si peu cru que cela
fût vrai, et qu'en effet le Fils de Dieu
eût été immolé, qu'au
contraire vous avez toujours pensé qu'il
vous fallait prier Dieu de vous sauver. Certes si,
selon votre devoir, vous eussiez cru que la vie
éternelle nous a été
donnée en Jésus, et que Jésus
nous l'a acquise par son sacrifice, vous n'eussiez
jamais eu même l'idée de prier Dieu
pour que cela se fit pour vous. Vous l'eussiez cru,
vous en eussiez été heureuse, et au
lieu de demander à Dieu un salut
déjà fait, vous eussiez
remercié Dieu d'une telle
grâce.
La
vieille
Genevoise. Ah ! Monsieur, je vois
maintenant ce que vous voulez me montrer. Le salut,
notre salut, n'est-ce pas, a été fait
par le Sauveur, lorsqu'il a été
sacrifié pour nous ; et nous devons le
croire, oui, le croire de tout notre coeur, comme
une chose déjà à faite, et non
plus comme une chose qui soit encore à
faire ?
L'Auteur. Chère
Madame, Dieu seul
connaît ce qui se passe dans votre
conscience. Mais si ce que vous venez de dire est
en effet en vous, et que vous le croyiez, vous
êtes ce que la Sainte-Écriture nomme
convertie, ce qui veut dire retournée.
C'est-à-dire que jusqu'à ce jour vous
avez considéré votre salut, le rachat
de votre âme et votre pardon de la part de
Dieu, comme une chose future qui était
devant vous, et que vous espériez atteindre
un jouir, par vos efforts, vos vertus, vos
prières et mille autres choses. Mais
à présent, comprenant que le Sauveur
a fait par lui-même la purification de nos
péchés, et que par son sacrifice et
sa résurrection glorieuse, il a
opéré, et en entier, le salut de
l'Eglise, il
est clair que vous ne regardez plus, pour
être sauvée à une chose
à venir, mais que c'est à une chose
déjà passée : savoir au
sacrifice de Jésus.
C'est donc en arrière,
c'est-à-dire à la mort du Sauveur,
déjà passée, que vous regardez
à présent et non plus en avant, vers
vos oeuvres et leur récompense. Vous
êtes donc retournée, ou
convertie ; et c'est pourquoi, a cette
question que je vous fais de nouveau,
« si Dieu vous retirait de ce monde, que
deviendrait votre âme ? » vous
répondrez bien différemment de ce que
vous l'avez fait d'abord.
La
vieille
Genevoise. Ah ! Monsieur, à
présent je dirai, (et je vous assure que je
suis touchée et toute émue dans mon
coeur !) oui, je dirai, et sans me vanter, que
si je mourrais à présent, je crois
que mon âme irait vers Dieu, puisque
Jésus-Christ l'a déjà
rachetée par son sang : comme je le
vois clairement, et comme je veux le croire de tout
mon coeur.
L'Auteur.
Dans ce
cas-là, chère Madame, vous ne serez
plus semblable ni à une pauvre ignorante
romaine, ni à quelque misérable
incrédule. Si vous croyez maintenant en
Jésus, pour avoir la vie éternelle,
et que votre âme se repose sincèrement
sur ce qu'il a fait, sur son sacrifice
éternel et sur sa promesse, vous devez
être tranquille sur votre salut puisqu'il
vous dit ces mots, si positifs et si
puissants : « En
vérité, en vérité,
celui qui croit en moi a la vie
éternelle ; » mots que
l'apôtre saint Jean répète,
lorsqu'il dit : « Je vous ai
écrit ces choses, à vous qui croyez
au Nom du Fils de Dieu, afin que vous sachiez que
vous avez la vie
éternelle, et que vous croyiez au Nom du
Fils de Dieu.
La
vieille
Genevoise. Quelle erreur, quelle grande
ignorance, était la mienne ! Est-il
bien possible, Monsieur, que tout en me disant
chrétienne, j'aie encore été
si loin de Jésus-Christ ?
L'Auteur. Ah !
Madame, que de protestants
sont ici tout-à-fait semblables aux pauvres
ignorants romanistes, et comme ceux-ci s'imaginent
qu'ils doivent et qu'ils peuvent mériter et
gagner leur salut par leur religion et leurs
vertus ! - Ils ne sont pas idolistes, il est
vrai ; ils ont un culte plus raisonnable et
plus conforme à l'Évangile que le
papisme, mais de fait ils ont la même
religion que les romanistes, puisqu'ils renient
comme eux le sacrifice infini et expiatoire du Fils
de Dieu, lorsqu'ils pensent et disent qu'il faut
mériter son salut. Quelle folie, que de
vouloir mériter une grâce ! Les
mots mêmes sont en contradiction. Et combien
plus les choses le sont-elles !
La
vieille
Genevoise. Ainsi donc, Monsieur, le
salut ne coûte rien ?
L'Auteur. Ah !
chère Madame, il a
coûté beaucoup, infiniment ; mais
le tout a été payé par le
Seigneur lui-même. C'est là qu'est
l'immense amour de Dieu. « Il l'a fait
paraître, dit un apôtre, lorsque Christ
est mort pour nous, qui n'étions que des
pécheurs. » Vous voyez qu'il ne
pouvait coûter davantage, puisqu'il a
coûté tout ce que Dieu même
pouvait donner et faire.
La
vieille
Genevoise. Était-ce bien
là, Monsieur, l'ancienne religion de
Genève ?
L'Auteur.
C'est la
religion chrétienne, chère Madame,
Ç'a été, toujours la religion
de l'Eglise de Dieu, car c'est
la religion apostolique. Il n'y en a point d'autre
dans toute la Sainte-Écriture, et à
la bienheureuse Réformation on ne
prêchait et croyait que cela.
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien possible,
Monsieur ? Pourquoi donc la connaît-on
si peu chez nous ? On ne la prêche donc
plus ? Pour moi, je ne l'ai jamais entendue,
je vous assure.
L'Auteur.
De qui donc,
je vous prie, recevez-vous instruction ? Car,
grâce à Dieu, ils ne manquent plus,
à Genève, ceux qui enseignent et
publient que Jésus-Christ est Dieu
béni éternellement, qu'il a
expié les péchés de son
Église, ci que tout pécheur qui croit
sincèrement en lui, est justifié
gratuitement.
La
vieille
Genevoise. Est-ce bien possible !
Monsieur ?... D'où vient donc que je
l'ai ignoré jusqu'à
présent ?
L'Auteur.
Hélas ! sans doute, de ce que vous ne
l'avez pas écouté, et surtout de ce
que vous ne l'avez pas cru. Car, je le
répète, bien souvent vous avez
dû entendre dire et prêcher que
Jésus-Christ a versé son sang pour
racheter son Église.
La
vieille
Genevoise. Alors donc je n'y avais rien
compris, car j'étais loin, bien loin, de
penser que mon salut ne dût pas se faire par
moi. Mais surtout, Monsieur, que j'étais
ignorante, lorsque je prenais la
Sainte-Cène !
L'Auteur.
En quoi, s'il
vous plaît ?
La
vieille
Genevoise. Hé ! en ce que je
la prenais pour faire en quelque sorte mon
salut ; tandis que cette Communion rappelle
que le salut a été fait par le
Sauveur, lorsqu'il s'est donné pour nous. - Quel
renversement
de
cette sainte ordonnance !
L'Auteur.
Eh bien,
répondez-moi donc encore une fois. Si Dieu
vous redemandait votre âme aujourd'hui, que
deviendrait-elle ?
La
vieille
Genevoise. Je vous l'ai dit, et je vous
le redis de tout mon coeur - Je crois qu'elle irait
au ciel. Et cela, non pas à cause de mes
vertus : non ; je n'y veux plus
penser : mais à cause du sacrifice du
Sauveur. C'est lui, et lui seul, qui a fait tout
mon salut,
L'Auteur.
Qu'allez-vous
donc faire, dès aujourd'hui ?
Cesserez-vous, pour cela, de prier Dieu, ou de
vouloir lui obéir ?
La
vieille
Genevoise. Mais, Monsieur, ne sera-ce
pas tout le contraire ? Puisque Dieu m'a tant
aimée, n'est-ce pas tout naturel, et tout
juste aussi, que je l'aime à mon tour, et
que pour le lui témoigner, je m'applique
à lui obéir, autant qu'il me sera
possible ?
L'Auteur.
Voilà
ce qui prouvera que vous croyez en Jésus.
Oui, chère Madame, votre obéissance
à la loi de Dieu, cette obéissance
d'amour et de reconnaissance, montrera que
l'Esprit-Saint a renouvelé votre coeur et
qu'il vous dirige. La sainteté est le fruit
de l'arbre de la foi.
La
vieille
Genevoise. Ah ! je vois à
présent quelque chose de tout nouveau. Les
bonnes oeuvres viennent donc après qu'on
sait et qu'on est sûr que Jésus nous a
sauvés ?
L'Auteur.
Comment
viendraient-elles avant puisque le Chrétien
les fait par amour pour son Père
céleste, pour son bon et glorieux Sauveur, et par
cet Esprit filial
qui lui
certifie qu'il est sauvé ?
La
vieille
Genevoise. Hé bien !
Monsieur, il n'y a pas huit jours que j'ai entendu
une Soeur-grise, comme on les appelle, qui disait,
chez un malade de mon voisinage, que les
protestants enseignent qu'après qu'on est
sauvé, on peut vivre comme on l'entend. Elle
disait encore que lorsqu'on serait sûr
d'être déjà sauvé, on se
laisserait aller à toutes sortes de
désordres ; et elle appelait cela une
religion du diable.
L'Auteur. Cette
pauvre ignorante romaine montrait
donc qu'elle ne connaît ni le Sauveur, ni
l'efficace du Saint-Esprit, puisque le premier
fruit de cet Esprit, c'est l'amour pour Dieu, et
que celui qui aime Dieu s'applique à garder
ses commandements. Mais ne vous étonnez pas
de cette accusation. C'était
déjà ce que les ignorants et les
incrédules disaient du temps même des
apôtres. Le fait est que celui qui croit de
coeur en Jésus, reçoit l'entier
pardon de ses péchés, et que par
l'enseignement et l'efficace du Saint-Esprit, il
désire dès lors s'attacher à
son Sauveur et lui plaire en toute chose. Cette
pauvre romaniste était donc encore bien
ignorante de l'Évangile du salut, et par
cela même tout-à-fait
étrangère à la direction du
Saint-Esprit.
La
vieille
Genevoise. Cependant, Monsieur, j'ai
entendu la même chose de la bouche d'un
Missionnaire catholique, il n'y a pas plus de trois
semaines. J'étais dans un village du Canton
et j'allai par pure curiosité entendre ce
Missionnaire. Il dit, je vous assure, de bien
bonnes choses sur la sainteté. Il fallait
voir comme il censurait les avares et les
incrédules ; et chacun pleurait, quand
il parla de la charité.
L'Auteur.
Mais que
dit-il donc sur ceux qui sont sûrs de leur
salut ?
La
vieille
Genevoise. Il les appela des
orgueilleux, qui se croyaient meilleurs que les
autres hommes, et qui s'abandonnaient ensuite
à toutes sortes de vices.
L'Auteur. Et
pensez-vous maintenant qu'il
eût raison de parler ainsi ?
La
vieille
Genevoise. Je vois qu'il se trompait.
Puisque le salut est une grâce que Dieu nous
fait, il n'y a point d'orgueil ni à croire
à cette grâce, ni à la
posséder. C'est comme un mendiant à
qui un prince donnerait une bourse d'or : il
n'y aurait point d'orgueil pour ce pauvre homme
à s'en réjouir, ni même
à s'en vanter. Sa joie serait toute à
la gloire du prince et de sa largesse.
L'Auteur. Et ce
mendiant, pensez-vous qu'il
parlerait mal du prince et qu'il le haïrait,
ou bien qu'il emploierait aussitôt cet or
à nuire à son
bienfaiteur ?
La
vieille
Genevoise. Je comprends. Monsieur vous
voulez dire que le vrai chrétien ne
haïra pas Dieu, duquel il a reçu son
salut.
L'Auteur.
C'est
pourquoi, vous le voyez, ce Missionnaire, en disant
que les vrais chrétiens, par cela même
qu'ils connaissent et possèdent leur salut,
en prennent occasion de se livrer au
désordre, attribuait au démon ce qui
est l'oeuvre du Saint-Esprit. Il commettait donc un
péché bien criminel, en même
temps qu'il prêchait sa propre ignorance des
premiers rudiments de l'Évangile.
La
vieille
Genevoise. Hé bien !
Monsieur, croyez-moi quand je vous dis que de bons
protestants disent aussi la même chose. Hier
encore j'entendais un monsieur de ma connaissance
soutenir que plus on est humble, plus on doit
douter qu'on soit sauvé.
L'Auteur. Je pense
donc, chère Madame, que
ce monsieur-là, quand il prie, se garde bien
de dire, Notre Père qui es aux cieux !
Car comment dire à Dieu mon Père, si
je doute que je sois son enfant ? Il faut donc
que ce protestant-là dise à Dieu,
quand il fait sa prière : Notre
Père, peut-être, qui es aux
cieux !
La
vieille
Genevoise. C'est pourtant bien
vrai ! Voilà notre prière, cette
prière qu'on apprend dès le berceau,
qui commence par la certitude qu'on est un enfant
de Dieu, et cependant on la récite et
répète, tout en disant qu'on n'est
pas encore sûr d'être
sauvé ! Est-ce bien possible qu'on dise
ainsi à la fois le oui et le
non ?
L'Auteur. Vous le
voyez, Madame, on prononce des
phrases de religion, sans que le coeur en croie un
seul mot. Jésus nous a sauvés,
dit-on, mais il ne faut pas en être sûr
de peur que si on le croie, on ne haïsse
aussitôt le Sauveur et qu'on ne
méprise sa volonté.
La
vieille
Genevoise. Monsieur, je commence
à voir que nous avons bien tort à
Genève de nous dire religieux. Ah !
qu'il y en a peu qui croient tout de bon ce que
Jésus a fait !
L'Auteur.
Grâce
à Dieu, leur nombre augmente de semaine en
semaine. La vraie religion se prêche en
plusieurs chaires ; les Réunions de
piété se multiplient dans divers
quartiers, et déjà plus d'un romaniste, et même
plus d'un prêtre, a été
éclairé et converti à la vraie
foi ; comme aussi plus d'un protestant mort
est devenu vivant. Voyez, Madame, ce qui vient de
vous arriver. N'est-ce pas Dieu lui-même qui
éclaire votre âme ?
La
vieille
Genevoise. Dieu soit béni, cher
Monsieur, pour les bonnes choses que vous m'avez
dites ! J'en suis toute réjouie, toute
restaurée. Mon âme est devenue comme
plus légère, plus libre. Oui, je veux
dès aujourd'hui remercier Dieu de son
immense amour pour moi ; et quand je le
prierai, à présent, je lui demanderai
son bon et saint Esprit, afin que par lui je
devienne meilleure.
L'Auteur. C'est la
Bible, chère Madame, qui
nous enseigne ce que Dieu veut de ses enfants, et
c'est elle, aussi, qui sanctifie nos âmes. Il
vous faut donc la lire désormais comme
faisait votre père, je veux dire chaque
jour, et toujours en demandant à Dieu de la
bénir pour vous, son enfant.
La
vieille
Genevoise. Je vous suis bien
obligée, très-obligée,
Monsieur, de toute votre bonté. Je pourrai
donc dire à présent que je suis
revenue à la religion de nos
pères : à la vraie religion de
Dieu ?
L'Auteur.
Oui,
chère Madame ; car c'est bien celle de
la Sainte-Bible. C'est la religion de la
grâce, et c'est la religion qui sanctifie.
C'est donc bien la religion du Sauveur : la
vraie et sainte religion de l'Eglise
chrétienne ; et telle fut aussi la
Religion de nos pères.
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