Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

JÉRÔME DE PRAGUE

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Au moment où Jean Huss, se disposant à partir pour le Concile de Constance, prenait congé de ses nombreux amis de Bohème, quelqu'un s'avança, et, les yeux pleins de larmes, la voix brisée par l'émotion, lui adressa un petit discours d'adieu.
- Cher maître, lui dit-il, sois ferme, soutiens intrépidement ce que tu as écrit et prêché, en t'appuyant sur les saintes Écritures ; si cette tâche devient trop rude pour toi, si j'apprends que tu es tombé dans quelque péril, j'irai et je volerai aussitôt à ton aide.


I


Celui qui parlait ainsi était Jérôme de Prague, le collaborateur de Huss et son compagnon fidèle. Rien de plus différent que le caractère de ces deux hommes ; ils étaient si dissemblables que leur étroite amitié aurait lieu de nous surprendre, si nous ne savions pas qu'il existe une loi d'attraction dont l'action a pour effet d'unir les individualités les plus contraires, un Pierre et un Jean, un Farel et un Viret, et de les fondre dans une harmonieuse unité.

Ardent, passionné, violent dans sa polémique, peu mesuré, dans son langage, Jérôme de Prague fait penser au bouillant Farel, tandis que Jean Huss, avec son esprit de douceur et de patiente résignation, se rapproche du type de Viret. Jérôme était à bien des égards supérieur à son ami ; il avait une plus haute intelligence et une plus grande instruction. Avant de se fixer à Prague, sa ville natale, il avait beaucoup voyagé et parcouru diverses contrées. Il fit un séjour en Angleterre, à l'Université d'Oxford, où il apprit à connaître l'enseignement de Wiclef ; il visita aussi Heidelberg et Vienne, et y soutint des disputes théologiques avec beaucoup d'éclat et de succès, non sans rencontrer parfois l'opposition la plus vive ; un jour même, il fut incarcéré et n'obtint sa mise en liberté qu'à grand peine. Une fois de retour à Prague, il se sentit pressé de mettre son grand savoir au service de la bonne cause dont Jean Huss était le champion, et les deux amis se mirent aussitôt à l'oeuvre, l'un avec son enthousiasme plein de douceur, l'autre avec sa nature emportée.

Un trait qui révèle cette fougue du tempérament, ce fut un dessin que Jérôme fit un jour sur une muraille et où étaient représentés deux cortèges marchant de front, d'un côté le Christ et les apôtres dans leur austère simplicité, et de l'autre le pape avec les cardinaux dans tout l'éclat de la pompe romaine. Mais s'il éclipsait Jean Huss par sa science, il n'en subissait pas moins son ascendant, écoutait docilement tous les conseils qu'il lui donnait, et s'inclinait avec une humilité profonde devant cet homme moins bien doué que lui, mais dont la piété intime était supérieure à la sienne.

Jérôme s'était imaginé - erreur bien excusable - que, grâce au sauf-conduit impérial, son ami pourrait se présenter en toute liberté devant le concile pour y confondre ses accusateurs. Si l'idée d'une arrestation avait traversé son esprit, si en le quittant il lui avait parlé d'un péril possible, il n'y avait pas cru sérieusement, confiant qu'il était dans la parole donnée. Aussi qu'on se représente sa stupéfaction, l'indignation qui s'empare de lui, quand il apprend, un beau matin, que Jean Huss est en prison. Son premier mouvement est de partir pour aller le rejoindre, travailler à sa délivrance ; toutefois, avant de prendre une résolution, il veut savoir ce qu'en pense son ami ; il lui écrit pour lui demander s'il approuve oui ou non une pareille démarche ; bientôt il reçoit une lettre, une de ces missives écrites en cachette à l'insu du geôlier.
- Ne viens pas, lui écrit Huss ; faire le voyage en ce moment, ce serait une grande imprudence dont l'issue pourrait être funeste ; reste en Bohême !

Cependant les mois s'écoulent, les nouvelles deviennent de plus en plus alarmantes ; les disciples du réformateur absent sont plongés dans la plus profonde douleur; quelques-uns d'entre eux s'étonnent de l'inaction, des hésitations de Jérôme et lui rappellent le propos qu'il a tenu à l'heure de la séparation : « Si j'apprends que tu es tombé dans quelque péril, j'irai et volerai aussitôt à ton secours. » Alors comprenant qu'il y a là pour lui un devoir impérieux auquel il ne peut se soustraire plus longtemps, il fait ses adieux à ses amis et part pour le concile sans avoir même songé à demander le sauf-conduit nécessaire pour le voyage.


II

À peine arrivé à Constance, Jérôme se mêle à la foule, écoute les conversations ; l'excitation des esprits est à son comble ; des menaces terribles sont proférées contre les nouvelles doctrines, la prétendue hérésie ; il sent alors son courage faiblir, et, pris d'une panique soudaine, s'enfuit à la recherche d'un asile où il soit plus en sûreté. Jérôme va se réfugier dans la ville d'Uberlingen, où le danger est moindre qu'à Constance, et se décide enfin à écrire une lettre à l'empereur pour lui demander un sauf-conduit ; la réponse se fait longtemps attendre ; elle arrive enfin : c'est un refus formel. Que faire ? Retourner à Constance ? C'est se livrer pieds et poings liés à ses adversaires ! Il prend donc le parti de se rendre à Prague après avoir eu soin de se faire donner, par quelques-uns des disciples de Jean Huss, une attestation écrite déclarant qu'il avait fait tout ce qui était humainement possible pour aller au Concile, et que, s'il avait renoncé à son projet, c'était parce que sa vie n'était plus en sûreté. Le voilà donc de nouveau en route, la mort dans l'âme, incapable de contenir l'indignation que lui causent les mauvais traitements infligés à son cher prisonnier, ne se gênant en aucune façon dans les étapes du voyage pour dire tout haut, sans mesurer ses paroles, ce qu'il en pense. Il avait oublié que des yeux et des oreilles invisibles le suivaient partout, qu'il était environné d'espions ; un jour, à l'improviste, une troupe armée surgit, l'arrête, l'enchaîne et le conduit à Constance, où il fait son entrée sur un chariot pour être promené ensuite de rue en rue comme un malfaiteur public.

Le Concile se réunissait justement ce jour-là ; on donne aussitôt l'ordre d'amener le prisonnier, et celui-ci s'avance chargé ou plutôt, comme dit un chroniqueur du temps, « orné » de ses chaînes. En face des clameurs furieuses de ses adversaires, Jérôme montra une grande fermeté. À ceux qui lui reprochaient ses hérésies il répondit :
- Ce que j'ai dit, je suis prêt à le dire encore ; faites voir que ce sont des erreurs et je les abjurerai en toute humilité et de tout coeur.

Et comme des voix murmuraient dans l'assemblée : « Au feu, au feu ! »
- Si ma mort vous est agréable, s'écria-t-il, que la volonté de Dieu soit faite !

Reconduit en prison, il entendit vers le soir quelqu'un qui, marchant sur la pointe des pieds, s'avançait au-dessous de la fenêtre et se mit à lui parler à voix basse de manière à ne pas éveiller l'attention : c'était un des fidèles disciples de Huss et de Jérôme qui venait apporter à ce dernier, au péril de sa vie, quelques paroles d'encouragement.
- Affermis ton âme, lui dit cet ami inconnu ; souviens-toi de cette vérité dont tu as si bien parlé, lorsque tu étais libre et que tes mains étaient dégagées d'entraves ; mon ami, mon maître, ne crains pas d'affronter la mort pour elle.

Et le prisonnier, se tournant vers celui qui lui adressait cet affectueux message, répondit :
- Oui, j'ai dit beaucoup de choses et je les confirmerai.

Cette fermeté de langage que nous venons de constater chez Jérôme pendant les premiers jours de sa captivité, ne nous fait-elle pas songer à un propos du même genre, tenu par un apôtre en face d'un danger non moins menaçant : « Seigneur, je suis tout prêt à aller avec toi, et en prison et à la mort ! » Cette parole de Pierre, très louable assurément, péchait sur un point : une trop grande confiance en soi-même, et peut-être Jérôme n'était-il pas exempt de ce grave défaut. Sa foi pleine d'ardeur manquait un peu d'humilité ; il avait trop oublié que si « l'esprit est prompt, la chair est faible. »

Le zèle inconsidéré de Pierre devait aboutir au reniement, et c'est là ce qui arriva aussi au bouillant Jérôme. Plusieurs mois se sont écoulés depuis son premier interrogatoire ; enfermé dans un cachot encore plus dur que celui où avait langui Jean Huss, au fond d'une tour humide et malsaine, sans pouvoir faire un mouvement, à peine nourri, sans autre société que celle des gardiens qui le traitaient avec la plus grande rigueur, il avait vu ses souffrances devenir chaque jour plus cruelles et était tombé gravement malade. Il eut alors un moment de faiblesse et céda aux sollicitations de ceux qui mettaient tout en oeuvre pour l'amener à abjurer sa foi. Un jour (il y avait six mois qu'il gémissait dans sa prison), on vint lui déclarer que, s'il n'abjurait pas, il serait livré aux flammes ; alors pour la première fois il eut peur de la perspective du supplice, et, d'une main tremblante, apposa sa signature sur une formule de rétractation qu'on lui présenta, et dans laquelle il condamnait les écrits de Jean Huss, jurait de vivre et de mourir dans la foi catholique, « de ne rien enseigner contre elle, et, s'il lui arrivait de le faire, de se soumettre à la rigueur de la peine éternelle. » L'indignation nous saisit à la pensée de cette lamentable chute, mais il est impossible qu'à ce sentiment-là ne se mêle pas une profonde pitié. Mettons-nous à la place de ce prisonnier miné par la maladie, condamné à subir, dans un cachot infect, d'intolérables tortures physiques et morales, et cela pendant des mois, sans nouvelles du dehors, sans pouvoir, comme Jean Huss, correspondre en secret avec ses amis, se sentir soutenu par leurs exhortations et leurs prières. Cherchons à nous représenter le fardeau de ces souffrances accumulées et des tentations d'un isolement prolongé, et nous serons moins disposés peut-être à prononcer sur cette défaillance un jugement sommaire et sans appel.

Si, d'ailleurs, elle fut profonde, le relèvement fut prompt et complet ; si, dans un moment de faiblesse, il se laissa entraîner, comme Pierre l'avait fait pour Jésus, à renier Jean Huss et sa doctrine, il sut, comme l'apôtre, « pleurer amèrement » sur sa faute et se réhabiliter par le repentir. Après une éclipse passagère, sa foi, retrempée par les larmes, jeta encore de vives clartés ; l'homme tombé à terre se releva intrépide, comme pour faire oublier la chute dont il avait donné le spectacle humiliant.

Il aurait été naturel que son abjuration eût pour conséquence sa mise en liberté immédiate : tel était l'avis des juges devant lesquels il avait comparu ; mais d'autres membres du Concile s'élevèrent contre cette manière de voir et réussirent à faire nommer un nouveau tribunal qui comptait dans son sein quelques-uns des ennemis jurés de Huss et de Jérôme. Il se trouva donc qu'en signant l'acte de rétractation, non seulement il ne réussit pas à obtenir sa mise en liberté provisoire, mais fut traité avec plus de rigueur encore qu'avant son parjure.

Alors on vit se produire devant le Concile assemblé un véritable coup de théâtre : Jérôme rétracta son abjuration. Il demanda la parole, et, comme on voulait l'empêcher de la prendre : « Dieu de bonté, s'écria-t-il, quelle injustice, quelle cruauté ! Vous prêtez l'oreille à mes ennemis mortels et vous refusez de m'écouter ! Ma vie est peu de chose et je ne suis qu'un faible mortel ; Seigneur ! que ta volonté soit faite ! » Dans une autre séance, il parvint à dominer le tumulte et à prononcer un vigoureux discours dans lequel, prenant à partie ses adversaires et s'élevant contre ceux qui persécutaient les vrais disciples du Christ, il fit l'éloge de tous ceux qui ont souffert pour leur foi ; puis, dans une péroraison émouvante, tournant contre lui-même la pointe de l'aiguillon dont il venait de transpercer ses juges, il s'accusa publiquement devant eux d'un acte de faiblesse qui pesait sur sa conscience et sur son coeur. « De tous les péchés que j'ai commis depuis ma jeunesse, dit-il d'une voix ferme, aucun ne me cause de plus poignants remords que celui que j'ai commis dans ce lieu fatal, lorsque j'ai approuvé la sentence inique rendue contre Wiclef et contre le saint martyr Jean Huss, mon maître et mon ami. Oui, je le confesse de coeur et de bouche, je le dis avec horreur, j'ai honteusement faibli par la crainte de la mort en condamnant leur doctrine. Les choses qu'ils ont dites, je les pense et je les dis comme eux. » Et se redressant en face de l'assemblée stupéfaite et indignée, il ajouta : « Eh quoi, pensez-vous donc que je craigne la mort ? Vous m'avez retenu toute une année aux fers dans un affreux cachot plus horrible que la mort même ; cependant je ne me plains pas, car la plainte sied mal à un homme de coeur, mais je m'étonne d'une si grande barbarie envers un chrétien ! »

En parlant de la sorte, Jérôme avait signé lui-même son arrêt de mort. Dès ce moment-là, nous voyons son courage grandir, s'affermir chaque jour davantage ; chargé de chaînes encore plus pesantes, il reçoit dans sa prison la visite de hauts personnages qui, avec un langage insidieux, cherchent à l'amener à faire de nouveau sa soumission.
- Jérôme, lui dit l'un d'eux, un cardinal, vous croyez-vous donc plus sage que tout le Concile ?
- Je désire m'instruire, répond le prisonnier.
- Et de quelle manière ?
- Par l'Écriture sainte qui est notre flambeau.

Et, comme on le presse d'abjurer, il prononce ces fières paroles :
- Eh quoi, pensez-vous que la vie me soit chère jusque-là que je craigne de la donner pour la vérité et pour Celui qui a donné la sienne pour moi ? Arrière, tentateur, arrière !

Puis, quand le jugement a été prononcé, qu'il s'est entendu condamner au supplice du feu, il saisit encore cette occasion pour revenir sur ce péché, dont le souvenir le brûle. « Je révoque cet aveu coupable, je le déclare de nouveau ; j'ai menti comme un malheureux en abjurant les doctrines de Wiclef et de Jean Huss et en approuvant la mort d'un homme saint et juste. » Puis reprochant au Concile l'injuste jugement rendu contre lui, il ajoute ces mots : « je laisserai en mourant un aiguillon dans vos coeurs et un ver rongeant dans vos consciences ; j'en appelle au tribunal sacré de Jésus-Christ. Dans cent ans, vous en répondrez ! »

Le jour du supplice est arrivé. Après avoir vu mourir un premier martyr, dont l'héroïque attitude est encore vivante dans toutes les mémoires, la ville de Constance aura la bonne fortune de voir se dresser un nouveau bûcher. Tous les habitants sont sur pied, impatients de repaître leurs yeux de ce spectacle. Quant au condamné, il ne trahit pas le moindre symptôme de faiblesse ; il marche au-devant de la mort avec la même sérénité que Jean Huss, heureux d'aller le rejoindre dans le ciel, après avoir traversé une auréole de flammes. Le cortège va commencer sa lugubre promenade ; à ce moment, on présente à Jérôme, comme on l'avait fait pour son compagnon, une couronne en papier ; il la met fièrement sur sa tête et répète les belles paroles que son ami avait prononcées avant de mourir : « Jésus-Christ qui est mort pour moi, pécheur, a porté une couronne d'épines ; je porterai volontiers celle-ci pour l'amour de lui. » Pendant le trajet, il prie, il chante, il lève les yeux vers le ciel ; arrivé au lieu du supplice, à l'endroit même où Huss a prié, il tombe à genoux, adresse à Dieu une fervente prière, puis entonne un cantique triomphal : Salut, jour de fête admirable entre tous ! Parmi ceux qui amassent le bois autour de lui, il aperçoit un pauvre laboureur un fagot à la main ; à cette vue son coeur s'émeut et, sentant s'allumer en lui un peu de cette compassion divine qui avait arraché à Jésus ce cri de pitié - « Pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ! » il lui dit : « 0 simplicité sainte ! Mille fois plus coupable est celui qui t'abuse ! " À cet instant, la flamme jaillit, étouffant une dernière prière prononcée d'une voix encore distincte : « Seigneur ! je remets mon esprit entre tes mains. Seigneur, Père tout-puissant, aie pitié de moi et pardonne-moi mes péchés, car tu sais que j'ai toujours aimé la vérité. » Quelle distance entre cette mort affreuse, endurée si vaillamment et cette signature donnée dans un moment d'oubli et de faiblesse !

Comme un chêne courbé par l'ouragan se redresse ensuite plus vigoureux que jamais, on le vit, après avoir faibli par crainte de la mort, donner joyeusement sa vie pour la sainte cause. L'impression produite par cette belle mort fut profonde. Nous en trouvons le reflet dans ce témoignage de l'un des acteurs de ce drame : « C'est ainsi, dit-il, qu'a fini un homme excellent au delà de toute croyance. J'ai été témoin oculaire de cette tragédie et j'en ai vu tous les actes. Je ne sais si c'est obstination ou incrédulité qui le faisait agir, mais ce que je puis affirmer, c'est que Socrate prit le poison avec moins de courage et d'intrépidité que Jérôme de Prague ne souffrit le supplice du feu. »


III

Quittons maintenant, pour un instant, les cendres à peines refroidies des deux bûchers de Constance, pour nous transporter en Bohême, au lendemain de ce double crime. La nouvelle du supplice de Jean Huss y avait déjà été accueillie avec indignation ; on s'était rendu en foule à la chapelle de Bethléhem pour honorer sa mémoire ; les nobles, les seigneurs qui avaient adhéré à sa doctrine avaient mis la main sur leur épée et juré de le venger. Ce fut bien autre chose encore, lorsqu'on apprit qu'un second martyr venait de périr dans les flammes. Tous ceux qui avaient connu et aimé Jérôme furent exaspérés par la nouvelle de sa mort ; il y tut dans tout le pays une véritable explosion de tristesse et de colère. On frappa des médailles en l'honneur des deux apôtres de la Bohême, on institua un jour de fête en souvenir d'eux. Mais ce ne fut pas tout. Les deux bûchers de Constance allumèrent un incendie qui embrasa la contrée pendant de longues années et y fit couler un fleuve de sang, car ils furent le signal de la terrible guerre des hussites.

En réponse aux menaces de Rome, qui voulait les contraindre à abjurer leur foi, les Bohémiens se soulevèrent comme un seul homme et, sous la conduite d'un chef audacieux et cruel, Ziska, réussirent à écraser, à anéantir, du haut de leur camp retranché du Thabor, des armées entières. On doit flétrir, sans doute, la cruauté de ce général qui semait sur ses pas l'épouvante, mais il est difficile de ne pas voir en lui un fléau divin, dont Dieu se servit à cette époque pour venger la mort des deux martyrs de Constance. C'est là ce qui résulte de cette inscription, qui fut gravée sur la tombe de Jean Huss : « Ici repose Jean Ziska, ton vengeur. » Après lui vint un autre chef non moins redoutable, Procope, qui continua les exploits de ses devanciers et, grâce aux victoires qu'il remporta sur les armées impériales on commença à éprouver un certain respect pour ces hommes vaillants, décidés à lutter jusqu'au bout pour conserver leur foi et leur liberté de culte. Aussi, lorsqu'au Concile de Bâle, en 143 3, trois cents hussites firent leur entrée dans cette ville, ce ne fut plus, comme Jean Huss et Jérôme à Constance, au milieu d'une avalanche d'injures, mais avec les témoignages d'un sympathique étonnement.

Une réhabilitation plus complète devait être accordée à ces deux grands témoins de la vérité. Le 6 juillet 1903 a été célébrée à Prague une grande fête commémorative, le 488e anniversaire du supplice de Jean Huss. Sur la place de l'Hôtel de Ville, tout près de l'endroit où il avait prêché pour la première fois, on a posé en grande pompe la première pierre d'un monument élevé en son honneur, et un immense cortège a défilé dans la ville toute pavoisée aux couleurs nationales. Le soir a eu lieu une représentation du drame de Ziska avec un prologue sur Jean Huss ; le tout a été suivi d'une retraite aux flambeaux et d'une illumination très brillante; partout on voyait des transparents avec le portrait de Jean Huss et sur les collines environnantes, en particulier sur celle de Ziska, brûlaient d'immenses bûchers en souvenir du héros du Concile de Constance et du martyr dont les cendres avaient été jadis jetées dans le Rhin.

Une dernière réflexion avant de conclure. C'est des hussites, il ne faut pas l'oublier, que sont issues les belles églises de Moravie, qui prirent, au commencement du quinzième siècle, le nom de Frères de l'Unité et donnèrent la main d'association à Luther et à la Réforme. C'est aussi du milieu d'eux que prit naissance plus tard, au commencement du dix-huitième siècle, sous l'impulsion du mouvement de réveil provoqué par le comte de Zinzendorf, cette admirable communauté des Frères moraves, qui s'est acquis un si grand renom de piété et dont l'oeuvre missionnaire est si vaste et si héroïque.

Voilà ce qui est sorti du cri d'appel poussé par les deux réformateurs de la Bohème ! Ce n'est donc pas en vain qu'ils sont montés sur le bûcher. Les germes féconds qu'ils semèrent à pleines mains ont pris racine et cette semence de vie a volé avec les Missions moraves jusqu'aux extrémités du monde en démontrant une fois de plus la vérité de cette parole célèbre, si souvent citée ; « Le sang des martyrs est la semence de l'Église. »

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