Ne soyez point séduits : les mauvaises compagnies, corrompent les bonnes. (1 Cor. XV, 33.) |
« Eh bien ! Monsieur, que
voulez-vous que j'y fasse ? On sait. du reste
qu'il faut mourir ; aussi pendant que je vis
encore, dois-je en profiter ; et ma devise,
à moi, c'est celle des Bons-Vivants : NARGUE DE LA
MÉLANCOLIE. »
Telle fut la réponse à un
chrétien qui l'avait abordé sur une
promenade, un dimanche au soir, et qui lui avait
dit quelques mots sur la mort et, le jugement
dernier.
« Du moins, reprit l'homme
pieux, ne refuseriez-vous pas d'accepter ce
traité-ci et de le lire. »
« Oh ! pour cela, je le
puis, dit BURINEL : Car quoique vos
idées ne soient pas les miennes, toujours
votre intention est-elle bonne, et je vous en
remercie. »
Le graveur reçut donc ce
traité. C'était : Il
n'était plus temps ! Il en lut le
titre, puis il le mit dans sa poche, en fredonnant
sa chanson favorite : C'EST à NOUS,
BONS-VIVANTS, etc.
Cependant, ce Bon-Vivant
ne
s'inquiéta guère de lire le
traité, qui demeura silencieux oui fond de
sa poche, jusqu'au dimanche suivant, où
BURINEL reprit l'habit où il se
trouvait.
Ce jour-là, BURINEL alla
goûter à la campagne avec quelques
autres Bons-Vivants, et la pluie qui survint
ayant rendu le jeu de boules impraticable, la
conversation se prolongea d'une chose à une
autre, et tomba finalement sur la
religion.
Alors Burinel se rappela le
traité qu'il avait reçu. Il le
chercha dans sa poche et il l'en sortit, en
disant : « Voici justement quelque
chose sur cela, qu'un mômier me donna
dimanche passé et comme c'est court, je vais
vous le lire. »
Le traité fut donc lu d'un bout
à l'autre, au milieu du profond silence des
auditeurs.
C'est du sérieux, dit l'un d'eux
en hochant la tête. - Oui, si c'était
vrai, dit un autre ; mais tout cela est
inventé, et je n'en crois pas un
mot. »
« Inventé ou non, dit
un troisième, toujours est-il vrai qu'il
faut mourir, et qu'après la mort suit le
jugement. »
« Tiens ! s'écria
un quatrième, ne voilà-t-il pas qu'il
répète son
catéchisme !. »
« Catéchisme tant que
tu voudras, reprit celui qui venait de
parler ; pour moi je crois, oui, je crois
qu'il y a un Dieu, et qu'il nous jugera tant les
uns que les autres après notre
mort. »
BURINEL n'avait encore rien dit. Il
était pensif, et ayant remis le
traité dans sa poche, il avait fait quelques
pas dans la chambre, puis il s'était
approché d'une fenêtre, vers laquelle
il demeurait silencieux.
« Qu'as-tu, BURINEL ?
dit
Un de ses compagnons. On dirait que tu boudes. -
Tiens, voici de quoi chasser les idées
noires. »
BURINEL refusa le verre qu'on lui
offrait et resta sans rien dire ; sur quoi les Bons-Vivants
le raillèrent de ce
qu'il avait avalé cette bête
d'histoire, comme un grand nigaud qu'il
était.
« Écoutez, Messieurs,
dit le graveur, en se replaçant vers la
table, je ne suis rien moins qu'un mômier,
vous le savez ; mais... je crois que toujours
et toujours se moquer de la mort et de ce qui va la
suivre, c'est au bout du compte une
bêtise ; car enfin..., faudra-t-il
mourir, item, et paraître devant Dieu ;
et quant à moi, je ne peux pas dire que je
sois tout-à-fait tranquille dans ma
conscience. »
« Toi ! dit un des
buveurs. Hé ! qu'as-tu tant fait de
mal ? »
« Écoute, continua
BURINEL, si nous n'avons ni tué, ni
volé, nous avons péché
cependant, et ce ne sera pas au tribunal des hommes
que nous aurons affaire, mais bien à celui
de Dieu, et Dieu ne se paiera ni de nos railleries,
ni de notre gloriole. ce que je viens de
penser ; et ce n'est pas un badinage, parce
que je puis mourir ce soir, en rentrant chez moi,
aussi bien que dans vingt ou cinquante
ans. »
« Toi, mourir ce soir !
reprit-on. Es-tu fou ? »
« Et Michel ! reprit le
graveur. Oui, Michel le voiturier était-il
plus vieux ou plus malade que
moi ? »
« Est-ce que Michel est
mort ! » s'écrièrent
plusieurs voix.
BURINEL. Comment ! s'il est
mort ? Hier au soir, (je
le
sais bien, puisque nous logeons porte à
porte, ) pas plus loin qu'hier, vers les neuf
heures, il rentre, se portant aussi bien que nous,
et sa femme lui prépare son souper ;
mais le voilà qui prend mal, et demi-heure
après, c'était fini... Oui,
fini ! Il était raide mort. - C'est un
fait positif, et c'est sous nos yeux !...
C'est pourquoi, à moins qu'on ne soit
abruti, il faut y penser.
« Eh bien ! dit un des
buveurs, si l'on meurt, on est mort. Qu'y a-t-il
là de quoi tant
s'inquiéter ? »
« Ce n'est pas vrai, reprit
BURINEL, et tu ne le crois pas dans ta conscience.
Non, tu ne le crois pas ; et quoique nous nous
soyons mille fois moqués de la mort et de la
vie à venir, je suis sûr qu'il n'y en
a pas un de nous qui fût à son aise,
si la terre tremblait sous nos pieds et qu'il nous
fallût rendre
l'âme. »
« Tu crois donc, reprit-on,
qu'il y a une autre vie après celle-ci et
qu'il nous faudra paraître en
jugement ? »
« Oui, que je le crois,
répondit BURINEL ; et quand je vous
semble être si gai et si libre sur cela, je
ne le suis pas toujours dans le coeur, je vous en
réponds ; et plus d'une fois j'ai eu
peur que le tonnerre ne
m'écrasât. »
« Eh bien ! dirent les Bons-Vivants,
d'une voix plus
sérieuse, que comptes-tu
faire ? »
« Ne plus me jouer du sort
final de mon âme, répondit BURINEL, en
se levant et en se promenant dans la chambre. Non,
je ne veux plus aller ainsi, comme une bête,
à la rencontre de ma mort, et
peut-être de l'enfer. »
« Tu crois donc à
l'enfer et au diable ? Toi,
BURINEL » reprit un des buveurs, en
ricanant.
BURINEL. « N'y crois pas si tu
veux, cela te regarde ; pour moi, je suis las
de me forcer et de me contrefaire car je dois
l'avouer, j'ai là, dans la conscience, une
inquiétude que ni vos railleries ni mes bons
mots ne peuvent diminuer. »
« Voyez ajouta-t-il, en
s'arrêtant et en regardant fixement ses
compagnons, tous tant que nous sommes, nous sommes
ce que... la Sainte-Bible appelle des moqueurs....
des profanes.... des impies ; et il n'y a pas
à biaiser, si la Bible est vraie, nous
sommes perdus ; car Dieu, oui,
l'Éternel, est juste et saint, et il ne
tiendra pas le coupable pour
innocent. »
« Mais, reprit à voix
basse celui qui avait déjà dit
quelques mots sur le jugement dernier, nous savons
aussi qu'il y a un... Sauveur,
et... »
« Oui, répondît
BURINEL, en frappant du poing sur la table, et
d'une voix forte et émue, nous savons
très-bien que Jésus-Christ est le
Fils de Dieu, et le seul Sauveur qu'il y ait
pour nos misérables âmes ; nous
savons aussi que quiconque croit en lui ne
périra pas ... ; mais à quoi
cela nous sert-il, si nous nous moquons de lui
... ? Et je vous le demande encore une fois,
sur vos consciences, qu'est-ce que nous
deviendrons, enfin, vous et moi, si la Sainte-Bible
est vraie ?
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