Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CHRÉTIEN PRIMITIF

suite

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III.

IL N'Y A NUL ACCORD ENTRE LA LUMIÈRE ET LES TÉNÈBRES.


Jamais encore, dit le géomètre, je n'avais entendu de telles choses. Votre récit, Monsieur, m'a vivement intéressé ; et puisque vous nous avez parlé à coeur ouvert, je désire aussi vous demander en quoi votre religion, que vous nommez primitive, diffère de la mienne. Je suis catholique-romain.
J'allais faire la même demande, ajouta le négociant ; car je dois avouer aussi que je suis intéressé à ce que je viens d'entendre, quoique, cependant, je ne l'admette pas en entier.

J'espère, Messieurs, que la réponse que vous me demandez, ne vous blessera pas, quelque censure qu'elle doive faire de la religion que vous professez aujourd'hui.
Vous voyez, je m'assure, que si ma bouche est ouverte, mon coeur l'est aussi ; et je sens, croyez-le, que l'amour le plus sincère pour vos âmes accompagnera même les sévères paroles que je devrai prononcer.

Énoncez toute votre pensée, reprit le géomètre, avec cordialité. Nous vous demandons un enseignement, et nous le recevrons certainement avec la même disposition d'esprit qui vous anime. Dites-nous donc, s'il vous plaît, en quoi votre croyance diffère si fort de la nôtre.

Le Voyageur, avec douceur, mais avec fermeté. Hélas ! Messieurs, c'est en toute chose, depuis son premier principe, jusqu'à sa dernière conséquence, que la religion de la Bible, qui est la mienne, s'oppose à la religion de monde, qui est la vôtre. Je ne sais, en vérité, par où entreprendre cet examen, car il n'y a rien de commun entre la vérité du ciel, et les vaines pratiques ou la fausse sagesse de la terre.
Le Géomètre. Mais, Monsieur, n'est-ce pas en Jésus-Christ que vous croyez ; et nous, catholiques. romains, n'y croyons-nous pas aussi ?

Le Voyageur. Ah ! Messieurs ; il n'y a pas deux vrais Christs, et si celui que j'adore est le véritable, certainement le vôtre n'est pas le Christ de Dieu.
Le Négociant. Comment, s'il vous plaît, nous romains, nous n'adorons pas Dieu, je veux dire Jésus-Christ ; et ce n'est pas là le vrai Christ, le vrai Sauveur !!

Le Voyageur.Écoutez-moi, je vous prie. Si, ne possédant aucun argent, je dois 100 francs et que la loi du pays punisse de la prison jusqu'à la dette d'un seul centime, vous ne me sauvez pas de la peine de la loi, même si vous payez pour moi 99 francs 99 centimes, puisque le centime qui reste suffit pour me faire juger et condamner. Vous m'avez aidé, sans doute ; mais comme je ne possède pas, même le seul centime qui manque à la somme, votre bienfait ne m'a servi de rien, et il faut que je sois incarcéré. Votre générosité n'a donc pas été mon sauveur.
Le Géomètre. Rien de plus évident, Monsieur. Nous admettons votre principe.

Le Voyageur. C'est pourquoi, si votre Christ, Messieurs, par son sacrifice sur la croix, n'a pas payé toute, mais absolument toute la dette de votre âme, il est de la dernière évidence que ce Christ-là n'est pas un sauveur. Or, il n'a pas tout payé, si vous, Messieurs, vous avez encore à payer ou à satisfaire pour vos péchés. Je vous demande donc si votre salut a été accompli, déjà terminé et fait en entier, Par Jésus, ou bien si vous pensez que vous ayez aussi quelque chose à faire, pour que votre âme soit rachetée ?
Le Négociant. Mais, Monsieur, qui oserait dire qu'il soit déjà tout-à-fait sauvé ? Quel homme se connaîtrait lui-même si peu, qu'il s'imaginât qu'il n'a plus rien à faire pour mériter sa grâce ?

Le Voyageur. Puisque telle est votre position, et qu'ainsi le Christ, en qui vous croyez n'a pas encore achevé de vous sauver, puisque, dites-vous, il vous faut opérer, faire ou mériter, au moins quelque chose, pour obtenir le pardon de vos péchés, il est évident que ce Christ-là est un faux Christ.
Le Négociant, vivement. Mais en quoi, je vous prie ? N'est-il pas notre Dieu, et n'est-il pas mort en croix pour nous ? Est-ce donc un faux Christ que ce Christ-là ?

Le Voyageur. Le vrai Christ, Messieurs, le Christ de Dieu sauve, et ne se contente pas d'aider. Donc, puisque le vôtre ne vous a pas encore sauvés, il n'est pas le Christ de Dieu. C'est un Christ imaginaire et de convention.
Le Géomètre. En sorte que, Monsieur, (si du moins je vous comprends) vous croyez que Jésus-Christ vous a déjà tout-à-fait sauvé ! Êtes-vous donc assuré maintenant, par exemple, que vous soyez racheté, sauvé : oui, mis hors d'état d'être perdu ?

Le Voyageur. Hé ! Monsieur, serais-je disciple de Christ, si je n'étais pas assuré que tout ce qu'il a fait est réel, que tout ce qu'il dit est vrai ? Et n'est-ce pas un fait, que le Christ de Dieu a mis son âme en oblation pour le péché, et que son sang a été répandu pour la rémission des offenses ! N'est-ce pas un fait aussi, que par cette oblation de lui-même, il a rendu pour toujours accomplis, c'est-à-dire qu'il a complètement sauvé, ceux pour qui cette sainte victime fut immolée ?
Enfin, n'est-ce pas un fait, une chose réelle, que le Christ de Dieu, après avoir été livré pour les offenses, de ceux qu'il rachetait, a été ressuscité pour leur justification ; c'est-à-dire pour leur pardon total devant Dieu ? Tout cela n'est-il pas écrit, en mille endroits, dans la Bible ; et n'est-ce pas tout aussi positivement que simplement qu'elle le déclare ? Un enfant ne peut-il pas le comprendre, s'il le lit ?
Le Géomètre. Il y a quelque chose ici qui m'est tout nouveau. Je n'avais point encore fait cette distinction, certainement très-importante, entre un sauveur, qui sauve en effet, et un aide, qui ne fait qu'assister. Oui, ce que vous venez de dire, quant au sacrifice de Jésus-Christ, me frappe beaucoup, je l'avoue. Jamais, jusqu'à présent, je n'avais vu la chose sous cette lumière.
Le Négociant. Mais, cependant, si je crois que, pour obtenir, oui, pour mériter, tout ce que le Sauveur a fait pour moi, je dois lui obéir et le servir, est-ce qu'il cesse pour cela d'être mon sauveur ?
Le Géomètre. Hé ! mon cher, tu ne vois donc pas que tu additionnes un produit, avant d'en avoir les sommes ! Car, enfin, si tu veux gagner ton salut par tes oeuvres, c'est-à-dire par la chose que toi, tu vas faire, il est évident que ce salut n'a pas encore été fait. Il manque donc quelques chiffres dans les colonnes de ton sauveur, puisque, quand tu les ajoutes, la somme est incomplète, et qu'il faut que toi tu y supplées !
Le Négociant. Mais, que veux-tu que mes oeuvres, que mon obéissance, ajoutent à ce qu'a fait Dieu ? C'est trop peu de chose, pour en faire état ; et toujours la grâce de Dieu est-elle la première.

Le Voyageur. Si là grâce n'est pas tout, Monsieur, elle n'est pas une grâce, et surtout une grâce divine. Supposer que l'oeuvre de Dieu n'est pas infinie, c'est renier Dieu même. Imaginer donc que Jésus-Christ, qui est Dieu manifesté en chair, n'a pas opéré, pour les hommes qu'il sauvait par sa mort, un salut total, par une grâce infinie, (mais je dis infinie, Messieurs, ) c'est nier que Christ soit Dieu : c'est donc imaginer un faux Christ.
Le Géomètre. Cependant, n'est-il pas vrai que tous les hommes ne sont pas encore, et surtout, ne seront pas finalement sauvés ? Il y en aura, n'est-ce pas, qui seront condamnés, au jour du grand jugement ; et cependant vous avez dit que Jésus-Christ a fait leur salut, et sans que rien y manque. Ici, je ne puis accorder votre parole avec le résultat.

Le Voyageur. Le fait est irrécusable. Le Christ de Dieu a certainement sauvé, et non pas seulement aidé, ceux pour qui son sang fut répandu. Mais un autre fait, c'est la vérité de ce qu'il dit, lorsqu'il prononce ces mots : Dieu a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie ; éternelle ; puis lorsqu'il ajoute aussitôt : Celui qui croit en lui ne sera point condamné ; mais celui qui ne croit point est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Le Géomètre. Ah ! je comprends. Ce sont les croyants en Christ, qui seront sauvés finalement ; et ceux qui seront perdus ce sont les incrédules !... Mais, je vous prie, que dois-je donc croire, moi, pour que je sois finalement sauvé ?

Le Voyageur. Tout simplement ce que vous dit la Bible, et rien que cela.
Elle vous dit que vous êtes entièrement pécheur : croyez-le.
Elle vous dit que le péché est maudit de Dieu : croyez-le.
Elle vous dit que vous ne pouvez ni effacer, ni racheter vous-même, vos péchés : croyez-le.
Elle vous dit que Dieu a donné un Sauveur au monde : croyez-le.
Elle vous dit que ce Sauveur, le Fils de Dieu, venu en chair, a fait par lui-même l'expiation des péchés de son peuple : croyez-le.
Elle vous dit que tout homme qui croit de coeur en Jésus, connaît qu'il est de ce peuple béni et qu'il est ainsi sauvé pour toujours : croyez-le.
Elle vous dit, enfin, que le vrai croyant, déjà reçu en grâce, sera infailliblement héritier du ciel : croyez-le ; et dans cette foi-là, réjouissez-vous d'une parfaite joie, pour obéir à Dieu, comme à votre Père ; pour garder ses commandements ; pour être saint, comme il est saint.
Le Géomètre. Quelle doctrine consolante ! Je vous assure, Monsieur, que j'en suis tout ému. Non, jamais encore, je n'avais même eu l'idée d'un tel salut. Quel chemin différent de celui qu'on m'avait montré, et où, il fallait que je fisse tant d'oeuvres, et même d'oeuvres difficiles, pour que, au bout du compte, je pusse, en quelque sorte, espérer le ciel !... C'est donc tout autre chose ; et si je crois de coeur que Jésus-Christ est un Sauveur parfait, la Bible dit donc que je suis sauvé, que mon pardon m'est gratuitement donné de Dieu !... Monsieur, je vous remercie. Votre doctrine primitive est admirable, autant que réjouissante, et je veux m'y ranger de tout mon coeur.
Le Négociant. Mais, cher Victor, vas-tu donc renier notre antique et sainte religion ? N'y a-t-il donc point d'oeuvres commandées au chrétien ? Ne doit-il pas, pour être sauvé, garder ici-bas tous les commandements de Dieu ?
Le Géomètre. Écoute, Alfred, je crois pouvoir t'expliquer ce qu'il en est. Le vrai croyant, sachant qu'il est aimé de Dieu, aime à son tour son Sauveur ; et par cet amour, il garde les lois de Dieu. Je pense donc que, jusqu'à présent, nous avons mis la grappe avant la sève : l'obéissance, avant l'amour. N'est-ce pas, Monsieur, que telle à été notre méprise ?

Le Voyageur. Évidemment. Et c'est justement en cela que se montre l'opposition totale qui règne entre la religion de Dieu et toutes les religions du monde. Celle de Dieu dit : Aime et sers Dieu, parce que tu es aimé de lui, parce que tu es sauvé. Toute religion du monde, au contraire, dit : Fais en sorte de servir Dieu, afin qu'il t'aime, afin qu'il te sauve. Ces deux croyances sont donc diamétralement opposées l'une à l'autre ; et c'est parce que celle de Rome dit : Fais des oeuvres pour être sauvé, qu'elle n'a rien de commun avec celle de la Bible, qui dit : Fais des oeuvres, parce que tu es sauvé.
Je répète donc ce que j'ai avancé déjà, que puisque le Christ qu'adore le catholique-romain, n'a pas encore sauvé celui qui l'adore, mais qu'il faut que celui-ci fasse quelque chose de son côté, pour que son salut soit accompli ; ce Christ-là n'est pas le Christ de Dieu : car le Christ de Dieu a réellement sauvé, et pour toujours, le peuple qu'il a aimé et pour qui son sang a coulé. Vous voyez donc, Messieurs, qu'à ce premier égard, (qui est tel qu'il renferme tous les autres) il n'y a rien de commun entre la religion que vous avez professée jusqu'à ce jour, et celle qu'enseigne la Bible, et qui est la mienne.
Le Négociant. Ainsi donc, Monsieur, selon vous, tout ce que prescrit la Mère-Église aux fidèles, n'a plus aucun sens et n'est qu'un travail inutile ? Par exemple, la pénitence, les oraisons, les voeux, et peut-être aussi la confession, et avec elle toutes les satisfactions qu'elle impose aux fidèles... tout cela devient superflu ?

Le Voyageur. Superflu ? cher Monsieur ! Non, non : mais blâmable, mais criminel, mais hostile à Jésus et à sa parole ; et, par cela même, à la paix, à la sainteté du fidèle, et à tout ce qu'il y a de céleste et de révélé à la terre.
Le Négociant, avec douleur. Quelle condamnation, Monsieur, prononcée, dirai-je, sans miséricorde, sur la plus sainte, la plus vraie et aussi la plus antique des religions !

Le Voyageur. Pardonnez à un chrétien de la Bible, à un chrétien dont les ancêtres ne furent jamais ni réformés ni protestants, parce que jamais ils n'appartinrent à l'église de Rome, s'il prononce hardiment que, lorsqu'il est question d'antiquité de croyance, sa religion est plus ancienne que la vôtre. Supportez-le donc, s'il vous prouve, par des témoignages irrécusables, que tout ce que vous venez de nommer, savoir, la pénitence, la confession, les satisfactions et les voeux, et avec ces choses-là, de plus vénérées encore, l'invocation des saints, le culte de la Vierge et des images, le célibat des prêtres, le purgatoire avec ses indulgences et ses prières pour les morts ; et l'extrême-onction, et la messe, et l'adoration de l'hostie, et le culte en langue étrangère, et pardessus tout, la suprématie du Pape, sont des innovations, pour la plupart assez récentes, et dont aucune ne fut jamais ni connue, ni même supposée, dans l'Eglise primitive.
Le Géomètre. Ah ! mon cher Alfred, tu ne peux te refuser à cet examen. Car, enfin, si la chose est fausse, nous n'en serons que plus affermis dans notre croyance ; et si ce que, Monsieur, veut nous dire est plus vrai que ce qu'on nous a fait croire, eh bien ! nous n'aurons qu'à gagner à l'échange.

Le négociant ne répondit rien ; et ce fut sur l'invitation du géomètre, que le voyageur poursuivit ainsi :

Vous le sentez, Messieurs, j'espère : ce n'est pas comme opposant, que je vais parler de votre église, comme si, lui ayant jadis appartenu, j'en fusse sorti à cause de ses erreurs, et qu'ainsi je dusse l'accuser, elle, pour m'excuser, moi. Telle n'est point ma position : ma foi était toute de la Bible, avant que le Pape fût. Je l'ai possédée, dans mon peuple et ma race, de tout temps, dès les Apôtres ; et la seule chose que j'aie à dire, à cette heure, sur l'église latine c'est qu'elle s'est formée longtemps après l'existence de la mienne, et que ses doctrines et ses pratiques n'ont pris naissance aussi que plus longtemps encore après le siècle des Apôtres.
Le Géomètre. Mais, Monsieur, pourrons-nous comprendre ce que vous allez dire ? Nous ne sommes pas théologiens, et peut-être vos preuves seront-elles bien savantes ?

Le Voyageur. Vous allez en juger. Écoutez-les :
On vous a fait croire, pair exemple, que la confession de vos péchés à l'oreille d'un prêtre fut instituée par les Apôtres, et que celui qui ne la fait pas, ne peut être sauvé. (Concil. Trident. Ses. XIV, c. 4.)

Et cependant, plus de deux siècles après les Apôtres, cette confession auriculaire était si peu connue, qu'au contraire, l'évêque Chrysostôme dit expressément : Dieu commande que nous n'usions de confession qu'envers lui seul. Que ce jugement donc se fasse sans témoins. Qu'il n'y ait que Dieu qui voie la confession. (Hom. XXVIII, ad pop. Antioch. - Hom. de Poenit. et Confes.)

Quelques années plus tard, l'évêque Augustin dit aussi : Que m'importe que les hommes entendent mes confessions, comme s'ils devaient guérir toutes mes langueurs ? (Conf. lib. X, 3.)

Bien plus tard encore, au IXe siècle, un concile de Châlons-sur-Saône déclarait que cette confession-là. n'étant point encore établie, on était libre de la faire ou de s'en abstenir ; et ce ne fut qu'au XIIIe siècle, l'an 1215, que le quatrième concile de Latran décréta cette pratique et la rendit obligatoire.
Vous le voyez, Messieurs, cette cause est facile et bien vite jugée ; la Confession latine est de fraîche date. Un chrétien primitif, vous le sentez, ne peut l'avoir admise. il lui était antérieur.
Le Géomètre. Je n'ai rien à dire. Si la chose est ainsi, il est évident que l'usage de la Confession n'est pas apostolique.

Le Voyageur. Vos autres pratiques ne le sont pas davantage ; comme vous allez le voir, et avec la même évidence.
On vous a fait croire que c'est des Apôtres mêmes que les prêtres de votre église ont reçu la charge et le droit de retenir les péchés ou de les remettre, et qu'ainsi l'Absolution qu'ils prononcent est divine.
Mais cependant au IVe siècle, cette Absolution-là, loin d'être admise, était au contraire rejetée, comme une hérésie que certaines gens voulaient introduire ; car c'est en ces termes-là qu'en parle Augustin. (L. serm. 23. Futuri erant homines, etc.)

Au XIIIe, siècle, oui, Messieurs, même encore au Xllle siècle, cette Absolution n'était pas sanctionnée. Si quelques docteurs la maintenaient, d'autres soutenaient que tout ce que pouvait faire le prêtre, c'était de dire : Que Dieu te donne son absolution, qu'il le remette tes fautes. (Thom. Opusc. XXI.) Car, ajoutait un de ces plus célèbres docteurs, Dieu n'a donné au prêtre d'autre pouvoir, que de montrer au pécheur repentant que ses péchés lui sont remis de Dieu. (Lomb. sent. lib. IV, dist. 18, 1. E. et F.)

Bien plus, Messieurs, ce fut près du XVIe siècle, oui, lorsque s'approchait cette Réformation que Rome déteste, ce fut un pape, (il est vrai qu'il écrivit ces mots avant qu'il fût appelé Sa Sainteté) qui enseigna « que le prêtre ne faisait, quant aux pécheurs, que ce que faisait le grand-prêtre, sous la loi judaïque quant à un lépreux ; et qui était de reconnaître que le malade était nettoyé, puis de le déclarer. C'est Dieu seul, écrivait-il, qui remet les fautes ; et comme le prêtre ne peut les retenir au vrai pénitent, il ne peut non plus les lui remettre. Il prie pour lui : c'est là tout son office. » ( Adr. VI, Quaest. V, Quodlibet, etc.)

Vous le voyez encore, les chrétiens primitifs ne purent pratiquer une Absolution qui, même quinze siècles après les Apôtres, n'était pas encore fixement établie.
Le Négociant. Cependant, Monsieur, l'église de Rome exista dès le temps des Apôtres, et ce fut d'eux-mêmes qu'elle reçut sa puissance, et surtout d'être infaillible.

Le Voyageur. On vous l'a fait croire, Monsieur ! mais le fait est loin d'être ainsi, car voici ce qu'atteste l'histoire.
D'abord elle prononce, et sans hésiter, que l'évêque de Rome ne fut, jusqu'au commencement du VIle siècle, qu'un des égaux des autres évêques d'Antioche, d'Alexandrie, ou de Constantinople. Que même il fut inférieur à ceux-ci, en plus d'une circonstance ; par exemple, lorsque l'évêque Synésius, écrivant à Théophile, patriarche d'Alexandrie, au Ille siècle, reconnaissait comme loi divine tout ce que ce trône-là, celui d'Alexandrie, voulait ordonner ; (Epist. 66) ou bien lorsque ce patriarcat s'attribuait non-seulement la domination spirituelle, mais aussi la principauté terrestre. Socrat. Hist. lib. VII. c. 7.)

Certainement alors l'évêque de Rome n'était pas élevé sur celui d'Alexandrie ; pas plus qu'il ne l'était sur les autres évêques d'Afrique, lorsqu'un concile de Numidie décrétait, au Ve siècle, l'excommunication de quiconque en appellerait d'un des évêques d'Afrique à celui de Rome ; pas plus aussi qu'il ne le fut, au même siècle, lorsque, ayant envoyé ses légats à un concile de Carthage, il ne les vit prendre place qu'après l'évêque de Carthage, qui présidait, et Valentin, un des évêques de Numidie. Les légats romains furent blessés de ne se voir qu'à la troisième place ; et pour revendiquer la première, ils produisirent un décret supposé d'un concile antérieur : Les évêques présents, au nombre de deux cent sept, découvrirent et démontrèrent la supercherie, et le concile en adressa ses remontrances à l'évêque de Rome.

Cela se passait au Ve siècle ; temps auquel, aussi, le droit de convoquer un concile universel, loin d'appartenir à l'évêque de Rome, n'était qu'entre les mains de l'Empereur, qui donnait l'ordre impérial, à l'évêque de Rome, d'y envoyer ses légats ; temps auquel, encore, l'évêque de Rome, soumis à la censure des églises, fut plus d'une fois repris et même excommunié, soit par Jérôme, quand il prononçait anathème contre Liberius, tombé dans l'arianisme; soit par le concile d'Afrique qui excommunia l'évêque Vigile, que l'empereur avait déjà condamné. (Niceph. Hist. Eccl. 1. XVII, c. 26)

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