Jamais encore, dit le géomètre, je
n'avais entendu de telles choses. Votre
récit, Monsieur, m'a vivement
intéressé ; et puisque vous nous
avez parlé à coeur ouvert, je
désire aussi vous demander en quoi votre
religion, que vous nommez primitive, diffère
de la mienne. Je suis catholique-romain.
J'allais faire la même demande,
ajouta le négociant ; car je dois
avouer aussi que je suis intéressé
à ce que je viens d'entendre, quoique,
cependant, je ne l'admette pas en entier.
J'espère, Messieurs, que la
réponse que vous me demandez, ne vous
blessera pas, quelque censure qu'elle doive faire
de la religion que vous professez
aujourd'hui.
Vous voyez, je m'assure, que si ma
bouche est ouverte, mon coeur l'est aussi ; et
je sens, croyez-le, que l'amour le plus
sincère pour vos âmes accompagnera
même les sévères paroles que je
devrai prononcer.
Énoncez toute votre
pensée, reprit le géomètre,
avec cordialité. Nous vous demandons un
enseignement, et nous le recevrons certainement
avec la même disposition d'esprit qui vous
anime. Dites-nous donc, s'il vous plaît, en
quoi votre croyance diffère si fort de la
nôtre.
Le
Voyageur,
avec douceur, mais avec fermeté.
Hélas ! Messieurs, c'est en toute
chose, depuis son premier principe, jusqu'à
sa dernière conséquence, que la religion de la
Bible, qui
est la mienne, s'oppose à la religion de
monde, qui est la vôtre. Je ne sais, en
vérité, par où entreprendre
cet examen, car il n'y a rien de commun entre la
vérité du ciel, et les vaines
pratiques ou la fausse sagesse de la terre.
Le
Géomètre. Mais, Monsieur,
n'est-ce pas en Jésus-Christ que vous
croyez ; et nous, catholiques. romains, n'y
croyons-nous pas aussi ?
Le
Voyageur. Ah ! Messieurs ; il
n'y a pas deux vrais Christs, et si celui que
j'adore est le véritable, certainement le
vôtre n'est pas le Christ de Dieu.
Le
Négociant. Comment, s'il vous
plaît, nous romains, nous n'adorons pas Dieu,
je veux dire Jésus-Christ ; et ce n'est
pas là le vrai Christ, le vrai
Sauveur !!
Le
Voyageur.Écoutez-moi, je vous
prie. Si, ne possédant aucun argent, je dois
100 francs et que la loi du pays punisse de la
prison jusqu'à la dette d'un seul centime,
vous ne me sauvez pas de la peine de la loi,
même si vous payez pour moi 99 francs 99
centimes, puisque le centime qui reste suffit pour
me faire juger et condamner. Vous m'avez
aidé, sans doute ; mais comme je ne
possède pas, même le seul centime qui
manque à la somme, votre bienfait ne m'a
servi de rien, et il faut que je sois
incarcéré. Votre
générosité n'a donc pas
été mon sauveur.
Le
Géomètre. Rien de plus
évident, Monsieur. Nous admettons votre
principe.
Le
Voyageur. C'est pourquoi, si votre
Christ, Messieurs, par son sacrifice sur la croix,
n'a pas payé toute, mais absolument toute la
dette de votre âme, il est
de la dernière évidence que ce
Christ-là n'est pas un sauveur. Or, il n'a
pas tout payé, si vous, Messieurs, vous avez
encore à payer ou à satisfaire pour
vos péchés. Je vous demande donc si
votre salut a été accompli,
déjà terminé et fait en
entier, Par Jésus, ou bien si vous pensez
que vous ayez aussi quelque chose à faire,
pour que votre âme soit
rachetée ?
Le
Négociant. Mais, Monsieur, qui
oserait dire qu'il soit déjà
tout-à-fait sauvé ? Quel homme
se connaîtrait lui-même si peu, qu'il
s'imaginât qu'il n'a plus rien à faire
pour mériter sa grâce ?
Le
Voyageur. Puisque telle est votre position, et
qu'ainsi le Christ, en qui vous croyez n'a pas
encore achevé de vous sauver, puisque,
dites-vous, il vous faut opérer, faire ou
mériter, au moins quelque chose, pour
obtenir le pardon de vos péchés, il
est évident que ce Christ-là est un
faux Christ.
Le
Négociant, vivement. Mais en
quoi, je vous prie ? N'est-il pas notre Dieu,
et n'est-il pas mort en croix pour nous ?
Est-ce donc un faux Christ que ce
Christ-là ?
Le
Voyageur. Le vrai Christ, Messieurs, le
Christ de Dieu sauve, et ne se contente pas
d'aider. Donc, puisque le vôtre ne vous a pas
encore sauvés, il n'est pas le Christ de
Dieu. C'est un Christ imaginaire et de
convention.
Le
Géomètre. En sorte que,
Monsieur, (si du moins je vous comprends) vous
croyez que Jésus-Christ vous a
déjà tout-à-fait
sauvé ! Êtes-vous donc
assuré maintenant, par exemple, que vous
soyez racheté, sauvé : oui, mis
hors d'état d'être perdu ?
Le
Voyageur. Hé ! Monsieur,
serais-je disciple de Christ, si je n'étais
pas assuré que tout ce qu'il a fait est
réel, que tout ce qu'il dit est vrai ?
Et n'est-ce pas un fait, que le Christ de Dieu a
mis son âme en oblation pour le
péché, et que son sang a
été répandu pour la
rémission des offenses ! N'est-ce pas
un fait aussi, que par cette oblation de
lui-même, il a rendu pour toujours accomplis,
c'est-à-dire qu'il a complètement
sauvé, ceux pour qui cette sainte victime
fut immolée ?
Enfin, n'est-ce pas un fait, une chose
réelle, que le Christ de Dieu, après
avoir été livré pour les
offenses, de ceux qu'il rachetait, a
été ressuscité pour leur
justification ; c'est-à-dire pour leur
pardon total devant Dieu ? Tout cela n'est-il
pas écrit, en mille endroits, dans la
Bible ; et n'est-ce pas tout aussi
positivement que simplement qu'elle le
déclare ? Un enfant ne peut-il pas le
comprendre, s'il le lit ?
Le
Géomètre. Il y a quelque
chose ici qui m'est tout nouveau. Je n'avais point
encore fait cette distinction, certainement
très-importante, entre un sauveur, qui sauve
en effet, et un aide, qui ne fait qu'assister. Oui,
ce que vous venez de dire, quant au sacrifice de
Jésus-Christ, me frappe beaucoup, je
l'avoue. Jamais, jusqu'à présent, je
n'avais vu la chose sous cette
lumière.
Le
Négociant. Mais, cependant, si je
crois que, pour obtenir, oui, pour mériter,
tout ce que le Sauveur a fait pour moi, je dois lui
obéir et le servir, est-ce qu'il cesse pour
cela d'être mon sauveur ?
Le
Géomètre. Hé !
mon cher, tu ne vois donc pas que tu additionnes un
produit, avant d'en avoir les sommes ! Car,
enfin, si tu veux gagner ton salut par tes
oeuvres,
c'est-à-dire par la chose que toi, tu vas
faire, il est évident que ce salut n'a pas
encore été fait. Il manque donc
quelques chiffres dans les colonnes de ton sauveur,
puisque, quand tu les ajoutes, la somme est
incomplète, et qu'il faut que toi tu y
supplées !
Le
Négociant. Mais, que veux-tu que
mes oeuvres, que mon obéissance, ajoutent
à ce qu'a fait Dieu ? C'est trop peu de
chose, pour en faire état ; et toujours
la grâce de Dieu est-elle la
première.
Le
Voyageur. Si là grâce n'est
pas tout, Monsieur, elle n'est pas une grâce,
et surtout une grâce divine. Supposer que
l'oeuvre de Dieu n'est pas infinie, c'est renier
Dieu même. Imaginer donc que
Jésus-Christ, qui est Dieu manifesté
en chair, n'a pas opéré, pour les
hommes qu'il sauvait par sa mort, un salut total,
par une grâce infinie, (mais je dis infinie,
Messieurs, ) c'est nier que Christ soit Dieu :
c'est donc imaginer un faux Christ.
Le
Géomètre. Cependant,
n'est-il pas vrai que tous les hommes ne sont pas
encore, et surtout, ne seront pas finalement
sauvés ? Il y en aura, n'est-ce pas,
qui seront condamnés, au jour du grand
jugement ; et cependant vous avez dit que
Jésus-Christ a fait leur salut, et sans que
rien y manque. Ici, je ne puis accorder votre
parole avec le résultat.
Le
Voyageur. Le fait est irrécusable. Le
Christ de Dieu a certainement sauvé, et non
pas seulement aidé, ceux pour qui son sang
fut répandu. Mais un autre fait, c'est la
vérité de ce qu'il dit, lorsqu'il
prononce ces mots : Dieu a donné son
Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne
périsse pas, mais qu'il
ait la vie ; éternelle ; puis
lorsqu'il ajoute aussitôt : Celui qui
croit en lui ne sera point condamné ;
mais celui qui ne croit point est
déjà condamné, parce qu'il n'a
pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Le
Géomètre. Ah ! je
comprends. Ce sont les croyants en Christ, qui
seront sauvés finalement ; et ceux qui
seront perdus ce sont les
incrédules !... Mais, je vous prie, que
dois-je donc croire, moi, pour que je sois
finalement sauvé ?
Le
Voyageur. Tout simplement ce que vous dit la
Bible, et rien que cela.
Elle vous dit que vous êtes
entièrement pécheur : croyez-le.
Elle vous dit que le péché
est maudit de Dieu : croyez-le.
Elle vous dit que vous ne pouvez ni
effacer, ni racheter vous-même, vos
péchés : croyez-le.
Elle vous dit que Dieu a donné un
Sauveur au monde : croyez-le.
Elle vous dit que ce Sauveur, le Fils de
Dieu, venu en chair, a fait par lui-même
l'expiation des péchés de son
peuple : croyez-le.
Elle vous dit que tout homme qui croit
de coeur en Jésus, connaît qu'il est
de ce peuple béni et qu'il est ainsi
sauvé pour toujours : croyez-le.
Elle vous dit, enfin, que le vrai
croyant, déjà reçu en
grâce, sera infailliblement héritier
du ciel : croyez-le ; et dans cette
foi-là, réjouissez-vous d'une
parfaite joie, pour obéir à Dieu,
comme à votre Père ; pour garder
ses commandements ; pour être saint,
comme il est saint.
Le
Géomètre. Quelle doctrine
consolante ! Je vous assure, Monsieur, que
j'en suis tout ému. Non, jamais encore, je
n'avais même eu l'idée d'un tel salut.
Quel chemin différent de celui qu'on m'avait
montré, et où, il fallait que je
fisse tant d'oeuvres, et
même d'oeuvres difficiles, pour que, au bout
du compte, je pusse, en quelque sorte,
espérer le ciel !... C'est donc tout
autre chose ; et si je crois de coeur que
Jésus-Christ est un Sauveur parfait, la
Bible dit donc que je suis sauvé, que mon
pardon m'est gratuitement donné de
Dieu !... Monsieur, je vous remercie. Votre
doctrine primitive est admirable, autant que
réjouissante, et je veux m'y ranger de tout
mon coeur.
Le
Négociant. Mais, cher Victor,
vas-tu donc renier notre antique et sainte
religion ? N'y a-t-il donc point d'oeuvres
commandées au chrétien ? Ne
doit-il pas, pour être sauvé, garder
ici-bas tous les commandements de
Dieu ?
Le
Géomètre. Écoute,
Alfred, je crois pouvoir t'expliquer ce qu'il en
est. Le vrai croyant, sachant qu'il est aimé
de Dieu, aime à son tour son Sauveur ;
et par cet amour, il garde les lois de Dieu. Je
pense donc que, jusqu'à présent, nous
avons mis la grappe avant la sève :
l'obéissance, avant l'amour. N'est-ce pas,
Monsieur, que telle à été
notre méprise ?
Le
Voyageur. Évidemment. Et c'est justement en
cela que se montre l'opposition totale qui
règne entre la religion de Dieu et toutes
les religions du monde. Celle de Dieu dit :
Aime et sers Dieu, parce que tu es aimé de
lui, parce que tu es sauvé. Toute religion
du monde, au contraire, dit : Fais en sorte de
servir Dieu, afin qu'il t'aime, afin qu'il te
sauve. Ces deux croyances sont donc
diamétralement opposées l'une
à l'autre ; et c'est parce que celle de
Rome dit : Fais des oeuvres pour être
sauvé, qu'elle n'a rien de commun avec celle de la
Bible, qui
dit : Fais
des oeuvres, parce que tu es sauvé.
Je répète donc ce que j'ai
avancé déjà, que puisque le
Christ qu'adore le catholique-romain, n'a pas
encore sauvé celui qui l'adore, mais qu'il
faut que celui-ci fasse quelque chose de son
côté, pour que son salut soit
accompli ; ce Christ-là n'est pas le
Christ de Dieu : car le Christ de Dieu a
réellement sauvé, et pour toujours,
le peuple qu'il a aimé et pour qui son sang
a coulé. Vous voyez donc, Messieurs,
qu'à ce premier égard, (qui est tel
qu'il renferme tous les autres) il n'y a rien de
commun entre la religion que vous avez
professée jusqu'à ce jour, et celle
qu'enseigne la Bible, et qui est la mienne.
Le
Négociant. Ainsi donc, Monsieur,
selon vous, tout ce que prescrit la
Mère-Église aux fidèles, n'a
plus aucun sens et n'est qu'un travail
inutile ? Par exemple, la pénitence,
les oraisons, les voeux, et peut-être aussi
la confession, et avec elle toutes les
satisfactions qu'elle impose aux fidèles...
tout cela devient superflu ?
Le
Voyageur. Superflu ? cher
Monsieur !
Non, non : mais blâmable, mais criminel,
mais hostile à Jésus et à sa
parole ; et, par cela même, à la
paix, à la sainteté du fidèle,
et à tout ce qu'il y a de céleste et
de révélé à la
terre.
Le
Négociant, avec douleur. Quelle
condamnation, Monsieur, prononcée, dirai-je,
sans miséricorde, sur la plus sainte, la
plus vraie et aussi la plus antique des
religions !
Le
Voyageur. Pardonnez à un
chrétien de la Bible, à un
chrétien dont les ancêtres ne furent
jamais ni réformés ni protestants,
parce que jamais ils
n'appartinrent à l'église de Rome,
s'il prononce hardiment que, lorsqu'il est question
d'antiquité de croyance, sa religion est
plus ancienne que la vôtre. Supportez-le
donc, s'il vous prouve, par des témoignages
irrécusables, que tout ce que vous venez de
nommer, savoir, la pénitence, la confession,
les satisfactions et les voeux, et avec ces
choses-là, de plus
vénérées encore, l'invocation
des saints, le culte de la Vierge et des images, le
célibat des prêtres, le purgatoire
avec ses indulgences et ses prières pour les
morts ; et l'extrême-onction, et la
messe, et l'adoration de l'hostie, et le culte en
langue étrangère, et pardessus tout,
la suprématie du Pape, sont des innovations,
pour la plupart assez récentes, et dont
aucune ne fut jamais ni connue, ni même
supposée, dans l'Eglise primitive.
Le
Géomètre. Ah ! mon
cher Alfred, tu ne peux te refuser à cet
examen. Car, enfin, si la chose est fausse, nous
n'en serons que plus affermis dans notre
croyance ; et si ce que, Monsieur, veut nous
dire est plus vrai que ce qu'on nous a fait croire,
eh bien ! nous n'aurons qu'à gagner
à l'échange.
Le négociant ne répondit
rien ; et ce fut sur l'invitation du
géomètre, que le voyageur poursuivit
ainsi :
Vous le sentez, Messieurs,
j'espère : ce n'est pas comme opposant,
que je vais parler de votre église, comme
si, lui ayant jadis appartenu, j'en fusse sorti
à cause de ses erreurs, et qu'ainsi je dusse
l'accuser, elle, pour m'excuser, moi. Telle n'est
point ma position : ma foi était toute
de la Bible, avant que le Pape fût. Je l'ai
possédée, dans mon
peuple et ma race, de tout temps, dès les
Apôtres ; et la seule chose que j'aie
à dire, à cette heure, sur
l'église latine c'est qu'elle s'est
formée longtemps après l'existence de
la mienne, et que ses doctrines et ses pratiques
n'ont pris naissance aussi que plus longtemps
encore après le siècle des
Apôtres.
Le
Géomètre. Mais, Monsieur,
pourrons-nous comprendre ce que vous allez
dire ? Nous ne sommes pas théologiens,
et peut-être vos preuves seront-elles bien
savantes ?
Le
Voyageur. Vous allez en juger.
Écoutez-les :
On vous a fait croire, pair exemple, que
la confession de vos péchés à
l'oreille d'un prêtre fut instituée
par les Apôtres, et que celui qui ne la fait
pas, ne peut être sauvé. (Concil.
Trident. Ses. XIV, c. 4.)
Et cependant, plus de deux
siècles après les Apôtres,
cette confession auriculaire était si peu
connue, qu'au contraire, l'évêque
Chrysostôme dit expressément :
Dieu commande que nous n'usions de confession
qu'envers lui seul. Que ce jugement donc se fasse
sans témoins. Qu'il n'y ait que Dieu qui
voie la confession. (Hom. XXVIII, ad pop. Antioch.
- Hom. de Poenit. et Confes.)
Quelques années plus tard,
l'évêque Augustin dit aussi : Que
m'importe que les hommes entendent mes confessions,
comme s'ils devaient guérir toutes mes
langueurs ? (Conf. lib. X, 3.)
Bien plus tard encore, au IXe
siècle, un concile de
Châlons-sur-Saône déclarait que
cette confession-là. n'étant point
encore établie, on était libre de la
faire ou de s'en abstenir ; et ce ne fut qu'au XIIIe
siècle, l'an 1215,
que le quatrième concile de Latran
décréta cette pratique et la rendit
obligatoire.
Vous le voyez, Messieurs, cette cause
est facile et bien vite jugée ; la
Confession latine est de fraîche date. Un
chrétien primitif, vous le sentez, ne peut
l'avoir admise. il lui était
antérieur.
Le
Géomètre. Je n'ai rien
à dire. Si la chose est ainsi, il est
évident que l'usage de la Confession n'est
pas apostolique.
Le
Voyageur. Vos autres pratiques ne le
sont pas davantage ; comme vous allez le voir,
et avec la même évidence.
On vous a fait croire que c'est des
Apôtres mêmes que les prêtres de
votre église ont reçu la charge et le
droit de retenir les péchés ou de les
remettre, et qu'ainsi l'Absolution qu'ils
prononcent est divine.
Mais cependant au IVe siècle,
cette Absolution-là, loin d'être
admise, était au contraire rejetée,
comme une hérésie que certaines gens
voulaient introduire ; car c'est en ces
termes-là qu'en parle Augustin. (L. serm.
23. Futuri erant homines, etc.)
Au XIIIe, siècle, oui, Messieurs,
même encore au Xllle siècle, cette
Absolution n'était pas sanctionnée.
Si quelques docteurs la maintenaient, d'autres
soutenaient que tout ce que pouvait faire le
prêtre, c'était de dire : Que
Dieu te donne son absolution, qu'il le remette tes
fautes. (Thom. Opusc. XXI.) Car, ajoutait un de ces
plus célèbres docteurs, Dieu n'a
donné au prêtre d'autre pouvoir, que
de montrer au pécheur repentant que ses
péchés lui sont
remis de Dieu. (Lomb. sent. lib. IV, dist. 18, 1.
E. et F.)
Bien plus, Messieurs, ce fut près
du XVIe siècle, oui, lorsque s'approchait
cette Réformation que Rome déteste,
ce fut un pape, (il est vrai qu'il écrivit
ces mots avant qu'il fût appelé Sa
Sainteté) qui enseigna « que le
prêtre ne faisait, quant aux pécheurs,
que ce que faisait le grand-prêtre, sous la
loi judaïque quant à un
lépreux ; et qui était de
reconnaître que le malade était
nettoyé, puis de le déclarer. C'est
Dieu seul, écrivait-il, qui remet les
fautes ; et comme le prêtre ne peut les
retenir au vrai pénitent, il ne peut non
plus les lui remettre. Il prie pour lui :
c'est là tout son office. » ( Adr.
VI, Quaest. V, Quodlibet, etc.)
Vous le voyez encore, les
chrétiens primitifs ne purent pratiquer une
Absolution qui, même quinze siècles
après les Apôtres, n'était pas
encore fixement établie.
Le
Négociant. Cependant, Monsieur,
l'église de Rome exista dès le temps
des Apôtres, et ce fut d'eux-mêmes
qu'elle reçut sa puissance, et surtout
d'être infaillible.
Le
Voyageur. On vous l'a fait croire,
Monsieur ! mais le fait est loin d'être
ainsi, car voici ce qu'atteste l'histoire.
D'abord elle prononce, et sans
hésiter, que l'évêque de Rome
ne fut, jusqu'au commencement du VIle
siècle, qu'un des égaux des autres
évêques d'Antioche, d'Alexandrie, ou
de Constantinople. Que même il fut
inférieur à ceux-ci, en plus d'une
circonstance ; par exemple, lorsque
l'évêque Synésius,
écrivant à Théophile,
patriarche d'Alexandrie, au Ille
siècle, reconnaissait comme loi divine tout
ce que ce trône-là, celui
d'Alexandrie, voulait ordonner ; (Epist. 66)
ou bien lorsque ce patriarcat s'attribuait
non-seulement la domination spirituelle, mais aussi
la principauté terrestre. Socrat. Hist. lib.
VII. c. 7.)
Certainement alors l'évêque
de Rome n'était pas élevé sur
celui d'Alexandrie ; pas plus qu'il ne
l'était sur les autres évêques
d'Afrique, lorsqu'un concile de Numidie
décrétait, au Ve siècle,
l'excommunication de quiconque en appellerait d'un
des évêques d'Afrique à celui
de Rome ; pas plus aussi qu'il ne le fut, au
même siècle, lorsque, ayant
envoyé ses légats à un concile
de Carthage, il ne les vit prendre place
qu'après l'évêque de Carthage,
qui présidait, et Valentin, un des
évêques de Numidie. Les légats
romains furent blessés de ne se voir
qu'à la troisième place ; et
pour revendiquer la première, ils
produisirent un décret supposé d'un
concile antérieur : Les
évêques présents, au nombre de
deux cent sept, découvrirent et
démontrèrent la supercherie, et le
concile en adressa ses remontrances à
l'évêque de Rome.
Cela se passait au Ve
siècle ; temps auquel, aussi, le droit
de convoquer un concile universel, loin
d'appartenir à l'évêque de
Rome, n'était qu'entre les mains de
l'Empereur, qui donnait l'ordre impérial,
à l'évêque de Rome, d'y envoyer
ses légats ; temps auquel, encore,
l'évêque de Rome, soumis à la
censure des églises, fut plus d'une fois
repris et même excommunié, soit par
Jérôme, quand il prononçait
anathème contre Liberius, tombé dans
l'arianisme; soit par le concile d'Afrique qui
excommunia l'évêque Vigile, que l'empereur avait
déjà condamné. (Niceph. Hist.
Eccl. 1. XVII, c. 26)
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