On n'attend pas, sans doute, qu'une sauterelle
fasse un bond aussi haut que celui d'un chamois.
Ce sont de petites oeuvres que celles
d'une femme, et d'une femme déjà
vieille et cassée. Mais, comme l'a dit un
apôtre, « lorsque la bonne
volonté précède, l'on est
agréable avec ce qu'on a, et non point avec
ce qu'on n'a pas. »
Pénétrée à
la fois du sentiment de mon infirmité, et de
la puissance de cette parole, je me mis en route,
vers les quatre heures, ayant avec moi mon
fidèle compagnon, ce pauvre chien de mon
mari, qui semble avoir perdu la voix depuis qu'il
n'a plus son maître. Mais ce
compagnon-là était peu de chose. J'en
avais un autre qui était mon
gardien.
C'était Celui que l'oeil ne voit
pas, et que l'oreille n'entend pas, mais qui se
montre aux yeux de l'âme, et qui parle dans
notre coeur. C'était mon Dieu.
Mais, vous me demandez, n'est-ce pas, ce
que j'allais faire ainsi seulette, et sur les
chemins. Eh bien, je vous le dirai : J'allais
quêter ; oui, quêter ; et
n'en souriez pas, mais admirez plutôt la main
de l'Éternel : car elle fut avec
moi.
Et pour qui cette quête !
dites-vous dans vos pensées. -
C'était pour nos chers Colporteurs. Et ce
fut en me représentant leurs ennuis, et les
rebuts qu'ils ont à souffrir, que je me
préparai à les supporter aussi pour
eux.
Et si vous me dites, aussi, comme vous
pourriez bien le faire, qu'en allant quêter,
j'oubliais le but de ma mission, qui était
d'enseigner quelque pauvre âme, et de
l'amener au sentier du ciel, je vous
répondrai que, comme le centre d'une roue
à pour chemin tous ses rayons, ainsi les
rayons de la charité mènent toujours
au centre, qui est le Seigneur
Jésus.
J'allais donc pour quêter. Mais me
voilà bien embarrassée, quand je me
vois au milieu des champs, et que je ne sais de
quel côté porter mes faibles pas.
Alors je m'adresse à mon Dieu, à qui
je demande conseil ; puis je prends un sentier
derrière le village ; et quelques pas
plus loin, je me trouve vis-à-vis d'un beau
monsieur, presque aussi vieux que moi, et de
l'apparence la plus respectable.
Que va faire la quêteuse ?
car voici le moment d'agir ; et je sens mon
coeur battre, comme au jeune âge, et le
monsieur va passer et s'en aller.
Alors je m'arrête, et le plus
poliment que je sais le faire, je lui dis :
M'écouterez-vous, Monsieur, si je vous dis
que je suis en quête ?
Et le monsieur de me
répondre : Sans doute, Madame, si votre
quête est pour quelque chose d'utile.
Sur quoi je dis : Elle est pour
le
règne de Jésus : vous savez donc
ce qu'elle est.
Alors, me dit l'homme riche, car c'en
était un : Plusieurs disent qu'ils
travaillent pour ce règne-là, et qui
ne le font guère. À quoi destine-t-on
votre quête ?
Aux plus humbles, aux plus
ignorés, de tous les ouvriers de la vigne,
répondis-je : aux colporteurs.
Mais les colporteurs étaient
encore inconnus sur le sentier, derrière le
village ; ou plutôt, ni leur nom, ni
leur oeuvre, n'avaient franchi le seuil de l'homme
opulent à qui je parlais.
Aussi me dit-il d'un air
étonné : Quels sont ces
ouvriers-là ? Jamais, encore, on ne
m'en parla.
Le colporteur évangélique,
lui dis-je, est un ami du Seigneur
Jésus ; et chargé du Livre de
Dieu, il s'en va de ville en ville, et de village
en village, pour offrir aux
hommes, contre un peu d'argent de ce monde, l'or
inestimable des cieux la Parole du salut.
Et pourquoi, reprit l'homme riche,
puisqu'ils vendent ce livre, faut-il quêter
pour eux ?
Ah ! Monsieur, répondis-je,
et peut-être avec vivacité, si ces
serviteurs-là portaient, au milieu du monde
des livres du monde, le monde aimerait ce qui
serait sien, et il donnerait son argent en
abondance. Mais ces ouvriers-là sont ceux du
Père de famille céleste, et c'est
à des pécheurs qu'ils offrent le
livre du pardon, et personne n'en veut, ou bien ou
ne l'estime que comme un peu de papier. Ce que Dieu
y dit à l'âme n'a, pour le monde,
aucune valeur. Il faut donc quêter, non pour
les colporteurs, car ils vivent de peu, mais pour
leurs oeuvres.
J'y penserai, dit froidement l'homme
riche, mais je n'en vois pas encore
l'utilité. Et il s'éloigne en
laissant sur le sentier la vieille quêteuse
toute triste et le coeur serré.
Mais ainsi Dieu l'avait voulu, afin que
sa servante apprit que les choses grandes de ce
monde ne sont pas celles que Dieu
préfère, et que si le fleuve refuse
ses flots pour apaiser notre soif, même un
petit ruisseau peut nous donner son onde.
Et je le trouvai ce ruisseau. Ce fut un
peu plus loin, vers le bois, là où se
voit cette maison aux tuiles rouges et aux murs
revêtus de lierre.
C'est là qu'est un horloger avec
sa famille, et ce fut à sa porte que je
m'arrêtai, en disant à sa femme qui
m'ouvrit : C'est une quêteuse qui se
présente, et c'est pour le règne du
Seigneur Jésus.
Entrez, s'il vous plaît, m'a-t-on
répondu. Reposez-vous. Voici un siège
plus commode que celui-là. Appelez votre
chien et le faites entrer avec vous. Je vais
chercher mon mari. Veuillez m'attendre, je vous
prie, etc., etc. Et tout cela s'est dit avec une
douceur tout aimable, et déjà mon
coeur reprend haleine, et il oublie le chagrin
qu'on vient de lui causer.
Le maître de la maison
paraît avec sa femme, qu'accompagnent deux
jeunes filles, et aussitôt commence la plus
agréable conversation.
Ici les colporteurs sont bien connus.
Leur journal est reçu chaque mois ; et
les enfants de la famille, réunis à
quelques autres enfants, ont une petite
société de travail dont le produit
est la propriété du
colportage.
On me montre ce qui se fait à
cette société. Ce sont des chapeaux
d'enfants, des bas, des tabliers et beaucoup
d'autres choses utiles ; et
déjà, me dit la mère à
ma bonne oreille, on a vendu pour la valeur de
douze Bibles. En voilà donc douze, du moins,
ajoute-t-elle avec joie, qu'on pourra vendre
à bas prix ou même donner, s'il le
faut, ou bien cet argent sera pour l'entretien du
colporteur qui les distribue.
Mais il fallait, quelque heureuse que je
fusse dans cette famille, que j'allasse
quêter plus loin, et je dus le dire. Voici
donc notre petite offrande, me dit le père
en me donnant tout un gros écu. Revenez
toujours ici, ajoute-t-il en me prenant la main,
quand vous quêtez pour le règne du
Seigneur Jésus. Et il m'accompagne jusqu'au
chemin.
Je ne vous dis pas que mon âme
était émue quand je sortis de chez
ces amis du Sauveur, mais je dois
vous dire que je priai ardemment notre Dieu de
faire goûter un jour à l'homme riche
qui m'avait refusé son aide, la joie que le
pauvre horloger venait de ressentir « en
prêtant à
l'Éternel. »
Et cette prière m'accompagna
jusqu'à ce que je parvinsse, mais bien
lentement, vers le haut de la colline, où
sont quelques maisons.
Deux jeunes messieurs sortaient de la
maison la plus proche de moi, et l'un d'eux, en me
saluant avec respect, ce dont je fus
très-surprise, me dit que je paraissais
très-fatiguée, et m'invita, comme un
fils sa mère, à m'asseoir sur un banc
peint, qui est devant la maison.
Le voyant si charitable, je lui dis,
dès l'abord :
C'est une quêteuse que vous
accueillez ainsi, et c'est pour le règne du
Seigneur Jésus qu'elle se
présente.
Et pour quelle oeuvre ? demanda
l'autre jeune homme. Est-ce pour les missions chez
les païens, pour une société
biblique, pour des écoles du dimanche, ou
pour la mission d'Alger ?
Pour les colporteurs ! ai-je
répondu, si heureuse d'être encore en
terre connue.
Ah ! ce sont de braves gens que
j'aime, dit le premier jeune homme. J'en ai
rencontré deux, il y a quelques jours, et je
m'en souviendrai, je pense, toute ma vie.
Qu'ont-ils donc fait ? demanda
l'attire monsieur. Je revenais de la chasse, lui
répond son ami, et je marchais seul sur le
grand chemin, le long duquel, à quelques pas
de moi, avançaient deux jeunes hommes
couverts d'une blaude et portant chacun une
balle.
Quand je suis près d'eux, le plus
jeune me demande poliment si je
possède le livre qui n'a ni commencement ni
fin ; qu'on ne peut jamais tout lire, ni
jamais assez ; et qui donne au coeur plus de
joie qu'il n'y a de lettres sur ses nombreux
feuillets.
Je demande quel est ce livre
mystérieux ; et le même
personnage me répond, en prenant dans sa
balle un volume qu'il me présente :
C'est le témoignage que Dieu a rendu de son
Fils ; c'est le livre du salut ; c'est la
Sainte-Bible, laquelle, si l'homme la croit, donne
la vie à son âme ; et laquelle,
si l'âme la repousse, repoussera cette
âme incrédule jusque dans les
ténèbres du dehors, où seront
des pleurs et des grincements de dents à
jamais.
J'achetai le volume, ajouta le jeune
monsieur, et, en remerciant les colporteurs, je les
encourageai dans leur oeuvre.
Voilà, mes amis, ce que le jeune
homme raconta, à ma grande satisfaction,
car, dès qu'il se tut, je dis à mon
tour : Je suis donc bien venue aujourd'hui,
puisque je quête pour ces chers colporteurs
du Livre de Dieu !
C'est ce que vous allez voir, me
répond le premier de ces messieurs, qui
rentre dans la maison, et qui, peu de minutes
après, ressort en tenant dans sa main cinq
écus ; oui, Messieurs, tout
autant ; et qui me les remet avec ces
mots : Quoique vous soyez inconnue, Madame,
vous nous êtes connue, puisque c'est au nom
de Jésus que vous venez. Qu'il
bénisse cette offrande, et qu'il vous
fortifie pour son service !
Alors je dis qui j'étais, et
à ma joie s'ajouta plus de joie encore,
lorsque l'autre jeune homme s'écria :
Ah !
mon père était un ami de votre mari,
Madame, et souvent il m'a dit combien il lui
était redevable, pour la droite connaissance
du Seigneur Jésus.
Je me pris à pleurer. Oui, mes
frères, je sanglotai même, mais ce fut
de gratitude envers Dieu. Puis, ayant quitté
ces deux jeunes Timothées, car ils sont
tels, j'en suis sûre, l'un et l'autre, je
revins ici et tout doucement, mes petites forces
étant tout épuisées.
Voilà, Messieurs, ma faible
mission, et voici la somme qu'elle a recueillie.
Quant au chagrin que j'eus d'abord, et à
tout le bonheur qui le suivit, je les garde l'un et
l'autre en mon coeur, comme venant tous deux de
Celui qui nous enseigne pour sa gloire.
Chacun témoigna tout
l'intérêt que cette narration venait
de lui offrir, et on remarqua combien une telle
mission pouvait être efficace pour attirer
l'attention de plusieurs âmes sur la parole
de Dieu. Les trois amis pressèrent leur
digne et respectable soeur de
réitérer ses courses charitables,
puis on se prépara à écouter
l'Étudiant en médecine, qui fit le
récit suivant.
Je me mis en route comme un vaisseau bien
lesté, et qui sort du port sous un bon vent.
Je venais d'entendre la parole du Seigneur de la
bouche d'un fidèle ministre de sa
grâce, et tout en marchant
« je me réjouissais comme ceux qui
enlèvent le butin. »
Je pensais au privilège dont la
miséricorde de Dieu me faisait jouir, de
posséder sa parole et de l'entendre
expliquer par des hommes éclairés et
remplis de l'amour de Jésus.
Quelle serait ma triste condition, me
disais-je, si j'étais privé du Livre
de Dieu, ou bien si, le possédant, je le
dédaignais, et que je
préférasse mon intelligence à
la sagesse du Très-Haut, et mes vertus
à la justice du Sauveur !
Et cependant, ajoutai-je, combien
d'hommes de tout âge, et dans la seule ville
où j'habite, pour qui la parole du Seigneur
est comme un livre nul ! Combien qui la
renient, qui la dédaignent, qui la
repoussent !
Alors ma pensée se tourna vers le
collège où j'étudie ; et
me demandant combien de ses professeurs, combien de
leurs élèves, se montraient soumis
à la Bible et se déclaraient
chrétiens, hélas !
m'écriai-je, presque tous parlent ou se
conduisent comme si Dieu n'eût jamais
révélé sa
vérité, comme si jamais le Seigneur
Jésus n'eût répandu Son sang
sur la croix !
C'est donc à la Bible,
poursuivis-je, qu'il faut, avant tout, les amener.
C'est elle qui leur parlera d'elle-même, qui
leur démontrera qu'elle est de Dieu et que
Jésus est l'éternelle vie ! Et
tout plein de ce sentiment je me décidai,
sous le regard de Dieu, à la faire
connaître, ce jour-là, à tous
ceux que j'aborderais dans ma course.
Mais quelle ne fut pas ma surprise, et
mon embarras aussi, lorsqu'au tournant du chemin,
je me trouvai tout près d'un de mes
professeurs ; que je ne
connaissais que très-peu, et qui se
dirigeait vers le même village où
j'allais entrer !
Vous le sentez ; il me fallait
remplir ma mission : j'y étais
engagé devant Dieu ; et c'était
de la Bible que j'allais parler à un homme
qui, bien probablement, la rejetait. Le moment
était critique et je ne pouvais
l'éviter.
J'approchai donc du professeur, qui
marchait moins vite que moi. Il se retourna, me
reconnut, et m'abordant avec obligeance, il me
demanda où j'allais à si grands
pas.
J'étais hier votre
étudiant, lui répondis-je en
souriant ; vous me voyez aujourd'hui
missionnaire.
Missionnaire !
Vraiment !
reprit-il gaîment. Et pour quelle nouvelle
croisade ?
Moitié sérieux et
moitié tremblant, je lui répondis. Je
vais sur les chemins et sur les carrefours
demander, à qui veut m'entendre, s'il a une
Bible et s'il la lit.
Vous allez donc me le demander ?
dit-il d'un ton léger. Et si je vous
réponds que j'en ai bien une, mais que je ne
la lis guère, que ferez-vous ?
D'abord, répondis-je, en me
préparant à la bataille, dès
que vous m'aurez dit cela, je prierai Dieu, dans
mon coeur, qu'il ait pitié de
vous....
Eh bien ! dit-il, ce premier
mouvement sera du moins charitable.
Ensuite ?
Ensuite, ajoutai-je avec chaleur, je
demanderai, non pas à M. le professeur,
parce qu'il serait trop savant pour une telle
question, mais à votre âme, si, dans
l'éternité, elle jugera de la Bible,
comme elle en juge aujourd'hui.
Le professeur s'arrêta ; il
appuya sur son côté la main qui tenait
sa canne, et il me dit, avec le ton d'un
supérieur :
Votre demande ne serait-elle point celle du scalpel
d'un chirurgien ?
Qui souffrirait lui-même, dis-je,
avec respect, bien plus que son patient : car
c'est quelquefois une opération bien
douloureuse au coeur, que de parler à de
pauvres pécheurs de l'amour infini de
Dieu.
Comme je disais cela, nous approchions
d'un pont qui traverse une rivière de la
plus belle eau, et dont les bords forment le plus
charmant paysage. Au-delà du pont paraissait
le village, parmi de riches vergers, et
surmonté du clocher de l'église, dont
la flèche élégante brillait en
ce moment comme un long cône d'or
Voilà un bel effet de
lumière ! dit le professeur, en rompant
notre entretien.
Résolu que j'étais de le
poursuivre, je répondis :
Voyez cette belle eau. Qu'elle est
profonde ! mais aussi, qu'elle est
limpide ! Quels riches reflets du ciel dans
les replis de son cours, et quelle grâce dans
ces arbres légers qui se penchent sur elle
comme de souples panaches ! Que ces oeuvres de
Dieu sont aimables ! Mais combien celles de sa
grâce envers l'homme le sont plus
encore ; et que nous sommes heureux, n'est-ce
pas, de posséder le livre qui nous les
montre dans tout leur éclat !
La Providence est toujours admirable,
répondit le professeur, d'un ton sec et
impatienté.
Ah ! repris-je avec sentiment,
c'est Jésus, le Fils de Dieu, qui est
l'Admirable, dit la Bible. La Providence n'est
qu'un mot. C'est Dieu qu'il nous faut nommer et
qu'il nous faut louer. C'est lui qui est la
vie !
Alors ce professeur, cet homme
cultivé et si raisonnable,
montra combien la sagesse de ce monde est ennemie
de celle de Dieu. Il s'arrêta, et frappant de
son bâton la terre, il me dit : La vie,
Monsieur, c'est l'existence !... Et je vous la
souhaite aussi heureuse qu'à moi
En disant ces mots, il me fit un court
salut et me quitta brusquement.
Alors cette parole du Sauveur à
son Père, me revint à l'esprit :
« Tu as caché ces choses aux sages
et aux entendus, et tu les as
révélées aux petits
enfants »
(Matth.
XI, 25.)
Je me trouvais à l'entrée
du village et, dans l'espoir d'être mieux
accueilli des simples et des chétifs, que je
ne l'avais été de ce savant, je me
dirigeai vers une chaumière, entourée
d'une clôture de lattes, et dont la porte
était ouverte.
Vis-à-vis de cette maison, et de
l'autre côté de la route, était
un groupe de quelques personnes devant qui je
passai. C'était une femme entourée de
quatre ou cinq enfants, à qui elle
paraissait raconter quelque chose.
Fidèle à ma mission, je
m'approche, je salue la maman, et je dis, avec
affection, à une petite fille. qui
était debout a côté
d'elle : C'est bien agréable, n'est-ce
pas, d'écouter les histoires de la Bible,
qu'une bonne maman ou une bonne voisine vous
raconte ?
La Bible ! la Bible !
s'écria la conteuse en ricanant ; c'est
bien le moment d'en parler ! On la lit
à l'école, Monsieur ! Et
n'est-ce pas assez ?
Hélas ! lui
répondis-je, le coeur comme meurtri de ce
nouveau coup, la Bible est la voix du bon Dieu qui
nous fait vivre, et qui nous a donné son
Fils pour Sauveur. Pardonnez-moi ma question. Je ne
pensais pas que ce fût
mal à une mère, et surtout le
dimanche, d'entretenir sa famille de l'amour du
Seigneur. Et là-dessus je m'éloignai
de cette pauvre créature, pour me
présenter à la porte ouverte de la
chaumière.
J'hésitais, cependant, à
m'adresser à de nouvelles âmes. Il me
semblait qu'un esprit de moquerie et de malice
contre Dieu planait sur ce village. J'étais
très-malheureux, et je gémissais en
marchant.
Mais que j'eusse mal fait de me laisser
rebuter, et de ne pas entrer dans la
chaumière ! Quelle perte de grand prix
je devais y trouver, et quelles consolations mon
coeur devait remporter de cette humble
demeure !
Une femme âgée, d'un
extérieur très-décent, vint
à ma rencontre, et s'informa de ce que je
souhaitais. Vous demander, lui dis-je avec
timidité, si... vous avez... une Bible, et
si, par la grâce de Dieu, vous aimez à
la lire.
Dieu vous bénisse, Monsieur, pour
votre demande ! reprit-elle en me faisant sa
révérence ; et béni
soit-il aussi de ce que, par sa grâce, nous
avons sa bonne et sainte Parole !
Prenez la peine d'entrer,
poursuivit-elle. Vous trouverez là, dans ce
cabinet, mon mari qui, justement, la lit à
cette heure. Mais, au reste, il ne fait
guère que cela chaque jour et tout le
jour.
J'entre, et près de la
fenêtre du cabinet, je vois un vieillard
attentif à la lecture du saint Livre,
posé devant lui sur une sorte de lutrin que
soutient une petite table.
Béni soit le lecteur, dis-je en
entrant, et le saint nom de celui qui l'enseigne.
Amen ! amen ! me répond
le vieillard, en me regardant par-dessus ses
lunettes ; et qu'il bénisse aussi la
bonne âme qui vient me visiter !
Voilà un siège, mon cher Monsieur. Il
est de bois ; mais c'est dans une maison de
paix qu'il vous est offert.
Ainsi m'accueillit le vieil habitant du
village ; et ce fut avec un ton et des
manières que la politesse de la ville
n'eût pas reniées. Car, plus d'une
fois déjà, j'ai remarqué
combien la piété rend aimable, et
comme elle apprend au coeur du chrétien ce
que la civilité du monde ne met que sur les
lèvres et dans les gestes.
Vous aimez donc la Bible ? lui
dis-je en approchant mon siège de sa
table.
Ah ! mon cher Monsieur, dites
plutôt que c'est elle qui m'aime, que c'est
elle qui me cherche, qui m'appelle et qui me
retient auprès d'elle. Ah !
certainement non, ce n'est pas moi qui l'ai
aimée le premier ni qui l'ai
cherchée. Bien au contraire, mon cher
Monsieur ; car je la tenais, jadis, pour
très-peu de chose. Et puisque vous voulez
bien m'écouter, je vais vous dire tout cela.
Vous savez que le vieillard aime à
raconter ; et comme c'est de la
miséricorde de Dieu que je vous
entretiendrai, je ne crains pas d'être un peu
long.
Je vous dirai donc, Monsieur,
poursuivit-il en ôtant ses lunettes et en se
renfonçant dans son fauteuil, que je suis
l'ancien régent d'un village voisin. J'ai
soixante-seize ans, et je n'ai ma retraite
d'invalide que depuis huit ans.
J'ai vécu dans de mauvais jours,
de très-mauvais jours ; et ce ne fut
pas l'Évangile qu'on m'enseigna ni dans mon
enfance, ni dans ma jeunesse. Ce fut la religion du
monde et pas autre chose. J'appris dans le
catéchisme,
j'entendis prêcher à l'église
et répéter chez mon père et
partout, que l'homme naissait innocent ; que
ses vertus le rendaient digne du ciel ; et que
le Seigneur Jésus n'était qu'un
simple homme, ou, tout au plus, une sorte d'ange.
Et voilà ce que je crus aussi, et ce que,
plus tard, j'enseignai dans l'école qui me
fut confiée.
J'ai deux filles, Monsieur ;
l'une
et l'autre sont établies, maintenant, dans
ce village-ci ; et ces pauvres enfants furent
instruites par moi dans la religion, comme je
l'avais été moi-même.
Or, il y a une quinzaine
d'années, environ, que la plus jeune d'elles
fit un voyage, comme domestique, avec une famille
étrangère ; puis, au bout de
trois ans, elle revint chez moi. Mais elle
n'était plus la même personne, quant
aux choses du ciel, et ce que j'avais aperçu
dans ses lettres écrites à sa
mère, je le vis de mes yeux et je m'en
irritai.
Oui, Monsieur, je me fâchai contre
cette chère enfant, parce que,
d'entrée, elle demanda qu'on eût
à la maison, chaque jour, un culte de
famille ; parce qu'elle se mit à prier,
toujours, sans doute, avec ma permission, avant et
après le repas, et en s'adressant au
Seigneur Jésus ; parce qu'elle lisait
dans la Bible, dès que son travail
cessait ; parce qu'elle parlait tout
ouvertement du salut, et qu'elle disait qu'il
était gratuit, et que les oeuvres de l'homme
n'effaçaient aucun
péché ; mais surtout (et
c'était ici le sujet de ma plus grande
irritation), parce qu'elle soutenait, et toujours
en me citant la Bible, que le Seigneur Jésus
est l'Eternel-Dieu, manifesté en
chair.
Je haïssais cette dernière
doctrine, et je m'emportais même contre ma
fille, qui, cependant, était la plus douce et la
plus
respectueuse des enfants, toutes les fois qu'elle
la rappelait. Et pour couvrir ma propre faute, je
l'accusais d'orgueil, et d'avoir une religion
farouche, qui damnait tout le monde.
Ah ! Monsieur, ce que j'ai dû
faire souffrir à cette chère enfant
n'est connu que d'elle et de Dieu ! Sa
mère, que voilà, l'approuvait. Elle
avait été, elle, enseignée
dans un autre pays que le nôtre, et elle
croyait à la divinité du Seigneur
Jésus, et, par conséquent, au salut
par grâce. Eh bien ! sa mère
était aussi le sujet de mon humeur difficile
et de mes reproches continuels ; et je me
renforçais chaque jouir dans cette
irritation, par la lecture des brochures et des
journaux que publiaient ceux qui enseignaient notre
pauvre peuple.
Je n'étais cependant pas
irréligieux. Non, Monsieur : tout au
contraire. Je me piquais de respect pour la Bible,
et j'étais très-régulier
à lire mes prières. Mais je
détestais la doctrine de la justification
par la foi. J'étais le Pharisien de la
parabole ; et mes mérites, mon
intégrité, mes vertus, ma religion,
étaient à mes yeux le vrai chemin du
ciel.
Maintenant, - au bon Dieu soit toute
gloire ! - Je hais ce que j'aimais, et j'aime
ce que je haïssais. C'est à
Jésus, qui est Dieu manifesté en
chair, et qui m'a racheté gratuitement par
son sang précieux, c'est à lui, et
à lui seul, que j'appartiens, et plus, non,
plus à la sagesse, ni à la vaine
justice de ce monde. Je suis chrétien, mon
cher Monsieur, depuis près de sept
ans ; et ce qui m'est bien doux, c'est que je
suis le fils spirituel de cette chère fille,
que si longtemps je repoussai de moi.
Oui, Monsieur, ce fut d'elle que la
force et la grâce de Dieu
se servirent pour arriver jusqu'à mon coeur,
et pour le soumettre à Jésus. - Et
combien ne suis-je pas heureux ! Oh !
quelle différente vie ; et surtout,
quel autre avenir !
Et voici, ajouta-t-il, en touchant la
Bible, ma consolation, ma joie et la nourriture de
mon âme. J'ai déjà lu sept
fois, en entier, ce saint livre : chaque
année une fois ; et plus je le relis et
le sonde, plus mon coeur est vivifié et
béni ! Il est mon occupation ; il
est aussi mon délassement. Autrefois, -
ah ! il n'y a pas si longtemps ! - les
journées m'étaient longues,
principalement en hiver ; et quand ne venaient
pas mes amis, comme ils se nommaient, pour
médire ou pour jouer avec moi,
j'étais ennuyé, morose et plein de
murmure,
Aujourd'hui, ces amis-là nous ont
quittés : hélas ! la bonne
odeur de Christ leur a déplu ; et,
à l'exception des visites de nos filles et
de leurs enfants, et de deux ou trois amis de la
Bible qui sont dans ce village, nous passons nos
jours comme deux solitaires ; mais, cependant,
jamais seuls : car notre Seigneur loge avec
nous, et la joie de son amour remplit notre
chaumière.
Le vieux régent s'était
tu ; mais j'écoutais encore ; et
ce ne fut qu'après un moment de silence, que
je lui dis tout ce que j'avais dans le coeur, et
combien mon âme était
édifiée.
Cependant il fallait. que ma mission se
continuât ; et je pensai. que je devais
engager les deux chrétiens qui me
recevaient, à tenir chez eux un
dépôt de Bibles, et à
encourager, au moyen des deux ou trois
fidèles du village, les pères et les
mères de famille à se procurer les
saints livres.
Le vieux régent me dit qu'il y
avait déjà, dans le village, quelque chose
d'établi pour cela même, mais que
c'était une fausse Bible que l'on
répandait : que plusieurs passages en
étaient changés, et, en particulier,
ceux qui établissent la justification
gratuite du pécheur et la divinité
éternelle du Fils de Dieu.
Les misérables m'écriai-je
tout indigné. C'est donc même avec la
Bible qu'ils cherchent à séduire le
peuple, et à l'avoir pour leurs
disciples !
Hélas ! oui, répondit
le vieillard, avec douleur. Pauvres gens ! ils
sont aveuglés, et ils s'obstinent contre
Dieu. Mais laissez faire le Seigneur : leur
oeuvre n'ira pas bien loin. On m'a dit qu'ils ont
déjà perdu beaucoup d'argent par
l'impression d'une première Bible, qui de
tous côtés a été
rejetée ; et il en sera de même
de celle qu'ils viennent de publier. Par exemple,
Monsieur, il n'y a que trois jours qu'une pauvre et
ignorante fille, qui sert chez un fermier du
voisinage, est venue me demander pourquoi une
Bible, qu'une dame lui a donnée,
était différente de celle qu'elle
avait vue chez une vieille parente, et elle ajouta
ces mots : je ne sais pas bien pourquoi, mais
j'aime mieux celle d'autrefois, je la crois plus
véritable.
Eh bien ! donc, dis-je au vieux
régent et à sa femme, ayez chez vous
un dépôt de véritables Bibles,
et faites-le savoir dans ce village-ci, et dans les
autres des environs ; et nous demanderons
à Dieu qu'il les introduise où il n'y
en a pas encore, et qu'il les mette à la
place des fausses Bibles, partout où
celles-ci se trouvent.
Et c'est aussi, chers amis, continua
l'Étudiant, ce que j'ai pu faire cette
semaine. Je me suis procuré des Bibles et
des Nouveaux Testaments d'une version pure, et je
les ai
envoyés chez le vieux régent, qui,
conjointement avec les quelques fidèles du
lieu, a formé un petit comité, que je
me propose de visiter régulièrement,
et qui correspondra avec notre
société biblique.
À mon retour, je repassai le
pont, près duquel le philosophe avait
repoussé Jésus et l'éternelle
vie. Je sentis alors mon coeur s'échauffer
en moi. Je fus rempli à la fois de douleur
et d'un profond intérêt pour les
âmes séduites par cette fausse
sagesse ; et pendant que je marchais vers mes
heureux foyers, où le Christ de Dieu est
connu, m'adressant dans ma pensée à
ces âmes trompées, je traçai
quelques lignes que voici, et que vous lirez
à votre loisir, si cela, vous est
agréable.
Ce fut là tout ce que je fis,
dimanche dernier ; et je n'en parle, qu'en
priant le Seigneur de bénir ce que ma bouche
a pu dire à sa gloire, et de faire
croître le petit germe que ma faible main
à semé.
Ainsi parla l'Étudiant ; sur
quoi le Négociant remarqua que
l'Éternel avait coutume de donner aux
desseins les plus puissants de sa grâce, les
commencements les plus faibles, aux yeux des
hommes.
Afin, ajouta la Veuve, que la gloire du
commencement n'enfle pas le coeur des ouvriers, et
que celle de la fin n'appartienne qu'à Dieu.
- Mais, ajouta-t-elle, en s'adressant au Commis,
c'est à vous, notre cher frère,
à prendre la parole.
Le jeune homme obéit, et son
récit ne fut pas moins intéressant
que les trois autres. voici ce qu'il raconta,
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