Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EST-CE BIEN POSSIBLE

ou

LA VIEILLE GENEVOISE.

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Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu.
(Jean XI, 40.)


Je viens d'avoir avec une dame âgée, et de la classe bourgeoise, un entretien que je crois utile de faire connaître, et que voici. - Dieu veuille le bénir abondamment pour vous qui le lisez !

Je vous apporte, m'a dit cette dame, les compliments respectueux du jeune Thomas R...., qui m'écrit de vous remercier des bonnes instructions qu'il a reçues de votre bouche, il y a déjà deux ou trois ans.

L'Auteur. Je suis bien réjoui de voir qu'il conserve, dans l'étranger, les sentiments de piété qu'il nous montrait ici.
La vieille Genevoise. Il est mon cousin, Monsieur, et dans notre famille on a toujours été très-religieux. C'est connu de tout le monde, et je le dis sans me vanter. Nous sommes de la vieille roche.

L'Auteur. Il en était de même autrefois, dans tout ce pays. Nos anciennes familles genevoises, soit à la ville, soit à la campagne, ont longtemps conservé la religion de nos pères. On lisait donc la Bible, chère Madame, dans votre famille ?
La vieille Genevoise. Nous n'y manquons jamais, chaque dimanche ; mais chez mon père, on la lisait presque tous les jours.

L'Auteur. Et pourquoi, je vous prie, la lisez-vous plus rarement aujourd'hui ?
La vieille Genevoise. Nous avons eu trop à faire jusqu'à présent, Monsieur. Mais mon mari et moi nous nous sommes retirés du petit commerce que nous avions, et nous voulons désormais nous occuper davantage de tout cela. - On sent, Monsieur, oui, l'on sent qu'on devient âgé, et qu'il faut penser plus souvent à son salut. Nous y sommes décidés.

L'Auteur. C'est une bonne résolution ; et c'est pourquoi je puis vous demander, tout librement, ce que vous pensez maintenant, quant à ce salut. Dites-moi donc, s'il vous plaît, ce qu'il vous arriverait, si Dieu retirait votre âme de ce monde.
La vieille Genevoise. J'espère bien que je serai toujours plus prête, et que quand Dieu, enfin, me, retirera, il ne m'abandonnera pas.

L'Auteur. Vous ne m'avez pas répondu, chère Madame ; car je vous demande ce qu'il arriverait aujourd'hui, cette nuit, peut-être, à votre âme, si Dieu vous la redemandait. Dites-le-moi, sans crainte, je vous prie. - Serait-elle sauvée, ou bien ne le serait-elle pas ?

À cette question directe et pressante, la vieille dame m'a regardé fixement, puis, avec un geste de persuasion, elle m'a dit :
Mais, ... je vous assure que je n'ai rien, rien de bien grave, à me reprocher. J'ai toujours rempli mes devoirs dans ma maison, et jamais, que je sache, je n'ai fait tort à qui que ce soit. Je pense donc que Dieu ne me demandera pas l'impossible, et que puisque j'ai fait ce que je devais, il ne me repoussera pas.

L'Auteur. Je vois, Madame, que vous ne m'avez pas encore compris. Veuillez donc m'écouter, je vous prie. - Je ne vous demande pas ce qui vous arriverait si nos tribunaux vous jugeaient aujourd'hui ; car je ne doute pas qu'ils ne vous trouvassent, en effet, une très-vertueuse et digne femme, à l'abri de tout reproche. Mais je vous demande ce qu'il vous arriverait si Dieu, Dieu lui-même, vous jugeait. Les tribunaux, vous le savez, ne regardent qu'à notre conduite civile, mais Dieu, vous le savez aussi, regarde au coeur, à la conscience, à ce qui se passe au-dedans de nous. Les tribunaux, de plus, ne s'inquiètent guère de nos discours ; mais Dieu entend tout ce que nous disons, et il jugera nos paroles. Enfin, les tribunaux sont satisfaits lorsque nous faisons ce que la loi humaine nous commande ; mais Dieu juge d'après la loi divine ; et vous savez, sans doute, que cette loi-là demande de nous ni plus ni moins que la sainteté.
La vieille Genevoise. C'est très-vrai, Monsieur ; aussi je dois dire que devant Dieu chacun se sent pécheur, et que, pour moi, je ne suis pas sans faute. Mais cependant je puis dire, je vous assure, que je n'ai pas de bien grands reproches à me faire.

L'Auteur. Allez-vous habituellement à l'église, Madame ?
La vieille Genevoise. Oui bien, sans doute ; et sans y manquer, chaque dimanche matin, à moins pourtant que je ne sois malade.

L'Auteur. En ce cas-là, laissez-moi vous dire, et en toute douceur, que vous êtes alors devant Dieu, mais certainement sans le savoir, ni le vouloir, dans la contradiction la plus formelle avec la vérité ; car alors, certainement, vous ne dites pas ce que vous déclarez à cette heure ; et Dieu, qui voit alors votre coeur, ne vous voit pas sincère devant lui.
La vieille Genevoise. Moi, Monsieur ?... Est-ce bien possible ! - Et en quoi, je vous prie ?

L'Auteur. Le voici. Faites-y attention, s'il vous plaît. - Chaque dimanche, en commençant le premier service du matin, vous vous levez, avec toute l'église, et vous déclarez reconnaître et confesser de tout voire coeur, et devant la sainte majesté de Dieu, que vous n'êtes qu'une pauvre pécheresse, conçue et née dans le péché et la corruption ; qui, tous les jours, et en diverses manières, transgressez les saints commandements du Seigneur ; ce qui fait, ajoutez-vous, que vous attirez sur vous, par le juste jugement de Dieu, la condamnation et la mort. Voilà ce que vous dites et déclarez publiquement. Puis, aujourd'hui, à cette heure même, lorsqu'on vous demande ce que vous êtes devant la loi de Dieu, vous dites précisément le contraire, en répétant que si vous n'êtes pas sans faute, cependant vous êtes intègre et vertueuse, et que vous n'avez pas de bien grands reproches à vous faire.
Vous le voyez, je pense, il faut, ou bien que vous disiez la vérité, et en sincérité de coeur, lorsque vous vous tenez debout devant Dieu avec l'église, et qu'en ce cas-là vous disiez aujourd'hui une chose fausse ; ou bien il faut qu'à cette heure-ci vous soyez sincère, et que lorsque vous êtes à l'église, le dimanche, vous ne le soyez pas.
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible ! Est-ce que je serais ainsi en contradiction avec moi-même ?... Et pourtant la chose est toute claire. Non, je ne dis pas à présent ce que j'ai dit à l'Eglise. C'est positif.

L'Auteur. Vous rappelez-vous, je vous prie, comment parlait le Pharisien, dans la parabole de cet homme-là et du publicain ?
La vieille Genevoise. Oui, oui. Il se vantait de n'être pas comme le publicain.

L'Auteur. C'est-à-dire que, tout en faisant profession de sa religion, et tout en s'adressant à Dieu par une prière, il se glorifiait cependant de n'avoir pas de bien grands reproches à se faire.
La vieille Genevoise. Je comprends, Monsieur. J'ai parlé, je le vois, comme le Pharisien. Je ne l'aurais pas supposé, je vous assure.

L'Auteur. Oui, chère Madame ; vous avez été, à ce qu'il me semble, jusqu'à présent, dans ce que la Sainte-Écriture appelle la propre justice ; ce qui veut dire, que vous avez pensé que vos vertus, votre honnêteté et ce que vous nommiez vos bonnes oeuvres, (comme par exemple, d'aller à l'église, de lire la Bible ou de faire quelque aumône) que tous ces mérites de votre âme vous obtiendraient de Dieu un bon accueil, et que cela l'engagerait à passer par-dessus vos fautes ou vos péchés, et à vous recevoir dans le ciel.
La vieille Genevoise. Mais, Monsieur, est-ce que les bonnes oeuvres ne méritent donc rien devant Dieu ? J'ai toujours pensé que notre religion et notre bonne conduite entreraient en ligne de compte, au Jugement dernier, et qu'ainsi, en remplissant mes devoirs, j'effacerais, peut-être pas tout-à-fait, mais enfin en bonne partie, mes péchés.

L'Auteur. Hé bien ! chère Madame, tout en vous disant protestante et ancienne genevoise, vous n'avez eu, en cela, que la fausse religion d'une pauvre ignorante romaine.
La vieille Genevoise. Moi ! Monsieur, une catholique ! Est-ce bien possible ?

L'Auteur. Jugez-en vous-même. Les papistes, tout en disant que Dieu a fait notre salut, enseignent, et croient, cependant, qu'il faut faire beaucoup de choses pour mériter et posséder enfin ce salut-là. Ils pensent donc, ces pauvres égarés, que le chrétien ne sera sauvé qu'autant qu'il l'aura mérité et gagné, sinon entièrement, du moins en bonne portion, par ses obéissances et ses oeuvres. Or vous, Madame, vous avez eu la même idée jusqu'à présent. Vous avez eu donc absolument la même religion que ces pauvres ignorants romanistes.
La vieille Genevoise. Moi ! Monsieur ? Ai-je donc jamais cru au pape, ou bien prié la Vierge, on bien adoré des images ?

L'Auteur. Je ne le pense pas ; mais en tant que vous avez imaginé que le salut se mérite, vous avez été, en cela, du moins, toute semblable aux papistes ; et remarquez bien que ce point-là est l'essentiel.
La vieille Genevoise. Vous me faites peur, en vérité ; et je commence à voir que je me suis beaucoup méprise sur mon salut.

L'Auteur. Tellement méprise, en effet, que vous avez, (toujours, je le répète, sans le savoir et sans le vouloir !) renié de fait le Sauveur, le Seigneur Jésus.
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible ! Monsieur ? Cela me fait toute trembler. - Montrez-moi vite comment j'ai pu le faire, s'il vous plaît.

L'Auteur. Comprenez-le par une comparaison. Si je suis esclave, et qu'un ami paie ma rançon, il est évident que je redeviens libre, et que c'est par le bienfait de cet ami.
La vieille Genevoise. Certainement ; car personne n'aurait l'idée de dire que c'est l'esclave qui se libère lui-même.

L'Auteur. Si donc, après que mon ami a payé ma rançon, je m'imagine et je dis, ou bien que je n'étais pas esclave, ou bien que c'est moi qui ai payé ma rançon, il est aussi de toute évidence que je renie mon bienfaiteur et son bienfait.
La vieille Genevoise. Je comprends ! Je comprends à présent ! Oui, je vois que lorsque j'ai pensé ou dit que Dieu ne m'abandonnerait pas, à cause de mes bonnes-oeuvres, j'ai, de fait, mis de côté le Seigneur Jésus. Et cependant je vous assure que je n'en avais pas l'intention. C'est singulier ! Comme on peut se tromper soi-même !

L'Auteur. Et s'imaginer, n'est-ce pas, que le péché n'est pas plus criminel devant Dieu que devant les hommes ?
La vieille Genevoise. Mais... laissez-moi vous demander si vous croyez que le péché soit, en effet, aussi condamnable qu'on le dit quelquefois.

L'Auteur. Dites-moi, Madame, que penseriez-vous d'une dette que j'aurais, si vous appreniez que, pour la payer, il a fallu que le roi de Prusse, l'empereur d'Autriche et la reine d'Angleterre unissent tous leurs trésors ?
La vieille Genevoise. Mais, Monsieur, la chose, parle d'elle-même. Je dirais sans hésiter que votre dette était énorme, monstrueuse, puisqu'il aurait fallu tant d'argent pour l'éteindre.

L'Auteur. Que direz-vous donc d'un péché qui n'a pu être effacé et remis que par le sacrifice, que par la mort, du Fils de Dieu ?
La vieille Genevoise. Cela m'est tout nouveau, Monsieur. Jamais je n'y ai pensé jusqu'à cette heure. Je ne puis dire l'émotion que cela me cause. Le péché est donc quelque chose de bien grand, de bien profond devant Dieu ?

L'Auteur. Ah ! vous sentez que si pour effacer mon péché, Dieu eût fait mourir un ange, un séraphin, il serait évident déjà que ce péché n'était pas peu de chose. Mais que serait un séraphin, et même toutes les légions des anges, en comparaison de Dieu lui-même ! Et si Dieu s'est donné pour me racheter de mon péché, que pensez-vous donc que soit mon péché ? Est-il peu de chose ?
La vieille Genevoise. Mais, Monsieur, qu'avez-vous dit, s'il vous plaît, de Dieu lui-même ? J'ai bien toujours cru que Jésus-Christ a été sacrifié pour nous, mais jamais je n'ai ouï dire qu'il fût Dieu lui-même.

L'Auteur. Ah ! c'est qu'apparemment vous aurez prêté l'oreille à quelqu'un de ces pauvres et malheureux incrédules, qui, ayant renié la religion de nos pères, osent dire que le Seigneur Jésus-Christ n'est pas l'Éternel-Dieu manifesté en chair.
La vieille Genevoise. Il se peut ; car je ne savais pas, je vous assure, que Jésus-Christ soit Dieu. Je savais bien qu'il est le Fils de Dieu, mais je ne pensais pas qu'il soit Dieu lui-même.

L'Auteur. Vous ne pensiez pas non plus, je présume, ni que vous soyez née dans le péché, ni que la punition du péché sera éternelle, en enfer ?
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible ! Monsieur ? Est-on réellement né dans le péché ; et de plus est-il bien vrai que l'enfer ne doive jamais finir ?

L'Auteur. C'est pour nous racheter de l'un et de l'autre que le Père éternel a donné son Fils, et que le Fils éternel de Dieu s'est sacrifié. Or vous sentez que si l'homme fût né sans péché, oui que si les peines de l'enfer n'eussent pas été infinies, éternelles, il n'eût pas été nécessaire ni que Dieu lui-même se fit homme, ni qu'il fût maudit sur la croix,
La vieille Genevoise. Maudit sur la croix !... Jésus-Christ, dites-vous, a été maudit ?... Est-ce bien possible !

L'Auteur. « Il a été livré pour nos offenses, dit la Sainte-Écriture, et il est ressuscité pour notre justification. Christ, est-il dit encore, nous a rachetés de la malédiction de la loi de Dieu, quand il a été fait malédiction pour nous. »
La vieille Genevoise. Oui, je me rappelle ces passages. Mais je croyais, Monsieur, que cette mort de Jésus-Christ n'avait fait que nous ouvrir la porte, si je puis dire, et qu'il nous fallait ensuite mériter le reste, en marchant au chemin nous-mêmes.

L'Auteur. Hé bien, chère Madame, encore ici vous n'étiez qu'une pauvre ignorante romaine, et à l'imitation du pape, vous avez renié en cela le Sauveur. Car enfin si le Seigneur Jésus, par sa mort, n'a effacé que le commencement du péché, et qu'il faille encore, (comme le disent les pauvres ignorants romanistes) que ce sacrifice du Sauveur se répète, ou se prolonge, dans la Messe, il est clair que quand le Seigneur Jésus était sacrifié, il ne faisait pas alors tout ce qu'il fallait faire pour le salut. Il n'était donc pas un Sauveur ; car vous comprenez qu'un Sauveur sauve : ce qui veut dire qu'il fait le tout, et tout d'une fois.
La vieille Genevoise. J'en suis tout étonnée. Jamais je n'y avais pris garde. Il est clair que si Jésus a sauvé une âme, il l'a sauvée tout-à-fait. Par conséquent, qu'y ajouter ou qu'y refaire ?

L'Auteur. Aussi devez-vous voir que ce que vous avez voulu faire, jusqu'à présent, soit pour effacer vos péchés, soit pour mériter de Dieu quelque portion de votre salut, que tout cela s'est trouvé tout aussi faux que la Messe, puisque dans la Messe on répète, ou reproduit, le sacrifice du Sauveur, et que par cette Messe le pauvre ignorant romain s'imagine gagner ou mériter son pardon. La Messe renie donc le sacrifice du Sauveur, tout en prétendant le reproduire ; et vous avez fait la même chose, quand vous cherchiez à mériter le salut. Je vous le répète : vous n'avez été, à votre insu, que comme une ignorante papiste.
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible ! Quelle découverte !... Et alors, cher Monsieur, que faut-il que je fasse à présent ?

L'Auteur. Dites-moi, je vous prie, ce que vous en pensez vous-même.
La vieille Genevoise. Mais... je crois... qu'il faut que je pense à Dieu beaucoup plus souvent.

L'Auteur. Si un criminel pense, et même sans cesse, au juge et à la loi, en sera-t-il moins coupable ?
La vieille Genevoise. Mais si en même temps je prie Dieu et que je lui demande de faire mon salut, est-ce qu'il ne m'exaucera pas ?

L'Auteur. Dites-moi, Madame, si Dieu nous dit qu'il nous a donné la vie éternelle, et que cette vie est en son Fils, que faut-il lui répondre ? Faut-il lui demander de le faire, ou bien plutôt faut-il le croire, s'y confier et en être joyeux ?
La vieille Genevoise. Mais, Monsieur, on ne peut pas demander à Dieu de faire une chose qu'il a déjà faite et accomplie.

L'Auteur. Donc, Madame, vous ne pouvez pas prier Dieu ni d'envoyer en ce monde Jésus, ni de l'exposer à la mort et de l'immoler sur la croix.
La vieille Genevoise. Hé ! non sans doute, puisque ce sont des choses que Dieu a déjà faites.

L'Auteur. C'est pourquoi il nous faut les croire, et même de tout notre coeur ; car si on ne les croit pas, on renie ce que Dieu a fait ; et si on ne les croit qu'à demi, c'est comme si l'on disait que Dieu ne dit la vérité qu'à demi. Et c'est ce que vans avez fait, quoique sans le savoir. Oui, comme dit St-Jean, vous « avez fait Dieu menteur. »
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible !... J'ai fait Dieu menteur ?

L'Auteur. Hé ! certainement. Dieu vous déclarait que Jésus-Christ, par sa mort, a racheté son Église : que par son sang, il a lavé et pour toujours effacé les péchés de son peuple ; et Jésus, lui-même, pour vous le certifier, a mis, dans sa vraie Église, son pain et sa coupe, symboles consacrés de son corps rompu et de son sang répandu. Vous les avez vus et même pris l'un et l'autre, dans le sacrement de la Cène ; et cependant vous avez si peu cru que cela fût vrai, et qu'en effet le Fils de Dieu eût été immolé, qu'au contraire vous avez toujours pensé qu'il vous fallait prier Dieu de vous sauver. Certes si, selon votre devoir, vous eussiez cru que la vie éternelle nous a été donnée en Jésus, et que Jésus nous l'a acquise par son sacrifice, vous n'eussiez jamais eu même l'idée de prier Dieu pour que cela se fit pour vous. Vous l'eussiez cru, vous en eussiez été heureuse, et au lieu de demander à Dieu un salut déjà fait, vous eussiez remercié Dieu d'une telle grâce.
La vieille Genevoise. Ah ! Monsieur, je vois maintenant ce que vous voulez me montrer. Le salut, notre salut, n'est-ce pas, a été fait par le Sauveur, lorsqu'il a été sacrifié pour nous ; et nous devons le croire, oui, le croire de tout notre coeur, comme une chose déjà à faite, et non plus comme une chose qui soit encore à faire ?

L'Auteur. Chère Madame, Dieu seul connaît ce qui se passe dans votre conscience. Mais si ce que vous venez de dire est en effet en vous, et que vous le croyiez, vous êtes ce que la Sainte-Écriture nomme convertie, ce qui veut dire retournée. C'est-à-dire que jusqu'à ce jour vous avez considéré votre salut, le rachat de votre âme et votre pardon de la part de Dieu, comme une chose future qui était devant vous, et que vous espériez atteindre un jouir, par vos efforts, vos vertus, vos prières et mille autres choses. Mais à présent, comprenant que le Sauveur a fait par lui-même la purification de nos péchés, et que par son sacrifice et sa résurrection glorieuse, il a opéré, et en entier, le salut de l'Eglise, il est clair que vous ne regardez plus, pour être sauvée à une chose à venir, mais que c'est à une chose déjà passée : savoir au sacrifice de Jésus.
C'est donc en arrière, c'est-à-dire à la mort du Sauveur, déjà passée, que vous regardez à présent et non plus en avant, vers vos oeuvres et leur récompense. Vous êtes donc retournée, ou convertie ; et c'est pourquoi, a cette question que je vous fais de nouveau, « si Dieu vous retirait de ce monde, que deviendrait votre âme ? » vous répondrez bien différemment de ce que vous l'avez fait d'abord.
La vieille Genevoise. Ah ! Monsieur, à présent je dirai, (et je vous assure que je suis touchée et toute émue dans mon coeur !) oui, je dirai, et sans me vanter, que si je mourrais à présent, je crois que mon âme irait vers Dieu, puisque Jésus-Christ l'a déjà rachetée par son sang : comme je le vois clairement, et comme je veux le croire de tout mon coeur.

L'Auteur. Dans ce cas-là, chère Madame, vous ne serez plus semblable ni à une pauvre ignorante romaine, ni à quelque misérable incrédule. Si vous croyez maintenant en Jésus, pour avoir la vie éternelle, et que votre âme se repose sincèrement sur ce qu'il a fait, sur son sacrifice éternel et sur sa promesse, vous devez être tranquille sur votre salut puisqu'il vous dit ces mots, si positifs et si puissants : « En vérité, en vérité, celui qui croit en moi a la vie éternelle ; » mots que l'apôtre saint Jean répète, lorsqu'il dit : « Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au Nom du Fils de Dieu, afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, et que vous croyiez au Nom du Fils de Dieu.
La vieille Genevoise. Quelle erreur, quelle grande ignorance, était la mienne ! Est-il bien possible, Monsieur, que tout en me disant chrétienne, j'aie encore été si loin de Jésus-Christ ?

L'Auteur. Ah ! Madame, que de protestants sont ici tout-à-fait semblables aux pauvres ignorants romanistes, et comme ceux-ci s'imaginent qu'ils doivent et qu'ils peuvent mériter et gagner leur salut par leur religion et leurs vertus ! - Ils ne sont pas idolistes, il est vrai ; ils ont un culte plus raisonnable et plus conforme à l'Évangile que le papisme, mais de fait ils ont la même religion que les romanistes, puisqu'ils renient comme eux le sacrifice infini et expiatoire du Fils de Dieu, lorsqu'ils pensent et disent qu'il faut mériter son salut. Quelle folie, que de vouloir mériter une grâce ! Les mots mêmes sont en contradiction. Et combien plus les choses le sont-elles !
La vieille Genevoise. Ainsi donc, Monsieur, le salut ne coûte rien ?

L'Auteur. Ah ! chère Madame, il a coûté beaucoup, infiniment ; mais le tout a été payé par le Seigneur lui-même. C'est là qu'est l'immense amour de Dieu. « Il l'a fait paraître, dit un apôtre, lorsque Christ est mort pour nous, qui n'étions que des pécheurs. » Vous voyez qu'il ne pouvait coûter davantage, puisqu'il a coûté tout ce que Dieu même pouvait donner et faire.
La vieille Genevoise. Était-ce bien là, Monsieur, l'ancienne religion de Genève ?

L'Auteur. C'est la religion chrétienne, chère Madame, Ç'a été, toujours la religion de l'Eglise de Dieu, car c'est la religion apostolique. Il n'y en a point d'autre dans toute la Sainte-Écriture, et à la bienheureuse Réformation on ne prêchait et croyait que cela.
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible, Monsieur ? Pourquoi donc la connaît-on si peu chez nous ? On ne la prêche donc plus ? Pour moi, je ne l'ai jamais entendue, je vous assure.

L'Auteur. De qui donc, je vous prie, recevez-vous instruction ? Car, grâce à Dieu, ils ne manquent plus, à Genève, ceux qui enseignent et publient que Jésus-Christ est Dieu béni éternellement, qu'il a expié les péchés de son Église, ci que tout pécheur qui croit sincèrement en lui, est justifié gratuitement.
La vieille Genevoise. Est-ce bien possible ! Monsieur ?... D'où vient donc que je l'ai ignoré jusqu'à présent ?

L'Auteur. Hélas ! sans doute, de ce que vous ne l'avez pas écouté, et surtout de ce que vous ne l'avez pas cru. Car, je le répète, bien souvent vous avez dû entendre dire et prêcher que Jésus-Christ a versé son sang pour racheter son Église.
La vieille Genevoise. Alors donc je n'y avais rien compris, car j'étais loin, bien loin, de penser que mon salut ne dût pas se faire par moi. Mais surtout, Monsieur, que j'étais ignorante, lorsque je prenais la Sainte-Cène !

L'Auteur. En quoi, s'il vous plaît ?
La vieille Genevoise. Hé ! en ce que je la prenais pour faire en quelque sorte mon salut ; tandis que cette Communion rappelle que le salut a été fait par le Sauveur, lorsqu'il s'est donné pour nous. - Quel renversement de cette sainte ordonnance !

L'Auteur. Eh bien, répondez-moi donc encore une fois. Si Dieu vous redemandait votre âme aujourd'hui, que deviendrait-elle ?
La vieille Genevoise. Je vous l'ai dit, et je vous le redis de tout mon coeur - Je crois qu'elle irait au ciel. Et cela, non pas à cause de mes vertus : non ; je n'y veux plus penser : mais à cause du sacrifice du Sauveur. C'est lui, et lui seul, qui a fait tout mon salut,

L'Auteur. Qu'allez-vous donc faire, dès aujourd'hui ? Cesserez-vous, pour cela, de prier Dieu, ou de vouloir lui obéir ?
La vieille Genevoise. Mais, Monsieur, ne sera-ce pas tout le contraire ? Puisque Dieu m'a tant aimée, n'est-ce pas tout naturel, et tout juste aussi, que je l'aime à mon tour, et que pour le lui témoigner, je m'applique à lui obéir, autant qu'il me sera possible ?

L'Auteur. Voilà ce qui prouvera que vous croyez en Jésus. Oui, chère Madame, votre obéissance à la loi de Dieu, cette obéissance d'amour et de reconnaissance, montrera que l'Esprit-Saint a renouvelé votre coeur et qu'il vous dirige. La sainteté est le fruit de l'arbre de la foi.
La vieille Genevoise. Ah ! je vois à présent quelque chose de tout nouveau. Les bonnes oeuvres viennent donc après qu'on sait et qu'on est sûr que Jésus nous a sauvés ?

L'Auteur. Comment viendraient-elles avant puisque le Chrétien les fait par amour pour son Père céleste, pour son bon et glorieux Sauveur, et par cet Esprit filial qui lui certifie qu'il est sauvé ?
La vieille Genevoise. Hé bien ! Monsieur, il n'y a pas huit jours que j'ai entendu une Soeur-grise, comme on les appelle, qui disait, chez un malade de mon voisinage, que les protestants enseignent qu'après qu'on est sauvé, on peut vivre comme on l'entend. Elle disait encore que lorsqu'on serait sûr d'être déjà sauvé, on se laisserait aller à toutes sortes de désordres ; et elle appelait cela une religion du diable.

L'Auteur. Cette pauvre ignorante romaine montrait donc qu'elle ne connaît ni le Sauveur, ni l'efficace du Saint-Esprit, puisque le premier fruit de cet Esprit, c'est l'amour pour Dieu, et que celui qui aime Dieu s'applique à garder ses commandements. Mais ne vous étonnez pas de cette accusation. C'était déjà ce que les ignorants et les incrédules disaient du temps même des apôtres. Le fait est que celui qui croit de coeur en Jésus, reçoit l'entier pardon de ses péchés, et que par l'enseignement et l'efficace du Saint-Esprit, il désire dès lors s'attacher à son Sauveur et lui plaire en toute chose. Cette pauvre romaniste était donc encore bien ignorante de l'Évangile du salut, et par cela même tout-à-fait étrangère à la direction du Saint-Esprit.
La vieille Genevoise. Cependant, Monsieur, j'ai entendu la même chose de la bouche d'un Missionnaire catholique, il n'y a pas plus de trois semaines. J'étais dans un village du Canton et j'allai par pure curiosité entendre ce Missionnaire. Il dit, je vous assure, de bien bonnes choses sur la sainteté. Il fallait voir comme il censurait les avares et les incrédules ; et chacun pleurait, quand il parla de la charité.

L'Auteur. Mais que dit-il donc sur ceux qui sont sûrs de leur salut ?
La vieille Genevoise. Il les appela des orgueilleux, qui se croyaient meilleurs que les autres hommes, et qui s'abandonnaient ensuite à toutes sortes de vices.

L'Auteur. Et pensez-vous maintenant qu'il eût raison de parler ainsi ?
La vieille Genevoise. Je vois qu'il se trompait. Puisque le salut est une grâce que Dieu nous fait, il n'y a point d'orgueil ni à croire à cette grâce, ni à la posséder. C'est comme un mendiant à qui un prince donnerait une bourse d'or : il n'y aurait point d'orgueil pour ce pauvre homme à s'en réjouir, ni même à s'en vanter. Sa joie serait toute à la gloire du prince et de sa largesse.

L'Auteur. Et ce mendiant, pensez-vous qu'il parlerait mal du prince et qu'il le haïrait, ou bien qu'il emploierait aussitôt cet or à nuire à son bienfaiteur ?
La vieille Genevoise. Je comprends. Monsieur vous voulez dire que le vrai chrétien ne haïra pas Dieu, duquel il a reçu son salut.

L'Auteur. C'est pourquoi, vous le voyez, ce Missionnaire, en disant que les vrais chrétiens, par cela même qu'ils connaissent et possèdent leur salut, en prennent occasion de se livrer au désordre, attribuait au démon ce qui est l'oeuvre du Saint-Esprit. Il commettait donc un péché bien criminel, en même temps qu'il prêchait sa propre ignorance des premiers rudiments de l'Évangile.

La vieille Genevoise. Hé bien ! Monsieur, croyez-moi quand je vous dis que de bons protestants disent aussi la même chose. Hier encore j'entendais un monsieur de ma connaissance soutenir que plus on est humble, plus on doit douter qu'on soit sauvé.

L'Auteur. Je pense donc, chère Madame, que ce monsieur-là, quand il prie, se garde bien de dire, Notre Père qui es aux cieux ! Car comment dire à Dieu mon Père, si je doute que je sois son enfant ? Il faut donc que ce protestant-là dise à Dieu, quand il fait sa prière : Notre Père, peut-être, qui es aux cieux !
La vieille Genevoise. C'est pourtant bien vrai ! Voilà notre prière, cette prière qu'on apprend dès le berceau, qui commence par la certitude qu'on est un enfant de Dieu, et cependant on la récite et répète, tout en disant qu'on n'est pas encore sûr d'être sauvé ! Est-ce bien possible qu'on dise ainsi à la fois le oui et le non ?

L'Auteur. Vous le voyez, Madame, on prononce des phrases de religion, sans que le coeur en croie un seul mot. Jésus nous a sauvés, dit-on, mais il ne faut pas en être sûr de peur que si on le croie, on ne haïsse aussitôt le Sauveur et qu'on ne méprise sa volonté.
La vieille Genevoise. Monsieur, je commence à voir que nous avons bien tort à Genève de nous dire religieux. Ah ! qu'il y en a peu qui croient tout de bon ce que Jésus a fait !

L'Auteur. Grâce à Dieu, leur nombre augmente de semaine en semaine. La vraie religion se prêche en plusieurs chaires ; les Réunions de piété se multiplient dans divers quartiers, et déjà plus d'un romaniste, et même plus d'un prêtre, a été éclairé et converti à la vraie foi ; comme aussi plus d'un protestant mort est devenu vivant. Voyez, Madame, ce qui vient de vous arriver. N'est-ce pas Dieu lui-même qui éclaire votre âme ?
La vieille Genevoise. Dieu soit béni, cher Monsieur, pour les bonnes choses que vous m'avez dites ! J'en suis toute réjouie, toute restaurée. Mon âme est devenue comme plus légère, plus libre. Oui, je veux dès aujourd'hui remercier Dieu de son immense amour pour moi ; et quand je le prierai, à présent, je lui demanderai son bon et saint Esprit, afin que par lui je devienne meilleure.

L'Auteur. C'est la Bible, chère Madame, qui nous enseigne ce que Dieu veut de ses enfants, et c'est elle, aussi, qui sanctifie nos âmes. Il vous faut donc la lire désormais comme faisait votre père, je veux dire chaque jour, et toujours en demandant à Dieu de la bénir pour vous, son enfant.
La vieille Genevoise. Je vous suis bien obligée, très-obligée, Monsieur, de toute votre bonté. Je pourrai donc dire à présent que je suis revenue à la religion de nos pères : à la vraie religion de Dieu ?

L'Auteur. Oui, chère Madame ; car c'est bien celle de la Sainte-Bible. C'est la religion de la grâce, et c'est la religion qui sanctifie. C'est donc bien la religion du Sauveur : la vraie et sainte religion de l'Eglise chrétienne ; et telle fut aussi la Religion de nos pères.

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