Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

RAOUL, OU LA RÉTRIBUTION DU MÉCHANT.

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 « Dites au juste que bien lui sera : car les justes mangeront le fruit de leurs oeuvres. »
« Malheur sur le méchant! qui ne cherche qu'à faire le mal; car la rétribution de ses mains lui sera faite. » (Es. III, 10, 11.)

C'est ainsi que parle Dieu ; et quand il a parlé, qui ne tremblera ? Quand il prononce cette malédiction, comment ce méchant échapperait-il?

« Quand il aurait creusé jusqu'au plus profond de la terre, dit l'Éternel, ma main l'enlèvera de là. Quand il monterait aux cieux, je l'en ferai descendre. Quand il serait caché au sommet des montagnes, je l'y rechercherai, et je l'en arracherai; et quand il voudrait échapper à mes regards, au plus profond de la mer, je commanderai au serpent qu'il l'y morde. » (Amos IX, 2, 3.)

Raoul en fut une effroyable preuve. Faites bien attention à son histoire, malheureux enfants ou jeunes gens qui refusez votre coeur à Dieu, et qui ne voulez suivre que vos criminels penchants ! Voyez ce que rencontra celui qui avait méprisé l'Éternel, ses parents, et tout supérieur; et recevez instruction du funeste exemple d'autrui.

Raoul, fils aîné d'un médecin, reçut dès sa première enfance l'éducation la plus soignée. Il savait lire et écrire à six ans; à huit il avait remporté trois prix au collège, et à peine atteignait-il sa douzième année, qu'il était regardé comme le premier de ses condisciples dans le latin, le grec, l'histoire, la géographie et le dessin.
Que de dons l'Éternel ne lui avait-il pas faits, et quel n'eût pas été le bonheur de sa vie, s'il les eût consacrés à la gloire de ce bon Dieu, au lieu de les tourner contre lui!
Mais l'infortuné Raoul, malgré cette brillante éducation, avait conservé son coeur naturel, c'est-à-dire, comme dit la Bible, un coeur de pierre, ennemi de Dieu, et désespérément malin et rusé.

Le père de Raoul était un philosophe de ce monde; ce qui veut dire un homme qui, se croyant sage en lui-même, prétendait se conduire de telle manière, qu'il méritât la pleine approbation de Dieu, et finalement l'immortelle gloire du ciel.
Cet homme, tout savant et de grande réputation qu'il était, ne croyait pas la Sainte-Bible. Il osait dire que, pourvu qu'on mène une vie régulière, et qu'on ne soit ni voleur ni meurtrier, on n'a besoin ni d'un pardon, ni d'un Sauveur. Cet incrédule oubliait donc, ou plutôt ne voulait pas reconnaître, qu'après la mort suit le jugement, et que Dieu amènera en ce jugement toute oeuvre des hommes, soit le bien, soit le mal; et que même il redemandera compte des paroles vaines et enflées que les orgueilleux auront prononcées sur la terre.
Hélas ! il refusait de croire que « Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui, ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. » (Jean III, 16.)

Raoul fut élevé dans la même philosophie. « Tu as des talents, lui disait son père : cherche la gloire et tu l'obtiendras. Tu dois être le premier en toutes choses, et ne souffrir en toi aucun défaut. Aie de l'honneur et du caractère, et sois trop fier pour t'affliger, si tu éprouves de l'ennui. Méprise la douleur, et souviens-toi qu'un homme doit défier la mort, et s'en moquer. »

La Sainte-Bible n'était donc pas dans la maison de ce médecin. Il ne s'y faisait jamais de prière; il ne s'y lisait jamais aucun bon livre. C'était la même chose chez les parents et les amis de ce mondain; et comme il en était encore de même au collège que fréquentait Raoul, et que ses divers maîtres de langues, de dessin et d'escrime, professaient la même philosophie, cet enfant, qui avait sucé l'incrédulité avec le lait, y fit de tels progrès, que nul, dans tout le collège, ne l'égalait en railleries et en procédés outrageants contre les jeunes gens chrétiens qui se trouvaient dans les classes.

Un de ces chrétiens, Basile, fils d'un des principaux magistrats de cette ville-là, se distinguait particulièrement parmi ses contemporains par sa douce piété et par la conduite la plus modeste et la plus honorable.
Il était aussi doué de grands talents, et il remportait aussi des prix; mais il les recevait comme un petit enfant, qui, ayant pu marcher parce qu'il est soutenu de sa mère, reçoit d'elle une caresse pour avoir fait quelques pas sans broncher.

Me glorifier! disait Basile à l'un de ses condisciples qui le félicitait pompeusement de ses divers succès, est-ce moi qui me suis fait, et suis-je le créateur de ma mémoire ou de ma force? D'ailleurs, à quoi me servira ce que je puis savoir maintenant, si ce n'est pas à Dieu, mon Sauveur et mon Père, que je le rapporte et consacre! Ne dois-je pas lui rendre compte de ce qu'il m'a remis ? et le Seigneur ne condamnera-t-il pas le serviteur paresseux et infidèle qui, loin de faire valoir, pour son maître, le talent qu'il en avait reçu, ira le cacher en terre? Non, non, je ne me glorifierai pas; et si Dieu me bénit dans mes travaux et mes études, je le prierai qu'il m'accorde d'autant plus de son bon Esprit, afin que je lui rende l'honneur et les actions de grâces, et toute obéissance.

On comprend qu'un enfant de douze ans, qui tenait un tel langage, avait reçu de tout autres principes que le malheureux Raoul.
En effet, les parents de Basile étaient des amis de Jésus, de vrais et sincères chrétiens. La Bible était en honneur et à la première place dans leur maison : parents, enfants et serviteurs s'humiliaient devant la Parole de l'Éternel. Chaque jour, matin et soir, le culte de famille avait lieu : chaque repas se commençait et se terminait par la prière et les actions de grâces, et le jour du Seigneur, le dimanche, était sanctifié avec respect et amour.
- « Mon fils, disait le père de Basile à cet enfant, si Dieu t'a confié de la mémoire et quelques autres facultés, s'il lui a plu d'en bénir l'usage, et de te donner quelque supériorité sur tes condisciples, humilie-toi; car ces talents ne sont pas la vie éternelle. Tout instruit que tu peux être dans les sciences d'ici-bas, tu n'en es pas moins un pauvre enfant des hommes , pécheur et plein de misères. Ce n'est ni avec le grec, ni avec des prix de religion ou d'histoire qu'on ouvre la porte des cieux; et fusses-tu le premier savant de ce monde, si tu n'es que cela, tu seras moins que le mendiant et l'idiot qui connaissent Jésus, et qui lui sont soumis.
Oui, mon fils, c'est le Fils de Dieu, c'est Jésus-Christ, que tu dois apprendre à connaître; c'est lui qui t'a fait; c'est lui qui est le Sauveur; c'est à lui qu'appartiennent le règne, la gloire et l'obéissance.
Qu'il ait toute ton adoration, et confie-lui, de tout ton coeur, ta vie. Il saura bien diriger tes pas et te faire parvenir enfin dans l'éternel royaume, qui seul subsistera encore, lorsque tout ce que tu apprends maintenant ne sera plus d'aucun usage. »
- Sottise! et puérile crédulité! s'écria Raoul, un jour qu'on lui rapportait la réponse que Basile avait faite, quant à ses progrès et à ses prix. Aussi, voyez ce dévot : à peine se tient-il debout quand il marche; et s'il est repris, on dirait un chien fouetté : il n'a pas même le coeur de se relever. Allons! mes amis, d'autres principes que ces vieilles erreurs. C'était bon pour le temps où l'on ne savait rien. Pour nous, ne nous laissons pas mettre la main sur l'épaule. En avant vers la gloire et la renommée ! Que ceux qui la dédaignent, parce qu'ils sont trop lâches pour l'acquérir, demeurent en arrière! Soyons les premiers, et moquons-nous d'eux.

L'orgueil va devant l'écrasement, dit la Sagesse éternelle, et la fierté d'esprit précède la ruine. Le méchant creuse le mal, ajoute-t-elle, et il y a comme un feu brûlant sur ses lèvres.

Les enfants de l'école qui n'avaient point la crainte de Dieu devant les yeux, écoutèrent avidement les insinuations hautaines et perfides de Raoul, qui devint, en peu de temps, comme leur meneur; d'autant plus que, pour obtenir leur affection, ou plutôt leurs flatteries, il n'épargna ni protection ni petits services.
Un d'eux était-il trop faible pour résister à un adversaire dans une querelle, Raoul survenait, et sans s'inquiéter d'attiser et de prolonger les haines, et sans même demander de quel côté se trouvait le droit, il frappait impitoyablement l'ennemi de son camarade, et se raillait de ses plaintes.
Un autre écolier n'était-il qu'un paresseux, et ne faisait-il que la moitié de ses devoirs : Laisse-moi ton papier, lui disait Raoul; je t'arrangerai bientôt le tout, et tu te tairas sur cela.

C'était de la fourberie, dira-t-on. Comment cette bassesse s'accordait-elle avec la fierté de Raoul ?
Ah! c'est que dans un coeur que la crainte de Dieu ne gouverne pas, la première passion, c'est la vaine gloire; et que, pour y parvenir, il n'y a nul moyen qui paraisse ou trop coûteux ou trop vil.
De quoi rougirait l'enfant qui ne se soucie pas de la présence de l'Éternel, et qui n'agit pas pour lui plaire? Que lui importe qu'il soit droit de coeur, puisqu'il s'enveloppe de ténèbres, et qu'il ne s'embarrasse pas de la loi du Seigneur!
Ni la duplicité, ni la ruse, ni le mensonge et la perfidie, ne répugneront à celui qui dit en son coeur
L'Éternel ne l'a pas vu, et il n'en a rien su.
Le péché se joindra au péché, dans l'âme et dans la conduite de l'enfant que Jésus-Christ ne tient pas sous sa houlette, et que le Saint-Esprit n'adresse pas à la Parole de Dieu.

Les fautes du jeune homme qui ne marche pas dans la lumière de l'Évangile, seront comme l'avalanche dans les gorges des Alpes : un peu de neige, détachée du haut d'un rocher par son propre poids, tombe et roule sur une pente rapide. Cette petite masse, arrondie par sa chute, s'enveloppe de couches redoublées; elle roule, elle glisse comme un torrent sur les flancs inclinés de la montagne; elle enlève, elle emporte d'immenses surfaces de neiges amoncelées, et, se précipitant avec le fracas du tonnerre, et comme un éboulement de rochers, contre les forêts et les villages, elle les déracine, les arrache, les renverse et les emporte au fond des vallées qu'elle remplit de troncs brisés et de décombres.

La paisible et sainte vie du jeune disciple de Jésus est semblable à ces belles et abondantes eaux qui sortent sans effort et d'un seul bassin, au fond d'un des riants et frais vallons de la Suisse. Elles ne jaillissent que pour le bien de l'homme et des bêtes. Le berger se repose en paix vers leur source, sur laquelle se penchent mille arbustes, dont les tiges s'entremêlent aux pieds vigoureux des hêtres, des sapins et des chênes. Les troupeaux s'y abreuvent à loisir, et ruminent tranquillement sur leurs bords, que d'épais pâturages recouvrent de riches et brillants tapis. Leurs ondes, après s'être divisées, comme en rayons bienfaisants, parmi les champs et les prairies qu'elles fécondent, se recourbent docilement vers un commun réservoir, d'où elles s'élancent en gerbes d'argent et en flots écumeux sur les roues des moulins et des forges, qu'elles ne quittent que pour visiter avec de nouveaux bienfaits de nouvelles vallées, qu'elles arrosent aussi de la part de Celui qui a créé les cieux et la terre, et qui a creusé le lit et tracé le cours des fleuves.

Raoul, l'incrédule Raoul, en trompant dans de petites choses, prépara son infidélité dans de plus grandes. Il en avait imposé au maître de sa classe, quant aux devoirs de ses condisciples : il n'hésita pas à le faire pour son propre avantage, et dans une circonstance où sa tromperie revêtait un caractère criminel. Voici le fait:

Le concours annuel pour les prix était venu, et chacun au collège disait déjà : Raoul le premier et Basile le second : comme de coutume. Le butin pour eux deux ! Car c'était un proverbe parmi les écoliers ; et disputer à Raoul la prééminence, ou essayer d'enlever à un aigle sa proie, eût paru la même entreprise.
Mais il n'en devait pas être cette année-là comme des précédentes. Raoul, enflé de son mérite, et se reposant sur sa grande facilité, s'était négligé dans plusieurs points de ses études. Il s'était dit : Huit jours me suffiront, avant le concours, pour regagner ce que je laisse en arrière; et il avait lâché la bride à sa légèreté, et dépensé en plusieurs vanités le temps qu'il ôtait à ses livres. Les huit jours sur lesquels il avait compté arrivèrent, et quoiqu'il se portât très-bien, et qu'aucun empêchement ne fût survenu, il fut aussi surpris que dépité de voir que sa mémoire ne retenait plus que difficilement ce qu'il étudiait, et que son esprit était comme hébété.
Encore s'il eût eu quelque indisposition, il eût rejeté sur ce malaise son mécompte; mais jamais il n'avait été plus fort et plus dispos; et jamais aussi il n'avait été plus libre de tout autre soin.
Il était donc humilié par le châtiment soudain que lui infligeait ce juste Dieu qui donne à l'homme son intelligence, et qui la retire quand il lui plaît.
Mais loin de le comprendre et de donner gloire à son Créateur, Raoul se dépita, et la pensée qu'il perdrait son rang, et que sa gloire serait ternie, l'irrita tellement, qu'il résolut de retenir par la ruse ce qu'il voyait bien qu'il allait perdre.
Il usa donc de supercherie pour suppléer à son ignorance; et par un moyen que nous taisons, de peur de l'indiquer à quelque malheureux écolier du même caractère, il parvint à faire sans faute le thème qui devait concourir pour le prix.

Voici mon thème, dit-il au maître qui devait le recevoir, et lui remettant la feuille écrite.
- Et ceci, demanda le régent, en détachant un petit feuillet qui était collé au revers de la page, par une goutte d'encre séchée; qu'est-ce que c'est?
- Cela? dit Raoul, avec une sorte d'indifférence, je l'ignore.
- C'est cependant votre écriture, Monsieur, reprit le maître, en examinant les deux côtés du feuillet chargés de caractères très-fins et serrés ; et de plus, ce n'est pas maintenant que vous l'avez écrit. Il y a plus d'un jour que cette encre a quitté la plume. J'en référerai aux juges du concours.

Raoul balbutia quelques mots : il essaya de traiter légèrement cet accident, et il sortit de la classe. Mais il fut loin d'être tranquille; et au lieu de l'assurance qu'il montrait d'ordinaire après les concours, et en attendant la décision des professeurs, il parut sombre et taciturne devant ses condisciples, et il fut poursuivi, jusque dans ses songes, par la crainte qu'on ne le convainquît de fourberie, et qu'il ne fût ainsi couvert de blâme et de honte en face de tout le collège.

Cette crainte n'était que trop fondée. Le principal du collège cita Raoul devant les juges des thèmes, et, sans lui dire un seul mot du feuillet en question, il le fit asseoir à une table isolée, plaça devant lui le thème du concours, et lui dit : Puisque vous l'avez déjà fait sans faute, il vous sera facile de le faire une seconde fois. Écrivez-le donc : vous avez toute une heure pour cela.

L'esprit de Raoul fut renversé; il se troubla, il fut déconcerté, et, se laissant aller à son caractère, qu'il ne pouvait ni contenir ni déguiser, il cria à l'injustice, et il s'emporta contre les professeurs, auprès desquels il oublia tout respect et toute décence.
Le principal lui fit alors quelques reproches sévères, et le renvoya avec mépris, en lui déclarant qu'un impertinent et un fourbe de son espèce ne déshonorerait pas plus longtemps le collège.
- Un impertinent! un fourbe! répéta Raoul, en traversant le vestibule du collège, et en frémissant d'indignation. Le collège déshonoré par moi!
- Eh bien! s'écrièrent ses amis, qui l'attendaient en troupe dans la cour, que te voulait-on? As-tu le premier, ou seulement le second prix ?
- Un impertinent! un fourbe! un infâme! répéta Raoul, hors de lui, et en grinçant les dents.
- Qui? s'écria-t-on de tous côtés. De qui parles-tu ?
- Laissez-moi tranquille ! répondit le coupable en les repoussant; vous n'êtes tous que des machines, qu'on mène comme on veut.... Savez-vous ce qu'a fait Basile ?
- Est-ce lui qui est l'impertinent et le fourbe? demanda-t-on.. Ont-ils surpris ce saint dans quelque ruse de son métier? Dis-nous cela, Raoul! Qu'as-tu peur de parler? Aussi bien le saura-t-on bientôt.
- Ce n'est pas Basile, dit un des professeurs, qui s'était approché sans qu'on l'aperçût; c'est ce drôle-là; oui, c'est cet orgueilleux et ce vain personnage-là, qui n'est qu'un fourbe et qu'un insolent; et qui lui ressemble et se joint à lui, comme lui sera honteusement chassé du collège. Qu'on le laisse, si l'on ne veut le suivre !

Un éclat de tonnerre eût produit moins d'effet que ces terribles paroles. Raoul baissa la tête et sentit ses genoux trembler. Ses amis furent stupéfaits; pas un d'eux n'ouvrit la bouche, et le professeur avait à peine tourné le dos, qu'ils s'éloignèrent et disparurent tous, laissant leur protecteur et leur modèle seul et confus.

Oh! si Raoul fût alors rentré en lui-même ! S'il eût reconnu sa faute et son juste châtiment! S'il eût voulu discerner la main puissante de Dieu, et s'humilier devant lui! Mais l'incrédule méprisa la verge et celui qui l'avait assignée; et l'endurcissement fut l'affreux résultat du dédain qu'il témoignait pour la sommation que recevait sa conscience.
- Montre-moi la copie de ton thème, dit le père de Basile à son cher enfant, qui revenait du collège, le jour du concours. En es-tu content?
- Je l'ai fait aussi bien que j'ai pu, répondit Basile, avec une vraie modestie. Du reste je ne sais pas s'il est correct.
- Il est sans aucune faute, reprit le père; et le style en est élégant. Je pense, mon enfant, qu'il obtiendra le prix.
- Eh bien! dit Basile, en embrassant tendrement son père, c'est à vous que je le devrai, par la bénédiction de Dieu; car c'est dans la dernière lecture que vous avez bien voulu faire avec moi du testament grec, que vous m'avez enseigné la règle de syntaxe de la dernière sentence du thème. Je l'ignorais tout-à-fait avant votre explication ; et vous voyez que si j'eusse laissé cette phrase, mon thème était rejeté.
- Tu me donneras donc la moitié du prix, reprit le bon père en souriant, et nous déposerons ces deux moitiés, poursuivit-il, avec gravité, aux pieds de Celui qui seul est l'auteur de toute grâce excellente et de tout don parfait.
- Je vous assure, mon père, ajouta Basile, que tout ce que je crains, lorsque Dieu m'accorde ainsi quelque avantage sur mes condisciples, c'est, d'un côté, que je n'en conçoive de l'orgueil, et d'un autre côté, que plusieurs de mes camarades, qui, je pense, ont reçu du Seigneur moins de facilité que moi, et qui cependant se donnent beaucoup de peine, ne soient attristés et abattus, en voyant qu'ils sont toujours privés des prix qu'ils ont un grand désir d'obtenir. Par exemple, ce cher Alexis, qui est si doux et si attentif à tous ses devoirs, pleurait de chagrin ce matin, quand on a dicté le thème; et je suis sûr que c'était parce qu'il lui manquait, peut-être, la règle que vous m'avez dite il n'y a que trois jours. Si cependant il eût été à ma place, et qu'un père comme le mien lui eût accordé les mêmes soins que je reçois de vous, ce cher ami n'aurait pas ressenti cette peine. J'en étais si affligé, que, s'il eût été possible de le faire sans me rendre coupable, je lui eusse bien volontiers cédé ma place et la couronne que, peut-être, on va me décerner.
Le père. Sais-tu comment le jeune Raoul a fait son thème?
Basile. Je pense qu'il l'aura fait comme de coutume ; car il a beaucoup de talents, mais...
Le père. Mais quoi ? Que crains-tu quant à lui?
Basile. Hélas! j'ai peur qu'il ne comprenne pas de quelle main ils lui viennent, et qu'ainsi son coeur n'en soit enflé. Il est bien malheureux, je vous assure, car il n'aime pas le Sauveur.
Le père. Basile! pourquoi dis-tu cela ? C'est une bien grave accusation !
Basile. Ah! je suis loin de l'accuser; je le plains, au contraire, et de toute mon âme; mais je ne puis que savoir et connaître ce qu'il dit et fait devant toute la classe. J'en ai pleuré plus d'une fois.
Le père. Que fait-il donc, cher enfant? Tu ne m'en avais jamais rien dit.
Basile. Et je vous l'eusse encore caché, si je ne pensais que vos conseils pourront me diriger dans ce que je dois faire à son égard.
Le père. Dis-moi donc ce qu'il a fait de blâmable.
Basile. Hélas! mon cher papa, il y a peu de jours qu'il haranguait la classe, pour lui prouver que notre raison est la vraie sagesse, et que rien ne démontre d'une manière certaine que la Bible soit la Parole de Dieu.
Le père. As-tu, toi-même, entendu cette impiété.
Basile. C'était précisément parce que j'avais dit à mon cher Alexis, devant Raoul et quelques autres écoliers, que l'Évangile est la science des sciences, que Raoul, après s'être moqué de moi, monta sur le poêle, et tint les propos que je viens de citer.
Le père. Lui répondis-tu?
Basile. Lui-même me défia de rien opposer à ce qu'il avait dit; et, pour toute réponse, je lus ce que dit St-Paul dans sa première épître aux Corinthiens, sur la folie de la sagesse humaine. Mais Raoul s'emporta et maudit l'Évangile. Je le laissai donc, selon le commandement du Seigneur, qui nous défend de jeter les perles de sa vérité à ceux qui les méprisent.
Le père. 0 mon cher fils! que Dieu s'est montré miséricordieux envers nous, en nous révélant la vérité de sa Parole! Que tu es heureux, mon enfant, de connaître le Seigneur Jésus, et de lui être soumis ! Ah! que son Esprit de paix et de force repose sur ton âme, pour la remplir de joie et de persévérance!
Basile. C'est ce que nous disions, le même jour, avec Alexis, mon cher papa. Nous nous félicitons d'être nés dans des familles où la Bible est lue; et Alexis me disait, en m'embrassant : Penses-tu que Dieu est notre père, et Jésus notre berger! Aussi, je vous assure, mon cher papa, que je ne voudrais pas changer de condition, pour quoi que ce fût : je me trouve si heureux auprès de vous et de maman, et j'aime tant à vous entendre parler de l'amour de Dieu envers nous !

Combien Raoul était loin d'un tel bonheur! Lorsqu'il rentra chez son père, que le bruit public avait déjà informé de la disgrâce de son fils, ce fut pour essuyer l'affront le plus pénible et les plus vifs reproches.
- Te voilà traîné dans la boue, lui dit ce père indigné, et tu deviens la honteuse fable du public! Tu n'es plus qu'un vil faussaire aux yeux de tout ce qu'il y a d'honnêtes gens dans la ville. Ta réputation est perdue, mon nom est par toi-même couvert d'opprobre, et la turpitude de ta conduite est une tache dont tous les talents possibles ne te laveront jamais ! Est-ce là ce que je t'avais inculqué ? Était-ce une telle ignominie que je devais recueillir pour fruit des nobles et généreux sentiments que je n'ai cessé de t'inspirer ?

Le nom de Dieu ne fut pas même prononcé dans toute sa longue et dure réprimande. La gloire, et toujours la gloire, fut le seul miroir qu'il plaça devant l'action de son fils, dont il égara de plus en plus l'esprit et le coeur, en lui déclarant qu'il devait quitter un pays où l'infamie était, pour toujours, son partage mérité.

Cependant, Raoul n'osait plus se montrer : il craignait la rencontre et le malin sourire du dernier des écoliers; et celui qui ne se souciait pas du regard de l'Éternel, tremblait en présence de ceux mêmes qu'il avait jadis reçus du haut de sa grandeur.

Basile sentit tout ce que le malheureux Raoul devait éprouver de honte et de chagrin. Il pensa que ce serait un moment favorable pour lui montrer de l'intérêt, et pour tâcher de le tourner vers cette vraie et glorieuse sagesse qu'il avait jusqu'alors méprisée.
Il se rendit donc, avec l'agrément et les directions de son bon père, auprès de ce condisciple, qui le reçut en rougissant et sans oser le regarder.
Il était difficile de commencer une conversation dans laquelle Raoul devait être humilié; aussi ne pouvait-elle s'ouvrir que par le jeune chrétien, qui, ne voyant que le chagrin profond de son condisciple, et le seul remède qui pût l'adoucir, lui dit, en lui prenant la main avec cordialité : Ne vous désolez pas, Raoul ! Dieu peut bénir pour vous cet affligeant événement; et si vous le permettez, nous causerons ensemble de tout cela.
- Vous savez, Monsieur, répondit Raoul, en fronçant un peu le sourcil, que vos principes et les miens ne suivent pas la même ligne; et je crains que vos bonnes intentions ne soient tout au moins insuffisantes. J'ai fait une sottise; j'ai été un maladroit; je me suis oublié; tout cela est certain, et je le reconnais. Je suis maintenant en butte aux lâches sarcasmes et à la vaine ironie de quelques petits esprits étroits et vulgaires;.... et je dois le supporter avec fermeté. Du reste, je leur prouverai, et bientôt, que si j'ai failli pendant une heure, je me relèverai avec d'autant plus de force. Oui, ils sauront que si j'ai pu tomber par mégarde, du moins je ne rampe pas d'habitude avec eux.
Basile. Laissez, croyez-moi, le jugement et l'opinion des hommes, et regardez plus haut... Voyez, cher Raoul! la suprême volonté de Celui qui dirige toutes choses; et... tournez aujourd'hui vos pensées vers ce Sauveur...
- Je vous prie, mon cher! s'écria Raoul, en marchant avec agitation dans la chambre, de rompre cet entretien. Vous avez vos opinions : je vous les laisse. Pour moi, je n'ai besoin ni de cette crédule superstition, ni de la peur du fouet. J'ai de l'honneur, et je ne suis pas un idiot. Cependant je vous remercie de votre témoignage d'intérêt. Vous êtes le seul de mes condisciples, Basile! qui m'ait visité, et... je ne l'oublierai pas, je vous assure.

En disant ces mots, il reconduisit poliment Basile, qui revint avec douleur auprès de son père, que l'orgueilleuse insensibilité de Raoul n'étonna nullement.
- Je te l'avais dit, Basile, remarqua cet homme prudent : « Le moqueur n'aime pas qu'on le reprenne; » ce mot est la parole même de Dieu, et je m'attendais au mécompte que tu as éprouvé. Nouveau sujet pour toi, mon enfant, de bénir le Seigneur. Tu as suivi le désir de ta charité : on l'a méconnu; eh bien! demeure en paix, et laisse à l'invisible Législateur le jugement de cette affaire.

Ce fut en effet Dieu qui la jugea, et jusqu'à la fin. Raoul fut chassé publiquement du collège. Les ruses et les fourberies secrètes dont il avait usé précédemment, furent toutes révélées par ceux mêmes qui en avaient profité, et le caractère de ce jeune philosophe se montra sous une forme si odieuse, que le sénat académique prononça son expulsion avec note d'infamie, malgré les démarches et les instances du père de Raoul, qui ne put obtenir ni le moindre délai, ni le plus léger adoucissement à la sentence.
Car c'était Dieu qui frappait le méchant, et qui l'enveloppait ainsi dans la ruine; parce qu'il s'était raidi contre la répréhension, et qu'il avait méprisé la douce voix de la charité. C'est ainsi que l'esprit altier se heurta contre le marteau qui n'était que levé, mais qui ne frappait pas encore. C'est ainsi que le coeur superbe d'un incrédule se jeta, en insensé, sur le glaive que Dieu ne faisait briller à ses yeux que pour le sommer de s'abaisser et de se repentir.

Raoul fut envoyé dans une ville étrangère, où son père le plaça dans un pensionnat renommé. La règle de cette maison était sévère, et la surveillance s'y exerçait de la manière la plus stricte. Raoul dut plier sous le joug d'une autorité inflexible; comme aussi il lui fallut reconnaître, en même temps, qu'il n'était pas le seul au monde qui possédât de l'intelligence et des talents; car il trouva dans cette école deux jeunes gens de son âge, qui, pendant plus d'un an, le laissèrent bien loin derrière eux, ce qui fut pour son coeur une insupportable mortification.

L'envie et la plus basse jalousie s'emparèrent alors de l'âme du pauvre incrédule. Il en fut dévoré: il en devint sombre et farouche; et des vices, qu'aucun pouvoir religieux ne combattait, s'associèrent promptement à de criminelles inclinations, que ni la philosophie, ni la dignité de l'homme, ni le sentiment de [honneur, ni le désir de l'approbation et de la gloire, ne purent modérer. De honteuses et funestes passions, que la crainte de Dieu ne réprimait pas, n'eurent d'autre frein que la terreur des tribunaux; et le jeune homme qui s'éloignait de la miséricorde de l'Éternel, en reniant Jésus, dut boire à longs traits dans le bourbier de la licence et de la souillure.

On vit donc ce même Raoul, qui jadis était le premier de ses condisciples, et qui toujours marchait la tête haute et d'un air victorieux, maintenant triste et mécontent, languir dans la paresse, et se joindre sans rougir à quiconque dans le pensionnat manifestait du murmure et de l'insubordination.
Cette coupe de désordre devait aussi se remplir par degrés jusqu'à ce qu'elle débordât. Raoul était devenu joueur, et pour satisfaire cette vile passion, il n'y avait pas de prétextes qu'il ne supposât, ni de mensonges qu'il ne soutînt avec une audace égale à sa ruse.

Le mauvais lieu où il s'adonnait d'ordinaire à cette funeste manie, était assez éloigné du pensionnat. Il ne pouvait donc s'y rendre et s'y arrêter quelques moments qu'aux heures de récréation, ou bien en demandant des permissions pour des emplettes simulées de livres ou d'objets nécessaires aux arts qu'il exerçait. Mais ces moments, quoique prolongés le plus souvent au-delà des limites que lui assignaient ses études ou l'agrément de ses chefs, devinrent enfin un espace trop étroit pour une passion que nulle mesure n'avait resserrée. Raoul voulait jouer, plus encore qu'il ne voulait manger ou dormir; et comme il ne pouvait se rassasier de ce poison pendant le jour, il résolut de se le procurer pendant la nuit, afin de le dévorer en paix, lorsque ni la cloche des écoles, ni les yeux soupçonneux des surveillants ne pourraient le troubler.

O jeune homme qui lis ce fidèle et lamentable récit d'événements trop véritables! arrête-toi quelques moments, et considère, sous le regard de Dieu, devant qui tu reçois cet appel, quel est l'inévitable résultat du mépris de la vérité, de cette Sagesse éternelle, de cette Lumière de vie que le Père nous a donnée en son bien-aimé Fils Jésus, et qu'il nous a révélée dans sa parole. Vois Raoul dans un tripot; associé à des profanes, à des blasphémateurs, à la lie infecte des hommes déréglés, au milieu desquels il renie son éducation, ses talents, ses qualités aimables, tout ce que la science et la culture lui avaient acquis de supérieur ou de noble, selon le monde; et, par-dessus tout, plongeant son coeur, son âme, toutes ses facultés et tout son être, dans le cloaque de la corruption ! Vois, jeune homme! la conséquence nécessaire de l'incrédulité, et demande à ton âme immortelle, qui, certainement, comparaîtra devant Dieu pour être jugée, si elle aimerait entrer dans l'éternité avec la philosophie et les oeuvres de Raoul, ou bien avec la foi et les oeuvres de Basile.

Ce n'était pas facilement que Raoul pouvait parvenir à s'échapper de nuit du pensionnat; d'autant plus qu'on était depuis longtemps sur le qui-vive à son égard, et qu'il savait, de bonne source, que les chefs n'attendaient qu'une échappée de plus pour le renvoyer à son père.
Il réussit néanmoins dans son projet; et nous nous gardons de dire comment. C'était en hiver : il se trouva seul, après minuit, et par une forte gelée, sur la place du collège, et au milieu du plus profond silence.
Ce moment était décisif ; car il sentait bien qu'une fois qu'il ouvrait cette porte, rien que l'opprobre ne la pourrait fermer. Il eut donc de l'émotion, et, en s'arrêtant sur la rue, il se demanda ce qu'il allait faire.
Alors, comme il le confessa plus tard à l'un de ses compagnons de désordre, le souvenir de sa famille, de ses parents qui l'avaient comblé de bienfaits, de ses frères et de ses soeurs, qu'il aimait beaucoup et qu'il devait affliger encore davantage : celui de son ancienne vertu, comme il l'appelait, et de la réputation qu'il s'était acquise, et enfin la pensée de Basile, qui sembla se tenir devant lui et lui répéter le Nom de Jésus, en le sommant de l'adorer; toutes ces impressions des années précédentes se reproduisirent dans son esprit et comme à ses regards, et avec une telle énergie, qu'il tressaillit et s'écria : Est-ce donc Dieu qui me rappelle ?

Ces mots, qu'il avait prononcés, retentirent seuls dans le silence. Mais, ainsi que leur son s'évanouit bientôt, le léger repentir de Raoul s'éteignit aussi; et cet infortuné, raidissant de nouveau son âme contre la main de l'Éternel, fut abandonné à l'esprit réprouvé qui l'entraînait. Il avait méprisé le Saint nom de Dieu:
« Satan devint son maître, » dit l'Écriture, et le lia de doubles chaînes, pour consommer la ruine de cet impie.
Il joua donc; et, pour jouer toujours, il dut ajouter, par le vol, aux rentes que lui faisait son père. Il fut soupçonné, épié et vu par un de ses condisciples. Le chef de la maison, bien informé de toute l'affaire, sut dans quel lieu et à quelle heure il jouait: quels objets il avait dérobés; combien et à quelle receleur il les avait vendus; et afin d'ôter an méchant tout moyen de se disculper, il résolut de le prendre lui-même sur le fait, et de le confondre.

La nuit qu'il choisit pour cela était la dernière de l'année. Comme il y avait eu, selon l'usage, du relâche dans les travaux et quelques fêtes à la maison, Raoul avait d'autant plus profité de la circonstance, et n'avait guère quitté l'infernal brelan que pour paraître aux repas, et à peine quelques moments dans le salon, le soir.
Selon sa continue, aussi, après la lecture des prières, il avait pris sa bougie et s'était retiré dans son appartement, où il avait feint de se coucher et de dormir, jusqu'à ce que tout bruit eut cessé dans la maison.
Alors, employant le moyen dont il avait usé jusqu'à ce jour, il se trouva de nouveau dans la rue, et bien vite après dans tout l'égarement du jeu. La nuit était à peu près écoulée, et Raoul, qui venait de perdre presque son dernier argent, relevait la tête en désespéré, lorsque ses yeux se trouvèrent arrêtés sur ceux du chef de son pensionnat, qui, debout devant lui, le regardait fixement et en silence.
L'oiseau que le serpent étourdit et attire par le souffle empoisonné dont il l'enveloppe, n'éprouve pas d'agitations, de tremblements et de convulsions plus glacées, que celles qui parcoururent les veines et qui firent frémir les os du joueur.
Il demeura la bouche béante et le regard immobile comme s'il eût attendu sa sentence de mort; et lorsque son supérieur lui fit signe du doigt de se lever et de le suivre, il lui fut aussi impossible de se refuser à cette injonction, que s'il eût été lié et traîné de force.

Le chef descendit avec lui sans prononcer une parole. Une voiture attendait à la porte. Raoul dut y monter seul; et l'équipage, à côté duquel marchait le chef, s'arrêta devant un hôtel, où Raoul reçut l'ordre d'attendre l'envoi qu'on allait lui faire de ses effets, par la même voiture qui partirait aussitôt pour le ramener chez son père. Il fut mis sous la surveillance d'un gardien; et le supérieur le quitta.

Jamais, se dit alors le malheureux jeune homme, non, jamais je n'oserai reparaître devant ma famille et dans ma vie! Et sur le moment, agissant comme ceux que l'Éternel abandonne, il résolut de s'échapper et de fuir où il pourrait. Il demanda donc un service à son garde, et pendant que celui-ci appelait un domestique qui passait dans le corridor, Raoul ouvrit la fenêtre, sauta dans la rue, et fut en peu de moments hors de toute poursuite.
« Un abîme, dit la parole de Dieu, appelle un autre abîme. I» Raoul fuyait toujours. Il était sorti de la ville, et quittant la grande route, il s'était jeté dans la campagne, du côté d'un bois, où il voulait s'arrêter pour penser, au moins quelques moments, à ce qu'il devait faire.

Dieu l'y attendait encore avec ses compassions; il allait encore une fois lui dire, et d'une voix pénétrante, que Jésus est la vie éternelle, et que quiconque croit en lui, reçoit le pardon de ses fautes, avec un coeur nouveau pour aimer l'Éternel et sa sainte loi et Raoul allait encore s'endurcir!

Il faisait jour quand il entra, tout haletant, dans un chemin qui s'enfonçait dans le taillis, et qui descendait vers un ruisseau, sur lequel était un petit pont, très-étroit.
Raoul était arrivé vers cette planche, la tête baissée, et tout absorbé dans ses réflexions; et ce ne fut pas sans une grande surprise, qu'il se trouva tout près d'un vieux paysan, qui achevait de passer le pont, au moment où le fuyard y posait le pied.

La pâleur, le désordre extérieur, et l'agitation de Raoul frappèrent le vieillard, qui, s'arrêtant à l'extrémité du passage, et s'appuyant des deux mains sur son bâton, s'inclina respectueusement devant le jeune homme, et lui dit avec douceur:
- Pardonnerez-vous à un vieillard, s'il vous arrête pour vous dire le sentiment que votre vue lui procure?
Raoul était troublé; il ne savait si ce qu'il voyait et entendait n'était point un rêve; et en se passant la main sur le front, il demanda au vieillard ce qu'il lui voulait.
- Seulement vous dire, répondit le paysan, que si vous êtes malheureux, car on ne l'est pas seulement sous les cheveux blancs, et le jeune homme aussi connaît le chagrin, il est un remède infaillible dont j'ai connu moi-même, dont j'éprouve chaque jour l'efficace.
- Quel remède ? demanda Raoul, en regardant vers la terre, et d'une voix sourde.
- C'est, reprit le vieillard, d'adresser sans crainte vos pensées et votre coeur au tout-puissant et tout-bon Fils de Dieu, à ce Jésus,...
- C'est bon pour vous, gens crédules ! s'écria Raoul, en s'apprêtant à passer le ruisseau. Mon mal a besoin d'un autre remède, que de ces rêveries.
- Vous ne passerez pas ainsi, jeune homme! prononça le vieillard, d'une voix ferme, et en mettant son bâton en travers du pont. Non, vous ne ferez pas un seul pas de plus, dans l'égarement que vous venez de manifester. J'ai le droit de vous arrêter, parce que j'ai traversé la vie, et que vous, Monsieur! vous ignorez encore ce qu'elle est.

Raoul se sentait ému. Cette noble et généreuse sollicitude de l'étranger lui imposait; et, retirant le pied qu'il avait déjà mis sur la planche, il demeura debout devant le vieillard, les mains l'une sur l'autre et pendantes, et la tête baissée, dans toute l'attitude de l'attention et du respect.




- Oui, mon jeune Monsieur, reprit le vieillard, Jésus-Christ est le remède infaillible. Laissez-moi vous dire que j'ai connu toute la dissipation et toute la folie de la jeunesse; car j'ai aussi habité les villes et tâté de tout. J'ai fait, et bien longtemps, le mal, sous les yeux de l'Éternel, sans vouloir convenir que je fusse vu de Lui. J'ai perdu, dans la vanité, les meilleures années de ma vie, et j'ai aussi refusé de porter le joug du Fils de Dieu. Aujourd'hui, Monsieur, (et croyez un homme qui n'est pas loin de rendre compte de ses jours,) aujourd'hui je ne connais qu'une paix, qu'un bonheur, qu'une joie, qu'une seule espérance; et ce trésor, c'est la certitude que le Seigneur Jésus est le Fils de Dieu, et que j'ai part à la vie éternelle qui n'est qu'en lui.
Vous soupirez, jeune homme! Peut-être ce que je dis de mon bonheur vous montre-t-il d'autant plus votre misère. Eh bien! buvez à la même source qui m'a désaltéré; et, au lieu de vous détourner des tendres compassions de l'Éternel, en appelant l'Évangile de sa grâce des rêveries, bonnes pour de crédules ignorants, recevez, de la bouche d'un vieillard, le message de pardon et de paix que le Créateur des cieux et de la terre vous adresse aujourd'hui, en vous disant : Repentez-vous, et croyez au nom du Fils de Dieu.

Si Raoul a maintenant quitté ce monde, et que son âme soit entrée dans l'éternité sans avoir adoré Jésus, son sang ne te sera pas demandé, ô vieux et fidèle Chrétien! car tu fus charitable envers ton frère égaré, et tu tendis vers lui tes bras tremblants, pour le porter dans ceux du Sauveur! Ah! bienheureux est le disciple de Jésus, qui presse avec courage le pécheur de se détourner de son mauvais train, et de croire en ce bien-aimé Fils de Dieu ! Bienheureux est le fidèle qui enseigne au pécheur que Jésus est venu, non pas pour condamner et pour perdre, mais pour chercher et sauver des âmes qui étaient perdues !

Raoul ne répondit rien; non, rien. Le vieillard avait cessé de parler, et il semblait attendre au moins quelques paroles. L'incrédule garda le silence; et en se plaçant de côté, il indiqua au vieux paysan qu'il souhaitait qu'il passât, pour laisser l'entrée du pont libre.

Le vieillard soupira, en se rappelant ce que dit le Tout-Puissant : « C'est moi qui ouvre et personne ne ferme : c'est moi qui ferme et personne n'ouvre; » et il continua sa route. Mais il se retourna encore, pour crier au jeune homme : - Souviens-toi que pour toutes ces choses tu seras appelé en jugement; et souviens-toi aussi que le sang de Christ purifie de tout péché.
Cependant, Raoul ayant chassé, et avec une sorte de fureur, l'inquiétude involontaire qui lui avait causée la rencontre du paysan, chercha dans son esprit ce qu'il devait faire, et il ne vit qu'un seul parti qu'il dût prendre, savoir de s'enrôler dans les troupes qui se rendaient alors, comme par torrents, vers ces contrées du nord que leur sang devait inonder; car la colère du Seigneur s'était levée sur les peuples, et elle hâtait le châtiment de plusieurs nations.

Raoul, le fils aîné et la gloire d'un philosophe, après avoir obtenu tous les avantages et les succès d'une brillante éducation, termina donc la carrière que ses principes irréligieux lui! avaient ouverte, et qu'ils avaient souillée de tous les vices, en se vendant aux étrangers, et en jurant de verser pour eux son sang, moyennant quelques hardes et un peu de pain!

Voilà ton oeuvre, ô père incrédule ! Regarde bien: voilà ce que ta raison et tes systèmes ont produit. Cueille le fruit de ton orgueil, de ton mépris pour la Parole de Vérité. Ah ! il est amer; il est brûlant, et il va dévorer tes entrailles ! Tu avais dit à ton enfant : Qu'as-tu besoin d'un Sauveur ? N'as-tu pas ta sagesse, ton honneur et la gloire ? Eh bien! c'est ce même enfant, c'est ton fils qui te répond : Mon père, vous m'avez séduit; vous m'avez trompé; vous m'avez perdu pour le temps, et pour....

C'est à toi, ô Éternel-Dieu ! qu'appartient le jugement; et tu rendras à chacun selon son oeuvre. C'est Toi, Seigneur Jésus! qui, lorsque tu viendras dans ta gloire, feras appeler le nom de chaque enfant des hommes, et qui prononceras ta juste et irrévocable sentence, ou pour la vie, ou pour la mort. Tu sais, Toi, quelle est la portion de Raoul; et nous, Seigneur! nous mettons la main sur notre bouche : car qui sommes-nous pour juger!

Tout ce qu'on a pu savoir de plus, quant au malheureux fils du médecin incrédule, c'est qu'il quitta le pays où il s'était enrôlé, avec un régiment qui, peu de semaines après, fut presque anéanti dans une sanglante escarmouche. Quelques-uns de ses hommes reparurent, quand on fit l'appel ; mais Raoul ne se montra plus.
Vécut-il encore ici-bas ? Quitta-t-il alors cette vie ? Lecteur! inquiétez-vous beaucoup moins de le savoir, que de rechercher si, lorsque Dieu vous donnera l'ordre, à vous-même, de laisser vos intérêts, avec vos plaisirs et vos peines, vous vous avancerez vers la redoutable éternité, non pas avec la philosophie d'un Raoul, mais avec la foi d'un Basile, mais avec l'assurance paisible et sainte du vieux paysan.


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