Je visitais une des belles montagnes du Canton
de Vaud, où la pureté de l'air se
joint aux sites les plus pittoresques, et qu'habite
un peuple encore simple et craignant Dieu. J'avais
gravi, dans une promenade matinale, un sentier
escarpé, et d'un plateau découvert
qui domine la vallée, je contemplais ces
monts dont les noires forêts contrastent avec
les brillantes sommités des Alpes et de
leurs glaciers, et je pensais, en voyant une eau
rapide et bouillonnante traverser de riches
prairies, à la brièveté de la
vie humaine, toujours plus rapide qu'un torrent, et
d'ordinaire plus agitée que ses ondes parmi
les rochers.
Deux montagnards, un homme et une femme,
descendaient vers le lieu où j'étais
arrêté, et à leur approche, je
priai Dieu de bénir les paroles que je me
proposais de leur adresser.
Ce souhait fut exaucé,
Lecteur ; et en vous racontant l'entretien que
j'eus alors avec eux, je demande à Celui qui
le donna de le bénir aussi pour votre
âme.
Le
Montagnard,
en s'approchant du Voyageur. Bonjour,
Monsieur ! - Vous regardez la belle
vue ?
Le
Voyageur. Je regardais cette eau, mes amis, si
abondante et si rapide, et je pensais à ce
que dit Moïse dans un des psaumes de la
Sainte-Bible, que « nos jours sont
emportés comme par une ravine
d'eau. » - Une ravine est encore plus
rapide que ce ruisseau !
Les deux montagnards
s'arrêtèrent, comme pour entrer en
conversation, L'homme s'appuya sur une hache qu'il
portait, et la femme posa ses deux mains sur le
haut de son bâton.
Le
Montagnard. Ah ! c'est bien vrai,
que notre vie s'écoule plus vite qu'un
ruisseau ! Voilà ma femme et moi, qui
avons déjà vécu plus de
quarante ans, et qu'est-ce que cela nous semble,
à présent que c'est
passé ?
Le
Voyageur. La même Parole dit que
notre vie, même toute une longue vie, n'est
qu'un songe, qui au matin s'est
dissipé.
Le
Montagnard. Et cependant (c'est pourtant
bien mal fait à nous !) qu'on y pense
peu !
La
Femme. On dirait qu'on doit vivre
toujours ! (Avec un profond soupir : ) Et
cependant nous voyons mourir notre père,
notre mère, et aussi... nos
enfants !
Des larmes tombèrent alors
sur ses joues, et je compris que son coeur de
mère avait déjà souffert de
pénibles sacrifices.
Le
Voyageur. Notre vie, quelque facile
qu'elle soit, n'est qu'un temps
d'épreuve ; elle va bientôt se
terminer, et ce qui nous importe, par-dessus tout,
c'est de bien savoir ce qu'en sera
l'issue.
Le
Montagnard. Ah ! oui, sans doute.
C'est là l'essentiel ; et c'est
pourquoi je dis qu'on n'y pense que bien peu, et
toujours, que trop peu.
Je pris alors la hache du
montagnard
et j'en examinai le tranchant, désirant de
savoir ce qu'était cet homme, en le faisant
parler sur ce qui le concernait.
Ah ! voilà le tourment,
dit-il en regardant l'instrument de son
travail.
Le
Voyageur. Mon ami, quand Adam, notre
père, eut péché, Dieu
aussitôt créa cette hache pour vous,
comme pour d'autres une bêche et d'autres
outils. Le travail pénible devint dès
lors le châtiment de l'homme pécheur
et mortel, et vous et moi nous sommes nés
sous cette juste sentence. - Pourquoi donc s'en
plaindre ? Dieu ne s'est pas
trompé ; et il n'a pas oublié,
non plus, en vous mettant cette hache à la
main, ni quelles sont vos forces, ni que vous avez
besoin de repos.
La
Femme,
avec beaucoup de douceur. On ne
travaille jamais plus qu'on ne peut ; et
d'ailleurs, ce n'est jamais pour rien.
Le
Voyageur. Et croyez-moi, aussi : le
bûcheron, dans la forêt, jouit d'une
bien plus grande liberté que l'artisan des
villes. Et combien de maux et de dangers il
évite, quant à son âme, s'il
est pieux si la crainte de Dieu est dans son
coeur !
Le
Montagnard. C'est pourtant bien
vrai ! il y a bien des idées mauvaises
et bien des dissipations et des habitudes dans une
ville, et dont nous, paysans, nous n'avons pas
même la pensée.
Le
Voyageur. Ce n'est pas à dire que
le péché soit moins à la
montagne qu'à la ville ; car il se
trouve partout où est un coeur
d'homme.
La
Femme. Et voilà justement,
Monsieur, ce qui ôte la paix. Ce ne serait
rien que de vivre de travail, si l'on n'avait pas
toujours le péché qui vous suit jour
et nuit et qui vous ôte le
sommeil.
Le
Voyageur
à la Montagnarde. Quel est votre
nom, je vous prie ?
La
Femme. Je m'appelle Marie, et mon mari,
Pierre.
Le
Voyageur. Eh bien, Marie, ce que vous
dites sur le péché, montre que vous
craignez Dieu et que vous avez peur de ses
châtiments. Et en effet, le salaire du
péché, c'est la mort ; c'est
l'indignation du dernier jour, où nous tous
nous serons jugés, et justement.
Pierre. Et
vous croyez donc, Monsieur, que Dieu
punira véritablement tout
péché, et même ceux qu'on fait
chaque jour ?
Le
Voyageur. Dieu est saint, mon ami, et il
ne nous a pas menti, quand il a
déclaré que l'âme qui aura
péché mourra. Il n'a pas dit :
l'âme qui aura fait de grands
péchés ; mais il a dit :
l'âme qui aura péché.
Pierre. Cependant,
Monsieur, quand on est
honnête homme, et qu'on ne fait point de tort
à son prochain, est-ce que Dieu vous traite
donc comme si l'on était de mauvaises
gens ?
Le
Voyageur. Écoutez, Pierre. S'il y
avait une loi qui prononçât que
personne n'entrera dans l'église que nous
voyons là-bas, vers ce grand rocher, s'il
doit même un seul sou, pensez-vous que vous pussiez
y entrer parce que,
peut-être, vous ne devriez que dix ou quinze
francs ?
Pierre.
Puisqu'un seul sou m'empêcherait
d'entrer, il est clair que dix ou quinze francs
m'empêcheraient encore plus.
Le
Voyageur. Vous n'y entreriez donc pas
plus facilement que celui qui devrait, je suppose,
dix mille francs ou davantage ?
Marie. Hé !
non, sans doute,
puisqu'un seul sou vous arrêterait et vous
fermerait la porte.... Et je comprends bien ce que
cela veut dire. C'est une comparaison, n'est-ce
pas, Monsieur ?
Le
Voyageur. Oui, mes amis. La
Sainte-Écriture dit que Dieu est
lumière, et qu'il n'a point de communion
avec les ténèbres. Or, le
péché, c'est de
l'obscurité ; c'est ces
ténèbres que Dieu repousse de son
ciel et de sa présence. Et puisque Dieu hait
et maudit le péché, quelque petit
qu'il paraisse aux yeux du monde, il est clair que
tout homme qui est coupable de péché,
d'un seul péché, n'entrera pas dans
la lumière de Dieu. Ce serait donc une
folie, en même temps que de
l'incrédulité, de s'imaginer que,
parce qu'on n'a pas commis des crimes, on entrera
au ciel. Je le répète, Pierre, celui
qui doit un seul sou de péché
n'entrera pas dans ce Temple-là.
Pierre,
très-réfléchi. Ah ! cela devient sérieux,
tout de bon ; car enfin, tout honnête
homme qu'on est, on n'est pas cependant, sans
péché. Qui oserait dire qu'il n'ait
point fait de mal ?
Marie.
Et voilà
justement ce qui trouble. Vous le sentez, quoiqu'on
soit de bien braves gens, et qu'on ne veuille faire
de mal à personne, cependant on se
fâche, on se dépite ; et puis
aussi on oublie la prière, ou ne pense pas
à Dieu, et l'on fait bien des choses que les
Dix Commandements condamnent... Ah ! il y
aurait bien à faire pour être
meilleur, au milieu d'un si mauvais
monde !
Le
Voyageur. Vous ne pensez donc pas, mes
amis, que vous pussiez paraître maintenant
devant Dieu, tels que vous
êtes ?
Pierre. Quelquefois
nous disons avec ma femme,
(car je vous assure que nous en parlons encore
assez souvent !) que Dieu, qui est si bon et
si compatissant, ne nous fera pas rendre compte, et
qu'il prendra notre vie comme en un seul bloc, je
veux dire tant le bien que le mal, et qu'il aura
pitié de nous...
Marie,
avec
sérieux. Tu oublies, Pierre, que
ce sera toujours à cause de sa grande
grâce, en notre Seigneur
Jésus-Christ.
Le
Voyageur. Ah ! Marie, voilà
une parole d'or ; et puisque vous avez
nommé cette grâce de Dieu, je veux
demander à votre mari s'il sait ce que c'est
que la grâce divine.
Pierre. Je
pense (vous me direz, s'il vous
plaît, si je me trompe !) que c'est le
pardon de nos péchés, que Dieu nous a
donné en son Fils, qui est mort pour
nous ; mais pourvu que nous fassions tout ce
qu'il nous commande. Car si on ne le fait pas, ...
merci !
Marie,
vivement. Et comme on est bien loin de
l'avoir fait, on se trouble, comme j'ai dit, sur
l'avenir, de peur d'être enfin privé
de cette grâce.
Le
Voyageur. Dites-moi, Marie, croyez-vous
qu'Abraham, ou Moïse, ou David, ou St-Paul, ou
St-Jean n'aient jamais péché,
c'est-à-dire qu'ils aient
fait toujours et en toutes choses tout ce que Dieu
commande dans la
Sainte-Écriture ?
Marie. Je ne
le pense pas, Monsieur, puisqu'il
est dit dans la Bible, qu'il n'y a personne qui ne
pèche et que nous bronchons tous en diverses
manières.
Le
Voyageur. Cela étant donc,
comment s'est-il pu faire que Moïse, David ou
St-Paul, aient si souvent parlé de la
grâce de Dieu, comme la
possédant ?
Pierre.
Ah ! ces
saints-là étaient bien meilleurs que
nous !
Le
Voyageur. D'accord ! Mais toujours
étaient-ils des pécheurs ; et
comme tels ils devaient, comme vous et comme moi,
avoir peur du jugement de Dieu. D'où leur
vint donc cette assurance de la grâce de Dieu
à leur égard ? Car enfin ils
devaient toujours ce seul sou dont nous avons
parlé.
Je ne sais pas, dit Marie en
baissant les yeux. mais pour moi je n'oserais pas
dire que j'aie cette paix-là.
Le
Voyageur. Cette paix-là, mes
amis, c'est la PAIX DE DIEU. Abraham, Moïse,
David, et tous les saints Apôtres, l'ont
connue et possédée. Et comme je la
connais aussi, il faut, n'est-ce pas, que je vous
dise comment elle m'est parvenue ?
Pierre,
en
tendant sa main au Voyageur. Vous avez
trop de bonté, Monsieur, et nous en serons
bien reconnaissants, je vous assure !
Le
Voyageur. Eh bien, voyons !... Et
que Dieu bénisse ce que je vais vous
dire !
Amen ! dit Pierre, en
soulevant
le bord de son chapeau. Amen ! dit aussi
Marie, en baissant la tête.
Le
Voyageur. D'abord nous remarquerons que
quand Dieu dit une chose, elle est vraie tout de
bon.
Marie,
avec
respect. Dieu est le Dieu-Fort, le Dieu
de vérité.
Le
Voyageur. Oui, Marie ; mais ce que
vous n'avez pas encore compris, à ce que je
vois, c'est que quand Dieu parle, ce qu'il dit
n'est pas vrai, et ne devient pas vrai, parce que
nous le croyons, mais que c'est déjà
vrai avant même que nous le croyions. Si donc
nous ne le croyons pas, toujours, cependant, cela
demeure-t-il vrai.
Pierre,
étonné. C'est singulier
comme cela me frappe en ce moment. Je n'y avais pas
encore fait attention. - Oui, c'est tout
clair ! - Quand Dieu dit une chose, cette
chose se trouve être vraie, puisque Dieu ne
dit que la vérité.
Le
Voyageur. Alors donc, notre devoir,
c'est de croire avec le plus profond respect ce que
Dieu dit, sans y rien opposer.
Pierre.
C'est
très-clair. Car puisqu'on croit un homme qui
ne ment pas, on doit bien plutôt croire Dieu
qui est la vérité
même.
Le
Voyageur. C'est
précisément ce que dit l'apôtre
St-Jean. Si nous recevons, dit-il, le
témoignage des hommes, le témoignage
de Dieu est plus considérable.
Dans ce moment, deux enfants qui
descendaient la montagne, chargés de leurs
seaux de lait, s'approchèrent, et le
voyageur les arrêtant, leur demanda s'ils
savaient lire.
Oui, Monsieur, dit le plus
grand.
Nous allons tous deux à l'école.
Voyons ! poursuivit le
voyageur, en tirant de sa poche un
traité-religieux. Lis-moi ce
titre.
L'enfant lut
distinctement : La
bonne Emplète, ou le vrai bonheur acquis
sans argent, et pour toujours.
Pierre,
en
souriant. C'est, en effet, une bonne
emplète que celle-là !
Bienheureux celui qui peut la
faire !
Et toi ! dit le
voyageur
à l'autre enfant. Viens, et lis
ceci.
L'enfant lut aussi
très-couramment : Ce que Dieu garde est
bien gardé.
Ah bien sûr ! dit Marie
en soupirant. Il n'y a point de gardien ni de
défenseur comme Dieu !
Eh bien ! mes enfants,
continua
le voyageur, puisque vous lisez si bien, emportez
ces deux traités. Je vous les donne de bon
coeur. - Que Dieu les bénisse pour vos
âmes !
Les enfants remercièrent avec
respect et continuèrent à
descendre.
Enfants ! leur cria le
voyageur, en les rappelant, êtes-vous
sûrs que ces traités soient à
vous ?
Oui, Monsieur, répondit le
plus jeune, puisque vous nous les avez
donnés.
Et d'où savez-vous que je
vous les ai donnés ? demanda le
voyageur.
C'est parce que vous nous l'avez
dit ! répondirent, ensemble les deux
enfants.
Vous avez raison, mes
enfants !
dit le voyageur avec cordialité. Ils sont
bien à vous, car je ne vous ai pas
trompés.
Les enfants remercièrent
encore, et ils poursuivirent leur route.
Le
Voyageur, en regardant Marie. Vous le
voyez, Marie ! Ils sont
sûrs que ces traités leur
appartiennent, parce qu'ils ont cru
véritablement ce que je leur ai dit...
Pourquoi donc, je vous prie, ne serions-nous pas
sûrs aussi que le salut de Dieu est à
nous, si Dieu nous le dit lui-même de sa
propre bouche ?
Pierre.
Mais, Monsieur,
c'est à ces enfants, à
eux-mêmes, que vous avez dit la chose.... Et
Dieu !.... Il ne nous parle pas ainsi, comme
un homme à un autre homme ?
Le
Voyageur. Si bien ! cher Pierre.
C'est à chacun de nous que Dieu parle.
Autrement quelle paix aurait notre âme
?
Marie,
humblement. Mais où et quand Dieu
nous parle-t-il ainsi ?
Le
Voyageur. Hé ! mes bons
amis, Dieu ne parle-t-il pas dans sa Parole ?
La Bible n'est-elle pas la voix même de Dieu,
et n'est-ce pas à tout homme, à moi,
à vous, et à qui que ce soit qui la
lit ou l'entend, que cette voix de Dieu dit, que le
salut est un don de sa grâce en
Jésus-Christ, et qu'ainsi quiconque croit en
Jésus-Christ à ce salut, et pour
toujours ?
Pierre. Je
comprends, à présent.
Oui, Dieu nous parle dans la
Sainte-Écriture, et si je l'écoute,
c'est à moi que sa voix
s'adresse.
Le
Voyageur. Certainement. Car que dit
Dieu ? Ne dit-il pas à vous, à
moi, à Marie, que nous sommes des
pécheurs, et que le salaire du
péché c'est la mort ? - Est-il
sur la terre un homme à qui Dieu ne le dise
pas, lui qui déclare qu'il n'y a pas un seul
homme qui ne pèche ; pas un qui n'ait
fait le mal, pas un seul qui soit juste ? - Et
puisqu'il dit aussi que quiconque a
péché est maudit par la juste loi de Dieu,
n'est-ce
pas
à vous et à moi que Dieu
déclare que notre péché est
maudit ?
Pierre. Mais,
Monsieur, Dieu n'est-il pas tout
bonté et tout compassion ? Comment donc
penser qu'il maudisse, oui, maudisse à
jamais, les péchés que nous avons pu
faire ?
Le
Voyageur. Ah ! cher Pierre,
voilà de l'incrédulité. - Dieu
l'avait dit aussi, aux jours de Noé. Le
monde alors parla comme vous. Il dit aussi :
Comment Dieu le fera-t-il ? Et le
déluge vint, qui les fit tous périr.
- Pierre, Pierre ! Dieu ne ment
pas !
Pierre. J'ai
eu tort, Monsieur, et je vous en
demande pardon.
Le
Voyageur. Ah ! que Dieu vous
pardonne ! ... » Car c'est lui, et
non pas moi, que cette remarque a offensé. -
Dieu a dit : Maudit soit quiconque a
péché. Cela veut dire, et bien
clairement, que tout péché sera
maudit.
Marie.
Ah !
Monsieur, c'est une terrible chose que d'être
maudit de Dieu !
Le
Voyageur. Mais aussi, Marie, c'est une
bien bel le chose que d'être reçu. en
grâce et d'être béni ! Et
n'est-ce pas pour que nous le soyons que Dieu nous
a donné un Sauveur ?
Pierre. Oui,
Monsieur.... Mais.... ce n'est pas
tout le monde qui l'a ! Il y en a bon nombre
qui en sont encore bien loin !
Le
Voyageur. C'est leur faute, et toujours
leur faute. C'est comme une source d'eau
fraîche qui coule près du chemin, au
plus chaud de l'été. Ceux qui passent
n'ont qu'à s'en approcher et y boire autant
qu'ils veulent. S'il y en a qui n'en veuillent pas
et qui la méprisent, eh bien, qu'ils
aillent ! - Leur soif
leur
restera, et ils ne pourront s'en prendre
qu'à eux-mêmes.
Marie. Vous
pensez donc que si mon mari et moi
nous nous approchons du Sauveur, il nous recevra,
et tels que nous sommes ?
Le
Voyageur. Hé ! ma
chère Marie, que nous dit-il à
tous ? Venez aux eaux, crie-t-il, vous qui
êtes altérés ! Que celui
qui a soif vienne, et qu'il boive ! Et Dieu ne
dit-il pas à tout homme qui a des oreilles
pour l'entendre, qu'il a donné son Fils
unique, afin que quiconque croit en lui ne
périsse pas, mais qu'il ait la vie
éternelle ?
Pierre,
avec sentiment. Que c'est clair,
cependant ! Dieu ne nous trompe pas, et il ne
fait pas son offre en l'air. C'est tout de bon
qu'il parle ainsi, et puisqu'il le promet, c'est
qu'il veut le faire... Pourquoi donc a-t-on tant de
peine à le croire et à s'y con
fier ?
Le
Voyageur. Ah ! mes amis, c'est que
l'homme est ennemi de Dieu dans son coeur, et que
tout ce qui lui vient de la charité, de la
compassion, de Dieu, il s'en défie, et il le
repousse avec orgueil.
Marie.
Je crois que
c'est bien cela. Oui, ce n'est que l'orgueil qui
nous arrête. On veut se croire quelque chose.
On veut se dire honnêtes et braves gens, et
c'est pour cela qu'on n'écoute pas Dieu,
quand il nous parle de son amour et du pardon qu'il
nous donne en Jésus-Christ.
Pierre. Tout
cela me chagrine. Car enfin...
j'étais meilleur que je ne le suis, quand
j'étais plus jeune. Oui, j'avais vraiment
alors plus de religion. - Mais,
voilà !... ce sont les affaires de ce
monde qui vous détournent du bon chemin. On
veut gagner de l'argent. On veut se faire un
sort ; et l'on ne s'occupe
plus autant du ciel et de Dieu. - C'est là
mon mal, Monsieur, et ce que vous venez de dite me
le fait voir tout de bon.
Marie,
tout
émue. Voyez, Monsieur, on ne fait
rien pour Dieu. On est fier, et, je le redis, on ne
s'inquiète pas du Sauveur et de son
salut : de cette grâce de Dieu qui est
en Jésus-Christ.
Le
Voyageur. Ah ! Marie, vous dites
là une bien sérieuse parole, et si
Dieu vous humilie ainsi, vous êtes bien
heureuse, puisque vous consentez à
être sauvée gratuitement.
Pierre.
Gratuitement !... Cela veut dire, n'est-ce
pas, Monsieur, sans que cela nous coûte
rien ? Sans que nous ayons rien à faire
ou à donner pour l'avoir ?
Le
Voyageur. Précisément.
Dieu est infini dans sa miséricorde envers
le pécheur, et il n'a pas besoin que le
pécheur lui apporte quelque chose pour
l'engager à lui pardonner. Dieu n'est pas un
marchand de salut ; et vous sentez qu'il ne
cherche de notre part aucun profit, comme dit la
Sainte-Écriture. Il ne nous a pas vendu
l'existence, quand il nous a
créés ; et il ne nous vend pas
davantage la vie éternelle. Il nous l'a
donnée en son Fils, et cela, uniquement
parce qu'il nous a aimés ; parce qu'il
a eu pitié de nous. Achetez de moi, nous
dit-il par un prophète, sans argent et sans
aucun prix du vin et du lait ; ce qui veut
dire son salut, sa paix.
Pierre,
qui
tend de nouveau sa main au Voyageur.
Bien obligé ! Grand merci !
Monsieur. Voilà qui fait dit bien, et c'est
une bonne rencontre que nous avons faite
aujourd'hui !
Marie,
à demi-voix. Oui, une bien bonne rencontre,
en
vérité !... Mais, cependant,
Monsieur, il faut devenir meilleurs que nous ne
sommes, je pense ?
Le
Voyageur. Marie, il y avait dans un bois
un poirier sauvage, et qui par conséquent ne
produisait chaque saison que des fruits aigres et
durs. Mais il arriva qu'un homme entendu greffa ce
poirier....
Pierre. Ah !
je comprends !....
Alors
le poirier, quand la greffe eut pris et qu'elle fut
devenue forte, produisit de bons fruits !....
Oui, oui, c'est encore tout clair. Il fallait qu'il
fût greffé. Impossible qu'il
donnât autrement de bons fruits.
Le
Voyageur. Aussi l'apôtre
St-Jacques nous invite-t-il à recevoir avec
douceur la Parole de la vérité, qui,
si elle est greffée en nous, a la puissance
de nous sauver d'abord, puis ensuite de nous faire
produire les bons fruits de la sagesse.
Pierre.
Ah ! je
vois la chose ! - J'avais toujours
pensé (et que de fois aussi je l'ai
dit !) que si l'on se croyait
déjà sauvé, cela nous
engagerait à vivre à notre fantaisie.
Je suis sauvé ! dirait quelqu'un. Eh
bien ! c'est fait ! À
présent vivons comme bon nous
semble !
Marie. Te
rappelles-tu pas que tu disais cela,
en te moquant, à la vieille Gertrude, quand
elle rendait grâce au Sauveur de l'avoir
rachetée par son sang.
Pierre.
Hé !
ne l'ai-je pas dit, aussi, et que de fois ! de
ceux qui s'assemblent le soir du dimanche, à
la cure et ailleurs !... Mais je comprends,
à présent ! C'est tout
l'opposé. Puisque l'arbre greffé
donne de bons fruits, ]'homme qui est devenu vrai
chrétien, fait le bien, et non pas le mal.
C'est tout clair. Puisqu'il aime
Dieu, il faut bien qu'il le lui prouve. Et comment
le prouver, si ce n'est en bien
vivant ?
Le
Voyageur. Vous le voyez, Pierre. Un
ivrogne, par exemple, s'il se soumet au Sauveur, et
qu'il cesse ainsi d'être un incrédule,
connaît aussitôt l'amour de Dieu en
Jésus, et dès lors il a honte et
chagrin d'être dissolu, intempérant,
et de faire ce que maudit la loi de Dieu, qui dit
que les ivrognes n'hériteront point le
royaume des cieux. De même pour une femme
médisante, ou paresseuse, ou peu chaste. Si
le coeur est changé, il faut bien qu'il en
sorte autre chose que ce qu'il produisait quand il
était dans
l'impiété.
Pierre.
Mais, pourtant,
Monsieur, ce n'est pas d'un jour que tout ceci se
fait. Il y a des défauts qui sont bien
profonds dans le coeur, et....
Le
Voyageur. Mon cher Pierre, quand un
homme va tomber dans un précipice, s'il
s'arrête et qu'il se retourne, le premier pas
qu'il fait, prouve déjà qu'il est
sauvé. Tous les pas qui suivront le premier
ne viendront qu'après ce premier-là.
Et ces pas quelquefois sont bien lents et bien
courts ! Mais enfin, toujours
s'éloignent-ils, l'un après l'autre,
du précipice et de la mort.
Marie.
Oh !
Monsieur, je vous le dis : cela nous encourage
beaucoup, grâce à Dieu ! il nous
faut donc nous confier tout-à-fait au
Sauveur, avant tout ; puis, après, le
Sauveur nous apprendra peu à peu à
lui obéir ? Il nous fera marcher
à rebours de notre première
direction ?
Le
Voyageur. C'est après qu'un coeur
s'est soumis franchement à ce bon
Sauveur ; oui, c'est après qu'il a
ainsi reçu de lui le pardon de ses péchés et le
don
de tout son salut, que le Saint-Esprit vient
habiter dans ce coeur et qu'il lui enseigne, jour
après jour, à aimer et à faire
la volonté de Dieu. - On n'obéit pas
à Dieu avant que d'aimer Dieu ; et l'on
n'aime pas Dieu aussi longtemps qu'on a peur de lui
et de son jugement.
Pierre,
en
souriant. Que cela fait de bien,
Monsieur ! Je comprends donc à
présent que le Sauveur nous a
tout-à-fait rachetés de la
condamnation éternelle, et que son bon
Esprit veut nous apprendre à le servir,
pendant que nous sommes encore sur la terre. C'est
une bien belle chose que cette miséricorde
de Dieu envers nous ! Comme c'est
saint !
Le
Voyageur. Et vous comprenez, mes bons
amis, que le Saint-Esprit nous montre dans la Bible
comment nous devons marcher, pour suivre notre
Sauveur. Ce n'est pas le tout d'avoir
été tiré d'une prison qui
était située sur le haut des rochers
et au milieu des forêts ou des
précipices. Il faut encore, pour redescendre
sûrement dans la plaine, avoir un guide qui
connaisse bien les sentiers. et qui nous fasse
traverser les mauvais pas. - Eh bien ! ce
guide sûr, c'est le Saint-Esprit, et sa voix,
sa main, son bras robuste et toujours prêt
à nous porter, c'est sa Parole, c'est la
Sainte-Bible.
Bien obligé ! Monsieur,
dit Marie avec émotion. Nous voyons
maintenant la chose tout différemment
qu'avant. Oui, je sens mon coeur comme
soulagé et réjoui ! -
Pierre ! n'est-ce pas ? nous allons donc
lire la Bible beaucoup plus, puisque c'est elle qui
doit nous mener au chemin ?
Pierre,
avec bonté. Je te le promets,
Marie ; et Dieu
voulant, je
le tiendrai de tout mon coeur !....
Allons ! que Dieu nous fasse souvenir de ce
que nous avons appris à cette
heure.
Le
Voyageur, avec gravité. Marie,
vous avez raison de penser à la Bible et
d'inviter Pierre à la lire. C'est l'abandon
du Livre de Dieu qui prépare l'oubli, et
bientôt le mépris, de la
présence, et finalement, du Jugement de
Dieu. Croyez-moi, mes amis, il y a tel homme qui
maintenant est esclave de mauvais penchants, et qui
n'a été surmonté par eux, que
lorsqu'il a mis de côté la Parole du
Seigneur.
Pierre,
en
soupirant. J'en sais quelque
chose ! La Sainte-Bible se lisait chez mon
père, et tous les jours, matin et
soir ; et quand mon père, devenu vieux
et presque aveugle, ne pouvait plus la lire
lui-même, il se la faisait lire plusieurs
fois dans la journée. Que de fois il me fit
venir pour cela ! Je la saurais par coeur, si
j'eusse voulu la retenir. - Mais la jeunesse est
volage, et je faisais comme tous les autres ;
et quand mon père a été mort,
j'ai laissé la Bible d'abord un peu, puis
tout-à-fait ; et quant à mon
âme et au ciel, hélas ! à
peine y ai-je pensé
sérieusement.
Marie. Cependant,
Pierre, tu te rappelles qu'au
commencement de notre mariage, nous lisions
ensemble la Bible tous les jours ; et que
l'année dernière, aussi, lorsque Dieu
nous a retiré notre Philippine, (ah !
c'est elle qui était pieuse ; qui
aimait la Bible, ) eh bien ! tu me dis qu'il
fallait revenir à la Sainte-Écriture,
et que nous la lirions chaque jour.
Pierre. Eh
bien oui ! Mais, je le
reconnais, cela n'a pas tenu. j'ai
été pris, de nouveau, par le monde, ou plutôt....
par
mon coeur dur et mort... Mais cela va changer, je
l'espère ; et s'il plaît au bon
Dieu, je lirai maintenant sa Parole chaque jour, et
en lui demandant le secours de sa
grâce.
Le
Voyageur. Voyez, Pierre, ce qui fait, de
nos jours, l'incrédulité, le
désordre, le luxe et la folie du peuple,
presque partout, et dans plus d'un village
déjà c'est que la Bible ne se lit
plus dans les familles. Autrefois, mes amis, il en
était autrement, et la Parole de Dieu
était bien plus en honneur. En voulez-vous
une preuve ? La voici :
Voyez-vous, dans toute la
vallée, et jusque sur les hauteurs et tout
près des rochers, ces vieilles maisons, que
le temps a noircies ? Eh bien ! il n'en
est pas une où ne se lisent, écrits
en grosses lettres sur la face principale, deux ou
trois passages de l'Écriture, ou bien
quelques versets des psaumes ; et toujours il
y est parlé de la grâce de Dieu et du
salut qui est en Jésus.
Mais, mes amis, approchez-vous
des
maisons neuves ; de celles qu'on a
bâties depuis dix ou vingt ans, et voyez
quelle différence ! S'il en est une,
ici et là, où la grâce de Dieu
soit encore mentionnée et où le
maître ait fait écrire un passage du
Saint-Livre, que voit-on sur les autres ?
À peine y parle-t-on du secours divin, ou de
l'Être Suprême, mais de la grâce
de Dieu, mais de Jésus, mais du ciel et de
son héritage, pas un mot ! Ah !
mes amis, cela ne prouve que trop que dans les
vieilles maisons, quand elles furent bâties,
la Bible était plus en honneur qu'elle ne
l'est aujourd'hui dans les maisons
neuves.
Je ne demande pas mieux que de
me
tromper ; mais j'ai
bien
peur que ma remarque ne soit
fondée.
Marie. Eh
bien ! Monsieur, qu'il n'en
soit
pas ainsi chez nous ! Je le demande à
Dieu de tout mon coeur, et je me confie en sa
grande charité. Non, ce n'est pas pour rien
qu'il nous a fait dire aujourd'hui de si bonnes
choses. Nous serions bien mauvais, si nous les
méprisions. Que Dieu nous en
préserve !
Amen ! dit Pierre à
demi-voix. Qu'il le fasse et qu'il nous
bénisse !
Le voyageur ajouta quelques
encouragements ; puis il offrit aux
montagnards deux des mêmes traités
religieux qu'il avait donnés aux enfants,
avec un autre plus étendu et
intitulé : Le Nouveau Bartimée,
ou l'aveugle devenu voyant.
Vous lirez ceci, mes chers amis,
leur dit-il, en les recommandant à la
grâce de Dieu, et vous y verrez trois
choses :
La première, que de notre
nature, nous ne sommes que de pauvres aveugles qui
nous traînons avec peine dans les
ténèbres du péché et de
ce mauvais monde.
La seconde que dès que notre
coeur croit en Jésus-Christ et se soumet
à lui, nous recevons de la grâce de
Dieu la vite céleste, c'est-à-dire la
connaissance du salut et de la lumière
divine.
Et la troisième, que le
premier usage que nous faisons de cette
lumière, de cette vue nouvelle, c'est de
suivre le Sauveur ; sous la direction de son
Esprit, et au beau chemin que sa sainte et forte
Parole nous montre, et qui, sans aucune erreur,
nous mène droit au ciel.
Les deux montagnards
remercièrent avec affection le voyageur qui
les quitta, en glorifiant dans son coeur ce bon
Dieu qui avait lui-même préparé cette rencontre et
qui
l'avait
si évidemment bénie.
Ne croyez-vous pas, Lecteur, que
Pierre a été sincère, et qu'en
s'engageant auprès de marie à lire
désormais la Sainte-Bible chaque jour, il a
vraiment senti et désiré ce qu'il
promettait ?
Pour moi, je ne doute pas que
ces
deux âmes n'aient reçu de Dieu une
lumière nouvelle et un doux encouragement.
Mon coeur était serein et rempli de paix,
pendant que je leur parlais ; et j'ai compris
alors, pour moi-même, d'un côté
quelle doit être la reconnaissance de ceux
à qui le Seigneur a
révélé sa grâce ;
et d'un autre côté, quel devoir c'est
pour eux de garder un tel dépôt et de
l'augmenter, par la lecture et l'étude de la
Parole de vie.
Bienheureux est l'homme, est-il
écrit au premier Psaume, qui prend plaisir
en la Loi de l'Éternel, et qui médite
cette Loi jour et nuit ! Il sera comme un
arbre planté près du ruisseaux
d'eaux, qui rend son fruit en sa saison, et dont le
feuillage ne se flétrit point.
Quelle belle promesse,
Lecteur ! Oh ! que Dieu nous la fasse
aimer, et qu'il l'accomplisse en nous !
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