Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUELQUES OEUVRES DU DIMANCHE.

suite

-------

LE COMMIS DU NÉGOCIANT RACONTE SA TOURNÉE.

Pour moi, mes amis, ce fut comme afficheur que je me mis en campagne. Chargé, sous un bras, d'un paquet de placards, et portant, de l'autre côté, mon pot à colle et ma brosse, je dirigeai mes pas vers les hameaux qui sont au-delà du bois.

Mes affiches, vous le savez déjà, étaient ces petits traités-religieux, ces instructions, ces avis imprimés sur une feuille et d'un seul côté, qu'on attache à la paroi, à la place des ridicules ballades, ou des images dangereuses, qui ne se voient que trop dans les demeures des pauvres. J'en avais une collection de plusieurs sortes.
Pour m'abréger la route, je passai par les carrières, de ce côté-ci du bois ; et j'allais descendre le chemin qui les traverse, lorsque je vis, devant moi, et tout près, un monsieur que je reconnus être le pasteur d'un village voisin et qui allait lui-même de ce côté-là.
Vite, sans perdre une minute, je me tapis derrière un buisson, j'encolle une de mes affiches, et courant, à moitié courbé, et comme le chasseur qui suit sa proie, le long des broussailles, je précède le promeneur, j'applique ma feuille contre le rocher, en face et tout près du chemin, et je vais me blottir, à trois pas de là, sous des arbustes, pour voir si mon piège réussira.

Le pasteur arrive à pas lents : il s'arrête pour considérer cet endroit, qui est très-pittoresque ; et de rocher en rocher, son oeil descend vers celui qui porte l'affiche, sur laquelle se fixe son regard.

Alors commence un monologue des plus originaux, et pendant lequel, je vous le confesse, j'eus beaucoup de peine à ne pas me déceler par mon fou rire.
J'ai écrit, depuis, cette petite scène. La voici : je vais vous la lire.

Le passant. Un écriteau !.... Voyons ce que c'est. Il s'approche de l'affiche, prend son binocle, et lit à, haute voix :

AVIS IMPORTANT À CEUX QUI EN DONNENT AUX AUTRES.

Le passant. Hé ! voilà un singulier titre ! Que peut donc être ceci ? Voyons.

Je m'adresse à vous, Prédicateurs ! et c'est avec autant d'amour que de sérieux, que je vous supplie de peser mes paroles.

Le passant. Eh bien ! donc, cela me concerne ; et cela me paraît solennel. Poursuivons.

Si vous ne prêchez pas Jésus, et la puissance de sa croix, hélas ! vous prêchez le diable et le chemin de l'enfer.

Le passant. Oh ! oh ! c'est un peu vert ! Cependant il y a du vrai. Allons plus loin.

Si vous enseignez que Jésus n'est qu'un homme, ou tout au plus une sorte d'ange, vous n'êtes certainement pas un ange, et vous serez toujours un bien pauvre homme...

Le passant, en hochant la tête. - Ah ! il faut s'entendre, ici .... car, enfin.... Mais, continuons.

Car si celui qui vient sauver, n'est qu'une créature, j'en puis faire autant qu'elle, et Jésus me devient inutile.

Le passant, avec raillerie. Ainsi donc, Monsieur le docteur de papier ! vous croyez que les vertus, les bonnes oeuvres, etc., etc., ne servent à rien ? Je ne suis certes pas de votre avis ; tant s'en faut !... Mais qu'y a-t-il après ?

Malheur à qui fait des bonnes-oeuvres, sans avoir premièrement l'Esprit du seul Bon

Le passant, avec gravité. Sans avoir l'Esprit du seul Bon ! - Mais cela n'est pas si mal dit. C'est bref, et cela dit. beaucoup... La suite ?

Plus d'un ministre se perd, en chassant aux âmes, dans ses propres ténèbres.

Le passant, dépité. Pour ceci, c'est trop fort !
Premièrement, je ne chasse pas aux âmes. Et, de plus, je vois tout aussi clair que plusieurs autres... Avec plus de calme. Cependant, ce n'est pas entièrement faux. Mais, que va-t-il dire encore ?

Prêcheur ! comprends-tu que si tu parles de conversion, sans être toi-même converti, tu fais moins que ne fit l'ânesse de Balaam ? Car, pour elle, ce fut l'Esprit de Dieu qui la fit parler ; tandis que...

Le passant indigné. Quelle insolence ! Quelle impertinence ! Il tire un couteau de sa poche, et se prépare à détruire l'affiche. Je lui montrerai que, si je suis moins qu'un âne, ... Mais, sot que je suis ! pourquoi prendre ceci pour moi ? - Voyons plutôt si je ne pourrais point enlever... Ah ! c'est tout fraîchement posé.... La voici.
Il détache entièrement l'affiche, qu'il étend sur sa canne, pour en faire sécher la colle. Je serai bien aise de relire cela plus à loisir. Car, enfin, il s'y trouve du vrai, et du très-vrai. Pourquoi donc le mépriser ?

Tel fut mon premier succès ; et vous pouvez comprendre combien j'en dus jouir. Je m'esquivai lestement, sous le couvert d'un taillis, et je hâtai mes pas vers une maisonnette que j'avais aperçue, près de la lisière du bois.
Comme j'en approchais, j'entends des voix ; je discerne bientôt qu'on se querelle ; et en passant devant les fenêtres, qui sont tout ouvertes, je vois deux femmes, très-agitées, dont l'une dit à l'autre, du ton le plus âpre. Vous voyez comme j'aime la paix, mais il n'y en a plus ici.

Eh bien ! en voici, et de la véritable ! m'écriai-je, par-dessus leur bruit, en leur présentant, par la fenêtre, une de mes affiches. Si vous en voulez, dites-le : car je la donne, et de bon coeur.
Entrez donc ici, me dit la plus âgée de ces femmes, et nous donnez cette paix ! Nous en avons, je vous assure, un singulier besoin.

J'obéis et j'entrai. Ces femmes étaient seules, et un petit enfant dormait sur les dalles, dans son berceau.
Il faut, dis-je gaîment, que cet enfant ait bon sommeil, pour dormir si profondément ici. Tenez, ajoutai-je aussitôt, en m'adressant à la plus jeune des femmes, voici l'histoire d'un petit enfant, plus intéressant encore que celui-ci...
C'est ma fille ! me dit-elle avec vivacité.
N'importe ! n'importe ! repris-je. Lisez toujours, et vous verrez si je vous trompe.
Pour vous, Madame, dis-je à l'autre femme, puisque vous aimez la paix, en voici. Voyez ! Je vais vous la mettre là, au grand jour, afin que vous puissiez la retrouver toutes les fois que vous en aurez besoin.

Et sans attendre sa réponse, je prends ma brosse et, ma colle, j'empâte la muraille, et j'y applique mon placard.
Que mettez-vous donc là ? me dit l'amie de la paix, en me regardant faire.
Lisez vous-même, lui dis-je. Voyez ce beau titre :

LE PRINCE DE PAIX ; ROI DES ROIS ET SEIGNEUR DES SEIGNEURS ;

ou histoire véritable du plus grand, du plus beau, du plus riche, du plus bienfaisant et du plus clément des princes ; suivie du récit de la victoire complète qu'il remporta sur le grand ennemi du genre humain. 

Vous voyez, ajoutai-je, que ce doit être intéressant.
Je le lirai, et tout entier, me dit-elle ; et cela, tout-à-l'heure.
Bien ! lui dis-je en reprenant mon petit bagage ; mais souvenez-vous que quand on lit l'histoire du Prince de paix, il faut, avant tout, cesser de se faire la guerre.
Pour moi, dit la plus jeune, sans relever la tête, je ne commencerai pas. D'ailleurs, j'ai ici quelque chose à lire, qui déjà m'intéresse beaucoup.
Qu'est-ce que c'est ? lui demanda sa compagne.
C'est intitulé, répondit-elle : Histoire où l'on voit comment un géant, très-méchant et fort à plaindre, devint tout-à-coup un petit enfant, et fut dès lors et pour toujours heureux.
Et comment s'appelait ce géant ? demanda la questionneuse.
Il s'appelait Superbe, répondit celle qui lisait et quand il devint enfant, on le nomma Né-de-nouveau.
Allons ! allons ! dis-je, en les quittant, je vois avec plaisir que vous savez lire l'une et l'autre...
Maintenant donc, que Dieu vous mette ce que vous lirez là, dans le coeur ; qu'il le bénisse ; et qu'ainsi lui-même vous donne sa paix !
Ainsi soit-il ! dirent-elles toutes deux ; et je sortis, pour me rendre au hameau le plus voisin.
J'y arrivai bientôt ; et devant la première maison je vis debout sur le pas de la porte, un certain demi-monsieur, qui, d'un air scrutateur, me regardait venir, d'assez loin.
Que portez-vous là, jeune homme ? me dit-il, avec un peu de morgue, quand je fus à deux pas de lui.
C'est l'histoire du coeur humain, lui répondis-je, avec ouverture. Voulez-vous, Monsieur, connaître le vôtre ?
Je sais ce qu'il est depuis long-temps, reprit-il, en se redressant encore plus ; et c'est d'un bon maître que je l'ai appris.
il n'en est qu'un qui le connaisse, répliquai-je, et c'est Celui qui l'a fait, et qui le sonde. Dieu seul, Monsieur, peut nous révéler ce que, nous sommes : c'est la Bible qui le dit.
Babioles et fariboles d'enfants et de femmelettes ! s'écria-t-il avec dédain. Avant que votre Bible fût écrite, les sages avaient parlé. Et voici l'un de mes maîtres, ajouta-t-il, en allant décrocher de la muraille d'un cabinet qui touchait à la porte, une gravure encadrée, qu'il me montra, avec fierté.
Voilà un sage ! C'est Caton l'ancien, Monsieur. Voyez-le, entouré de sénateurs, qui de nuit viennent le consulter, et à qui il dit cette parole sublime, qui est la règle de ma vie entière : La vertu, forte d'elle-même, n'a besoin de personne.
Pas même de Dieu ? demandai-je avec fermeté.
De personne ! répliqua cet impie, qui rentra chez lui, et que je quittai sans peine.

Vis-à-vis de sa maison était celle d'un laboureur de bonne mine, qui fumait tranquillement sa pipe, assis sur un banc, devant sa demeure, et qui avait pu entendre notre conversation.
Je m'approche de lui ; il me salue, et je lui demande avec cordialité, si c'est du bon tabac qu'il fume.
Pas mauvais, me répond-il. En voulez-vous goûter une pipe, avec moi ?
C'est selon de quel feu vous vous servez, lui dis-je, d'un air mystérieux.
Comment, de quel feu je me sers ! reprend-il, avec surprise. C'est de celui qui brûle, je pense ?
En avez-vous du froid, peut-être ?
Non, lui dis-je, sérieusement. Mais moi je sais qu'il y a deux feux : l'un qui s'éteindra, et l'autre qui ne s'éteindra jamais :
Jamais ! reprend le laboureur. Hé, s'il vous plaît, quel est ce feu-là ?
Celui de l'enfer, lui dis-je, dont la fumée s'élèvera aux siècles des siècles.
Ah ! je vous comprends, à présent, s'écrie-t-il, en se levant. Entrez, s'il vous plaît, et vous le verrez ici, en tableau.

J'entre après lui, et il me montre, sur le mur de la chambre, cette mauvaise estampe bien connue, où les diverses conditions de la vie sont représentées, et dans un des coins, les flammes de l'enfer, où sont rejetés les méchants.

Voyez-vous, dit-il, là, dans ce coin, ce feu dont vous parlez ?
Et comment, demandai-je, tout en cherchant parmi mes affiches, ferez-vous pour n'y pas tomber vous-même ?
Comment, moi-même ! reprend-il avec une sorte d'indignation. Suis-je donc sur ce chemin-là ?
Mais, lui dis-je, tout pécheur s'y trouve, et de naissance, et par ses oeuvres. Comment donc, puisque vous êtes un pécheur, tout aussi bien que moi et tous nos semblables, vous y prendrez-vous pour éviter la punition des pécheurs ?
Ah ! dame ! Monsieur ! répond-il, avec un peu d'embarras, on tachera de se réformer ; de...
Allons, mon ami, lui dis-je, en prenant une de mes affiches, je vois que vous n'y entendez encore rien, non, rien du tout. Voici qui vous l'apprendra. - Où voulez-vous que je le mette ?
Qu'est-ce que c'est donc que votre écrit ? demanda-t-il, en y portant les yeux.
Voyez, lui dis-je : Irez-vous enfin au ciel ; ou bien tomberez-vous dans l'enfer ? voilà ce qu'il vous demande.
Eh bien ! reprend le paysan, avec un ton approbatif, cela ne peut qu'être bon. Tenez, mettez-le là, tout à côté de l'estampé. Celui qui regardera l'une, lira l'autre aussi ; et cela ne lui fera point de mal.

Je prends donc ma brosse, et l'affiche est posée et je dis, en l'appliquant contre le mur : Que Dieu s'en serve pour montrer à plusieurs le chemin du ciel !
Qu'il le fasse ! dit le paysan, avec sérieux. Je vois, ajoute-t-il, que vous êtes un brave homme ; un ami des villageois ; et que c'est pour nous faire du bien que vous prenez tant de souci. Eh bien ! Monsieur, poursuit-il, en jetant un coup d'oeil vers la maison du philosophe, si l'on vous crie contre, ici et la, ne vous en inquiétez pas. Tel chien qui d'abord aboie, finit par lécher. D'ailleurs, Monsieur, les dents des méchants sont toutes cariées : elles ne peuvent donc serrer longtemps. Ainsi, prenez courage !

Nous nous pressâmes la main avec affection ; je le quittai, et je poursuivis ma tournée, qui, à peu près partout, trouva bon accueil. Je rencontrai bien quelques petits chiens qui aboyèrent, et quelques esprits malins qui me mordirent, mais je me dis qu'une autre fois, peut-être, les premiers viendraient me lécher la main, et que les autres auraient perdu leurs dents ; et suivant le conseil du laboureur, je pris bon courage, jusqu'au bout.
Mais que vous dirai-je d'une des plus humbles maisons que je visitai ? Ah ! que le Seigneur Jésus est aimé sous ce toit de chaume ? Quel disciple de la vérité, quelle servante fidèle et soumise, il y voit et console !

C'est une veuve, à qui restaient deux fils encore enfants, et qui étaient ses aides chéris, et sa douce consolation. Il y a moins d'un mois que le Seigneur lui a redemandé Laurent, l'aîné de ses fils ; et maintenant elle est dans le deuil, avec celui qu'elle possède encore, l'aimable et charmant petit Benjamin, qui s'émeut et sanglote, dès que le nom de son Laurent est prononcé.
0 mes amis ! quelles douleurs entrent quelquefois dans le coeur de l'homme, même, hélas ! dès l'âge le plus tendre !

Quand je passai devant la petite cabane de la pauvre veuve, elle était assise, près de sa porte, ayant une des mains de Benjamin dans les siennes.
Je vis bientôt que j'étais devant des affligés, et ce fut avec émotion que je dis : Que le Dieu de toute consolation soit avec vous, et que sa Parole vous soutienne !

Ah ! qu'il vous exauce et qu'il nous aide ! répondit la mère avec piété. Il est notre Père, et quand il afflige ses enfants, c'est en les pressant sur son coeur !

Je m'assis à côté d'elle, et je lui demandai quel était le deuil qu'elle portait, avec son enfant. Alors elle me raconta sa touchante histoire, que j'ai écrite, en partie, dans une complainte, et que je pourrai vous réciter un autre jour. (1)
Excellent ! dit le Négociant ! quand son commis eut cessé de parler. Excellent ! je vous assure. J'ai envie, dimanche prochain, si Dieu le veut, d'aller sur vos traces ; non pas, sans doute, pour afficher, car je ne saurais comment m'y prendre ; mais pour voir le résultat de votre oeuvre.
J'ai ouï dire, et j'ai lu, aussi, plus d'une fois, dit la Veuve, que cette espèce-là de traités-religieux est une des plus efficaces ; et j'exhorte beaucoup notre jeune frère à réitérer ses excursions. Celle-ci doit le réjouir ; car le Seigneur peut en faire sortir sa gloire pour plus d'une âme. Que j'aime surtout cette pauvre Veuve !

Béni soit Dieu, ajouta l'Étudiant, pour le bien qu'il a daigné mettre devant nous, ses indignes serviteurs ! Ah ! qu'il lui plaise de nous préparer d'autres oeuvres de sa miséricorde, et de nous y faire marcher par l'Esprit du Seigneur Jésus !

Amen ! dirent les amis ; et après être convenus que le lendemain, si Dieu le permettait, ils continueraient leur travail de charité, selon que le Seigneur le leur mettrait au coeur, ils lurent sa sainte Parole, ils prièrent le Père céleste, et ils se séparèrent dans sa paix et son amour, en se donnant rendez-vous pour le samedi suivant, à la même heure.

1 Voyez : Chants et Chansons pieuses, pour les Écoles chrétiennes. Genève, 1840, page 133.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant