Pour moi, mes amis, ce fut comme afficheur que
je me mis en campagne. Chargé, sous un bras,
d'un paquet de placards, et portant, de l'autre
côté, mon pot à colle et ma
brosse, je dirigeai mes pas vers les hameaux qui
sont au-delà du bois.
Mes affiches, vous le savez
déjà, étaient ces petits
traités-religieux, ces instructions, ces
avis imprimés sur une feuille et d'un seul
côté, qu'on attache à la paroi,
à la place des ridicules ballades, ou des
images dangereuses, qui ne se voient que trop dans
les demeures des pauvres. J'en avais une collection
de plusieurs sortes.
Pour m'abréger la route, je
passai par les carrières, de ce
côté-ci du bois ; et j'allais
descendre le chemin qui les traverse, lorsque je
vis, devant moi, et tout près, un monsieur
que je reconnus être le pasteur d'un village
voisin et qui allait lui-même de ce
côté-là.
Vite, sans perdre une minute, je me
tapis derrière un buisson, j'encolle une de
mes affiches, et courant, à moitié
courbé, et comme le chasseur qui suit sa
proie, le long des broussailles, je
précède le promeneur, j'applique ma
feuille contre le rocher, en face et tout
près du chemin, et je vais me blottir,
à trois pas de là, sous des arbustes,
pour voir si mon piège
réussira.
Le pasteur arrive à pas
lents : il s'arrête pour
considérer cet endroit, qui est
très-pittoresque ; et de rocher en
rocher, son oeil descend vers celui qui porte
l'affiche, sur laquelle se fixe son regard.
Alors commence un monologue des plus originaux,
et pendant
lequel, je
vous le confesse, j'eus beaucoup de peine à
ne pas me déceler par mon fou rire.
J'ai écrit, depuis, cette petite
scène. La voici : je vais vous la
lire.
Le
passant. Un écriteau !....
Voyons ce que c'est. Il s'approche de l'affiche,
prend son binocle, et lit à, haute
voix :
AVIS IMPORTANT À CEUX QUI EN DONNENT AUX AUTRES. |
Le passant. Hé ! voilà un singulier titre ! Que peut donc être ceci ? Voyons.
Je m'adresse à vous, Prédicateurs ! et c'est avec autant d'amour que de sérieux, que je vous supplie de peser mes paroles. |
Le passant. Eh bien ! donc, cela me concerne ; et cela me paraît solennel. Poursuivons.
Si vous ne prêchez pas Jésus, et la puissance de sa croix, hélas ! vous prêchez le diable et le chemin de l'enfer. |
Le passant. Oh ! oh ! c'est un peu vert ! Cependant il y a du vrai. Allons plus loin.
Si vous enseignez que Jésus n'est qu'un homme, ou tout au plus une sorte d'ange, vous n'êtes certainement pas un ange, et vous serez toujours un bien pauvre homme... |
Le passant, en hochant la tête. - Ah ! il faut s'entendre, ici .... car, enfin.... Mais, continuons.
Car si celui qui vient sauver, n'est qu'une créature, j'en puis faire autant qu'elle, et Jésus me devient inutile. |
Le passant, avec raillerie. Ainsi donc, Monsieur le docteur de papier ! vous croyez que les vertus, les bonnes oeuvres, etc., etc., ne servent à rien ? Je ne suis certes pas de votre avis ; tant s'en faut !... Mais qu'y a-t-il après ?
Malheur à qui fait des bonnes-oeuvres, sans avoir premièrement l'Esprit du seul Bon |
Le passant, avec gravité. Sans avoir l'Esprit du seul Bon ! - Mais cela n'est pas si mal dit. C'est bref, et cela dit. beaucoup... La suite ?
Plus d'un ministre se perd, en chassant aux âmes, dans ses propres ténèbres. |
Le passant,
dépité. Pour ceci, c'est
trop fort !
Premièrement, je ne chasse pas
aux âmes. Et, de plus, je vois tout aussi
clair que plusieurs autres... Avec plus de calme.
Cependant, ce n'est pas entièrement faux.
Mais, que va-t-il dire encore ?
Prêcheur ! comprends-tu que si tu parles de conversion, sans être toi-même converti, tu fais moins que ne fit l'ânesse de Balaam ? Car, pour elle, ce fut l'Esprit de Dieu qui la fit parler ; tandis que... |
Le passant
indigné. Quelle insolence !
Quelle impertinence ! Il tire un couteau de sa
poche, et se prépare à
détruire l'affiche. Je lui montrerai que, si
je suis moins qu'un âne, ... Mais, sot que je
suis ! pourquoi prendre ceci pour moi ? -
Voyons plutôt si je ne pourrais point
enlever... Ah ! c'est tout fraîchement
posé.... La voici.
Il détache entièrement
l'affiche, qu'il étend sur sa canne, pour en
faire sécher la colle. Je serai bien aise de
relire cela plus à loisir. Car, enfin, il
s'y trouve du vrai, et du très-vrai.
Pourquoi donc le mépriser ?
Tel fut mon premier succès ;
et vous pouvez comprendre combien j'en dus jouir.
Je m'esquivai lestement, sous le couvert d'un
taillis, et je hâtai mes pas vers une
maisonnette que j'avais aperçue, près
de la lisière du bois.
Comme j'en approchais, j'entends des
voix ; je discerne bientôt qu'on se
querelle ; et en passant devant les
fenêtres, qui sont tout ouvertes, je vois
deux femmes, très-agitées, dont l'une
dit à l'autre, du ton le plus âpre.
Vous voyez comme j'aime la paix, mais il n'y en a
plus ici.
Eh bien ! en voici, et de la
véritable ! m'écriai-je,
par-dessus leur bruit, en leur présentant,
par la fenêtre, une de mes affiches. Si vous
en voulez, dites-le : car je la donne, et de
bon coeur.
Entrez donc ici, me dit la plus
âgée de ces femmes, et nous donnez
cette paix ! Nous en avons, je vous assure, un
singulier besoin.
J'obéis et j'entrai. Ces femmes
étaient seules, et un petit enfant dormait
sur les dalles, dans son berceau.
Il faut, dis-je gaîment, que cet
enfant ait bon sommeil, pour dormir si
profondément ici. Tenez, ajoutai-je
aussitôt, en m'adressant à la plus
jeune des femmes, voici l'histoire d'un petit
enfant, plus intéressant encore que
celui-ci...
C'est ma fille ! me dit-elle avec
vivacité.
N'importe ! n'importe !
repris-je. Lisez toujours, et vous verrez si je
vous trompe.
Pour vous, Madame, dis-je à
l'autre femme, puisque vous aimez la paix, en
voici. Voyez ! Je vais vous la mettre
là, au grand jour, afin que vous puissiez la
retrouver toutes les fois que vous en aurez besoin.
Et sans attendre sa réponse, je
prends ma brosse et, ma colle, j'empâte la
muraille, et j'y applique mon placard.
Que mettez-vous donc là ? me
dit l'amie de la paix, en me regardant
faire.
Lisez vous-même, lui dis-je. Voyez
ce beau titre :
ou histoire véritable du plus grand, du plus beau, du plus riche, du plus bienfaisant et du plus clément des princes ; suivie du récit de la victoire complète qu'il remporta sur le grand ennemi du genre humain. |
Vous voyez, ajoutai-je, que ce doit être
intéressant.
Je le lirai, et tout entier, me
dit-elle ; et cela,
tout-à-l'heure.
Bien ! lui dis-je en reprenant
mon
petit bagage ; mais souvenez-vous que quand on
lit l'histoire du Prince de paix, il faut, avant
tout, cesser de se faire la guerre.
Pour moi, dit la plus jeune, sans
relever la tête, je ne commencerai pas.
D'ailleurs, j'ai ici quelque chose à lire,
qui déjà m'intéresse
beaucoup.
Qu'est-ce que c'est ? lui demanda
sa compagne.
C'est intitulé,
répondit-elle : Histoire où l'on
voit comment un géant,
très-méchant et fort à
plaindre, devint tout-à-coup un petit
enfant, et fut dès lors et pour toujours
heureux.
Et comment s'appelait ce
géant ? demanda la
questionneuse.
Il s'appelait Superbe, répondit
celle qui lisait et quand il
devint enfant, on le nomma
Né-de-nouveau.
Allons ! allons !
dis-je, en
les quittant, je vois avec plaisir que vous savez
lire l'une et l'autre...
Maintenant donc, que Dieu vous mette ce
que vous lirez là, dans le coeur ;
qu'il le bénisse ; et qu'ainsi
lui-même vous donne sa paix !
Ainsi soit-il ! dirent-elles
toutes
deux ; et je sortis, pour me rendre au hameau
le plus voisin.
J'y arrivai bientôt ; et
devant la première maison je vis debout sur
le pas de la porte, un certain demi-monsieur, qui,
d'un air scrutateur, me regardait venir, d'assez
loin.
Que portez-vous là, jeune
homme ? me dit-il, avec un peu de morgue,
quand je fus à deux pas de lui.
C'est l'histoire du coeur humain, lui
répondis-je, avec ouverture. Voulez-vous,
Monsieur, connaître le
vôtre ?
Je sais ce qu'il est depuis long-temps,
reprit-il, en se redressant encore plus ; et
c'est d'un bon maître que je l'ai
appris.
il n'en est qu'un qui le connaisse,
répliquai-je, et c'est Celui qui l'a fait,
et qui le sonde. Dieu seul, Monsieur, peut nous
révéler ce que, nous sommes :
c'est la Bible qui le dit.
Babioles et fariboles d'enfants et de
femmelettes ! s'écria-t-il avec
dédain. Avant que votre Bible fût
écrite, les sages avaient parlé. Et
voici l'un de mes maîtres, ajouta-t-il, en
allant décrocher de la muraille d'un cabinet
qui touchait à la porte, une gravure
encadrée, qu'il me montra, avec
fierté.
Voilà un sage ! C'est Caton
l'ancien, Monsieur. Voyez-le,
entouré de sénateurs, qui de nuit
viennent le consulter, et à qui il dit cette
parole sublime, qui est la règle de ma vie
entière : La vertu, forte
d'elle-même, n'a besoin de personne.
Pas même de Dieu ?
demandai-je avec fermeté.
De personne ! répliqua cet
impie, qui rentra chez lui, et que je quittai sans
peine.
Vis-à-vis de sa maison
était celle d'un laboureur de bonne mine,
qui fumait tranquillement sa pipe, assis sur un
banc, devant sa demeure, et qui avait pu entendre
notre conversation.
Je m'approche de lui ; il me
salue,
et je lui demande avec cordialité, si c'est
du bon tabac qu'il fume.
Pas mauvais, me répond-il. En
voulez-vous goûter une pipe, avec
moi ?
C'est selon de quel feu vous vous
servez, lui dis-je, d'un air
mystérieux.
Comment, de quel feu je me sers !
reprend-il, avec surprise. C'est de celui qui
brûle, je pense ?
En avez-vous du froid,
peut-être ?
Non, lui dis-je, sérieusement.
Mais moi je sais qu'il y a deux feux : l'un
qui s'éteindra, et l'autre qui ne
s'éteindra jamais :
Jamais ! reprend le laboureur.
Hé, s'il vous plaît, quel est ce
feu-là ?
Celui de l'enfer, lui dis-je, dont la
fumée s'élèvera aux
siècles des siècles.
Ah ! je vous comprends, à
présent, s'écrie-t-il, en se levant.
Entrez, s'il vous plaît, et vous le verrez
ici, en tableau.
J'entre après lui, et il me
montre, sur le mur de la chambre,
cette mauvaise estampe bien connue, où les
diverses conditions de la vie sont
représentées, et dans un des coins,
les flammes de l'enfer, où sont
rejetés les méchants.
Voyez-vous, dit-il, là, dans ce
coin, ce feu dont vous parlez ?
Et comment, demandai-je, tout en
cherchant parmi mes affiches, ferez-vous pour n'y
pas tomber vous-même ?
Comment, moi-même !
reprend-il avec une sorte d'indignation. Suis-je
donc sur ce chemin-là ?
Mais, lui dis-je, tout pécheur
s'y trouve, et de naissance, et par ses oeuvres.
Comment donc, puisque vous êtes un
pécheur, tout aussi bien que moi et tous nos
semblables, vous y prendrez-vous pour éviter
la punition des pécheurs ?
Ah ! dame !
Monsieur !
répond-il, avec un peu d'embarras, on
tachera de se réformer ; de...
Allons, mon ami, lui dis-je, en prenant
une de mes affiches, je vois que vous n'y entendez
encore rien, non, rien du tout. Voici qui vous
l'apprendra. - Où voulez-vous que je le
mette ?
Qu'est-ce que c'est donc que votre
écrit ? demanda-t-il, en y portant les
yeux.
Voyez, lui dis-je : Irez-vous
enfin
au ciel ; ou bien tomberez-vous dans
l'enfer ? voilà ce qu'il vous
demande.
Eh bien ! reprend le paysan, avec
un ton approbatif, cela ne peut qu'être bon.
Tenez, mettez-le là, tout à
côté de l'estampé. Celui qui
regardera l'une, lira l'autre aussi ; et cela
ne lui fera point de mal.
Je prends donc ma brosse, et l'affiche
est posée et je dis, en
l'appliquant contre le mur : Que Dieu s'en
serve pour montrer à plusieurs le chemin du
ciel !
Qu'il le fasse ! dit le paysan,
avec sérieux. Je vois, ajoute-t-il, que vous
êtes un brave homme ; un ami des
villageois ; et que c'est pour nous faire du
bien que vous prenez tant de souci. Eh bien !
Monsieur, poursuit-il, en jetant un coup d'oeil
vers la maison du philosophe, si l'on vous crie
contre, ici et la, ne vous en inquiétez pas.
Tel chien qui d'abord aboie, finit par
lécher. D'ailleurs, Monsieur, les dents des
méchants sont toutes cariées :
elles ne peuvent donc serrer longtemps. Ainsi,
prenez courage !
Nous nous pressâmes la main avec
affection ; je le quittai, et je poursuivis ma
tournée, qui, à peu près
partout, trouva bon accueil. Je rencontrai bien
quelques petits chiens qui aboyèrent, et
quelques esprits malins qui me mordirent, mais je
me dis qu'une autre fois, peut-être, les
premiers viendraient me lécher la main, et
que les autres auraient perdu leurs dents ; et
suivant le conseil du laboureur, je pris bon
courage, jusqu'au bout.
Mais que vous dirai-je d'une des plus
humbles maisons que je visitai ? Ah ! que
le Seigneur Jésus est aimé sous ce
toit de chaume ? Quel disciple de la
vérité, quelle servante fidèle
et soumise, il y voit et console !
C'est une veuve, à qui restaient
deux fils encore enfants, et qui étaient ses
aides chéris, et sa douce consolation. Il y
a moins d'un mois que le Seigneur lui a
redemandé Laurent, l'aîné de
ses fils ; et maintenant elle est dans le
deuil, avec celui qu'elle
possède encore, l'aimable et charmant petit
Benjamin, qui s'émeut et sanglote,
dès que le nom de son Laurent est
prononcé.
0 mes amis ! quelles douleurs
entrent quelquefois dans le coeur de l'homme,
même, hélas ! dès
l'âge le plus tendre !
Quand je passai devant la petite cabane
de la pauvre veuve, elle était assise,
près de sa porte, ayant une des mains de
Benjamin dans les siennes.
Je vis bientôt que j'étais
devant des affligés, et ce fut avec
émotion que je dis : Que le Dieu de
toute consolation soit avec vous, et que sa Parole
vous soutienne !
Ah ! qu'il vous exauce et qu'il
nous aide ! répondit la mère
avec piété. Il est notre Père,
et quand il afflige ses enfants, c'est en les
pressant sur son coeur !
Je m'assis à côté
d'elle, et je lui demandai quel était le
deuil qu'elle portait, avec son enfant. Alors elle
me raconta sa touchante histoire, que j'ai
écrite, en partie, dans une complainte, et
que je pourrai vous réciter un autre jour. (1)
Excellent ! dit le
Négociant ! quand son commis eut
cessé de parler. Excellent ! je vous
assure. J'ai envie, dimanche prochain, si Dieu le
veut, d'aller sur vos traces ; non pas, sans
doute, pour afficher, car je ne saurais comment m'y
prendre ; mais pour voir le résultat de
votre oeuvre.
J'ai ouï dire, et j'ai lu, aussi,
plus d'une fois, dit la Veuve, que cette
espèce-là de traités-religieux est une des plus
efficaces ;
et j'exhorte beaucoup notre jeune frère
à réitérer ses excursions.
Celle-ci doit le réjouir ; car le
Seigneur peut en faire sortir sa gloire pour plus
d'une âme. Que j'aime surtout cette pauvre
Veuve !
Béni soit Dieu, ajouta
l'Étudiant, pour le bien qu'il a
daigné mettre devant nous, ses indignes
serviteurs ! Ah ! qu'il lui plaise de
nous préparer d'autres oeuvres de sa
miséricorde, et de nous y faire marcher par
l'Esprit du Seigneur Jésus !
Amen ! dirent les amis ;
et
après être convenus que le lendemain,
si Dieu le permettait, ils continueraient leur
travail de charité, selon que le Seigneur le
leur mettrait au coeur, ils lurent sa sainte
Parole, ils prièrent le Père
céleste, et ils se séparèrent
dans sa paix et son amour, en se donnant
rendez-vous pour le samedi suivant, à la
même heure.
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