La veuve très-âgée
d'un honnête artisan venait de mourir. Nous
nous rendîmes, mon Ami et moi, vers
André et Claire ses enfants, que nous
trouvâmes près du lit de leur
mère.
Votre excellente mère s'est
endormie, dit mon Ami, en entrant dans l'humble
demeure.
Ah ! ce n'est pas, il est vrai,
une
mort, répondit Claire, en nous recevant.
Cette bonne mère s'est en effet endormie sur
le sein du SAUVEUR, qu'elle attendait, et qui
n'à pas tardé.
Mon
Ami. Ce fut avant-hier que je lui
parlai, pour la dernière fois. Vous
étiez absente, Claire ; mais je pense
qu'André vous a dit ce que fût notre
conversation.
Claire.
Notre
mère ne vous dit-elle pas alors, qu'elle
était aussi sûre d'aller vers
JÉSUS, qu'elle l'était que vous lui
parliez ?
Mon
Ami. Je lui demandai si elle
n'éprouvait pas quelque crainte, au moment
d'entrer dans l'éternité, et de se trouver, en
personne,
devant ce DIEU saint et juste, dont « les
yeux sont trop purs pour voir le mal. »
Après quelque réflexion, elle me
dit : Oui, je vais entrer dans
l'éternité, et l'oeil de DIEU me
sondera. Mais mon âme a toute sa paix ;
car il m'a tout, pardonné. Je suis bien
sûre, ajouta-t-elle, que vous êtes
près de moi ; hé bien ! je
sens en mon coeur, que je suis encore plus
sûre que « JÉSUS mon
Rédempteur est vivant, et que je verrai sa
face.... Oui, moi-même, et non pas un
autre ! »
0 ! foi du Chrétien !
c'est ainsi que tu te montres « la
subsistance des choses qu'on espère, et la
démonstration de celles qui ne sont point
vues ! » C'est ainsi que ton
témoignage s'élève au-dessus
de celui des sens, et donne une existence plus
ferme aux promesses de DIEU, qu'à l'objet
que les yeux contemplent et que les mains ont
touché ! Mes sens peuvent me tromper,
dit le fidèle, mais ta Parole, Ô
SOUVERAIN ! est infaillible. Que
l'incrédule sourit ou qu'il se moque :
l'enfant de DIEU n'en possède pas moins ce
qu'il a reçu de son Père, et
« l'éternelle sagesse est
justifiée par ceux qu'elle
enseigne. »
André prit alors une vieille
Bible, qui était sur une table, près
du chevet de sa mère. Voici, dit-il, le
présent que notre bonne mère
reçut de la sienne dans son enfance. Voyez
comme les feuillets en sont usés ! Que
de fois ils ont été lus !
Ah ! c'était un bon temps que celui
auquel on imprimait. de telles Bibles ! Il y a
bientôt cinquante ans que ma bonne
mère m'apprit à y lire ; et que
de fois elle m'a raconté,
comment son père et sa mère la
lisaient et l'expliquaient à leurs
enfants !
Regarde, Claire ! voici mon nom
que
notre mère écrivit de sa main
à côté de ce passage de
l'Ecclésiaste, qui est le, premier du
dernier chapitre. Ce fût le jour où je
quittai la maison pour voyager. Cette bonne
mère, après avoir prié avec
moi, m'indiqua ce passage et me dit : Si je ne
te revois pas, mon fils, et que j'aille vers DIEU
avant que tu reviennes ici, tu te souviendras que
ta mère t'a conjuré de consacrer ta
vie, dès la jeunesse, à ton SEIGNEUR
et SAUVEUR, et de marcher selon ses lois, au milieu
du monde.
Ainsi, dis-je à André,
« quoique morte, votre mère vous
parle encore par ce livre de vie ! - Mais
dites-nous, quels ont été ses
derniers moments ? A-t-elle vu approcher son
départ, ou plutôt son
arrivée ; car quitter ce monde, pour le
chrétien, c'est entrer au ciel ; et
s'en est-elle réjouie ?
André.
Ma
mère était très-grave, comme
vous le savez, et elle usait de peu de paroles.
Hier matin, après un long assoupissement,
elle ouvrit les yeux et me dit : Encore
ici-bas ! J'avais cru que mon Dieu, allait
venir.. Amen donc, SEIGNEUR !
Elle reprit alors quelques forces,
qu'elle employa à donner de sérieux
avertissements à la fille aînée
de notre voisin ; puis, pendant le jour, elle
se fit lire plusieurs psaumes, dans la Bible, et
vers le soir, elle retomba dans un demi-sommeil,
qui, ne l'a quittée que ce matin, avant le
point du jour.
Mon
Ami. C'est alors que son âme est
allée vers DIEU ?
Claire.
Ah ! il
devait y avoir encore pour elle une épreuve
ici-bas. Notre mère venait de me faire lire la fin
du XVIe chapitre
de
la première épître de St-Paul
aux Corinthiens ; et comme je
prononçais les mots : « Or
l'aiguillon de la mort c'est le
péché, et la puissance du
péché c'est la loi, » elle
a poussé un cri d'effroi, et a dit avec une
grande angoisse : 0 DIEU de mon salut !
me jugerais selon mes oeuvres ! - Puis en
pleurant abondamment, elle appelait JÉSUS
comme s'il se fût éloigné
d'elle.
A-t-elle donc douté de son salut,
demandai-je.
Claire.
Non, non ;
pas un seul instant ; car elle a
répété, à deux
reprises : DIEU de mon salut ! me
cacheras-tu plus longtemps ta face !
JÉSUS ! remporte victoire ; car tu
es le rocher de mon âme. - Oui, a-t-elle
repris avec calme, c'est en TOI que je m'assure. Je
crois en TOI, SAUVEUR béni, FILS bien
aimé du PÈRE, et je te remets mon
âme que ton sang a lavée.
André.
Pour moi,
je dois l'avouer, j'ai ressenti un grand trouble,
et je me suis demandé s'il se pouvait que la
promesse de Dieu fût chancelante ? -
Hélas ! je détournais mes yeux
de ce que dit le Seigneur, et j'oubliais sa
fidélité.
Claire.
Notre bonne
mère est sortie de cet état
d'épreuve avec une joie étonnante. Le
jour commençait, et la montagne que nous
voyons d'ici, était déjà toute
brillante. Ma mère m'a commandé
d'ouvrir la fenêtre, et avec un doux sourire,
elle nous a dit : Mes enfants, « les
rayons du soleil de justice sont plus brillants
encore. Voici le beau jour de
l'éternité, qui naît pour
moi : « JÉSUS est
l'ÉTERNEL DIEU, le roi de la gloire,
adorez-le à genoux ! Oui ; les
anges l'adorent !
Alors nous avons cru qu'elle nous avait
quittés, car elle n'a plus
rien dit pendant quelques moments. Je la tenais
contre mon coeur ; elle a rouvert les yeux et
m'a dit, en me regardant :
« Maintenant laisse-moi, chère
enfant, laisse ta mère aller Vers son
DIEU ! Le voici, il vient. Oh ! que le
SEIGNEUR est bon ! »
Ces mots ont été la fin de
ses paroles, et sa respiration s'est
arrêtée presque au même
moment.
Oh ! qu'il serait bon à
celui qui doute de la puissance de la Foi,
d'être témoin du départ d'un
enfant de DIEU pour la maison de son
Père ! Il se convaincrait alors que la
persuasion du fidèle n'est pas de
l'enthousiasme, et que son espérance n'est
pas imaginaire. il y verrait comme les
premières, lueurs du ciel, et il y
entendrait des paroles qui n'appartiennent plus
à la terre. - Mais le monde repousse ces
témoignages, parce qu'ils
s'élèvent contre lui.
Claire achevait son récit et nous
allions prier ensemble, lorsque nous vîmes un
monsieur, richement vêtu, traverser le petit
jardin d'André et s'approcher de la maison.
- C'est M. N., s'écria Claire tout
émue. As-tu quelque ouvrage à lui
rendre, André ?
La porte s'ouvrit, et ce monsieur
demanda d'une voix haute si l'on n'avait pas une
chèvre qui pût fournir du lait
à une personne malade.
André voulut s'approcher pour
répondre, et nous lui fîmes passage en
nous levant. M. N. nous aperçut, et en
s'inclinant il nous dit : Je ne vous ai point
vus, Messieurs, et je vous prie...
Mais, est-il possible !... Un
mort
dans ce lit !
André. C'est ma
mère. Elle a
quitté ce monde, il n'y a que quelques
heures.
M.
N. J'en suis fâché, je vous
assure, car c'était une bonne femme. Mais
que ne m'a-t-on fait savoir sa maladie : on
eût pu lui fournir de chez moi mille petites
choses. Maître André, vous deviez nous
avertir.
Claire. Bien
obligé., Monsieur.
Grâce à Dieu, notre mère n'a
manqué de rien.
M.
N. Elle vient d'accomplir une belle vie. je
crois, en vérité, qu'elle avait
près de quatre-vingt-dix ans. Savez-vous,
messieurs, que c'est un privilège, qu'un tel
âge !
Mon
Ami. Surtout, Monsieur, lorsqu'il est
couronné de la gloire que donne la foi en
Jésus.
M.
N. en
prenant sa tabatière d'or, qu'il fait
tourner entre deux doigts. Oui, oui,
c'était une digne femme. Je crois,
certes ! qu'elle a été douze ou
quinze ans au service de mon père. Ah !
ses gens étaient formés à la
moralité la plus stricte... Et, je vous
prie., combien de jours a-t-elle été
malade ? Ne l'ai-je pas vue à la
dernière communion ?
André. Oui,
Monsieur ; quoiqu'elle
fût déjà très-faible,
elle désira cependant
célébrer, encore une fois sur la
terre, l'amour de DIEU SON SAUVEUR.
M.
N. Fort bien ! Ces principes lui
faisaient honneur. De quelle maladie est-elle donc
morte ; car elle était verte encore, et
rien n'annonçait cette fin soudaine.
Mon
Ami. Je ne pense pas Monsieur qu'elle ait
regretté de résigner la vie, ni que
son grand âge ait prévenu son
« désir de
déloger. »
M.
N. avec
quelque agitation. Cependant, Monsieur,
quelque sublime que puisse être l'immortalité (car
chacun
sait qu'il doit y en avoir une), il me semble
que.... je vous le dirai tout franchement, le plus
tard qu'on s'y rend, ce n'est que le mieux.
Ce fut donc ainsi que tu t'exprimas,
ô créature de DIEU ! Tu pus
dire : Le plus tard que je rencontrerai Celui
qui m'a faite, ce ne sera que le mieux ! -
Ah ! si la brute, qui paît l'herbe des
champs, pouvait sentir et parler, ouvrirait-elle sa
gueule pour maudire l'ÉTERNEL, et lui
dire : Tiens-toi loin de moi ?
Mais l'homme est ennemi de DIEU, et il
le hait en son coeur. Qu'on écoute les voeux
mutuels que s'adressent les hommes, et l'on
entendra que le plus fréquent et le plus
sincère de tous est que cette terre les
retienne le plus longtemps possible, et s'il se
pouvait, toujours.. - Oh ! quelle joie
éclaterait dans leurs familles, si cette
bonne nouvelle y était apportée,
qu'il n'est plus obligatoire de quitter ce monde,
et que jamais on ne sera contraint d'aller vers
DIEU !
Affreux bouleversement ! que
l'hypocrisie s'efforce en vain de dissimuler.
Révolte insigne et réfléchie
du coeur ! que mille ruses et mille paroles
trompeuses s'étudient à colorer de
quelques dehors de dévotion, parce que la
décence les ordonne et que de
secrètes terreurs les entretiennent. -
Oh ! si le monde l'osait, ce serait à
son de trompe, sur les places et les carrefours,
qu'il publierait qu'il ne craint pas
l'ÉTERNEL, et qu'il ne se soucie plus des
cieux. -0 SEIGNEUR ! « ils t'ont
haï sans cause. »
Le plus tard possible ! reprit
mon
Ami avec calme, mais en appuyant sur les mots,
Cependant, ce n'est pas un
inconnu, et ce n'est pas un ennemi, non plus, qui
« habite dans l'immortalité! »
C'est notre CRÉATEUR, c'est notre DIEU.
Pourquoi donc redouter sa bienheureuse
présence?
M. N. tira sa montre et bégaya
quelques mots d'excuse sur l'impossibilité
où il se trouvait de prolonger l'entretien.
Il s'arrêta, cependant, sur la porte, et dit
à mon Ami : « Je suis
entièrement de votre avis, Monsieur; mais
j'ai soin d'éviter toute discussion
théologique. Une telle dispute devient
très-vite une querelle. »
Mais, Monsieur, lui dis-je avec douceur,
nous sommes, je m'assure,
très-éloignés de toute vaine
dispute sur un sujet que la présence de ce
mort a seule introduit, et qu'elle rend
très-solennel.
Je suis loin de m'y refuser,
répondit M. N. en rentrant dans la chambre,
et en s'asseyant. Ne pensez pas, Messieurs, que je
sois étranger à la Bible. Je la lis
aussi ; et peut-être puis-je parler de ce
qu'elle renferme.... Mais, que vous dirai-je? je
crains le fanatisme religieux; et toute
exagération sur une telle matière me
semble être l'entrée de mille
débats à la fois
très-dangereux et interminables,
Mon
Ami. Je ne pense pas que j'aie
dépassé la sobre mesure de la
piété, dans ce que j'ai pu dire sur
la paisible espérance d'un chrétien
qui part pour l'éternité, «
où il lui tarde de voir son
RÉDEMPTEUR ! »
M.
N. Mais, Monsieur, permettez-moi de vous
demander, si ce désir de quitter la vie est
dans la nature. - C'est DIEU qui nous a
donné cette vie; elle est donc bonne; et il
ne nous a pas assigné un séjour
embelli de mille charmes et il n'a pas mis en nous
ces sentiments
variés qui nous attachent doucement, soit
à ce domicile, soit à ceux qui
l'occupent avec nous, pour que nous le couvrions
d'un voile lugubre, et que nous n'ayons d'autre
désir que de le fuir à jamais. Non,
Monsieur, cela n'est pas naturel ; et ce qui
s'éloigne de la nature ne saurait être
ni vrai, ni bon.
Mon
Ami. Vous m'accorderez, cependant, que le
prisonnier, tout soumis qu'il peut être
à l'ordre de son roi, qui le retient sous
les verrous, ne sera coupable ni de
rébellion, ni de fanatisme, s'il se
réjouit quand on le tire de sa sombre
demeure, pour l'installer dans le palais même
de son souverain.
Réflexion si simple et si
vraie ! - Mais qui veut la comprendre ? -
Ah ! s'il s'agissait d'un héritage
terrestre ou d'un titre de noblesse, chacun s'y
rendrait attentif, et le souhait de l'obtenir
serait réputé sagesse. Mais c'est de
« l'héritage des saints dans la
lumière, » c'est du
« titre et de l'apanage des enfants de
Dieu, » que parle l'Évangile, et
chacun, ou à peu près, demande avec
indolence : Qu'est donc cet héritage,
pour que je doive le désirer !
André et Claire paraissaient
souffrir beaucoup de cet entretien. Pour moi, je
contemplais en mon esprit les deux conditions
spirituelles de ce fiche incrédule, et de
ces pauvres croyants, et elles s'offrirent,
à ma pensée, sous un emblème
qui me frappa. Il me semblait qu'ils se trouvaient
ensemble sur un même et vaste radeau, qui
portait la splendide demeure de l'homme opulent,
et, tout près d'elle, la
chétive cabane du pauvre. Je voyais dans
celle-ci le saint Livre de Dieu ouvert, et les deux
disciples du CHRIST tressaillant
d'allégresse à sa lecture. Chez le
riche, au contraire, je n'apercevais que quelques
feuilles du Livre éternel, qui servaient
d'enveloppe aux écrits des romanciers et des
philosophes, que l'adorateur du mensonge
dévorait avec une orgueilleuse complaisance.
Le radeau descend incessamment, quoique sans
secousse, un fleuve immense, et le courant,
à chaque moment plus
accéléré, s'incline vers un
gouffre. Un noir rocher s'élève sur
le bord de l'abîme : le fil de l'eau
emporte et fait tournoyer le radeau, qui se brise
« comme un vase d'argile »
contre la sombre pierre ; et deux longs cris
s'élèvent des deux demeures
renversées : de celle du riche
incrédule, un cri d'horreur et de
mort ; de celle des pauvres
chrétiens.... un
Alléluia !
Telle fut ma rapide pensée, et je
me sentis pressé du charitable besoin de
secourir mon semblable. Je dis donc à M.
N. : Vous avez cependant lu, dans la Bible,
que l'éternité est bien près
de chacun de nous, et que la gloire et la
félicité y seront le partage des
enfants de DIEU !
M. N. me regarda fixement, et me
dit : Mais qui me fera connaître mon
éternité, oui, ce que deviendra mon
âme, quand mon corps sera.... comme est
celui-ci ?
Hé ! je vous prie, lui
répondis-je avec chaleur, qui le fit
connaître à cette pauvre femme, qui
tant de fois s'est réjouie de la promesse
infaillible qu'elle avait de cet héritage,
que son âme saisit maintenant ?
Où puisa-t-elle cette persuasion victorieuse, qui
la fit
sourire
à l'approche du frisson de la
mort ?
M.
N. Ah ! l'imagination excitée,
l'habitude de certaines émotions,
l'impulsion des sentiments d'autrui, et mille autre
causes physiologiques, produisirent dans tous les
temps et dans toutes les croyances, des
ravissements et des extases, qui ne prouvent autre
chose, peut-être, que la mobilité de
nos nerfs et l'empire des sens sur notre être
moral.
Mon
Ami. Mais, Monsieur, est-ce bien
sérieusement que vous assimilez les
convulsions d'un visionnaire aux enseignements de
la Souveraine Sagesse, et tes mouvements des nerfs,
au témoignage que le SAINT-ESPRIT donne
à l'enfant de DIEU, qu'il est aimé de
son Père ?
M.
N. Je vois, Monsieur, que vous
possédez cette conviction ; et
peut-être dois-je vous nommer heureux ;
mais, enfin, si je ne l'ai pas, moi, me
blâmerez-vous parce que je ne l'estime pas
aussi haut que vous le faîtes ?
J'allais prendre la parole, et
peut-être heurter inutilement l'esprit de ce
sage du monde, lorsque je me rappelai cette parole
d'un Apôtre : « L'homme animal
ne peut comprendre les choses qui sont de l'ESPRIT
de DIEU, elles lui paraissent folie, parce que
c'est spirituellement qu'on en juge. » Je
repoussai donc toute impatience ; et ne voyant
dans cet homme incrédule, que mon
infortuné compagnon de voyage sur la terre,
que mon semblable, encore égaré dans
un chemin que j'avais aussi tenu, je lui parlai de
la grâce de DIEU en ces termes :
DIEU est tout bon ; il est plein
de
miséricorde, et « ses compassions
s'élèvent par-dessus toutes ses
oeuvres. » Il pardonne les offenses, et
il efface nos iniquités : Nul
pécheur n'est, à ses yeux, trop
criminel : car « où la faute
abonde, là surabonde sa
gratuité. »
M.
N. C'est là ma croyance,
Monsieur ; et je hais une religion farouche,
dans laquelle on ne me parle de DIEU, que comme
d'un être exterminateur, toujours armé
de foudres et de vengeances. Je ne puis admettre
qu'une seule de ses créatures ait
été faite pour le malheur ; ni
que tel ou tel peuple, telle ou telle
société, possède le
privilège d'un salut, qui ne serait pas, et
également, le partage de tous.
DIEU est tellement miséricordieux
et charitable, continuai-je, qu'il a
« donné même son FILS unique
et bien-aimé, » pour le salut de
créatures telles que nous. Ni son bonheur,
cependant, ni sa gloire n'étaient
intéressés à ce que nous
eussions l'éternelle vie. - Si l'âme,
qui vient de quitter ce froid cadavre, au lieu
d'entrer dans la lumière des cieux,
eût été soumise au
châtiment que ses oeuvres terrestres avaient
justement mérité, la sublime
béatitude de l'Éternel n'en eût
pas été atteinte. Et cependant,
recherchez à quel prix cette âme a
été rachetée.
M.
N. regarda
quelques moments le visage immobile du cadavre,
puis il se passa une main sur le front comme fait
un homme inquiet ; enfin il poursuivit
ainsi : Sans doute l'oeuvre que
JÉSUS-CHRIST a faite, a été
admirable. Son exemple et sa morale sont au-dessus
de tout éloge ; et le mouvement que la
doctrine, toute nouvelle, de la rédemption a
imprimé au genre humain, n'a
pasété un faible
moyen de prouver le perfectionnement qui conduit
l'homme à une existence plus
complète. À cet égard je suis,
je pense, de votre avis, Messieurs !
Notre avis est... la Foi ;
répondit mon Ami avec dignité.
C'est-à-dire que nous croyons que
« JÉSUS-CHRIST est DIEU, au-dessus
de toutes choses béni éternellement.
Oui, l'ÉTERNEL-DIEU manifesté en
chair. »
M.
N. en
rougissant, et avec un peu de
dépit : C'est votre
opinion... Ce n'est pas à moi à vous
l'ôter ; mais... ce n'est sûrement
pas la mienne.
Mon
Ami, avec
la même dignité et beaucoup de
douceur. Notre Foi, Monsieur, n'est
point une opinion. Ce que nous croyons, nous le
croyons parce que DIEU le dit, et nullement parce
que nous l'avons pensé.
M.
N. Et où DIEU dit-il que
JÉSUS-CHRIST Soit DIEU ?
Mon
Ami, en
prenant la Sainte-Bible. Dans toute
cette Parole de Vérité : d'un
bout à l'autre. Il faut certainement ne
l'avoir pas ouverte, ou la mépriser, pour ne
pas y voir que le SAUVEUR, le SEIGNEUR
JÉSUS, est le Roi, l'ÉTERNEL des
armées ; le DIEU FORT, et le
PÈRE D'ÉTERNITÉ ; qu'il a
fondé la terre dès le commencement,
et que les cieux sont l'ouvrage de ses mains ;
et qu'il est, lui, le Vrai DIEU et la vie
éternelle ; le premier et le
dernier. » (1)
M.
N. Ah !... il serait
peut-être facile de prouver le contraire par ce
même
livre, en prenant, ainsi, quelques paroles
isolées...
Mon
Ami
présenta le Livre de DIEU au philosophe, et
lui dit en s'inclinant : Avec tous
les égards que je vous dois, Monsieur, mais
aussi avec connaissance de cause, je vous
défie de le faire.
M.
N. fronça le sourcil, et dit
à demi-voix Après tout
qu'importe ?
Laissez-moi vous dire, reprit mon Ami,
que ce n'est pas une chose
légère ; car, certainement, si
vous ne croyez pas que JÉSUS est DIEU, vous
n'avez pas la vie éternelle.
La vie éternelle !
s'écria le philosophe : Qui me la
refusera, si j'ai bien vécu ? Mon
intégrité n'est-elle pas suffisante
pour m'ouvrir le ciel ?
André et sa soeur
tressaillirent ; et mon Ami montrant de sa
main la Bible, reprit avec vivacité :
Et « le sang de l'alliance
éternelle, » l'oubliez-vous ?
Ou bien n'a-t-il plus de valeur ?
Je ne nie pas, dit M. N. en baissant les
yeux et avec un embarras visible, que la mort de
Jésus-Christ n'ait été le plus
beau sacrifice que la vérité se soit
jamais offert à elle-même ; ni
que nous devions de la reconnaissance, autant que
de l'admiration, à ce héros de
patience et de charité, et à ce
bienfaiteur magnanime... Mais, je ne crois pas,
qu'il soit besoin que j'offre à l'Être
Suprême d'autre réparation de mes
fautes, si j'en ai commis, que mon propre regret et
la droite résolution de les éviter
dans la suite.
À ces mots, Claire sortit de la
chambre, et André, ouvrant la Bible, posa le
doigt sur un passage qu'il montra à mon Ami.
- « C'est cela
même ! » dit
celui-ci ; et M. N. en s'approchant du Livre,
demanda ce que c'était.
« Si notre Évangile est
encore voilé, lut André d'une voix
forte et assurée, il ne l'est que pour ceux
qui périssent ; desquels le dieu de ce
siècle a aveuglé les entendements,
afin que la lumière de l'Évangile de
la gloire de CHRIST, lequel est l'image de DIEU, ne
leur resplendit point. »
(2.
Cor. IV. 3.4.)
M.
N.
rougit ; mais feignant de ne pas sentir le
reproche, il répondit :
C'est le cas de plusieurs, je n'en doute pas. Mais
heureusement n'est-il pas nécessaire de
comprendre toutes ces vérités
abstruses. Pour moi, je suis parfaitement
tranquille.
Quelle est donc votre
espérance ? lui dis-je alors, avec un
véritable intérêt.
Mon espérance, répondit-il
en me remerciant d'un sourire, est dans la justice
de ce DIEU qui m'a mis sur la terre ; qui m'a
donné mes passions, et aussi ma mesure de
sagesse. Si j'ai failli, je ne l'ai fait que sur
mon propre terrain ; il est donc impossible
que je tombe de ce petit espace, dans l'abîme
incommensurable d'une éternité de
misères.
Cependant, repris-je avec la même
affection, vous avez fait le mal ; et la
Vérité de DIEU déclare que
« le salaire du péché c'est
la malédiction, c'est l'obscurité du
dehors, c'est cette condamnation où leur ver
ne meurt point et où leur feu ne
s'éteint point ! (2)
0 Parole de Dieu ! que tu es
puissante ! « Plus
pénétrante qu'une épée
à deux tranchants, tu atteins jusqu'à
la division de l'âme et de l'esprit, et tu
manifestes les pensées et les intentions des
coeurs. » Ta vérité force
l'homme à découvrir ou sa ruse, ou sa
malice, et elle fait sortir de ses
ténèbres le sentiment qu'il y
nourrissait en silence ! - Oui, quand les
arrêts de la Sagesse éternelle
rencontrent de front les opinions humaines, il
faut, ou que l'homme s'humilie et donne gloire
à la bouche de DIEU, ou bien qu'il repousse
et renie le témoignage de
l'ÉTERNEL.
M.
N. douta d'abord de la
réalité de ce témoignage, et
dit : Je n'ai jamais vu dans la Bible ce que
vous venez de dire.
Mon Ami ouvrit le Code immuable de
l'immuable Vérité, et montra les
déclarations formelles que j'avais
produites. Alors l'HOMME SAGE y jeta les yeux, et
se levant avec fierté, il prononça
cette condamnation contre lui-même :
Puisque de telles maximes, et d'aussi
épouvantables sentences sont en ce
livre-là, je refuse de le recevoir et je nie
qu'il soit la Vérité.
Mon Ami ferma le Livre aussitôt.
Nous nous levâmes ensemble, et nous nous
tînmes debout devant l'incrédule, et
en silence. Il comprit notre geste ; et sans
nous saluer, il sortit de la maison.
Que je suis contente que notre bonne
mère n'ait pu l'entendre ! dit Claire
en rentrant avec nous.
Chère mère ! que tu
es heureuse d'être hors d'un monde où
se disent de telles
impiétés !
André.
Voilà donc le résultat final de cette
belle philosophie dont le monde se vante !
DIEU soit béni de ce que nous l'entendons si
rarement !... Le malheureux ! ... il a
rejeté la parole de l'ÉTERNEL !
...
En quoi donc serait-il
sage ? »
(Jérémie
VIII,
9.)
Et cependant, dit mon Ami avec
gravité, c'est une âme
immortelle ! - Immortelle ! Oh ! que
ce mot est solennel ! Quelques jours
encore ; quelques agitations de plus, et...
pour lui viendra la mort ; oui, cette
même mort qui pèse ici sur cette chair
refroidie ! - Nous lui avons cependant
parlé avec bien de l'amour ! -
Oh ! que j'aurais voulu qu'il
écoutât, et qu'il reçût
cette Parole de vie !... Un tel message, une
telle miséricorde, de telles compassions de
DIEU, repoussées si durement, si
fièrement ! - Où ira-t-il
maintenant chercher la paix qu'il n'a pas voulu
recevoir des mains de la Grâce ! Dans
quelle promesse trouvera-t-il JÉSUS,
puisqu'il a fermé
l'Évangile !
Tu fus donc glorifié, Ô
SAUVEUR débonnaire ! Ta charité,
« qui ne se réjouit point de
l'injustice » et qui « ne juge
et ne condamne point, » fit entendre son
gémissement sur cette âme, qui se
révoltait contre toi. - Ton disciple,
Ô PRINCE DE PAIX ! ne s'irrita point
contre le pécheur égaré. Il
souffrait en son coeur à cause de ton
nom ; mais son soupir s'éleva vers toi
comme une fervente prière, qui accompagna
l'informé qui la
méprisait !
Nous avons « la bonne
part, » dis-je alors, avec un sentiment
profond de
communion
spirituelle : oui, la bonne part ! -
Qu'elle est riche ! - Mon âme est dans
l'adoration ; et je sens, à cette
heure, cette victoire que la Foi nous donne sur le
monde et sa folie ! -Oui, mes
Frères ! la vie est bonne pour nous,
car nous la traversons sous le regard de notre
DIEU, notre SAUVEUR. Qu'il nous tracé le
sentier au travers des sables du désert, ou
qu'il nous mène parmi ses riantes prairies,
toujours est-ce sa main qui nous guide, est-ce sa
voix qui nous console ou nous
réjouit !
Vous êtes pauvres, mes bons amis,
et vos jours ne s'achèvent qu'après
un pesant travail ; mais vous avez appris du
SEIGNEUR, que c'est ainsi qu'il vous est bon
d'être conduits ; et déjà
vous avez pu dire avec l'Apôtre, que vous
« pouvez tout en CHRIST qui vous
fortifie ; » en ce Christ qui
répand sa paix et sa lumière jusque
dans le deuil où vous êtes
maintenant.
Ah ! répondit André,
en joignant les mains et en regardant vers le corps
de sa mère, ce ne sont pas de vains mots que
ceux qui tant de fois sortirent de cette bouche,
lorsqu'elle nous disait - « Les pieds de
chevaux sont de terre, et les roues des plus
brillants équipages se briseront ; mais
l'attente que vous avez en votre DIEU sera la force
de votre vie et le repos de vos
nuits. »
Aussi, ajouta Claire, avec cet accent
qui ne se trouve que sur les lèvres du
chrétien, ne voudrions-nous pas quitter
cette chambre basse et sombre, pour habiter dans la
grande maison de ce riche, si nous devions y penser
comme il pense. Non, le SAUVEUR n'est pas où
sa Parole est méprisée.
André. Mais il est
et sera toujours avec nous.
Que nous importe donc aujourd'hui
le jugement du monde ? Et quant à
l'avenir, demain est à notre DIEU. Il y
pourvoira donc lui-même pour ses
bien-aimés Il nous a donné son
FILS ; il nous donnera certainement toutes
choses avec lui. » C'est sa bonne
Promesse. Allons, Claire, que notre coeur se
fortifie en lui ; car il est notre
rocher !
Oh ! qui voudra recevoir,
l'instruction que renferment ces paroles ! Qui
comprendra que c'est là cette Sagesse de
DIEU, que le monde répute folie, mais qui
seule demeurera quand le monde et sa gloire auront
péri ! Oh ! qui saura discerner la
vérité solide et pure de la Foi,
d'avec le brillant mensonge dont s'enveloppe
d'incrédulité !
Qu'on ouvre donc les yeux, et qu'on
s'arrête, quelques moments, à observer
ce qui se passe dans les diverses conditions des
hommes, et qu'elle est leur issue, suivant qu'elles
sont en CHRIST ou qu'elles s'éloignent de
lui.
Amenez la pauvreté, avec ses
travaux et ses fatigues ; joignez-y même
la maladie et la dure affliction. Si vous liez ce
faisceau de misères et de douleurs humaines,
avec les cordages de la Foi, vous trouverez qu'il
est devenu richesse, paix, joie et victoire ;
et qu'au lieu de succomber sous un fardeau
d'infortune, l'âme du croyant,
« ainsi exercée, » ne
porte qu'un joug facile, qu'elle se plaît
à recevoir de la main d'un Père qui
lui prépare ainsi d'ineffables
douceurs.
Assemblez, au contraire, l'opulence, les
fêtes et les délices ;
unissez-leur la force de la vie, et tous les
sourires de la prospérité, et placez
cet amas de biens et de
jouissances sur le plus ferme appui du rang et de
la grandeur d'ici-bas : la multitude, à
la vue de ce monument de joie, s'étonnera de
ses proportions et ne pourra que le convoiter. Mais
prenez le burin de l'éternelle
Vérité, et sur cette masse de biens
terrestres, gravez ces deux mots : LA
COLÈRE À VENIR ; et vous verrez
aussitôt d'épaisses
ténèbres l'envelopper ; et vous
entendrez des lamentations et des cris lugubres
sortir de son sein ; et pour peu que la
terrible sentence pénètre dans
l'intérieur du colosse, vous le verrez
s'écrouler, et ne laisser sur le terrain
qu'il avait couvert, qu'un peu de cendre et de
poudre, que le vent du matin dissipera.
Où est donc ici la folie, et
où se trouve la sagesse ! - 0
vous ! qui venez de lire ce simple
récit, quelles sont vos
pensées ? Vous plaisez-vous aux maximes
terrestres, et aux axiomes équivoques de la
philosophie des salons et des écoles du
monde ; ou bien vous approchez-vous humblement
de l'Évangile, pour être
« enseigné de
DIEU ; » pour recevoir, par la Foi,
sur votre âme, le sang de JÉSUS,
« qui, seul, nous sauve de la
colère à
venir ? »
Oh ! veuillez y penser !
-
Regardez, encore une fois, avec attention, vers la
chétive demeure de Claire et
d'André ; et sur ce pauvre et mince
lit, voyez le corps refroidi d'un enfant de DIEU,
dont l'âme a été recueillie
dans le sein du RÉDEMPTEUR ; - puis
retournez-vous, et arrêtez votre vue sur cet
ami du monde, sur ce disciple des philosophes, qui
se redresse fièrement, après avoir
renié la parole de l'ÉTERNEL.
Comparez ces choses ; et
anticipant
sur quelques jours seulement,
placez-vous à votre lit de mort, et
« devant le tribunal de
CHRIST, » et concluez prudemment pour
vous-même, qu'Il est meilleur d'être
sage selon Dieu, sous le mépris du
siècle, que d'être sage avec le monde,
et fou devant le SEIGNEUR.
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