Quelques soldats français étaient montés sur le bateau qui se rendait
de Mayence à Manheim. Grands parleurs et grands rieurs, ils faisaient
beaucoup de bruit sur l'avant du vaisseau, qu'ils occupaient presque
en entier, et où leurs propos badins excitaient la joie de l'équipage.
L'un d'entre eux, surtout, jeune homme d'une figure agréable et
ouverte, multipliait ses bons mots avec autant d'assurance que de
vivacité, et sa voix dominait toutes les autres.
Pour moi, s'écriait-il, au moment où je m'approchai de
ces groupes joyeux, je suis un bon-vivant, et les bons-vivants sont
toujours heureux : oui, toujours.
Dieu veuille te montrer le contraire ! lui répondis-je
en mon esprit : et aussitôt je me sentis pressé du désir d'être
utile à cette âme.
Mais quel est le chrétien qui ne sache combien
d'obstacles l'égoïsme, la fausse honte et la crainte des hommes
élèvent contre le généreux sentiment de la charité ! Hélas !
je les trouvai tous en mon mauvais coeur...
Laisse ces moqueurs, me dit la paresse. Pourquoi te
fatiguer pour rien, auprès d'un homme grossier, corrompu et
endurci ? D'ailleurs, ajouta la dureté, la Sainte-Écriture te dit
de ne pas donner les choses saintes aux chiens : et tu ne vois
que trop ce qu'est ce soldat et tous ceux qui l'entourent. Et surtout,
me répétaient la timidité et le respect humain, pourquoi te mettre en
montre devant tous les passagers et t'exposer à des railleries et
peut-être à leur mépris ? Contente-toi de prier pour ces gens-là.
Dieu saura bien leur envoyer sa lumière, s'il le trouve bon. C'est là
tout ce qu'une charité prudente et raisonnable demande de toi :
demeure donc tranquille.
Non ! répliqua la foi, et la charité de Dieu avec
elle. Non ! tu ne resteras pas tranquille lorsque tu peux faire
le bien, et tu ne diras pas que ce jeune homme soit « un
chien, » indigne de recevoir la parole de Dieu, jusqu'à ce que tu
aies vu que cette folie qu'il fait paraître est de l'impiété, ou une
révolte incurable.
Que t'importe aussi, poursuivit la foi, que les mondains
t'approuvent, ou qu'ils te blâment ? Agis-tu pour leur
plaire ; et ton Seigneur, lorsqu'il a chargé sur lui une croix,
a-t-il craint les moqueries et l'infamie la plus accablante ?
D'ailleurs, reprit. la charité, qui te dira que non-seulement ce
soldat et ses camarades, mais que plusieurs des passagers aussi, ne
recevront pas une instruction durable de tes
paroles, lors même que peut-être ils s'en seront d'abord moqués ?
De toute manière, s'écria la fidélité, la pensée que tu as eue de
reprendre cet homme et de l'enseigner, cette bonne pensée est venue de
Dieu ; et malheur à toi si tu enfouis par ta lâcheté ce talent
que le Seigneur te confie à cette heure !
Eh bien donc ! dis-je secrètement à Dieu, j'obéirai.
Que ton bon esprit soit avec, moi et qu'il bénisse ce que je vais
faire ! - Et que Dieu, Lecteur chrétien, vous accorde aussi la
même grâce, toutes les fois que l'occasion vous est offerte de faire
quelque bien à une âme ignorante ou égarée ! Qu'alors en vous,
aussi, sa parole et son amour triomphent de tout prétexte, de toute
répugnance, de toute infidélité, et qu'il vous rappelle, comme il le
fit à mon coeur, que le devoir de l'enfant de Dieu doit être accompli,
sous les yeux du Seigneur, et pour lui plaire, à lui seul.
Ce bon Dieu m'avait préparé l'oeuvre dès le matin. En
arrangeant mes effets, avant de partir, j'avais trouvé, parmi quelques
papiers, un petit traité-religieux, intitulé Les Bons-Vivants.
J'ignorais que je l'eusse encore car, depuis plusieurs jours, j'avais
regretté de n'avoir plus aucun traité à donner, croyant avoir
distribué tous ceux que j'avais pris avec moi. J'avais donc mis ce
traité dans ma poche, et lorsque j'entendis le soldat professer d'être
« un bon-vivant, » je me rappelai cet écrit, et j'eus la
pensée de le lui donner.
C'était, en effet, celui qui pouvait le mieux convenir à
cet homme. Non-seulement son titre même s'appliquait au propos que le
soldat avait tenu, mais encore les quatre pages de cette feuille semblaient
avoir été écrites précisément pour répondre à l'exclamation du jeune
homme et aux railleries de ses camarades, puisqu'elles mettent en
scène des bons-vivants, qui, après avoir entendu quelques mots sérieux
sur la Bible, en concluent que, « si elle est vraie, ils ne sont
que des impies ; des ennemis de Dieu. »
Je pris donc à la main le traité, et m'avançant vers lé
soldat, je le lui offris et lui dis, en présence de ses
camarades : « Vous êtes, avez-vous déclaré, un bon-vivant,
et vous vous êtes vanté d'être toujours heureux ; eh bien !
lisez ceci ; c'est, vous le voyez, de bons-vivants aussi qu'il y
est parlé. Et que le bon Dieu, qui vous a entendu tout à l'heure,
bénisse pour vous cette feuille ! »
Amen ! me dit un capitaine anglais avec qui j'avais
eu dans la journée une conversation très-agréable sur les choses du
ciel, et qui s'était approché des soldats en même temps que moi. Dieu
peut faire de grandes choses avec de bien faibles moyens, et combien
de fois déjà n'a-t-il pas employé un humble écrit, tel que celui-là,
pour amener à la repentance et à la foi des pécheurs encore plus
égarés que ce pauvre jeune homme !
Le capitaine était resté près des soldats, et une
demi-heure après que je les eus quittés, et comme je me disposais à me
rapprocher d'eux, il revint à moi en me disant, que les soldats
s'étaient tous rangés en cercle, afin d'écouter la lecture du traité,
que « le bon-vivant » leur avait faite à haute voix et qui
paraissait avoir touché deux ou trois d'entre eux.
Le « bon-vivant », du moins, y avait été intéressé ;
car je parlais encore avec le capitaine, lorsqu'il s'approcha de moi,
et me dit avec le plus grand respect : La morale que vous avez eu
la bonté, de me donner, Monsieur, est si belle, que je suis venu vous
en remercier ; parce que... je vous le dis sans détour, je crois
qu'elle m'a touché le coeur.
Deux autres soldats se placèrent dans ce moment à côté du
jeune homme, et pour moi, comprenant que Dieu ouvrait la porte à sa
Parole, je dis au « bon-vivant », avec beaucoup de sérieux.
mais aussi du ton le plus cordial : Commencez-vous à voir qu'un
bon-vivant, comme vous vous nommez, pourrait bien n'être pas heureux
toujours ?
Le Soldat. Que
voulez-vous, Monsieur, ce n'est pas tous les jours qu'on nous dit de
bonnes raisons ; et l'on vit comme on sait et comme on peut.
Le Chrétien. Mais
vous devriez savoir, je pense, qu'à toute heure Dieu vous voit, et que
la folie ne lui plaît jamais.
Le Soldat. La folie,
Monsieur ! Mais me suis-je conduit ici comme un fou ?
Le Chrétien. Hé !
mon ami, laissez-moi vous parler sans réserve et comme un père à son
fils.
Le Soldat, vivement. Dites
seulement, Monsieur, et dites tout. Je vois que c'est pour mon bien
que vous me parlez, et me voici devant vous pour tout entendre.
Le Chrétien. Eh
bien ! répondez-moi sans arrière-pensée. Seriez-vous bien aise de
mourir à cette heure et de paraître devant Dieu, tel que vous
êtes ; tel que vous avez été jusqu'à présent ?
Le Soldat, avec embarras. Ah !
dame ! Monsieur, ce n'est pas sûr que cela me plairait ; car
enfin, si ce qu'on nous dit est vrai, ce n'est pas tout le monde qui
sera heureux de l'autre côté, je veux dire dans l'autre vie. Et quant
à mon individu, je ne peux pas le cautionner : car il y a bien,
oui, bien du mal chez moi.
Le Chrétien. Cela
étant, cher jeune homme, je dis que celui qui, dans le temps du
choléra, sent qu'il l'a déjà dans les veines, et qui, cependant, ne
s'en inquiète pas, qui se met à rire et à chanter, et qui se vante de
la parfaite santé qu'il possède, n'est vraiment qu'un insensé, et que
sa gaîté n'est que de la folie.
Le Soldat. Je le
crois bien ! car si l'on a la mort dans l'estomac, c'est bien lé
moins qu'on demande et qu'on prenne un remède.
Le Chrétien. C'est
pourquoi je dis, moi, qu'un jeune homme qui a le péché dans son âme,
et qui d'un jour à l'autre peut mourir, et par conséquent rencontrer
le châtiment de son péché, je dis que cet homme-là est un fou, oui, un
insensé, si au lieu de chercher et de prendre le remède qui guérit
l'âme, il se moque et se rit de son mal, et que, tout en avançant vers
le jour du jugement de Dieu, il ne songe qu'à boire et à manger, en
chantant qu'il est un bon-vivant, et qu'un bon-vivant est toujours
heureux.
Les soldats étaient tous trois fort intéressés, et le
plus jeune reprit la parole en soupirant et me dit : Il est sûr,
je l'avoue, qu'on ne pense guère à tout cela. Et cependant, tenez,
Monsieur, tel que vous me voyez, je ne suis pas un impie. Non, le Dieu
du ciel le sait. Je pense plus souvent que je ne le dis à ce qui
viendra après cette vie, et...
Il se tut et baissa la tête en rougissant. Il paraissait
ému : je lui en fis la remarque, et il me répondit avec sentiment
et à demi-voix : Je voulais dire, Monsieur, que quand j'étais
enfant, ma bonne mère, qui était une digne femme, m'avait appris
beaucoup de bonnes choses, et que ..... je sens.... qu'il m'en reste
encore quelque peu dans le coeur. De plus, Monsieur, je vous dirai
qu'on m'avait destiné à l'église, et que même j'avais déjà fait mes
premières classes. Vous voyez donc que je ne suis pas plus ignorant
qu'un autre, et que, quant à la religion, j'en ai tout de même ;
quoique pas trop : c'est vrai.
Le Chrétien. Eh bien
donc ! vous êtes comme serait un étudiant en médecine, qui, ayant
le choléra, n'y ferait aucune attention. Il serait d'autant plus fou,
qu'il serait plus capable de discerner son mal.
Le Soldat. Je n'ai
rien à répondre et je conviens de mon sort, Mais que voulez-vous qu'un
soldat fasse ? Dame ! ce n'est pas au quartier qu'on apprend
la morale : il faut donc qu'on a aille comme tous les autres
vont.
Le Chrétien. Ce qui
veut dire je pense, que si toute votre compagnie se moque de Dieu et
du jugement dernier, il faut qu'avec elle vous blasphémiez et que vous
alliez, à la rencontre de la malédiction et de l'enfer ! -
Dites-moi, n'est-ce pas là le comble de la folie ?
Le Soldat, humblement. Je
l'ai dit déjà, et je le répète : C'est là mon tort et mon
mal ; mon grand mal.... Mais qu'y faire, Monsieur ?
Le Chrétien. Craindre
Dieu. qui vous voit, mon ami, et vous soumettre à Jésus-Christ, pour
avoir par lui le pardon de vos péchés et la vie éternelle.
Là-dessus j'exposai la doctrine de l'Évangile, en lisant
ici et là les passages d'un Nouveau-Testament que j'avais à la main.
Je montrai donc aux soldats, qui tous trois étaient très-attentifs, ce
que dit la Parole de Dieu sur le châtiment éternel que mérite le
péché, et sur l'impossibilité où est l'homme, soit d'anéantir ses
péchés, soit de les racheter par sa conduite, quelque bonne et
vertueuse qu'il la suppose.
Puis, quand j'eus clairement démontré que ni le chagrin
d'un homme coupable, ni ses larmes, ni ses aumônes, ni ses jeûnes ou
ses prières, ne peuvent enlever une seule de ses fautes, je parlai
avec chaleur de l'amour infini de Dieu qui nous a donné un Sauveur
parfait et tout-puissant, dans la personne de son Fils, et je montrai
comment Jésus est venu des cieux, et de la part du Père, pour
racheter, par son précieux sang, son Église et pour donner à tout
pécheur qui croit en lui, non-seulement le pardon gratuit de ses
péchés, mais encore l'assurance de la félicité qui a été préparée dans
le ciel, avant même que le monde fût créé, pour tous les bénis de
Dieu.
Les soldats écoutaient, et « le bon-vivant » en
particulier témoignait par les gestes de sa tête que mon enseignement
se faisait jour dans son esprit. Cela veut donc dire, s'écria-t-il
tout-à-coup, que même un homme qui aurait été sans religion pendant
vingt ans, peut-être ; tenez, un voleur, un brigand, un païen,
s'il venait à croire de tout son coeur en
Jésus-Christ, eh bien ! que le Père éternel lui pardonnerait
tout, sans lui rien redemander ensuite ?
Bien entendu, s'il te plaît, ajouta un de ses camarades,
que cet homme-là se réformerait.
Çà s'entend de soi-même, répliqua le jeune homme. Il est
bien clair que si un brigand... tiens, le bon larron sur la croix, par
exemple... que si ce brigand se met à devenir religieux, et que Dieu
lui pardonne, ce ne sera pas pour qu'il recommence ses coquineries...
Mais ce qui me plaît, là-dedans, c'est ce pardon qu'on peut avoir si
l'on s'en remet franchement au Sauveur. Je l'avoue, cela me paraît
superbe ; et surtout, c'est bien facile : car quoi de plus
simple que de recevoir son pardon, quand on nous le donne par bonté et
sans qu'il nous coûte rien ?
Rien de plus simple, repris-je, en appuyant sur les
passages que je lisais : car qui est-ce qui ne comprendrait pas
cette parole du Sauveur lui-même :
« Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils
unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait
la vie éternelle ? »
Et cette déclaration de St-Paul, qui ne la voudra pas
croire ? « Cette parole est certaine, et digne d'être
entièrement reçue, que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver des
pécheurs, dont je suis le premier ! »
Çà fait du bien, répétait le jeune soldat. Çà console et
l'on se sent tout encouragé... C'est pourtant un grand bonheur,
ajouta-t-il, en s'adressant à ses camarades, de rencontrer un monsieur
d'instruction qui vous remette ainsi au pas. Qu'en dis-tu,
Laflèche ?
Laflèche (c'était le plus âgé des, deux camarades)
remarqua que ce n'était pas le plus important d'être enseigné, mais
que le principal dans cette affaire, c'était de garder dans le coeur
ce qu'on avait appris,
C'est tout juste mon idée, reprit le soldat, et cela
s'entend de soi-même... Aussi je te réponds bien que si jamais je ne
puis avoir ce même livre où le monsieur nous a lu, ce ne sera pas pour
le renier.
Cette déclaration du soldat retentit dans mon coeur comme
un ordre de la part de Dieu de donner mon Nouveau-Testament à ce jeune
homme. Mais ce ne devait pas être facile. Ce livre était un ancien
ami, qui plusieurs fois déjà m'avait nourri et consolé en divers
voyages et qui portait sur ses marges bien des notes, bien des
souvenirs. Me séparer de ce volume me semblait être comme la mort d'un
compagnon intime, d'un confident, et mon esprit répugnait à une telle
privation.
Il y eut donc encore un plaidoyer entre mon pauvre coeur
et la charité ; mais, comme toujours, quand c'est Dieu qui
plaide, l'amour l'emporta sur l'égoïsme, et le volume dut appartenir
au soldat.
Je vois encore devant mes yeux le moment où je le lui
donnai, Le soleil qui s'était couché derrière de lointaines collines,
reflétait ses dernières lueurs sur les eaux du fleuve que notre
bâtiment remontait et dont les bords étaient éclairés des plus douces
teintes, J'étais debout, avec les trois soldats et le pieux capitaine,
sur l'avant du bateau, et personne que Dieu ne faisait attention à ce
qui se passait entre nous. Ce fut alors que je présentai le
volume sacré au jeune soldat, en lui disant : C'est ici la Parole
même du Seigneur. C'est là que j'ai lu tout ce que vous venez
d'entendre, et de bien plus grandes choses encore s'y trouvent en
abondance. Ce volume-ci m'a été précieux depuis bien des années et
beaucoup d'argent ne pourrait le remplacer pour moi, mais, il faut que
vous le lisiez ; et c'est pour cela que je vous le donnerai, si
devant l'Éternel Dieu qui m'entend et qui vous voit, vous faîtes ces
deux promesses : l'une, que vous conserverez ce volume, s'il vous
est possible, toute votre vie, et l'autre, que, chaque jour de votre
vie, autant du moins que vous le pourrez, vous lirez quelque portion
de ce livre.
Je m'étais tu, et nous étions, tous silencieux. Le jeune
homme était étonné et saisi, et ce ne fut qu'avec effort, mais avec
ferveur cependant, qu'il me dit : « devant le Dieu du ciel
qui m'entend et qui lit dans mon coeur, (et en prononçant. ces mois,
il appuya sa main, droite sur sa poitrine) je vous le promets et vous
le jures ! »
Que Dieu vous aide ! ajoutai-je. Tenez, mon ami. Ce
livre n'est plus à moi : il est à vous. C'est Dieu qui vous le
donne. Souvenez-vous de votre promesse et lui soyez fidèle !
Il y eut un silence de quelques moments. Le jeune homme
avait pris le livre ; il le tenait dans ses deux mains, devant
lui, et il paraissait absorbé dans un seul sentiment. Enfin il se
tourna vers moi et me dit, avec émotion : Je n'ai plus ni mon
père, ni ma mère : ils sont morts tous les, deux ; ....
mais, ... ce soir, le bon Dieu vient de m'envoyer... un vrai père,
pour mon âme !
Il prit ma main qu'il baisa en la mouillant de ses
larmes : et pour moi, trop faible pour contenir les miennes, je
le quittai et je me retirai vers l'autre côté du vaisseau, où je
m'assis pour prier le Seigneur de bénir et d'achever l'oeuvre qu'il
venait de faire, et d'adresser à cette âme sa Parole par l'efficace de
son Esprit.
Le capitaine me rejoignit quelques moments après et me
dit que tous les soldats étaient descendus dans la cabine, et que là
plusieurs d'entre eux avaient commencé à railler
« l'ex-bon-vivant » et à lui demander s'il devait bientôt
entrer au couvent ou leur faire le prône. Mais, ajouta le capitaine,
ce qui m'a réjoui et ce qui me fait espérer que Dieu a déjà béni ce
jeune homme, ç'a été la fermeté qu'il a montrée en présence de tous
ces moqueurs.
« Vous pouvez me persifler et me mépriser tant qu'il
vous plaira, leur a-t-il dit, en élevant dans sa main son livre ;
je ne m'en soucierai pas. J'ai promis devant Dieu de garder ce livre,
toute ma vie, et personne ne me l'ôtera. J'ai promis aussi, et je l'ai
juré, d'y lire chaque jour ; et je le lirai, et vous le verrez,
et vous l'entendrez même, si cela vous arrange ! »
Que Dieu soit donc glorifié, Lecteur, et qu'il
accomplisse ce que son amour a commencé. Je ne sais qui est ce soldat,
et il ignore aussi mon nom. Jamais, sans doute, nous ne nous
rencontrerons de nouveau en ce monde ; mais, dans mon coeur et en
la présence de notre bon Seigneur et de notre Père, j'ai l'espérance
que c'est Dieu même qui a conduit toute cette affaire ; que c'est
lui qui m'a fait entendre les propos du
« bon-vivant ; » que lui aussi a voulu que je
trouvasse le traité ; qu'il en a béni la lecture ; qu'il a
rendu le soldat attentif à mes paroles ; qu'il lui a donné,
lui-même, son Évangile, et qu'il a ordonné, dans sa grâce, que
« ce pain, qui a été jeté sur la surface de l'eau, se retrouve
quand le temps de Dieu sera venu. » (Eccl.
XI, 1.)
Oui, Lecteur, la douce espérance de mon âme est, qu'au
jour de Christ, lorsque toutes les nations de la terre seront
assemblées devant lui, en jugement, le soldat sera nommé parmi les
bénis du Père, et qu'alors il sera dit que son âme fut appelée en ce
monde, d'abord par le petit traité, puis par le volume que lui
donna... son frère.
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