Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES BONS-VIVANTS.

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Ne soyez point séduits : les mauvaises compagnies, corrompent les bonnes.
(1 Cor. XV, 33.)


 « Eh bien ! Monsieur, que voulez-vous que j'y fasse ? On sait. du reste qu'il faut mourir ; aussi pendant que je vis encore, dois-je en profiter ; et ma devise, à moi, c'est celle des Bons-Vivants : NARGUE DE LA MÉLANCOLIE. »

Telle fut la réponse à un chrétien qui l'avait abordé sur une promenade, un dimanche au soir, et qui lui avait dit quelques mots sur la mort et, le jugement dernier.
« Du moins, reprit l'homme pieux, ne refuseriez-vous pas d'accepter ce traité-ci et de le lire. »
« Oh ! pour cela, je le puis, dit BURINEL : Car quoique vos idées ne soient pas les miennes, toujours votre intention est-elle bonne, et je vous en remercie. »

Le graveur reçut donc ce traité. C'était : Il n'était plus temps ! Il en lut le titre, puis il le mit dans sa poche, en fredonnant sa chanson favorite : C'EST à NOUS, BONS-VIVANTS, etc.
Cependant, ce Bon-Vivant ne s'inquiéta guère de lire le traité, qui demeura silencieux oui fond de sa poche, jusqu'au dimanche suivant, où BURINEL reprit l'habit où il se trouvait.

Ce jour-là, BURINEL alla goûter à la campagne avec quelques autres Bons-Vivants, et la pluie qui survint ayant rendu le jeu de boules impraticable, la conversation se prolongea d'une chose à une autre, et tomba finalement sur la religion.
Alors Burinel se rappela le traité qu'il avait reçu. Il le chercha dans sa poche et il l'en sortit, en disant : « Voici justement quelque chose sur cela, qu'un mômier me donna dimanche passé et comme c'est court, je vais vous le lire. »

Le traité fut donc lu d'un bout à l'autre, au milieu du profond silence des auditeurs.
C'est du sérieux, dit l'un d'eux en hochant la tête. - Oui, si c'était vrai, dit un autre ; mais tout cela est inventé, et je n'en crois pas un mot. »
« Inventé ou non, dit un troisième, toujours est-il vrai qu'il faut mourir, et qu'après la mort suit le jugement. »
« Tiens ! s'écria un quatrième, ne voilà-t-il pas qu'il répète son catéchisme !. »
« Catéchisme tant que tu voudras, reprit celui qui venait de parler ; pour moi je crois, oui, je crois qu'il y a un Dieu, et qu'il nous jugera tant les uns que les autres après notre mort. »

BURINEL n'avait encore rien dit. Il était pensif, et ayant remis le traité dans sa poche, il avait fait quelques pas dans la chambre, puis il s'était approché d'une fenêtre, vers laquelle il demeurait silencieux.
« Qu'as-tu, BURINEL ? dit Un de ses compagnons. On dirait que tu boudes. - Tiens, voici de quoi chasser les idées noires. »

BURINEL refusa le verre qu'on lui offrait et resta sans rien dire ; sur quoi les Bons-Vivants le raillèrent de ce qu'il avait avalé cette bête d'histoire, comme un grand nigaud qu'il était.
« Écoutez, Messieurs, dit le graveur, en se replaçant vers la table, je ne suis rien moins qu'un mômier, vous le savez ; mais... je crois que toujours et toujours se moquer de la mort et de ce qui va la suivre, c'est au bout du compte une bêtise ; car enfin..., faudra-t-il mourir, item, et paraître devant Dieu ; et quant à moi, je ne peux pas dire que je sois tout-à-fait tranquille dans ma conscience. »
« Toi ! dit un des buveurs. Hé ! qu'as-tu tant fait de mal ? »

« Écoute, continua BURINEL, si nous n'avons ni tué, ni volé, nous avons péché cependant, et ce ne sera pas au tribunal des hommes que nous aurons affaire, mais bien à celui de Dieu, et Dieu ne se paiera ni de nos railleries, ni de notre gloriole. ce que je viens de penser ; et ce n'est pas un badinage, parce que je puis mourir ce soir, en rentrant chez moi, aussi bien que dans vingt ou cinquante ans. »
« Toi, mourir ce soir ! reprit-on. Es-tu fou ? »
« Et Michel ! reprit le graveur. Oui, Michel le voiturier était-il plus vieux ou plus malade que moi ? »
« Est-ce que Michel est mort ! » s'écrièrent plusieurs voix.

BURINEL. Comment ! s'il est mort ? Hier au soir, (je le sais bien, puisque nous logeons porte à porte, ) pas plus loin qu'hier, vers les neuf heures, il rentre, se portant aussi bien que nous, et sa femme lui prépare son souper ; mais le voilà qui prend mal, et demi-heure après, c'était fini... Oui, fini ! Il était raide mort. - C'est un fait positif, et c'est sous nos yeux !... C'est pourquoi, à moins qu'on ne soit abruti, il faut y penser.
« Eh bien ! dit un des buveurs, si l'on meurt, on est mort. Qu'y a-t-il là de quoi tant s'inquiéter ? »
« Ce n'est pas vrai, reprit BURINEL, et tu ne le crois pas dans ta conscience. Non, tu ne le crois pas ; et quoique nous nous soyons mille fois moqués de la mort et de la vie à venir, je suis sûr qu'il n'y en a pas un de nous qui fût à son aise, si la terre tremblait sous nos pieds et qu'il nous fallût rendre l'âme. »
« Tu crois donc, reprit-on, qu'il y a une autre vie après celle-ci et qu'il nous faudra paraître en jugement ? »
« Oui, que je le crois, répondit BURINEL ; et quand je vous semble être si gai et si libre sur cela, je ne le suis pas toujours dans le coeur, je vous en réponds ; et plus d'une fois j'ai eu peur que le tonnerre ne m'écrasât. »
« Eh bien ! dirent les Bons-Vivants, d'une voix plus sérieuse, que comptes-tu faire ? »
« Ne plus me jouer du sort final de mon âme, répondit BURINEL, en se levant et en se promenant dans la chambre. Non, je ne veux plus aller ainsi, comme une bête, à la rencontre de ma mort, et peut-être de l'enfer. »
« Tu crois donc à l'enfer et au diable ? Toi, BURINEL » reprit un des buveurs, en ricanant.

BURINEL. « N'y crois pas si tu veux, cela te regarde ; pour moi, je suis las de me forcer et de me contrefaire car je dois l'avouer, j'ai là, dans la conscience, une inquiétude que ni vos railleries ni mes bons mots ne peuvent diminuer. »
« Voyez ajouta-t-il, en s'arrêtant et en regardant fixement ses compagnons, tous tant que nous sommes, nous sommes ce que... la Sainte-Bible appelle des moqueurs.... des profanes.... des impies ; et il n'y a pas à biaiser, si la Bible est vraie, nous sommes perdus ; car Dieu, oui, l'Éternel, est juste et saint, et il ne tiendra pas le coupable pour innocent. »
« Mais, reprit à voix basse celui qui avait déjà dit quelques mots sur le jugement dernier, nous savons aussi qu'il y a un... Sauveur, et... »
« Oui, répondît BURINEL, en frappant du poing sur la table, et d'une voix forte et émue, nous savons très-bien que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, et le seul Sauveur qu'il y ait pour nos misérables âmes ; nous savons aussi que quiconque croit en lui ne périra pas ... ; mais à quoi cela nous sert-il, si nous nous moquons de lui ... ? Et je vous le demande encore une fois, sur vos consciences, qu'est-ce que nous deviendrons, enfin, vous et moi, si la Sainte-Bible est vraie ?

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