« Il y a telle voie, dit Dieu, qui
semble droite à l'homme, mais dont l'issue
est le chemin de la mort :
(Prov.
XVI, 25) et il en est ainsi
quant au sentier du Ciel.
Plusieurs routes, il est vrai sont
indiquées par ceux qu'on nomme sages ;
mais les uns vous disent : Passez ici,
à droite ; tandis que les autres vous
crient : Non, mais prenez la gauche ; et
le pauvre voyageur, qui s'imagine arriver, sans
doute, mais qui ne connaît ni l'une ni
l'autre de ces routes, choisit celle qui lui
paraît la meilleure, et le plus souvent,
hélas ! il s'égare et se perd.
Oh ! qu'il nous importe donc d'avoir un guide
sûr quand il n'y a qu'un sentier qui soit
bon ; quand tout autre chemin nous engage au
milieu des marais où des
précipices !
Telles étaient mes pensées
dans une promenade que je faisais au pied d'une
montagne, et du côté d'une
éminence découverte que j'avais
aperçue au-delà d'un bois, et
où je désirais parvenir, pour y jouir
de la vue de la contrée, qui était
aussi riche que pittoresque.
J'étais d'abord entré dans
un chemin battu, qui descendait vers un ruisseau,
et qu'un laboureur m'avait indiqué. Mais de
l'autre côté du petit pont qui
traversait l'eau, ce chemin s'était
divisé comme les rayons d'une roue, en
quatre ou cinq sentiers dont l'un s'élevait,
l'autre descendait, et d'autres
s'enfonçaient dans une bruyère ou
dans le bois.
Point de guide, point de poteau, point
d'indices ; pas même un petit berger, un
enfant, qui puisse répondre à ma voix
par un signe de sa main. Je n'entends que le
murmure du ruisseau, que le doux ramage des oiseaux
sur la ramée ; mais leurs bruits et
leurs chants, si agréables au voyageur qui
se repose, n'apprenaient rien au voyageur
incertain, et mon oeil se fixait en vain sur les
sentiers dont aucun ne me disait :
Choisis-moi.
Il me fallut donc choisir
moi-même, et pensant que le sentier qui
montait devait conduire au sommet de la colline,
j'y entrai, et je le gravis avec vigueur.
Mais bientôt me voilà de
nouveau sans guide. Le sentier est entré
dans les broussailles ; il a tourné
plusieurs fois parmi des rocs ; il se perd et
s'efface, enfin, dans une pelouse qu'entoure un
taillis de toutes parts, et je ne sais plus
même de quel côté je suis
parvenu dans cette enceinte, où nulle issue,
nul vestige de chemin ne se fait plus voir. Je suis
égaré, et tout-à-fait, et je
m'assieds sur un petit tertre de gazon, pour
m'orienter et découvrir,
si je puis, où se trouve ce sommet
élevé que je cherche.
O Lecteur ! si vous étiez
assez sage pour comprendre que ma position
n'était qu'une faible image de celle de
l'homme ici-bas !
Le sommet du mont, c'est le
Ciel ;
la bruyère déserte, c'est le monde;
et le taillis épais et sans issue, ce sont
les intérêts et les passions, qui de
tous côtes lui cachent la hauteur qu'il
cherche, mais qu'il ne voit pas.
Que fera l'homme ainsi
égaré, ainsi perdu ?
Hélas ! il restera perdu,
jusqu'à ce que vienne la nuit, la nuit de la
mort, au sein de laquelle il tombera dans l'affreux
précipice d'une ruine éternelle,
à moins qu'un guide ne lui soit
donné, et qu'il ne l'écoute, et qu'il
ne le suive.
Pour moi, j'en eus un, et il
s'annonça par le son d'abord
éloigné, puis plus distinct, d'une
clochette qui tintait au cou d'une chèvre,
que j'aperçus bientôt au-dessous du
taillis, sur une pente rapide, où la menait
un vieillard, suivi d'un enfant.
J'appelai le pâtre, il leva la
tête vers moi, et je lui fis signe de
s'approcher.
Je me suis égaré, lui
dis-je eu l'abordant, et je suis bien content, je
vous assure, de votre arrivée. C'est au
sommet du coteau que je désire aller :
sur le plateau qui s'élève au-dessus
du bois.
Ah ! ce n'est pas ici le chemin,
dit le vieillard en reprenant haleine. Vous avez
passé le ruisseau, je pense. hé
bien ! il vous fallait prendre le sentier qui
descendait, et vous avez pris, au contraire, Celui
qui montait. Vous auriez dû vous en informer, ajouta-t-il
avec sérieux,
et comme pour me reprocher mon imprudence.
Sans doute, répondis-je
humblement, mais je n'avais personne qui pût
me le dire.
Ah ! qui n'est pas conduit,
bientôt périt ; reprit-il d'un
ton sentencieux. Mauvais chemin, mauvaise
fin.
Je me tus. L'expression de visage et
toute l'apparence du vieux berger
m'intéressaient autant que ses graves
paroles, et je me disais secrètement :
Connaît-il, lui, le bon et vrai chemin ?
Est-il conduit sur la terre, ou bien y marche-t-il
comme un homme égaré, et à
l'aventure ?
0 mon Lecteur ! n'est-ce pas pour
vous, aussi, que je fais cette question ?
N'est-ce pas à votre âme que je vais
m'adresser, en lui racontant toute mon entrevue
avec ce respectable et prudent
vieillard ?
Nous cheminions sur le même
sentier que j'avais d'abord tenu. La chèvre
que menait l'enfant nous précédait,
et je suivais les pas de mon guide.
Vous êtes de loin, me dit-il.
Votre accent n'est pas de ce pays-ci. Vous avez
donc vu bien des villes et bien des peuples. Pour
moi, je ne quittai jamais la montagne, et
bientôt j'y dormirai, et pour longtemps.
Ce fut à demi-voix qu'il
prononça ces derniers mots, après
lesquels il frappa la terre de son bâton,
comme pour dire : « C'est ici que
sera ma couche. »
Alors j'ajoutai, en relevant ma voix.
Puis viendra la résurrection, et nous
paraîtrons tous devant le Seigneur,
Jésus, le juge des vivants et des
morts.
Le vieillard se retourna en
s'arrêtant. Il me regarda
fixement, et ses yeux s'animèrent ;
puis il me dit : Vous y croyez donc, puisque
vous en parlez !
C'est toute mon espérance, lui
dis-je, et ma plus chère attente.
Votre espérance ! reprit-il,
en se rapprochant de moi, et en appuyant ses deux
mains sur son bâton. Votre plus chère
attente... ! Espère-t-on et attend-on
ce qu'on craint ?
Vous craignez donc ce
jour-là ? lui dis-je avec
sentiment.
Beaucoup ! beaucoup !
répondit-il, et depuis, bien des
ans.
Alors je compris dans mon coeur que
c'était le Dieu des miséricordes et
des consolations qui m'avait conduit vers le vieux
pâtre, et que c'était pour que je lui
montrasse un autre sentier que celui qu'il avait
jusqu'alors tenu ; et cette belle et douce
parole du Livre de Dieu me sembla comme
prononcée à mon oreille :
« Je mettrai un chemin au désert,
et des fleuves au lieu désolé.
(Esaïe
XLIII, 19.)
Arrêtons-nous donc ici, lui
dis-je, et parlons de ces choses. Ma promenade, ne
m'est rien ; ce qui m'importe, c'est, si je le
puis, de faire pour vous ce que vous venez de faire
pour moi, je veux dire, de vous tirer d'un mauvais
chemin, pour vous mener au bon.
Va donc le premier, dit-il à
l'enfant, sans me répondre :
Emmène la chèvre, et dis à
Isabelle que je la lui vends de bon coeur pour ce
qu'elle m'en offre.
Maintenant parlons ; dit-il en
s'asseyant, et dites-moi comment on peut se
réjouir d'une chose que tout le monde repousse.
Vraiment, vous réjouissez-vous du jugement
dernier ?
Cher vieillard, répondis-je,
l'héritier d'une fortune illustre
s'afflige-t-il lorsque ses titres et ses biens lui
sont remis ?
Mais, reprit-il avec vivacité,
celui qui craint l'échafaud se
réjouit-il du jour de sa
sentence ?
Le craignez-vous donc ?
demandai-je
avec chaleur.
Hé ! ne suis-je pas
pécheur ? dit-il solennellement, et en
serrant ses deux mains jointes.
Réponse éloquente, qui
montra combien ce vieillard était convaincu
de ses péchés, et en même temps
combien il redoutait cette loi juste et terrible de
Dieu qui a dit, que le salaire du
péché, c'est la malédiction,
la mort éternelle !
(Rom.
VI, 23. Gal.
III, 10. Jacq.
I, 15, )
Heureux est déjà l'homme
qui se connaît ainsi lui-même, et qui
croyant à la sainte loi du Seigneur, en
craint la sentence ! Mais que cet
homme-là ne s'arrête pas à
cette crainte du châtiment. Non, qu'il ne se
borne pas à croire cette loi qui
punit ! Qu'il croie aussi, et surtout,
à la grâce qui pardonne :
à ce Sauveur qui est venu chercher ce qui
était perdu, et qui apporte la paix à
ceux qui sont dans l'angoisse ! Heureux ceux
qui pleurent, a-t-il dit, car ils seront
consolés !
(Matth.
V, 4.)
Vous croyez donc, poursuivis-je, que le
pécheur n'est pas agréable à
Dieu ?
Le
Vieillard. Agréable !
dites-vous. Ah ! n'est-ce pas pour le
péché que l'enfer existe ? Dieu
n'est-il pas saint, et juste aussi ; et
recevra-t-il dans son paradis l'homme qui n'a pas
été lavé et nettoyé de
ses fautes ? Pour moi, je ne le crois pas.
L'Étranger.
Ni
moi non plus, je vous assure. Mais si notre Dieu
est saint et juste, il est charitable aussi et
plein de compassion, et il nous a donné le
moyen d'être nettoyés et lavés
de nos offenses.
Le
Vieillard. je le sais bien. Oui, je le
sais aussi ; et cependant je suis loin,
très-loin, d'être tranquille ; et
si vous, Monsieur, vous n'avez pas peur de mourir,
moi, j'en ai frayeur, et chaque jour plus.
L'Étranger.
L'un
de nous donc a tort, n'est-ce pas ? Car si
votre frayeur est juste, ma tranquillité ne
l'est sûrement pas. Lequel donc, de vous, ou
de moi, se trouve sur le mauvais
chemin ?
Le berger devint pensif. Son regard
était fixé sur la terre, et ce fut
comme en rêvant qu'il dit : Non, non,
nul homme ne peut être ainsi
tranquille ; car tout homme a
péché.
Et cependant, dis-je, au dernier jour
tous n'iront pas en enfer. Il y aura, en ce
jour-là, les bénis du Père,
qui recevront l'héritage qui leur
était préparé.
Le
Vieillard. C'est vrai, c'est vrai. Oui,
il y aura des sauvés, des bénis, des
élus. Rien n'est plus certain Dieu l'a dit,
et c'est aussi ce que je crois.
L'Étranger.
Mais,
je vous prie, ces bénis-là,
lorsqu'ils étaient sur la terre, n'y
étaient-ils pas aussi des
pécheurs ? Y a-t-il eu jamais un homme,
même un seul homme, qui n'ait pas
péché ?
Le
Vieillard. Ce qui sort de l'impur est
impur, et tout homme est comme un autre homme. Dieu
seul est sans péché.
L'Étranger.
Alors, donc, dites-moi par quelle route ces pauvres
hommes qui étaient pécheurs lorsqu'ils étaient
ici-bas, sont-ils arrivés au Ciel, où
le péché ne peut
entrer ?
Lecteur ! faites attention à
ce qui va suivre ; car c'est ici la question
essentielle. Vous aussi, vous êtes
pécheur ici-bas ; par quelle route donc
arriverez-vous à ce ciel de Dieu, où
rien d'impur ni de souillé ne
pénétrera jamais ?
Ah ! dit le vieillard, en
soupirant, ils ont fait plus que moi. Ils
étaient saints, et leurs oeuvres furent
méritoires ;... et moi, pauvre ignorant
montagnard, je n'ai rien su et rien fait, et.... je
ne puis aller où ils iront.
Vous n'avez donc pas encore
trouvé leur sentier lui dis-je, en entrant
dans sa pensée, afin que je la connusse en
entier.
J'ai cependant essayé de faire
quelque chose, me répondit-il humblement et
comme avec peine, et je vous le dirai, puisque vous
avez la charité de vous intéresser
à moi. Dans ma jeunesse, j'ai
été, comme beaucoup d'autres,
insouciant et dissipé, et alors je ne
m'inquiétais guère de mon âme,
ni de mon salut. Mais j'avais près de
quarante ans, lorsque, dans un jour d'orage, la
foudre tomba, sur mon frère, qui travaillait
tout à côté de moi, dans la
forêt, et cette mort terrible, non-seulement
me rendit malade, mais m'ôta tout repos dans
mon âme. Ç'a été fini de
ma paix : il y a bientôt trente ans que
cela est arrivé, et jamais, jamais je n'ai
su ce que c'était qu'être
tranquille ; car je puis, aussi, tout comme
mon pauvre frère, mourir soudain ; et,
alors, qu'en sera-t-il de moi ? Où ira
mon âme ?
Non pas, je dois le dire, que j'aie
été dès lors léger ou
insouciant, comme auparavant. Ah ! j'avais
été trop effrayé, trop
frappé dans mon esprit, pour que je ne pensasse
pas
à l'avenir, à la mort, et à ce
qui doit la suivre. Je devins donc religieux et
même dévot, je vous assure. Je le dis
sans me vanter, et seulement pour vous raconter ma
vie. Voilà plus de vingt-cinq ans que je ne
me suis absenté d'aucun office de l'Eglise,
si ce n'est quand j'étais malade, et que
j'ai rempli, sans y manquer, tous les devoirs de la
religion.... Et malgré cela, oui, quoique
j'aie fait tout ce que je pouvais faire, je ne suis
jamais tranquille ; et je suis loin, bien
loin, de pouvoir, comme vous, penser en paix au
jugement de Dieu. Non, je vous l'assure, je ne
voudrais pas mourir à
présent.
En disant cela, le vieux berger se
passait la main sur le front, comme quelqu'un
d'inquiet, et l'accent de sa voix montrait combien
son âme était agitée.
Je me dis alors, à
moi-même : Quelle, différence de
sentiment entre cet homme et moi, qui suis
cependant son frère ! Né, comme
moi, il a traversé comme moi la même
vie. Nous cheminons l'un et l'autre dans le
même monde, vers un même
sépulcre, du côté de la
même éternité ; et
cependant quelles situations diverses que celles de
nos âmes ! Lui, qui n'est pas plus
coupable que moi, et probablement moins, il est
rempli de crainte, d'appréhension, de
frayeur sur l'avenir ; et moi, qui ne suis
devant Dieu qu'un pauvre pécheur aussi, je
suis en paix avec l'Éternel, et loin d'avoir
peur de la mort, je vois en elle mon arrivée
dans la maison paternelle, et le commencement d'un
bonheur aussi glorieux que durable ! -
Oh ! si Dieu, maintenant, lui envoyait aussi
la bénédiction que
je possède ! Oh ! si ce jour-ci
était celui de la lumière de la vie
pour ce cher vieillard, et que Jésus vint le
chercher sur la route perdue où il est
errant, pour le conduire au bercail du bon
Berger !
Tel fut mon voeu et ma bouche s'ouvrit
en disant : Et cependant, cher vieillard,
c'est près, oui, tout près de vous,
qu'est la route que vous cherchez depuis si
longtemps. Ouvrez vos yeux et la connaissez ;
et possédez-y la même paix et la
même joie où vous me voyez
moi-même.
Le vieillard fixa sur moi un regard
plein de tristesse, et me dit, avec l'expression du
doute : Il y a trop longtemps que je la
recherche, et j'ai trop fait, déjà,
pour la trouver, pour que je m'imagine aujourd'hui
qu'elle soit si près.
L'Étranger.
J'étais bien près, n'est-ce pas, du
bon sentier, lorsqu'après avoir passé
le ruisseau, j'ai choisi celui qui montait, au lieu
de prendre celui qui me semblait descendre au pied
du mont ?
Comme aussi, plus j'ai marché
dans le faux sentier, plus j'ai dû
m'égarer et perdre ma route. Si donc vous,
cher vieillard y vous avez, pris toute la peine que
vous vous donnez depuis si longtemps sur un autre
sentier que celui du Ciel, direz-vous pour cela
qu'il n'y ait pas d'autre chemin que celui que vous
teniez, ou bien que ce bon sentier soit à
une grande distance de vous, et comme dans une
autre contrée ?
Le
Vieillard,
avec beaucoup de sérieux. Vous
pensez donc que peut-être je me suis
trompé de route, et qu'ainsi plus j'ai
marché, plus je me suis perdu ?
L'Étranger.
Dites-moi sur quelle route vous avez
cheminé, et je vous dirai ce que j'en
pense.
Le
Vieillard. Mais, Monsieur, vous devez le savoir.
Ç'a été sur celle de notre
religion. D'abord je me suis confessé
régulièrement ; j'ai fait mes
devoirs, à toutes les fêtes ; je
me suis fidèlement acquitté de mes
pénitences, et je n'ai jamais oublié,
autant du moins qu'il m'a été
possible, les commandements de l'Eglise, quant aux
jeûnes, aux oraisons, aux voeux et aux
aumônes. Par exemple, j'avais promis à
la Sainte-Vierge que si elle me guérissait
d'un mal qui m'inquiétait beaucoup, je
donnerais la plus belle de mes chèvres aux
pauvres, et c'est aujourd'hui que je la vends pour
en remettre le prix à M. le curé. Et
je vous assure, en conscience, que je me prive,
depuis bien des années, de plusieurs choses
auxquelles j'étais habitué, afin de
mortifier mes passions et mon corps. Que
voudriez-vous que je fisse de plus ?
L'Étranger.
Ah ! plût à Dieu, pauvre ami, que
vous n'eussiez rien fait de tout cela ! Oui,
plût à Dieu qu'au lieu de bâtir
de vos mains tremblantes cette mauvaise muraille
d'oeuvres mortes ou inutiles vous eussiez cru
à ce qu'a fait Dieu lui-même, et vous
eussiez pris pour bâtir les pierres qu'il
nous donne !
L'étonnement du vieillard fut
grand. Car cet homme était intelligent
autant que réfléchi ; et ne fut
pas sans surprise qu'il entendit condamner des
oeuvres sur lesquelles il avait fondé
jusqu'alors toute sa confiance. Je venais de
contredire, de blâmer, de rejeter, ce qu'il
avait estimé depuis tant d'années, et
chaque jour par-dessus toutes choses, ce qui lui
avait toujours paru saint et céleste. Mon opinion
devait donc être à ses yeux un
blasphème et la plus grossière
impiété.
D'oeuvres mortes et inutiles !
s'écria-t-il donc. Est-ce ainsi que vous
appelez ce qu'il y a de plus sacré et de
plus méritoire !... De quelle religion
êtes-vous, Monsieur, pour que vous traitiez
ainsi la mienne avec tant de
mépris ?
Ce n'est pas moi, non, ce n'est pas moi,
répondis-je avec douceur, qui parle ainsi de
tout ce travail que votre âme s'est
imposé, et qui lui a profité si peu.
Moi, cher vieillard, je ne suis, comme vous, qu'un
pécheur, aux yeux de Dieu : il ne
m'appartient donc pas de juger, ni de condamner
personne. Mais, si Dieu, lui-même dit que
tout ce que vous avez fait jusqu'à ce jour
pour gagner votre salut, a été
non-seulement inutile, mais faux et mensonger, que
devrez-vous en penser
vous-même ?
Ici, Lecteur, veuillez
réfléchir quelques moments, et
chercher dans votre coeur si ce que Dieu dit de
vous est préférable à ce que
vous pensez ou présumez vous-même, et
si vous consentiriez à laisser même
votre religion actuelle, si Dieu vous
déclarait qu'elle n'est pas la vraie, et que
vous avez vécu dans l'illusion ou dans
l'erreur.
Si vous dites : Je suis né
dans cette croyance et je veux y mourir, quoi que
ce soit que Dieu en dise, vous déshonorez
Dieu, et vous placez votre opinion, et
peut-être votre obstination, par-dessus la
Sainte-Écriture ; ce qui est à
la fois une folie et une impiété. -
Mais si vous dites, au contraire : Mon
désir, c'est de connaître Dieu tel
qu'il est, et de le servir selon
qu'il me l'ordonne ; et qu'alors vous
écoutiez la Sainte-Écriture ; et
que vous la receviez dans voire coeur, pour la
pratiquer ensuite, ah ! vous honorez alors le
Seigneur, et vous faites de votre intelligence et
de votre sentiment le meilleur et le plus saint
usage.
Le vieux berger s'anima. Ce que je
venais de dire l'avait ému, et il
s'écria vivement : mais Dieu n'a jamais
dit que l'Eglise se trompe, et c'est à
l'Eglise que j'obéis. N'est-elle pas notre
mère ?
Je craignis alors que notre entretien ne
devint une controverse, et pour éviter ce
mal, je dis avec calme et sentiment :
Cependant, si Dieu, oui, Dieu lui-même, Nous
disait qu'il vous remet tous vos
péchés, et qu'il vous fait don du
salut, refuseriez-vous de le croire ?
Ma question ramena le coeur du vieillard
sur le sujet même qui l'intéressait,
et il me répondit à demi-voix: Ah!
nous ne sommes plus au temps où le Seigneur
Jésus disait, de sa propre bouche, à
un pauvre pécheur : Va-t'en en paix, tes
péchés te sont
pardonnés.
L'Étranger.
Cependant la Sainte-Écriture nous dit que
Jésus-Christ est le même hier,
aujourd'hui, et éternellement, Si nous ne
voyons pas le Sauveur, toutefois nous voit-il, et
il n'est pas loin de nous.
Le
Vieillard,
avec respect. Il est Dieu, il voit donc
toutes choses, et il est partout.
L'Étranger.
C'est
pourquoi, s'il lui plaît de vous dire que le
chemin que vous avez tenu jusqu'à ce jour
était une route perdue, et qu'il vous dise
en même temps de prendre celle où se
trouve le pardon des
péchés, ne voudrez-vous pas
l'écouter et le croire !
Le
Vieillard,
avec vivacité. Mais, cher
Monsieur, Dieu me parlera-t-il donc ? Et vous
a-t-il parlé, à vous ?
L'Étranger,
en tirant de sa
poche un livre, qu'il tient à la
main. Hé ! je vous prie, ne
parle-t-il pas dans sa Parole, dans la Sainte
Bible ? N'est-ce pas ici que la voix de Dieu
se fait entendre aux hommes ; et si l'Eglise
de Dieu sait quelque chose, n'est-ce pas de ce
livre-ci, et de lui seul qu'elle doit l'avoir
appris ?
Le vieillard me pria de lui montrer ce
livre. Il le prit, et en l'ouvrant en silence, il
regarda et lut ici et là, en divers
endroits. Puis il dit, avec une sorte de
réserve et de mystère : C'est
donc ici la Sainte-Écriture, et même
c'est en français qu'elle est ! Je ne
l'avais jamais vue, jusqu'à
présent.
J'avais bien ouï dire que quelques
personnes l'avaient, mais je croyais que ce
n'était qu'en latin ;... et moi, je ne
suis qu'un pauvre berger, et je ne comprends pas le
latin Ah ! Monsieur, ce doit être
quelque chose de bien beau que la
Sainte-Écriture elle-même ! Y
a-t-il longtemps que vous l'avez ?
L'Étranger..
Je
l'ai toujours eue, cher vieillard. C'est dans ce
Livre de Dieu que ma bonne mère m'apprenait
à lire, lorsque je n'avais encore que quatre
ans.
Le
Vieillard,
avec un geste d'étonnement.
Est-ce bien possible! Et ainsi vous l'avez lue
toute votre vie ?
L'Étranger.
Et
c'est elle qui m'a montré la route de la
paix, le vrai chemin du salut.
Le
Vieillard. Le vrai chemin, dites-vous ! Le
connaissez-vous donc ?
L'Étranger.Écoutez !
Voici
ce que le Seigneur Jésus dit
lui-même : Je suis le chemin, la
vérité et la vie. Puis donc que je
connais le Seigneur Jésus, je connais le
vrai chemin. (Évangile selon Saint Jean XIV,
6.)
Le
Vieillard,
avec le plus grand intérêt.
Mais, moi aussi, je connais le Seigneur
Jésus, qui est notre Dieu ; et
cependant vous m'avez dit que je suis sur une route
trompeuse. Comment cela se fait-il ?
L'Étranger.
Ah ! cher vieillard, c'est un faux
Jésus que vous avez connu, et non le
véritable.
Le
Vieillard. Un faux Jésus ! Mais que
dites-vous donc, Monsieur ? Y a-t-il plusieurs
Sauveurs ?
L'Étranger.
Le
Jésus que je connais, moi, a sauvé
son Église pour toujours, lorsqu'il s'est
donné pour elle. Celui que vous connaissez,
au contraire, ne l'a pas sauvée, puisque
vous dites que pour être sauvé il faut
faire, non-seulement tout ce que vous avez fait,
mais plus encore.
Ceci était tout nouveau pour le
vieux berger, Il n'avait jamais encore pensé
que le Sauveur eût en effet sauvé son
Église. Aussi ne comprit-il pas ce que je
venais de dire et me pria-t-il de le lui
répéter.
Vous comprenez, lui dis-je, que si le
Sauveur que je connais a vraiment accompli, par
lui-même, tout mon salut, et pour toujours,
ce Sauveur-là n'est pas le même que
celui que vous dites connaître, puisque le
vôtre exige, pour que vous soyez sauvé, que
d'abord vous
obéissiez à l'Eglise, et qu'ainsi
vous fassiez beaucoup d'oeuvres, de
pénitences, de confessions, de
dévotions et d'offrandes. Certainement ces
deux Jésus-là sont bien
différents l'un de l'autre ; car l'un
dit c'est moi qui t'ai sauvé, et
parfaitement ; - tandis que l'autre dit :
Tu ne seras finalement sauvé par moi, que
lorsque tu auras rempli mille conditions que je
t'impose.
L'étonnement du vieillard
était extrême. Il se tut longtemps, et
enfin il me dit. Ce que vous me dites, Monsieur,
est tout nouveau, tout nouveau, pour moi. Je n'y
avais jamais pensé ; et cependant quoi
de plus clair ! Si le Sauveur que vous
connaissez a fait et accompli, comme vous le dites,
tout votre salut, il est évident que ce
n'est pas ce Sauveur-là que j'ai connu
jusqu'à ce jour ;... car il s'en faut
bien que je sois encore sauvé. Ah !
oui, il s'en faut de beaucoup. encore. Mais
ajouta-t-il, en appuyant sur ses mots,
êtes-vous bien sûr, en effet, que votre
salut soit accompli déjà ?
D'où le savez-vous, Monsieur ? Qui vous
l'a dit ?
Je lui répondis en lui lisant
quelques passages de l'Écriture. Le vrai
Sauveur, lui dis-je, comme le déclarent les
prophètes, a été
frappé, battu de Dieu et affligé. Or,
il était navré pour nos forfaits et
froissé pour nos iniquités : le
châtiment qui nous apporte la paix est
tombé sur lui, et par ses meurtrissures,
nous avons été guéris.
(Esaïe
LIII, 4, 5.) Vous le
voyez, ajoutai-je, il n'est pas dit qu'il nous
faille faire des oeuvres pour avoir la
guérison, mais que cette guérison
nous a été procurée par la
mort et les douleurs du Sauveur.
Le
Vieillard. En effet, c'est ainsi !... Par
ses meurtrissures nous avons
été guéris !... C'est
singulier, je ne l'ai jamais compris ainsi !
Et cependant que de fois n'ai-je pas
contemplé le crucifix !
L'Étranger. Oui,
mais ce crucifix-là vous représentait
un faux Jésus ; car la
Sainte-Écriture nous déclare que
Jésus a été livré pour
nos offenses, et qu'il est ressuscité pour
notre justification,
(Rom.
IV, 25, ) et le crucifix ne
vous montrait que la mort, et non pas la
résurrection, du Sauveur, Il ne vous
montrait donc pas le vrai Jésus ; car
le vrai Jésus est maintenant
ressuscité et glorieux à la droite du
Père.
Le
Vieillard,
tout pensif. C'est vrai ; c'est le
fait. Oui, le Sauveur est maintenant à la
droite de Dieu, et dans la gloire - il n'est donc
plus ce qu'il était sur la croix.
L'Étranger. Oh !
non, certainement, car sur
la croix il
était froissé, navré et
maudit...
Le
Vieillard,
vivement. Maudit ! Monsieur !
Le Sauveur fut maudit, dites-vous !
L'Étranger. Écoutez
ce que dit
l'Écriture : Christ nous a
rachetés de la malédiction, quand il
a été fait malédiction pour
nous, selon qu'il est écrit : Maudit
soit quiconque est pendu au bois.
(Gal.
III, 13).
Le
Vieillard. Eh bien ! Monsieur, je n'en
savais
rien, et cela me surprend beaucoup.
L'Étranger. Cependant
c'est la
vérité ; c'est ce que dit,
l'Écriture, et c'est le fait. C'est ainsi,
cher vieillard, que l'Eglise du Sauveur a
été rachetée : c'est
parce que le Fils de Dieu a été
maudit à la place de
l'Église.
Le
Vieillard,
tout étonné. Alors donc,
Monsieur, c'est une chose faite et non pas à
faire !.... Si Jésus
a été maudit à la place de
l'Eglise, l'Eglise donc ne sera plus
maudite ?
L'Étranger.
Hé ! non sans doute. Aussi Jésus
est-il un vrai Sauveur ; un Sauveur
réel, et non pas un fantôme de
Sauveur, selon l'opinion que vous en aviez.
Le
Vieillard. Mais, Monsieur, quel
mot !... Un fantôme de
Sauveur !
L'Étranger. Certainement
si, pour que je sois
sauvé de la malédiction, il me faut
souffrir moi-même, et dans mon corps et dans
mon âme ; si, par exemple, il faut que
je passe par des abstinences, des
austérités et de pénibles
pratiques ; s'il faut que je me mortifie, que
j'accomplisse des pénitences, ou que je
donne de mon argent, ou de ma santé ;
si je dois ensuite regarder à une absolution
telle que, si je ne l'obtiens pas, je suis
perdu ; et si même après avoir
tout fait ici-bas, il me faut encore souffrir,
après la mort, dans les flammes d'un
Purgatoire ; si tout cela, et bien plus
encore, est requis, pour que mon âme soit
délivrée de la malédiction, il
est clair que ce n'est pas encore un Sauveur que
j'ai rencontré en Jésus mais
seulement une apparence de Sauveur, et tout au plus
un aide, qui a bien fait quelque chose, mais qui
m'a laissé beaucoup plus encore à
faire.
Le
Vieillard. Quelle chose nouvelle pour
moi ! J'en suis tout surpris, en
vérité. Ainsi donc, Jésus a
vraiment, réellement, et tout-à-fait
sauvé nos âmes ?
L'Étranger. Si
Jésus, quand il était maudit de Dieu
et abandonné de lui, sur la croix,
était ainsi traité parce qu'il avait
pris sur lui, en son corps et en son âme, les
péchés de l'Eglise, Jésus ne souffrait-il pas
alors
l'enfer
que son Église aurait dû
souffrir ?
Le
Vieillard. Oh ! je comprends,
maintenant ! Jésus s'était
vraiment chargé de nos fautes, de nos
crimes, de toutes nos mauvaises oeuvres, et il
prenait, alors, sur son compte, je veux dire dans
son âme, le châtiment que
nous-mêmes nous eussions reçu en
enfer !... Oh ! que c'est
différent de ce que j'ai toujours
pensé !
L'Étranger. C'est
pour cela que l'Écriture dit deux
choses également claires - l'une, que la
plaie lui a été faite pour le forfait
du peuple de Dieu ; (Esaïe LIII, 8)
l'autre, qu'il est ressuscité pour la
justification de l'Eglise. (Romains IV,
25.)
Le
Vieillard. Dites-moi, je vous prie, ce
que signifie le mot justification.
L'Étranger. Il
signifie un pardon total, une déclaration
qu'on est juste, qu'on n'a plus de
péché. Cela veut, donc dire que
lorsque le vrai Sauveur ressuscita, tous ceux pour
qui il s'était livré, et pour
lesquels il avait supporté la
malédiction qu'ils auraient dû porter
eux-mêmes, furent reconnus et
déclarés devant Dieu,
délivrés pour toujours de cette
peine, et entièrement
acquittés.
Le
Vieillard. Oh ! quel Sauveur que
celui-là ! Oui, quel salut que celui
qui a été l'ouvrage même de
Dieu, et qu'il a fait ainsi tout entier !
C'est donc un vrai salut ; et je
m'aperçois, en effet, que ce n'a pas
été ce Sauveur-là que j'ai
prié jusqu'à ce jour.
L'Étranger. Non,
non, cher berger ! non, ce n'était pas
le vrai Sauveur, puisque pour aller à lui il
vous fallait d'abord faire certaines oeuvres, afin
de mériter par elles un salut qui, sans
elles, ne pouvait avoir lieu.
Qu'avait donc fait le Sauveur, puisque, pour qu'il
fit quelque chose pour vous, il fallait, avant
tout, que vous fissiez pour lui ces oeuvres ?
- Quoi, mon ami, vous disiez qu'un bienfaiteur vous
avait sauvé de la prison en payant vos
dettes, et cependant vous ajoutiez qu'il fallait
d'abord que vous fissiez telle ou telle
chose ! Quelle ridicule condition ! Si
votre dette avait été payée,
n'était-ce pas fait et fini ?
Fallait-il donc que vous fissiez de votre
côté quelque chose pour qu'elle se
payât mieux ?
Le
Vieillard. Ainsi donc, Monsieur, je me
suis tourmenté pour néant ! Tout
ce que j'ai voulu faire pour mériter mon
salut, n'a donc été qu'un reniement
de ce qu'avait déjà fait le
Sauveur ! ! Je vous assure que cela
m'effraie. Car si, en effet, le Sauveur a
été maudit pour mes
péchés, et qu'il m'ait
justifié devant Dieu par sa
résurrection, n'ai-je pas renié ce
qu'il a fait, lorsque j'ai cherché à
me sauver moi-même par mes devoirs, mes
oraisons, mes aumônes, mes jeûnes, et
tant d'autres choses ?
L'Étranger.
L'Écriture dit que ceux qui cherchent
à se justifier par leurs oeuvres,
anéantissent pour eux la croix de Christ, et
qu'ils demeurent ainsi dans leurs
péchés. Le salut, dit-elle, est une
grâce, un don de Dieu ; il ne vient pas
de l'homme ; il n'est pas par les oeuvres,
afin que personne ne se glorifie. Car,
ajoute-t-elle, si c'est par grâce, ce n'est
donc plus par les oeuvres ; autrement la
grâce ne serait plus grâce. C'est
pourquoi Christ est nul à l'égard de
ceux qui veulent se justifier par leurs oeuvres, et
ils s'ont déchus de la grâce. Cela est
assez positif. n'est-ce
pas ?
(Éphésiens
II, 4-9. Romains
XI, 6. Galates
II, 21 ; V,
4.)
Le
Vieillard,
en souriant, mais avec gravité.
Ainsi donc, mon cher Monsieur, c'était moi,
et non pas vous, qui avais perdu ma route !
(Solennellement) Hélas ! j'étais
égaré, vraiment ; ah ! bien
égaré, loin, bien loin, du Sauveur.
Quelle erreur ! Quelle fausse route !
Quel chemin. trompeur ! Hé !
Monsieur, je le vois, je fuyais toujours plus le
salut, tout en cherchant à le gagner.
L'Étranger.
Ce
salut est en Jésus, en lui seul, et il y est
tout entier. C'est donc en Jésus que votre
âme doit le contempler et le saisir.
Le
Vieillard,
un peu surpris. Mais, n'est-il pas en
moi, puisque le Seigneur Jésus l'a
déjà fait ?
L'Étranger.
Cher
ami, comprenez que l'eau que nous voyons couler
là, toute limpide et toute fraîche
qu'elle est, n'étanchera, pas notre soif, si
nous nous bornons à là trouver et
à la contempler. Il faut, que l'eau soit
bue, n'est-ce pas, pour qu'elle restaure le
voyageur fatigué ? - bien ! il en
est de même du Seigneur Jésus et du
salut qui est en lui. C'est peu de chose de l'avoir
découvert, et de le contempler : s'il
n'est reçu dans l'âme, l'âme
n'en est pas restaurée. Pour que
Jésus nous vivifie, il faut que Jésus
soit en nous.
Le
Vieillard,
avec intérêt. Et pour cela,
je vous prie, que faut-il que je
fasse ?
L'Étranger.
Il
faut que vous croyiez en lui, sincèrement,
dans votre coeur, et qu'ainsi votre coeur
reçoive en lui le Sauveur, comme le don de
Dieu, et nullement ni en quoi que ce soit, comme
ayant été mérité par
vos oeuvres ou vos pratiques ; en un mot,
comme une grâce
souveraine de la miséricorde de
Dieu.
Le
Vieillard. Monsieur, comme cela nous
humilie !
Comme cela nous fait sentir que le salut ne vient
pas de nous !
L'Étranger.
Non,
il ne vient pas de nous. Le salut est par la
foi ; et la foi est un don de Dieu : elle
est, comme dit l'apôtre Saint Jude,
donnée une fois pour toutes aux saints,
c'est-à-dire à ceux que le bon
plaisir de Dieu a élus et mis à part.
(Jude,
3.)
Le
Vieillard. C'est donc comme un don gratuit, et non
mérité, que je dois recevoir le
pardon de mes péchés, et c'est
uniquement par Jésus, et en
lui ?
L'Étranger.
Dieu
n'a jamais sauvé le pécheur
autrement. Ici l'homme ne peut se glorifier. La
gloire du salut est tout entière à
celui qui a sauvé ; savoir, à
Dieu, en Jésus-Christ. Quiconque le cherche
autrement, ne le trouve pas, et il demeure dans son
péché.
Le
Vieillard,
avec sentiment. Ah ! Monsieur, bien
insensé est l'homme qui, quand Dieu lui
donne ainsi le salut, le refuse, et prétend
se le procurer lui-même ! Dieu me garde,
maintenant, d'une telle
incrédulité ! Je croirai donc au
salut qu'à fait Jésus, et ainsi,
puisque Dieu le promet, j'aurai tout mon
pardon.
L'Étranger.
Oui,
vous l'aurez, si c'est ainsi, Je veux dire par la
foi de votre coeur en Jésus et à la
promesse de Dieu, que vous le cherchez ; et
ainsi s'accomplira pour vous cette belle parole,
qu'étant justifiés par la foi, nous
avons, la paix avec Dieu par Notre Seigneur
Jésus-Christ.
(Romains
V, 1.)
Le
Vieillard
avec joie. il me sera
donc bon de
vivre, maintenant, puisque je saurai que mon Dieu
m'a tout pardonné ! Oh ! quelle
autre existence je vais trouver pour le reste de
mes jours ! Je n'aurai donc plus peur de Dieu,
ni de sa colère, ni de son
jugement !... Ah ! je vois, je vois
à présent pourquoi vous vous
réjouissez de quitter ce monde. Dieu de
bonté ! comment ne pas se
réjouir d'aller vers vous, qui nous avez
rachetés !!
L'Étranger.
Et
comment aussi, pendant que nous vivons encore
ici-bas, ne pas nous appliquer à toute bonne
oeuvre, pour plaire à un tel bienfaiteur,
à notre Père céleste ;
à notre bon et fidèle
Sauveur !
Le
Vieillard. Ah ! je comprends encore
ceci. Et quel bonheur n'est-ce pas ! Oui, je
vois que c'est pour plaire à notre Dieu,
à notre Sauveur, et par reconnaissance pour
son amour, que nous devons vivre saintement !
Oh ! que cela m'est clair à cette
heure !
L'Étranger. Cher
ami ! la sainteté est le fruit du
Saint-Esprit dans un homme qui a reçu de
Dieu son pardon. C'est l'amour de Dieu envers ce
pauvre pécheur reçu en grâce
qui produit dans son coeur renouvelé et en
paix, l'amour qu'il aura toujours pour son Dieu et
son Sauveur ; et cet amour-là se
plaît aux commandements de Dieu et s'efforce
de les garder. Si vous m'aimez, dit le Seigneur
Jésus à ses vrais disciples, gardez
mes commandements.
Vous serez mes amis, si vous faites tout
ce que je vous commande.
(Jean
XIV, 15, 21 ;
XV, 14.)
Le
vieillard
joignit ses mains, et en les appuyant sur sa
poitrine, il dit, avec adoration :
Quelle amitié que celle du Sauveur !
Quel bonheur de la connaître et de la
conserver ! Amen ! amen !
donc !
Oui, que je garde, maintenant, ses
commandements, pour lui montrer que je
l'aime !
Dans ce moment le petit garçon
qui avait amené la chèvre, revint en
courant. Il tenait dans sa main un petit paquet,
qu'il remit au vieillard, en lui disant :
Grand-père, voilà ce qu'Isabelle m'a
donné, elle l'a mis dans ce papier, et elle
m'a dit de vous l'apporter bien vite, et en
courant. Voyez. Tout y est bien.
Oui, mon garçon, dit le berger,
après avoir déplié le papier
et compté la somme qu'il renfermait. Il n'y
manque rien, et tu as bien fait ta commission. -
Mais, ajouta-t-il, en se levant, et en regardant
vers le ciel : Que de choses se sont
passées depuis que cet argent-ci a
été voué, jusqu'à cette
heure où je le reçois !
C'était pour en acheter mon salut, que je
l'avais promis ; et maintenant que mon salut
m'a été donné, et sans argent,
ni aucun autre prix, que ferai-je de cette
somme ?
Elle appartient à Dieu, lui
dis-je, et vous la lui rendrez avec reconnaissance,
en la remettant à votre prochain, pauvre et
nécessiteux. Et en la donnant, vous vous
souviendrez que comme Christ, qui était
riche, s'est appauvri pour vous enrichir, vous
aussi, vous devez, par amour pour lui, compatir aux
maux et aux besoins des malheureux. Vous le ferez
donc, non pas pour mériter, par cette
oeuvre, que Dieu vous pardonne, mais parce que
Dieu, qui vous a tout pardonné en
Jésus, prend plaisir à de tels
sacrifices.
Le vieillard réfléchit
quelques moments, puis il dit, avec
sérénité : Hé
bien ! qu'Isabelle, qui est une pauvre veuve,
ait donc la chèvre, comme moi j'ai mon salut, je
veux
dire, comme un don, comme une grâce qui ne
lui coûte rien.
Tiens, donc, mon enfant, dit-il en
replaçant l'argent dans le papier, reporte
ceci à Isabelle, à qui tu diras que
je lui donne la chèvre; oui, que je la lui
donne, et que je lui expliquerai tout cela quand je
la verrai.
L'enfant disparut en courant. Le
vieillard m'accompagna jusqu'au petit pont du
ruisseau. Là, il s'arrêta, et avec une
expression de visage et de voix que je n'oublierai
jamais, il me dit : Quand vous vous êtes
trompé de route ici, vous ne saviez pas,
mais Dieu le savait! que c'était pour venir
me dire que moi aussi j'avais perdu la bonne route,
et pour me conduire à celle qui va me mener
à mon Dieu. Que ce bon Dieu m'y garde,
maintenant, et qu'il m'y fortifie !
Prenez donc, lui dis-je, et d'un coeur
tout ému, prenez, je vous prie, et lisez
chaque jour ce livre de notre Dieu et Sauveur.
C'est lui, et non pas moi, qui vous a
montré, comme dit un Prophète, que
ceux qui vous guidaient vous avaient fait
égarer, en vous faisant perdre la route de
vos chemins,
(Esaïe,
III, 12,) et c'est lui
qui désormais vous conduira, par le conseil
du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vous
reçoive en sa gloire.
(Psaume
LXXIII, 24.)
Le vieillard reçut le Livre, il
s'inclina en le baisant, et ses larmes, qui
descendirent sur ses joues sillonnées,
dirent plus éloquemment que toute parole
combien son âme était heureuse et
reconnaissante.
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