Julie porta donc à sa grand'maman les
salutations et les remerciements de Mme N***, et
lui dit aussi qu'elle avait cru voir que cette dame
était bien aise d'entendre parler de Dieu et
du Sauveur.
Elle ne t'a donc pas demandé de
lui faire ses commissions aujourd'hui ? dit
André, avec un peu de malice.
Cher enfant ! dit la grand'maman,
avec un geste de reproche, ne juge pas, et surtout
n'aie point de dépit ni de haine. Dieu est
grand en conseil et merveilleux en moyens ; et
peut-être cette dame qui, hier au soir, t'a
grondé si rudement, sera-t-elle, dès
demain, pour toi, une amie qui le sera
favorable.
Julie,
vivement. C'est la vérité
même, bonne grand'maman ; car elle me
l'a dit, tout-à-l'heure.
Oui, mon frère, Mme N*** m'a dit,
et tu comprends bien que ç'a
été sans que je le demandasse,
qu'elle était très-réjouie que
tu entrasses en apprentissage chez son mari, et
qu'elle ferait tout ce qui lui serait possible pour
toi et pour ton bien. Ce sont ses propres paroles.
Tu vois donc que tu aurais grand tort, de conserver
à son égard le moindre sentiment
pénible.
La
Grand'Mère. Oui, mon fils, tu
aurais tort, et de toute manière. Chaque
jour nous demandons à Dieu qu'il nous
pardonne nos péchés, comme nous
pardonnons à ceux qui nous offensent ;
comment donc pourrais-tu prier notre Père
céleste de bon coeur, si tu gardais en toi
quelque levain contre Mme N*** ? N'est-ce pas,
André, que tu ne le feras pas, et que tu lui
pardonnes du fond du coeur ?
André pour toute réponse
embrassa sa grand'maman et sa soeur ; et
quelques moments après, il dit, avec
sentiment : Que cette dame est bonne,
cependant, de vouloir bien s'intéresser
ainsi à moi, qu'elle connaît à
peine et qui n'ai jamais rien fait pour elle !
Aussi, vous verrez, s'il plaît à Dieu,
comme je tâcherai de lui obéir et de
lui être agréable ! Je me
réjouis d'entrer chez M. N***. C'est demain
matin, n'est-ce pas,
grand'mère ?
La
Grand'Mère. Oui, mon
enfant ; mais aujourd'hui nous n'en parlerons
pas. - Mais, vous ne m'avez pas
récité vos versets de la Bible, ni le
cantique de cette semaine ! Allez donc les
repasser. Pour moi, je vais lire quelques moments.
- Je pense, aussi, mes enfants, que cette
après-midi, après l'église,
vous irez visiter votre cousin Paul. Il est assez
malade depuis hier matin, et c'est aujourd'hui,
surtout, que nous devons visiter les affligés.
Votre cousin
sera content, j'en suis sûre, que vous lui
lisiez quelque portion de la Bible, et que vous lui
rapportiez ce que vous aurez retenu des sermons
d'aujourd'hui. Et nous ne savons pas, mes enfants,
si Paul, quoiqu'il soit tout au plus de ton
âge, André, ne quittera point
bientôt ce monde ! Le Seigneur vient
à nous à toute heure. Soyez donc
prêts, aussi, chers enfants ; et pour
cela, confiez-vous en Jésus, et soyez-lui
dociles !
Quelle influence que celle d'une telle
aïeule ; oui, d'une telle
piété parlant par une telle
bouche !
Si rien n'est plus triste, dans une
famille que d'y voir un vieillard ne pas aimer
Jésus et ne penser qu'à la terre,
quelle douce autorité, quelle puissance
d'amour y exerce un grand-papa, une grand'maman,
qui honore la parole de Dieu, qui est animé,
de l'Esprit de Jésus, et qui,
détaché du monde et de sa vaine
apparence, montre qu'il tend vers le ciel, et par
ses sages avis en enseigne le chemin à ses
enfants et à leurs enfants ! Heureuse
la famille dont les grands-parents sont
chrétiens, sont des amis du Sauveur !
Heureux êtes-vous, vieillards ! qui
répandez ainsi autour de vos âmes le
parfum de la sainteté chrétienne, et
qui laisserez après vous le souvenir de vos
pieuses leçons et de votre attachement
sincère au Fils de Dieu et à son
Évangile !
Julie et André, aussi bien que
leur père, connaissent ce doux empire. Leur
bonne grand'maman est pour eux comme la bouche de
Dieu même ; et lorsque cette digne
servante du Sauveur les aura quittés, pour
aller vers l'Éternel, leurs âmes
porteront encore les fruits de ses enseignements, et
béniront sa
mémoire en marchant après elle au
sentier de la foi.
La cloche appelait de nouveau les
fidèles au temple. La grand'maman avait
déjà mis ses gants et pris son gros
psaume, et elle attendait Julie et André qui
achevaient d'écrire l'analyse du sermon du
matin qu'ils voulaient lire à Paul. Enfin
ils eurent fini et l'aïeule et ses
petits-enfants revinrent s'asseoir avec respect
dans la maison de Dieu, afin d'écouter ce
que son ministre devait leur dire de sa
part.
L'assemblée était peu
nombreuse. Hélas ! les portes de la
ville avaient été plus
fréquentées que celles du temple du
Seigneur. La multitude était sur les
chemins, dans les promenades ; peut-être
aussi déjà dans les tavernes et les
théâtres ; et ce n'était
qu'à un bien petit nombre que le message du
salut allait être adressé.
Mais dans ces quelques âmes
attirées par la grâce du Père,
il s'en trouva une qui intéressa puissamment
la grand'maman et ses enfants.
M. N*** aussi était revenu
à l'église ; et placé en
face de la chaire, il avait tout l'extérieur
de la plus sincère dévotion.
Ce fut sur le pardon des
péchés, et sur le don de la vie
éternelle en Jésus-Christ, que parla
l'homme de Dieu. Son discours était simple
et plein d'onction. Après avoir
rappelé, en peu de mots, la condition
naturelle de l'homme, et quel est le salaire du
péché ; après avoir dit
que la sainte et juste loi de Dieu le condamne, et
qu'il n'entrera pas au ciel, il exalta, avec
adoration, l'amour infini du Seigneur, et insista,
de la manière la plus touchante sur cette
immense charité du
Père, qui a donné son Fils au monde,
afin que quiconque croit en Jésus ne
périsse pas, mais qu'il ait la vie
éternelle.
Alors il développa le plan de la
rédemption de l'Eglise. Il montra, par les
Écritures, la divinité
éternelle du Sauveur, et comment, lui, qui
est Dieu au-dessus de toutes choses, béni
éternellement, est venu du sein du
Père jusqu'à l'homme sa
créature ; a pris à lui la
nature humaine, mais sans
péché ; et s'est uni, par un
mystère ineffable, à son
épouse, l'Eglise, pour la racheter
éternellement, par le sacrifice de
lui-même, sur la croix.
On sentait, pendant qu'il parlait, que
c'était d'un coeur plein de componction et
du plus fervent amour, que sortaient ses
enseignemens ; et lorsqu'il déplora
l'égarement fatal de ceux qui ne
reconnaissent pas Jésus comme
l'Éternel-Dieu manifesté en chair, et
qui s'exposent, par cette
incrédulité, à la perte finale
de leurs âmes, il fut facile de comprendre
qu'il gémissait sur eux, sans les juger, et
qu'il les appelait à la repentance par les
accents de la charité la plus
vivante.
Mais ce fut surtout quand il parla de la
justification du pêcheur par la foi en
Jésus, qu'il donna gloire à la
miséricorde et à la justice de Dieu.
Montrant comment l'orgueil de l'homme
s'élève contre l'amour du
Seigneur ; comment il veut mettre ses oeuvres
et ses vertus à la place des oeuvres du
Sauveur et de la grâce souveraine du
Très-Haut ; comment il nie l'expiation
des péchés par le Sang de
Jésus, et prétend les racheter
lui-même par ses propres
mérites ; comment, enfin il dispute
à Dieu le droit de pardonner gratuitement,
et veut se gagner le salut par ses
dévotions, par ses
aumônes, par ses sacrifices, ou par sa
moralité ; il fit voir, avec force,
qu'une telle doctrine est une religion trompeuse,
et que l'Évangile la réprouve et la
déteste. Puis, s'adressant à un
pécheur désireux d'être
sauvé, il lui demanda ce qu'il voulait
préférer, ou le don de l'amour de
Dieu en Jésus, ou bien de refuser ce don, de
mépriser le sang du Sauveur, et de se
présenter, au dernier jour, devant le Juge
des vivants et des morts, en lui disant :
Voici mes vertus et mes oeuvres : donne-moi le
ciel et sa gloire, car je les ai
mérités.
Malheur ! s'écria-t-il
alors, avec solennité, oui, malheur à
l'homme qui aura négligé. un si grand
salut ! Et si le juste n'est sauvé
qu'avec peine par le sang de Jésus et par
l'Esprit éternel, ô
incrédule ! ô homme qui veux te
justifier toi-même ! où
paraîtras-tu, et quelle sera ton issue,
lorsque les livres seront ouverts, et qu'à
côté de tes vertus humaines se
placeront, comme en bataille contre toi, et tes
péchés secrets, et tes souillures
cachées, et ton orgueil, et ton
incrédulité, et ton superbe
dédain de l'Agneau de Dieu et de son
précieux sang ?
À ces mots, M. N*** avait
baissé la tête, et on le vit essuyer
ses larmes. Quand on sortit du temple, il demeura
seul ; il revint chez lui tout rempli
d'émotions qu'il n'avait jamais connues
jusqu'alors, et s'enfermant dans sa chambre, il
ouvrit la Bible, qu'il lut avec l'avidité
d'un homme qui, rencontrant une source, y
étanche une longue soif.
Son émotion n'avait point
échappé aux regards de la
grand'maman, ni à ceux de Julie. Dieu
veuille, dit cette enfant à son aïeule,
quand ils furent sortis de l'église, que le
cher M. N*** ait été béni ce
jour ! As-tu vu, bonne grand'maman, comme il
pleurait à la
fin du sermon ? Oh ! quelle joie ce
serait pour nous, si son âme était
aussi convertie !
Il nous faudra prier pour lui, dit
André, dans notre culte de ce soir.
Ah ! que j'aimerais qu'il devînt
chrétien ! Quel bonheur ce serait pour
lui, d'abord, et aussi pour moi ! - Mais,
dit-il à Julie, en lui prenant la main,
n'oublions pas le pauvre Paul. Viens, ma
soeur : nous lui raconterons tout cela, et il
en sera bien réjoui.
Les enfants s'éloignèrent,
et leur grand'maman rentra chez elle : mais ce
fut pour s'y prosterner devant le Tout-Bon, et pour
lui demander qu'il abaissât son regard
tout-puissant sur M. N*** et sur sa femme.
Faites comme elle, vous qui souhaitez
l'avancement du règne du Sauveur ; vous
qui désirez la conversion d'un père,
d'un enfant, d'un ami ! C'est à Celui
qui ouvre, et personne ne ferme, c'est à
Dieu avant tout que vous devez recourir ; car
c'est lui qui change et fléchît, les
coeurs, et qui donne aussi les moyens qui
convertissent les âmes. Priez donc, priez
beaucoup et avec ferveur, vous qui aimez
Jésus, et qui dites au Père, avec
sincérité : Que ton règne
vienne !
La grand'maman achevait son humble et
charitable oraison, lorsque quelqu'un frappa
à sa porte. Elle l'ouvrit, et ce fut M. N***
lui-même qui se présenta.
Ma chère Dame, dit-il
aussitôt, avec émotion, mais
simplement et comme un ancien ami, j'ai entendu
aujourd'hui deux sermons, et le dernier, surtout,
m'a tout ému. Je ne sais ce qui se passe en
moi ; mais j'ai senti le besoin de venir vous
parler ; oui, de vous
ouvrir tout mon coeur. Pouvez-vous
m'entendre ?
La bonne grand'maman, toute surprise,
tout émue elle-même, offrit son
fauteuil à M. N***, et sans rien dire, et
comme par instinct, elle alla prendre sa vieille et
grosse Bible, qu'elle mit sur le guéridon,
près duquel elle s'assit
elle-même.
C'était en effet, dit-elle avec
douceur, un enseignement bien utile, et en
même temps une sommation bien
sérieuse, que le sermon de cette
après-midi ! Ah ! c'était
la vérité ! Il n'y a point
d'autre salut pour nous, que par le sacrifice du
Sauveur ; que par la pure grâce de Dieu.
Non, non ; le pardon des péchés
ne se mérite pas ! C'est Dieu seul qui
le donne ; et c'est gratuitement.
M.
N***. Voilà ce qui m'a tout
étonné, et en même temps tout
ému ; et quand le ministre m'a
demandé, (car j'étais droit devant
lui, et j'ai bien compris que c'était
à moi qu'il s'adressait ;) quand il m'a
demandé, avec tant de sérieux, et en
même temps de bonté, si je voulais me
sauver par mes vertus, et ainsi mépriser la
grâce de Dieu, j'ai cru que j'allais
m'évanouir, et je n'ai pu que pleurer. Non,
je vous assure, non, je ne veux ni mépriser,
ni repousser ce salut et cette grâce de
Dieu.... Mais je ne sais ni que penser, ni que
faire. Je suis troublé et confus. Je suis
dans mon esprit, comme un homme qui se
réveillerait au milieu d'un
brouillard ; et je vous prie de m'aider, de
m'enseigner, de me dire ce que Dieu vent de
moi ; car vous êtes .......
chrétienne, vous, Madame ; et moi...
hélas je ne suis rien ; rien qu'un
incrédule, qu'un pauvre mondain, comme tant
d'autres.
La
Grand'Maman,
avec affection. Cher Monsieur,
celui-là n'est
plus mort, qui déjà dit qu'il
voudrait vivre. Prenez bon courage. Oui, Dieu vous
a déjà visité dans sa
miséricorde ; car c'est une grande
chose, et qui vient de sa grâce, que de
sentir le besoin d'un Sauveur. Heureux est le
malade qui déjà cherche un
médecin !
M.
N***. Ah ! je ne l'ai guère
cherché ! Je sais bien que, dans ma
jeunesse, j'ai été tout aussi
rangé, et tout aussi honnête homme,
que plusieurs autres. Non, je n'ai pas de reproches
sur ma conscience, à cet
égard-là. Le peu de bien que j'ai, je
l'ai gagné par mon industrie, et
j'espère que personne n'a jamais perdu, en
travaillant pour moi.
Mais tout cela, et tout le reste avec,
ne me semble rien, rien du tout. Je suis un
pécheur devant Dieu ; voilà ce
qui m'est à présent plus clair que le
jour, et c'est ce qui m'inquiète. Vous le
dirai-je ? c'est ce qui me fait peur. Oui, je
tremble, en y pensant.
La
Grand'Maman,
avec le plus tendre
intérêt. Est-ce...
l'incrédulité, que vous vous
reprochez surtout ?
M.
N***, avec
un profond soupir. Je crois que
oui !
Ah ! Madame, nous avons
passé par de mauvais temps : vous le
savez encore mieux que moi, Ce n'est pas avec la
Bible qu'on m'a élevé.
Hélas ! je crois vraiment qu'elle
n'était pas chez mon pauvre père. Et
depuis que je suis homme, qu'ai-je pensé, et
qu'ai-je fait ? Ma religion ? je n'en ai
point eu. À peine suis-je allé
à l'église quatre ou cinq fois depuis
vingt ans ; et quant au dimanche, je ne l'ai
vu venir, en hiver, que pour y travailler tout le
Jour, ou pour le passer dans les cafés et le
théâtre ; et dans la belle
saison, que pour y faire des parties de plaisir,
depuis l'aube
jusqu'au
milieu de la nuit. Quel train que
celui-là ! Je l'ai bien un peu
réformé, ces derniers temps :
mais qu'a-t-il été durant toute ma
vie !
La
Grand'Maman. Hélas ! il a
été ce qu'est celui du monde,
aujourd'hui. C'est comme disait Esaïe, le
prophète, quand il censurait les habitants
de Jérusalem : Ils ont éclos des
oeufs de basilic, ils ont tissé des toiles
d'araignée. Ils ne connaissent point le
chemin de la paix, et ils se sont pervertis en
leurs sentiers.
(Esaïe
LIX.) Et cependant,
grâce à Dieu ! il y a bien du
mieux déjà ! Ah ! Monsieur,
il y a trente ou quarante ans qu'on ne nous
eût pas prêché comme on l'a fait
aujourd'hui ! Alors on ne s'inquiétait
guère que la Bible fût dans toutes les
maisons, ni de nous dire que l'homme naît
dans le péché, et que le salut est
par la grâce, par la foi au sang de
Jésus, notre Dieu manifesté en chair.
Oui, il y a déjà bien du changement,
Monsieur N*** beaucoup, je vous assure.
M.
N***. Dieu veuille qu'il s'en fasse en
moi ; car j'en ai bon besoin ! Ah !
Madame, je suis un grand
pécheur !
La
Grand'Maman,
en ouvrant la Bible. Écoutez,
cher Monsieur, ce qu'un grand pécheur,
aussi, disait de lui-même, et de ce qui lui
était arrivé : J'étais,
dit-il, un blasphémateur, un
persécuteur, et un oppresseur, mais j'ai
obtenu miséricorde, parce que j'ai agi par
ignorance, étant dans
l'incrédulité. Or (écoutez
bien, cher Monsieur !) or, la grâce
(vous l'entendez, la grâce ! ...) de
notre Seigneur a surabondé, avec la foi et
avec l'amour qui est en Jésus-Christ. Et
encore ceci. Faites-y bien attention ! Celle
parole est certaine, et digne d'être
entièrement reçue, que Jésus-Christ est venu
au monde pour sauver des pécheurs, desquels
je suis le premier. Vous l'entendez, n'est-ce
pas ! Vous voyez qu'il se regardait comme le
premier, comme le plus grand des
pécheurs ; et cependant écoutez
ce qu'il ajoute : Mais j'ai obtenu
grâce, afin que Jésus-Christ
montrât en moi, le premier, toute sa
clémence, pour servir d'exemple à
ceux qui viendront à croire en lui, pour
avoir la vie éternelle.
(1
Tim. I, 16.) Vous l'avez entendu,
Monsieur ! Est-il possible d'ouïr une
parole plus consolante, plus encourageante pour
vous ?
M.
N***. Qui était, je vous prie, ce
grand pécheur qui disait cela ?
La
Grand'Maman,
avec surprise. Eh !
Monsieur !
c'était l'apôtre St-Paul.
M.
N***, avec
naïveté. L'apôtre
St-Paul ! Je ne l'aurais jamais
imaginé. Il avait donc été
comme moi, un incrédule, un homme sans
religion ?
La
Grand'
Maman. Est-il possible, cher Monsieur,
que vous ne connaissiez pas même l'histoire
de Saul le persécuteur des chrétiens,
et de sa conversion miraculeuse ?
M.
N***. Hé ! Madame, d'où la
saurais-je ? Je ne m'en suis jamais
inquiété, et personne ne m'en parla
jamais.
La
Grand'
Maman. Cependant, il y a une Bible chez
vous.
M.
N***. Mais à quoi m'a-t-elle servi,
puisque jamais je ne l'ai ouverte, ni n'ai permis
qu'on me la lût ?
La
Grand'
Maman. Ah ! Monsieur, commencez
donc par là. Lisez, lisez, et surtout,
croyez le Livre de Dieu, sa sainte et vivante
Parole. On n'est pas converti
autrement. C'est la vérité de Dieu
qui change le coeur. Je vous en supplie, lisez la
Bible !
M.
N***. Je l'ai déjà fait
aujourd'hui, Madame ; et... c'est cela
même qui m'a fait venir ici.
La
Grand'Maman. Comment cela, s'il vous
plaît ?
M.
N***. J'étais si troublé, en
revenant, cette après-midi, du temple, que
je n'ai voulu parler à qui que ce fût
Je me suis enfermé dans ma chambre, et j'ai
pris la Bible, que j'ai ouverte, et où j'ai
lu la première page que je voyais.
C'était dans un psaume ;... oui, dans
le cinquante-troisième, où il est dit
que les ouvriers d'iniquité n'invoquent pas
Dieu et que Dieu les rendra confus ; et comme
je lisais et relisais ce psaume, il m'a
semblé que mon coeur se fondait, et je me
suis senti comme un criminel devant une sentence de
mort. C'est ce qui m'a fait venir vers vous,
Madame ; car je ne savais à qui
demander de la consolation ; et tout ce que
vous m'avez dit hier au soir me revenait dans
l'esprit. Voilà mon histoire, je vous l'ai
toute dite.
La
Grand'Maman. Oh ! que Dieu qui est
charité, vous bénisse et vous
fortifie. cher Monsieur ! C'est ainsi qu'il
vous attire à Jésus, et qu'il vous
dit de croire en ce bon Sauveur.
M. N*** allait parler, lorsqu'on
entendit les enfants qui revenaient de chez leur
cousin, et qui entrèrent tout-à-coup
en disant : Grand'mère ! Paul est
très, très-malade. Mais tout va
bien ; car il aime Jésus ?
Julie et André virent alors M.
N***, que la porte en s'ouvrant leur avait
caché, et ils se turent, tout
honteux.
C'est ton bourgeois, André !
Approche, mon enfant, et salue
M. N***. C'est comme notre ami qu'il est venu me
voir.
André s'inclina avec respect
devant M. N***, puis s'approchant de sa
grand'maman, il lui dit à l'oreille - Est-il
converti ?
M. N*** entendit sa question ; il
rougit, et attirant l'enfant auprès de lui,
il lui posa, avec bonté, une main sur
l'épaule, et lui dit, à voix
basse : Pas encore, André ; mais
je désire, l'être ; et puisque tu
l'es, toi, tu me donneras l'exemple, et tu me
montreras comment l'on devient
chrétien.
André se tourna en fondant en
larmes, et il s'enfuit dans l'autre chambre. Alors
Julie, s'approchant de M. N***, prit une de ses
mains dans les deux siennes, et avec le respect et
l'amour d'une fille pour son père, elle
dit : O Monsieur ! on est
déjà chrétien, quand on
désire l'être. Oui, Monsieur !
c'est Jésus, qui vous a mis cela dans le
coeur ! Oh ! que Dieu est bon ! Que
Dieu est bon !
0 charité
chrétienne ! amour des âmes et de
leur salut ! quel charme se trouve en la voix
et quelle puissance tu déploies sur nos
coeurs ! Oeuvre excellente et
impérissable de l'Esprit éternel, tu
règnes en souveraine sur nous ; tu nous
pénètres, tu nous captives, tu nous
entraînes, tu nous rassasies de joie ;
et, ravis du bonheur que tu nous donnes, nous
n'avons plus devant toi qu'un désir, qui est
de t'écouter toujours, de ne te quitter
jamais ! La foi de l'enfant de Dieu, toute
précieuse qu'elle est, et la sainte
espérance de son âme, auront leur
plénitude et prendront fin ; mais toi,
céleste amour ! vie de Dieu et son
image en ses bien-aimés,
tu demeures éternellement ; car
l'immuable félicité des cieux, c'est
toi-même !
M. N*** était
très-touché. C'était la
première fois, en tout le cours de sa vie,
qu'il était le témoin, et surtout
l'objet, d'une telle affection. Jamais, non, jamais
jusqu'alors, son âme et son salut n'avaient
attiré l'attention, et encore moins
l'intérêt, de qui que ce
fût ; et jamais sa main n'avait
été pressée de celle d'un ami
qui, en le faisant, lui eût parlé de
Jésus et de l'ineffable bonté de
Dieu.
Et combien dans notre peuple n'est-il
pas d'âmes qui pourraient dire qu'il en est
ainsi pour elles ! Que d'hommes faits, que de
vieillards, à qui jamais personne ne demanda
si leurs âmes connaissent le salut et si
elles sont heureuses, heureuses du bonheur qui ne
finira pas, du bonheur de Dieu ! Quelques mots
de la Bible, peut-être, dans leur enfance,
puis une instruction religieuse toujours
précipitée, toujours
incomplète, et d'ordinaire finie avant que
le coeur ait même senti ses
péchés et combien moins connu
Jésus et désiré sa paix, sont
tout ce qu'ils ont obtenu des hommes, pour le plus
haut et le plus important de leurs
intérêts. Et si ces premières
impressions n'ont fait qu'effleurer leurs
âmes, si elles se sont effacées,
dès la jeunesse, dans les dissipations ou
les affaires, ces jeunes gens, ces hommes faits,
ces vieillards, ignorants qu'ils sont des choses
divines et ne s'en approchant jamais, jamais, non
plus, ne se sont réveillés de cet
assoupissement fatal, et comme M. N***, ils
traversent toute leur vie, sans même qu'un
ami leur ait dit Connais-tu Jésus, et
seras-tu sauvé ?
Genève !
Genève ! ne sortiras-tu pas enfin de
ton insouciance, ah ! nation
légère ! de ton
incrédulité ! Pères et
mères de famille, chefs d'ateliers et de
fabriques, et vous tous qui avez quelque
autorité, quelque influence, sur ceux qui
vous entourent ! ne sentirez-vous pas, enfin,
que vos enfants, vos apprentis, vos ouvriers, vos
commis, vos serviteurs et vos servantes, ont une
âme, une âme à sauver ; et
que vivre auprès de cette âme, sans
lui montrer le ciel, sans lui parler de
Jésus, c'est la mépriser, c'est la
tuer ?
Mais, hélas ! c'est la
vôtre, oui, c'est votre propre âme que
vous méprisez, que vous laissez
périr ! Quel soin donc prendriez-vous
de celle d'autrui, puisque la vôtre est ainsi
délaissée !
Vous ne me condamnez donc pas, ma
chère enfant ? dit M. N*** à
Julie. Vous ne me dites pas que je suis
perdu ?
André était rentré
dans la chambre, en s'essuyant les yeux, et. se
tenant derrière la chaise de sa
grand'mère, il regardait M. N*** avec
intention, et ce fut aussi lui qui, à cette
question de son bourgeois, s'écria :
perdu ! Monsieur N*** ! Perdu !
Hé ! ne savez-vous donc pas que nous
avons un Sauveur ?
Il y eut un moment de silence. M. N ***
soupira, puis regardant fixement la grand'maman, il
lui dit, avec beaucoup de douceur. On m'avait dit,
Madame, que vous, qui êtes... des...
chrétiens, vous étiez pleins
d'orgueil, et que vous condamniez et repoussiez
tous ceux qui ne pensent pas comme vous. Je vois
maintenant qu'on m'a trompé
S'il fallait, répondit la
grand'mère, avec calme et profondeur, oui,
s'il fallait pour retirer notre prochain de son
incrédulité, et de sa ruine finale,
répandre notre sang et donner notre vie, je
pense, qu'avec la grâce de Dieu, tout
chrétien le ferait sans retard, et qu'il
estimerait que mourir ainsi, ce serait mourir
heureux. Mais, Monsieur, puisque le chrétien
pourrait même donner sa vie pour sauver une
âme, il ne doit perdre cette âme par
aucun mensonge. Il faut donc qu'il dise à
l'incrédule, Tu ne crois pas ; et
à l'homme sans religion, Tu méprises
Jésus ; et à tout pécheur
impénitent, Comment subsisteras-tu au
jugement de Dieu ? Se taire alors, cher
Monsieur, c'est éteindre la lampe qu'un
enfant égaré dans une épaisse
nuit tient encore en sa main ; c'est pousser
une âme dans le précipice ; c'est
haïr son prochain ; c'est le perdre en
effet ! Et loin, loin de nous qui connaissons
la grâce et la patience de Dieu, une telle
dureté pour nos concitoyens ; pour qui
que ce soit d'entre les hommes ! Ah ! si,
seulement, on voulait nous écouter ! On
saurait bientôt, alors, que si nous crions
aux pécheurs, Sauvez-vous de la
colère à venir ! ce n'est pas
pour les y précipiter ; et que quand
nous les conjurons de croire en Jésus, et
que nous leur disons, avec instances et avec
larmes, que Celui qui ne croit pas au Fils ne verra
pas la vie, ce n'est pas pour les condamner et les
maudire, mais afin qu'en croyant aussi ils aient,
avec nous, la paix de Dieu et l'assurance de la
bienheureuse immortalité.
Je le vois, je le vois ! reprit
M.
N***, avec effusion. Oui, c'est un mensonge, une
basse, une vile calomnie. Non, l'on ne sait pas ce
que vous êtes.
La
Grand'maman
avec douleur. Hélas, on veut
l'ignorer encore, et cela parce que Jésus
n'est pas encore aimé ! Mais, ...
pourquoi gémir ? Espérons de
meilleures choses ; car déjà il
me semble que la vérité renaît
dans notre paroisse, et que plus d'une famille y
prend plaisir.
Et vous aussi, cher Monsieur N***, dit
la douce Julie, avec l'épanchement d'une
tendre fille, et comme en priant, n'est-ce pas,
vous aussi, avec Mme N***, vous voulez lire la
Bible et aimer Jésus ! Ah ! si
vous saviez combien l'on est heureux alors, je suis
sûre que dès aujourd'hui vous ne
voudriez pas d'autre bonheur. Oui, Monsieur N***,
je le sais par moi-même, et je le sens tous
les jours plus, connaître
Jésus-Christ, l'aimer, et tâcher de
lui plaire, c'est déjà comme le ciel
ici-bas.
M. N*** pleurait, et enjoignant ses
mains, il dit à Julie - Heureuse est la
jeune fille qui aime mieux le ciel que la terre, et
Dieu plus que les plaisirs !
Oui, dit la jeune chrétienne, en
se tournant vers son aïeule, dont elle prit
une main, heureux sommes-nous, mon frère et
moi, d'avoir eu, par la grâce de Dieu, une
mère chrétienne, et de
posséder encore un excellent père,
qui aime le Sauveur, et une bonne grand'maman qui
nous élève avec la Bible, et qui nous
montre, chaque jour, comment nous devons servir le
Seigneur !
Maintenant, Lecteur ! veuillez
réfléchir avec calme et sans
prévention, sur ce tableau de quelques scènes
domestiques. Remarquez ce que c'est que la
foi ; ce que sont les moeurs de ceux qui
aiment la Bible, et qui, par conséquent,
sont soumis au Fils de Dieu ; puis comparant
les principes, les habitudes, le train et les
dispositions des incrédules et des moqueurs,
avec la paix et l'espérance des
chrétiens, voyez si, à votre lit de
mort, il ne vous sera pas meilleur d'avoir
imité les premiers, et d'avoir eu vos
enfants élevés comme le sont
André et Julie, plutôt que d'avoir mis
de côté le Livre de l'Éternel,
ou bien de vous êtes contenté de
n'être chrétien qu'au dehors, sans
avoir même pensé à cette
nouvelle naissance, sans laquelle cependant, dit le
Seigneur Jésus, nul ne verra le royaume des
cieux.
La fin de toutes choses est près,
pour vous, comme pour tout autre mortel ; et
après la mort suit le jugement. Lequel des
deux vous sera donc préférable, en ce
jour-là, ou d'avoir dit, avec les
déistes et les impies, que l'Évangile
est l'ouvrage des hommes, et que les
chrétiens sont déçus ; ou
bien, d'avoir lu cet Évangile, de vous y
être soumis, et d'avoir connu, dans votre
âme, l'efficace du sang du Sauveur et la paix
que vous venez de voir dans celte HEUREUSE
FAMILLE ?
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |