Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUELQUES OEUVRES DU DIMANCHE.

suite

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MISSION DE LA VEUVE DU NOTAIRE.

On n'attend pas, sans doute, qu'une sauterelle fasse un bond aussi haut que celui d'un chamois.
Ce sont de petites oeuvres que celles d'une femme, et d'une femme déjà vieille et cassée. Mais, comme l'a dit un apôtre, « lorsque la bonne volonté précède, l'on est agréable avec ce qu'on a, et non point avec ce qu'on n'a pas. »

Pénétrée à la fois du sentiment de mon infirmité, et de la puissance de cette parole, je me mis en route, vers les quatre heures, ayant avec moi mon fidèle compagnon, ce pauvre chien de mon mari, qui semble avoir perdu la voix depuis qu'il n'a plus son maître. Mais ce compagnon-là était peu de chose. J'en avais un autre qui était mon gardien.
C'était Celui que l'oeil ne voit pas, et que l'oreille n'entend pas, mais qui se montre aux yeux de l'âme, et qui parle dans notre coeur. C'était mon Dieu.
Mais, vous me demandez, n'est-ce pas, ce que j'allais faire ainsi seulette, et sur les chemins. Eh bien, je vous le dirai : J'allais quêter ; oui, quêter ; et n'en souriez pas, mais admirez plutôt la main de l'Éternel : car elle fut avec moi.
Et pour qui cette quête ! dites-vous dans vos pensées. - C'était pour nos chers Colporteurs. Et ce fut en me représentant leurs ennuis, et les rebuts qu'ils ont à souffrir, que je me préparai à les supporter aussi pour eux.
Et si vous me dites, aussi, comme vous pourriez bien le faire, qu'en allant quêter, j'oubliais le but de ma mission, qui était d'enseigner quelque pauvre âme, et de l'amener au sentier du ciel, je vous répondrai que, comme le centre d'une roue à pour chemin tous ses rayons, ainsi les rayons de la charité mènent toujours au centre, qui est le Seigneur Jésus.

J'allais donc pour quêter. Mais me voilà bien embarrassée, quand je me vois au milieu des champs, et que je ne sais de quel côté porter mes faibles pas. Alors je m'adresse à mon Dieu, à qui je demande conseil ; puis je prends un sentier derrière le village ; et quelques pas plus loin, je me trouve vis-à-vis d'un beau monsieur, presque aussi vieux que moi, et de l'apparence la plus respectable.
Que va faire la quêteuse ? car voici le moment d'agir ; et je sens mon coeur battre, comme au jeune âge, et le monsieur va passer et s'en aller.
Alors je m'arrête, et le plus poliment que je sais le faire, je lui dis : M'écouterez-vous, Monsieur, si je vous dis que je suis en quête ?
Et le monsieur de me répondre : Sans doute, Madame, si votre quête est pour quelque chose d'utile.
Sur quoi je dis : Elle est pour le règne de Jésus : vous savez donc ce qu'elle est.
Alors, me dit l'homme riche, car c'en était un : Plusieurs disent qu'ils travaillent pour ce règne-là, et qui ne le font guère. À quoi destine-t-on votre quête ?
Aux plus humbles, aux plus ignorés, de tous les ouvriers de la vigne, répondis-je : aux colporteurs.
Mais les colporteurs étaient encore inconnus sur le sentier, derrière le village ; ou plutôt, ni leur nom, ni leur oeuvre, n'avaient franchi le seuil de l'homme opulent à qui je parlais.
Aussi me dit-il d'un air étonné : Quels sont ces ouvriers-là ? Jamais, encore, on ne m'en parla.
Le colporteur évangélique, lui dis-je, est un ami du Seigneur Jésus ; et chargé du Livre de Dieu, il s'en va de ville en ville, et de village en village, pour offrir aux hommes, contre un peu d'argent de ce monde, l'or inestimable des cieux la Parole du salut.
Et pourquoi, reprit l'homme riche, puisqu'ils vendent ce livre, faut-il quêter pour eux ?
Ah ! Monsieur, répondis-je, et peut-être avec vivacité, si ces serviteurs-là portaient, au milieu du monde des livres du monde, le monde aimerait ce qui serait sien, et il donnerait son argent en abondance. Mais ces ouvriers-là sont ceux du Père de famille céleste, et c'est à des pécheurs qu'ils offrent le livre du pardon, et personne n'en veut, ou bien ou ne l'estime que comme un peu de papier. Ce que Dieu y dit à l'âme n'a, pour le monde, aucune valeur. Il faut donc quêter, non pour les colporteurs, car ils vivent de peu, mais pour leurs oeuvres.
J'y penserai, dit froidement l'homme riche, mais je n'en vois pas encore l'utilité. Et il s'éloigne en laissant sur le sentier la vieille quêteuse toute triste et le coeur serré.

Mais ainsi Dieu l'avait voulu, afin que sa servante apprit que les choses grandes de ce monde ne sont pas celles que Dieu préfère, et que si le fleuve refuse ses flots pour apaiser notre soif, même un petit ruisseau peut nous donner son onde.
Et je le trouvai ce ruisseau. Ce fut un peu plus loin, vers le bois, là où se voit cette maison aux tuiles rouges et aux murs revêtus de lierre.
C'est là qu'est un horloger avec sa famille, et ce fut à sa porte que je m'arrêtai, en disant à sa femme qui m'ouvrit : C'est une quêteuse qui se présente, et c'est pour le règne du Seigneur Jésus.
Entrez, s'il vous plaît, m'a-t-on répondu. Reposez-vous. Voici un siège plus commode que celui-là. Appelez votre chien et le faites entrer avec vous. Je vais chercher mon mari. Veuillez m'attendre, je vous prie, etc., etc. Et tout cela s'est dit avec une douceur tout aimable, et déjà mon coeur reprend haleine, et il oublie le chagrin qu'on vient de lui causer.

Le maître de la maison paraît avec sa femme, qu'accompagnent deux jeunes filles, et aussitôt commence la plus agréable conversation.

Ici les colporteurs sont bien connus. Leur journal est reçu chaque mois ; et les enfants de la famille, réunis à quelques autres enfants, ont une petite société de travail dont le produit est la propriété du colportage.
On me montre ce qui se fait à cette société. Ce sont des chapeaux d'enfants, des bas, des tabliers et beaucoup d'autres choses utiles ; et déjà, me dit la mère à ma bonne oreille, on a vendu pour la valeur de douze Bibles. En voilà donc douze, du moins, ajoute-t-elle avec joie, qu'on pourra vendre à bas prix ou même donner, s'il le faut, ou bien cet argent sera pour l'entretien du colporteur qui les distribue.
Mais il fallait, quelque heureuse que je fusse dans cette famille, que j'allasse quêter plus loin, et je dus le dire. Voici donc notre petite offrande, me dit le père en me donnant tout un gros écu. Revenez toujours ici, ajoute-t-il en me prenant la main, quand vous quêtez pour le règne du Seigneur Jésus. Et il m'accompagne jusqu'au chemin.

Je ne vous dis pas que mon âme était émue quand je sortis de chez ces amis du Sauveur, mais je dois vous dire que je priai ardemment notre Dieu de faire goûter un jour à l'homme riche qui m'avait refusé son aide, la joie que le pauvre horloger venait de ressentir « en prêtant à l'Éternel. »
Et cette prière m'accompagna jusqu'à ce que je parvinsse, mais bien lentement, vers le haut de la colline, où sont quelques maisons.

Deux jeunes messieurs sortaient de la maison la plus proche de moi, et l'un d'eux, en me saluant avec respect, ce dont je fus très-surprise, me dit que je paraissais très-fatiguée, et m'invita, comme un fils sa mère, à m'asseoir sur un banc peint, qui est devant la maison.
Le voyant si charitable, je lui dis, dès l'abord :
C'est une quêteuse que vous accueillez ainsi, et c'est pour le règne du Seigneur Jésus qu'elle se présente.
Et pour quelle oeuvre ? demanda l'autre jeune homme. Est-ce pour les missions chez les païens, pour une société biblique, pour des écoles du dimanche, ou pour la mission d'Alger ?
Pour les colporteurs ! ai-je répondu, si heureuse d'être encore en terre connue.
Ah ! ce sont de braves gens que j'aime, dit le premier jeune homme. J'en ai rencontré deux, il y a quelques jours, et je m'en souviendrai, je pense, toute ma vie.
Qu'ont-ils donc fait ? demanda l'attire monsieur. Je revenais de la chasse, lui répond son ami, et je marchais seul sur le grand chemin, le long duquel, à quelques pas de moi, avançaient deux jeunes hommes couverts d'une blaude et portant chacun une balle.
Quand je suis près d'eux, le plus jeune me demande poliment si je possède le livre qui n'a ni commencement ni fin ; qu'on ne peut jamais tout lire, ni jamais assez ; et qui donne au coeur plus de joie qu'il n'y a de lettres sur ses nombreux feuillets.
Je demande quel est ce livre mystérieux ; et le même personnage me répond, en prenant dans sa balle un volume qu'il me présente : C'est le témoignage que Dieu a rendu de son Fils ; c'est le livre du salut ; c'est la Sainte-Bible, laquelle, si l'homme la croit, donne la vie à son âme ; et laquelle, si l'âme la repousse, repoussera cette âme incrédule jusque dans les ténèbres du dehors, où seront des pleurs et des grincements de dents à jamais.
J'achetai le volume, ajouta le jeune monsieur, et, en remerciant les colporteurs, je les encourageai dans leur oeuvre.

Voilà, mes amis, ce que le jeune homme raconta, à ma grande satisfaction, car, dès qu'il se tut, je dis à mon tour : Je suis donc bien venue aujourd'hui, puisque je quête pour ces chers colporteurs du Livre de Dieu !
C'est ce que vous allez voir, me répond le premier de ces messieurs, qui rentre dans la maison, et qui, peu de minutes après, ressort en tenant dans sa main cinq écus ; oui, Messieurs, tout autant ; et qui me les remet avec ces mots : Quoique vous soyez inconnue, Madame, vous nous êtes connue, puisque c'est au nom de Jésus que vous venez. Qu'il bénisse cette offrande, et qu'il vous fortifie pour son service !

Alors je dis qui j'étais, et à ma joie s'ajouta plus de joie encore, lorsque l'autre jeune homme s'écria : Ah ! mon père était un ami de votre mari, Madame, et souvent il m'a dit combien il lui était redevable, pour la droite connaissance du Seigneur Jésus.
Je me pris à pleurer. Oui, mes frères, je sanglotai même, mais ce fut de gratitude envers Dieu. Puis, ayant quitté ces deux jeunes Timothées, car ils sont tels, j'en suis sûre, l'un et l'autre, je revins ici et tout doucement, mes petites forces étant tout épuisées.

Voilà, Messieurs, ma faible mission, et voici la somme qu'elle a recueillie. Quant au chagrin que j'eus d'abord, et à tout le bonheur qui le suivit, je les garde l'un et l'autre en mon coeur, comme venant tous deux de Celui qui nous enseigne pour sa gloire.

Chacun témoigna tout l'intérêt que cette narration venait de lui offrir, et on remarqua combien une telle mission pouvait être efficace pour attirer l'attention de plusieurs âmes sur la parole de Dieu. Les trois amis pressèrent leur digne et respectable soeur de réitérer ses courses charitables, puis on se prépara à écouter l'Étudiant en médecine, qui fit le récit suivant.

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COMMENT SE PASSA LE DIMANCHE DE L'ÉTUDIANT

Je me mis en route comme un vaisseau bien lesté, et qui sort du port sous un bon vent. Je venais d'entendre la parole du Seigneur de la bouche d'un fidèle ministre de sa grâce, et tout en marchant « je me réjouissais comme ceux qui enlèvent le butin. »

Je pensais au privilège dont la miséricorde de Dieu me faisait jouir, de posséder sa parole et de l'entendre expliquer par des hommes éclairés et remplis de l'amour de Jésus.
Quelle serait ma triste condition, me disais-je, si j'étais privé du Livre de Dieu, ou bien si, le possédant, je le dédaignais, et que je préférasse mon intelligence à la sagesse du Très-Haut, et mes vertus à la justice du Sauveur !
Et cependant, ajoutai-je, combien d'hommes de tout âge, et dans la seule ville où j'habite, pour qui la parole du Seigneur est comme un livre nul ! Combien qui la renient, qui la dédaignent, qui la repoussent !

Alors ma pensée se tourna vers le collège où j'étudie ; et me demandant combien de ses professeurs, combien de leurs élèves, se montraient soumis à la Bible et se déclaraient chrétiens, hélas ! m'écriai-je, presque tous parlent ou se conduisent comme si Dieu n'eût jamais révélé sa vérité, comme si jamais le Seigneur Jésus n'eût répandu Son sang sur la croix !
C'est donc à la Bible, poursuivis-je, qu'il faut, avant tout, les amener. C'est elle qui leur parlera d'elle-même, qui leur démontrera qu'elle est de Dieu et que Jésus est l'éternelle vie ! Et tout plein de ce sentiment je me décidai, sous le regard de Dieu, à la faire connaître, ce jour-là, à tous ceux que j'aborderais dans ma course.
Mais quelle ne fut pas ma surprise, et mon embarras aussi, lorsqu'au tournant du chemin, je me trouvai tout près d'un de mes professeurs ; que je ne connaissais que très-peu, et qui se dirigeait vers le même village où j'allais entrer !

Vous le sentez ; il me fallait remplir ma mission : j'y étais engagé devant Dieu ; et c'était de la Bible que j'allais parler à un homme qui, bien probablement, la rejetait. Le moment était critique et je ne pouvais l'éviter.

J'approchai donc du professeur, qui marchait moins vite que moi. Il se retourna, me reconnut, et m'abordant avec obligeance, il me demanda où j'allais à si grands pas.
J'étais hier votre étudiant, lui répondis-je en souriant ; vous me voyez aujourd'hui missionnaire.
Missionnaire ! Vraiment ! reprit-il gaîment. Et pour quelle nouvelle croisade ?
Moitié sérieux et moitié tremblant, je lui répondis. Je vais sur les chemins et sur les carrefours demander, à qui veut m'entendre, s'il a une Bible et s'il la lit.
Vous allez donc me le demander ? dit-il d'un ton léger. Et si je vous réponds que j'en ai bien une, mais que je ne la lis guère, que ferez-vous ?
D'abord, répondis-je, en me préparant à la bataille, dès que vous m'aurez dit cela, je prierai Dieu, dans mon coeur, qu'il ait pitié de vous....
Eh bien ! dit-il, ce premier mouvement sera du moins charitable. Ensuite ?
Ensuite, ajoutai-je avec chaleur, je demanderai, non pas à M. le professeur, parce qu'il serait trop savant pour une telle question, mais à votre âme, si, dans l'éternité, elle jugera de la Bible, comme elle en juge aujourd'hui.

Le professeur s'arrêta ; il appuya sur son côté la main qui tenait sa canne, et il me dit, avec le ton d'un supérieur : Votre demande ne serait-elle point celle du scalpel d'un chirurgien ?
Qui souffrirait lui-même, dis-je, avec respect, bien plus que son patient : car c'est quelquefois une opération bien douloureuse au coeur, que de parler à de pauvres pécheurs de l'amour infini de Dieu.

Comme je disais cela, nous approchions d'un pont qui traverse une rivière de la plus belle eau, et dont les bords forment le plus charmant paysage. Au-delà du pont paraissait le village, parmi de riches vergers, et surmonté du clocher de l'église, dont la flèche élégante brillait en ce moment comme un long cône d'or
Voilà un bel effet de lumière ! dit le professeur, en rompant notre entretien.
Résolu que j'étais de le poursuivre, je répondis :
Voyez cette belle eau. Qu'elle est profonde ! mais aussi, qu'elle est limpide ! Quels riches reflets du ciel dans les replis de son cours, et quelle grâce dans ces arbres légers qui se penchent sur elle comme de souples panaches ! Que ces oeuvres de Dieu sont aimables ! Mais combien celles de sa grâce envers l'homme le sont plus encore ; et que nous sommes heureux, n'est-ce pas, de posséder le livre qui nous les montre dans tout leur éclat !
La Providence est toujours admirable, répondit le professeur, d'un ton sec et impatienté.
Ah ! repris-je avec sentiment, c'est Jésus, le Fils de Dieu, qui est l'Admirable, dit la Bible. La Providence n'est qu'un mot. C'est Dieu qu'il nous faut nommer et qu'il nous faut louer. C'est lui qui est la vie !

Alors ce professeur, cet homme cultivé et si raisonnable, montra combien la sagesse de ce monde est ennemie de celle de Dieu. Il s'arrêta, et frappant de son bâton la terre, il me dit : La vie, Monsieur, c'est l'existence !... Et je vous la souhaite aussi heureuse qu'à moi
En disant ces mots, il me fit un court salut et me quitta brusquement.
Alors cette parole du Sauveur à son Père, me revint à l'esprit : « Tu as caché ces choses aux sages et aux entendus, et tu les as révélées aux petits enfants » (Matth. XI, 25.)

Je me trouvais à l'entrée du village et, dans l'espoir d'être mieux accueilli des simples et des chétifs, que je ne l'avais été de ce savant, je me dirigeai vers une chaumière, entourée d'une clôture de lattes, et dont la porte était ouverte.
Vis-à-vis de cette maison, et de l'autre côté de la route, était un groupe de quelques personnes devant qui je passai. C'était une femme entourée de quatre ou cinq enfants, à qui elle paraissait raconter quelque chose.
Fidèle à ma mission, je m'approche, je salue la maman, et je dis, avec affection, à une petite fille. qui était debout a côté d'elle : C'est bien agréable, n'est-ce pas, d'écouter les histoires de la Bible, qu'une bonne maman ou une bonne voisine vous raconte ?

La Bible ! la Bible ! s'écria la conteuse en ricanant ; c'est bien le moment d'en parler ! On la lit à l'école, Monsieur ! Et n'est-ce pas assez ?
Hélas ! lui répondis-je, le coeur comme meurtri de ce nouveau coup, la Bible est la voix du bon Dieu qui nous fait vivre, et qui nous a donné son Fils pour Sauveur. Pardonnez-moi ma question. Je ne pensais pas que ce fût mal à une mère, et surtout le dimanche, d'entretenir sa famille de l'amour du Seigneur. Et là-dessus je m'éloignai de cette pauvre créature, pour me présenter à la porte ouverte de la chaumière.

J'hésitais, cependant, à m'adresser à de nouvelles âmes. Il me semblait qu'un esprit de moquerie et de malice contre Dieu planait sur ce village. J'étais très-malheureux, et je gémissais en marchant.
Mais que j'eusse mal fait de me laisser rebuter, et de ne pas entrer dans la chaumière ! Quelle perte de grand prix je devais y trouver, et quelles consolations mon coeur devait remporter de cette humble demeure !

Une femme âgée, d'un extérieur très-décent, vint à ma rencontre, et s'informa de ce que je souhaitais. Vous demander, lui dis-je avec timidité, si... vous avez... une Bible, et si, par la grâce de Dieu, vous aimez à la lire.
Dieu vous bénisse, Monsieur, pour votre demande ! reprit-elle en me faisant sa révérence ; et béni soit-il aussi de ce que, par sa grâce, nous avons sa bonne et sainte Parole !
Prenez la peine d'entrer, poursuivit-elle. Vous trouverez là, dans ce cabinet, mon mari qui, justement, la lit à cette heure. Mais, au reste, il ne fait guère que cela chaque jour et tout le jour.

J'entre, et près de la fenêtre du cabinet, je vois un vieillard attentif à la lecture du saint Livre, posé devant lui sur une sorte de lutrin que soutient une petite table.
Béni soit le lecteur, dis-je en entrant, et le saint nom de celui qui l'enseigne.
Amen ! amen ! me répond le vieillard, en me regardant par-dessus ses lunettes ; et qu'il bénisse aussi la bonne âme qui vient me visiter ! Voilà un siège, mon cher Monsieur. Il est de bois ; mais c'est dans une maison de paix qu'il vous est offert.

Ainsi m'accueillit le vieil habitant du village ; et ce fut avec un ton et des manières que la politesse de la ville n'eût pas reniées. Car, plus d'une fois déjà, j'ai remarqué combien la piété rend aimable, et comme elle apprend au coeur du chrétien ce que la civilité du monde ne met que sur les lèvres et dans les gestes.
Vous aimez donc la Bible ? lui dis-je en approchant mon siège de sa table.
Ah ! mon cher Monsieur, dites plutôt que c'est elle qui m'aime, que c'est elle qui me cherche, qui m'appelle et qui me retient auprès d'elle. Ah ! certainement non, ce n'est pas moi qui l'ai aimée le premier ni qui l'ai cherchée. Bien au contraire, mon cher Monsieur ; car je la tenais, jadis, pour très-peu de chose. Et puisque vous voulez bien m'écouter, je vais vous dire tout cela. Vous savez que le vieillard aime à raconter ; et comme c'est de la miséricorde de Dieu que je vous entretiendrai, je ne crains pas d'être un peu long.
Je vous dirai donc, Monsieur, poursuivit-il en ôtant ses lunettes et en se renfonçant dans son fauteuil, que je suis l'ancien régent d'un village voisin. J'ai soixante-seize ans, et je n'ai ma retraite d'invalide que depuis huit ans.
J'ai vécu dans de mauvais jours, de très-mauvais jours ; et ce ne fut pas l'Évangile qu'on m'enseigna ni dans mon enfance, ni dans ma jeunesse. Ce fut la religion du monde et pas autre chose. J'appris dans le catéchisme, j'entendis prêcher à l'église et répéter chez mon père et partout, que l'homme naissait innocent ; que ses vertus le rendaient digne du ciel ; et que le Seigneur Jésus n'était qu'un simple homme, ou, tout au plus, une sorte d'ange. Et voilà ce que je crus aussi, et ce que, plus tard, j'enseignai dans l'école qui me fut confiée.
J'ai deux filles, Monsieur ; l'une et l'autre sont établies, maintenant, dans ce village-ci ; et ces pauvres enfants furent instruites par moi dans la religion, comme je l'avais été moi-même.
Or, il y a une quinzaine d'années, environ, que la plus jeune d'elles fit un voyage, comme domestique, avec une famille étrangère ; puis, au bout de trois ans, elle revint chez moi. Mais elle n'était plus la même personne, quant aux choses du ciel, et ce que j'avais aperçu dans ses lettres écrites à sa mère, je le vis de mes yeux et je m'en irritai.
Oui, Monsieur, je me fâchai contre cette chère enfant, parce que, d'entrée, elle demanda qu'on eût à la maison, chaque jour, un culte de famille ; parce qu'elle se mit à prier, toujours, sans doute, avec ma permission, avant et après le repas, et en s'adressant au Seigneur Jésus ; parce qu'elle lisait dans la Bible, dès que son travail cessait ; parce qu'elle parlait tout ouvertement du salut, et qu'elle disait qu'il était gratuit, et que les oeuvres de l'homme n'effaçaient aucun péché ; mais surtout (et c'était ici le sujet de ma plus grande irritation), parce qu'elle soutenait, et toujours en me citant la Bible, que le Seigneur Jésus est l'Eternel-Dieu, manifesté en chair.
Je haïssais cette dernière doctrine, et je m'emportais même contre ma fille, qui, cependant, était la plus douce et la plus respectueuse des enfants, toutes les fois qu'elle la rappelait. Et pour couvrir ma propre faute, je l'accusais d'orgueil, et d'avoir une religion farouche, qui damnait tout le monde.
Ah ! Monsieur, ce que j'ai dû faire souffrir à cette chère enfant n'est connu que d'elle et de Dieu ! Sa mère, que voilà, l'approuvait. Elle avait été, elle, enseignée dans un autre pays que le nôtre, et elle croyait à la divinité du Seigneur Jésus, et, par conséquent, au salut par grâce. Eh bien ! sa mère était aussi le sujet de mon humeur difficile et de mes reproches continuels ; et je me renforçais chaque jouir dans cette irritation, par la lecture des brochures et des journaux que publiaient ceux qui enseignaient notre pauvre peuple.
Je n'étais cependant pas irréligieux. Non, Monsieur : tout au contraire. Je me piquais de respect pour la Bible, et j'étais très-régulier à lire mes prières. Mais je détestais la doctrine de la justification par la foi. J'étais le Pharisien de la parabole ; et mes mérites, mon intégrité, mes vertus, ma religion, étaient à mes yeux le vrai chemin du ciel.
Maintenant, - au bon Dieu soit toute gloire ! - Je hais ce que j'aimais, et j'aime ce que je haïssais. C'est à Jésus, qui est Dieu manifesté en chair, et qui m'a racheté gratuitement par son sang précieux, c'est à lui, et à lui seul, que j'appartiens, et plus, non, plus à la sagesse, ni à la vaine justice de ce monde. Je suis chrétien, mon cher Monsieur, depuis près de sept ans ; et ce qui m'est bien doux, c'est que je suis le fils spirituel de cette chère fille, que si longtemps je repoussai de moi.
Oui, Monsieur, ce fut d'elle que la force et la grâce de Dieu se servirent pour arriver jusqu'à mon coeur, et pour le soumettre à Jésus. - Et combien ne suis-je pas heureux ! Oh ! quelle différente vie ; et surtout, quel autre avenir !

Et voici, ajouta-t-il, en touchant la Bible, ma consolation, ma joie et la nourriture de mon âme. J'ai déjà lu sept fois, en entier, ce saint livre : chaque année une fois ; et plus je le relis et le sonde, plus mon coeur est vivifié et béni ! Il est mon occupation ; il est aussi mon délassement. Autrefois, - ah ! il n'y a pas si longtemps ! - les journées m'étaient longues, principalement en hiver ; et quand ne venaient pas mes amis, comme ils se nommaient, pour médire ou pour jouer avec moi, j'étais ennuyé, morose et plein de murmure,

Aujourd'hui, ces amis-là nous ont quittés : hélas ! la bonne odeur de Christ leur a déplu ; et, à l'exception des visites de nos filles et de leurs enfants, et de deux ou trois amis de la Bible qui sont dans ce village, nous passons nos jours comme deux solitaires ; mais, cependant, jamais seuls : car notre Seigneur loge avec nous, et la joie de son amour remplit notre chaumière.

Le vieux régent s'était tu ; mais j'écoutais encore ; et ce ne fut qu'après un moment de silence, que je lui dis tout ce que j'avais dans le coeur, et combien mon âme était édifiée.

Cependant il fallait. que ma mission se continuât ; et je pensai. que je devais engager les deux chrétiens qui me recevaient, à tenir chez eux un dépôt de Bibles, et à encourager, au moyen des deux ou trois fidèles du village, les pères et les mères de famille à se procurer les saints livres.

Le vieux régent me dit qu'il y avait déjà, dans le village, quelque chose d'établi pour cela même, mais que c'était une fausse Bible que l'on répandait : que plusieurs passages en étaient changés, et, en particulier, ceux qui établissent la justification gratuite du pécheur et la divinité éternelle du Fils de Dieu.
Les misérables m'écriai-je tout indigné. C'est donc même avec la Bible qu'ils cherchent à séduire le peuple, et à l'avoir pour leurs disciples !
Hélas ! oui, répondit le vieillard, avec douleur. Pauvres gens ! ils sont aveuglés, et ils s'obstinent contre Dieu. Mais laissez faire le Seigneur : leur oeuvre n'ira pas bien loin. On m'a dit qu'ils ont déjà perdu beaucoup d'argent par l'impression d'une première Bible, qui de tous côtés a été rejetée ; et il en sera de même de celle qu'ils viennent de publier. Par exemple, Monsieur, il n'y a que trois jours qu'une pauvre et ignorante fille, qui sert chez un fermier du voisinage, est venue me demander pourquoi une Bible, qu'une dame lui a donnée, était différente de celle qu'elle avait vue chez une vieille parente, et elle ajouta ces mots : je ne sais pas bien pourquoi, mais j'aime mieux celle d'autrefois, je la crois plus véritable.
Eh bien ! donc, dis-je au vieux régent et à sa femme, ayez chez vous un dépôt de véritables Bibles, et faites-le savoir dans ce village-ci, et dans les autres des environs ; et nous demanderons à Dieu qu'il les introduise où il n'y en a pas encore, et qu'il les mette à la place des fausses Bibles, partout où celles-ci se trouvent.

Et c'est aussi, chers amis, continua l'Étudiant, ce que j'ai pu faire cette semaine. Je me suis procuré des Bibles et des Nouveaux Testaments d'une version pure, et je les ai envoyés chez le vieux régent, qui, conjointement avec les quelques fidèles du lieu, a formé un petit comité, que je me propose de visiter régulièrement, et qui correspondra avec notre société biblique.

À mon retour, je repassai le pont, près duquel le philosophe avait repoussé Jésus et l'éternelle vie. Je sentis alors mon coeur s'échauffer en moi. Je fus rempli à la fois de douleur et d'un profond intérêt pour les âmes séduites par cette fausse sagesse ; et pendant que je marchais vers mes heureux foyers, où le Christ de Dieu est connu, m'adressant dans ma pensée à ces âmes trompées, je traçai quelques lignes que voici, et que vous lirez à votre loisir, si cela, vous est agréable.

Ce fut là tout ce que je fis, dimanche dernier ; et je n'en parle, qu'en priant le Seigneur de bénir ce que ma bouche a pu dire à sa gloire, et de faire croître le petit germe que ma faible main à semé.

Ainsi parla l'Étudiant ; sur quoi le Négociant remarqua que l'Éternel avait coutume de donner aux desseins les plus puissants de sa grâce, les commencements les plus faibles, aux yeux des hommes.
Afin, ajouta la Veuve, que la gloire du commencement n'enfle pas le coeur des ouvriers, et que celle de la fin n'appartienne qu'à Dieu. - Mais, ajouta-t-elle, en s'adressant au Commis, c'est à vous, notre cher frère, à prendre la parole.
Le jeune homme obéit, et son récit ne fut pas moins intéressant que les trois autres. voici ce qu'il raconta,

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