Vers le soir du dernier jour d'une de ces
courtes semaines, qui passent si rapidement, et
qui, cependant, mesurent notre vie, trois disciples
du Sauveur, de ceux qu'il nomme lui-même ses
amis,
(Jean
XV, 14, ) s'étaient
réunis à la campagne, chez une
servante âgée du même Seigneur,
pour s'y entretenir avec elle sur les moyens de
répandre dans quelques villages voisins la
connaissance de la grâce de Dieu en
Jésus.
Ces trois amis étaient un
négociant, un de ses commis, et un
étudiant en médecine ; et
c'était chez la veuve d'un notaire qu'ils
avaient, chaque semaine, ce pieux rendez-vous, que
sanctifiaient toujours la prière et la
lecture de la Parole de Dieu.
Ce soir-là, le négociant
paraissait plus silencieux que de coutume ; et
sur l'observation qu'on lui en fit, il
répondit qu'il était loin
d'être content de l'oeuvre qu'ils avaient
faite jusqu'alors, et qu'il méditait,
à cet égard, un tout nouveau plan,
sur lequel il espérait de voir la
bénédiction de Dieu.
Ce plan était, qu'au lieu de
passer tout le dimanche, selon leur habitude,
à contenter les souhaits de leurs
âmes, soit en écoutant au moins
sermons, soit en faisant d'utiles lectures, ou bien
en se réunissant avec quelques autres
fidèles, ils devaient agir, ce
jour-là, le plus possible, auprès du
peuple, et faire des oeuvres.
Ce saint jour, observa-t-il, est le
meilleur pour cela, et peut-être le seul
convenable. D'abord, aux jours ouvriers, chacun de
nous a ses occupations ; et le peuple,
surtout, a son travail qui le préoccupe, et
auquel, d'ordinaire, il faut qu'il s'adonne sans
relâche. Et quant aux gens plus aisés,
c'est dans ces jours-là, surtout, que sont
leurs plaisirs et leurs dissipations, auxquels ils
se livrent comme sans crainte. Mais, pour
eux-mêmes, à moins qu'ils ne soient
démoralisés et tout-à-fait
impies, le jour du Seigneur conserve encore quelque
empire sur la conscience ; et l'on peut en
profiter.
J'ai déjà senti ce que
vous nous dites, poursuivit la Veuve, et
c'était aussi la pensée de mon pieux
et prudent mari. Il m'a dit souvent, que s'il avait
fait, par la grâce de Dieu, quelque bien dans
ce village, c'était surtout à ses
oeuvres du jour du Seigneur qu'il attribuait cette
réussite.
Et à cet égard, vous
pouvez savoir combien il était actif et
ingénieux.
Je puis en fournir une preuve, dit
l'Étudiant, puisque c'est à
moi-même que la chose est arrivée.
J'avais alors environ douze ans, et j'étais
venu passer le dimanche chez mon oncle, qui
habitait tout près d'ici. Le matin, je me
rendis bien avec lui au temple, et j'y retournai
aussi l'après-midi. Mais d'abord
après ce dernier service, je courus dans le
bosquet, qui est le long du ruisseau, pour y lire
en paix, et avec avidité, un livre de contes
de fées, que j'avais tiré, mais bien
en cachette, de la bibliothèque de mon
oncle.
Assis sous un arbre, j'étais au
plus agréable de cette lecture, lorsque tout
doucement, sans bruit, s'approche un monsieur, qui
s'assied à deux pas de moi, et se met
à dire avec assentiment : Ce doit
être bien doux, à un jeune
chrétien, de lire la Parole de son Dieu, et
de la garder ensuite dans son coeur ! - Ce
n'est pas la Bible que je lis, répondis-je,
par une sorte de droiture : ce sont des contes
de fées. Certainement, poursuivit-on, et
toujours sans me regarder et sans me parler
directement, ce n'est pas après avoir
prié Dieu de bénir, et ce n'est pas
sous son regard de lumière, qu'on lit des
contes de fées. On a bien raison, pour le
faire, de se cacher. Au reste, on ne se cache pas
à Dieu. Ce secret ne sert donc pas à
grand' chose.
Ayant dit cela, le monsieur se
lève et s'en va, comme s'il ne m'eût
pas même aperçu. Or, ce monsieur,
notre digne soeur, c'était votre charitable
mari.
Cette exhortation indirecte, demanda le
Commis, eut-elle sur vous quelque
influence ?
Ah ! sans doute. Je voulus bien,
d'abord, ne pas m'en soucier, et je continuai ma
lecture ; mais je fus distrait et inquiet. Ces
paroles, « qu'on ne se cachait pas
à Dieu, » sonnaient à mes
oreilles, comme une cloche d'alarme, tellement que
je fermai le livre, qui fut bien vite remis
à sa place, et qui a été,
à peu près, le dernier de cette
espèce que j'aie jamais ouvert.
Charmant ! charmant !
s'écria le Négociant.
Voilà des choses que
j'aime ! Cette simple petite oeuvre de ce
digne chrétien, vous le voyez, vous valut
tout autant, et plus encore, qu'un long discours
sur le danger des mauvaises lectures. Ce fût,
comme dit l'Écriture, un clou fixé
dans une place sûre : car vous voyez
qu'il y est encore.
Eh bien ! dit la Veuve, si nous
faisions un essai, et dès demain, sans plus
tarder ?
Comment l'entendez-vous, Madame ?
demanda le Commis.
Je pense, répondit la Veuve,
qu'il nous faut, demain, après le service de
l'après-midi, ou dès le matin, entre
les deux services, si nous le pouvons, parcourir
les chemins, nous présenter à la
porte des maisons, et y faire, comme disait
à Jonathan son écuyer,
« tout ce que nous aurons au
coeur. » Peut-être, aussi, comme
pour le fils de Saül,
« l'Éternel opérera-t-il
pour nous. »
(1
Sam. XIV, 6, 7.)
Et ce ne sera pas des Philistins, ajouta
le Négociant, avec gravité, qui
tomberont devant nous; mais une troupe plus
indomptable encore : cellede
l'incrédulité et des vices de nos
pauvres prochains.
Le plan fut donc adopté, et les
amis convinrent qu'ils iraient en mission,
chacun de son côté, et qu'ils se
réuniraient une heure plus tôt, le
samedi suivant, afin qu'ils eussent le temps de se
raconter mutuellement leurs diverses
opérations.
La parole de Dieu fut lue ; la
prière de la foi monta vers le
Seigneur ; on se quitta ; puis ensuite
chacun des quatre ouvriers se prépara, par
de nouvelles demandes à Celui qui donne
l'Esprit de jugement et de prudence, à
« aller, aussi, de lieu en lieu, pour
faire dut bien. »
(Act.
X, 38.)
Le samedi suivant, et de bonne heure, le petit
comité de missions domestiques se
réunit à sa place accoutumée.
Chacun de ses membres avait l'air content. Le
Négociant, en particulier, avait perdu sa
tristesse de la semaine
précédente ; et sur la demande
qu'on lui adressa de commencer le récit de
leurs Oeuvres du dimanche, il raconta ce qui
suit :
Je pensai que, comme vos excursions se
feraient d'abord dans ces alentours, je devais
diriger les miennes un peu plus loin.
Je montai donc à cheval,
persuadé que j'étais que ma
bête, qui n'avait que peu travaillé
dans la semaine, ne se ferait que du bien en
marchant quelques heures au service de Dieu, et je
me rendis rapidement vers le dernier village de la
vallée. C'était cinq heures, de
l'après-midi quand j'en approchai, et
l'occasion d'agir m'y fut aussitôt offerte.
À quelques pas de la route, une
bande d'ouvriers sciaient du blé dans un
vaste champ, et l'on pouvait voir, au nombre des
javelles, qu'ils étaient là au moins
depuis le milieu du jour.
Je fus tout ému. Cette
profanation publique du sabbat de l'Éternel
me causa une profonde douleur, et je me sentis
puissamment porté à la faire
connaître au maître de cette moisson,
que je vis à l'autre extrémité
du champ, vers le blé encore debout.
Je fis donc le tour de la pièce
de terre ; et après avoir
attaché mon cheval à un arbre, je me
rendis auprès du fermier qui
préparait le vin de ses gens.
J'avoue que je ne me trouvai pas si
libre, ni si à mon aise devant cet homme,
que le pieux notaire au bord du ruisseau. Aussi ce
fermier n'était rien moins qu'un jeune
garçon. C'était un homme grand et
robuste, d'un visage sévère, et qui
ne tourna pas même ses yeux vers moi quand je
l'abordai.
Il me fallait pourtant commencer
l'attaque, et je le fis, en disant avec
simplicité : Dieu a béni votre
terre, cette moisson est d'une grande
beauté.
On y a pris assez de peine,
répondit brusquement le fermier. Chaque
épi a coûté plus de sueur qu'il
n'est gros.
Et cependant, dis-je avec
fermeté, ce n'est pas la sueur de l'homme
qui l'a fait croître. Si Dieu ne
bénit, dit le proverbe, l'épi vient
petit.
Le fermier grommela en se baissant vers
son baril, et me fit entendre assez clairement que
mon entretien lui déplaisait ; mais
quelle que fût ma répugnance à
le poursuivre, je tins bon, en pensant que
c'était le plus malade qui avait le plus
besoin de remède.
Je repris donc la parole et lui dis,
avec autant de cordialité qu'il me fut
possible : Çà !
franchement, notre maître ! est-ce au
bon Dieu, qui vous a donné cette riche
dépouille, que vous cherchez à
plaire, en la ramassant au jour qui lui est
consacré ?
Le fermier se releva, me
considéra quelques moments en silence, puis
en me montrant le blé, il me dit avec
sécheresse :
Croyez-vous que si je laisse manger ce
grain aux souris et aux oiseaux, qui
déjà l'ont dîmé
d'importance, je ferai plus la volonté de
Dieu, que si je le recueille, et le mange
moi-même ?
Il fallait, je vous assure, du courage
pour continuer l'entretien ; et ce fut bien le
Seigneur qui m'en donna, car mon pauvre coeur
était comme rebuté.
Je repris donc des forces, et je lui
dis : Oui, sans doute, Dieu veut que ce
blé vous appartienne, puisqu'il vous l'a
donné ; mais il veut aussi, et avant
tout, que vous lui apparteniez vous-même,
parce qu'il est votre créateur, et que c'est
lui qui soutient votre vie.
Cette remarque fit quelque impression
sur l'esprit de cet homme, car il s'adoucit
soudain, et en me montrant le pied d'un arbre
touffu, il me dit, avec assez de douceur : Je
vois, Monsieur, que vous voulez me parler
sérieusement, et je vous écouterai
volontiers, si vous avez le temps de vous reposer
ici.
C'est en effet mon intention,
répondis-je, en m'asseyant sous l'arbre avec
lui. Comme je passais, j'ai vu vos moissonneurs, et
j'en ai été si affligé que
j'ai désiré vous le dire à
vous-même.
Vous croyez donc, dit le fermier, du ton
de voix de quelqu'un qui veut qu'on l'enseigne ,
qu'il y a du mal, je veux dire , du
péché, à travailler le
dimanche?
S'il y a du mal, lui dis-je, à
désobéir à Dieu, il il y en a
, je pense, à transgresser le
quatrième commandement.
Ah ! reprit le paysan, c'est
précisément ici qu'est t'est pour moi
la question car je dois peut-être vous dire,
et d'abord , que tout rude et même grossier
et parfois bourru que vous me voyez, je ne suis pas
sans avoir un peu lu et un peu
réfléchi. En particulier, je connais
assez bien la lettre de la Sainte-Bible. Quant
à soit esprit, je crains d'être encore
bien pauvre. Mais , enfin, que Dieu y pourvoie! Et
il se peut, Monsieur, que ce soit pour cela
même qu'il vous fasse arriver aujourd'hui sur
mon terrain. Amen ! Le fermier Germain, je vous le
déclare honnêtement, ne demande que
cela.
Or, voici donc, en quatre mots , ce
qu'il me semble du dimanche. Que ce soit une chose
bonne, utile, et tout-à-fait convenable
qu'un jour sur sept soit mis à part, et le
même partout, pour qu'on serve Dieu et pour
qu'on se repose aussi, t'est ce que je ne puis
qu'accorder. Et si, aujourd'hui , je ne fais pas ce
que j'approuve, c'est par extraordinaire; car
chaque semaine ne commence pas ainsi chez
moi.
Mais, Monsieur, ajouta-t-il, en prenant
certain ait, entendu, et comme sûr de son
fait, nous, chrétiens, nous ne sommes pas
sous les ordonnances de-'fer et de feu de la loi de
Moïse. Tout cela, vous le savez sans doute, a
été aboli, et pour toujours, par la
croix du Fils de Dieu; et le reproduire, - je vous
parle sans apprêt, -
me paraît judaïser. Qu'en
pensez-vous ?
J'étais, vous le sentez, mes
amis, tout ébahi d'entendre cette discussion
théologique, au bord d'un chemin, et de la
bouche d'un laboureur. Mais, en même temps,
je me réjouissais d'avoir affaire avec un penseur, et de
pouvoir opposer quelque
parole de foi à ses opinions. Je lui
répondis donc :
Puisque le Livre de Dieu vous est connu,
(ce qui déjà est une grande
bénédiction) vous pouvez me dire
où et quand le Jour du repos fut
établi pour la première fois.
Mais je pense, me répondit-il,
que ce fut lorsque Dieu donna de sa propre bouche
les dix commandements de la loi.
Voyons ! lui dis-je, en ouvrant
la
Bible que j'avais prise.
Ah ! voici qui est bon !
s'écria le fermier avec un geste expressif.
Nous aurons du moins quelque chose de
clair.
Je lis, poursuivis-je, au second
chapitre de la Genèse, que Dieu, ayant
achevé, au septième jour, son oeuvre
qu'il avait faite, se reposa, en ce jour-là.
Puis ces mots sont écrits :
« Dieu bénit le septième
jour, et le sanctifia, parce qu'en ce
jour-là il s'était reposé de
toute son oeuvre qu'il avait
créée. »
C'est parfaitement clair ! dit le
laboureur, en m'interrompant, je n'y avais jamais
fait attention. Ce fut alors que le Jour du repos
fuit établi de Dieu. Ceci m'est tout
nouveau.
Je poursuivis en lui disant : De
plus, et surtout, remarquez-vous que ce fut dans le
jardin d'Éden, et avant la chute de'
l'homme, que ce jour fut ainsi mis à
part ?
C'est évident, me dit-il, mais
qu'en concluez-vous ?
J'en conclus, continuai-je, que cette
consécration, laquelle sûrement. Adam
connut bien, et qui eut lieu quand l'homme portait
encore l'image de Dieu, ne peut être
étrangère à l'homme, lorsque
par la foi cette image se rétablit en
lui.
Vous voulez dire, reprit-il, que le
chrétien doit faire ce qu'Adam dut faire
aussi, avant qu'il eût été
chassé du Paradis ?
Sans doute, poursuivis-je ; car
je
suis bien sûr que si Adam n'eût pas
péché, et qu'il fût ainsi
demeuré dans le jardin de l'Éternel,
il eût sanctifié chaque
septième jour.
Moi aussi, dit le fermier, j'en suis
sûr ; car il n'y aurait point eu de
raison pour que l'institution de Dieu fût
abolie.
Eh bien ! dis-je alors, puisque
le
motif de cette institution est le même
aujourd'hui qu'il fut au commencement du monde, je
ne vois pas pourquoi un homme qui veut faire la
volonté de Dieu s'exempterait de regarder le
septième jour comme sanctifié par le
Seigneur. - Car enfin, si je lis le
quatrième commandement, et que j'arrive
à ces mots : l'Éternel s'est
reposé le septième jour ; c'est pourquoi « l'Éternel
a béni le jour du repos et l'a
sanctifié » ce mot c'est
pourquoi me frappe, et je lui trouve
aujourd'hui autant de force qu'il en avait au
jardin d'Eden ; puisqu'il est aussi vrai
aujourd'hui qu'alors, que Dieu se reposa le
septième jour, et que ce fut pour cela
même qu'il le sanctifia. Ex. XX. )
Allons ! allons ! dit le
fermier en branlant la tête, vous avez vu
plus clair que moi. dans cette affaire-là. Je
commence
à croire que probablement j'ai eu tort.
Cependant, ajouta-t-il en se frappant le front du
plat de la main, il me vient une idée. Si le
septième jour fut ainsi institué de
Dieu dès le commencement, pourquoi n'en
est-il rien dit avant la publication de la loi sur
le mont Sinaï ?
Mais comment, lui dis-je, lisez-vous la
Bible ? Quoi ! vous n'avez pas vu que
Moïse, avant que le peuple eût entendu
la loi de la bouche de Dieu, lui dit à
l'occasion de la manne, « qu'on devait en
recueillir deux portions le sixième jour,
parce que le lendemain, qui était le
septième jour, était le repos
sanctifié à l'Éternel, et
qu'il n'en tomberait point ce
jour-là ? »
(Ex.
XVI, 23.)
Cette fois-ci, j'ai tort, et
tout-à-fait tort, me dit le fermier ;
et je me reconnais battu.
Eh bien ! poursuivis-je, allez
jusqu'au bout, et comprenez ces deux choses :
l'une, que quand le quatrième commandement
fut publié, Dieu dit : Souviens-t'en comme pour dire
qu'il
était déjà connu. Et l'autre
chose que je vous appelle à bien peser c'est
celle-ci, que les paroles des dix commandements
furent prononcées par la voix de Dieu
même, qui est éternelle comme
lui ; qu'elles furent écrites du doigt
même de Dieu, et non de la main mortelle de
Moïse ; et enfin qu'elles furent
placées dans l'Arche de l'alliance, qui
était la figure de l'Évangile du
salut. - Pourquoi donc voudriez-vous, si vous
êtes soumis à Dieu, ôter
aujourd'hui de sa bouche une de ses dix
paroles ; effacer de la table de votre coeur
une des lois que son doigt traça sur la
pierre, et enlever de l'Arche ce que le Seigneur y
a lui-même
déposé ?
Monsieur, me dit le fermier, maintenant
je suis muet. Je suis ici
seulement pour être enseigné. Dites
donc, sans que je vous interrompe, tout ce qu'il
vous plaira que j'apprenne.
Alors je lui montrai que la seule loi
Lévitique, écrite par Moïse,
était celle qui était abolie pour le
chrétien, mais nullement celle des dix
commandements, qui, au contraire, recevait sous
l'Évangile toute sa force par l'Esprit
d'adoption. je lui dis que c'étaient les
ordonnances terrestres que la croix de Christ avait
annulées, et qu'ainsi c'était la manière légale d'observer le
Jour du repos qui était supprimée
sous l'Évangile, mais nullement la mise
à part et la consécration du jour, et
que c'était là ce que signifiait la
parole du Sauveur, que le Sabbat est fait pour
l'homme. »
Et comme il demandait pourquoi le Fils
de Dieu n'avait pas formellement
réitéré ce commandement, aussi
bien que les autres, je lui dis d'observer que le
Seigneur Jésus, prophétisant à ses disciples, et non pas à des
juifs
rebelles, la ruine de Jérusalem, qui devait
avoir lieu quarante années après
cette prophétie, leur disait, « de
prier que leur fuite de la Judée
n'arrivât pas un jour de Sabbat. »
(Matth.
XXIV, 20.) Croyez-vous,
ajoutai-je, que si le Seigneur Jésus
eût aboli le quatrième commandement,
il eût vu un jour de Sabbat, pour ses
disciples, encore quarante années
après l'envoi du Saint-Esprit sur son
Église ?
Enfin, dis-je, en terminant,
pensez-vous, de bonne foi, que ce ne fut que par
une convention humaine, et pour viser à
l'utile, que les apôtres enseignèrent
à l'Église de Jésus-Christ,
à s'assembler chaque septième jour,
et à célébrer, ce
jour-là, le culte sacré de
l'Éternel ? - Était-ce ainsi, je vous le
demande, qu'ils
abolissaient le commandement de « se
souvenir du jour du repos et de le
sanctifier ? »
J'allais ajouter quelque chose, soit sur
la substitution du premier jour de la semaine au
septième, soit sur la manière dont un
chrétien sincère doit garder le jour
du Seigneur, lorsque le fermier, qui m'avait
écouté avec la plus profonde
attention, se leva, et s'avançant sur le
bord du champ, se mit deux doigts dans la bouche,
et donna un coup de sifflet tel que de ma vie je
n'en ai entendu de semblable. Il fit en même
temps signe de la main, et bientôt accourut
un des moissonneurs, qui s'arrêta, pour
écouter l'ordre de son maître.
Qu'on plie bagage ! lui cria le
fermier, et sur le moment !
Mais, notre maître, il n'y a plus
que quelques poignées à couper !
dit le valet.
Il n'y aurait qu'un seul épi, que
je veux qu'on le laisse ! répliqua le
maître, d'un ton qui n'attendait point de
réponse ; et l'ouvrier
disparut.
C'est fini, dit-il en revenant lentement
vers moi ; oui, c'est fini ; et à
tout jamais. Il n'y aura, désormais, ni
souris, ni rats, ni tous les oiseaux de l'air, qui
fassent. Jamais, et Dieu m'en donne la force !
la faucille ne touchera mes blés le
dimanche.
Touchez-là ! me dit-il, en
me présentant sa main large et calleuse. Je
vous ai bien mal reçu, et je vous en demande
pardon. Pour vous, cher Monsieur, vous avez fait
aujourd'hui, jour du Sabbat, l'oeuvre dont parlait
le Seigneur Jésus : Vous avez
retire ; du puits l'âme qui y
était tombé ; et qui s'y noyait,
je vous assure. Adieu, Monsieur ! Il faut que
j'aille vers mes gens, et aussi, et Dieu le fasse !
que je leur
montre
clair et net que j'ai été coupable,
et que je les ai entraînés au
mal...
Cher Monsieur, lui -dis-je, tout
ému, que votre humilité...
Point de cela, s'il vous
plaît ! reprit-il, avec vigueur. Quand
on a fait le mal, le premier bien à faire
ensuite, dès qu'on le peut, c'est de le
dire, et le plus haut qu'on sait crier. D'ailleurs
c'est de la justice !... Mais ceci,
j'espère, n'est qu'une première
leçon. Vous le voyez : j'ai bien besoin
qu'on m'enseigne. Prenez donc courage,
Monsieur ; et quand vous vous
promènerez jusqu'à ce village,
frappez à la porte du fermier Germain. Il
vous recevra de tout son coeur ; et si c'est
le dimanche, je vous certifie, Dieu le fasse !
que vous ne le trouverez pas travaillant aux
champs.
Cela dit, il me quitta. Pour moi,
remontant à cheval, je revins
aussitôt, en ruminant dans mon coeur tout ce
qui venait de se passer, et en donnant gloire
à ce bon Dieu, qui m'avait conduit, qui
m'avait fait parler, et qui avait ouvert le mur de
ce rude campagnard.
Telle a été, mes amis, ma
première mission ; et vous voyez
qu'elle n'a pas été vaine.
Les amis bénirent ensemble le
Seigneur. On fit quelques bonnes remarques sur ce
qu'on venait d'entendre, puis après avoir
décidé qu'on visiterait de nouveau le
fermier, on pria la Veuve de raconter aussi sa
mission ; ce qu'elle fit en ces termes
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