Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES DEUX MONTAGNARDS.

-------



Plusieurs iront et diront : Venez, et montons à la montagne de l'Éternel.
( Esaïe Il, 3.)


Je visitais une des belles montagnes du Canton de Vaud, où la pureté de l'air se joint aux sites les plus pittoresques, et qu'habite un peuple encore simple et craignant Dieu. J'avais gravi, dans une promenade matinale, un sentier escarpé, et d'un plateau découvert qui domine la vallée, je contemplais ces monts dont les noires forêts contrastent avec les brillantes sommités des Alpes et de leurs glaciers, et je pensais, en voyant une eau rapide et bouillonnante traverser de riches prairies, à la brièveté de la vie humaine, toujours plus rapide qu'un torrent, et d'ordinaire plus agitée que ses ondes parmi les rochers.

Deux montagnards, un homme et une femme, descendaient vers le lieu où j'étais arrêté, et à leur approche, je priai Dieu de bénir les paroles que je me proposais de leur adresser.
Ce souhait fut exaucé, Lecteur ; et en vous racontant l'entretien que j'eus alors avec eux, je demande à Celui qui le donna de le bénir aussi pour votre âme.

Le Montagnard, en s'approchant du Voyageur. Bonjour, Monsieur ! - Vous regardez la belle vue ?
Le Voyageur. Je regardais cette eau, mes amis, si abondante et si rapide, et je pensais à ce que dit Moïse dans un des psaumes de la Sainte-Bible, que « nos jours sont emportés comme par une ravine d'eau. » - Une ravine est encore plus rapide que ce ruisseau !

Les deux montagnards s'arrêtèrent, comme pour entrer en conversation, L'homme s'appuya sur une hache qu'il portait, et la femme posa ses deux mains sur le haut de son bâton.

Le Montagnard. Ah ! c'est bien vrai, que notre vie s'écoule plus vite qu'un ruisseau ! Voilà ma femme et moi, qui avons déjà vécu plus de quarante ans, et qu'est-ce que cela nous semble, à présent que c'est passé ?
Le Voyageur. La même Parole dit que notre vie, même toute une longue vie, n'est qu'un songe, qui au matin s'est dissipé.

Le Montagnard. Et cependant (c'est pourtant bien mal fait à nous !) qu'on y pense peu !
La Femme. On dirait qu'on doit vivre toujours ! (Avec un profond soupir : ) Et cependant nous voyons mourir notre père, notre mère, et aussi... nos enfants !

Des larmes tombèrent alors sur ses joues, et je compris que son coeur de mère avait déjà souffert de pénibles sacrifices.

Le Voyageur. Notre vie, quelque facile qu'elle soit, n'est qu'un temps d'épreuve ; elle va bientôt se terminer, et ce qui nous importe, par-dessus tout, c'est de bien savoir ce qu'en sera l'issue.
Le Montagnard. Ah ! oui, sans doute. C'est là l'essentiel ; et c'est pourquoi je dis qu'on n'y pense que bien peu, et toujours, que trop peu.

Je pris alors la hache du montagnard et j'en examinai le tranchant, désirant de savoir ce qu'était cet homme, en le faisant parler sur ce qui le concernait.
Ah ! voilà le tourment, dit-il en regardant l'instrument de son travail.

Le Voyageur. Mon ami, quand Adam, notre père, eut péché, Dieu aussitôt créa cette hache pour vous, comme pour d'autres une bêche et d'autres outils. Le travail pénible devint dès lors le châtiment de l'homme pécheur et mortel, et vous et moi nous sommes nés sous cette juste sentence. - Pourquoi donc s'en plaindre ? Dieu ne s'est pas trompé ; et il n'a pas oublié, non plus, en vous mettant cette hache à la main, ni quelles sont vos forces, ni que vous avez besoin de repos.
La Femme, avec beaucoup de douceur. On ne travaille jamais plus qu'on ne peut ; et d'ailleurs, ce n'est jamais pour rien.

Le Voyageur. Et croyez-moi, aussi : le bûcheron, dans la forêt, jouit d'une bien plus grande liberté que l'artisan des villes. Et combien de maux et de dangers il évite, quant à son âme, s'il est pieux si la crainte de Dieu est dans son coeur !
Le Montagnard. C'est pourtant bien vrai ! il y a bien des idées mauvaises et bien des dissipations et des habitudes dans une ville, et dont nous, paysans, nous n'avons pas même la pensée.

Le Voyageur. Ce n'est pas à dire que le péché soit moins à la montagne qu'à la ville ; car il se trouve partout où est un coeur d'homme.
La Femme. Et voilà justement, Monsieur, ce qui ôte la paix. Ce ne serait rien que de vivre de travail, si l'on n'avait pas toujours le péché qui vous suit jour et nuit et qui vous ôte le sommeil.

Le Voyageur à la Montagnarde. Quel est votre nom, je vous prie ?
La Femme. Je m'appelle Marie, et mon mari, Pierre.

Le Voyageur. Eh bien, Marie, ce que vous dites sur le péché, montre que vous craignez Dieu et que vous avez peur de ses châtiments. Et en effet, le salaire du péché, c'est la mort ; c'est l'indignation du dernier jour, où nous tous nous serons jugés, et justement.
Pierre. Et vous croyez donc, Monsieur, que Dieu punira véritablement tout péché, et même ceux qu'on fait chaque jour ?

Le Voyageur. Dieu est saint, mon ami, et il ne nous a pas menti, quand il a déclaré que l'âme qui aura péché mourra. Il n'a pas dit : l'âme qui aura fait de grands péchés ; mais il a dit : l'âme qui aura péché.
Pierre. Cependant, Monsieur, quand on est honnête homme, et qu'on ne fait point de tort à son prochain, est-ce que Dieu vous traite donc comme si l'on était de mauvaises gens ?

Le Voyageur. Écoutez, Pierre. S'il y avait une loi qui prononçât que personne n'entrera dans l'église que nous voyons là-bas, vers ce grand rocher, s'il doit même un seul sou, pensez-vous que vous pussiez y entrer parce que, peut-être, vous ne devriez que dix ou quinze francs ?
Pierre. Puisqu'un seul sou m'empêcherait d'entrer, il est clair que dix ou quinze francs m'empêcheraient encore plus.

Le Voyageur. Vous n'y entreriez donc pas plus facilement que celui qui devrait, je suppose, dix mille francs ou davantage ?
Marie. Hé ! non, sans doute, puisqu'un seul sou vous arrêterait et vous fermerait la porte.... Et je comprends bien ce que cela veut dire. C'est une comparaison, n'est-ce pas, Monsieur ?

Le Voyageur. Oui, mes amis. La Sainte-Écriture dit que Dieu est lumière, et qu'il n'a point de communion avec les ténèbres. Or, le péché, c'est de l'obscurité ; c'est ces ténèbres que Dieu repousse de son ciel et de sa présence. Et puisque Dieu hait et maudit le péché, quelque petit qu'il paraisse aux yeux du monde, il est clair que tout homme qui est coupable de péché, d'un seul péché, n'entrera pas dans la lumière de Dieu. Ce serait donc une folie, en même temps que de l'incrédulité, de s'imaginer que, parce qu'on n'a pas commis des crimes, on entrera au ciel. Je le répète, Pierre, celui qui doit un seul sou de péché n'entrera pas dans ce Temple-là.
Pierre, très-réfléchi. Ah ! cela devient sérieux, tout de bon ; car enfin, tout honnête homme qu'on est, on n'est pas cependant, sans péché. Qui oserait dire qu'il n'ait point fait de mal ?
Marie. Et voilà justement ce qui trouble. Vous le sentez, quoiqu'on soit de bien braves gens, et qu'on ne veuille faire de mal à personne, cependant on se fâche, on se dépite ; et puis aussi on oublie la prière, ou ne pense pas à Dieu, et l'on fait bien des choses que les Dix Commandements condamnent... Ah ! il y aurait bien à faire pour être meilleur, au milieu d'un si mauvais monde !

Le Voyageur. Vous ne pensez donc pas, mes amis, que vous pussiez paraître maintenant devant Dieu, tels que vous êtes ?
Pierre. Quelquefois nous disons avec ma femme, (car je vous assure que nous en parlons encore assez souvent !) que Dieu, qui est si bon et si compatissant, ne nous fera pas rendre compte, et qu'il prendra notre vie comme en un seul bloc, je veux dire tant le bien que le mal, et qu'il aura pitié de nous...
Marie, avec sérieux. Tu oublies, Pierre, que ce sera toujours à cause de sa grande grâce, en notre Seigneur Jésus-Christ.

Le Voyageur. Ah ! Marie, voilà une parole d'or ; et puisque vous avez nommé cette grâce de Dieu, je veux demander à votre mari s'il sait ce que c'est que la grâce divine.
Pierre. Je pense (vous me direz, s'il vous plaît, si je me trompe !) que c'est le pardon de nos péchés, que Dieu nous a donné en son Fils, qui est mort pour nous ; mais pourvu que nous fassions tout ce qu'il nous commande. Car si on ne le fait pas, ... merci !
Marie, vivement. Et comme on est bien loin de l'avoir fait, on se trouble, comme j'ai dit, sur l'avenir, de peur d'être enfin privé de cette grâce.

Le Voyageur. Dites-moi, Marie, croyez-vous qu'Abraham, ou Moïse, ou David, ou St-Paul, ou St-Jean n'aient jamais péché, c'est-à-dire qu'ils aient fait toujours et en toutes choses tout ce que Dieu commande dans la Sainte-Écriture ?
Marie. Je ne le pense pas, Monsieur, puisqu'il est dit dans la Bible, qu'il n'y a personne qui ne pèche et que nous bronchons tous en diverses manières.

Le Voyageur. Cela étant donc, comment s'est-il pu faire que Moïse, David ou St-Paul, aient si souvent parlé de la grâce de Dieu, comme la possédant ?
Pierre. Ah ! ces saints-là étaient bien meilleurs que nous !

Le Voyageur. D'accord ! Mais toujours étaient-ils des pécheurs ; et comme tels ils devaient, comme vous et comme moi, avoir peur du jugement de Dieu. D'où leur vint donc cette assurance de la grâce de Dieu à leur égard ? Car enfin ils devaient toujours ce seul sou dont nous avons parlé.

Je ne sais pas, dit Marie en baissant les yeux. mais pour moi je n'oserais pas dire que j'aie cette paix-là.

Le Voyageur. Cette paix-là, mes amis, c'est la PAIX DE DIEU. Abraham, Moïse, David, et tous les saints Apôtres, l'ont connue et possédée. Et comme je la connais aussi, il faut, n'est-ce pas, que je vous dise comment elle m'est parvenue ?
Pierre, en tendant sa main au Voyageur. Vous avez trop de bonté, Monsieur, et nous en serons bien reconnaissants, je vous assure !

Le Voyageur. Eh bien, voyons !... Et que Dieu bénisse ce que je vais vous dire !

Amen ! dit Pierre, en soulevant le bord de son chapeau. Amen ! dit aussi Marie, en baissant la tête.

Le Voyageur. D'abord nous remarquerons que quand Dieu dit une chose, elle est vraie tout de bon.
Marie, avec respect. Dieu est le Dieu-Fort, le Dieu de vérité.

Le Voyageur. Oui, Marie ; mais ce que vous n'avez pas encore compris, à ce que je vois, c'est que quand Dieu parle, ce qu'il dit n'est pas vrai, et ne devient pas vrai, parce que nous le croyons, mais que c'est déjà vrai avant même que nous le croyions. Si donc nous ne le croyons pas, toujours, cependant, cela demeure-t-il vrai.
Pierre, étonné. C'est singulier comme cela me frappe en ce moment. Je n'y avais pas encore fait attention. - Oui, c'est tout clair ! - Quand Dieu dit une chose, cette chose se trouve être vraie, puisque Dieu ne dit que la vérité.

Le Voyageur. Alors donc, notre devoir, c'est de croire avec le plus profond respect ce que Dieu dit, sans y rien opposer.
Pierre. C'est très-clair. Car puisqu'on croit un homme qui ne ment pas, on doit bien plutôt croire Dieu qui est la vérité même.

Le Voyageur. C'est précisément ce que dit l'apôtre St-Jean. Si nous recevons, dit-il, le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus considérable.

Dans ce moment, deux enfants qui descendaient la montagne, chargés de leurs seaux de lait, s'approchèrent, et le voyageur les arrêtant, leur demanda s'ils savaient lire.
Oui, Monsieur, dit le plus grand. Nous allons tous deux à l'école.
Voyons ! poursuivit le voyageur, en tirant de sa poche un traité-religieux. Lis-moi ce titre.
L'enfant lut distinctement : La bonne Emplète, ou le vrai bonheur acquis sans argent, et pour toujours.

Pierre, en souriant. C'est, en effet, une bonne emplète que celle-là ! Bienheureux celui qui peut la faire !

Et toi ! dit le voyageur à l'autre enfant. Viens, et lis ceci.
L'enfant lut aussi très-couramment : Ce que Dieu garde est bien gardé.

Ah bien sûr ! dit Marie en soupirant. Il n'y a point de gardien ni de défenseur comme Dieu !
Eh bien ! mes enfants, continua le voyageur, puisque vous lisez si bien, emportez ces deux traités. Je vous les donne de bon coeur. - Que Dieu les bénisse pour vos âmes !

Les enfants remercièrent avec respect et continuèrent à descendre.
Enfants ! leur cria le voyageur, en les rappelant, êtes-vous sûrs que ces traités soient à vous ?
Oui, Monsieur, répondit le plus jeune, puisque vous nous les avez donnés.
Et d'où savez-vous que je vous les ai donnés ? demanda le voyageur.
C'est parce que vous nous l'avez dit ! répondirent, ensemble les deux enfants.
Vous avez raison, mes enfants ! dit le voyageur avec cordialité. Ils sont bien à vous, car je ne vous ai pas trompés.

Les enfants remercièrent encore, et ils poursuivirent leur route.

Le Voyageur, en regardant Marie. Vous le voyez, Marie ! Ils sont sûrs que ces traités leur appartiennent, parce qu'ils ont cru véritablement ce que je leur ai dit... Pourquoi donc, je vous prie, ne serions-nous pas sûrs aussi que le salut de Dieu est à nous, si Dieu nous le dit lui-même de sa propre bouche ?
Pierre. Mais, Monsieur, c'est à ces enfants, à eux-mêmes, que vous avez dit la chose.... Et Dieu !.... Il ne nous parle pas ainsi, comme un homme à un autre homme ?

Le Voyageur. Si bien ! cher Pierre. C'est à chacun de nous que Dieu parle. Autrement quelle paix aurait notre âme ?
Marie, humblement. Mais où et quand Dieu nous parle-t-il ainsi ?

Le Voyageur. Hé ! mes bons amis, Dieu ne parle-t-il pas dans sa Parole ? La Bible n'est-elle pas la voix même de Dieu, et n'est-ce pas à tout homme, à moi, à vous, et à qui que ce soit qui la lit ou l'entend, que cette voix de Dieu dit, que le salut est un don de sa grâce en Jésus-Christ, et qu'ainsi quiconque croit en Jésus-Christ à ce salut, et pour toujours ?
Pierre. Je comprends, à présent. Oui, Dieu nous parle dans la Sainte-Écriture, et si je l'écoute, c'est à moi que sa voix s'adresse.

Le Voyageur. Certainement. Car que dit Dieu ? Ne dit-il pas à vous, à moi, à Marie, que nous sommes des pécheurs, et que le salaire du péché c'est la mort ? - Est-il sur la terre un homme à qui Dieu ne le dise pas, lui qui déclare qu'il n'y a pas un seul homme qui ne pèche ; pas un qui n'ait fait le mal, pas un seul qui soit juste ? - Et puisqu'il dit aussi que quiconque a péché est maudit par la juste loi de Dieu, n'est-ce pas à vous et à moi que Dieu déclare que notre péché est maudit ?
Pierre. Mais, Monsieur, Dieu n'est-il pas tout bonté et tout compassion ? Comment donc penser qu'il maudisse, oui, maudisse à jamais, les péchés que nous avons pu faire ?

Le Voyageur. Ah ! cher Pierre, voilà de l'incrédulité. - Dieu l'avait dit aussi, aux jours de Noé. Le monde alors parla comme vous. Il dit aussi : Comment Dieu le fera-t-il ? Et le déluge vint, qui les fit tous périr. - Pierre, Pierre ! Dieu ne ment pas !
Pierre. J'ai eu tort, Monsieur, et je vous en demande pardon.

Le Voyageur. Ah ! que Dieu vous pardonne ! ... » Car c'est lui, et non pas moi, que cette remarque a offensé. - Dieu a dit : Maudit soit quiconque a péché. Cela veut dire, et bien clairement, que tout péché sera maudit.
Marie. Ah ! Monsieur, c'est une terrible chose que d'être maudit de Dieu !

Le Voyageur. Mais aussi, Marie, c'est une bien bel le chose que d'être reçu. en grâce et d'être béni ! Et n'est-ce pas pour que nous le soyons que Dieu nous a donné un Sauveur ?
Pierre. Oui, Monsieur.... Mais.... ce n'est pas tout le monde qui l'a ! Il y en a bon nombre qui en sont encore bien loin !

Le Voyageur. C'est leur faute, et toujours leur faute. C'est comme une source d'eau fraîche qui coule près du chemin, au plus chaud de l'été. Ceux qui passent n'ont qu'à s'en approcher et y boire autant qu'ils veulent. S'il y en a qui n'en veuillent pas et qui la méprisent, eh bien, qu'ils aillent ! - Leur soif leur restera, et ils ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes.
Marie. Vous pensez donc que si mon mari et moi nous nous approchons du Sauveur, il nous recevra, et tels que nous sommes ?

Le Voyageur. Hé ! ma chère Marie, que nous dit-il à tous ? Venez aux eaux, crie-t-il, vous qui êtes altérés ! Que celui qui a soif vienne, et qu'il boive ! Et Dieu ne dit-il pas à tout homme qui a des oreilles pour l'entendre, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle ?
Pierre, avec sentiment. Que c'est clair, cependant ! Dieu ne nous trompe pas, et il ne fait pas son offre en l'air. C'est tout de bon qu'il parle ainsi, et puisqu'il le promet, c'est qu'il veut le faire... Pourquoi donc a-t-on tant de peine à le croire et à s'y con fier ?

Le Voyageur. Ah ! mes amis, c'est que l'homme est ennemi de Dieu dans son coeur, et que tout ce qui lui vient de la charité, de la compassion, de Dieu, il s'en défie, et il le repousse avec orgueil.
Marie. Je crois que c'est bien cela. Oui, ce n'est que l'orgueil qui nous arrête. On veut se croire quelque chose. On veut se dire honnêtes et braves gens, et c'est pour cela qu'on n'écoute pas Dieu, quand il nous parle de son amour et du pardon qu'il nous donne en Jésus-Christ.
Pierre. Tout cela me chagrine. Car enfin... j'étais meilleur que je ne le suis, quand j'étais plus jeune. Oui, j'avais vraiment alors plus de religion. - Mais, voilà !... ce sont les affaires de ce monde qui vous détournent du bon chemin. On veut gagner de l'argent. On veut se faire un sort ; et l'on ne s'occupe plus autant du ciel et de Dieu. - C'est là mon mal, Monsieur, et ce que vous venez de dite me le fait voir tout de bon.
Marie, tout émue. Voyez, Monsieur, on ne fait rien pour Dieu. On est fier, et, je le redis, on ne s'inquiète pas du Sauveur et de son salut : de cette grâce de Dieu qui est en Jésus-Christ.

Le Voyageur. Ah ! Marie, vous dites là une bien sérieuse parole, et si Dieu vous humilie ainsi, vous êtes bien heureuse, puisque vous consentez à être sauvée gratuitement.
Pierre. Gratuitement !... Cela veut dire, n'est-ce pas, Monsieur, sans que cela nous coûte rien ? Sans que nous ayons rien à faire ou à donner pour l'avoir ?

Le Voyageur. Précisément. Dieu est infini dans sa miséricorde envers le pécheur, et il n'a pas besoin que le pécheur lui apporte quelque chose pour l'engager à lui pardonner. Dieu n'est pas un marchand de salut ; et vous sentez qu'il ne cherche de notre part aucun profit, comme dit la Sainte-Écriture. Il ne nous a pas vendu l'existence, quand il nous a créés ; et il ne nous vend pas davantage la vie éternelle. Il nous l'a donnée en son Fils, et cela, uniquement parce qu'il nous a aimés ; parce qu'il a eu pitié de nous. Achetez de moi, nous dit-il par un prophète, sans argent et sans aucun prix du vin et du lait ; ce qui veut dire son salut, sa paix.
Pierre, qui tend de nouveau sa main au Voyageur. Bien obligé ! Grand merci ! Monsieur. Voilà qui fait dit bien, et c'est une bonne rencontre que nous avons faite aujourd'hui !
Marie, à demi-voix. Oui, une bien bonne rencontre, en vérité !... Mais, cependant, Monsieur, il faut devenir meilleurs que nous ne sommes, je pense ?

Le Voyageur. Marie, il y avait dans un bois un poirier sauvage, et qui par conséquent ne produisait chaque saison que des fruits aigres et durs. Mais il arriva qu'un homme entendu greffa ce poirier....
Pierre. Ah ! je comprends !.... Alors le poirier, quand la greffe eut pris et qu'elle fut devenue forte, produisit de bons fruits !.... Oui, oui, c'est encore tout clair. Il fallait qu'il fût greffé. Impossible qu'il donnât autrement de bons fruits.

Le Voyageur. Aussi l'apôtre St-Jacques nous invite-t-il à recevoir avec douceur la Parole de la vérité, qui, si elle est greffée en nous, a la puissance de nous sauver d'abord, puis ensuite de nous faire produire les bons fruits de la sagesse.
Pierre. Ah ! je vois la chose ! - J'avais toujours pensé (et que de fois aussi je l'ai dit !) que si l'on se croyait déjà sauvé, cela nous engagerait à vivre à notre fantaisie. Je suis sauvé ! dirait quelqu'un. Eh bien ! c'est fait ! À présent vivons comme bon nous semble !
Marie. Te rappelles-tu pas que tu disais cela, en te moquant, à la vieille Gertrude, quand elle rendait grâce au Sauveur de l'avoir rachetée par son sang.
Pierre. Hé ! ne l'ai-je pas dit, aussi, et que de fois ! de ceux qui s'assemblent le soir du dimanche, à la cure et ailleurs !... Mais je comprends, à présent ! C'est tout l'opposé. Puisque l'arbre greffé donne de bons fruits, ]'homme qui est devenu vrai chrétien, fait le bien, et non pas le mal.
C'est tout clair. Puisqu'il aime Dieu, il faut bien qu'il le lui prouve. Et comment le prouver, si ce n'est en bien vivant ?

Le Voyageur. Vous le voyez, Pierre. Un ivrogne, par exemple, s'il se soumet au Sauveur, et qu'il cesse ainsi d'être un incrédule, connaît aussitôt l'amour de Dieu en Jésus, et dès lors il a honte et chagrin d'être dissolu, intempérant, et de faire ce que maudit la loi de Dieu, qui dit que les ivrognes n'hériteront point le royaume des cieux. De même pour une femme médisante, ou paresseuse, ou peu chaste. Si le coeur est changé, il faut bien qu'il en sorte autre chose que ce qu'il produisait quand il était dans l'impiété.
Pierre. Mais, pourtant, Monsieur, ce n'est pas d'un jour que tout ceci se fait. Il y a des défauts qui sont bien profonds dans le coeur, et....

Le Voyageur. Mon cher Pierre, quand un homme va tomber dans un précipice, s'il s'arrête et qu'il se retourne, le premier pas qu'il fait, prouve déjà qu'il est sauvé. Tous les pas qui suivront le premier ne viendront qu'après ce premier-là. Et ces pas quelquefois sont bien lents et bien courts ! Mais enfin, toujours s'éloignent-ils, l'un après l'autre, du précipice et de la mort.
Marie. Oh ! Monsieur, je vous le dis : cela nous encourage beaucoup, grâce à Dieu ! il nous faut donc nous confier tout-à-fait au Sauveur, avant tout ; puis, après, le Sauveur nous apprendra peu à peu à lui obéir ? Il nous fera marcher à rebours de notre première direction ?

Le Voyageur. C'est après qu'un coeur s'est soumis franchement à ce bon Sauveur ; oui, c'est après qu'il a ainsi reçu de lui le pardon de ses péchés et le don de tout son salut, que le Saint-Esprit vient habiter dans ce coeur et qu'il lui enseigne, jour après jour, à aimer et à faire la volonté de Dieu. - On n'obéit pas à Dieu avant que d'aimer Dieu ; et l'on n'aime pas Dieu aussi longtemps qu'on a peur de lui et de son jugement.
Pierre, en souriant. Que cela fait de bien, Monsieur ! Je comprends donc à présent que le Sauveur nous a tout-à-fait rachetés de la condamnation éternelle, et que son bon Esprit veut nous apprendre à le servir, pendant que nous sommes encore sur la terre. C'est une bien belle chose que cette miséricorde de Dieu envers nous ! Comme c'est saint !

Le Voyageur. Et vous comprenez, mes bons amis, que le Saint-Esprit nous montre dans la Bible comment nous devons marcher, pour suivre notre Sauveur. Ce n'est pas le tout d'avoir été tiré d'une prison qui était située sur le haut des rochers et au milieu des forêts ou des précipices. Il faut encore, pour redescendre sûrement dans la plaine, avoir un guide qui connaisse bien les sentiers. et qui nous fasse traverser les mauvais pas. - Eh bien ! ce guide sûr, c'est le Saint-Esprit, et sa voix, sa main, son bras robuste et toujours prêt à nous porter, c'est sa Parole, c'est la Sainte-Bible.

Bien obligé ! Monsieur, dit Marie avec émotion. Nous voyons maintenant la chose tout différemment qu'avant. Oui, je sens mon coeur comme soulagé et réjoui ! - Pierre ! n'est-ce pas ? nous allons donc lire la Bible beaucoup plus, puisque c'est elle qui doit nous mener au chemin ?
Pierre, avec bonté. Je te le promets, Marie ; et Dieu voulant, je le tiendrai de tout mon coeur !.... Allons ! que Dieu nous fasse souvenir de ce que nous avons appris à cette heure.

Le Voyageur, avec gravité. Marie, vous avez raison de penser à la Bible et d'inviter Pierre à la lire. C'est l'abandon du Livre de Dieu qui prépare l'oubli, et bientôt le mépris, de la présence, et finalement, du Jugement de Dieu. Croyez-moi, mes amis, il y a tel homme qui maintenant est esclave de mauvais penchants, et qui n'a été surmonté par eux, que lorsqu'il a mis de côté la Parole du Seigneur.
Pierre, en soupirant. J'en sais quelque chose ! La Sainte-Bible se lisait chez mon père, et tous les jours, matin et soir ; et quand mon père, devenu vieux et presque aveugle, ne pouvait plus la lire lui-même, il se la faisait lire plusieurs fois dans la journée. Que de fois il me fit venir pour cela ! Je la saurais par coeur, si j'eusse voulu la retenir. - Mais la jeunesse est volage, et je faisais comme tous les autres ; et quand mon père a été mort, j'ai laissé la Bible d'abord un peu, puis tout-à-fait ; et quant à mon âme et au ciel, hélas ! à peine y ai-je pensé sérieusement.
Marie. Cependant, Pierre, tu te rappelles qu'au commencement de notre mariage, nous lisions ensemble la Bible tous les jours ; et que l'année dernière, aussi, lorsque Dieu nous a retiré notre Philippine, (ah ! c'est elle qui était pieuse ; qui aimait la Bible, ) eh bien ! tu me dis qu'il fallait revenir à la Sainte-Écriture, et que nous la lirions chaque jour.
Pierre. Eh bien oui ! Mais, je le reconnais, cela n'a pas tenu. j'ai été pris, de nouveau, par le monde, ou plutôt.... par mon coeur dur et mort... Mais cela va changer, je l'espère ; et s'il plaît au bon Dieu, je lirai maintenant sa Parole chaque jour, et en lui demandant le secours de sa grâce.

Le Voyageur. Voyez, Pierre, ce qui fait, de nos jours, l'incrédulité, le désordre, le luxe et la folie du peuple, presque partout, et dans plus d'un village déjà c'est que la Bible ne se lit plus dans les familles. Autrefois, mes amis, il en était autrement, et la Parole de Dieu était bien plus en honneur. En voulez-vous une preuve ? La voici :
Voyez-vous, dans toute la vallée, et jusque sur les hauteurs et tout près des rochers, ces vieilles maisons, que le temps a noircies ? Eh bien ! il n'en est pas une où ne se lisent, écrits en grosses lettres sur la face principale, deux ou trois passages de l'Écriture, ou bien quelques versets des psaumes ; et toujours il y est parlé de la grâce de Dieu et du salut qui est en Jésus.
Mais, mes amis, approchez-vous des maisons neuves ; de celles qu'on a bâties depuis dix ou vingt ans, et voyez quelle différence ! S'il en est une, ici et là, où la grâce de Dieu soit encore mentionnée et où le maître ait fait écrire un passage du Saint-Livre, que voit-on sur les autres ? À peine y parle-t-on du secours divin, ou de l'Être Suprême, mais de la grâce de Dieu, mais de Jésus, mais du ciel et de son héritage, pas un mot ! Ah ! mes amis, cela ne prouve que trop que dans les vieilles maisons, quand elles furent bâties, la Bible était plus en honneur qu'elle ne l'est aujourd'hui dans les maisons neuves.
Je ne demande pas mieux que de me tromper ; mais j'ai bien peur que ma remarque ne soit fondée.
Marie. Eh bien ! Monsieur, qu'il n'en soit pas ainsi chez nous ! Je le demande à Dieu de tout mon coeur, et je me confie en sa grande charité. Non, ce n'est pas pour rien qu'il nous a fait dire aujourd'hui de si bonnes choses. Nous serions bien mauvais, si nous les méprisions. Que Dieu nous en préserve !

Amen ! dit Pierre à demi-voix. Qu'il le fasse et qu'il nous bénisse !

Le voyageur ajouta quelques encouragements ; puis il offrit aux montagnards deux des mêmes traités religieux qu'il avait donnés aux enfants, avec un autre plus étendu et intitulé : Le Nouveau Bartimée, ou l'aveugle devenu voyant.
Vous lirez ceci, mes chers amis, leur dit-il, en les recommandant à la grâce de Dieu, et vous y verrez trois choses :
La première, que de notre nature, nous ne sommes que de pauvres aveugles qui nous traînons avec peine dans les ténèbres du péché et de ce mauvais monde.
La seconde que dès que notre coeur croit en Jésus-Christ et se soumet à lui, nous recevons de la grâce de Dieu la vite céleste, c'est-à-dire la connaissance du salut et de la lumière divine.
Et la troisième, que le premier usage que nous faisons de cette lumière, de cette vue nouvelle, c'est de suivre le Sauveur ; sous la direction de son Esprit, et au beau chemin que sa sainte et forte Parole nous montre, et qui, sans aucune erreur, nous mène droit au ciel.

Les deux montagnards remercièrent avec affection le voyageur qui les quitta, en glorifiant dans son coeur ce bon Dieu qui avait lui-même préparé cette rencontre et qui l'avait si évidemment bénie.

Ne croyez-vous pas, Lecteur, que Pierre a été sincère, et qu'en s'engageant auprès de marie à lire désormais la Sainte-Bible chaque jour, il a vraiment senti et désiré ce qu'il promettait ?
Pour moi, je ne doute pas que ces deux âmes n'aient reçu de Dieu une lumière nouvelle et un doux encouragement. Mon coeur était serein et rempli de paix, pendant que je leur parlais ; et j'ai compris alors, pour moi-même, d'un côté quelle doit être la reconnaissance de ceux à qui le Seigneur a révélé sa grâce ; et d'un autre côté, quel devoir c'est pour eux de garder un tel dépôt et de l'augmenter, par la lecture et l'étude de la Parole de vie.

Bienheureux est l'homme, est-il écrit au premier Psaume, qui prend plaisir en la Loi de l'Éternel, et qui médite cette Loi jour et nuit ! Il sera comme un arbre planté près du ruisseaux d'eaux, qui rend son fruit en sa saison, et dont le feuillage ne se flétrit point.

Quelle belle promesse, Lecteur ! Oh ! que Dieu nous la fasse aimer, et qu'il l'accomplisse en nous !

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant