Charles, le fils de bons et religieux parens,
fêtait par un beau jour d'automne son
douzième anniversaire. Ses parens lui
avaient fait pour ce jour-là beaucoup de
jolis présens, et lui avaient permis
d'inviter ses amis.
Et toute la société
s'en allait jouer dans le spacieux jardin,
où Charles avait aussi son petit enclos
plein d'arbres et de fleurs. Et il y avait dans ce
jardin quelques beaux pêchers qui portaient
des fruits pour la première fois, des fruits
appétissants qui commençaient
à mûrir, à se couvrir d'un
tendre duvet et d'un doux incarnat. Et cette vue
excitait la convoitise des enfants.
Mais Charles leur dit : Mon
père a défendu de toucher à
ces pêches : ce sont les premiers fruits de ces
petits arbres, et moi
j'ai
aussi mon jardin où il s'en trouve de toute
sorte. Éloignons-nous de cet endroit pour
que celles-ci ne nous tentent pas.
Qui t'empêche donc, lui dirent
ses camarades, de nous y laisser goûter?
Aujourd'hui tu es l'unique maître de ce
jardin. N'est-ce pas ton jour de naissance et
n'es-tu pas devenu d'une année plus vieux?
Tu ne dois cependant pas toujours être un
enfant que l'on conduit à la lisière.
Viens donc ici, puisque personne ne nous en
empêche. Ainsi parlèrent les
enfants.
Charles cependant leur dit :
Non,
retournez avec moi, je sais la défense de
mon père. Mais eux lui répondirent :
Ton père ne le verra pas, et comment
pourrait-il l'apprendre? S'il t'interroge, tu diras
que tu n'en sais rien.
Fi donc! dit Charles, je
mentirais;
et la rougeur de mon visage m'aurait bientôt
trahi.
Alors un des plus âgés
ajouta : Charles a raison; écoutez, je sais
un autre moyen. Nous allons cueillir ces
pêches, et tu pourras, Charles, affirmer que
ce n'est pas toi qui l'as fait. Et Charles
consentit, et ses amis firent tomber les fruits et
se les partagèrent entre eux.
Lorsque le soir vint, les
enfants
retournèrent chez eux;
mais Charles demeura dans le jardin, car il
craignait la vue de son père, et s'il
entendait ouvrir la porte de la maison, il se
sentait effrayé, et dans l'obscurité
du crépuscule tout lui faisait
peur.
Cependant le père vint, et
Charles, quand il distingua le bruit de ses pas,
courut, par une autre allée, du
côté de son petit jardin. Et alors le
père vit comme ses arbres avaient
été dépouillés, et il
cria : Charles, Charles, où es-tu ? Et quand
l'enfant entendit son nom, il s'effraya encore plus
et devint tremblant.
Mais son père alla à
lui et dit : C'est donc pour ton jour de fête
et pour mon remerciement que tu as
dévasté mes pêchers
?
Mon père, répondit
Charles, je n'ai point touché à tes
arbres; c'est peut-être un de mes amis qui
l'aura fait.
Alors son père le conduisit
à la maison, et il le plaça devant
soi, à la lumière, et lui dit :
Veux-tu donc encore tromper ton père
?
Et le pauvre Charles pâlit et
trembla, et il avoua tout en pleurant et en
suppliant.
Mais son père lui dit :
Dès maintenant le jardin sera fermé
pour toi.
Là-dessus il
s'éloigna. Et toute la nuit Charles ne put dormir
: il
s'effrayait
dans les ténèbres, il entendait les
battements de son coeur, et s'il parvenait à
sommeiller, ses rêves lui faisaient peur.
Jamais de sa vie il n'avait eu une nuit aussi
terrible.
Le lendemain il se montra pâle
et craintif, et sa mère s'affligea de le
voir ainsi, et elle dit à son mari : Vois
comme Charles est triste, le jardin que tu lui as
fermé semble dire que le coeur de son
père lui est aussi fermé.
- Il a mérité, dit le
père, que je lui fermasse ce
jardin.
- Ah! répondit-elle, il
commence bien douloureusement une nouvelle
année de sa vie.
- Elle lui en deviendra
meilleure,
répondit le père.
- Quelques jours après, la
bonne mère de Charles dit encore : Je crains
que notre enfant ne doute de notre amour pour
lui.
- Non pas, dit le père, et
dans son coeur coupable il peut le
reconnaître. Jusqu'ici il a joui de notre
amour; à présent il faut qu'il
apprenne à l'apprécier et à le
révérer pour qu'il le gagne de
nouveau.
- Mais, dit la mère, cet
amour ne lui apparaît-il pas trop
sévère ?
En vérité, il est
comme la sagesse et la justice. Mais qu'il sache,
avec la connaissance de sa faute, le craindre et le
respecter. Puis cet amour lui reviendra avec les
traits sous lesquels il l'a d'abord connu, et
alors, sans crainte, il dira que c'est l'amour.
J'ai confiance pour cela dans son
repentir.
Quelque temps s'était encore
passé, lorsqu'un jour Charles sortit de sa
chambre avec un visage calme et sérieux. Il
avait rassemblé dans une corbeille tous les
cadeaux qui lui venaient de ses parents, et il
porta cette corbeille devant son père et sa
mère.
- Que veux-tu donc, Charles,
demanda
le père ?
- Ah! répondit l'enfant, je
ne suis plus digne de votre amour et de votre
bonté, et je vous rapporte les
présents que je ne mérite pas.
Cependant mon coeur me donne l'assurance que
dès maintenant commence en moi une nouvelle
vie. Ainsi, pardonnez-moi et reprenez pour mon
expiation tout ce que j'ai reçu de votre
amour.
Alors le père serra son fils
dans ses bras, l'embrassa et pleura, et de
même aussi fit sa mère.
Chapitre précédent | Table des matières | - |