« Dites au juste que bien lui sera : car les justes mangeront
le fruit de leurs oeuvres. »
« Malheur sur le méchant! qui ne cherche qu'à faire
le mal; car la rétribution de ses mains lui sera faite. » (Es. III,
10, 11.)
C'est ainsi que parle Dieu ; et quand il a parlé,
qui ne tremblera ? Quand il prononce cette malédiction, comment ce
méchant échapperait-il?
« Quand il aurait creusé jusqu'au plus profond de
la terre, dit l'Éternel, ma main l'enlèvera de là. Quand il monterait
aux cieux, je l'en ferai descendre. Quand il serait caché au sommet
des montagnes, je l'y rechercherai, et je l'en
arracherai; et quand il voudrait échapper à mes regards, au plus
profond de la mer, je commanderai au serpent qu'il l'y morde. » (Amos
IX, 2, 3.)
Raoul en fut une effroyable preuve. Faites bien
attention à son histoire, malheureux enfants ou jeunes gens qui
refusez votre coeur à Dieu, et qui ne voulez suivre que vos criminels
penchants ! Voyez ce que rencontra celui qui avait méprisé l'Éternel,
ses parents, et tout supérieur; et recevez instruction du funeste
exemple d'autrui.
Raoul, fils aîné d'un médecin, reçut dès sa
première enfance l'éducation la plus soignée. Il savait lire et écrire
à six ans; à huit il avait remporté trois prix au collège, et à peine
atteignait-il sa douzième année, qu'il était regardé comme le premier
de ses condisciples dans le latin, le grec, l'histoire, la géographie
et le dessin.
Que de dons l'Éternel ne lui avait-il pas faits, et
quel n'eût pas été le bonheur de sa vie, s'il les eût consacrés à la
gloire de ce bon Dieu, au lieu de les tourner contre lui!
Mais l'infortuné Raoul, malgré cette brillante
éducation, avait conservé son coeur naturel, c'est-à-dire, comme
dit la Bible, un coeur de pierre, ennemi de Dieu, et désespérément
malin et rusé.
Le père de Raoul était un philosophe de ce monde;
ce qui veut dire un homme qui, se croyant sage en lui-même, prétendait
se conduire de telle manière, qu'il méritât la pleine approbation de
Dieu, et finalement l'immortelle gloire du ciel.
Cet homme, tout savant et de grande réputation
qu'il était, ne croyait pas la Sainte-Bible. Il osait dire que, pourvu
qu'on mène une vie régulière, et qu'on ne soit ni voleur ni meurtrier,
on n'a besoin ni d'un pardon, ni d'un Sauveur. Cet incrédule oubliait
donc, ou plutôt ne voulait pas reconnaître, qu'après la mort suit le
jugement, et que Dieu amènera en ce jugement toute oeuvre des hommes,
soit le bien, soit le mal; et que même il redemandera compte des
paroles vaines et enflées que les orgueilleux auront prononcées sur la
terre.
Hélas ! il refusait de croire que « Dieu a tant
aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit
en Lui, ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. » (Jean III,
16.)
Raoul fut élevé dans la même philosophie. « Tu as
des talents, lui disait son père : cherche la gloire et
tu l'obtiendras. Tu dois être le premier en toutes choses, et ne
souffrir en toi aucun défaut. Aie de l'honneur et du caractère, et
sois trop fier pour t'affliger, si tu éprouves de l'ennui. Méprise la
douleur, et souviens-toi qu'un homme doit défier la mort, et s'en
moquer. »
La Sainte-Bible n'était donc pas dans la maison de
ce médecin. Il ne s'y faisait jamais de prière; il ne s'y lisait
jamais aucun bon livre. C'était la même chose chez les parents et les
amis de ce mondain; et comme il en était encore de même au collège que
fréquentait Raoul, et que ses divers maîtres de langues, de dessin et
d'escrime, professaient la même philosophie, cet enfant, qui avait
sucé l'incrédulité avec le lait, y fit de tels progrès, que nul, dans
tout le collège, ne l'égalait en railleries et en procédés outrageants
contre les jeunes gens chrétiens qui se trouvaient dans les classes.
Un de ces chrétiens, Basile, fils d'un des
principaux magistrats de cette ville-là, se distinguait
particulièrement parmi ses contemporains par sa douce piété et par la
conduite la plus modeste et la plus honorable.
Il était aussi doué de grands talents, et il remportait
aussi des prix; mais il les recevait comme un petit enfant, qui, ayant
pu marcher parce qu'il est soutenu de sa mère, reçoit d'elle une
caresse pour avoir fait quelques pas sans broncher.
Me glorifier! disait Basile à l'un de ses
condisciples qui le félicitait pompeusement de ses divers succès,
est-ce moi qui me suis fait, et suis-je le créateur de ma mémoire ou
de ma force? D'ailleurs, à quoi me servira ce que je puis savoir
maintenant, si ce n'est pas à Dieu, mon Sauveur et mon Père, que je le
rapporte et consacre! Ne dois-je pas lui rendre compte de ce qu'il m'a
remis ? et le Seigneur ne condamnera-t-il pas le serviteur paresseux
et infidèle qui, loin de faire valoir, pour son maître, le talent
qu'il en avait reçu, ira le cacher en terre? Non, non, je ne me
glorifierai pas; et si Dieu me bénit dans mes travaux et mes études,
je le prierai qu'il m'accorde d'autant plus de son bon Esprit, afin
que je lui rende l'honneur et les actions de grâces, et toute
obéissance.
On comprend qu'un enfant de douze ans, qui tenait
un tel langage, avait reçu de tout autres principes que le malheureux
Raoul.
En effet, les parents de Basile étaient des amis de
Jésus, de vrais et sincères chrétiens. La Bible était en honneur et à
la première place dans leur maison : parents, enfants et serviteurs
s'humiliaient devant la Parole de l'Éternel. Chaque jour, matin et
soir, le culte de famille avait lieu : chaque repas se commençait et
se terminait par la prière et les actions de grâces, et le jour du
Seigneur, le dimanche, était sanctifié avec respect et amour.
- « Mon fils, disait le père de Basile à cet
enfant, si Dieu t'a confié de la mémoire et quelques autres facultés,
s'il lui a plu d'en bénir l'usage, et de te donner quelque supériorité
sur tes condisciples, humilie-toi; car ces talents ne sont pas la vie
éternelle. Tout instruit que tu peux être dans les sciences d'ici-bas,
tu n'en es pas moins un pauvre enfant des hommes , pécheur et plein de
misères. Ce n'est ni avec le grec, ni avec des prix de religion ou
d'histoire qu'on ouvre la porte des cieux; et fusses-tu le premier
savant de ce monde, si tu n'es que cela, tu seras moins que le
mendiant et l'idiot qui connaissent Jésus, et qui lui sont soumis.
Oui, mon fils, c'est le Fils de Dieu, c'est
Jésus-Christ, que tu dois apprendre à connaître; c'est lui qui t'a
fait; c'est lui qui est le Sauveur; c'est à lui qu'appartiennent le
règne, la gloire et l'obéissance.
Qu'il ait toute ton adoration, et confie-lui, de
tout ton coeur, ta vie. Il saura bien diriger tes pas et te faire
parvenir enfin dans l'éternel royaume, qui seul subsistera encore,
lorsque tout ce que tu apprends maintenant ne sera plus d'aucun usage.
»
- Sottise! et puérile crédulité! s'écria Raoul, un
jour qu'on lui rapportait la réponse que Basile avait faite, quant à
ses progrès et à ses prix. Aussi, voyez ce dévot : à peine se tient-il
debout quand il marche; et s'il est repris, on dirait un chien fouetté
: il n'a pas même le coeur de se relever. Allons! mes amis, d'autres
principes que ces vieilles erreurs. C'était bon pour le temps où l'on
ne savait rien. Pour nous, ne nous laissons pas mettre la main sur
l'épaule. En avant vers la gloire et la renommée ! Que ceux qui la
dédaignent, parce qu'ils sont trop lâches pour l'acquérir, demeurent
en arrière! Soyons les premiers, et moquons-nous d'eux.
L'orgueil va devant l'écrasement, dit la Sagesse
éternelle, et la fierté d'esprit précède la ruine. Le méchant creuse
le mal, ajoute-t-elle, et il y a comme un feu brûlant sur ses lèvres.
Les enfants de l'école qui n'avaient point la
crainte de Dieu devant les yeux, écoutèrent avidement les insinuations
hautaines et perfides de Raoul, qui devint, en peu de temps, comme
leur meneur; d'autant plus que, pour obtenir leur affection, ou plutôt
leurs flatteries, il n'épargna ni protection ni petits services.
Un d'eux était-il trop faible pour résister à un
adversaire dans une querelle, Raoul survenait, et sans s'inquiéter
d'attiser et de prolonger les haines, et sans même demander de quel
côté se trouvait le droit, il frappait impitoyablement l'ennemi de son
camarade, et se raillait de ses plaintes.
Un autre écolier n'était-il qu'un paresseux, et ne
faisait-il que la moitié de ses devoirs : Laisse-moi ton papier, lui
disait Raoul; je t'arrangerai bientôt le tout, et tu te tairas sur
cela.
C'était de la fourberie, dira-t-on. Comment cette
bassesse s'accordait-elle avec la fierté de Raoul ?
Ah! c'est que dans un coeur que la crainte de Dieu
ne gouverne pas, la première passion, c'est la vaine gloire; et que,
pour y parvenir, il n'y a nul moyen qui paraisse ou trop coûteux ou
trop vil.
De quoi rougirait l'enfant qui ne se soucie pas de
la présence de l'Éternel, et qui n'agit pas pour lui plaire? Que lui
importe qu'il soit droit de coeur, puisqu'il
s'enveloppe de ténèbres, et qu'il ne s'embarrasse pas de la loi du
Seigneur!
Ni la duplicité, ni la ruse, ni le mensonge et la
perfidie, ne répugneront à celui qui dit en son coeur
L'Éternel ne l'a pas vu, et il n'en a rien su.
Le péché se joindra au péché, dans l'âme et dans la
conduite de l'enfant que Jésus-Christ ne tient pas sous sa houlette,
et que le Saint-Esprit n'adresse pas à la Parole de Dieu.
Les fautes du jeune homme qui ne marche pas dans la
lumière de l'Évangile, seront comme l'avalanche dans les gorges des
Alpes : un peu de neige, détachée du haut d'un rocher par son propre
poids, tombe et roule sur une pente rapide. Cette petite masse,
arrondie par sa chute, s'enveloppe de couches redoublées; elle roule,
elle glisse comme un torrent sur les flancs inclinés de la montagne;
elle enlève, elle emporte d'immenses surfaces de neiges amoncelées,
et, se précipitant avec le fracas du tonnerre, et comme un éboulement
de rochers, contre les forêts et les villages, elle les déracine, les
arrache, les renverse et les emporte au fond des vallées qu'elle
remplit de troncs brisés et de décombres.
La paisible et sainte vie du jeune disciple de Jésus
est semblable à ces belles et abondantes eaux qui sortent sans effort
et d'un seul bassin, au fond d'un des riants et frais vallons de la
Suisse. Elles ne jaillissent que pour le bien de l'homme et des bêtes.
Le berger se repose en paix vers leur source, sur laquelle se penchent
mille arbustes, dont les tiges s'entremêlent aux pieds vigoureux des
hêtres, des sapins et des chênes. Les troupeaux s'y abreuvent à
loisir, et ruminent tranquillement sur leurs bords, que d'épais
pâturages recouvrent de riches et brillants tapis. Leurs ondes, après
s'être divisées, comme en rayons bienfaisants, parmi les champs et les
prairies qu'elles fécondent, se recourbent docilement vers un commun
réservoir, d'où elles s'élancent en gerbes d'argent et en flots
écumeux sur les roues des moulins et des forges, qu'elles ne quittent
que pour visiter avec de nouveaux bienfaits de nouvelles vallées,
qu'elles arrosent aussi de la part de Celui qui a créé les cieux et la
terre, et qui a creusé le lit et tracé le cours des fleuves.
Raoul, l'incrédule Raoul, en trompant dans de
petites choses, prépara son infidélité dans de plus grandes. Il en
avait imposé au maître de sa classe, quant aux devoirs de ses
condisciples : il n'hésita pas à le faire pour son
propre avantage, et dans une circonstance où sa tromperie revêtait un
caractère criminel. Voici le fait:
Le concours annuel pour les prix était venu, et
chacun au collège disait déjà : Raoul le premier et Basile le second :
comme de coutume. Le butin pour eux deux ! Car c'était un proverbe
parmi les écoliers ; et disputer à Raoul la prééminence, ou essayer
d'enlever à un aigle sa proie, eût paru la même entreprise.
Mais il n'en devait pas être cette année-là comme
des précédentes. Raoul, enflé de son mérite, et se reposant sur sa
grande facilité, s'était négligé dans plusieurs points de ses études.
Il s'était dit : Huit jours me suffiront, avant le concours, pour
regagner ce que je laisse en arrière; et il avait lâché la bride à sa
légèreté, et dépensé en plusieurs vanités le temps qu'il ôtait à ses
livres. Les huit jours sur lesquels il avait compté arrivèrent, et
quoiqu'il se portât très-bien, et qu'aucun empêchement ne fût survenu,
il fut aussi surpris que dépité de voir que sa mémoire ne retenait
plus que difficilement ce qu'il étudiait, et que son esprit était
comme hébété.
Encore s'il eût eu quelque indisposition, il eût
rejeté sur ce malaise son mécompte; mais jamais il n'avait
été plus fort et plus dispos; et jamais aussi il n'avait été plus
libre de tout autre soin.
Il était donc humilié par le châtiment soudain que
lui infligeait ce juste Dieu qui donne à l'homme son intelligence, et
qui la retire quand il lui plaît.
Mais loin de le comprendre et de donner gloire à
son Créateur, Raoul se dépita, et la pensée qu'il perdrait son rang,
et que sa gloire serait ternie, l'irrita tellement, qu'il résolut de
retenir par la ruse ce qu'il voyait bien qu'il allait perdre.
Il usa donc de supercherie pour suppléer à son
ignorance; et par un moyen que nous taisons, de peur de l'indiquer à
quelque malheureux écolier du même caractère, il parvint à faire sans
faute le thème qui devait concourir pour le prix.
Voici mon thème, dit-il au maître qui devait le
recevoir, et lui remettant la feuille écrite.
- Et ceci, demanda le régent, en détachant un petit
feuillet qui était collé au revers de la page, par une goutte d'encre
séchée; qu'est-ce que c'est?
- Cela? dit Raoul, avec une sorte d'indifférence,
je l'ignore.
- C'est cependant votre écriture, Monsieur, reprit
le maître, en examinant les deux côtés du feuillet chargés
de caractères très-fins et serrés ; et de plus, ce n'est pas
maintenant que vous l'avez écrit. Il y a plus d'un jour que cette
encre a quitté la plume. J'en référerai aux juges du concours.
Raoul balbutia quelques mots : il essaya de traiter
légèrement cet accident, et il sortit de la classe. Mais il fut loin
d'être tranquille; et au lieu de l'assurance qu'il montrait
d'ordinaire après les concours, et en attendant la décision des
professeurs, il parut sombre et taciturne devant ses condisciples, et
il fut poursuivi, jusque dans ses songes, par la crainte qu'on ne le
convainquît de fourberie, et qu'il ne fût ainsi couvert de blâme et de
honte en face de tout le collège.
Cette crainte n'était que trop fondée. Le principal
du collège cita Raoul devant les juges des thèmes, et, sans lui dire
un seul mot du feuillet en question, il le fit asseoir à une table
isolée, plaça devant lui le thème du concours, et lui dit : Puisque
vous l'avez déjà fait sans faute, il vous sera facile de le faire une
seconde fois. Écrivez-le donc : vous avez toute une heure pour cela.
L'esprit de Raoul fut renversé; il se troubla, il
fut déconcerté, et, se laissant aller à son caractère, qu'il
ne pouvait ni contenir ni déguiser, il cria à l'injustice, et il
s'emporta contre les professeurs, auprès desquels il oublia tout
respect et toute décence.
Le principal lui fit alors quelques reproches
sévères, et le renvoya avec mépris, en lui déclarant qu'un impertinent
et un fourbe de son espèce ne déshonorerait pas plus longtemps le
collège.
- Un impertinent! un fourbe! répéta Raoul, en
traversant le vestibule du collège, et en frémissant d'indignation. Le
collège déshonoré par moi!
- Eh bien! s'écrièrent ses amis, qui l'attendaient
en troupe dans la cour, que te voulait-on? As-tu le premier, ou
seulement le second prix ?
- Un impertinent! un fourbe! un infâme! répéta
Raoul, hors de lui, et en grinçant les dents.
- Qui? s'écria-t-on de tous côtés. De qui parles-tu
?
- Laissez-moi tranquille ! répondit le coupable en
les repoussant; vous n'êtes tous que des machines, qu'on mène comme on
veut.... Savez-vous ce qu'a fait Basile ?
- Est-ce lui qui est l'impertinent et le fourbe?
demanda-t-on.. Ont-ils surpris ce saint dans quelque ruse
de son métier? Dis-nous cela, Raoul! Qu'as-tu peur de parler? Aussi
bien le saura-t-on bientôt.
- Ce n'est pas Basile, dit un des professeurs, qui
s'était approché sans qu'on l'aperçût; c'est ce drôle-là; oui, c'est
cet orgueilleux et ce vain personnage-là, qui n'est qu'un fourbe et
qu'un insolent; et qui lui ressemble et se joint à lui, comme lui sera
honteusement chassé du collège. Qu'on le laisse, si l'on ne veut le
suivre !
Un éclat de tonnerre eût produit moins d'effet que
ces terribles paroles. Raoul baissa la tête et sentit ses genoux
trembler. Ses amis furent stupéfaits; pas un d'eux n'ouvrit la bouche,
et le professeur avait à peine tourné le dos, qu'ils s'éloignèrent et
disparurent tous, laissant leur protecteur et leur modèle seul et
confus.
Oh! si Raoul fût alors rentré en lui-même ! S'il
eût reconnu sa faute et son juste châtiment! S'il eût voulu discerner
la main puissante de Dieu, et s'humilier devant lui! Mais l'incrédule
méprisa la verge et celui qui l'avait assignée; et l'endurcissement
fut l'affreux résultat du dédain qu'il témoignait pour la sommation
que recevait sa conscience.
- Montre-moi la copie de ton thème, dit le père de
Basile à son cher enfant, qui revenait du collège, le jour du
concours. En es-tu content?
- Je l'ai fait aussi bien que j'ai pu, répondit
Basile, avec une vraie modestie. Du reste je ne sais pas s'il est
correct.
- Il est sans aucune faute, reprit le père; et le
style en est élégant. Je pense, mon enfant, qu'il obtiendra le prix.
- Eh bien! dit Basile, en embrassant tendrement son
père, c'est à vous que je le devrai, par la bénédiction de Dieu; car
c'est dans la dernière lecture que vous avez bien voulu faire avec moi
du testament grec, que vous m'avez enseigné la règle de syntaxe de la
dernière sentence du thème. Je l'ignorais tout-à-fait avant votre
explication ; et vous voyez que si j'eusse laissé cette phrase, mon
thème était rejeté.
- Tu me donneras donc la moitié du prix, reprit le
bon père en souriant, et nous déposerons ces deux moitiés,
poursuivit-il, avec gravité, aux pieds de Celui qui seul est l'auteur
de toute grâce excellente et de tout don parfait.
- Je vous assure, mon père, ajouta Basile, que tout
ce que je crains, lorsque Dieu m'accorde ainsi quelque avantage sur
mes condisciples, c'est, d'un côté, que je n'en
conçoive de l'orgueil, et d'un autre côté, que plusieurs de mes
camarades, qui, je pense, ont reçu du Seigneur moins de facilité que
moi, et qui cependant se donnent beaucoup de peine, ne soient
attristés et abattus, en voyant qu'ils sont toujours privés des prix
qu'ils ont un grand désir d'obtenir. Par exemple, ce cher Alexis, qui
est si doux et si attentif à tous ses devoirs, pleurait de chagrin ce
matin, quand on a dicté le thème; et je suis sûr que c'était parce
qu'il lui manquait, peut-être, la règle que vous m'avez dite il n'y a
que trois jours. Si cependant il eût été à ma place, et qu'un père
comme le mien lui eût accordé les mêmes soins que je reçois de vous,
ce cher ami n'aurait pas ressenti cette peine. J'en étais si affligé,
que, s'il eût été possible de le faire sans me rendre coupable, je lui
eusse bien volontiers cédé ma place et la couronne que, peut-être, on
va me décerner.
Le père.
Sais-tu comment le jeune Raoul a fait son thème?
Basile. Je
pense qu'il l'aura fait comme de coutume ; car il a beaucoup de
talents, mais...
Le père. Mais
quoi ? Que crains-tu quant à lui?
Basile. Hélas!
j'ai peur qu'il ne comprenne pas de quelle main
ils lui viennent, et qu'ainsi son coeur n'en soit enflé. Il est bien
malheureux, je vous assure, car il n'aime pas le Sauveur.
Le père.
Basile! pourquoi dis-tu cela ? C'est une bien grave accusation !
Basile. Ah! je
suis loin de l'accuser; je le plains, au contraire, et de toute mon
âme; mais je ne puis que savoir et connaître ce qu'il dit et fait
devant toute la classe. J'en ai pleuré plus d'une fois.
Le père. Que
fait-il donc, cher enfant? Tu ne m'en avais jamais rien dit.
Basile. Et je
vous l'eusse encore caché, si je ne pensais que vos conseils pourront
me diriger dans ce que je dois faire à son égard.
Le père.
Dis-moi donc ce qu'il a fait de blâmable.
Basile. Hélas!
mon cher papa, il y a peu de jours qu'il haranguait la classe, pour
lui prouver que notre raison est la vraie sagesse, et que rien ne
démontre d'une manière certaine que la Bible soit la Parole de Dieu.
Le père. As-tu,
toi-même, entendu cette impiété.
Basile. C'était
précisément parce que j'avais dit à mon cher Alexis, devant Raoul et
quelques autres écoliers, que l'Évangile est la science des sciences,
que Raoul, après s'être moqué de moi, monta sur le
poêle, et tint les propos que je viens de citer.
Le père. Lui
répondis-tu?
Basile.
Lui-même me défia de rien opposer à ce qu'il avait dit; et, pour toute
réponse, je lus ce que dit St-Paul dans sa première épître aux
Corinthiens, sur la folie de la sagesse humaine. Mais Raoul s'emporta
et maudit l'Évangile. Je le laissai donc, selon le commandement du
Seigneur, qui nous défend de jeter les perles de sa vérité à ceux qui
les méprisent.
Le père. 0 mon
cher fils! que Dieu s'est montré miséricordieux envers nous, en nous
révélant la vérité de sa Parole! Que tu es heureux, mon enfant, de
connaître le Seigneur Jésus, et de lui être soumis ! Ah! que son
Esprit de paix et de force repose sur ton âme, pour la remplir de joie
et de persévérance!
Basile. C'est
ce que nous disions, le même jour, avec Alexis, mon cher papa. Nous
nous félicitons d'être nés dans des familles où la Bible est lue; et
Alexis me disait, en m'embrassant : Penses-tu que Dieu est notre père,
et Jésus notre berger! Aussi, je vous assure, mon cher papa, que je ne
voudrais pas changer de condition, pour quoi que ce fût : je me trouve
si heureux auprès de vous et de maman, et j'aime tant à
vous entendre parler de l'amour de Dieu envers nous !
Combien Raoul était loin d'un tel bonheur!
Lorsqu'il rentra chez son père, que le bruit public avait déjà informé
de la disgrâce de son fils, ce fut pour essuyer l'affront le plus
pénible et les plus vifs reproches.
- Te voilà traîné dans la boue, lui dit ce père
indigné, et tu deviens la honteuse fable du public! Tu n'es plus qu'un
vil faussaire aux yeux de tout ce qu'il y a d'honnêtes gens dans la
ville. Ta réputation est perdue, mon nom est par toi-même couvert
d'opprobre, et la turpitude de ta conduite est une tache dont tous les
talents possibles ne te laveront jamais ! Est-ce là ce que je t'avais
inculqué ? Était-ce une telle ignominie que je devais recueillir pour
fruit des nobles et généreux sentiments que je n'ai cessé de
t'inspirer ?
Le nom de Dieu ne fut pas même prononcé dans toute
sa longue et dure réprimande. La gloire, et toujours la gloire, fut le
seul miroir qu'il plaça devant l'action de son fils, dont il égara de
plus en plus l'esprit et le coeur, en lui déclarant qu'il devait
quitter un pays où l'infamie était, pour toujours,
son partage mérité.
Cependant, Raoul n'osait plus se montrer : il
craignait la rencontre et le malin sourire du dernier des écoliers; et
celui qui ne se souciait pas du regard de l'Éternel, tremblait en
présence de ceux mêmes qu'il avait jadis reçus du haut de sa grandeur.
Basile sentit tout ce que le malheureux Raoul
devait éprouver de honte et de chagrin. Il pensa que ce serait un
moment favorable pour lui montrer de l'intérêt, et pour tâcher de le
tourner vers cette vraie et glorieuse sagesse qu'il avait jusqu'alors
méprisée.
Il se rendit donc, avec l'agrément et les
directions de son bon père, auprès de ce condisciple, qui le reçut en
rougissant et sans oser le regarder.
Il était difficile de commencer une conversation
dans laquelle Raoul devait être humilié; aussi ne pouvait-elle
s'ouvrir que par le jeune chrétien, qui, ne voyant que le chagrin
profond de son condisciple, et le seul remède qui pût l'adoucir, lui
dit, en lui prenant la main avec cordialité : Ne vous désolez pas,
Raoul ! Dieu peut bénir pour vous cet affligeant événement; et si vous
le permettez, nous causerons ensemble de tout cela.
- Vous savez, Monsieur, répondit Raoul, en fronçant
un peu le sourcil, que vos principes et les miens ne suivent pas la
même ligne; et je crains que vos bonnes intentions ne soient tout au
moins insuffisantes. J'ai fait une sottise; j'ai été un maladroit; je
me suis oublié; tout cela est certain, et je le reconnais. Je suis
maintenant en butte aux lâches sarcasmes et à la vaine ironie de
quelques petits esprits étroits et vulgaires;.... et je dois le
supporter avec fermeté. Du reste, je leur prouverai, et bientôt, que
si j'ai failli pendant une heure, je me relèverai avec d'autant plus
de force. Oui, ils sauront que si j'ai pu tomber par mégarde, du moins
je ne rampe pas d'habitude avec eux.
Basile.
Laissez, croyez-moi, le jugement et l'opinion des hommes, et regardez
plus haut... Voyez, cher Raoul! la suprême volonté de Celui qui dirige
toutes choses; et... tournez aujourd'hui vos pensées vers ce
Sauveur...
- Je vous prie, mon cher! s'écria Raoul, en
marchant avec agitation dans la chambre, de rompre cet entretien. Vous
avez vos opinions : je vous les laisse. Pour moi, je n'ai besoin ni de
cette crédule superstition, ni de la peur du fouet. J'ai de l'honneur,
et je ne suis pas un idiot. Cependant je vous
remercie de votre témoignage d'intérêt. Vous êtes le seul de mes
condisciples, Basile! qui m'ait visité, et... je ne l'oublierai pas,
je vous assure.
En disant ces mots, il reconduisit poliment Basile,
qui revint avec douleur auprès de son père, que l'orgueilleuse
insensibilité de Raoul n'étonna nullement.
- Je te l'avais dit, Basile, remarqua cet homme
prudent : « Le moqueur n'aime pas qu'on le reprenne; » ce mot est la
parole même de Dieu, et je m'attendais au mécompte que tu as éprouvé.
Nouveau sujet pour toi, mon enfant, de bénir le Seigneur. Tu as suivi
le désir de ta charité : on l'a méconnu; eh bien! demeure en paix, et
laisse à l'invisible Législateur le jugement de cette affaire.
Ce fut en effet Dieu qui la jugea, et jusqu'à la
fin. Raoul fut chassé publiquement du collège. Les ruses et les
fourberies secrètes dont il avait usé précédemment, furent toutes
révélées par ceux mêmes qui en avaient profité, et le caractère de ce
jeune philosophe se montra sous une forme si odieuse, que le sénat
académique prononça son expulsion avec note d'infamie, malgré les
démarches et les instances du père de Raoul, qui
ne put obtenir ni le moindre délai, ni le plus léger adoucissement à
la sentence.
Car c'était Dieu qui frappait le méchant, et qui
l'enveloppait ainsi dans la ruine; parce qu'il s'était raidi contre la
répréhension, et qu'il avait méprisé la douce voix de la charité.
C'est ainsi que l'esprit altier se heurta contre le marteau qui
n'était que levé, mais qui ne frappait pas encore. C'est ainsi que le
coeur superbe d'un incrédule se jeta, en insensé, sur le glaive que
Dieu ne faisait briller à ses yeux que pour le sommer de s'abaisser et
de se repentir.
Raoul fut envoyé dans une ville étrangère, où son
père le plaça dans un pensionnat renommé. La règle de cette maison
était sévère, et la surveillance s'y exerçait de la manière la plus
stricte. Raoul dut plier sous le joug d'une autorité inflexible; comme
aussi il lui fallut reconnaître, en même temps, qu'il n'était pas le
seul au monde qui possédât de l'intelligence et des talents; car il
trouva dans cette école deux jeunes gens de son âge, qui, pendant plus
d'un an, le laissèrent bien loin derrière eux, ce qui fut pour son
coeur une insupportable mortification.
L'envie et la plus basse jalousie s'emparèrent
alors de l'âme du pauvre incrédule. Il en fut dévoré: il
en devint sombre et farouche; et des vices, qu'aucun pouvoir religieux
ne combattait, s'associèrent promptement à de criminelles
inclinations, que ni la philosophie, ni la dignité de l'homme, ni le
sentiment de [honneur, ni le désir de l'approbation et de la gloire,
ne purent modérer. De honteuses et funestes passions, que la crainte
de Dieu ne réprimait pas, n'eurent d'autre frein que la terreur des
tribunaux; et le jeune homme qui s'éloignait de la miséricorde de
l'Éternel, en reniant Jésus, dut boire à longs traits dans le bourbier
de la licence et de la souillure.
On vit donc ce même Raoul, qui jadis était le
premier de ses condisciples, et qui toujours marchait la tête haute et
d'un air victorieux, maintenant triste et mécontent, languir dans la
paresse, et se joindre sans rougir à quiconque dans le pensionnat
manifestait du murmure et de l'insubordination.
Cette coupe de désordre devait aussi se remplir par
degrés jusqu'à ce qu'elle débordât. Raoul était devenu joueur, et pour
satisfaire cette vile passion, il n'y avait pas de prétextes qu'il ne
supposât, ni de mensonges qu'il ne soutînt avec une audace égale à sa
ruse.
Le mauvais lieu où il s'adonnait d'ordinaire à
cette funeste manie, était assez éloigné du
pensionnat. Il ne pouvait donc s'y rendre et s'y arrêter quelques
moments qu'aux heures de récréation, ou bien en demandant des
permissions pour des emplettes simulées de livres ou d'objets
nécessaires aux arts qu'il exerçait. Mais ces moments, quoique
prolongés le plus souvent au-delà des limites que lui assignaient ses
études ou l'agrément de ses chefs, devinrent enfin un espace trop
étroit pour une passion que nulle mesure n'avait resserrée. Raoul
voulait jouer, plus encore qu'il ne voulait manger ou dormir; et comme
il ne pouvait se rassasier de ce poison pendant le jour, il résolut de
se le procurer pendant la nuit, afin de le dévorer en paix, lorsque ni
la cloche des écoles, ni les yeux soupçonneux des surveillants ne
pourraient le troubler.
O jeune homme qui lis ce fidèle et lamentable récit
d'événements trop véritables! arrête-toi quelques moments, et
considère, sous le regard de Dieu, devant qui tu reçois cet appel,
quel est l'inévitable résultat du mépris de la vérité, de cette
Sagesse éternelle, de cette Lumière de vie que le Père nous a donnée
en son bien-aimé Fils Jésus, et qu'il nous a révélée dans sa parole.
Vois Raoul dans un tripot; associé à des profanes,
à des blasphémateurs, à la lie infecte des hommes déréglés, au milieu
desquels il renie son éducation, ses talents, ses qualités aimables,
tout ce que la science et la culture lui avaient acquis de supérieur
ou de noble, selon le monde; et, par-dessus tout, plongeant son coeur,
son âme, toutes ses facultés et tout son être, dans le cloaque de la
corruption ! Vois, jeune homme! la conséquence nécessaire de
l'incrédulité, et demande à ton âme immortelle, qui, certainement,
comparaîtra devant Dieu pour être jugée, si elle aimerait entrer dans
l'éternité avec la philosophie et les oeuvres de Raoul, ou bien avec
la foi et les oeuvres de Basile.
Ce n'était pas facilement que Raoul pouvait
parvenir à s'échapper de nuit du pensionnat; d'autant plus qu'on était
depuis longtemps sur le qui-vive à son égard, et qu'il savait, de
bonne source, que les chefs n'attendaient qu'une échappée de plus pour
le renvoyer à son père.
Il réussit néanmoins dans son projet; et nous nous
gardons de dire comment. C'était en hiver : il se trouva seul, après
minuit, et par une forte gelée, sur la place du collège, et au milieu
du plus profond silence.
Ce moment était décisif ; car il sentait bien
qu'une fois qu'il ouvrait cette porte, rien que l'opprobre ne la
pourrait fermer. Il eut donc de l'émotion, et, en s'arrêtant sur la
rue, il se demanda ce qu'il allait faire.
Alors, comme il le confessa plus tard à l'un de ses
compagnons de désordre, le souvenir de sa famille, de ses parents qui
l'avaient comblé de bienfaits, de ses frères et de ses soeurs, qu'il
aimait beaucoup et qu'il devait affliger encore davantage : celui de
son ancienne vertu, comme il l'appelait, et de la réputation qu'il
s'était acquise, et enfin la pensée de Basile, qui sembla se tenir
devant lui et lui répéter le Nom de Jésus, en le sommant de l'adorer;
toutes ces impressions des années précédentes se reproduisirent dans
son esprit et comme à ses regards, et avec une telle énergie, qu'il
tressaillit et s'écria : Est-ce donc Dieu qui me rappelle ?
Ces mots, qu'il avait prononcés, retentirent seuls
dans le silence. Mais, ainsi que leur son s'évanouit bientôt, le léger
repentir de Raoul s'éteignit aussi; et cet infortuné, raidissant de
nouveau son âme contre la main de l'Éternel, fut abandonné à l'esprit
réprouvé qui l'entraînait. Il avait méprisé le Saint nom de Dieu:
« Satan devint son maître, » dit l'Écriture, et le
lia de doubles chaînes, pour consommer la ruine de cet impie.
Il joua donc; et, pour jouer toujours, il dut
ajouter, par le vol, aux rentes que lui faisait son père. Il fut
soupçonné, épié et vu par un de ses condisciples. Le chef de la
maison, bien informé de toute l'affaire, sut dans quel lieu et à
quelle heure il jouait: quels objets il avait dérobés; combien et à
quelle receleur il les avait vendus; et afin d'ôter an méchant tout
moyen de se disculper, il résolut de le prendre lui-même sur le fait,
et de le confondre.
La nuit qu'il choisit pour cela était la dernière
de l'année. Comme il y avait eu, selon l'usage, du relâche dans les
travaux et quelques fêtes à la maison, Raoul avait d'autant plus
profité de la circonstance, et n'avait guère quitté l'infernal brelan
que pour paraître aux repas, et à peine quelques moments dans le
salon, le soir.
Selon sa continue, aussi, après la lecture des
prières, il avait pris sa bougie et s'était retiré dans son
appartement, où il avait feint de se coucher et de dormir, jusqu'à ce
que tout bruit eut cessé dans la maison.
Alors, employant le moyen dont il avait usé jusqu'à
ce jour, il se trouva de nouveau dans la rue, et bien vite après dans
tout l'égarement du jeu. La nuit était à peu près écoulée, et Raoul,
qui venait de perdre presque son dernier argent, relevait la tête en
désespéré, lorsque ses yeux se trouvèrent arrêtés sur ceux du chef de
son pensionnat, qui, debout devant lui, le regardait fixement et en
silence.
L'oiseau que le serpent étourdit et attire par le
souffle empoisonné dont il l'enveloppe, n'éprouve pas d'agitations, de
tremblements et de convulsions plus glacées, que celles qui
parcoururent les veines et qui firent frémir les os du joueur.
Il demeura la bouche béante et le regard immobile
comme s'il eût attendu sa sentence de mort; et lorsque son supérieur
lui fit signe du doigt de se lever et de le suivre, il lui fut aussi
impossible de se refuser à cette injonction, que s'il eût été lié et
traîné de force.
Le chef descendit avec lui sans prononcer une
parole. Une voiture attendait à la porte. Raoul dut y monter seul; et
l'équipage, à côté duquel marchait le chef, s'arrêta devant un hôtel,
où Raoul reçut l'ordre d'attendre l'envoi qu'on allait lui faire de
ses effets, par la même voiture qui partirait aussitôt pour le ramener
chez son père. Il fut mis sous la surveillance d'un gardien; et le
supérieur le quitta.
Jamais, se dit alors le malheureux jeune homme,
non, jamais je n'oserai reparaître devant ma famille et dans ma vie!
Et sur le moment, agissant comme ceux que l'Éternel abandonne, il
résolut de s'échapper et de fuir où il pourrait. Il demanda donc un
service à son garde, et pendant que celui-ci appelait un domestique
qui passait dans le corridor, Raoul ouvrit la fenêtre, sauta dans la
rue, et fut en peu de moments hors de toute poursuite.
« Un abîme, dit la parole de Dieu, appelle un autre
abîme. I» Raoul fuyait toujours. Il était sorti de la ville, et
quittant la grande route, il s'était jeté dans la campagne, du côté
d'un bois, où il voulait s'arrêter pour penser, au moins quelques
moments, à ce qu'il devait faire.
Dieu l'y attendait encore avec ses compassions; il
allait encore une fois lui dire, et d'une voix pénétrante, que Jésus
est la vie éternelle, et que quiconque croit en lui, reçoit le pardon
de ses fautes, avec un coeur nouveau pour aimer l'Éternel et sa sainte
loi et Raoul allait encore s'endurcir!
Il faisait jour quand il entra, tout haletant, dans
un chemin qui s'enfonçait dans le taillis, et qui
descendait vers un ruisseau, sur lequel était un petit pont,
très-étroit.
Raoul était arrivé vers cette planche, la tête
baissée, et tout absorbé dans ses réflexions; et ce ne fut pas sans
une grande surprise, qu'il se trouva tout près d'un vieux paysan, qui
achevait de passer le pont, au moment où le fuyard y posait le pied.
La pâleur, le désordre extérieur, et l'agitation de
Raoul frappèrent le vieillard, qui, s'arrêtant à l'extrémité du
passage, et s'appuyant des deux mains sur son bâton, s'inclina
respectueusement devant le jeune homme, et lui dit avec douceur:
- Pardonnerez-vous à un vieillard, s'il vous arrête
pour vous dire le sentiment que votre vue lui procure?
Raoul était troublé; il ne savait si ce qu'il
voyait et entendait n'était point un rêve; et en se passant la main
sur le front, il demanda au vieillard ce qu'il lui voulait.
- Seulement vous dire, répondit le paysan, que si
vous êtes malheureux, car on ne l'est pas seulement sous les cheveux
blancs, et le jeune homme aussi connaît le chagrin, il est un remède
infaillible dont j'ai connu moi-même, dont
j'éprouve chaque jour l'efficace.
- Quel remède ? demanda Raoul, en regardant vers la
terre, et d'une voix sourde.
- C'est, reprit le vieillard, d'adresser sans
crainte vos pensées et votre coeur au tout-puissant et tout-bon Fils
de Dieu, à ce Jésus,...
- C'est bon pour vous, gens crédules ! s'écria
Raoul, en s'apprêtant à passer le ruisseau. Mon mal a besoin d'un
autre remède, que de ces rêveries.
- Vous ne passerez pas ainsi, jeune homme! prononça
le vieillard, d'une voix ferme, et en mettant son bâton en travers du
pont. Non, vous ne ferez pas un seul pas de plus, dans l'égarement que
vous venez de manifester. J'ai le droit de vous arrêter, parce que
j'ai traversé la vie, et que vous, Monsieur! vous ignorez encore ce
qu'elle est.
Raoul se sentait ému. Cette noble et généreuse
sollicitude de l'étranger lui imposait; et, retirant le pied qu'il
avait déjà mis sur la planche, il demeura debout devant le vieillard,
les mains l'une sur l'autre et pendantes, et la tête baissée, dans
toute l'attitude de l'attention et du respect.
- Oui, mon jeune Monsieur, reprit le vieillard, Jésus-Christ
est le remède infaillible. Laissez-moi vous dire que j'ai connu toute
la dissipation et toute la folie de la jeunesse; car j'ai aussi habité
les villes et tâté de tout. J'ai fait, et bien longtemps, le mal, sous
les yeux de l'Éternel, sans vouloir convenir que je fusse vu de Lui.
J'ai perdu, dans la vanité, les meilleures années de ma vie, et j'ai
aussi refusé de porter le joug du Fils de Dieu. Aujourd'hui, Monsieur,
(et croyez un homme qui n'est pas loin de rendre compte de ses jours,)
aujourd'hui je ne connais qu'une paix, qu'un bonheur, qu'une joie,
qu'une seule espérance; et ce trésor, c'est la certitude que le
Seigneur Jésus est le Fils de Dieu, et que j'ai part à la vie
éternelle qui n'est qu'en lui.
Vous soupirez, jeune homme! Peut-être ce que je dis
de mon bonheur vous montre-t-il d'autant plus votre misère. Eh bien!
buvez à la même source qui m'a désaltéré; et, au lieu de vous
détourner des tendres compassions de l'Éternel, en appelant l'Évangile
de sa grâce des rêveries, bonnes pour de crédules ignorants, recevez,
de la bouche d'un vieillard, le message de pardon et de paix que le
Créateur des cieux et de la terre vous adresse aujourd'hui, en vous disant
: Repentez-vous, et croyez au nom du Fils de Dieu.
Si Raoul a maintenant quitté ce monde, et que son
âme soit entrée dans l'éternité sans avoir adoré Jésus, son sang ne te
sera pas demandé, ô vieux et fidèle Chrétien! car tu fus charitable
envers ton frère égaré, et tu tendis vers lui tes bras tremblants,
pour le porter dans ceux du Sauveur! Ah! bienheureux est le disciple
de Jésus, qui presse avec courage le pécheur de se détourner de son
mauvais train, et de croire en ce bien-aimé Fils de Dieu ! Bienheureux
est le fidèle qui enseigne au pécheur que Jésus est venu, non pas pour
condamner et pour perdre, mais pour chercher et sauver des âmes qui
étaient perdues !
Raoul ne répondit rien; non, rien. Le vieillard
avait cessé de parler, et il semblait attendre au moins quelques
paroles. L'incrédule garda le silence; et en se plaçant de côté, il
indiqua au vieux paysan qu'il souhaitait qu'il passât, pour laisser
l'entrée du pont libre.
Le vieillard soupira, en se rappelant ce que dit le
Tout-Puissant : « C'est moi qui ouvre et personne ne ferme : c'est moi
qui ferme et personne n'ouvre; » et il continua sa route. Mais il se
retourna encore, pour crier au jeune homme : -
Souviens-toi que pour toutes ces choses tu seras appelé en jugement;
et souviens-toi aussi que le sang de Christ purifie de tout péché.
Cependant, Raoul ayant chassé, et avec une sorte de
fureur, l'inquiétude involontaire qui lui avait causée la rencontre du
paysan, chercha dans son esprit ce qu'il devait faire, et il ne vit
qu'un seul parti qu'il dût prendre, savoir de s'enrôler dans les
troupes qui se rendaient alors, comme par torrents, vers ces contrées
du nord que leur sang devait inonder; car la colère du Seigneur
s'était levée sur les peuples, et elle hâtait le châtiment de
plusieurs nations.
Raoul, le fils aîné et la gloire d'un philosophe,
après avoir obtenu tous les avantages et les succès d'une brillante
éducation, termina donc la carrière que ses principes irréligieux lui!
avaient ouverte, et qu'ils avaient souillée de tous les vices, en se
vendant aux étrangers, et en jurant de verser pour eux son sang,
moyennant quelques hardes et un peu de pain!
Voilà ton oeuvre, ô père incrédule ! Regarde bien:
voilà ce que ta raison et tes systèmes ont produit. Cueille le fruit
de ton orgueil, de ton mépris pour la Parole de Vérité. Ah ! il est
amer; il est brûlant, et il va dévorer tes
entrailles ! Tu avais dit à ton enfant : Qu'as-tu besoin d'un Sauveur
? N'as-tu pas ta sagesse, ton honneur et la gloire ? Eh bien! c'est ce
même enfant, c'est ton fils qui te répond : Mon père, vous m'avez
séduit; vous m'avez trompé; vous m'avez perdu pour le temps, et
pour....
C'est à toi, ô Éternel-Dieu ! qu'appartient le
jugement; et tu rendras à chacun selon son oeuvre. C'est Toi, Seigneur
Jésus! qui, lorsque tu viendras dans ta gloire, feras appeler le nom
de chaque enfant des hommes, et qui prononceras ta juste et
irrévocable sentence, ou pour la vie, ou pour la mort. Tu sais, Toi,
quelle est la portion de Raoul; et nous, Seigneur! nous mettons la
main sur notre bouche : car qui sommes-nous pour juger!
Tout ce qu'on a pu savoir de plus, quant au
malheureux fils du médecin incrédule, c'est qu'il quitta le pays où il
s'était enrôlé, avec un régiment qui, peu de semaines après, fut
presque anéanti dans une sanglante escarmouche. Quelques-uns de ses
hommes reparurent, quand on fit l'appel ; mais Raoul ne se montra
plus.
Vécut-il encore ici-bas ? Quitta-t-il alors cette
vie ? Lecteur! inquiétez-vous beaucoup moins de le savoir,
que de rechercher si, lorsque Dieu vous donnera l'ordre, à vous-même,
de laisser vos intérêts, avec vos plaisirs et vos peines, vous vous
avancerez vers la redoutable éternité, non pas avec la philosophie
d'un Raoul, mais avec la foi d'un Basile, mais avec l'assurance
paisible et sainte du vieux paysan.
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