SIMILITUDE.
Non, Madame, je ne peux pas venir demain
matin parce que c'est dimanche. Ma
grand'mère ne le voudrait pas... et... moi
non plus.
C'est ce que répondit, il y a peu
de jours, André, garçon de dix ans,
à Mme N***, qui lui demandait, un samedi
après midi, de revenir le lendemain, de
bonne heure, pour lui faire une ou deux
commissions.
Cette dame N*** n'est cependant pas une
femme sans religion ; tant s'en faut. Elle a
sa Bible, son Nouveau-Testament, ses Psaumes et
quelques autres livres de piété,
qu'elle lit de temps en temps, surtout quand elle
est malade. Elle est aussi passablement assidue aux
services de l'église. Chaque dimanche,
à peu près, elle va une fois au
sermon ; toujours deux
fois, les jours de communion et de
jeûne ; et même de temps en temps
elle se rend à la prière, dans la
semaine.
Mais toute bonne chrétienne
qu'elle pense être, il paraît qu'il ne
lui est pas encore arrivé ce dont parlait le
Sauveur au conseiller Nicodème, lorsqu'il
lui disait que si quelqu'un n'est né de
nouveau il ne verra pas le royaume de Dieu. (Jean
III.) Sans doute personne ne connaît le fond
des coeurs, si ce n'est Dieu seul ; et c'est
bien à tort qu'on décide
légèrement que telle ou telle
personne n'est pas convertie ; mais,
cependant, c'est aux fruits, dit la Bible, qu'on
connaît la qualité de l'arbre, et
c'est la conduite de Mme N*** qui fait craindre
qu'elle ne soit chrétienne qu'au dehors.
Toutefois, l'on ne doit le dire qu'avec beaucoup de
réserve.
Quoi qu'il en soit, elle fut
choquée de la réponse d'André
et lui répliqua, avec un peu
d'aigreur : Crois-tu que je ne sache pas,
aussi bien que toi et ta grand'mère, qu'on
ne travaille pas le dimanche ? M'as-tu jamais
vue ouvrir ma boutique, ce jour-là ; et
même par la porte de derrière ?
Si vous avez de la religion, j'en ai aussi, et tout
autant que qui que ce soit ; et ce n'est ni
à toi, ni à personne, à me
montrer mon devoir., - Va ! Tu peux le dire,
de ma part, à ta grand'mère.
André ne répondit rien et
s'en alla. - Qu'as-tu donc ? lui dit son
parrain, qui le rencontra sur la rue. Tu as l'air
fâché. Que t'a-t-on
fait ?
André.
C'est Mme
N*** qui m'a fait une semonce, parce que je lui ai
dit que je ne voulais pas lui faire ses commissions
demain matin.
Le
Parrain. Et cela pourquoi, s'il te
plaît ?
André..
Parce que
c'est dimanche, et qu'on ne doit pas travailler ce
jour-là.
Le
Parrain, en
ricanant. La belle histoire !
Veux-tu bien te taire, avec tes
mômeries ! Est-ce travailler, que faire
une ou deux commissions ? Et d'ailleurs,
comment veux-tu qu'on t'emploie, si tu refuses
l'ouvrage ? As-tu des rentes, pour que tu
fasses ainsi le fainéant ?
André rougissait et ne disait
rien. Il aurait bien voulu s'échapper, mais
son parrain lui faisait peur et il craignait de le
mettre en colère. Enfin il dit, à
demi-voix : Dieu veut qu'on sanctifie le Jour
du repos, et...
Le
Parrain,
avec irritation. Eh ! qui te dit le
contraire ? Eh ! qui l'empêche
à toi, et à ton père, et
à la grand'mère, et à toute ta
sainte famille, d'être, si cela vous fait
plaisir, tout le jour à l'église ou
à genoux, et de chanter vos psaumes et vos
cantiques jusqu'à vous enrouer ?
T'ai-je jamais empêché de le
faire ? Mais, écoute-moi bien, mon
filleul : moi, je te dis que toute votre belle
religion n'empêchera pas que vous n'ayez
besoin de gagner ; et ce n'est pas dans les
feuillets de la Bible qu'on trouve les francs. Tu
m'as compris, n'est-ce pas ?
André ne répondit rien de
plus ; mais au premier pas que fit son
parrain, il s'enfuit à toutes jambes chez sa
grand'mère, où il arriva hors
d'haleine.
Qu'as-tu, mon garçon ? lui
dit cette bonne parente, en le voyant entrer tout
ému.
André lui raconta toute son
aventure, et finit un disant : Cela m'est
égal. J'aime mieux avoir faim, que
désobéir au bon Dieu. N'est-ce pas,
grand'mère, que cela vaut mieux ?
La Grand'Maman, en prenant dans son
panier une lettre ouverte. Tiens, mon fils :
lis toi-même cette lettre de ton brave et
digne père. Je viens de la recevoir par une
occasion. Elle te réjouira le coeur et te
dira aussi ce qui vaut le mieux, d'avoir faim, ou
de désobéir à Dieu.
Une lettre de papa !
s'écriait André en sautant de joie.
C'est déjà la troisième.
Oh ! que dit-elle ?
LETTRE DU PÈRE
D'ANDRÉ.
Hambourg, 3 décembre 1836
« Bonne et chère mère, que la grâce de notre Seigneur Jésus soit toujours avant toute chose ! Amen !
Quoique je t'aie écrit, il y a peu de jours, je profite de l'occasion favorable d'un monsieur qui part, dans une heure, pour Lyon, et je t'envoie ici quelques nouveaux détails sur ma situation présente.
Grâce à Dieu, il y a du mieux, beaucoup de mieux, et je commence à voir de mes yeux, ce que je savais bien, du reste, par la Sainte Écriture, que ceux qui s'attendent à l'Éternel ne seront pas confus. Je t'ai déjà dit comment j'étais arrivé ici assez malade, et comment, au bout de peu de semaines, j'avais à peu près épuisé toutes mes ressources. Je t'ai aussi raconté comment j'avais été renvoyé du premier comptoir, puis du second, où je m'étais présenté, et cela, parce que j'avais refusé de m'y rendre le matin du dimanche, de six à huit heures, pour y copier des lettres.
Je ne connaissais personne de pieux ici, et je gémissais en pensant qu'il en était peut-être à Hambourg comme à Genève, où j'avais été chassé de ma place, pour la même cause. Je t'assure, ma bonne mère, que j'ai passé quinze longs jours bien péniblement, et que même, (tu me pardonneras ce que je vais te dire, comme aussi Dieu me l'a pardonné) ! oui, que même je me suis demandé, et plus d'une fois, si le dimanche devait être gardé aussi rigidement ici que chez ma mère, et si la Bible le demandait des Chrétiens, aussi bien que des Juifs, avant notre Seigneur.
O chère mère ! que j'ai été faible ! Et cependant, quoiqu'il y eût cette affreuse tentation dans mon coeur, toujours il se trouvait en moi une persuasion que je devais vivre ici comme chez toi, et qu'il me fallait tout souffrir, plutôt que de ne pas sanctifier le Jour du Seigneur. Je ne te l'ai pas écrit ; mais il faut que je te le dise, puisque c'est maintenant fini - pendant dix jours, je n'ai vécu que d'une livre de pain par jour ; et cependant je travaillais de toute ma force chez un marbrier, où je polissais des pierres, et où je gagnais bien une assez bonne journée ; mais je m'étais endetté pendant que j'étais malade, et je devais d'abord payer ce que je devais.
Que de fois j'ai prié Dieu ! Et toi aussi, bonne mère, et mes chers enfants avec toi, vous avez prié souvent aussi pour moi ; et le Seigneur m'a secouru.
Il y a dix jours, que le contremaître de l'atelier me dit qu'il m'attendrait le lendemain matin, qui était un dimanche, pour que j'allasse avec lui jusqu'au chantier, y choisir des blocs de marbre. Je fis d'entrée quelques difficultés ; sur quoi, du ton le plus dur, il me déclara qu'il ne pouvait plus m'employer dans la semaine, si le dimanche je lui refusais un si léger service. 0 chère mère ! si tu savais quel combat eut lieu dans ma conscience ! Enfin je me rappelai, ou plutôt ce fut le bon Dieu qui me les répéta, les dernières paroles que tu me dis, à mon départ, quand j'allais descendre au bateau-à-vapeur : Antoine ! me dis-tu, souviens-toi des commandements de l'Éternel. Garde-les, cher enfant, et tu prospéreras ! - Oui, bonne maman, ta voix, dans ce moment difficile, se fit entendre à mon coeur ; et grâce, grâce à Dieu, je fus fortifié ; et je pus répondre, au contremaître, que j'aimais mieux avoir faim, que de mépriser la loi de l'Éternel ; et je reçus mon congé ! »
Pauvre papa ! pauvre et cher papa !
s'écria André, tout en larmes. Le
voilà encore sans ouvrage! Oh ! que
cela me fait de peine !
Continue la lettre, dit la grand'maman,
et vois, mon enfant, que Dieu n'a pas oublié
celui qui a gardé sa loi. Lis seulement tout
le reste.
« J'étais bien abattu, » poursuivit André, en lisant à haute voix, « et je m'acheminais tristement vers ma demeure, quand je fus abordé par un monsieur, qui me dit, avec une sorte d'affection : N'êtes-vous pas, Monsieur, cet étranger, ce Genevois, qu'on a renvoyé du comptoir (qu'il nomma), parce qu'il refusait de travailler le dimanche ? Je lui dis aussitôt tout ce qu'il en était ; sur quoi il demanda si je pouvais surveiller une fabrique et y tenir quelques écritures. Je lui répondis selon ce que je savais et pouvais, et il me dit de me rendre chez lui, le lundi suivant, à huit heures du matin. Je m'y présentais ; et après m'avoir dit qu'il lui fallait, avant tout, un commis qui craignit Dieu, qui fût chrétien, il m'engagea pour toute une année, en me promettant un appointement très-honorable, dont il me donna tout de suite une partie, en me disant : Voici vos arrhes. Que Dieu bénisse votre travail, et qu'il vous console ! »
André ne put lire davantage ; il se
jeta dans les bras de sa grand'mère, en
sanglotant, et en répétant : Ce
bon papa ! ce bon papa ! il n'a donc plus
de souci ! À présent, il n'a
plus faim ! Oh ! grand'mère !
que le bon Dieu est bon ! Ah ! moi aussi,
je veux être vrai chrétien, comme
papa. Oui, je veux garder ses commandements ;
et si l'on me renvoie du cabinet où je dois
entrer, eh bien ! Dieu ne m'oubliera pas non
plus !
En ce moment le parrain d'André
entra, et il fut un peu surpris de ce qu'il voyait.
Y a-t-il quelque mauvaise nouvelle ?
demanda-t-il. De quoi pleures-tu,
André ? De qui est cette lettre ?
Est-ce de ton père, peut-être ?
Lui est-il arrivé quelque
malheur ?
La grand'maman dit en peu de mots ce
qu'il en était, et ajouta, à dessein,
qu'elle était bien heureuse de voir
qu'André non plus ne voulait pas violer les
commandements de Dieu.
À la bonne heure ! dit le
parrain en prenant une chaise ; mais, en
attendant, il faudra qu'il se conduise bien dans
son cabinet. Je viens de parler, dans ce moment
même, à son bourgeois, (car, item,
cela me regarde !) et j'espère bien
qu'André ne démentira pas ce que j'ai
promis.
La
Grand'Mère. Avez-vous dit qu'il
irait au cabinet le dimanche ?
Le
Parrain. Je ne l'ai pas dit, mais cela s'entend.
Il n'y a pas un
cabinet, de tous ceux que je connais, où les
apprentis n'aillent pas le dimanche matin, au moins
jusqu'à l'heure du sermon. Et aussi n'y
a-t-il point là de mal, je
pense !
André, baissait la
tête ; il n'osait parler, et il
attendait que sa grand'mère répondit
pour lui. Elle le fit en disant avec douceur, mais
avec décision : Antoine m'a remis ses
deux enfants : je suis leur mère ;
et tant que je vivrai, et si Dieu m'en fait la
grâce, je ne permettrai pas qu'ils
transgressent le saint commandement de
l'Éternel.
Le commandement de
l'Éternel ! de l'Éternel !
grommela le parrain, avec humeur.... Est-ce que
Dieu veut qu'on crève de faim pour le
servir ?
Papa a mieux aimé avoir faim,
s'écria André, en se collant contre
sa grand'mère, plutôt que de
désobéir à Dieu, et
moi....
Toi ! dit le parrain, avec un
geste
de menace, tu feras ce qu'on t'ordonnera, et pas
autre chose.
La
Grand'Mère, avec fermeté. Eh bien ! c'est Dieu
qui lui
ordonne de sanctifier le dimanche ; et son
père aussi le lui commande. Tenez,
lisez : voici ce qu'il dit à la fin de
sa lettre :
« Que Dieu l'enseigne aussi à André et à Julie. Oui, que ces chers enfants craignent l'Éternel, et que, quoiqu'il puisse leur arriver, ils refusent de travailler le dimanche. C'est Dieu qui nous le commande, et c'est aussi ma plus expresse volonté ! »
Cela est positif, je pense.
Eh bien ! dit le parrain en se
levant et avec colère, puisqu'il en est
ainsi, je me décharge de toute
responsabilité, quant à mon filleul.
Faites à votre guise. Voyez vous-même
son bourgeois ; et s'il refuse de recevoir
André, du moins ce ne sera pas sur moi que le
reproche
en
tombera. Et il prit la porte en
répétant que cette belle religion ne
leur donnerait pas à manger.
Que vais-je faire ? dit
André, quand son parrain fut parti. Dis,
bonne grand'maman, que feras-tu ?
Mon enfant, dit la servante du Seigneur,
sois en paix. Le Seigneur qui m'a aidée dans
l'apprentissage de ta soeur, est fidèle. Je
lui ai demandé sa protection pour toi
aussi ; et tu l'auras, sois-en
sûr.
André
avec inquiétude. Ah !
grand'mère ! Julie a été
adressée à cette bonne dame, ... tu
sais ;... et c'est elle qui l'a placée
où elle est. Mais moi, je n'ai
personne.
La
Grand'Mère, avec bonté.
Hé ! je te prie, qui est-ce qui m'a
fait connaître cette dame, et qui est-ce qui
a touché son coeur envers moi ?
N'est-ce pas notre bon Sauveur ?
André,
un peu confus. C'est bien vrai,
cependant ; car je me rappelle cette lettre
qu'elle te répondit, et où elle
t'appelait sa chère soeur en
Jésus.
La
Grand'Mère, en embrassant André. Tu vois donc, cher
fils, que ce fut
Jésus qui me dirigea et qui me fit
réussir. Eh bien ! notre Sauveur est
tout aussi bon et tout aussi puissant
aujourd'hui ; et c'est ce que tu verras de tes
yeux.
Allons, ajouta-t-elle, il faut que
j'agisse. Reste ici. Il fait encore jour, je veux
aller voir ce bourgeois à qui ton parrain a
parlé. Peut-être Dieu lui
touchera-t-il le coeur.
Il faut qu'on sache, et qu'on en
bénisse le Seigneur, qu'il y a dans le
quartier où ceci se passait, un bon nombre
de pères de famille et de chefs d'atelier, qui
sentent
déjà la nécessité de
revenir à la pure religion de nos
pères, et par conséquent à la
Bible, qui en est le trésor. Dans ces
derniers temps, les pasteurs de cette paroisse ont
redoublé de zèle et d'efforts, pour
ranimer dans les familles le respect pour les
Saintes-Écritures et la sanctification du
dimanche, et ils ont réussi, à
beaucoup d'égards, dans cette bonne
entreprise. Des comités d'hommes et de dames
se tiennent ; des écoles de divers
genres sont soutenues et prospèrent ;
et quoiqu'il y ait encore bien de
l'incrédulité chez plusieurs, et
surtout de fâcheux préjugés
contre ceux des chrétiens qui ont
tout-à-fait rompu avec le monde, cependant
on a lieu d'espérer que la réforme
commencée ne s'arrêtera pas, et que,
dans peu d'années, peut-être, le
dimanche ne sera plus profané, ni dans les
ateliers, ni dans le sein des familles.
Le bourgeois que la grand'mère
d'André allait voir, était
précisément le mari de la dame
à qui cet enfant venait de refuser les
commissions du dimanche. Sa femme lui avait
déjà porté ses plaintes sur
son futur apprenti, en lâchant de lui faire
comprendre qu'on ne devait pas introduire dans le
cabinet un enfant qui ne ferait que critiquer tout
ce qui s'y passerait, et qui ne pourrait que donner
aux autres apprentis l'exemple de
l'insubordination.
M. N*** avait bien écouté
sa femme, mais il n'avait pas entièrement
approuvé ses remarques, et lorsque la
grand'mère d'André se
présenta, il se sentit tout disposé
à la bien recevoir, Il l'accueillit donc
avec respect, et après l'avoir fait asseoir,
il lui demanda quel était le sujet de sa
visite. Je pense, ajouta-t-il
aussitôt, que c'est votre petit-fils
André. Son parrain m'a déjà
parlé de cet enfant et de son apprentissage
chez moi : et je suis tout prêt à
lui être utile ; car j'estime
particulièrement son père, et... vous
aussi, madame.
La
Grand'Mère. Je vous suis bien
obligée, Monsieur ! Dieu veuille que
cet enfant ressemble en effet à son
père, surtout dans sa
piété ! Et c'est pour cela
même que je suis venue auprès de vous.
Le parrain d'André m'a dit que vos apprentis
travaillent chez vous le dimanche matin, et, ... je
viens vous dire que mon petit-fils ne pourra pas le
faire.
M. N*** comprit bien qu'il allait avoir
une discussion avec la chrétienne qui lui
parlait, et il ne s'y refusa pas, désireux
qu'il était de l'entendre et de savoir tout
ce qu'elle avait à dire.
Vous pensez donc, Madame, reprit-il, que
j'ai tort d'ouvrir mon atelier, même deux ou
trois heures seulement, le dimanche matin ?
La
Grand'Mère. Ah ! Monsieur, je
pense que dans le ciel les chrétiens ne
feront que la volonté de Dieu, et que, si
nous sommes chrétiens, nous devons la faire
autant que possible, dès à
présent.
Sans doute ; mais est-ce agir
contre la volonté de Dieu que mettre en
ordre des outils, ou nettoyer un atelier, ou
terminer quelque ouvrage pressé ? Ne
reste-t-il pas assez de temps, ensuite, pour aller
à l'église ?
La
Grand'Mère. Si Dieu nous a dit de
ne pas voler, nous désobéissons
à Dieu, même quand nous ne prenons que
très-peu de chose ; et s'il nous a dit,
de sanctifier le jour de son repos, nous faisons
mal et nous péchons, même en ne le
profanant que pendant une heure.
M.
N***. Cependant, Madame, n'avons-nous pas
à présent bien plus de
liberté, quant au Jour du repos,
qu'autrefois sous la loi des Juifs? Et si je vais
à l'Eglise le dimanche, après avoir
fermé mes ateliers, ne croyez-vous pas que
je sanctifie ce jour-là?
La
Grand'Mère. Sous la loi des
Juifs, comme maintenant, Monsieur, Dieu demandait
à ses enfants qu'ils aimassent
l'Éternel leur Dieu de tout leur coeur et de
toute leur pensée; et je crois que si l'on
aime Dieu sincèrement, on ne cherchera pas
à diminuer de quelque chose, ni son
commandement, ni l'obéissance qu'on lui
doit.
M.
N***. Quoi ! sans se permettre, le dimanche
ni fêtes, ni plaisirs ! L'Évangile
est-il donc si rigide ?
La
Grand'Mère. Ah! Monsieur,
l'Évangile est une loi d'amour et non pas de
contrainte. Si Dieu veut que nous le servions,
c'est pour notre bonheur, et non pas pour le sien,
qu'il nous l'ordonne; et si nous sommes les
rachetés de Jésus, pouvons-nous
l'aimer trop, et trop nous séparer des
péchés et du train du monde? Non,
non, Monsieur; et comme la neige ne peut jamais
être trop blanche, jamais, non plus, notre
âme ne peut être trop pure. Le Seigneur
Jésus doit être servi de bon coeur, ou
ne l'être pas du tout.
M.
N*** soupira
et dit : Mais, chère Madame cela
ne rend-il pas la vie bien triste ?
La
Grand'Mère, avec feu. Bien
triste, dites-vous? Eh! je vous prie, le ciel
est-il donc une demeure triste? Et qu'y fait-on
autre chose qu'aimer Dieu et le servir ?
M.
N***. Mais enfin, cela demande des sacrifices,
des
renoncements,
des privations ; et tout cela, vous
l'avouerez, n'est pas fort gai.
La
Grand'Mère. Ah ! Monsieur,
si le canard des, marais devenait un aigle, ce ne
serait pas un sacrifice pour lui que de voler au
plus haut du ciel ; ni un renoncement et une
privation que de ne plus. habiter parmi les
roseaux.
Je ne suis donc encore qu'un canard, dit
M. N***, en souriant ; car je sens bien que
les marais et les roseaux de ce monde me plaisent,
et même beaucoup. Mais, cependant, Madame,
quoique je ne voie pas ces choses-là comme
vous les voyez, je... respecte, je vous assure,
votre conviction ; et puisque vous me demandez
qu'André, votre petit-fils, ne vienne pas
à l'atelier le dimanche, j'y consens
très-volontiers, et je ne lui en parlerai
jamais. Qu'il soit seulement assidu, docile et
fidèle, et s'il plaît à Dieu,
je... serai pour lui un bon maître, et... un
ami ; car je vous l'ai dit, j'estime beaucoup
son père. C'est un digne homme.
On peut comprendre quelle était
la joie de la bonne grand'maman, et quelle
fût celle d'André, lorsqu'il apprit.
tout ce qu'avait dit et promis, M. M. ***. Tu vois
bien', lui dit sa grand'mère, que la bonne
dame n'était pas la seule qui pût nous
aider, et que le Seigneur Jésus a bien su
m'ouvrir cette porte qui nous semblait
fermée à double tour.
C'est bien vrai ! dit André
avec sentiment. Mais, pourtant, grand'mère,
ce monsieur-là ne t'a pas appelée sa
chère soeur en Jésus, comme avait
fait la bonne dame ?
Non, mon garçon !
répondit la vraie chrétienne, pas
encore : mais cela peut venir, et
peut-être bientôt.
Dieu est tout-puissant, et sa grâce en a bien
gagné d'autres, et de bien plus
opposés. Rappelle-toi Saul de Tarse, et vois
ce que Jésus peut faire. Mais
dépêche-toi, cher enfant, de mettre
tout en ordre: arrange ce bois ; frotte la table et
nettoie tes souliers. Ta soeur va bientôt
revenir de sa journée, et dès qu'elle
arrivera, nous lirons la Bible et nous ferons la
prière. Ah ! nous avons besoin de remercier
Dieu, André. Cette lettre de ton père
et la bonté de ton bourgeois sont de grands
bienfaits. Non, ne soyons pas ingrats, car Dieu
nous a fait du bien !
Ce bon Dieu en préparait aussi
pour là maison de M. N***. Dès que la
grand'maman d'André fut partie, il raconta
à sa femme tout ce qui s'était
passé, et quoique celle-ci semblât
douter de la sincérité de cette
religion-là, comme elle l'appelait, il n'en
fit, pas moins plusieurs remarques
très-sérieuses sur la
nécessité de craindre Dieu, de se
convertir, et d'être, enfin, de vrais et de
bons chrétiens.
Mme N*** ne répliqua rien, ce qui
surprit son mari, et lui fit penser que quelque
chose de nouveau se passait en elle. Avant de se
coucher, il posa la grande Bible sur la table, ce
qu'il n'avait pas fait depuis des années, et
il en lut quelque portion. Le lendemain,
lorsqu'à la pointe du jour il entendit le
bruit que les apprentis faisaient dans l'atelier,
en l'arrangeant, il se sentit si peu à son
aise, qu'il sortit de la maison et alla se
promener, tout pensif, sur le boulevard.
Le parrain d'André, qui se
dirigeait vers la porte de la ville, portant son
fusil de chasse et suivi de son chien, l'y trouva,
et lui dit, en l'abordant : A
propos, Michel! je dois te dire que je n'ai plus
rien à faire quant à mon filleul,
dont je t'ai parlé, hier encore. Ce sont des
fanatiques, et je les laisse. Sa grand'mère
viendra te voir, je pense. Tu t'arrangeras avec
elle, si tu peux.
Je l'ai vue, hier au soir,
répondit M. N***, d'un ton sérieux.
Tout est réglé.
Le
Parrain. Vraiment ! A-t-elle donc permis
qu'André vienne au cabinet le dimanche? car,
avec moi, elle n'a pas voulu en entendre
parler.
M.
N***. C'est moi qui lui ai dit qu'André
n'est pas obligé d'y venir.
Le
Parrain. Toi, Michel tu lui as dit cela ? Et
alors, que vas-tu faire avec les deux autres
apprentis?
M.
N***, en
fronçant le sourcil. Si cela me
plaît, je leur dirai la même
chose.
Le
Parrain. La même chose ! Tiens!
quel nouveau ! Et alors, dis-moi, feras-tu le
même compliment à tes
ouvrières? Vas-tu, par hasard, fermer ton
atelier le dimanche ? Pour ce coup-ci, ce serait un
peu fort.
M.
N***,
à moitié
impatienté. Du moins, ne
serait-ce pas plus mauvais que d'aller à la
chasse.
Le
Parrain,
tout étonné. Est-ce bien
toi, Michel, qui me dis cela! Eh! mon ami, que
t'arrive-t-il ? Dis-moi, tomberais-tu dans la
mômerie?
M.
N***, avec
gravité. Je ne m'embarrasse, moi,
ni de mômerie, ni d'autre chose. Ce que je
veux faire, c'est d'être chrétien, si
je peux.
Le
Parrain. En voici bien d'une autre! Et
alors, que feras-tu de ton Rousseau et de ton
Voltaire, que tu as
achetés, il n'y a pas six mois, et que tu as
fait relier si proprement?
M.
N***. Si je les jette au feu, tu n'y perdras
rien; encore moins qu'en brûlant ta poudre
aujourd'hui.
Le
Parrain, en
ricanant. Il parait que tu te fais le
protecteur des lièvres et des perdrix; et je
comprends, à cette heure, pourquoi l'on ne
te voit plus ni au café, ni au billard, et
presque jamais au cercle. Mon pauvre Michel, cela
me fait bien de la peine. Je te croyais plus de
force d'esprit et plus d'indépendance.
Adieu.
M.
N***, en
l'arrêtant. Encore un ou deux
mots, s'il te plaît. Tu vas à la
chasse; et tu ne sais pas si tu en reviendras ;
mais ce que tu sais bien, c'est qu'il y a un
commandement de Dieu qui dit: Souviens-toi du Jour
du repos, pour le sanctifier...
Le
Parrain,
avec dépit. Bah ! bah! laisse-moi
tranquille! Je ne fais de mal à personne; et
d'ailleurs, si j'ai envie de prier, je puis le
faire aussi bien dans un champ ou dans un bois,
qu'entre quatre murailles.
M.
N***, en le
retenant de force. Non, non; cela n'est
pas vrai. Je le disais aussi, mais je me mentais
à moi-même. Non, l'on ne prie pas Dieu
quand on se moque. de sa loi; et tu as beau dire et
beau te défendre, je suis sûr que tu
aurais peur de mourir, tel que tu es.
Le
Parrain,
fièrement. Moi! Et pourquoi?
Suis-je un coquin? À qui ai-je jamais fait
tort d'un sou ? Ai-je de mauvaises moeurs, et
suis-je un fainéant? Et, d'ailleurs,
vois-tu, je ne suis pas de ceux qui parlent de Dieu
comme d'un tyran. Moi, je crois qu'il est tout bon,
et qu'il n'ira pas me punir, parce que, après
avoir
travaillé comme un forçat toute la
semaine, je vais prendre l'air aujourd'hui.
Crois-moi, Michel, ne te laisse pas
hébéter par cette sainte, Sois
chrétien si tu veux ; mais ne deviens pas
piétiste.
M.
N***. Tu m'en donnerais le désir,
si... je ne l'avais déjà. Non, non,
je ne veux plus de cette vie d'incrédule,
pour ne pas dire de fou, et pis encore. Et quant
à cette sainte dont tu te défies,
moi, je crois que si nous mourons tous trois
aujourd'hui, elle n'aura pas, dans l'autre monde,
la plus mauvaise place.
Le parrain haussa les épaules,
siffla son chien, et gagna la campagne.
C'était ainsi que la conscience
de M. N*** commençait à se
réveiller, et celle de sa femme
n'était pas plus tranquille.
Cette dame, si religieuse et si contente
d'elle-même, lorsqu'elle avait repris
André, n'avait pu dormir de toute là
nuit. Ce que la grand'mère de cet enfant
avait dit à M. N***, lui revenait sans cesse
à l'esprit, comme une accusation ; et le
matin, quand elle entendit aussi le bruit qui se
faisait dans l'atelier, elle ne fut pas plus
à son aise que son mari; mais elle ne lui en
dit rien, quelque envie qu'elle eût de
reprendre la conversation de la veille.
M. N*** rentra après huit heures,
pour déjeuner. Il était silencieux et
concentré; et, au grand étonnement de
sa femme, il dit qu'il voulait aller à
l'église; qu'il avait fait bien des
réflexions depuis le soir
précédent ; qu'il ne se sentait pas
tranquille ; que peut-être il avait
été jusqu'alors un incrédule ;
qu'il voulait désormais lire la Bible ; que
toute cette indifférence
pour la religion où il avait vécu, ne
menait finalement à rien de bon ; que ni le
cercle, ni le café, ni les fêtes du
dimanche, ni les bravades contre la Bible et ceux
qui la croient, ne le tranquilliseraient au lit de
mort; qu'après tout il aimait mieux avoir le
coeur en paix avec Dieu, que, de tant manger, boire
et chanter, avec une bande de moqueurs et de
libertins ; et que, s'il avait besoin d'amis, les
premiers qu'il choisirait seraient le père
d'André et sa digne mère.
Mme, N*** était demeurée
debout, immobile et sans voix, devant son mari,
pendant qu'il prononçait toutes ces
sentences, avec autant de calme que de vigueur; et
quand il se tut, elle n'eut aucune parole à
lui répondre, et se contenta de dire
à voix basse : J'ai toujours dit que la
religion est une bonne chose; aussi j'en ai
toujours eu beaucoup.
Oui, oui, ma bonne, reprit M. N***, en
se levant, et en passant dans une autre chambre,
cela est vrai; mais je commence à croire que
tu t'es trompée tout autant, et
peut-être plus que moi. Allons, que Dieu nous
soit en aide à l'un et à l'autre !
Voilà la première cloche qui sonne;
préparons-nous pour l'église : j'ai
besoin d'y aller.
Ce fut M. B*** qui prêcha, et son
discours montra, avec beaucoup de clarté et
de force, la nécessité de la
Régénération de l'âme
par le Saint-Esprit. Il prouva, soit par les
Écritures, soit par l'expérience, que
l'homme naît dans le péché,
parce qu'il naît de parents pécheurs;
que sa nature est corrompue devant Dieu, et que
c'est contredire positivement l'Évangile et
toute la Bible, que de dire que l'homme naît
innocent, et qu'il n'a pas besoin d'être
créé de nouveau par l'Esprit-Saint,
qui est un seul Dieu, avec le Père et le
Fils. Il termina par une solennelle exhortation
à s'examiner soi-même, afin de
s'assurer si l'on est en effet
régénéré par
l'Esprit-Saint, et si la religion que l'on professe
n'est point seulement celle des formalistes et des
pharisiens, lesquels, s'écria-t-il,
n'hériteront pas le royaume des cieux,
malgré tous leurs beaux dehors de
piété.
Ces dernières paroles
tombèrent comme une pierre de moulin sur la
conscience de Mme N***, et son mari, sans y penser,
lui toucha le coude du sien, comme pour lui dire.
Entends-tu?
Elle avait en effet entendu; aussi,
contre sa coutume, quitta-t-elle son banc et
sortit-elle du temple, sans faire ni salutations,
ni compliments à ses voisines, et sans dire
un seul mot sur le discours du
prédicateur.
La grand'mère d'André,
avec cet enfant et sa soeur, se trouva à
côté de Mme N***, comme elle
descendait les degrés de la grande
porte.
Mme N*** salua affectueusement la
grand'mère, dont elle prit une main, qu'elle
pressa dans la sienne.
C'est une grande bonté de Dieu
pour nous, dit la grand'mère, que de nous
faire entendre ainsi sa Parole. Ah ! qu'il veuille
la bénir pour nos âmes!
Elle a été bien
sérieuse, ajouta Mme N***, et nous devons y
penser.
Si vous le désirez, poursuivit la
grand'maman, je vous prêterai un
traité religieux sur le même sujet. Je
crois qu'il pourra vous intéresser.
Mme N*** remercia la grand'maman, qui
lui dit qu'elle allait le lui envoyer par sa petite
fille Julie.
Julie est une jeune fille de quatorze
à quinze ans, élevée
jusqu'à l'âge de dix ans par sa
mère, qui était une douce et
fidèle servante du Sauveur, et qui, en
mourant, remit cette chère fille, avec son
frère André, aux soins de sa
belle-mère, qui, sous le regard de Dieu, les
reçut comme un précieux et cher
dépôt.
Julie a été
élevée d'après la Bible.
Dès sa première enfance, elle montra
beaucoup de goût pour ce saint Livre, dont
elle apprenait, chaque jour, cinq ou six versets,
qu'elle récitait à sa mère, le
matin, avant la prière de famille. Cette
Parole a été bénie pour son
âme. Julie est chrétienne, et cette
brebis du Bon Berger est la joie de sa famille,
aussi bien qu'un modèle de
piété, de sagesse, et de diligence,
pour les jeunes filles qui sont en apprentissage
avec elle.
Voici, Madame, dit-elle à Mme
N***, en lui présentant le traité sur
la Régénération, le livre que
ma grand'maman vous envoie. Elle m'a chargée
de vous dire, aussi, que vous feriez bien, tout en
le lisant, de chercher, dans la Bible, les passages
de la Sainte-Écriture qui sont
indiqués dans cet écrit. Ma
grand'maman dit qu'en faisant cela on étudie
la Parole de Dieu, et qu'on s'assure, en même
temps, que ce qu'enseigne le traité est bien
conforme à ce que Dieu a dit.
Ah! dit Mme N***, en faisant asseoir
Julie, je ne connais pas la Bible aussi bien que
vous, mon enfant; et cela me donnera du travail.
Mais, enfin, le conseil est bon, et j'essaierai.
Mais, je vous prie, parlez-moi de vous-même :
oui, dites-moi comment vous êtes heureuse.
Julie.
Ah! je le suis en
effet, par la bonté de Dieu. Depuis ma
conversion, c'est-à-dire depuis environ quatre
ans, j'ai
été, je pense, la plus heureuse des
jeunes filles de Genève.
Mme
N***, avec
curiosité. Votre conversion,
dites-vous! Mais expliquez-moi bien comment cela
s'est fait; oui, ce que vous avez
éprouvé; ce que c'est, enfin,
qu'être converti ?
Julie.
Je ne pense pas
qu'il me soit arrivé rien d'extraordinaire,
et qui n'arrive de même à tous les
enfants de Dieu. À présent, par la
grâce infinie de Dieu, je suis soumise au
Seigneur Jésus, ce que je n'étais pas
auparavant.
Mme
N***. Comment, Mademoiselle Julie ! vous qui
avez été élevée en
quelque sorte sur les genoux du Sauveur! Car j'ai
beaucoup connu votre douce et pieuse mère.
Ah! c'était elle qui était
chrétienne tout de bon ! Quelle femme et
quelle mère !
Julie.
Ah oui, quelle bonne
mère ! et que je serai heureuse de la
revoir au ciel, auprès du Sauveur !
Mais, je le sais bien : quoique ma bonne maman
m'ait élevée, comme vous le dites,
sur les genoux du Seigneur Jésus, je
n'étais pas encore convertie, cependant,
lorsque maman nous quitta pour aller vers
Dieu.
Mme N***.
Cependant, ma fille, vous lisiez la
Bible, vous l'appreniez même par coeur ;
vous étiez aussi rangée et aussi sage
que possible, et jamais l'église ne
s'ouvrait, sans que vous n'y fussiez avec votre
mère. Votre grand'maman était alors
au Canton de Vaud. Ah ! Dieu ne vous avait pas
encore affligés !
Julie.
Il ne l'a fait que pour notre
bien ; et pour moi, comment ne le
glorifierais-je pas, puisque c'est alors qu'il m'a
convertie à son cher Fils, notre
Sauveur !
Mme N***.
Mais comment,
s'il vous plaît ? Que vous est-il donc
arrivé ?
Julie. C'est que
j'aime à présent
le Sauveur, tandis qu'auparavant je ne pensais
presque jamais à lui. Je lisais bien la
Bible ; j'allais bien à
l'église, et je passais bien le dimanche
à la maison, et sans m'amuser ; mais
alors, je n'aimais pas le Seigneur Jésus. Je
ne parlais jamais de lui, et je n'avais point de
plaisir à le chercher dans mon coeur, ni
à penser que j'irai vers lui en quittant ce
monde, et que je lui serai faite semblable, comme
dit l'Écriture, quand je le verrai tel qu'il
est.
Mme N***.
Et quand
est-ce que cet amour pour Jésus a
commencé dans votre coeur ?
Julie. Vous savez
que ma bonne maman fut malade
plus de six mois. Eh bien ! pendant tout ce
temps-là, et à peu près chaque
jour, mon bon papa m'appelait avec mon
frère, le matin et le soir, vers le lit de
notre mère ; et là il nous
parlait avec tant de bonté et tant d'amour
du Sauveur, et de la charité de Dieu ;
et maman nous disait des choses si belles et si
tendres, surtout dans les dernières
semaines, que je me sentais quelquefois comme
saisie dans le coeur ; et souvent, je vous
assure, j'ai été pleurer en secret,
dans le grenier, où j'allais me mettre
à genoux et prier, quelquefois toute une
heure de suite. Enfin, ma bonne maman mourut ;
et ce fut quelques semaines après sa mort,
que je commençai à voir que je
n'étais devant Dieu qu'une pauvre
pécheresse, et que j'avais besoin que le
Sauveur lavât mon âme par son
sang.
Mme N***.
Mais, ma
chère Demoiselle, qu'est-ce que cette phrase
veut dire ? Je l'ai lue souvent, dans la
Bible ;
mais je ne
la comprends pas encore.
Julie.
Cela veut dire,
je pense, que comme notre Sauveur a pris sur lui
nos péchés sur la croix, et qu'il y a
été maudit de Dieu, comme dit
l'Écriture, et immolé comme une
victime, c'est sa mort qui nous a
rachetés ; et qu'ainsi, quand nous
croyons de coeur en son sacrifice, Dieu nous
pardonne nos péchés, pour l'amour de
Jésus ; et alors le Saint-Esprit nous
fait sentir que nos péchés ont
été expiés par le Sauveur, et
qu'ainsi nous avons la paix avec Dieu.
Mme
N***, en
soupirant. J'entrevois ce que vous
voulez dire, et je veux y penser. Dites à
votre chère grand'maman que je suis
très-réjouie que votre frère
entre en apprentissage chez mon mari, et que je
ferai tout ce qui me sera possible pour lui et pour
son bien. Dites-lui aussi, je vous prie, que je la
remercie beaucoup pour le prêt de cette
brochure Je vais la lire, et je la lui reporterai
moi-même ; afin que je m'entretienne
avec elle, aussi, sur tout ce que nous venons de
dire. J'espère, Mademoiselle Julie, que
j'aurai quelquefois votre visite. Que Dieu vous
bénisse.
Oh ! que de bien peut faire
même un enfant s'il est sincèrement
pieux, s'il aime le Sauveur ! Dieu se servit
autrefois d'une petite fille juive, captive pour
manifester la puissance de sa Parole, dans la
guérison miraculeuse de l'idolâtre
Naaman, qui devint ensuite adorateur de
l'Éternel.
(2
Rois V.) Ce même Dieu
tout-puissant, et qui emploie de faibles moyens
pour opérer les plus grandes choses, ne
s'est-il point aussi servi de Julie pour la
guérison de l'âme de Mme N***, et pour l'amener à
connaître ce grand salut qui est en
Jésus, notre Dieu Sauveur? Qui pourrait dire
qu'il n'en est pas ainsi ?
Enfants chrétiens ! soyez donc
encouragés à montrer la foi (que vous
avez au Seigneur Jésus, avec cette
simplicité, cette douceur, et en même
temps cette franchise, que vous venez de voir chez
la jeune Julie ! Mais d'abord, sentez avec
reconnaissance quel bonheur c'est que d'être
un des agneaux du Bon-Berger. Voyez quelle
différence se trouve entre un enfant qui
connaît le Sauveur, qui est
élevé selon la Bible, et qui
s'accoutume à vivre ici-bas comme un
béni de Dieu, et un autre enfant qui est
sans religion ; qui ne sait pas ce que le Seigneur
Jésus a fait pour nous ; qui ne lit jamais
la Sainte-Écriture, et qui n'a que des
habitudes mondaines, que des penchants pour la
terre et ses vanités!
L'enfant chrétien sait, dans son
coeur, qu'il est aimé de Dieu, et que
Jésus soin Sauveur le conduit et le
garde.
L'enfant mondain, au contraire, a peur
de Dieu, en redoute la présence et les
châtiments, et jamais ne pense au
Sauveur.
L'enfant chrétien se plaît
à prier son bon Père céleste,
et il lui demande son Saint-Esprit et d'être
rendu sage.
L'enfant mondain ne prie jamais; il est
sans Dieu et sans espérance, et son coeur
est l'esclave du péché.
L'enfant chrétien se
réjouit de vivre ici-bas en obéissant
à Dieu et en imitant son Sauveur, dont il
connaît la voix.
L'enfant mondain ne songe qu'à
s'amuser, ou bien qu'à se
faire louer des hommes, dont il imite les vices et
les désordres.
Enfin l'enfant chrétien regarde,
par l'espérance, vers le ciel, où il
verra Dieu son Sauveur ; il n'a pas peur de
mourir s'il est malade, parce qu'il sait qu'il est
racheté et que le ciel est sa
patrie.
L'enfant mondain, hélas ! ne
s'occupe pas plus du ciel et de sa gloire, que s'il
n'y en avait point. Aussi la mort lui fait-elle
horreur, et tremble-t-il à la pensée
du jugement de Dieu qui doit la suivre.
0 enfant, qui lis cette
histoire !
sois donc chrétien ! Oui, crois la
Bible ; crois au Seigneur Jésus ;
soumets-lui ton coeur ; deviens son agneau, sa
brebis docile ; et comme Julie, comme son
frère André, préfère
aimer Dieu, que de plaire au monde, et le salut de
ton âme, à tous les plaisirs et
à tous les trésors d'ici-bas !
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