Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CHRÉTIEN PRIMITIF

suite

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Le Voyageur. Le VIe siècle vit les mêmes oppositions aux prétentions de l'évêque de Rome ; et si, au commencement du VIIe siècle seulement, il s'attribua le titre d'Évêque universel, ce ne fut que lorsqu'un homme détestable, perdu de moeurs, d'impiétés et de crimes, Phocas, l'empereur, eut conféré à Boniface III ce privilège tout terrestre et charnel, contre lequel, cependant, s'élevèrent dès lors, et s'élèvent encore, la plupart des vastes églises, de l'Orient.
Encore ici, donc, Messieurs, ne soyez pas surpris qu'un chrétien primitif ne connaisse rien de cette prétendue suprématie de l'évêque de Rome, et de ce qu'il sourit, et peut-être avec mépris, lorsque cet intrus, (pardonnez, Messieurs !) qui se nomme le Pape, lui dit qu'il tient son siège et son pouvoir des Apôtres mêmes.

Le Géomètre. Mon cher Alfred, soyons ici de bonne foi, et convenons que de tels arguments sont plus que décisifs.
Le Négociant. Je ne sais pas, mon cher. Si peut-être, le Pape n'eut pas d'abord toute l'autorité qui lui appartient, toujours, demeure-t-il que l'église de Rome, dès les premiers siècles, fut la mère des autres églises et leur dicta leur croyance et leur culte.

Le Voyageur. Du moins, Monsieur, cela n'eut pas lieu en Asie ; car écoutez et recevez un fait qui suffira, je pense, pour le prouver.
Ce fut au XVIe siècle, n'est-ce pas, que le Portugais Vasco de Gama, ayant doublé le Cap de Bonne-Espérance, parvint dans les Indes, jusqu'à Goa.
Eh bien ! ne fut-ce pas là, qu'à la grande surprise de ce disciple de Rome, il trouva d'immenses églises, qui constataient leur filiation, de siècle en siècle, jusqu'aux jours de l'Apôtre Thomas, dont elles portaient et portent encore le nom ? Or, ces vastes et antiques églises étaient-elles soumises au Pape romain ? Elles en ignoraient même l'existence.
Ou bien, avaient-elles reçu de leur mère, (comme a dit Monsieur) de l'église de Rome, leur croyance et leur culte ? Elles ignoraient même qu'il y eût une église latine qui se dît maîtresse et reine ; et leur croyance et leur culte étaient et sont encore si peu semblables à ce qui se pratique à Rome, que ces églises-là, ne possédant que les écrits inspirés, et n'ayant aucun des livres dits apocryphes, ne connaissaient aussi que les deux seuls sacrements qu'enseigne la Bible : le baptême et la cène ; n'adoraient et ne servaient que la Très-Sainte Trinité, et ne savaient ce qu'on voulait leur dire, quand les évêques portugais leur parlaient du culte de la Vierge et des saints, du purgatoire, des indulgences, et des voeux et du célibat des prêtres, et de cent autres croyances ou pratiques dont les écrits saints ne leur avaient jamais rien dit, et qui leur étaient par conséquent, inconnues.

Il est vrai, Messieurs, qu'à Goa, comme en Provence, et dans le même temps, l'inquisition romaine fit couler beaucoup de sang de ces chrétiens primitifs, et que des massacres multipliés poussèrent de pauvres et faibles âmes à l'apostasie. Mais les églises de St-Thomas, dans toutes les montagnes de leur contrée, sont demeurées fidèles à la Bible ; et les voyageurs qui les ont visitées de nos jours, témoignent, sans équivoque et à la confusion des prétentions de Rome, que ces églises apostoliques, fondées sur la vérité, n'ont point eu de part au mystère d'iniquité que le Prince de ce monde a ourdi dans l'Europe, et où la superstition et le mensonge se sont mis à la place de la Bible, que leur violence a tâché de détruire,

Le Géomètre. C'est positif, Monsieur : c'est très-fort ! Car, enfin, c'est ici un fait, que tout historien, que tout voyageur, peut vérifier... Alfred, que peux-tu lui opposer ?
Le Négociant. J'avoue que cela m'étonne. Une église, de nombreuses églises, qui remontent notoirement jusqu'aux temps apostoliques, et qui n'ayant que les Livres saints, et nulle tradition avec eux, sont étrangères, et à l'autorité du Pape, et aux doctrines, au culte, aux pratiques, de l'église de Rome ;... ah ! je l'avoue, cela me terrasse ; car, enfin, c'est un fait irrécusable. Rome n'a pas pénétré jusqu'aux Indes, et les chrétiens des Indes, soumis à la Bible, n'ont aucun rapport avec Rome ! Quelle découverte !... Rome, donc, n'est pas primitive, et quand elle parle de son antiquité, ... il faut que je le dise, ... elle ment !

Le Voyageur. Oui, Messieurs, elle ment, et en voici de nouvelles preuves.
D'entrée, je vous demande de bien remarquer que les doctrines, les pratiques et les cérémonies particulières à l'église de Rome, trouvent leur origine dans ce qui se faisait chez les païens de l'Italie ou de la Grèce, ou par des Juifs ignorants, ou par des hérétiques déclarés.
Ainsi l'église de Rome soutient que ses traditions doivent être associées à la Parole écrite, et même donner à l'Écriture son vrai sens.
C'était, dit le Seigneur Jésus, ce que prétendaient aussi les Pharisiens, à qui l'historien juif Josèphe reproche encore d'avoir introduit une multitude de règles et d'enseignements, qui, dit-il, ne sont pas écrits dans la loi de Moïse. ( Matth. XV, 3, 9. Josèphe, Antiq. XIII, 18.)

C'était aussi ce que faisaient les hérétiques nommés Valentiniens, qui, dit Irénée, soutenaient que la vérité ne pouvait être trouvée par ceux qui ne connaissent pas la tradition. (Lib. III, 2.)
Le Géomètre. C'est positif, Monsieur, et quant à moi, je l'admets.

Le Voyageur. - L'église de Rome soutient aussi que l'on doit faire des images de Dieu, de Jésus-Christ, de sa mère, et de ceux que cette église appelle des saints.
Eh bien ! St-Augustin nous apprend que certains hérétiques de son temps représentaient Dieu sous une forme humaine ; ayant ainsi l'absurdité, dit Nicéphore, de faire des images du Père et du Saint-Esprit. (Aug. Hoeret. 50 ; Vadiani, etc. Niceph. lib. XVIII, 53.
Le Géomètre. L'absurdité ! Tu l'entends, Alfred ! Tu vois donc que je n'avais pas si grand tort de blâmer les tableaux de notre oratoire.

Le Voyageur. Vous auriez pu, Monsieur, ajouter à votre blâme la censure qu'adressait Épiphane à ceux, disait-il, qui cherchaient Jésus-Christ dans les peintures des murailles, et non pas dans les Saintes-Écritures.
Le Négociant, avec vivacité. Mais, Monsieur, ce n'est pas l'image que nous contemplons : c'est celui seulement qu'elle représente.

Le Voyageur. C'était aussi, cher Monsieur, ce que faisaient les idolâtres ; car c'était bien un de ces païens-là qui disait à St-Augustin, comme le rapporte cet évêque : Ce n'est pas l'image que je sers, mais je vois dans ce simulacre le signe de la chose que je dois servir. ( In Psalm. CXIII. )
Le Géomètre. Évident ! Démontré ! Toutes ces images, ces tableaux et ces statues ne sont autre chose que le paganisme continué par des chrétiens. Tu sais, mon ami, qu'à cet égard je n'ai jamais été bon catholique. Non, ni peinture, ni statuaire, ne peut mettre Dieu dans mon âme. Leur oeuvre est morte, et mon âme est vivante.

Le Voyageur. Vous ne serez pas davantage catholique en beaucoup d'autres points, Monsieur, quand vous aurez reconnu que dans le service des anges, des saints et des patrons, est reproduit le culte païen des demi-dieux, des démons et des dieux protecteurs ; que dans celui de la Vierge Marie, se retrouve celui d'Astarté, que les païens nommaient aussi la reine du Ciel et la Dame par excellence, que dans celui des reliques, se perpétue ou l'adoration du Lituus, ou celle des os de Thèsée ; que dans la doctrine du Purgatoire, reparaît la fable païenne où le poète Virgile dépeint des âmes suspendues entre l'enfer et le ciel ; (Aeneid. VI. Alioe panduntur manes, etc. ) que la distinction où l'abstinence des viandes n'est autre chose que la superstition des Manichéens sur les jeûnes ; que le baptême des choses inanimées, par exemple, celui des cloches, se pratiquait sur les trompettes sacrées, que l'on consacrait par des ablutions ; que les païens de Rome ou d'Athènes avaient aussi dans leurs temples, et devant leurs idoles, des cierges, brûlants ou des lampes toujours allumées ; qu'ils se servaient aussi de rosaires ; qu'ils faisaient grand usage d'eau bénite et d'encens ; qu'ils pratiquaient leurs jeûnes et leurs carnavals ou saturnales ; qu'ils avaient leurs moines, leurs religieuses et leurs vierges sacrées ; leurs prêtres de Cybèle, de la Bonne-Déesse ; leurs prêtres mendiants, leurs Vestales et leurs Faustiniennes ; qu'ils multipliaient les autels ; qu'ils les paraient aussi très-richement ; qu'ils faisaient, dans leurs temples, dans les villes, autour des champs, des processions, où ils portaient aussi leurs labarum, les images de leurs dieux et de leurs saints, et les idoles les plus réputées ; qu'ils allaient en pèlerinage vers l'image d'un dieu ou d'une déesse, image, disaient-ils aussi, descendue du ciel ; qu'ils attribuaient des guérisons et des miracles à l'attouchement de ces images ou de certaines reliques ; qu'ils célébraient leurs jubilés ; que la plupart des noms, des titres, des vêtements, dès emblèmes, du clergé de Rome, étaient déjà les mêmes pour les pontifes païens et pour leurs acolytes ; et que de nombreuses cérémonies de détail, par exemple, le crachat du prêtre, dans le baptême d'un petit enfant, ne sont, très-souvent que la représentation de celles que les idolâtres avaient inventées, ou plutôt que le Prince de ce monde, Satan, leur avait enseignées, et qu'ils accomplissaient avec des litanies, des kyrielles et des antiennes, absolument les mêmes, et pour la forme et pour l'étendue, que celles qui se sont reproduites et qui se perpétuent dans le culte latin.
Le Géomètre. Monsieur ! quelle censure vous venez de faire de nos pratiques ! Serait-il possible que nous ne fussions que les stupides copistes des adorateurs d'un Jupiter, ou d'une Diane ?

Le Voyageur. L'histoire est là, Messieurs, et si jamais vous y recherchez la conformité des cérémonies païennes avec celles du culte de Rome, vous vous convaincrez facilement de leur identité absolue.
Le Négociant, avec sobriété. Eh bien ! Monsieur, je l'accorde : mais quel mal y verrez-vous ! Si l'Eglise, dans sa prudence, a jugé que ces choses tout extérieures, et qui ne touchent pas au fond de la vérité, fussent utiles pour le peuple, chez qui les sens ont besoin d'être frappés, s'ensuit-il. que l'Église ait agi contre l'institution divine ?

Le Voyageur. Ah ! Monsieur, cette question-là n'est pas celle que je traite à cette heure ; je n'examine pas si, après que le Seigneur Jésus a dit expressément que Dieu est esprit, et qu'il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité, parce que c'est de tels adorateurs que le Père demande, (Jean IV, 23, 24, ) l'église latine a droit d'établir, en opposition directe à cet ordre, un culte plus terrestre, plus charnel et plus matériel que celui même qui se pratiquait à Samarie, ou à Corinthe, ou qui se voit encore dans les pagodes des Indous.
Cette question-là, je la laisse maintenant, puisque, comme chrétien primitif, je dois me borner à prouver que la doctrine de Rome, et d'abord son culte et ses habitudes, ne sont rien moins qu'antiques, rien moins qu'apostoliques ; mais que, tout au contraire, elles ont toutes une date assez récente, même dans la reproduction de ces coutumes païennes dont je viens de parler.
Le Géomètre. Je suis vraiment curieux de connaître cela. Par exemple, Monsieur, vous, chrétiens primitifs, n'invoquez-vous pas la mère de Dieu ?

Le Voyageur. Vous voulez parler, je pense, de la mère du Seigneur Jésus, car ces mots : la mère de Dieu, sont aussi absurdes en eux-mêmes, qu'étrangers au langage de l'Écriture. Mais enfin, veuillez me dire si vous, disciples de Rome, vous invoquez en effet et vous servez la mère du Sauveur ?
Le Négociant, avec chaleur. N'est-elle pas, et pour toujours, le refuge des pécheurs ? Pouvons-nous aller à Dieu autrement que, .. oui, .. que par la mère de Dieu ? Jésus-Christ peut-il nous refuser quelque chose, quand c'est la bienheureuse Vierge qui lé lui demande pour nous ? N'a-t-elle pas sur lui le droit de mère ?

Le Voyageur, souriant. Je n'ai donc jamais rien obtenu de Dieu, ni bénédictions, ni délivrances, puisque ni moi, ni tout mon peuple, nous n'ayons jamais eu même la pensée que la mère du Seigneur Jésus eût rien à faire dans notre salut ou nos prières ?
Le Géomètre. Vraiment, Monsieur ! Vous comptez donc la sainte Vierge pour rien dans votre religion ?

Le Voyageur. Notre religion, je vous l'ai dit, c'est la Bible ; et puisque la Bible se plaît à nommer Marie bienheureuse, nous la nommons aussi bienheureuse ; mais c'est tout ce que nous faisons à son égard.
Le Négociant ; avec fermeté. Cependant, Monsieur, c'est de tout temps que l'Eglise de Dieu l'a adorée et servie ; son culte est aussi ancien, chacun le sait, que celui même de Jésus-Christ.

Le Voyageur. C'est ce qu'on vous fait croire, cher Monsieur ; mais l'histoire de l'Eglise dit ici tout autre chose puisqu'elle atteste que, même au commencement du Ve siècle, un des premiers docteurs de ce temps-là, Épiphane, ridiculise et censure certaines femmelettes qui honoraient la Vierge en l'appelant la Reine du ciel, en lui faisant des prières et des offrandes. (Epiph. lib. III, Comm. 2 ; Id. Tom. II, Hoeres. 79.)
Le Géomètre. Le fait, Monsieur, est-il positif ? Épiphane a-t-il vraiment dit cela ?

Le Voyageur. Rien n'est plus certain ; et c'est aussi lui qui s'élève contre la fable de la conception immaculée de la Vierge.
Le Négociant, très-vivement. Comment, Monsieur la sainte Vierge n'est pas née sans péché !

Le Voyageur. Du moins, Monsieur, le célèbre abbé de Clairvaux, au XII, siècle, ne le pensait pas, quand il écrivait que si la Vierge avait conçu du Saint-Esprit, elle n'en avait pas été conçue. Comment donc, ajoutait-il, appellerez-vous sainte, une conception qui n'est pas du Saint-Esprit ; pour ne pas dire qu'elle est du péché ? (Basn. XVIII, 11, Hist. de l'Egl. )
Le Négociant. Eh bien ! c'était l'opinion de St-Bernard ; mais, avant lui, l'Eglise avait toujours cru que la bienheureuse Vierge était née sans péché.

Le Voyageur. Non pas, Monsieur ; car Épiphane déjà avait dit : Marie n'est pas Dieu ; elle n'a pas son corps du ciel, mais de conception d'homme et de femme. (Ubi supra. ) Et je vous le répète, Monsieur, au XIIe siècle même cette fable (pardonnez. moi le mot !) n'était pas encore reçue. Vous pouvez donc comprendre pourquoi, nous, chrétiens primitifs, soit de l'Italie, soit des Indes, nous n'avons jamais pratiqué ce culte tout charnel que la Bible dément et réprouve, et dont l'église apostolique eût en horreur, comme d'une idolâtrie.
Le Négociant. Idolâtrie ! dites-vous ! Est-ce ainsi que vous calomniez des chrétiens ?

Le Voyageur. Celui-là, cher Monsieur, est un idolâtre, qui adresse un hommage religieux quelconque à quoi que ce soit, ou à qui que ce soit, qui n'est pas Dieu, l'Éternel. Je serais donc un idolâtre si je m'adressais dans mon coeur, ou de ma bouche, à la mère de Jésus ; et mon crime serait affreux, si je l'implorais pour mon salut ou ma délivrance. Jamais un de ces Juifs idolâtres, que reprend Jérémie, ne fit plus que cela, lorsqu'il faisait ses gâteaux à la Reine des cieux. (Jérémie VII, 18.) Nous, chrétiens de la Bible, nous ne faisons rien de semblable, selon qu'il est écrit, nous craignons Dieu et l'adorons lui seul.
Le Géomètre. Et la Messe, la rejetez-vous aussi ?

Le Voyageur. La Messe !... Ah ! Messieurs, que de sang humain elle a déjà fait répandre ! que de victimes elle s'est immolées ! Vous les voyez, ses actes, ses terribles oeuvres, dans ces ruines et ces débris, qui couvrent ici tant de lieux. Ils ne la connaissaient pas, ils la repoussaient, comme un odieux mensonge, ces hommes pieux, ces disciples de la Bible, qui peuplèrent cette vallée, et ce fut la Messe qui les extermina sans pitié, au nom du Sauveur du monde.
Le Négociant, à voix basse. Mais si ces hommes étaient ennemis de la religion de Dieu ? S'ils étaient des hérétiques ?

Le Voyageur. L'eussent-ils été, les tuer était-il le moyen de les enseigner, de les convertir ? Mais l'étaient-ils, en effet ? Suis-je donc un hérétique, moi, si je me confie avec abandon à l'amour infini du Sauveur, et que je croie que son sacrifice a racheté mon âme ? Suis-je un hérétique, cher Monsieur, si je reçois de tout mon coeur ce que me dit la Bible, sur le sang du Seigneur Jésus, qui a payé la rançon, toute la rançon de mon âme, qui m'a ainsi procuré une rédemption éternelle, en me lavant de toutes mes souillures ? Où est ici l'hérésie ? Est-ce de croire que mon Dieu m'a aimé jusqu'à donner pour moi sa vie ; ou bien est-ce d'être sûr que le sacrifice du Seigneur Jésus est parfait, infini, et qu'il ne peut être réitéré. parce qu'il est éternel ! (Hébr. IX, 10.)
Le Géomètre. Ah ! voilà quelque chose de nouveau pour moi. Jamais encore je n'avais pensé que le sacrifice de Jésus-Christ ne dût pas se répéter, et cela parce qu'il est infini... Oui, c'est évident. Une chose infinie subsiste toujours, en même temps qu'elle embrasse tout espace et toute durée. Il est donc clair que vouloir répéter le sacrifice du Sauveur, c'est supposer qu'il n'a pas été infini.
Le Négociant. Mais, mon ami, puisque chaque jour, malheureusement, on fait de nouveaux péchés, ne faut-il pas qu'un nouveau sacrifice les expie ?
Le Géomètre. Impossible, cher Alfred, qu'une chose infinie se répète. Je ne sors pas de là. Si donc la Messe, répète ou recommence le sacrifice de Jésus-Christ, je dis que c'est à tort, et qu'en le faisant elle nie formellement que ce sacrifice ait été celui de Dieu même, car tout ce que Dieu fait est infini. C'est un axiome.

Le Voyageur. Et c'est aussi ce que dit la Bible. Par une seule oblation, déclare-t-elle, le Sauveur a pour toujours rendu accomplis ceux pour qui son sang a coulé. Aussi le Christ, dit-elle encore, ne s'offre-t-il pas lui-même plusieurs fois (Hébr. X, 14 ; IX, 25). Et c'est pour cela, Messieurs, que les anciens docteurs de l'Eglise, un Justin martyr, un Irénée, un Tertullien, un Lactance, un Basile, un Ambroise, un Jérôme, loin de supposer que dans la Cène du Seigneur se trouve un sacrifice, tout au contraire, n'en parlent jamais que comme d'un mémorial d'une figure, d'un signe, d'un symbole, et d'une image du sacrifice éternel du Sauveur.
Non, Messieurs, non, la Messe n'était pas encore inventée lorsque les chrétiens primitifs emportèrent dans leurs déserts la Sainte-Écriture qu'ils aimaient plus que les biens de ce monde. Si cette funeste et fatale doctrine (pardonnez encore les termes, je vous prie !) essaya de surgir au VIIIe siècle, et reparut au IXe ce ne fut qu'au XIIIe que son dogme fondamental fut établi, et qu'un concile de Latran donna l'ordre à l'église latine de s'y soumettre et de l'adorer. - Serez-vous donc surpris si moi, chrétien des premiers siècles, je repousse avec mépris une invention, d'un côté si récente, et d'un autre côté si opposée à la nature parfaite du sacrifice du Fils de Dieu ?
Le Géomètre. Je vous comprends, Monsieur. Tout ce que vous dites me paraît si simple, si facile, et même (je le dirai, puisque je le sens) si consolant que je ne sais qu'y répondre, et que, je vous l'avoue, j'envie votre condition, votre bonheur.

Le Voyageur. Je suis, en effet, très-heureux, je vous assure ; car ce n'est pas un léger bonheur que d'être certain que mes péchés m'ont été remis, et que la grâce de Dieu est à jamais mon partage.
Le Négociant. - Vous avez donc reçu l'absolution, Monsieur ? Ici, du moins, vous êtes d'accord avec l'église catholique ?

Le Voyageur, solennellement. Oui, Monsieur, j'ai, reçu l'absolution totale de mes péchés ; mais celui qui me l'a donnée, et pour toujours, c'est aussi celui qui s'est écrié sur la croix : tout est accompli, et qui m'a dit, de la même bouche, qu'étant justifié par la foi en son sang, j'ai la paix avec lui, et que je dois me glorifier dans l'attente certaine de sa gloire. (Rom. V, 1, 2.)
Le Négociant. Mais, Monsieur, c'est aux Apôtres d'abord, et par conséquent aux prêtres leurs successeurs, que fut remis le droit et la charge d'absoudre le pécheur ?

Le Voyageur. Christ est partout, Monsieur, car il est Dieu ; et c'est toujours, et à toute âme qui s'approche de lui et, qui l'invoque avec foi, qu'il dit, avec autorité. Va-t'en en paix, tes péchés te sont pardonnés. Je crois donc, dans mon coeur, en ce Sauveur tout-puissant, tout fidèle. Je lui confesse ma faute, à lui-même, car il est mon ami, puisqu'il s'est donné pour moi ; et par la foi, j'entends sa bouche me dire, avec clémence : Je te donne ma paix : ne pèche plus à l'avenir. - cela ne doit-il pas me suffire, cher Monsieur ; et n'être pas assuré de mon pardon, quand le Seigneur lui-même me le donne, ne serait-ce pas douter de son témoignage, et de fait nier ce qu'il promet à tout pécheur qui se confie à sa parfaite grâce ?

Le Géomètre. Monsieur, je vous remercie. Oui, je vous exprime ma reconnaissance, car vous m'avez déjà fait beaucoup de bien. Mais permettez que je vous adresse une question : Que deviendra mon âme au sortir de ce monde ? La Bible dit-elle qu'il y ait un Purgatoire, après cette vie ; et vous-même, qu'en pensez-vous ?

Le Voyageur. Ah ! Monsieur, je vous parlerai, sans détour, puisque vous me demandez ma pensée. La Bible dit ici deux choses, à ceux qui la croient : l'une, que celui qui croit au Fils de Dieu, est déjà passé de la mort à la vie et qu'il ne verra pas la condamnation ; (Jean V, 24) et l'autre chose, que ce n'est pas pour de l'argent que s'acquiert le don de Dieu. (Act, VIII, 20.) Et ces deux déclarations disent, du Purgatoire qu'il n'est qu'une honteuse fable.

Le Négociant. Doucement, Monsieur, je vous prie : car l'Eglise qui l'a établi, est, vous le savez, infaillible.

Le Voyageur, avec bonté. Je respecte votre dévotion, je vous assure ; mais comment ne pas nommer fable, et fable honteuse, une doctrine qui, d'un côté, donne un démenti à ces paroles du Sauveur : Celui qui croit en moi a la vie éternelle ; il est déjà passé de la mort à la vie et il ne verra pas la condamnation ; et qui d'un autre côté, par une simonie pleine de turpitudes, ravit, et par subtilité, l'argent du peuple, eh lui vendant, sans pudeur, des indulgences ou des dispenses imaginaires ? Monsieur, je vous le demande, un trafic de cette nature est-il autre chose qu'une basse et vile iniquité ?
Le Géomètre. Ne vois-tu pas, cher Alfred, que tu défendrais en vain cette cause ? Tu le sais, plus d'une fois, déjà, je t'ai fait les mêmes remarques et qu'y as-tu répondu !
Le Négociant. Mais, ... comment penser que tant de prêtres intègres, consciencieux, vénérables, fussent d'accord dans une pratique telle que vous la dépeignez ! Tous les prêtres de la sainte Église, depuis le vicaire de Jésus-Christ, jusqu'au moindre abbé, ne sont-ils donc ici que des jongleurs, que des larrons ?

Le Voyageur. L'Écriture a prophétisé sur ceux qui, par avarice, feraient trafic des âmes. (2 Pier. II, 2, 3. ) Mais, Monsieur, tous les prêtres ne tiennent pas ce train de Balaam. Vous pouvez savoir, entre autres nombreux exemples, que, tout récemment, deux curés de l'Ardèche, et un troisième de l'Ariège, ont répudié publiquement l'église de Rome, parce que, disent-ils, dans leurs manifestes, il leur est impossible de vendre le don de Dieu, de mettre le salut des âmes à l'enchère et de disposer des châtiments ou des pardons, des souffrances dans les flammes d'un purgatoire, ou de la délivrance de cette peine, comme on dispose d'une rançon, que le riche seul pourrait payer, au mépris de l'indigence du pauvre.
Le Géomètre. Ah ! Monsieur, c'est là, selon moi, ce que l'église de Rome n'excusera jamais, et ce qui, à mes yeux, la couvre d'un blâme accablant : c'est son avarice. Tout s'y fait par l'argent et pour l'argent. L'enfant n'est baptisé qu'autant que l'argent le précède. Le jeune homme n'est marié qu'autant que l'argent l'accompagne. Le malade n'est visité et enfin le mort n'est enseveli, que si l'argent, et toujours l'argent, et le salaire, remplit la main du mercenaire qui officie. Alfred ! tu le sais : mille fois je t'ai dit qu'il est impossible que Dieu entre en marché avec l'homme et gagne sur lui.

Le Voyageur. Impossible, en effet ! Aussi, Messieurs, dans quel mépris ce Purgatoire avec ses indulgences n'a-t-il pas été mis, dès que des papes avares l'ont imaginé, pour remplir d'or leurs coffres ! Au XIIe siècle, cette fable n'était encore qu'une opinion peu reçue ; au XVII, lorsque le Concile de Trente la sanctionna, il ne put le faire qu'en secret, en quelque sorte, à la précipitée, et sous la raillerie de plusieurs de ses docteurs ; et dans lé même temps, plus d'une bouche éloquente ou fidèle s'écriait : « Ôtez le purgatoire, et les indulgences sont nulles. La primitive Église n'a rien connu de ces deux doctrines ; non pas plus que celle de la Transsubstantiation, que les anciens ont ignorée. » (Polyd. Virg. De Inv. rer. Lib. VIII, 1. - J. Fischer, Luth. confut. a. XV, 18. - Alph. Cast. Adv. Hoer. 1. VIII.)
Nous l'avons donc ignorée, nous chrétiens primitifs, chrétiens de la Bible ; et si beaucoup plus tard, aux jours d'un Zwingle et d'un Luther, cette même iniquité a causé la chute de Rome ; (car dès lors, Messieurs, elle est tombée ; elle tombe maintenant ; et tous ses efforts pour se relever sont les dernières contractions du gladiateur qui perd son sang et qui meurt !) si, dis-je, Rome est tombée par son purgatoire et ses indulgences, les coups que les réformateurs lui portèrent avec son propre glaive, ne furent que la répétition de ceux que, nous Chrétiens-Vaudois du Piémont et de la Provence, nous lui avions portés déjà, depuis des siècles, par le moyen de cette fable-là, et par celui de tant d'autres.
Le Négociant, avec douleur. - 0 Monsieur, que vous êtes sévère, et qu'il est pénible d'entendre accuser d'avarice et de simonie une église où l'on est né, et que le coeur révère !

Le Voyageur. Hélas ! cette douleur que vous montrez, je l'ai, je la comprends, je vous assure. Mais pourquoi taire ce qui n'est qu'un mensonge, ou pourquoi craindre de le voir tel qu'il est ? Par exemple, pourquoi refuser le nom de simonie et de la plus basse avarice à ce que Rome appelle une dispense ?
Le Négociant, avec un profond soupir. Ah !.... je conviens que cette pratique n'est pas entièrement pure.

Le Voyageur. Hé ! cher Monsieur, pourquoi ne pas dire qu'elle est entièrement souillée ? Quoi ! Messieurs, l'église de Rome déclare, par exemple, que hors de son sein il n'y a point de salut, et par cela même elle interdit toute union, tout mariage entre un de ses membres et un hérétique, c'est-à-dire un protestant ; et cependant, si celui-ci paie à l'église une certaine somme d'argent, taxée selon sa fortune, le mariage devient permis ; et l'église qui maudissait cette union, maintenant la sanctionne ! De l'argent, oui, de l'argent ! a donc changé la loi de la vérité, le droit de Dieu ! Oh ! qu'un tel marché est loin de la religion du Christ ! Non, que je n'aie jamais de part avec ces oeuvres du monde, avec ces mensonges que réprouve l'Écriture !
Le Négociant, très-réfléchi. C'est donc la Bible seule que vous croyez, que vous suivez !.... Mais, Monsieur, vous suffit-elle vraiment ? Je veux dire, si la lecture seule de la Bible vous montre le salut de votre âme, et vous fait espérer de l'obtenir un jour.

Le Voyageur. Ah ! ce serait bien peu de chose pour mon âme, si la Bible ne lui montrait son salut que de loin ! Quand nous étions persécutés par l'église de Rome, et qu'il nous fallait laisser et nos demeures, et nos biens, et nos vies, pour demeurer fidèles à notre sainte croyance, l'eussions-nous fait, si la parole de Dieu ne nous eût donné que de vagues espérances, si nous n'eussions dit qu'en tremblant : Nous sommes chrétiens ! Nous sommes les rachetés de Jésus ?
Le Géomètre. Oui, je vous ai compris : le chrétien croit qu'il a tout son salut en Jésus, et c'est parce qu'il le possède, qu'il souffre ou laisse tout pour un tel trésor. Je comprends donc tout-à-fait la fidélité de vos ancêtres, et leur histoire devient pour moi vénérable. Mais permettez que je vous fasse encore une question : Si celui qui croit ainsi la Bible, c'est-à-dire qui croit, oui, qui est sûr, que son salut est fait ; si cet homme-là s'abandonne ensuite à ses penchants, à ses plaisirs, et qu'il fasse quelque péché mortel, sera-t-il également sauvé ?

Le Voyageur. Voire question est sérieuse : il faut donc que la Bible y réponde avec certitude. Voici donc ce qu'elle dit.
D'abord elle déclare que tout péché est mortel, parce que tout péché est une violation de la loi de Dieu, et que la loi maudit quiconque l'a transgressée. (1 Jean III, 4. Gal. III, 10. Jacques II, 10.)
Le Négociant, avec surprise. Quoi ! Monsieur, même un désir mauvais, qui naît et surgit dans mon coeur, est un péché, et même un péché digne de malédiction !

Le Voyageur. C'est du coeur, dit le Seigneur Jésus, que sortent les mauvaises pensées, lesquelles souillent l'homme, et la sainte loi qui a dit : Tu ne convoiteras pas, a maudit la convoitise.
Le Géomètre. Je l'admets, Monsieur. Dites-moi donc la suite de votre réponse.

Le Voyageur. Ah ! c'est que l'homme dont le coeur a été purifié par la foi, et qui, après avoir cru en Jésus-Christ, a été scellé du Saint-Esprit, loin que cet homme régénéré puisse se plaire au péché et s'y abandonner, tout au contraire, dit la Bible, il se purifie, comme Dieu aussi est pur ; il aime le Sauveur, et il s'applique à lui plaire ; et comme il est devenu esclave de la grâce souveraine de son Dieu, le péché, dit encore la Bible, n'aura plus de domination sur cette âme, vu qu'elle n'est plus laissée seule, mais qu'elle appartient à Jésus, son Berger, son Époux, qui l'aime, qui la garde, qui l'enseigne et qui la sanctifie.

Le Géomètre devint très-réfléchi, et demeura dans le silence assez longtemps. Les deux autres voyageurs se taisaient aussi, comme en présence et sous l'autorité solennelle de la vérité de Dieu ; enfin le Géomètre, d'une voix émue, prononça ces mots : L'année dernière je passai sur cette route-ci en ce même jour, et ce fut dans le deuil : ce jour-là, un de mes enfants mourut. Aujourd'hui, je ne savais pas, en partant de chez moi, que sur ce même chemin je trouverais tant de lumière, tant de paix et tant de joie. Je marquerai donc ce jour-ci, comme le plus fortuné de ma vie. Oui, Monsieur, je vous le dis et déclare, j'ai compris et j'ai cru que le salut de mon âme est un don de Dieu, en Jésus-Christ ; et qu'ainsi je dois aimer Dieu, et le servir, puisque lui, le premier, m'a montré tant d'amour.

Le négociant était abstrait. Une pensée préoccupait son esprit, et ce fut avec une sorte d'exigence qu'il dit au voyageur : Enfin, Monsieur, quelle différence y a-t-il entre vous et les protestants ?

Nulle autre, répondit le chrétien primitif, que celle qui se trouva entre les ouvriers envoyés à la vigne, dans la parabole que récita le Seigneur. Les uns y entrèrent à la pointe du jour, et les autres à la sixième ou à la neuvième heure. Mais c'était la même vigne, à laquelle le même maître employait des ouvriers de la même nature, et pour un même salaire. Les Vaudois étaient ceux du premier matin ; les réformés vinrent plus tard : mais ils y vinrent par le même appel que leurs frères aînés.
Le Négociant. Oui, oui, Monsieur, je comprends bien ce que cela veut dire ; mais, s'il vous plaît, n'y eut-il aucune différence entre la religion qu'un Luther ou un Calvin enseignèrent, et celle que votre nation pratiquait ?

Le Voyageur. C'est par une comparaison, cher Monsieur, que je vous répondrai. - L'Eglise de Christ, telle que les apôtres l'établirent parmi les peuples, est comme une belle et forte colonne de marbre blanc et sans aucune tache, et que l'Esprit saint a posée sur la terre, d'où elle s'élève, à jamais jusqu'aux cieux.
C'est elle seule, c'est cette colonne immuable de la vérité céleste, que les fidèles ont contemplée dans les premiers siècles ; et ce fut elle aussi que les Vaudois admirèrent, dès l'origine de leur église.

Vers le VIe siècle, puis, par degrés, dans ceux qui suivirent, l'église latine osa planter un clou dans cette colonne, d'abord si polie et intacte ; et à ce clou, Rome appendit un vêtement de prêtre ; puis un autre clou fut fixé, puis bientôt beaucoup d'autres, auxquels s'attachèrent des mitres, des rosaires, des images, des amulettes, et, par-dessus tout, une tiare à triple couronne.
La colonne en fut donc entièrement couverte, depuis sa base jusqu'à perte de vue ; et le peuple, le pauvre peuple, ignorant et routinier, ne vit plus que ce qui pendait aux clous, et même il perdit jusqu'au souvenir de la colonne.
Mais Dieu suscita les vaillants Réformateurs, qui, armés des fortes tenailles de la Parole de Dieu, arrachèrent tous les clous, firent ainsi tomber ce qu'on y avait accroché, et, au grand étonnement du monde, rendirent à la terre la vue merveilleuse et divine de la colonne.

Vous le comprenez donc, Messieurs, c'est la même colonne que les Vaudois et les Réformateurs ont contemplée ; et la seule différence qu'il y ait à cet égard, c'est que, pour les protestants, elle porte les marques des clous, mais que, pour les chrétiens primitifs, elle n'en est pas même atteinte.
Le Négociant. Bien ! bien ! Monsieur ; mais ce sont les faits qu'il me faut connaître. Quels furent-ils donc, s'il vous plaît ?

Le Voyageur. Voici ce qu'en dit l'histoire. Au XVIe siècle, lorsque le bruit que faisait la réformation opérée en Suisse et en Allemagne, parvint chez les Vaudois, ceux-ci, vivement intéressés à ce réveil religieux, députèrent deux de leurs pasteurs aux Réformateurs de Berne, de Bâle et de Strasbourg. Un de ces pasteurs fut saisi et incarcéré par des prêtres de Rome. L'autre, ayant échappé, put revenir à Mérindol, où il déclara, dans une assemblée solennelle des pasteurs et des pères de famille, que la doctrine des réformés était la même que celle de l'antique Noble leçon des Vaudois, sur tous les points fondamentaux. Et notez bien ceci, Messieurs, que ce fut dans cette même assemblée, où se rendirent bientôt plusieurs réformés de la Suisse et d'ailleurs, que fut votée la première publication, en français, d'une traduction simple, fidèle et populaire de toute la Bible ; et pour cette impression, qui fut faite en 4535, à Neufchâtel, en Suisse, les nobles et généreux Vaudois surent envoyer 1,500 écus d'or : somme considérable pour ces temps-là.
Le Géomètre. Admirable ! en vérité... En sorte que vous pouvez répondre, vous, Vaudois, à cette objection si souvent répétée aux protestants : Où était votre religion, avant que Luther et Calvin eussent paru ?

Le Voyageur. De toute manière, cette sainte religion était dans la Bible. Mais, enfin, Messieurs, comme un prêtre romain, il y a peu de jours et dans un des hôtels d'Avignon, refusait de recevoir cette première et sage réponse, je lui dis : Eh bien ! Monsieur, puisque vous ne voulez pas reconnaître que la religion réformée n'est autre chose que la Bible ouverte devant le peuple, c'est-à-dire que la lumière apostolique replacée sur le chandelier de l'Eglise, nierez-vous aussi, que cette même lumière, que cette même Bible, et par conséquent cette même religion, fussent le trésor et la ferme croyance de ces Vaudois du Piémont, contre lesquels, déjà plusieurs siècles avant les Réformateurs, voire religion, Monsieur, c'est-à-dire votre pape et ses soldats, et vos épées et vos flammes, et vos cordes et vos tortures, accumulèrent leurs coups et leurs massacres ?

Nierez-vous aussi, qu'au XVI, siècle, les mêmes excès de barbarie et d'atroce férocité se multiplièrent contre ces mêmes chrétiens, et cela, tout près d'ici, à Mérindol, à Cabrières, et en tant d'autres lieux ?

Nierez-vous encore, que les mines, teintes de leur sang, qui couvrent leurs antiques guérets, attestent et proclament, par-dessus toute ruse et tout mensonge, que Rome toujours papiste, toujours romaine, n'a point d'accord et n'en veut point avoir avec la Bible ?

Nierez-vous enfin, que lorsque Rome rencontre un disciple de ce livre infaillible du ciel, un chrétien, soit primitif, soit réformé, qui presse sur son coeur la révélation de son Dieu, et qui l'aime comme on aime la vie, et même plus encore, il faut que Rome, pour demeurer elle-même, perce du même coup de son glaive, et la Bible et le coeur qui palpite sous ses promesses ?

Répondez-moi, dis-je encore au prêtre, cela ne fut-il pas ainsi ? La foi divine, la foi qui sauve, n'était-elle pas, avec la Bible qui la renferme, chez ces Vaudois que jamais Rome n'instruisit, et que jamais elle ne put réduire au silence, ni par ses bûchers, ni par ses massacres ?
Le Géomètre, avec émotion. Ah ! quelle réponse, cher Monsieur !... mais qu'y répliqua le prêtre, je vous prie ?

Le Voyageur. Il rougit et se tut. Car, je vous le demande, qu'y avait-il à opposer à des faits enregistrés aux pages sévères de l'histoire ? Il se tut donc, devant le chrétien qui lui disait : Je suis l'enfant de ceux que vous tuâtes, parce qu'ils aimaient la Bible.
Oui, c'est leur généreux sang que j'ai dans mes veines ; et comme eux, disciple de la vérité de Dieu, et ne croyant qu'elle, je n'ai rien de commun avec Rome et ses pratiques. Je suis chrétien, par la miséricorde de Dieu, et qui plus est, CHRÉTIEN PRIMITIF. Que Rome donc se taise, et que la voix de Dieu « se fasse seule entendre à mon âme ! »

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