Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

UNE STATUE NE SE FAIT PAS D'UN SEUL COUP DE CISEAU.

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Étienne et son frère Léon revenaient ensemble de l'école, et ils s'entretenaient sur une promenade en bateau que leur père leur avait, promise pour le soir.
- Tu me prêteras ta ligne de soie, dit Léon à Étienne, parce que nous nous arrêterons dans le coin des saules; tu sais, là ou il y a tant de petites carpes et d'autres poissons; et je te réponds que j'en prendrai une bonne troupe.

Étienne répondit que sa ligne de soie était défaite, et qu'il aimait mieux ne pas la remonter.
Ce refus engagea une de ces fâcheuses querelles qui n'ont lieu que trop souvent entre les frères et les soeurs, et Léon finit par dire à Étienne. - Tu montres bien que tu n'es pas chrétien; car si tu étais un enfant de Dieu, tu ne serais pas si peu complaisant.

Le père de ces enfants entendit ces dernières paroles, que Léon avait dites avec colère, en passant devant le cabinet du jardin, où son père se trouvait alors. Celui-ci appela ses fils, et leur demanda quel était le sujet de leur contestation.
Les enfants furent honteux d'être ainsi surpris dans une querelle ; car ils savaient l'un et l'autre combien l'âpreté d'esprit et les réponses fières ou dédaigneuses, sont opposées à la douceur des enfants de Dieu.
Ils demeurèrent donc en silence, et ce ne fut que sur l'ordre de son père, que Léon avoua qu'il avait accusé Étienne de n'être pas chrétien, parce qu'il manquait de complaisance.
Le père leur parla quelques moments et les renvoya.

La promenade en bateau eut lieu; mais elle fut tout autre que les enfants ne l'avaient attendu.
Leur père était sérieux, et il ne parlait presque pas. Ils voyaient bien qu'il avait du chagrin, et ils pensaient l'un et l'autre que leur conduite du matin en devait être la cause.

Le soir, à la prière de famille, le père lut dans la Bible plusieurs déclarations sur la sainteté des enfants de Dieu, sur la douceur, le support et la Patience.
Il pria Dieu de pardonner à Léon et à Étienne leur mutuel péché, et les enfants se retirèrent en silence dans leur appartement.

Le lendemain, le père appela Léon et lui dit de le suivre dans une visite qu'il allait faire. Tout en cheminant, il lui demanda pourquoi il avait ainsi jugé son frère Étienne, et comment il avait pu prononcer qu'il n'était pas chrétien.
- Je sens, cher papa, dit Léon, que j'ai mal fait de le dire, mais je croyais, cependant, que quand on est chrétien, l'on doit être complaisant.
Le père. Oui, mon ami. Un chrétien, c'est-à-dire, un vrai disciple de notre Sauveur Jésus-Christ, doit être complaisant, aussi bien que doux, humble, patient, miséricordieux. Il doit être saint, comme celui qui l'a racheté est saint; tu as raison en cela, mon enfant. Mais, dis-moi, cette sainteté du chrétien s'achève-t-elle en un jour, ou bien dans un an ?
Léon. Non, papa, il faut bien plus de temps pour cela; mais cependant, quand on voit chez quelqu'un de gros péchés, est-ce qu'on peut dire qu'il est chrétien ?
Le père. Mon cher Léon, qu'appelles-tu de gros péchés ?
Léon. par exemple d'être fier et dur, d'être égoïste toujours, et de ne vouloir jamais rien supporter.
Le père. Et crois-tu que si un enfant est complaisant par faiblesse, ou par flatterie, c'est-à-dire, parce qu'il n'ose pas refuser, ou parce qu'il veut se gagner l'amitié de quelqu'un, il y ait moins de péché dans une telle complaisance, que dans la dureté de celui qui refuse?

Léon sentit la vérité de ce que disait son père, et il se tut. Le père ajouta : - Comprends donc, mon fils, que le péché est d'abord dans l'intention et dans la volonté, et que si tu veux bien connaître la sainteté de quelqu'un, il faut que tu puisses connaître son coeur. Aussi n'y a-t-il que Dieu qui soit le juste juge de nos actions, et qui puisse prononcer définitivement sur la sainteté de tel ou tel homme, et savoir sûrement s'il est ou non chrétien.
Léon. Alors, papa, quand bien même on verrait quelqu'un se conduire comme les buveurs et les jureurs, et comme ceux qui se moquent des commandements de Dieu, et qui, par exemple, profanent le dimanche, on ne pourrait pas dire qu'ils ne sont pas chrétiens ?
Le père. Je te répondrai là-dessus dans un autre moment. Voici la demeure de la personne que je veux visiter : viens, entrons.

Cette personne était un sculpteur, et un homme fort habile dans son art. Il était alors occupé à tailler un bloc de pierre placé devant lui.
- Ne vous dérangez pas, Monsieur, lui dit le père de Léon. Je viens même pour vous prier de nous permettre de vous voir travailler.
Le sculpteur. Très-volontiers, Monsieur. Veuillez seulement vous tenir à l'écart quelques moments, pendant que je fais sauter ce coin de la pierre.

Léon et, son père se retirèrent au fond de l'atelier, et le sculpteur ayant pris un très-gros ciseau et une pesante masse, fit voler en éclats un des côtés du bloc.
Le sculpteur. Vous voyez, Monsieur, que je ne ménage pas cette pierre, et que je la travaille à grands coups.
Léon. Est-ce toujours comme cela, Monsieur ?
Le sculpteur. Non, sans doute, et vous ne pensez pas que les statues que vous voyez là, aient été faites ainsi !
Léon. Est-ce que vous voulez faire une statue avec cette grosse pierre toute brute, et que vous venez de briser ainsi?
Le sculpteur. Oui bien : et même cette statue doit être placée dans les jardins du roi, devant le château d'été.
Léon. Serait-ce possible, Monsieur ! Et comment vous y prendrez-vous ?
Le sculpteur. Vous venez de voir le commencement; si vous me faites le plaisir de me visiter quelquefois, vous pourrez voir aussi la suite, et s'il plaît à Dieu, la fin de l'ouvrage.

Léon remercia l'obligeant artiste, et après l'avoir vu tailler de la même manière un autre côté du bloc, il suivit son père, qui prit congé du sculpteur, en lui annonçant une seconde visite.
- C'est bien singulier, dit Léon à son père, que d'une telle masse, si informe et si grossière, on puisse faire une statue !
Le père. Et dis-moi, penses-tu que le sculpteur ait eu tort de faire ainsi sauter ces morceaux de la pierre, et à si grands coups ?
Léon. Oh je crois qu'un homme de ce talent sait bien ce qu'il doit faire, et qu'il a fallu qu'il commençât ainsi.
Le père. Que penserais-tu donc de quelqu'un qui, ne connaissant rien à la sculpture, irait lui dire : Je crains que vous ne soyez un bien mauvais sculpteur, car ce que vous faites n'a ni forme ni dessin ?
Léon. Cette personne montrerait à la fois de l'ignorance et de l'impertinence. Pour moi, je ne voudrais pas parler ainsi.
Le père. Cependant tu ne sais point encore quelle statue le sculpteur s'apprête à faire; si ce sera un homme ou quelque bête.
Léon. Non, vraiment, cher papa; et nous avons tout-à-fait oublié de le lui demander.
Le père. Tu crois néanmoins qu'il en veut faire une, et qu'il a fallu que le bloc de pierre fût d'abord dégrossi, comme tu viens de le voir?
Léon. J'en suis persuadé, cher papa. Mais pourquoi, je te prie, m'as-tu demandé cela déjà plusieurs fois ?
Le père. Je te le dirai dans la suite. Nous voici de retour; va, cher enfant, à tes études; et surtout, Léon, ne juge plus et ne condamne plus ton frère.

Léon raconta à son frère sa visite chez le sculpteur. Étienne eut regret de n'y être pas allé, et il pria son père de l'y mener aussi, lorsqu'il y retournerait.
Ce ne fut que plusieurs jours après cette première visite, que le père invita ses deux fils à faire avec lui la seconde.

Cette fois-là le sculpteur n'était plus debout devant le bloc informe, ni armé du gros et fort ciseau et de la pesante masse de fer.
Il était assis sur un tabouret, et avec des ciselets et un léger maillet, il enlevait à peine, à petits coups et avec une grande précaution, une fine poussière, qui s'envolait à son souffle.

La pierre n'était plus un bloc informe. Elle avait été taillée, diminuée, arrondie et fouillée, et l'on distinguait déjà très-bien la figure d'un lion, debout sur ses quatre pieds, et la tête un peu basse.
C'était aux ongles d'une des pattes que l'artiste travaillait. Cette patte était à peu près finie; le reste de l'animal n'était encore qu'ébauché.
Oh! comme la pierre a changé de forme! s'écria Léon, dès qu'il fut entré et qu'il eut reconnu que c'était bien le même bloc auquel le sculpteur avait déjà travaillé devant lui. Quelle différence ! Ah! Papa. c'est un lion que Monsieur va faire. Vois quelle longue queue il aura; et voilà déjà sa crinière qu'on aperçoit.
- Et cette patte, dit Étienne, compte-t-elle pour une? Sais-tu bien qu'on ne serait pas à son aise sous de tels ongles.
Le sculpteur. Vous voyez, Messieurs, que, depuis votre première visite, la pierre a pris une autre figure.
Léon. Ah ! Monsieur, elle ne l'a pas prise; c'est bien vous qui la lui avez donnée, et je pense que ce n'a pas été sans peine et sans travail.
Le sculpteur. C'est avec la force et l'adresse que Dieu me donne, que j'ai pu le faire, et si j'ai réussi, cela ne vient sûrement que de Celui qui enseigne aussi au laboureur à cultiver la terre, comme dit le prophète Ésaïe : « Cela procède aussi de l'Éternel des armées, qui est admirable en conseils, et magnifique en moyens. » (Esaïe XXVIII, 29.)
Étienne. Mais, Monsieur, vous avez appris ce que vous savez. Cela ne vous est pas venu tout-à-coup?
Le sculpteur. Oui, Monsieur, je l'ai appris et très que le sculpteur emploiera tout son savoir à la finir, et que tout sera fait et achevé, comme l'est déjà la patte que nous venons de voir.
Le père. Mais lequel des deux travaux crois-tu qui soit le plus lent : le premier, par lequel le sculpteur ébauche, ou bien celui-ci, par lequel il forme et finit avec soin?
Léon. Oh! ce dernier travail est bien plus long, que le premier.
Étienne. C'est bien sûr; car à peine pouvait-on voir que le ciseau touchât la pierre, lorsqu'il achevait l'ongle qu'il a fait aujourd'hui.
Le père. Eh bien! mes enfants, puisque vous avez été témoins de ce travail exact et minutieux, ne craignez pas de vous appliquer vous-mêmes à vos divers travaux, et rappelez-vous souvent la patience et la persévérance du statuaire.

Étienne et Léon retirèrent un grand avantage de cette leçon vivante; mais c'était Léon que le père avait principalement en vue; et il attendait, pour le lui faire sentir, que le lion fût fini, et même qu'il fût placé au Jardin Royal.
Enfin cela eut lieu; et le père ayant accordé une promenade à ses deux fils, les conduisit à la campagne, près du parc du château d'été, où il entra, et de là il passa dans le Jardin, et devant le palais même.
Le lion y était, sur son piédestal. C'était un très-bel ouvrage, d'un travail achevé.
Plusieurs personnes étaient autour de cette nouvelle statue, et témoignaient hautement leur admiration.

Léon et Étienne reconnurent aussitôt l'animal qu'ils avaient vu faire, et ils exprimèrent leur grand étonnement de le trouver si beau et comme vivant.
Le père les laissa bien examiner le lion, puis, les emmenant dans le parc, il s'assit avec eux dans un endroit retiré, et s'adressant à Léon, il lui dit:
- Mon cher Léon, je puis maintenant te dire tout ce que j'ai eu dessein de te faire comprendre, depuis plusieurs semaines, d'après le travail de cette statue, que tu viens d'admirer.
Tu te rappelles le jour auquel nous allâmes en bateau. Ce jour-là même, tu taxas ton frère de n'être pas chrétien, parce qu'il avait usé de peu de complaisance à ton égard.
Tu te rappelles aussi, qu'en allant ensemble chez le sculpteur, pour la première fois, nous parlâmes de la sainteté du chrétien, et que tu reconnus toi-même, qu'il fallait beaucoup de temps pour qu'elle fût accomplie.
Maintenant, cher Léon, tu me comprendras, si je te dis, selon le langage de l'Écriture, que la sainteté d'un enfant de Dieu est sa transformation de son état naturel de méchanceté à la ressemblance de Jésus, qui est le parfait et l'unique modèle. (Rom. XII, 2.)
Léon. Je comprends cela, cher papa. Tu veux dire que nous devons laisser et abandonner nos méchancetés et nos mauvaises habitudes, et devenir chaque jour plus semblables à notre Sauveur.
Le père. Précisément, mon enfant. Et celui qui fait et opère ces choses en nous, c'est l'esprit de Dieu, qui, jour à jour et par degrés, nous ôte de l'esprit et du coeur tout le mal qui s'y trouve, et y produit avec efficace de bonnes pensées et de bonnes volontés. (Phil. II, 13, et 2 Cor. III, 18. Mais comment agit-il ?
Léon. Je sais ce que tu veux dire : cela se fait par degrés aussi, et non pas tout-à-coup.
Le père. Oui, mon ami. C'est ainsi que la puissance du Seigneur agit en ses enfants. Il en est d'eux, entre les mains de leur père, comme du bloc de pierre entre celles du sculpteur.
Si le bloc fût demeuré à la carrière, et qu'il n'eût jamais été détaché du rocher dont il faisait partie, jamais il n'eût reçu d'autre forme que celle qu'il avait naturellement.
De même, Léon, si un homme n'est pas tiré, par la grâce puissante et souveraine de Dieu, du rocher du monde, et de la carrière du péché, où il se trouve par sa nature, il y demeure toujours, de sa propre volonté, et il n'entre jamais dans l'atelier du sculpteur céleste, si je puis dire.
Après cela, ce bloc détaché du rocher, et amené devant le sculpteur, a été d'abord dégrossi à grands coups.
Ainsi, cher Léon, l'homme dont le coeur a été converti, c'est-à-dire retourné vers Dieu, par la foi sincère en Jésus, est d'abord corrigé de ses plus grands défauts, et dépouillé de ses formes vicieuses les plus apparentes.
Le sculpteur, tu l'as vu, ayant fini ce premier et plus rude travail, s'est appliqué à un autre travail plus exact et plus soigné. Il a suivi de plus près le modèle qu'il avait dans sa pensée.
De même, quand un enfant de Dieu, par la puissance du Saint-Esprit, a été séparé de ses péchés les plus évidents, ce même esprit, qui est l'Esprit de vérité et de sainteté, le façonne, si je puis dire, à la ressemblance du Fils de Dieu, et par un travail qui se fait peu à peu dans le coeur, il l'approche chaque jour plus du modèle.
Enfin, Léon, tu viens de voir le lion dans le jardin du roi. Il avait été destiné pour cette honorable place, et il ne doit point en être ôté.
De même aussi, quand l'enfant de Dieu, le vrai chrétien, a été transformé, par' le Saint-Esprit, à la ressemblance de Jésus, cet homme renouvelé et sanctifié est placé dans le jardin de l'Éternel, devant le palais du roi, d'où jamais il ne sera ôté.
As-tu compris, Léon? Ma similitude le paraît-elle exacte ?
Léon. Oui, mon cher papa; j'ai tout compris, et je te remercie du fond de mon coeur d'avoir pris tant de peine pour me faire sentir ma faute, et pour me montrer combien le jugement que j'avais porté sur Étienne, était faux et imprudent.
Le père. Tu le vois, mon ami; pour qu'on puisse dire avec certitude que quelqu'un n'est pas encore chrétien, il faut être certain qu'il tient encore au monde, qu'il est lui-même du monde, et qu'il en fait partie, c'est-à-dire qu'il n'est pas converti par une vraie foi en Jésus-Christ. Mais tu ne peux pas être sûr de cela, d'après une mauvaise forme, d'après un péché, ou même d'après plusieurs péchés qui se voient encore dans la conduite de cette personne.
Étienne. Cependant, mon bon papa, si cette personne demeure habituellement dans ces péchés-là, et qu'elle vive comme vit le monde, est-ce qu'on doit croire aussi qu'elle est peut-être chrétienne ?
Le père. Dis-moi, Étienne, si le bloc de pierre qui est maintenant transformé en ce beau lion, eût montré d'abord deux longues oreilles pointues, des pieds minces et garnis de sabots, une queue courte et presque nue, un dos rond comme un baril, et une tête longue et lourde, eusses-tu dit, sans hésiter : C'est un lion qu'on veut faire ?
Étienne. Je crois, cher papa, que j'eusse dit plutôt que c'était un âne.
Le père. Et crois-tu que si le sculpteur eût continué dans les mêmes formes, jusqu'à la perfection de son ouvrage, quelque beau que le travail eût paru, le roi en eût été content, et l'eût pris pour un lion, ou pour l'ornement de son palais ?
Étienne. Non, sans doute, papa; et je vois à présent ce qu'il en est. Le lion avait déjà les formes d'un lion, quoiqu'il ne fût encore que grossièrement ébauché, et jamais il n'eut celles d'un âne; tandis qu'un âne, quelque bien fait qu'il soit, n'aura jamais l'apparence d'un lion. Oui, c'est clair, je comprends.
Le père. Comprenez donc bien aussi, mes chers fils, que, puisque par la grâce puissante du Seigneur, vous avez été amenés à la connaissance de Jésus, le Fils de Dieu, et puisque vous professez de l'adorer et de l'aimer comme votre Sauveur, vous devez chaque jour plus lui demander que, par son Esprit, il vous rende semblables à lui-même; mais jamais, mes enfants, vous ne devez prononcer que l'un ou l'autre de vous n'est pas chrétien, parce qu'il n'est pas encore aussi saint qu'il doit l'être.

Si vous péchez, avertissez-vous et vous reprenez l'un l'autre, avec amour et patience; mais en le faisant, rappelez-vous que la sainteté s'acquiert par degrés, et qu'une statue, quelque promptement qu'elle soit faite, ne l'est cependant jamais d'un seul coup de ciseau.


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